Les quatrièmes et cinquièmes rencontres sénatoriales de la justice



Colloques organisés par M. Christian Poncelet, président du Sénat - Palais du Luxembourg - 20 juin 2006 et 5 juillet 2007

Témoignages de sénateurs

M. Roland du LUART, Sénateur de la Sarthe, Vice-président du Sénat .- En tant que rapporteur des crédits de la justice à la Commission des finances du Sénat, j'ai souhaité répondre à l'attente du Président Poncelet en effectuant un stage d'immersion. En effet, je n'ai pas de formation juridique et je pense qu'il faut s'immerger dans ce genre d'institutions, d'autant plus quand on veut comprendre une chose aussi complexe que l'ordre judiciaire.

J'ai eu cette chance de pouvoir faire un stage de trois jours à la Cour d'appel de Paris, et je tiens à en remercier son Premier Président, ici présent, ainsi que le Procureur général près la Cour d'appel et tous ceux qui m'ont consacré de leur temps pour essayer de me faire comprendre ce qui s'y passait.

Je dois dire que cela a été pour moi extrêmement enrichissant. Comme tout le monde savait ce que je faisais, nous avons, bien sûr, beaucoup parlé de la LOLF. Cherchant à savoir comment elle était perçue sur le terrain et si elle était ou non un facteur de modernisation pour les services publics de la justice, je me suis rendu dans le Service Administratif Régional (SAR) pour voir comment tout cela fonctionnait.

Si je puis me permettre de vous le dire, Monsieur le Garde des Sceaux, il y a quand même des paradoxes. En effet, je suis l'un de ceux qui ont eu l'outrecuidance de dire, lors du débat du mois de novembre dernier, que vous aviez peut-être une certaine insincérité budgétaire dans l'approche des frais de justice. Vous m'aviez alors donné vos arguments, mais je suis toujours convaincu que les crédits utilisés pour faire fonctionner la justice ne sont pas forcément suffisants. Certes, c'est le problème éternel des dépensiers, mais on assiste actuellement à un paradoxe à la Cour d'appel de Paris : il y a des sommes en retard, mais, au 15 mai, le moment où j'y étais, on n'arrivait pas à payer parce qu'on avait mis en place une machine extrêmement complexe qui imposait trois contrôles quand il n'y en avait qu'un auparavant, ce qui est un facteur d'alourdissement. Les fonctionnaires des SAR n'arrivent pas à faire fonctionner le système : le contrôleur financier ou la régie n'osent pas aller plus vite parce que, par principe de précaution, ils se demandent s'ils y sont habilités ou non.

Hier, j'ai eu au téléphone un personnage très important du ministère du budget qui assistera tout à l'heure à notre table ronde et qui m'a donné son accord - il pourra le dire lui-même - pour que nous essayions d'alléger les contrôles. En effet, vous avouerez qu'il serait paradoxal qu'après avoir dit qu'il n'y avait pas assez d'argent, nous nous retrouvions en fin d'année dans une situation dans laquelle nous sommes en sous-consommation de crédits en ce qui concerne les frais de justice.

Vous savez bien, Monsieur le Garde des Sceaux, qu'il y a, au moins pour les années 2004 et 2005, des sommes arriérées et non payées et il faut bien que nous en sortions. L'année 2006 est une année de transition extrêmement difficile, et je tenais à évoquer ce paradoxe.

Cela a constitué le centre de mon immersion auprès de la Cour d'appel.

Dans un deuxième temps, je me suis particulièrement intéressé aux conditions matérielles. Je dois vous avouer que j'ai été ahuri après avoir tout visité de fond en comble. Je ne pensais pas qu'il y avait 24 kilomètres de couloirs, 7 000 fenêtres, 3 500 portes et 7 entrées différentes, dont deux mal gardées... Tout cela m'a vraiment surpris. On m'a alors dit que le déménagement du Tribunal de grande instance devait se réaliser, mais que le lobby des avocats ne voulait pas bouger ! Nous sommes dans une France des corporatismes.

Comme vous êtes un ancien avocat, Monsieur le Ministre, je pense que vous allez nous aider pour cela, car il faut vraiment que le Tribunal de grande instance et la Cour d'appel bénéficient de conditions de travail décentes. En effet, aucun fonctionnaire territorial ne pourrait travailler dans ce qu'on appelle « la douche », c'est-à-dire un bureau de 1,5 mètre carré à la Cour d'appel de Paris. Je précise même que la moitié des magistrats n'ont pas de bureau ! Il ne faut pas s'étonner ensuite si la justice est lente.

Cela m'a particulièrement frappé et je me suis dit que cela ne pouvait pas durer. J'aimerais donc, Monsieur le Garde des Sceaux, que l'on sache quand va être remise en route la construction du nouveau Tribunal de grande instance pour Paris et la région parisienne. C'est un problème de fond. En tant que membre de la Commission des finances, je sais que cela coûte terriblement cher, qu'il faudra faire des choix et que vous ne pourrez pas faire la multiplication des petits pains, mais il y a quand même un problème de calendrier.

