Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Economie - Audition de MM. Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d'analyse économique, Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique d'Exane - BNP et Marc Touati, chef économiste de Natexis Banques populaires

La commission a procédé à l'audition de M. Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d'analyse économique, de M. Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique d'Exane, et de M. Marc Touati, chef économiste de Natexis Banques populaires, sur la conjoncture économique.

M. Jean Arthuis, président, a rappelé la nécessité, en début d'année, de pouvoir entendre des économistes donner leur sentiment sur le niveau actuel de la croissance, en France et dans le monde, ainsi que sur les perspectives d'évolution en 2005.

Il a ainsi souligné que le consensus des prévisionnistes au sujet de la croissance du PIB pour 2005 était de 1,8 %, ce qui était inférieur à la prévision du gouvernement, de 2,5 %. Il a remarqué que si la prévision de M. Marc Touati était égale au consensus, celle de M. Jean-Pierre Petit, de 1,4 %, lui était nettement inférieure.

Il leur a demandé si la croissance du PIB pourrait être de 2,5 % en 2004, conformément à ce qui avait été déclaré par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 16 décembre 2004. En réponse, M. Christian de Boissieu, président délégué du conseil d'analyse économique, M. Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique d'Exane, et M. Marc Touati, chef économiste de Natexis Banques populaires, ont évalué la croissance du PIB en 2004 à, respectivement, 2,1-2,2 %, 2-2,1 %, et 2,1 %. Ils ont souligné que l'évolution des stocks avait fortement contribué à la croissance du PIB en 2004. M. Marc Touati a estimé qu'un taux de croissance de 2,5 % pourrait cependant être atteint en 2004, si l'on n'effectuait pas de correction en fonction du nombre des jours ouvrables.

M. Jean Arthuis, président, a interrogé les économistes auditionnés sur leurs prévisions de croissance pour 2005.

Après avoir précisé qu'il s'exprimait non en tant que président délégué du Conseil d'analyse économique, mais en tant que directeur scientifique du centre d'observation économique (COE) de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, M. Christian de Boissieu a estimé que la croissance du PIB en 2005 serait probablement de l'ordre de 1,7-1,8 %. Il a considéré que l'engagement pris par le Premier ministre, le 10 novembre 2004, de faire baisser le taux de chômage de 9,9 % à 9 % en 2005, exigeait que les entreprises réalisent des investissements de capacité, et non plus seulement de productivité. Il a estimé que le principal sujet d'incertitude pour 2005 n'était ni l'inflation ni le cours du pétrole, mais la poursuite de la dépréciation du dollar, qui pourrait susciter une augmentation des taux d'intérêt, et donc l'éclatement de « bulles immobilières », en particulier au Royaume-Uni et en Espagne. Il a souhaité que la Banque centrale européenne n'augmente pas ses taux directeurs en 2005.

M. Jean-Pierre Petit a considéré que l'environnement international incitait au pessimisme pour l'année 2005. Il a considéré qu'en 2005 le prix du baril de Brent serait de 39 dollars en moyenne, le prix des matières premières non énergétiques demeurerait élevé, la dépréciation du dollar se poursuivrait (la monnaie des Etats-Unis étant, selon lui, engagée dans un cycle long de baisse, analogue à celui de la période 1985-1995), conduisant à un taux de change de 1,31 euro pour 1 dollar en moyenne, les taux d'intérêt à long terme augmenteraient, la croissance du PIB diminuerait en Chine, aux Etats-Unis et au Japon, et les marchés boursiers seraient moins dynamiques qu'en 2004. Il a jugé que la croissance, en France, du PIB pour 2005 ne pouvait donc pas être de 2 %, mais que le fait de savoir si elle serait plus proche de 1,4 % ou de 1,8 % était une question d'appréciation. Compte tenu de conditions peu favorables à la consommation des ménages, en particulier de la fin du développement de la « bulle immobilière » en France - une telle bulle s'étant, selon lui, d'ores et déjà constituée -, il a évalué la croissance du PIB de l'économie française à 1,4 % en 2005.

M. Marc Touati a souligné l'écart de croissance structurelle entre la zone euro et les Etats-Unis. Il a considéré que sa prévision de croissance du PIB de l'économie française pour 2005, de 1,8 %, était optimiste, parce qu'elle reposait sur des hypothèses relativement favorables en matière d'évolution du prix du baril de Brent et de cours du dollar, de sorte qu'il n'était pas exclu que la croissance du PIB pour la France soit seulement de 1 % en 2005. Il a cependant considéré que le dollar devrait bientôt cesser de se déprécier, les Etats-Unis ne pouvant se permettre de lui faire perdre son statut de monnaie de réserve. Il s'est inquiété du faible contenu en emplois de la croissance de l'économie française. Il a jugé nécessaire de réduire la pression fiscale, et donc les dépenses publiques, et d'accroître la flexibilité du marché du travail. Il a indiqué que, selon ses calculs, entre 1978 et 2004, les dépenses de fonctionnement de l'Etat avaient augmenté de 192 % en volume, alors que le PIB avait, pendant la même période, augmenté de seulement 71,5 %. Il s'est inquiété du « bouclage » financier de la réforme des retraites, celui-ci reposant sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2010, selon lui impossible à atteindre, à moins d'avoir une croissance du PIB supérieure à 3 % jusqu'à cette date.

