ARTICLE  QUATER B (NOUVEAU) : CRÉATION D'UNE TAXE DE SÛRETÉ PORTUAIRE

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 47 ter

M. le président. L'amendement n° II-419, présenté par M. Percheron et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :

Après l'article 47 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 285 septies du code des douanes, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. .... - À compter du 1 er janvier 2012, il est institué une taxe de sûreté portuaire au profit des ports maritimes de commerce.

« La taxe est due par toute entreprise de commerce maritime et s'ajoute au prix acquitté par le client.

« La taxe est assise sur le nombre de passagers et le volume de fret embarqués par l'entreprise de commerce maritime dans le port maritime.

« Son produit est arrêté chaque année par l'autorité portuaire après avis du concessionnaire, dans la limite d'un plafond fixé à la somme des dépenses liées aux installations et services de sécurité ainsi que des mesures prises dans le cadre des contrôles aux frontières de l'espace Schengen en application des engagements internationaux de la France constatés l'année précédente auxquelles s'ajoutent 2 %.

« Le produit de la taxe est affecté dans chaque port au financement des installations et services de sûreté ainsi que des mesures prises dans le cadre des contrôles aux frontières de l'espace Schengen en application des engagements internationaux de la France.

« La taxe est constatée, recouvrée et contrôlée par le service des douanes sous les mêmes règles, garanties, sanctions et privilèges qu'en matière de droit de douane.

« Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »

La parole est à M. Marc Massion.

M. Marc Massion. En dépit de la croissance continue du transport maritime, qui représente 90 % des échanges mondiaux, à peine plus d'un conteneur sur trois importés en France transite par nos ports.

Alors que la France possède la plus grande façade maritime d'Europe et que sa situation géographique centrale devrait lui permettre d'être la première plateforme maritime, ses ports souffrent. Et les atouts commerciaux, géographiques et humains de l'Hexagone sont tués dans l'oeuf !

Le traité du Touquet, conclu entre la France et le Royaume-Uni le 4 février 2003, permet aux deux parties de créer des bureaux à contrôles nationaux juxtaposés dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays, afin de faciliter l'exercice des contrôles frontaliers. En d'autres termes, chaque État autorise ses agents à remplir leur mission sur le territoire de l'autre État.

En pratique, le Royaume-Uni a investi dans des infrastructures de sûreté portuaire en France, mais laisse à la charge de l'État français les frais de maintenance, ainsi que les frais liés aux personnels assurant le fonctionnement de ces infrastructures.

Les conseils régionaux s'étant vu confier, depuis 2008, la gestion des ports maritimes de commerce, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, désormais propriétaire, si l'on peut dire, des ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer, est obligé d'engager des dépenses pour la sûreté portuaire. Or ces dépenses sont en augmentation constante, du fait de l'intensification de la lutte contre l'immigration illégale et de la conscience des menaces terroristes, qui s'est accrue depuis une dizaine d'années.

L'État, qui devrait assumer cette mission régalienne, n'entend actuellement ni honorer, ni financer les obligations de sûreté portuaire ; celles-ci lui incombent pourtant !

Cette position est d'autant plus étrange que l'État a remboursé à la société Eurotunnel les frais de sûreté qu'elle a engagés...

La taxe de sûreté portuaire dont nous souhaitons l'institution permettrait de pourvoir aux dépenses de sûreté engagées qui, à titre d'information, mes chers collègues, s'élèvent à 13 millions d'euros par an dans la région Nord - Pas-de-Calais, investissement et fonctionnement confondus.

Nous proposons que le produit de cette taxe soit fixé par l'autorité portuaire, après avis du concessionnaire, dans la limite des dépenses engagées pour assurer la sûreté des installations et des passages portuaires.

Madame la ministre, depuis plusieurs années, nous déposons le même amendement.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. Marc Massion. Le Gouvernement a déjà proposé de réfléchir, en discutant le cas échéant avec les Anglais, à d'autres sources de financement, notamment pour ce qui concerne ces bureaux.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous ne constatons malheureusement aucune avancée, alors que les dépenses de sûreté portuaire grèvent le budget des régions concernées...