Maintenant, je voudrais vous délivrer mes sentiments à la suite de ce passage à la Cour d'appel. J'ai eu l'occasion, au cours de ces trois jours, d'assister à une séance en appel. J'ai entendu les réquisitions du procureur, le président de séance et les avocats ainsi que quelques remarques un peu bruyantes de certains appelés et j'ai eu l'impression que nous étions je le dis comme je le pense, même si cela va peut-être étonner certains à des années-lumière de compréhension entre ceux qui rendaient la justice et les justiciables. Il y avait là des gens du voyage qui disaient carrément : « Cause toujours, on n'en a rien à cirer ! Ce que tu racontes, on s'en fiche ! » J'ai été très choqué de cette ambiance qui montrait que tout cela passait véritablement au-dessus de la tête de ces gens.

Lorsque je m'en suis ému auprès du Procureur près la Cour d'appel (qui, en plus, a été procureur dans la Sarthe auparavant et que je connaissais bien), il m'a dit que cette situation était générale et que les jeunes, en particulier, étaient totalement indifférents à l'égard du droit, qu'il leur passait vraiment au-dessus des oreilles. C'est un vrai problème de société qui m'est apparu et que je n'avais pas perçu comme cela.

Par ailleurs, j'ai senti, de la part des magistrats et greffiers que j'ai rencontrés, un très profond sentiment de solitude et même de blessure du fait de certains excès médiatiques sur lesquels je ne m'étendrai pas car vous voyez bien ce que je veux dire.

M. Christian PONCELET .- Le Sénat y est étranger.

M. Roland du LUART .- Le Sénat s'honore, Monsieur le Président, d'y avoir été étranger, car il est trop facile d'avoir un acharnement médiatique, personne n'étant certain de ce qu'il fait. J'ai été très impressionné par cette dignité un peu blessée et ce repli sur soi d'un certain nombre de magistrats que j'ai pu rencontrer.

J'ai eu aussi une conviction qui va peut-être vous rassurer, Monsieur le Garde des Sceaux. Dans votre belle administration dans laquelle on compte 70 000 personnes, j'ai l'impression que l'on ne manque pas de magistrats mais qu'en revanche, on manque cruellement de greffiers en chef, de greffiers et d'auxiliaires de justice et qu'aujourd'hui, la corde est tellement tendue qu'à tout moment, nous pouvons avoir un gros problème. En effet, l'opinion publique se plaint des excès de délais d'instruction, mais la machine judiciaire est bloquée non par les magistrats mais par le fait qu'il faut revoir le problème des greffiers en chef et des greffiers.

A cette occasion, il faudra sans doute c'est l'objet de mon rapport de cette année après avoir rencontré l'ENM et l'ENG revoir le problème pour les greffiers, compte tenu du délai de formation, afin de ne pas nous retrouver dans une situation difficile encore aggravée par les départs en retraite.

J'en arrive à ma conclusion qui s'adresse à mes collègues parlementaires et au gouvernement. Je suis intimement convaincu, moi qui ai trente ans de Parlement, que nous légiférons trop, notamment dans le domaine de la justice, que nos législations deviennent illisibles par ceux qui sont chargés de les appliquer, c'est-à-dire les magistrats, et qu'à l'avenir, nous devons absolument essayer de tester en amont et en profondeur nos réformes avant de les voter au Parlement.

Voilà la conviction d'un « vieux jeune » ou d'un « jeune vieux » parlementaire passionné par la mission que m'a confiée la Commission des finances du Sénat et par cette immersion que j'ai eu l'occasion d'effectuer.

J'ai peut-être été un peu trop bavard, mais j'avais annoncé publiquement que je dirais ce que je pense tel que je le ressens car, avant tout, un parlementaire doit être un homme indépendant.

(Applaudissements.)

M. Sylvain ATTAL .- Merci de nous avoir fait entrer aussi vite dans le vif du débat. Naturellement, M. le Président Poncelet a envie de vous répondre.

M. Christian PONCELET .- Il ne faut pas hésiter non plus à faire des reproches aux parlementaires, c'est-à-dire à nous-mêmes. En effet, s'il ne faut pas légiférer d'une manière excessive, il faut aussi qu'à certains moments, nous sachions refuser la proposition ou le projet qui nous est présenté. Nous sommes dans une société de garantie. Dans cette société française, tout le monde veut la garantie de la naissance, de la formation, de l'activité, du loisir et même de la mort !... (Rires.) On cherche à tout moment une protection.

Quand une proposition est faite, nous faisons un peu de travail et nous lançons la proposition de loi, mais cela se calme ensuite. Si nous légiférons beaucoup, c'est aussi parce que cette législation excessive vient du peuple souverain. Nous devons donc, nous, élus, savoir refuser ce qui nous est proposé parfois par un vote souverain, même si cela nous rend impopulaires, car l'impopularité, c'est la noblesse de l'élu. En effet, bien qu'il travaille pour l'intérêt général, il n'est pas à la merci des intérêts particuliers des uns et des autres. Voilà la mission qui est la nôtre.

N'hésitez donc pas à nous interpeller quand on vous interpelle !...

(Applaudissements.)

M. Roland du LUART .- Monsieur le Président du Sénat, si vous voulez vraiment que le Sénat soit écouté, il faut que nous ayons le dernier mot sur les lois !... (Rires.) A ce moment-là, nous serons peut-être mieux entendus.

M. Pascal CLEMENT .- Monsieur le Vice-président, n'allez pas jusqu'aux dernières extrémités. En tout cas, je tiens à donner satisfaction au Président du Sénat : la garantie de la mort, c'est oui. Pour le reste, tout est relatif... (Rires.)

