IV. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011)

Article 47 sexdecies (nouveau)

M. le président. « Art. 47 sexdecies . - Chaque année, le Gouvernement dépose en annexe au projet de loi de finances un rapport qui comporte une présentation de la structure et de l'évolution des dépenses ainsi que de l'état de la dette des collectivités territoriales.

À cette fin, les régions, les départements et les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 50 000 habitants transmettent au représentant de l'État, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État pris après avis du comité des finances locales, un rapport présentant notamment les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés, la composition et l'évolution de la dette ainsi que des dépenses de personnel, de subvention, de communication et d'immobilier.

Les conditions de publication de ce rapport sont précisées dans le décret précité.

M. le président. L'amendement n° II-360, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement, important, vise à supprimer une disposition relative aux collectivités territoriales introduite par l'Assemblée nationale.

Sous couvert d'améliorer l'information du Parlement, cet article prévoit que les collectivités, régions, départements et communes de plus de 50 000 habitants transmettent chaque année à l'État des informations relatives à leurs dépenses de personnel, aux subventions qu'elles versent, ainsi qu'à leurs dépenses de communication et d'immobilier. Il introduit une suspicion à l'encontre de ces collectivités, sous un prétexte fallacieux.

L'Observatoire des finances locales, en application de l'article L. 1211-4 du code général des collectivités territoriales, traite des dépenses et de la dette des collectivités territoriales et il lui est loisible d'enrichir son contenu.

Nous ne comprenons pas le fondement de l'article 47 sexdecies . Il fait preuve de maladresse à l'encontre de l'exécutif de collectivités qui gère celles-ci pour le bien commun de leurs habitants et dont la légitimité est reconnue par les électeurs qui lui confient ses responsabilités.

En tout cas, s'il ne s'agit pas d'une maladresse de nos collègues députés, leur intention est répréhensible.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la rapporteure générale, il ne s'agit ni d'une erreur, ni d'une maladresse, ni d'une inattention. Cette mesure a été voulue par le Premier ministre dans le cadre de son plan de redressement des finances publiques.

Si, comme vous le prétendez, les collectivités locales ont toutes à coeur de limiter leur train de vie, leurs dépenses de fonctionnement - et je veux bien le croire -, qu'elles le fassent savoir à leurs administrés ! Elles n'ont rien à craindre de cet « open data » gouvernemental et local.

Aujourd'hui, le Gouvernement vient d'installer la mission Étalab pour les finances de l'État. Or au moment où l'État ouvre très largement l'accès aux données publiques, via Internet, et permet ainsi d'évaluer et de comparer les politiques publiques, cet « open data », cette ouverture des données, doit pouvoir se mettre en place, y compris à propos de la gestion locale. Il est donc assez logique que les collectivités de plus de 50 000 habitants soient, elles aussi, assujetties à cette obligation de transparence.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. L'article 47 sexdecies constitue la traduction des annonces faites par le Premier ministre, François Fillon, à l'occasion de son discours du 7 novembre 2011 de présentation du deuxième plan de rigueur, qui prévoit de demander aux collectivités locales un « effort de transparence » sur « leurs effectifs et leurs dépenses de train de vie ».

Une nouvelle fois, dans la continuité des critiques qu'il émet depuis 2007, le Gouvernement cherche à faire porter la responsabilité actuelle de la dégradation des comptes publics sur les collectivités territoriales.

Ne pouvant agir directement sur la dépense locale, protégée par le principe constitutionnel de libre administration des collectivités, il se replie sur cette mesurette qui relève plus de la manoeuvre que du souci d'efficience.

En effet, les informations relatives à la dette existent déjà. Preuve en est, de nombreuses informations sont transcrites annuellement dans le rapport de l'Observatoire des finances locales ; de nombreuses autres figurent dans les documents budgétaires transmis par le Gouvernement pour la préparation du projet de loi de finances, comme les rapports sur les prélèvements obligatoires, sur la dépense publique, sur les transferts financiers de l'État, entre autres.

De surcroît, le Gouvernement connaît d'ores et déjà ces informations, puisqu'il les utilise pour établir la trajectoire du retour à l'équilibre des comptes publics et de réduction du déficit, notamment le programme de stabilité qu'il envoie à la Commission européenne.