C'est la raison pour laquelle nous vous proposons à nouveau, en adoptant l'amendement n° II-419, d'instituer une taxe de sûreté portuaire. Nous espérons obtenir - enfin ! - un avis favorable du Gouvernement...

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission des finances renouvelle aujourd'hui son avis favorable s'agissant d'une mesure qui nous est proposée, madame la ministre, pour la troisième fois !

L'année dernière, un amendement similaire avait été défendu par notre collègue Michel Sergent, alors sénateur du Pas-de-Calais.

Il n'y a aucune raison que les ports soient pénalisés par rapport aux aéroports, dont les exploitants perçoivent, eux, le produit de la taxe aéroportuaire.

Cette année doit être la bonne : il faut absolument que nous adoptions cet amendement !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je vois, madame la rapporteure générale, que le Sénat est pris d'une frénésie de créations de taxes... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Jean-Marc Todeschini. Provocation inutile !

Mme Valérie Pécresse, ministre. En 2004, déjà, la création d'une taxe portuaire avait été envisagée, soulevant l'hostilité des opérateurs et gestionnaires des ports français.

Le risque existait en effet que cette taxe, assimilée à un droit de douane ou à une taxe d'effet équivalent, soit déclarée contraire aux règles de l'OMC.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Elle existe bien pour les aéroports !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je ne crois pas que le trafic passager soit la vocation première des ports français : c'est plutôt le fret...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il y a aussi des cargos aériens !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette taxe pourrait en outre constituer une entrave à la libre circulation des personnes sur le territoire communautaire.

Enfin, elle serait de nature à défavoriser les plateformes portuaires.

Pour toutes ces raisons, l'avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Massion, pour explication de vote.

M. Marc Massion. Le Gouvernement nous répond qu'il n'est pas favorable à l'instauration de taxes nouvelles. Mais il ne fait aucune proposition alternative !

Or, selon la loi, c'est à l'État de prendre en charge les frais liés à la sûreté portuaire, actuellement transférés aux conseils régionaux. Sur le principe, le Gouvernement ne respecte donc pas ses engagements.

M. François Marc. Ce n'est pas la première fois !

M. Marc Massion. Je trouve dommageable qu'à une question précise posée depuis trois ans, aucune réponse précise ne soit apportée.

Mais, comme vient de le dire mon ami François Marc, ce n'est pas nouveau !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je ne me situerai pas exactement sur le même registre que notre collègue Marc Massion, ne serait-ce que parce que je ne peux pas souscrire à ce qui a constitué la chute de son propos...

Pour ce qui est du problème de fond, madame le ministre, je rappelle qu'il a déjà été évoqué, plusieurs années de suite, dans cet hémicycle.

J'observe que certains grands ports français, contrairement à ce que vous avez dit, sont essentiellement des ports de voyageurs.

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. N'est-ce pas le cas de Toulon, monsieur le maire honoraire ?

M. François Trucy. Tout à fait !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. N'est-ce pas celui du port d'Ajaccio, que mon excellent collègue Philippe Dominati a cité tout à l'heure ? Et n'est-ce pas le cas d'autres ports encore...

M. Marc Massion. Calais !

M. Philippe Marini , président de la commission des finances. ... par exemple Boulogne et, plus particulièrement, Calais ? Ces ports sont essentiellement des ports de voyageurs !

Les élus du Pas - de-Calais - cette année notre collègue Daniel Percheron, l'année dernière Michel Sergent -, se demandent régulièrement pour quelle raison il serait impossible de transposer au secteur portuaire un dispositif qui existe dans le secteur aéroportuaire...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Eh oui !

M. Philippe Marini , président de la commission des finances. C'est la seule question qui est posée. Est-elle illégitime ? En considération des problèmes de sécurité qui se posent, madame le ministre, et compte tenu des difficultés qui peuvent exister pour filtrer les passagers et faire face aux risques, parfois particulièrement préoccupants, qui pèsent sur l'ordre public, il est évident que des équipements doivent être mis en place et des personnels déployés.

Quel que soit le gestionnaire, quel que soit le partage institutionnel des responsabilités, on est conduit à s'interroger sur les raisons pour lesquelles il serait impossible de créer, au nom de la vérité économique - le principe de vérité des coûts - un mode de financement approprié pour assurer les fonctions de sécurité physiques dans les ports de voyageurs.