Je tiens à remercier Roland du Luart, avec lequel je me flatte d'avoir des liens d'amitié, ce qui me conduit à dire que mes remerciements ne sont pas du tout hypocrites mais évidemment sincères. Il y a huit ou neuf mois, j'ai été un peu surpris car, bien que je me pique de connaître un peu la Haute Assemblée, j'ignorais cette tradition du Sénat à l'égard de l'organisation de débats. Il se trouve qu'à cette occasion, le sujet portait sur les frais de justice et que je suis venu ici pour en prendre plein les oreilles. Nous nous sommes rencontrés de manière assez virile, comme on pourrait le dire en rugby, ce qui m'a rappelé quelques discours de Premiers Présidents dans certaines audiences solennelles, quelques semaines plus tôt.

Bref, pour vous le dire franchement et publiquement, j'ai démarré cette LOLF sous des auspices assez difficiles et je ne voyais plus beaucoup d'amis : quand je me retournais, il n'y avait pas grand monde.

Aujourd'hui, je ne vous donne pas les chiffres parce que j'aurais peur de me tromper, mais la tendance est excellente par rapport à l'objectif. Alors que personne n'y croyait, nous sommes en train d'arriver à l'objectif. Parmi vous, soit ceux qui n'y croyaient pas sans le dire, c'est-à-dire tout le monde, soit ceux qui ont dit publiquement qu'ils n'y croyaient pas, c'est-à-dire quelques-uns, vous pouvez avouer que vous êtes surpris. Je le suis aussi.

Voilà l'essentiel. Cela veut dire que, lorsque nous avons tous ensemble décidé de faire un peu attention, cela a porté ses fruits. Je vous ai parlé tout à l'heure des analyses ADN qui sont passées de 360 à 80 euros. Il en est de même pour le téléphone. Je ne citerai pas les compagnies, mais certaines ont vraiment été excessives. Pour le SMS, c'est la même chose : cela va de 1 à 100.

Nous avons examiné les choses de près et décidé de ne pas prendre fatalement celui qui proposait une sorte de monopole et, aujourd'hui c'est le rôle du Secrétaire général, qui le fait très bien , le fait de mettre en concurrence toutes ces entreprises a fait un énorme bien sans qu'aucune décision juridictionnelle, comme vous l'aurez constaté, mesdames et messieurs les Présidents, n'ait jamais été mise en cause. Autrement dit, nous avons en même temps respecté l'indépendance de la décision juridictionnelle et essayé de maîtriser les coûts.

Cela prouve c'était la question provocante du Président du Sénat que l'on peut faire une bonne justice avec une limite quantitative des coûts. La même question, volens nolens, se pose s'agissant de la santé : peut-on faire une santé publique de qualité sans enveloppe ? Evidemment, il est mieux qu'il n'y en ait pas, mais tout le monde sait qu'il en faut une.

Je répondrai aussi à la question de Roland du Luart sur la Cour d'appel de Paris. Vous savez tous qu'il y a dix ou quinze ans que les gouvernements successifs souhaitent créer un tribunal de grande instance à Paris. Je pensais arriver en fin de négociation, mais j'ai découvert que ce n'était pas le cas et qu'à la mairie de Paris, je n'avais pas toutes les oreilles que je souhaitais trouver.

On nous a proposé quelque chose d'inconvenant pour le TGI, à côté du périphérique, et nous souhaitons effectivement un autre emplacement. Aujourd'hui, le Préfet de Paris est en train d'user de son autorité juridique pour avancer, mais si nous n'avions pas de préfet, les choses resteraient en l'état, et je le dis avec délicatesse. Autrement dit, il faut s'en prendre à nous-mêmes, c'est-à-dire aux responsables de ce pays. Si nous n'avons pas plus avancé, c'est parce que nous ne savons pas faire avancer cette affaire, qui a démarré il y a quatre ans et demi et qui n'a pas encore fait l'objet d'une décision définitive. L'Etat va prendre sa décision sans l'accord du partenaire majeur, ce qui n'est pas la meilleure situation. Que de temps perdu ! Tout monde sait qu'avec la Cour d'appel et le TGI au palais de justice de Paris, on se fiche des justiciables français, comme au XIXe siècle !

La France est contrainte de demander à ses magistrats de s'excuser de leur réserver des conditions de travail aussi intimes, mais, sous ce rapport, les responsables ont de vraies responsabilités, et non pas depuis cinq ans : il y a une large vingtaine d'années qu'il fallait commencer à y réfléchir sérieusement, ce qui n'a pas été fait. En tout cas, j'affirme que, dans les semaines qui viennent, la décision sera prise irrévocablement et que l'on avancera. Malheureusement, c'est un peu tardif.

Il reste un point sur lequel je souhaite intervenir en demandant l'appui du Sénat, puisque plusieurs sénateurs sont allés dans les juridictions. J'ai cru comprendre que vous aurez la visite du directeur du budget, ce qui est une très bonne idée. Alors que nous vivons actuellement une période rare en France avec des départs à la retraite en très grand nombre, si la France veut se mettre au niveau européen en ce qui concerne le nombre de ses fonctionnaires (ce qui est un grand mot, parce que nous aurons toujours trois fois plus de fonctionnaires que les autres pays d'Europe) en se rapprochant d'un standard européen dont nous resterons de toute façon très loin, la seule opportunité est de ne pas remplacer les 70 000 départs à la retraite.