Par ailleurs, pour ce qui concerne les dépenses de personnel - je reprends les chiffres avancés par le président de l'Association des maires de France -, 262 000 postes ont été créés entre 2002 et 2009, ce qui correspond à 37 500 postes par an, soit un par collectivité, toutes tailles et catégories confondues. Cette indication relativise quelque peu la gabegie attribuée aux collectivités territoriales.

Par ailleurs, on peut légitimement se demander s'il existe véritablement un intérêt pour l'État à connaître les intentions des collectivités locales en matière de communication et d'immobilier.

Permettez-nous, enfin, de vous rappeler que les assemblées locales sont élues et, à ce titre, responsables devant leurs électeurs. L'ensemble de leurs actes fait donc l'objet de mesures de publicité.

Cet article illustre l'incapacité du Gouvernement à proposer une solution sérieuse à la crise actuelle. En effet, il se contente de faire un nouveau procès d'intention aux collectivités locales. Madame la ministre, vous ne parviendrez pas à masquer par ces manoeuvres dilatoires les critiques légitimes quant aux dépenses de communication de la présidence de la République et des ministères.

M. Roland Courteau. Ah !

M. François Marc. Cet article confirme le refus du Gouvernement de considérer les collectivités territoriales comme de véritables partenaires institutionnels et politiques et d'apporter une réponse crédible aux contraintes réelles qui pèsent sur leur budget.

Les déficits cumulés des collectivités locales représentent moins de 2 % du déficit public et leurs dettes cumulées moins de 10 % de la dette publique. Par conséquent, les collectivités territoriales, loin de constituer un problème, comme le pense le Gouvernement, sont au contraire une partie de la solution pour sortir de la crise actuelle. Dès lors, il est indispensable de leur permettre de continuer à soutenir l'investissement et assurer les services publics locaux.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé, pour explication de vote.

M. Edmond Hervé. J'approuve ce qu'a dit François Marc. En effet, les préfets reçoivent systématiquement tous les renseignements nécessaires !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Notamment lors des débats d'orientation budgétaire.

M. Edmond Hervé. Au-delà même de ces débats d'orientation budgétaire, les collectivités territoriales transmettent tous leurs documents budgétaires aux préfets.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Notre proposition ne vise pas les préfets, mais les Français !

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.

M. Gérard Miquel. À mes yeux, cette disposition est inacceptable, car elle jette la suspicion...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Pas du tout !

M. Gérard Miquel. ... sur des élus qui, au quotidien, accomplissent leur travail en toute transparence. En effet, cette disposition laisse entendre que les élus peuvent utiliser l'argent public selon leur bon vouloir et le dépenser de façon inconsidérée dans tel ou tel domaine.

Les délibérations des assemblées locales sont soumises au contrôle de légalité : elles sont transmises aux services de la préfecture, désormais de manière dématérialisée. Des comptables publics - les payeurs départementaux, par exemple - vérifient les mandatements et titres de recettes. Enfin, la chambre régionale des comptes compétente contrôle périodiquement les comptes et, si elle constate une dépense inconsidérée dans un secteur, elle rappelle à l'ordre la collectivité concernée, au travers d'observations qui sont publiques.

La proposition du Gouvernement est malsaine, car elle instaure un climat de suspicion : nos concitoyens, qui ne comprennent pas tous les mécanismes que je viens d'évoquer, pourraient penser que leurs élus font n'importe quoi. Je voterai cet amendement de suppression, car il est sain, dans une démocratie, de faire connaître aux citoyens les mécanismes qui empêchent les élus d'agir selon leur bon vouloir, sans contrôle.

M. le président. La parole est à M. Michel Berson, pour explication de vote.

M. Michel Berson. Afin de contrôler les dépenses des collectivités locales, on leur demande un rapport supplémentaire. Toutefois, comme viennent de le rappeler mes collègues, les informations disponibles ne manquent pas.