Il est possible que l'amendement n° II-419, dans sa rédaction présente, ne soit pas totalement opérationnel - peut-être celui de l'an dernier ne l'était-il pas non plus, mais je comprends la réaction de ses auteurs et de certains autres de nos collègues : depuis que le problème a été soulevé, il aurait été possible d'en approfondir l'examen.

Très sincèrement, madame le ministre, je considère, indépendamment de toute considération de groupe politique, que ce problème existe et qu'il serait sans doute utile que l'on s'attache à le résoudre.

Il arrive, madame le ministre, que des ministres du budget nous répondent qu'un groupe de travail va être mis en place pour approfondir l'examen d'un problème avec toutes les parties concernées... (Sourires.) S'il pouvait en être ainsi dans le cas présent de sorte que le problème soulevé fasse l'objet d'un réel travail, je crois très sincèrement que beaucoup d'élus, dans le Pas - de-Calais, en Seine-Maritime, dans le Var, en Haute-Corse, en Corse-du-Sud ou dans les Bouches-du-Rhône - pour ne citer que ces départements - en seraient heureux !

M. François Trucy. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur le président de la commission, pour répondre à votre attente, je vous indique qu'un projet de loi de finances rectificative sera examiné dans quelques semaines : nous en profiterons pour faire le point sur cette question.

Je ne connais pas le régime de la taxe aéroportuaire, mais nous allons nous en préoccuper.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien ! Merci, madame le ministre.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je remercie Mme la ministre de faire preuve d'ouverture. Il est vrai que le problème est posé depuis plusieurs années déjà... De surcroît, je rappelle que si nous sommes devant ces difficultés, c'est que l'État, à l'origine, s'est déchargé d'une mission régalienne : la sûreté.

Or je rappelle que le ministère des finances a remboursé à la société Eurotunnel les frais de sûreté qu'elle avait engagés. Pour ce qui est des ports, je ne vous demande pas un tel remboursement, mais avouez qu'il serait incompréhensible que vous refusiez d'instituer une taxe dont le produit compenserait le coût d'un transfert loin d'être négligeable pour les régions.

Quant au régime de la taxe aéroportuaire, il est simple : la taxe est assise sur le nombre de passagers.

Que M. Percheron ait posé ce problème le premier n'est pas un hasard : Calais et Boulogne accueillent de nombreux voyageurs et nous savons bien que ces ports font face, plus encore que d'autres ports de voyageurs, à des problèmes particuliers de sûreté.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il faut en particulier se pencher sur le problème, complexe et délicat, de la conformité des mesures envisagées avec le droit européen.

Tout cela nécessite donc en effet, monsieur le président de la commission, madame la ministre, des travaux d'une certaine technicité.

Pour ce qui est de l'amendement n° II-419, je vous remercierais, madame la ministre, d'émettre finalement un avis de sagesse, voire un avis favorable.

M. Philippe Marini , président de la commission des finances. Mme le ministre est favorable quant à la méthode !

M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.

M. Michel Magras. Pour prolonger notre débat, je veux évoquer le cas des petites îles qui gèrent à la fois un aéroport et un port.

La taxe d'aéroport est acquittée par toutes les compagnies. Son produit est affecté au gestionnaire, même s'il faut attendre longtemps avant que celui-ci le perçoive, car il est d'abord géré en métropole - système que je conteste.

Dans les ports qui accueillent des bateaux venant du monde entier, on nous impose un plan de sûreté difficile à mettre en place, plan dont la validation rend obligatoire la mise aux normes de toutes les infrastructures et la nomination d'un personnel qualifié répondant aux exigences du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, le fameux code ISPS.

Les collectivités gestionnaires sont ainsi obligées d'engager des dépenses absolument colossales et d'en assumer la totalité, sans bénéficier d'aucune recette.

J'ajoute, s'agissant de Saint-Barthélemy, que le fonctionnement de notre aéroport est plus coûteux que celui du port. Ce coût de fonctionnement se répercute sur le transport aérien, auquel s'appliquent de surcroît des taxes très élevées, alors qu'elles sont quasi nulles dans le cas du port. Il en résulte donc une forme de distorsion de concurrence.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-419.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 47 ter .