J'adhère complètement à ce discours et je considère que l'on pourrait même aller plus loin. Cependant (et vous me direz que je me contredis en tant que ministre de la justice), je voudrais expliquer pourquoi je n'arrive pas vous pourrez peut-être m'aider à expliquer au ministère du budget que, chez nous, les fonctionnaires ne sont pas des fonctionnaires. En effet, ce sont souvent des greffiers, mais il faut savoir qu'un greffier et un magistrat marchent en binôme. Il n'est donc pas possible de créer des magistrats sans avoir de greffiers à côté. Comme je n'arrive pas à faire passer ce message au Ministère du budget, je compte sur le Parlement pour être plus convaincant dans cette affaire afin que l'on ne mette pas les greffiers à la même sauce que ce que j'entends sur la fonction publique de niveau national. C'est tout à fait autre chose et chacun sait dans les juridictions que cela fonctionne ainsi.

Il serait donc souhaitable d'envoyer en stage nos fonctionnaires du budget car ils feraient des découvertes intéressantes... (Rires.) Ils verraient que le Ministère de la justice a un système un peu différent et qu'il faut le prendre en compte parce que nous sommes typiques et non pas assimilables à d'autres fonctions publiques. Voilà la difficulté.

Dans cette situation générale, Paris s'est toujours relativement bien porté (je reste prudent, bien sûr, car je ne veux pas me faire siffler par le Président qui est en face de moi) : ce n'est pas la juridiction où on manque le plus de magistrats et où le problème est le plus aigu. C'était le cas il y a six ou sept ans, mais c'est beaucoup moins vrai aujourd'hui. Ici ou là, à chaque fois que je vais dans un tribunal ou une cour, nous prenons note des demandes et M. le Directeur des Services judiciaires, M. de la Gâtinais, se fait une joie d'y donner satisfaction, mais, globalement ce n'est pas vraiment le sujet.

En revanche, j'ai beaucoup de mal à obtenir des catégories C auprès du Ministère des finances, sachant qu'au Ministère de la justice, pour être franc, nous nous servons des catégories C comme de catégories B. On ne le dit pas trop au Ministère de la justice, mais c'est une réalité, et la responsable de toutes les catégories C de France qui est présente dans cette salle ne me contredira pas sur ce point. Nous y avons recours à un niveau supérieur en termes de compétences.

Par conséquent, je n'ai aucun conseil à donner au Parlement, mais votre rôle, Monsieur le Président, par rapport à nous, ministère réputé dépensier, est de rentrer dans la spécificité d'un ministère. Tous les ministères ne se ressemblent pas. C'est une lapalissade, mais, pour nous, c'est vraiment différent.

Certes, nous sommes un peu mieux traités que les autres puisque je vous rappelle que, cette année, le ministère le moins mal ou le mieux traité (vous choisirez la formule qui vous convient) est le Ministère de la justice. Je pourrais être flatté en me disant que je suis un très bon ministre selon la méthode ancienne, mais il faut savoir que, pour M. Copé, les meilleurs ministres sont ceux qui ont les plus petites augmentations de budget. Je suis donc le plus mauvais ministre puisque j'ai la plus grosse augmentation budgétaire, non pas par rapport à ce que je voulais, mais par rapport à nos besoins patentés et déclarés, sachant que, comme vous le savez mieux que moi, il reste, honnêtement, un écart malheureusement trop important.

Il serait donc souhaitable qu'au cours de cette session budgétaire, comme l'ancien président de la Commission des finances que vous êtes, Monsieur le Président, connaissez cela beaucoup mieux que moi, on fasse un effort très ciblé pour obtenir des éléments très précis en disant : « Nous voulons des greffiers et des catégories C ». Merci de votre attention.

(Applaudissements.)

M. Sylvain ATTAL .- Merci. Nous allons continuer les témoignages des sénateurs en écoutant celui de Mme Bernadette Dupont, sénateur des Yvelines, qui s'est rendue au tribunal de grande instance de Paris, 16ème.

Mme Bernadette DUPONT , Sénateur des Yvelines .- Auparavant, je suis allée dans celui de Nanterre, dont je salue le président. Je serai très brève parce que Roland du Luart a dit beaucoup de choses que j'aurais voulu dire, ce qui prouve que le contact et l'impression sont les mêmes.

Je ne parlerai pas vraiment de « stage » parce que, pour avoir l'habitude de recevoir des stagiaires en collectivité, je me rends compte qu'en trois jours, on ne peut pas faire grand-chose. Je voudrais surtout remercier les magistrats de l'accueil qui nous est fait. Nous sommes effectivement ravis de vous rencontrer et je me suis rendu compte à quel point le contact entre le politique et le judiciaire était une affaire vraiment récente. Je ne sais si cela s'explique par la séparation des pouvoirs, mais, l'année dernière, pour mon premier stage, j'ai été tout à fait étonnée de constater que j'étais l'un des premiers parlementaires qui entrait dans un tribunal.

J'insiste donc sur cet accueil. J'ai bien ressenti une méconnaissance entre nos deux institutions.

(Départ de M. Christian Poncelet et de M. Pascal Clément.)

J'ai fait un stage dans un secteur particulier : celui des tutelles, un sujet qui m'intéresse profondément. Pour m'être occupée, depuis 1989, des problèmes des personnes handicapées, je sais que les tutelles sont une vraie préoccupation non seulement pour les instances judiciaires, mais aussi pour tous les acteurs qui se penchent sur ce problème.

J'ai beaucoup appris. J'ai eu des entretiens individuels avec des juges, j'ai vu leurs conditions de travail et je rejoins mon collègue Roland du Luart, car ces conditions de travail sont aberrantes, dans des locaux à la fois inconvenants pour certains, en tout cas trop exigus, d'autant plus que, dans ce domaine des tutelles, on constate une inflation exponentielle des dossiers.

Je regrette que M. le Garde des Sceaux soit parti parce que je pense que nous ne serons jamais assez nombreux, les uns et les autres, pour insister sur l'urgence de cette réforme des tutelles. J'ai vu des juges, souvent très jeunes, travailler de façon absolument admirable et rendre des jugements d'une justesse et d'un discernement tout à fait étonnants pour des personnes aussi jeunes, ce qui prouve que ce n'est pas l'âge qui fait l'humanité. J'ajoute qu'il est urgent, pour le respect de la personne handicapée, quelle qu'elle soit, que nous arrivions à la conclusion de cette réforme, parce que, comme chacun le sait, les handicaps sont très divers, que certaines personnes ont besoin d'être sous tutelle ou sous curatelle, mais que tout le monde a besoin d'un accompagnement social d'une qualité exemplaire.

Les juges qui continuent d'avoir des tutelles ont besoin d'avoir un temps d'accompagnement. On a parlé du problème du tandem entre le greffier et le juge. Il est tout à fait évident dans mon esprit qu'il y a trop peu de juges de tutelle et trop peu de greffiers, que les dossiers s'entassent et qu'au bout du compte, la personne humaine n'est pas respectée alors que c'est elle qui est au coeur de cette problématique.

Je tiens à remercier tous les gens qui m'ont accueillie car j'ai ressenti vraiment la même réflexion, la même difficulté et la même amertume en constatant que le travail n'était pas forcément fait dans les conditions nécessaires au respect de la personne.

(Applaudissements.)

M. Sylvain ATTAL .- M. Louis Le Pensec était, lui, en stage au tribunal de grande instance de Versailles...

M. Louis LE PENSEC, Sénateur du Finistère, ancien ministre .- ...dont je salue le procureur et le président très sincèrement pour l'accueil et les conditions dans lesquelles s'est déroulé ce stage.

M. Sylvain ATTAL .- C'était un stage doublement intéressant, d'abord parce que vous êtes sénateur, mais aussi parce qu'on m'a dit que vous vous destiniez à devenir avocat...

M. Louis LE PENSEC . - Si tous mes secrets sont dévoilés, que vais-je devenir ? Il est en effet permis, à nos âges, d'embrasser d'autres carrières...(Sourires.)

Lorsque j'ai appris que l'on pouvait effectuer un stage, j'ai eu comme beaucoup, une moue un peu condescendante en me disant : « Un stage, à mon âge ? A la lumière de tout ce que nous avons fait, que pouvons-nous apprendre en trois jours ? » J'ai très vite réévalué mon appréciation qui rejoint, car nous avons un peu échangé entre nous, les sentiments de mes collègues. En effet, le choc est un peu rude lorsque, dès la première heure, on est confronté au fonctionnement de l'institution judiciaire, et je sais gré à l'institution de s'être montrée telle qu'elle est.

Pour une immersion, c'est un plongeon au coeur d'une institution en plein fonctionnement qui ne modifie en rien ses façons de faire à cause de la présence d'un sénateur : j'étais à côté du procureur adjoint qui a tout simplement demandé son avis au justiciable qui était présent en lui disant : « Acceptez-vous que M. un tel, stagiaire du Sénat, participe à cette audience ? »

J'ai parlé d'un choc. Il est lié à la fois aux chiffres et à la procédure.

Je commencerai par les chiffres. Ma collègue a parlé de croissance exponentielle. C'est une réalité dont nous avions conscience sans l'avoir vécue, mais lorsqu'on constate le nombre de dossiers présents dès le début de la journée et ceux qui restent à traiter au terme de la journée, cela fait peser un poids d'une densité qu'il convient de souligner. Autant de cas humains à traiter et d'audiences qui se succèdent avec la contrainte physique de garder l'esprit en éveil pendant de longues heures pour rendre sereinement la justice, ce qui est véritablement une gageure.

J'ai ressenti également un choc lié à la procédure, qu'il faut respecter à la lettre, faute de quoi l'affaire est à rejouer. Très sincèrement, lorsqu'on nous met sous le nez la complexité des lois que nous votons, mes chers collègues, à 3 heures du matin, dans le cadre d'un sous-amendement à l'article 231-quintiès, et que nous en voyons le résultat final dans l'application qui en est faite, on ne peut que se dire que la procédure est d'une rare complexité.

J'ai participé à faire adopter pendant dix ans au gouvernement un certain nombre de lois et, à chaque fois, je disais aux membres de mon cabinet que nous légiférions trop et que la voie réglementaire devait suffire. J'en suis encore plus convaincu, mais je pense que, sur ce terrain, il est permis tout de même d'avancer.