Les rapports budgétaires - d'orientation et d'exécution - sont connus. Le rapport annuel de l'Observatoire des finances locales est consultable. De nombreux rapports parlementaires ont fait la démonstration que les collectivités locales étaient bien gérées et n'étaient donc en rien responsables des déficits publics : par exemple, le rapport d'Yves Krattinger et Roland du Luart, Les Compensations des transferts de compétences : pistes pour des relations apaisées entre l'État et les collectivités territoriales , ou le rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault.

Les rapports des chambres régionales des comptes montrent, eux aussi, que les conseils généraux ne sont en rien responsables des difficultés qu'ils rencontrent, puisque l'État leur a transféré des compétences sans leur donner les ressources nécessaires pour les assumer.

On pourrait multiplier les exemples. Il existe un excellent site Internet, que nous consultons tous : la page du ministère de l'intérieur consacrée aux collectivités territoriales, qui fournit tous les renseignements possibles. Par conséquent, le rapport prévu par l'article 47 sexdecies ne vise qu'à stigmatiser les collectivités locales et à porter gravement atteinte au principe constitutionnel de libre administration de ces dernières. On ne peut que s'élever contre une telle initiative !

J'ajoute que, si vous voulez vraiment un rapport annuel supplémentaire, madame la ministre, vous pouvez en rédiger un sur la manière dont l'État a - ou n'a pas - compensé les dépenses des collectivités territoriales rendues nécessaires par les transferts de compétences.

Ce document montrerait par exemple que, s'agissant des départements, le taux de couverture des trois grandes allocations sociales universelles - l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, le revenu de solidarité active, le RSA, et la prestation de compensation du handicap, la PCH - est passé de 70 % en 2004 à 55 % en 2011. Il montrerait également que les compensations, qui se sont élevées à 7,9 milliards d'euros en 2011, correspondent à 14,3 milliards d'euros de dépenses, le reste à charge des départements atteignant ainsi 6,4 milliards d'euros. Il y a là matière à faire un rapport, afin de rendre public l'écart entre les charges transférées et les charges compensées.

De nombreuses raisons militent donc en faveur de la suppression de l'article 47 sexdecies . Celui-ci, je le répète, traduit les intentions malveillantes du Gouvernement, qui jette la suspicion sur les collectivités locales. Cela devient insupportable, d'autant que - je cite cette dernière statistique car elle n'est pas suffisamment rappelée - les dépenses des départements, qui sont montrées du doigt, sont restées quasiment constantes en pourcentage du PIB depuis vingt ans. C'est donc un véritable procès d'intention que le Gouvernement fait aux collectivités locales, en particulier aux départements. C'est intolérable !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. J'ai du mal à comprendre les arguments développés par les membres de la majorité sénatoriale.

Par souci de transparence - un principe auquel nous sommes a priori tous attachés -, vous devriez adhérer aux dispositions de l'article 47 sexdecies . (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Marc Massion. La transparence existe déjà !

Mme Chantal Jouanno. Vous avez d'ailleurs réclamé et obtenu la transparence des comptes de l'Élysée, puisque la Cour des comptes les contrôle désormais. Je n'ose croire que vous avez fait cette demande par malveillance à l'égard de l'Élysée !

Par ailleurs, vous nous expliquez - et personne n'en doute - que les collectivités sont vertueuses. Dès lors, pourquoi craignez-vous cette transparence qui ne pourra que mettre en lumière votre vertu ?

Plusieurs sénateurs socialistes. La transparence existe déjà ! Tous les documents sont disponibles !

Mme Chantal Jouanno. Les arguments que vous utilisez pour défendre la suppression de l'article 47 sexdecies risquent au contraire de faire naître la suspicion dans l'esprit de nos concitoyens. Si vous ne craignez rien, pourquoi vous opposez-vous à la transparence ?

M. Robert del Picchia. Bonne question !

M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.

M. Charles Guené. Chers collègues de l'opposition, ne vous cachez pas derrière votre petit doigt. Vouloir faire croire que les renseignements évoqués par l'article 47 sexdecies sont facilement accessibles, c'est risible !

