· Débat avec la salle

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Qui vous le reproche ?

M. René DOSIÈRE

De temps en temps, quelques rumeurs courent...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Les électeurs sont incorrigibles....

M. René DOSIÈRE

Quelles constatations peut-on faire ? Ces missions d'observation sont-elles une caution ou un alibi, comme on le disait tout à l'heure ? Quelle est leur efficacité ? Un grand nombre d'observateurs est nécessaire pour juger de la validité d'une élection. Il est donc souhaitable que ces missions soient multilatérales et que les parlementaires français ne composent qu'une partie du groupe d'observation. L'on constate, d'ailleurs, une certaine rivalité entre la France et les États-Unis dans le cadre de ces processus d'observation démocratique. Je me souviens d'une mission au Mozambique où l'Union européenne était en réelle concurrence avec la fondation Carter. Chaque observateur avait, dans ce cadre, une autonomie totale...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Êtes-vous favorable à l'organisation de missions européennes ?

M. René DOSIÈRE

Tout à fait. Elles sont d'ailleurs indispensables. L'intervention de trois ou quatre parlementaires français ne permet pas de vérifier l'ensemble d'un processus électoral. Dans le cadre d'une mission européenne, les moyens seraient beaucoup plus importants. Néanmoins, un processus électoral peut être faussé avant même le vote. Les missions permettent uniquement de vérifier que le vote se déroule dans des conditions de régularité satisfaisante. En revanche, elles ne vérifient en aucun cas le processus d'établissement des listes électorales, par exemple, ce qui est un problème.

De même, une mission ignore comment sont utilisés les différents moyens de propagande qui permettent de faire voter en faveur de telle ou telle liste. Autrement dit, je ne conclurai pas sur l'utilité pratique de ces missions. Je me contenterai de noter qu'elles ont un effet dissuasif sur la fraude et qu'elles permettent d'apporter un soutien aux démocrates locaux.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Puis-je vous demander à qui est destiné le rapport que vous établissez ?

M. René DOSIÈRE

Le rapport est, comme tous les rapports de l'Assemblée nationale, publié. Sur place, le communiqué de fin de mission est rendu public et transmis, à ce titre, à la presse et à l'ensemble des médias présents qui, d'ailleurs, sont souvent très attirés par la présence d'observateurs...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Ce rapport n'est donc pas destiné au pouvoir en place qui a accepté que vous lui rendiez visite ?

M. René DOSIÈRE

Non, pas du tout. Il est destiné à la presse. Je crois que, dans ces missions, l'essentiel est ailleurs. D'abord, ces missions permettent aux parlementaires français de nouer des échanges directs avec nos ambassadeurs, échanges enrichissants dans les deux sens. Elles permettent d'ouvrir l'esprit du député français, ce qui fera plaisir à Guy Carcassonne, et d'élargir son horizon au-delà de sa circonscription. Par ailleurs, ces missions sont aussi, pour les députes français, une leçon d'instruction civique. J'ai le souvenir des élections législatives, en 1999, au Mozambique : ce jour-là était extraordinaire. Je suis naturellement trop jeune pour avoir connu les élections de 1848 en France. Étant historien, j'ai appris comment elles s'étaient déroulées. Je dois dire que ce jour, ce dimanche, lorsque j'ai vu, dès quatre heures du matin, les gens quitter leurs tribus, leurs cases, les campagnes, pour se rendre dans les bureaux de vote, quasiment en procession, bien habillés comme lorsqu'on va à la messe le dimanche avec les enfants sur le dos, les provisions, et rester toute la journée au soleil, ou de temps en temps à l'ombre, avant de pouvoir voter, je me suis dit qu'il y avait une joie de voter - d'ailleurs la participation était de l'ordre de 80 % - que nous n'avons plus aujourd'hui. J'ai vu combien l'on pouvait, autrefois, avoir le plaisir de voter. Je crois que tout cela est utile, notamment les contacts politiques que la délégation de parlementaires a avec les principaux responsables politiques du pays. Je dois dire, d'ailleurs, que la présence, dans ces missions d'observation, de parlementaires français est quelque chose qui frappe beaucoup les étrangers.

J'ai découvert que le prestige de la Révolution française et de l'Assemblée nationale était intact, en tous les cas pour les étrangers, autrement dit le prestige de ce que Guy Carcassonne appelle le « parlementarisme rationalisé ». Au fond, l'Assemblée nationale française reste en quelque sorte un mot magique pour nos interlocuteurs. Je crois que, de ce point de vue, l'Assemblée nationale d'aujourd'hui ne peut pas ignorer cet héritage qu'elle doit cultiver, entretenir et développer. Merci.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Dans quelques minutes nous recevrons le président Forni qui accueillera le ministre des affaires étrangères. En attendant, nous sommes en train de respecter l'horaire prévu : avez-vous envie d'intervenir ou de poser des questions ? Pendant que vous vous préparez et que l'on vous tend des micros, je demanderai au professeur comment il explique le développement de ce concept depuis une dizaine d'années.

M. Guy CARCASSONNE

D'abord, je constate avec plaisir que, finalement, il est sain de faire un peu de provocation !

Ensuite, je n'ai jamais parlé de tourisme parlementaire - j'aurais pu, d'ailleurs, parce que, pour moi, ce n'est pas du tout dévalorisant, d'autant plus qu'on apprend toujours quelque chose en voyageant, y compris sous forme touristique. Mais j'ai eu le sentiment qu'il y avait eu des réactions quasi paranoïaques, comme si l'agression avait consisté à expliquer que les parlementaires ne se déplaçaient que pour faire du tourisme. Ce n'est évidemment pas le cas. Je me réjouis d'avoir alimenté les discours de façon peu convenue ! L'explication du phénomène est, je crois, toute simple : la prise de conscience du village global, pour utiliser un cliché, n'a évidemment pas été extérieure au parlement. Elle a pénétré aussi l'institution parlementaire. De fait, les parlementaires français ont, aujourd'hui, une conscience totale et très claire du monde qui les entoure. Ils sont prêts aussi - parce que, de surcroît, ils sont des militants politiques - à essayer, dans le cadre de leurs fonctions et à l'aide de leurs compétences, de contribuer à une amélioration globale chaque fois que l'occasion s'en présente. En soi, il est formidablement sain que les parlementaires sortent des enceintes des parlements et pas seulement pour se rendre dans leur circonscription, ce qui est pourtant parfaitement légitime. Plus les missions en question se multiplieront, plus nous serons satisfaits.

Si, tout à l'heure, j'ai mis l'accent sur ce que j'appelais les handicaps, c'était moins pour faire de la provocation que pour souhaiter que ces missions remportent autant de succès qu'elles le méritent.

M. Farid SMAHI

Bonjour. Je suis professeur de gymnastique. Je suis ravi, Mme Rivasi et M. André, de ce que vous avez annoncé. Mme Rivasi, vous êtes un jour intervenue pour libérer deux sportifs : c'est fabuleux ! Votre charme y a certainement contribué. Quant à vous, M. le député, vous êtes tout aussi fabuleux : vous avez réussi à libérer un Président de prison ! Vous formez à vous deux un lobby extraordinaire.

Sur la question de l'Iraq et de la Palestine, la démocratie parlementaire européenne sera-t-elle à la remorque des États-Unis ? Je signale au passage que beaucoup d'équipes israéliennes, qui ne font pourtant pas partie de l'Europe, participent aux championnats européens. Quant à l'Iraq, le remord du génocide par les nazis de la population juive pendant la seconde guerre mondiale - que je condamne bien évidemment - ne devrait-il pas nous conduire à faire preuve d'un peu plus d'humanité à l'égard de toutes ces familles iraquiennes ? Avez-vous les moyens d'empêcher l'Europe de vendre des avions aux Israéliens qui bombardent des jeunes qui lancent des pierres ?

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je pensais que vous alliez leur demander s'ils avaient la capacité de libérer l'Iraq de certains de leurs dirigeants...

M. Farid SMAHI

Si vous voulez, nous pouvons aussi parler des dirigeants... Il ne faut pas oublier que notre président de la République n'a pas hésité à danser avec l'épouse du dirigeant chinois ! Mais j'aimerais que vous répondiez à ma question concernant l'embargo.

Mme Michèle RIVASI

Je veux bien répondre à cette question qui m'est familière dans la mesure où je me suis occupée du syndrome de la guerre du Golfe et qu'à cette occasion, j'avais demandé à ce qu'une mission parlementaire se rende en Iraq. Je ne vous cacherai pas que ma demande a été rejetée par le ministère des affaires étrangères. Cela signifie que la démocratie parlementaire et l'exécutif peuvent parfois s'opposer. Je comprends bien votre question. Nous-mêmes, nous souhaitions, grâce à cette mission, évaluer la situation de la population civile. Plus tard, nous avons rencontré des membres de l'ONU, qui - je vous le rappelle - est financée par tous les pays, et j'ai été surprise de constater qu'ils étaient incapables de répondre à nos questions. Cependant, je crois que plus les parlementaires poseront des questions, plus ils s'insurgeront contre le fait qu'on leur refuse des autorisations, plus les choses évolueront... C'est le seul message d'espoir que je peux vous donner. Sachez toutefois que nous nous bagarrons !