Dans ce contexte de contraintes pesant sur les chiffres et les procédures à respecter, l'exigence d'efficacité est incontournable. C'est ce travail qui a frappé, voire sidéré nombre de stagiaires. Je prends l'exemple du procureur adjoint : à la reprise en début de semaine, il doit non seulement traiter ce qui s'est passé le week-end, mais aussi établir un contact avec le terrain. Certains m'ont dit qu'il y avait jusqu'à 400 officiers de police judiciaire dans la juridiction de tel département et je n'ai plus le chiffre s'agissant de la juridiction dans laquelle je me trouvais, mais c'est une chose dont nous n'avions pas du tout conscience. Je pensais en effet que les procédures par lesquelles l'officier de police judiciaire faisait acheminer au procureur les faits du week-end et les mesures à prendre, étaient beaucoup plus bureaucratiques. En fait, il s'agit d'un traitement sur-le-champ avec, dans la file d'attente téléphonique, l'officier de police judiciaire qui écoute et qui répond aux questions du procureur adjoint, celui-ci prenant souvent ses décisions immédiatement.

Nous avons vraiment été très impressionnés par ce contact de terrain par téléphone et par la nécessité de bien évaluer l'interlocuteur qui est au bout du fil pour connaître la fiabilité à accorder à ce qui est dit. J'ai vraiment été frappé par la réactivité de la justice. Nous qui avions en tête la lenteur de la justice, nous avons dû réviser notre point de vue.

Cela dit, je fais mienne l'observation de Roland du Luart, rapporteur de la justice pour cette assemblée, sur le fait que la justice mais nous le savions est au coeur de toute la crise de la société. Cela a été, là aussi, un choc : 95 % des justiciables que j'ai vus appartenaient à ce qu'on appelle désormais les « minorités visibles » et tous ceux qui avaient à dire la justice n'y appartenaient pas. Cette situation diffère selon les départements où l'on se trouve, mais c'est néanmoins une réalité liée à la crise des banlieues et aux divers trafics que la justice doit résoudre, tout en lui demandant aussi de résoudre les problèmes de la société.

J'en viens à ma conclusion. J'ai été en contact avec des fonctions d'une rare exigence, qu'il s'agisse des juges, procureurs ou procureurs adjoints, qui sont assumées avec coeur et même, parfois, avec passion, ce qui nous a surpris, les intéressés convenant et ce n'est pas une clause de style qu'ils faisaient cela passionnément. Ils le font aussi avec beaucoup de mérite et cela vaut l'admiration de presque tous les sénateurs qui ont vu assumer ces fonctions.

On peut se sentir bien seul quand on est magistrat, mais, selon les juridictions, heureusement, il est permis de limiter sa solitude par une collégialité qui s'exerce de fait, notamment avec le doyen des juges d'instruction, et entre collègues. Sinon, la vie serait très difficile.

Enfin, si notre rapporteur prend l'initiative d'une manifestation à Paris avec des banderoles indiquant « Nous réclamons des greffiers ! », mon groupe s'y associera sans doute. En tout cas, je m'associerai à cette manifestation, car, très sincèrement, j'ai pu mesurer les conséquences de l'absence de greffiers et de greffières en ce qui concerne l'efficacité de la justice. Je suis injuste en ne citant qu'une seule catégorie, mais je le signale parce que c'est vraiment criant.

M. Roland du LUART .- Nous allons manifester ensemble, si je comprends bien.

M. Louis LE PENSEC .- Oui, camarade !...

(Applaudissements.)

Visiblement, le Garde des Sceaux en est convaincu, mais cela ne suffit pas pour obtenir la décision. En tout cas, c'est un problème qui est connu. Mon présent témoignage a été établi tout simplement pour servir le droit.

M. Sylvain ATTAL .- Merci. Jean-Pierre Michel, vous étiez vous-même au Tribunal de grande instance de Castres. Il semble que ce soit un retour aux sources.

M. Jean-Pierre MICHEL, Sénateur de la Haute-Saône .- J'étais à Castres vers le 20 mars et je me suis dit, comme Louis Le Pensec, qu'après vingt-cinq ans, je pouvais revenir devant un tribunal car cela avait dû beaucoup changer.

Tout d'abord, alors que je suis arrivé à Castres en pleine médiatisation de la commission d'enquête sur l'affaire Outreau, j'ai été surpris, même si j'ai été très réservé à l'égard de cette commission d'enquête, pour ne pas dire très hostile, par le traumatisme que j'ai constaté dans la juridiction chez tous les magistrats et tous les personnels de greffe. On ne m'a parlé que de cela au cours de ma première journée. Il s'agissait vraiment d'un traumatisme très profond des magistrats auxquels il vient d'être rendu hommage à l'instant et qui se demandaient comment ils pouvaient se trouver devant une sorte de tribunal parlementaire, popularisé et médiatisé par la télévision, dans lequel on met en cause leurs pratiques professionnelles, qui, à mon sens, sont exclues du champ disciplinaire. C'était bien de cela qu'il s'agissait.

Cela justifie d'autant plus la démarche du Sénat. J'ai eu l'impression que, dans cette modeste juridiction, la présence d'un sénateur qui était à l'écoute des magistrats présents était une très bonne chose. Cela justifie totalement ces stages au cours desquels nous disons simplement : « Nous venons écouter ce que vous avez à dire, constater vos difficultés de fonctionnement et non pas vous juger ».

Sur le fonctionnement, je voudrais simplement dire un mot de l'administration de ce tribunal qui, à mon avis, est admirablement géré. Je le dis d'autant plus que je ne vois pas dans la salle les chefs de juridiction, Jean-François Beynel et Danielle Drouy Ayral.

En ce qui concerne les décisions qui sont rendues sur le fond, je ne porterai aucun jugement, bien sûr, mais j'ai vraiment constaté que ce tribunal est très bien administré. J'ai assisté pendant la semaine à deux réunions qui se tiennent périodiquement, qui réunissent tous les acteurs de tribunal, les magistrats concernés, le barreau et le greffier en chef sur l'audiencement, c'est-à-dire le calendrier du tribunal, tant au civil qu'au pénal.

Il est fait état des affaires qui sont prêtes et du temps supposé qu'il faudra à l'audience ; le président et le greffier prennent leur agenda, ils se demandent à quelle date il sera possible d'audiencer les affaires qui restent et, s'il faut des audiences complètes pour des affaires pénales importantes, ils prévoient de fixer des audiences supplémentaires, ce qui ajoute des charges aux magistrats. C'est une très bonne administration. Le bâtonnier ou son représentant sont là et tout le monde y trouve son compte.

C'est un peu du cousu main parce que c'est une petite juridiction, mais je trouve que c'est une très bonne administration et l'avocat, le justiciable et le magistrat savent où ils vont. J'ai assisté à une audience correctionnelle normale et à une autre audience exceptionnelle et j'ai pu constater que le temps d'audiencement prévu par affaire était à peu près respecté, même s'il pouvait y avoir quelques débordements.

Je tenais à apporter un témoignage sur ce point parce que c'est à mon avis une très bonne administration de la justice.

Je pense que cela justifie l'existence de ce qu'on appelle les petites juridictions. Si je suis allé à Castres, dans le Tarn, c'est parce que je me suis dit que c'était l'équivalent de la Haute-Saône, dont j'ai été élu pendant vingt-cinq ans, même si c'était un peu plus peuplé. Le Tarn compte deux TGI (ceux d'Albi et de Castres), de même qu'en Haute-Saône (ceux de Vesoul et de Lure) et je me suis demandé si c'était justifié.

Pour la Haute-Saône, je n'en sais rien parce que je ne suis pas allé en stage, mais je peux vraiment dire que c'est le cas du Tarn. En effet, si on concentrait les audiences dans un seul tribunal, même en ayant recours à des audiences foraines ou à des antennes, je ne pense pas que ce serait administré de la même manière. Nous avons là une juridiction qui est très bien gérée et qui rend bien la mission que l'on attend de la justice.

Voilà très simplement ce que je voulais dire, en remerciant encore très sincèrement tous les magistrats et les greffiers, notamment le greffier en chef, qui m'ont accueilli dans ce tribunal et qui ont pris du temps de m'écouter et de me faire participer à l'audience, comme l'a dit à l'instant Louis Le Pensec, en prévenant les parties ou les avocats, leur demandant s'ils ne voyaient pas d'objection à la présence d'un stagiaire, notamment au cours d'une audience de la juge de la famille, qui était absolument débordée. Je pense d'ailleurs qu'il serait bon de faire un colloque à ce sujet, car il y a là un contentieux qui est exponentiel par rapport à ce que j'avais pu connaître et qui demande des moyens beaucoup plus importants que ceux qui lui sont accordés.

(Applaudissements.)

M. Sylvain ATTAL .- Nous écoutons notre dernier témoignage : celui de Louis de Broissia, sénateur de la Côte d'Or, qui est allé au Tribunal d'instance de Besançon.

M. Louis de BROISSIA .- J'ai été dépaysé dans la Cour d'appel de Besançon. C'était mon deuxième stage d'immersion en justice, le premier ayant eu lieu à Lyon, et il s'est déroulé dans ce climat que mes collègues ont rappelé et qui était particulièrement prégnant pour l'ensemble des magistrats, notamment le jour de février où j'y suis allé la première fois, puisqu'il y avait une assemblée générale spontanée ce jour-là. J'y suis retourné ensuite trois mois plus tard, le 23 mai, et j'ai pu voir une instruction, ce dont je tiens d'ailleurs à remercier le procureur général, le premier président, les procureurs adjoints et les substituts. A cette époque, la médiatisation de l'affaire Outreau était enfin tombée, mais il est vrai que le traumatisme de cette médiatisation il faut le dire par nos collègues de l'Assemblée nationale les avait particulièrement marqué.

Parmi d'autres points, le fait que des sénateurs viennent entendre, écouter et partager la vie d'une chaîne pénale pendant plusieurs jours était pour nous particulièrement intéressant, bien sûr, et je tiens à dire que les magistrats étaient particulièrement ouverts.

J'ai pu participer à la chaîne pénale dans son intégralité, notamment en comparution immédiate. J'ai eu la chance d'avoir les Bonnie and Clyde des hauts plateaux bisontins, j'ai pu suivre des « trafiquants » et j'ai même passé une journée à la maison d'arrêt pour voir la chaîne pénale, la commission de discipline et le débat contradictoire. J'ai pu également entrer dans une cellule pour rencontrer l'un de mes anciens compatriotes dijonnais.

J'ai donc vu la chaîne pénale dans son entier et j'ai été particulièrement frappé de voir des magistrats parfaitement républicains. En effet, même si ce que je dis n'est pas politiquement correct, la justice fait peur à ceux qui ne devraient pas la craindre et elle ne fait pas peur à de très nombreuses personnes. J'ai donc rencontré des magistrats parfaitement républicains qui appliquent sincèrement la loi en disant qu'il y a beaucoup trop de textes, qu'il faut du temps pour les appliquer et qui sont attachés au sens du débat contradictoire par rapport au parquet.

J'ai constaté une différenciation plus marquée et plus importante que je ne le pensais entre le parquet et le siège, et j'ai eu également le sentiment diffus que le parquet se considérait et était considéré comme supérieur à l'instruction. Je le dis très simplement au passage... (Réactions diverses.)

J'ai eu la chance de pouvoir passer aussi une journée avec le doyen des juges d'instruction et les juges d'instruction. L'avocat et la personne mise en examen étant d'accord, j'ai participé à l'audition d'un jeune trafiquant. A cette occasion, j'ai vu que le binôme entre le juge et le greffier ne fonctionnait pas bien. En effet, à la fin de l'audition, parfaitement menée par une juge très efficace et d'ailleurs très impressionnante (je n'aurais pas aimé être en face d'elle) qui déchirait tous les petits papiers sur lesquels elle avait écrit, tout avait disparu sur l'ordinateur de la greffière. Nous avons eu ainsi un petit moment d'émotion et j'ai pu mesurer la grande faiblesse du binôme obligatoire, sur lequel tout le monde insiste, entre le greffier et le juge.

Cela dit, je n'ai pas la même opinion que certains de mes collègues sur la LOLF et les frais de justice. J'ai en effet le sentiment que les frais d'expertise médicale sont payés à des tarifs ridicules. En tant que président de conseil général, il m'arrive de missionner des expertises médicales et je peux vraiment attester que les tarifs sont ridicules. Je le dis très simplement, et que la LOLF ne peut pas faire fi de la comparaison de certains experts médicaux. On m'a dit par exemple très précisément que tel médecin n'effectuait jamais de signalement parce qu'il n'avait pas du tout envie d'être lié à ces frais.

J'ai été très impressionné par l'explosion de l'aide juridictionnelle. La population pénale que j'ai eue en face de moi estimait que la justice faisait partie d'un parcours obligatoire, comme le fait de perdre quelques points sur son permis de conduire, en estimant que c'est provisoire et que l'on peut les récupérer.

J'ai été aussi impressionné par les bonnes notes qui étaient accordées à la loi « Perben II ». A cet égard, l'ensemble de la chaîne pénale nous demande simplement du temps pour que les bonnes pratiques se mettent en place, en précisant qu'il ne suffit pas de faire des lois pour aboutir à de bonnes pratiques, de la jurisprudence, des évaluations et des performances entre magistrats.

Ce deuxième stage m'a donc énormément appris et j'en suis très reconnaissant à ceux qui m'ont reçu sans difficultés et qui se sont mis en quatre sans changer leur mode de travail. Par exception, la Cour d'appel de Besançon est superbe, les bureaux sont magnifiques et le premier président est mieux logé que les sénateurs, ce qui est normal, de même que le procureur général et les juges... (Rires.) Les comparutions se font dans des salles prévues à cet effet et la sécurité est très précise. C'est un palais de justice extrêmement bien fait, très accueillant, avec une très belle architecture. Besançon n'est donc pas Paris.

C'est une justice dont j'ai eu le sentiment qu'elle était plus moderne du fait de l'arrivée des moyens qui manquaient. L'informatique fonctionne, même si la greffière avait perdu son texte. Sachez d'ailleurs que c'est la juge qui a sauvé la greffière, ce qui est très intéressant.

J'ai vu des magistrats jeunes, motivés et totalement à contre-courant de ce qu'on nous décrivait au même moment sur Outreau : des juges du siège ou des substituts qui n'avaient pas la grosse tête.

Je répète enfin que j'ai vu une population asociale de plus en plus nombreuse fréquentant la justice, population pour laquelle ce parcours est de plus en plus banalisé. A la maison d'arrêt de Besançon, il y avait un escroc ordinaire, mais il faisait figure d'homme étrange dans le monde qui défilait devant nous.

Cette justice a quand même une certaine raideur. J'ai vu le centre de semi-liberté de Besançon, qui est remarquable, et j'ai vu la maison d'arrêt. Alors que depuis trois ans, j'ai demandé au ministère de la justice d'ouvrir un centre de semi-liberté et que, en tant que responsable d'une collectivité locale ayant des moyens, y compris d'emprunt, j'ai dit que j'étais prêt à le construire, j'attends toujours que le ministère de la justice daigne me répondre. C'est la raideur de la justice. Je ne sais pas où cette demande est partie. Le ministre auquel j'ai écrit est parti et il faudra que je la relance.

C'est un peu la même raideur que j'ai vécue lorsque, triomphalement, les trois juges et le président du tribunal étaient venus me voir un jour au conseil général que je préside (nous partageons, Roland du Luart et moi, l'accompagnement de l'enfance en danger dans nos fonctions de président de conseil général) pour me dire : « Attention, cela ne va pas marcher parce qu'il faudra attendre un greffier ou une greffière pendant encore un an ». J'ai donc dit que j'allais mettre des moyens administratifs à leur disposition pour que cela puisse au moins avancer, cela a abouti à un grand colloque pendant trois mois sur l'impossibilité de créer des interférences avec la justice.

Il faut donc que cette justice que nous connaissons et qui me paraît extrêmement motivée, performante, républicaine et attachée à régler une société qui est à la dérive, comme nous le constatons de façon très claire, se donne les moyens de coopération, de partenariat et d'ouverture que ces stages indiquent à l'évidence.

(Applaudissements.)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page