· Intervention de M. Yves TAVERNIER, député

Je ne voudrais pas que l'on réduise l'appréciation que je peux avoir de notre diplomatie à un mot qui d'ailleurs ne s'adressait pas au Quai d'Orsay. Je voulais dire qu'il serait dommage de limiter l'approche des parlementaires sur la scène internationale à la réparation d'un certain nombre d'erreurs que l'administration du Quai d'Orsay fait comme toute administration et le parlement lui-même. Il serait abusif de sortir le mot de son contexte et d'en faire une qualification qui n'était pas dans mon propos. Nous savons que les journalistes vont parfois à ce qu'ils croient être l'essentiel sans prendre en considération le plus important !

Vous me demandez, M. Levaï, de nous faire rêver. J'aurais beaucoup de difficultés à le faire encore que, en écoutant le ministre Hubert Védrine dire tout le bien qu'il pensait de l'action des parlementaires sur la scène internationale, il m'ait été donné l'envie de rêver. Je l'ai écouté avec beaucoup de plaisir, en m'interrogeant parfois sur le petit décalage qu'il peut y avoir entre les intentions et la réalité. En l'écoutant, je repensais aussi à l'article paru dans Le Monde cet après-midi et qui s'intitule : « Matignon recherche un conseiller en anti-mondialisation ». Si j'ai bien compris, les services du Premier ministre s'interrogent sur la sensibilité de l'opinion publique à la nature et aux effets de la mondialisation, ce qui les conduit à se tourner vers les ONG car ils voient en elles l'expression des peurs, des attentes et des préoccupations des Français.

1. - L'ouverture progressive, mais insuffisante, du champ des relations internationales au parlement

Ainsi, alors que pendant longtemps, il a été admis que les relations internationales relevaient du domaine réservé et que ce sujet était trop sérieux pour que d'autres que les chefs d'État et de gouvernement s'en occupent, aujourd'hui, sous l'effet de l'évolution de la société, on voit poindre la prise de conscience qu'il faut une ouverture vers d'autres que les gouvernants. Et l'on n'imagine cette ouverture qu'en direction de ce qu'on appelle la société civile - terme qui m'a toujours étonné -, en oubliant totalement que l'expression démocratique et légitime de la société civile, c'est d'abord le parlement. L'article du Monde ne faisant pas du tout référence au rôle du parlement, j'aimerais dire que les élus du suffrage universel ont autant de légitimité - sinon davantage - que les ONG dont je respecte pourtant l'action, la pensée, l'apport vis-à-vis des problèmes de notre société.

Je suis frappé par le nombre extrêmement important de rapports parlementaires de qualité réalisés au cours de ces dernières années sur la mondialisation, les grandes institutions internationales et la politique de développement. De plus, le travail de réflexion mené sur ce que doit être la coopération internationale au XXIe siècle pourrait constituer un corpus intellectuel extrêmement utile aux administrations et aux responsables exécutifs qui sont chargés de définir, de concevoir et de conduire la politique de la nation. Quelle conception le Quai d'Orsay, Matignon, les grandes administrations, Bercy ont-ils de ce que doivent être les relations avec ce que l'on appelle le tiers-monde, les pays ACP ? Y a-t-il une évolution dans leur perception, entre les années 60, lendemains de la décolonisation, et aujourd'hui, époque caractérisée par la mondialisation et la dislocation du bloc soviétique ?

Nous sommes à la recherche de ces grandes utopies qui sous-tendraient l'action et définiraient les objectifs. Nos interlocuteurs de la haute administration, comme les responsables politiques au niveau national, sont les premiers à avoir besoin de ces projets et de ces grandes perspectives. J'ose dire que le parlement, à son niveau, y contribue et qu'il y a une somme de travaux qui, malheureusement, ne sont pas utilisés. C'est un trait caractéristique de la France, que l'on retrouve aussi au niveau des travaux universitaires et de recherche. A la différence des pays anglo-saxons, en France, ces travaux n'alimentent pas suffisamment la réflexion politique et n'éclairent pas suffisamment l'action des gouvernants. J'ai été chercheur par le passé et j'ai pu constater que notre culture provoquait des cloisonnements forts entre ceux qui définissent la politique et ceux qui peuvent apporter (les intellectuels, les parlementaires, etc.) à la réflexion et, par suite, à la conduite des affaires de la France. Raymond Forni disait que des passerelles étaient nécessaires ; j'en vois effectivement quelques-unes d'une grande utilité.

2. - Le cas des institutions financières internationales

Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un seul exemple : les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le fonds monétaire international, dont la France est le quatrième bailleur de fonds (avec une quote-part de plus de 100 milliards de francs). Parallèlement, notre pays est le deuxième contributeur mondial à l'aide publique au développement. Or jusqu'à une date très récente, le parlement français était tenu et se tenait totalement à l'écart de sa mission de suivi et de contrôle de l'action de ces institutions et du rôle qu'y joue la France.

Il a fallu attendre le printemps 2000 pour que, pour la première fois, un débat soit organisé à l'Assemblée nationale sur notre coopération internationale et notre politique d'aide au développement. Ce n'est donc que depuis l'année dernière qu'il y a - de manière modeste et timide - un débat annuel sur un pan essentiel de notre politique internationale de développement, et notamment à l'égard du tiers-monde.

De même, il a fallu attendre un projet de loi de finances rectificatif pour qu'en 1998 nous nous intéressions aux institutions financières internationales. En janvier 1998, à la suite de la politique - que je ne qualifierai pas - du FMI en Extrême-Orient et en Russie, on a demandé aux Etats actionnaires d'augmenter leur quote-part. Pour la France, ce complément s'élevait à la bagatelle de 27 milliards de francs. Cette décision n'a pas été abordée lors de la discussion sur la loi de finances 1999. C'est seulement dans le cadre d'une loi de finances rectificative, proposée à la sauvette et nuitamment, que cette question a été soulevée ! Évidemment, les parlementaires n'ont pas eu d'autre choix que de voter cette loi, mais, suite à cela, ils ont imposé au gouvernement de faire chaque année, devant le parlement, un rapport sur le fonctionnement des institutions financières internationales. Cela se fait depuis l'année dernière. De plus, la commission des finances de l'Assemblée nationale établit un rapport sur le rapport du gouvernement. Pour l'année qui vient, j'ai commencé à travailler avec la direction du Trésor car je veux que soient rendues publiques et débattues toutes les directives données par le ministère des Finances au FMI et à la Banque mondiale. Nous devons savoir ce qu'est la politique de la France, ce que fait notre pays en Argentine, en Indonésie, en Corée ou en Turquie. Toutes ces actions doivent être connues et contrôlées par le parlement, qui a la responsabilité d'en rendre compte devant l'opinion publique.

Avant de conclure, je signale que le président Forni m'a donné son accord pour que soit créée une délégation permanente de l'Assemblée nationale aux institutions financières et économiques internationales, de façon à ce que nous puissions enfin remplir notre mandat qui est d'être informé, de suivre l'ensemble des décisions prises par l'exécutif ou ceux qu'il mandate dans ces institutions, et de pouvoir contrôler l'utilisation qui est faite de l'argent public. C'est tout simplement le fondement de la démocratie.

M. Ivan LEVAÏ

M. Marini, avez-vous vous aussi l'impression que les gouvernements ont tendance à ne pas vouloir que vous vous occupiez de l'affectation des fonds, de la Banque Mondiale par exemple ? Avez-vous trouvé une voie pour le faire quand même ?

Retour Sommaire Suite

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page