M. René ANDRÉ

En parlant d'Israël, vous évoquez un sujet qui me touche personnellement, pour des raisons que vous pouvez peut-être deviner... Je ne puis que regretter la façon dont vous avez abordé cette question extrêmement grave. Je pourrais m'en sortir avec une pirouette, en posant cette question : que pensez-vous qu'un parlementaire français puisse faire quand les États-Unis ne réussissent pas ? Cela étant, je crois que la diplomatie parlementaire ouvre des voies nouvelles. J'aimerais témoigner par exemple du travail réalisé par le groupe d'études sur la Palestine. Je ne fais pas partie de ce groupe mais je sais qu'il travaille utilement pour faire connaître à l'Assemblée nationale les difficultés que le peuple palestinien traverse. Je vous prierai également de ne pas oublier les drames qu'a vécus Israël et les menaces qui ont trop longtemps pesé sur elle.

M. Yves TAVERNIER, député

A mon sens, la diplomatie parlementaire peut être très utile lorsque les relations entre les États sont bloquées, dans la mesure où les parlementaires représentent les peuples et non les États. Dans des contextes difficiles, les parlementaires peuvent jouer un rôle et décrisper une situation tendue. De multiples exemples pourraient être donnés. Je me souviens qu'à un moment où les relations avec l'Iran étaient particulièrement difficiles et les rapports entre les deux gouvernements impossibles, on a demandé aux parlementaires d'assurer les relations internationales.

Sur la question israélo-palestinienne, Jacques Pelletier a fait allusion à l'union interparlementaire. A ce sujet, je signale que la semaine prochaine, en tant que président de la commission du Moyen-Orient de l'Union interparlementaire (représentant tous les parlements du monde), je rencontrerai à Ramallah, à Gaza et à Jérusalem les parlementaires du conseil législatif palestinien et de la Knesset. Le seul cadre où se noue une relation politique et un dialogue direct entre les représentants des peuples israéliens et palestiniens est parlementaire. J'en veux pour preuve les rencontres à Paris le 15 janvier dernier et à La Havane il y a un mois.

Ces deux exemples montrent que le parlement peut jouer un rôle diplomatique. Il n'est pas qu'une courroie de secours et sa mission ne se limite pas à réparer les erreurs du Quai d'Orsay.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Merci pour votre témoignage.

S. Exc. M. Eumelio CABALLERO RODRIGUEZ, ambassadeur de Cuba

J'aimerais partager avec vous notre satisfaction vis-à-vis du niveau de coopération que nous avons avec l'Assemblée nationale et le Sénat français. Il y a un groupe d'amitié franco-cubain à l'Assemblée ; il a longtemps été présidé par le président Forni et l'est maintenant par le député Yves Montagne. Ce groupe est composé de députés venant de tous les partis politiques présents à l'Assemblée. Il y a également un groupe au Sénat. Je pense que le rôle que jouent ces deux groupes est vraiment positif. Les visites qui sont organisées permettent d'entretenir un dialogue permanent avec notre parlement, notre gouvernement et nos organisations sociales.

M. Raymond FORNI

Mesdames et Messieurs, j'aimerais remercier Hubert Védrine d'avoir bien voulu accepter de participer à notre colloque. Nos échanges lui ont bien évidemment été rapportés. Les thèmes abordés, le concept émergent de la diplomatie parlementaire, l'essor de la coopération interparlementaire, et la régulation internationale, au travers notamment de l'action de nos parlements, le Sénat et l'Assemblée nationale, lui ont sans doute permis de comprendre l'orientation de cette journée.

Je voulais simplement souligner la parfaite coïncidence entre les vues exprimées par le président du Sénat, Christian Poncelet, qui a été contraint de retourner dans ses Vosges natales, et celles de l'Assemblée nationale, que j'ai l'honneur de présider. La qualité des débats a été, tout au long de la journée, exceptionnelle. La présence de diplomates et de parlementaires nous ont permis de saisir cette réalité française dont nous souhaitons qu'elle devienne une réalité internationale car, comme je l'ai déjà dit à Hubert Védrine, il me semble que la diplomatie parlementaire n'est pas concurrente de la diplomatie d'État. Elle ajoute au contraire à cette diplomatie ; elle a sans doute une certaine liberté à condition que cela ne devienne pas pour elle une irresponsabilité. Dans un monde en pleine mutation où les exigences, notamment de la construction européenne et de la mondialisation, font que les échanges doivent se multiplier, exprimer la voix d'un peuple est utile pour le parlement, indispensable pour être entendu et, en tous les cas, conforme à la conception que nous avons des relations internationales.

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