M. Jean Arthuis, président, a interrogé les économistes auditionnés sur leurs prévisions de déficit public pour 2005. En réponse, MM. Christian de Boissieu, Jean-Pierre Petit et Marc Touati ont évalué le déficit public français en 2005 à respectivement 3,3 % du PIB, 3,4-3,5 % du PIB et 3,3 % du PIB.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est félicité qu'une telle audition ait été inscrite à l'ordre du jour des travaux de la commission, car elle constituait une « excellente entrée en matière » pour l'année 2005. Après avoir fait référence à un entretien accordé par M. Christian de Boissieu au journal « Les Echos » et publié le 14 janvier 2005, dans lequel celui-ci se déclarait favorable à ce que les dépenses publiques de recherche et de développement soient exclues du calcul des soldes publics pris en compte par le pacte de stabilité et de croissance, il a souhaité connaître le point de vue des économistes auditionnés sur les perspectives de réforme de ce dernier. Il s'est interrogé sur les conséquences qu'une crise du marché immobilier pourrait avoir sur l'économie réelle. Il a, en outre, souhaité connaître l'avis des économistes auditionnés au sujet de la mise en place éventuelle d'une « TVA sociale », c'est-à-dire d'un allégement supplémentaire de cotisations sociales patronales, compensé par une augmentation équivalente du niveau de la TVA, ainsi que la commission l'avait préconisé, encore récemment, en novembre dernier, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution prévu par l'article 52 de la LOLF.

En réponse, M. Christian de Boissieu a estimé que sa proposition d'exclure les dépenses publiques de recherche et de développement correspondait au souci d'atteindre les objectifs fixés par le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, visant à faire de l'Union européenne « l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». M. Jean Arthuis, président, s'est interrogé sur la sincérité de l'engagement alors pris par le Conseil européen. Mme Nicole Bricq a estimé qu'il s'agissait d'un engagement politique, qui n'avait pas été honoré. Après avoir indiqué qu'il avait toujours été sceptique quant aux principes mêmes du pacte de stabilité et de croissance - un déficit public dans un Etat membre de la zone euro n'ayant selon lui aucune conséquence sur les taux d'intérêt de l'ensemble de la zone -, M. Jean-Pierre Petit a jugé souhaitable d'exclure l'investissement des soldes publics pris en compte par ledit pacte de stabilité et de croissance. M. Marc Touati a, quant à lui, suggéré de porter la limite maximale du déficit public autorisé de 3 % du PIB à 4 % du PIB.

M. Christian de Boissieu a estimé qu'une crise immobilière pourrait se transmettre à l'économie réelle par le biais du surendettement, du comportement alors restrictif des banques, et d'un effet de richesse défavorable. M. Jean-Pierre Petit a considéré que plusieurs facteurs financiers contribuaient au développement de bulles immobilières. Se référant à une étude publiée par le Fonds monétaire international dans ses « Perspectives économiques de l'économie mondiale » d'avril 2003, il a indiqué que, si les krachs immobiliers étaient plus rares que les krachs boursiers, ils duraient deux fois plus longtemps et étaient associés à des pertes de PIB deux fois plus importantes, ce qui venait du fait que le patrimoine immobilier médian était nettement supérieur au patrimoine en actions médian. Il a considéré qu'une crise immobilière pourrait se transmettre à l'économie réelle par le biais d'une augmentation du taux d'épargne, d'une diminution de la capacité d'emprunt et de l'apparition de problèmes de solvabilité. Il a jugé peu probable que la « bulle immobilière » éclate en 2005. M. Marc Touati a estimé qu'un éclatement de la « bulle immobilière » en 2005 susciterait une vraie récession, à cause d'effets de richesse négatifs importants. Il a, par ailleurs, considéré que l'allongement de la durée des prêts accordés aux ménages aggravait le risque de défaut.