M. Michel Berson. Mais non, soyez sérieux !

M. Charles Guené. Le Gouvernement et l'Observatoire des finances locales ont certes accès à ces données.

M. Michel Berson. Et les journaux !

M. Charles Guené. Quant à la représentation nationale, elle les lit en général dans la presse spécialisée. Toutefois, elles ne sont pas aussi facilement accessibles pour le reste de la population.

L'Observatoire des finances locales - je peux en parler en connaissance de cause, puisque j'en suis le rapporteur - ne publie pas ces éléments dans le détail, mais réalise des agrégations. Il est donc totalement faux de dire que cet organisme publie les renseignements évoqués par l'article 47 sexdecies ! Toutefois, j'ai pris bonne note de votre souhait de les voir figurer en annexe à son rapport annuel.

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis. Je veux simplement demander à Mme Jouanno, qui a dressé un parallèle entre l'Élysée et les collectivités locales, si, en tant qu'ancienne ministre ou en tant que parlementaire, elle dispose de l'équivalent pour l'Élysée du compte administratif des collectivités. Si elle a ce privilège, je l'invite à nous communiquer ces informations particulièrement intéressantes !

Mme Chantal Jouanno. Je vous invite à lire le rapport de la Cour des comptes !

M. Marc Daunis. Le rapport de la Cour des comptes ne correspond pas au compte administratif d'une collectivité. C'est une différence notable !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Personne ne sait lire un compte administratif !

Mme Chantal Jouanno. Sous François Mitterrand, existait-il un compte administratif de l'Élysée ?

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.

M. Philippe Dominati. En tant que parlementaires ou en tant que citoyens, nous ne disposons pas toujours d'informations très précises. Récemment, mes collègues du Conseil de Paris et moi-même avons dû batailler pendant trois à quatre mois pour obtenir un certain nombre de renseignements auprès du cabinet du maire de Paris... Encore ne les avons-nous pas complètement obtenus !

Les sociétés cotées en bourse et les entreprises publiques ont l'obligation de publier certaines informations - sur les hauts salaires et les rémunérations les plus élevées, par exemple - dans leur rapport annuel. (Mme la ministre acquiesce.) En revanche, on a souvent du mal à obtenir certaines informations de la part des hautes autorités administratives de l'État ou des collectivités territoriales. Il m'est arrivé d'être confronté, en tant que rapporteur, au flou artistique de certaines hautes autorités administratives ; on rencontre très probablement ce problème dans les grandes collectivités locales - je l'ai observé à Paris, en tout cas.

Il me semble choquant que de grandes collectivités territoriales puissent s'exonérer de l'obligation de transparence alors que les entreprises cotées en bourse sont obligées de fournir de nombreuses précisions à leurs actionnaires dans leur rapport annuel.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, faute avouée ne sera pas pardonnée !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais je n'ai avoué aucune faute !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous avez affirmé qu'il s'agissait de faire droit à la déclaration du Premier ministre. Or cette dernière était si précise que l'intention en est transparente, comme l'ont souligné mes collègues de la majorité : il a demandé que soit rendue systématique la publication annuelle, par les collectivités territoriales, de « l'évolution de leurs effectifs et de leurs dépenses de train de vie ». Cela veut tout dire ! Cette formulation est bien plus précise que l'article introduit par l'Assemblée nationale.

Il ne s'agit donc pas d'une maladresse mais d'une faute, qui ne peut être blanchie par le Sénat.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je n'avoue rien et je ne regrette rien. Au contraire, j'assume !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C'est encore mieux dans ce cas : cela clarifie le débat.

Quel que soit le Gouvernement nommé à l'issue des élections de mai et juin prochains, il devra rétablir un pacte de confiance entre les collectivités territoriales et l'État.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Ça, c'est sûr ! Et avec des économies à la clé !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Là, au contraire, vous en « rajoutez une couche » côté défiance ! L'article adopté par l'Assemblée nationale visant clairement leur dette, permettez-moi d'objectiver le débat : depuis 1980, le poids des collectivités territoriales dans l'endettement n'a pas varié. Depuis plus de trente ans, il s'établit ainsi entre sept et neuf points du produit intérieur brut.

Le sujet est donc bien la stigmatisation des collectivités territoriales ! (Bien sûr ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-360.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 47 sexdecies est supprimé.