M. Christian de Boissieu a jugé que s'il était utile de poursuivre la réduction des cotisations sociales patronales, une telle politique pourrait être plus efficacement financée par une réduction des dépenses publiques que par une augmentation de la TVA. Il s'est interrogé sur les perspectives ouvertes par la LOLF, à cet égard. M. Jean-Pierre Petit a exprimé un point de vue analogue. M. Christian de Boissieu a par ailleurs rappelé, en tant que directeur scientifique du COE de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, que celui-ci avait récemment transmis à la commission des finances des simulations relatives à l'instauration d'une « TVA sociale ». Il a indiqué que ces simulations ne permettaient pas de tirer de conclusions définitives car elles suggéraient qu'une telle mesure aurait un impact modeste, et a jugé qu'une augmentation de la TVA risquait d'être difficilement réversible. M. Jean Arthuis, président, a estimé que l'augmentation de la TVA effectuée en 1995 avait manqué de pédagogie. Il a cependant considéré que la mise en place d'une « TVA sociale » devrait s'accompagner d'un financement partiel des baisses de charges par une augmentation des impôts acquittés par les ménages, et notamment de l'impôt sur le revenu. M. Marc Touati a jugé qu'une augmentation de la TVA risquait d'être d'autant plus mal perçue par l'opinion publique que cet impôt était, selon lui, le plus inégalitaire.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur les causes de la faiblesse de la consommation et de la dépréciation du dollar, estimant qu'il s'agissait peut-être là d'un cas de recours à « l'arme économique ». M. Alain Lambert a souhaité connaître l'analyse des économistes auditionnés au sujet du ralentissement de la croissance du PIB au second semestre 2004, sur la probabilité d'une augmentation en 2005 des taux d'intérêts à long terme, et sur la possibilité de stimuler la consommation des ménages autrement que par la politique monétaire ou la politique budgétaire. M. Eric Doligé, après avoir exprimé son pessimisme quant aux perspectives de réforme de l'Etat, s'est inquiété de l'attractivité de la France pour les investisseurs internationaux, du moral des ménages et du différentiel de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis. M. François Marc a considéré que la prévision de croissance du PIB pour 2005, de 2,5 %, associée au projet de loi de finances pour 2005, était irréaliste, sentiment que l'audition des économistes venait de renforcer. Il s'est interrogé sur les risques que le déficit extérieur des Etats-Unis suscitait pour l'économie mondiale, sur l'évolution de l'épargne et sur le partage de la valeur ajoutée. M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur l'existence d'une « bulle immobilière » en France, et a exprimé le souhait que la Banque centrale européenne n'augmente pas ses taux directeurs en 2005. M. Yves Fréville, s'interrogeant sur la pertinence et le contenu d'une politique des salaires, s'est demandé s'il était possible de mener à la fois une politique de réduction du coût du travail peu qualifié et d'augmentation de la rémunération du travail le plus qualifié.

En réponse, M. Marc Touati a estimé que les ménages consommaient peu parce qu'ils avaient « peur de l'avenir », qu'il fallait mieux payer les chercheurs et « réhabiliter le succès » en France, que la Banque centrale européenne ne devait pas augmenter ses taux directeurs en 2005, et que les investissements directs étrangers en France étaient en diminution, nonobstant un certain nombre d'indicateurs en apparence de sens contraire.

M. Christian de Boissieu a considéré que la faiblesse de la consommation provenait de la constitution d'une épargne de précaution, dont il n'était pas économétriquement possible de déterminer l'importance au sein de la masse globale de l'épargne, ce dont les deux autres économistes sont également convenus. Il a jugé que le déficit courant des Etats-Unis pourrait être un peu plus financé en 2005 par des acteurs privés, que le risque d'augmentation des taux d'intérêt à long terme n'était pas négligeable pour les prochains mois, que la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement pouvait avoir suscité une simple anticipation de certaines dépenses, et que l'on pouvait chercher, à la fois, à réduire le coût du travail peu qualifié et à accroître la rémunération du travail le plus qualifié. Il s'est interrogé sur la pertinence de diverses contraintes empêchant les chercheurs de se rapprocher du monde de l'entreprise, comme par exemple la règle limitant la possibilité, pour les professeurs d'université, d'être membres de conseils d'administration d'entreprises privées.

M. Jean-Pierre Petit a considéré que la dépréciation du dollar était favorable aux entreprises américaines, que la faible croissance observée au second semestre 2004 était normale (contrairement, selon lui, à la croissance forte observée au premier semestre), qu'un krach obligataire était peu probable, que la croissance structurelle de la zone euro était trop faible, qu'il existait bien une bulle immobilière en France, et qu'il ne pensait pas que la Banque centrale européenne augmenterait ses taux directeurs en 2005.

Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats

La commission a ensuite désigné :

M. Auguste Cazalet comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger en qualité de titulaire au sein de la Commission centrale de classement des débits de tabac ;

M. Joël Bourdin comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger en qualité de titulaire au sein du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles.