II. TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE

Article 47 terdecies (nouveau)

Hormis les cas de congé de longue maladie, de congé de longue durée ou si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, les agents publics civils et militaires en congé de maladie ne perçoivent pas leur rémunération au titre du premier jour de ce congé.

III. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME III

Commentaire : le présent article a pour objet de ne pas verser de rémunération le premier jour du congé maladie aux fonctionnaires, par analogie avec les mesures applicables dans le secteur privé.

I. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été introduit par l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement, avec l'avis favorable de la commission des finances.

Il a pour objet que les agents publics, en cas de congé maladie, ne perçoivent pas leur rémunération au titre du premier jour de ce congé . Selon le Gouvernement, cette carence d'une journée a pour objet de rapprocher progressivement la situation des agents publics de celle des agents privés, alors que le code de la sécurité sociale prévoit trois jours de carence pour ces derniers.

Le délai de carence des agents publics ne s'appliquerait pas dans les cas suivants :

- congé de longue maladie ,

- congé de longue durée,

- incapacité professionnelle résultant, notamment, de blessures ou de maladie contractées ou aggravées du fait des activités de service1 ( * ),

- accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

Tous les agents publics sont concernés, civils comme militaires . L'exposé des motifs précise que le dispositif s'applique aussi aux agents non titulaires de droit public.

Cette carence d'une journée pour les agents publics relève des mesures d'économies supplémentaires annoncées par le Premier ministre le 7 novembre 2011. Elle représente une économie budgétaire estimée à 122 millions d'euros par le Gouvernement.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. L'ARGUMENT CONTESTABLE DE L'ÉQUITÉ ENTRE LE SECTEUR PUBLIC ET LE SECTEUR PRIVÉ

Selon le Gouvernement , la mise en place d'une carence d'une journée dans le secteur public vise à garantir une équité de traitement avec le secteur privé, où il existe déjà un délai de carence de trois jours, et non de lutter contre une suspicion de fraude - auquel cas d'autres instruments auraient effectivement pu être envisagés, comme un contrôle des arrêts maladie.

Cependant, dans le secteur privé, selon le Gouvernement les conventions collectives couvriraient 80 % des pertes de rémunération liées à des jours de carence . Si ces chiffres sont exacts, et ils mériteraient à eux seuls une étude approfondie sur le profil des salariés du secteur privé non couverts par de tels accords collectifs, il y a lieu de s'interroger sur les raisons pour lesquelles les agents publics devraient être pénalisés par la carence d'une journée, contrairement à la grande majorité des agents du secteur privé .

A la différence des agents du secteur privé, les agents publics ne négocient pas leur statut dans le cadre de conventions collectives. En outre, l'annonce de cette mesure gouvernementale ne semble pas avoir été préparée par des négociations avec les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires.

B. UNE RÉFORME DES JOURS DE CARENCE FINALEMENT LIMITÉE AU SEUL SECTEUR PUBLIC

Lors des débats en séance publique à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a justifié la mise en place d'un jour de carence dans la fonction publique par la nécessité de faire participer tous les salariés, du secteur public comme du secteur privé, aux mesures d'économie proposées par le Gouvernement en augmentant parallèlement d'un jour la carence dans le secteur privé.

Selon Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, « il s'agit d'abord de remplacer une mesure sur un nouveau mode de calcul des indemnités journalières proposée par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les parlementaires ayant souhaité que nous ne modifiions pas le calcul des indemnités journalières, notamment pour prendre en compte la situation de grande précarité d'un certain nombre de salariés du secteur, un accord a été trouvé avec la représentation nationale pour augmenter le nombre de jours de carence dans le secteur privé, et de prévoir un quatrième jour de carence » 2 ( * ) . La ministre a ensuite rectifié ses propos en séance, en évoquant un accord avec les seuls parlementaires appartenant à la majorité gouvernementale.

Or, après avoir renoncé à modifier le taux de remplacement des indemnités pour arrêt maladie, pour une économie correspondant à 220 millions d'euros, le Gouvernement a ensuite aussi abandonné l'idée d'un quatrième jour de carence dans le secteur privé (représentant une recette évaluée à 200 millions d'euros), face aux réticences de l'Assemblée nationale. Un groupe de travail a été mis en place par les députés de la majorité, afin de trouver un nouveau dispositif permettant d'obtenir 200 millions d'euros de recettes ou d'économies. En tout état de cause, cette somme avait été intégrée dans la construction de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour 2012 et manque aujourd'hui pour atteindre l'ONDAM .

L'argument selon lequel un premier jour de carence devait être institué dans la fonction publique et que, parallèlement, un quatrième jour serait mis en place dans le secteur privé, n'est donc plus valide.

C. LES DÉLICATES COMPARAISONS ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ METTENT EN DOUTE LE CHIFFRAGE RETENU PAR LE GOUVERNEMENT

Lors des débats en séance publique à l'Assemblée nationale, un des arguments discutés serait un plus fort taux d'absentéisme au travail lié à la maladie dans le secteur public.

Mais les données disponibles ne permettent pas d'établir clairement s'il existe, ou non, un absentéisme plus élevé dans la fonction publique . Ainsi, les avis des experts sont divergents dans un numéro consacré à l'absentéisme du bimestriel Travail et changement de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) 3 ( * ) .

Ainsi, selon Dennis Moneuse, sociologue et consultant, si le taux d'absence au travail dans le secteur privé s'élève entre 3 et 3,5 % (soit onze à treize jours par an), « l'écart [du secteur public] avec le secteur privé peut atteindre 30 % » 4 ( * ) (soit quatorze à dix-sept jours par an). Toutefois, le même auteur observe que les comparaisons sont faussées par le fait que la pratique des jours de congé pour enfants malades a davantage cours dans la sphère publique, en ajoutant que « lorsqu'on se penche sur des entreprises où se côtoient fonctionnaires et contractuels, comme La Poste, on ne constate pas d'écart important entre ces deux types de statuts » 5 ( * ) .

Pour Thierry Debrand, économiste à l'Institut de recherche et de documentation en santé, « nous ne disposons pas beaucoup de chiffres dans la fonction publique et il est très difficile d'en obtenir » 6 ( * ) .

Enfin, toujours dans le même numéro du bimensuel de l'ANACT, Jean-Paul Dumont, maître de conférences à l'Université Paris XII, montre que les modes de calcul différents entre les entreprises du secteur privé, et a fortiori entre le public et le privé, ne permettent pas de comparaisons fiables. Prenant le seul exemple du secteur hospitalier, il observe que « certains établissements réduisent le nombre de jours d'absence par cinq septièmes, au motif qu'ils veulent surtout connaître le nombre de journées de travail perdues. Mais, à ce jour, on ne sait pas quels sont les établissements qui mettent en oeuvre cette règle des cinq septièmes, ni sur quels effectifs (ensemble des personnels, ou ceux en horaires de bureau, en horaires postés...). De même, les modes de traitement des absences des personnels à temps partiel diffèrent également entre établissements... » 7 ( * ) .

Le rapport annuel sur l'état de la fonction publique, dont l'édition 2010-2011 a été présentée au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat le 4 novembre dernier, ne comporte pas de données sur les arrêts de travail liés à la maladie dans la fonction publique.

Dès lors, il y a lieu de s'interroger sur les hypothèses de calcul qu'a retenues le Gouvernement , notamment pour le chiffrage de la mesure proposée, évaluée à 122 millions d'euros.

Dans un rapport d'octobre 2011 de la Mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, nos collègues députés Bernard Derosier, Marc Francina et Charles de La Verpillière ont évalué la masse salariale de l'Etat (pensions comprises) à 118 milliards d'euros ce qui, au regard des effectifs des autres fonctions publiques, permet d'évaluer l'ordre de grandeur de la masse salariale dans le secteur public à 220 milliards d'euros, soit 600 millions d'euros par journée de travail. Si l'on retient une proportion comparable de salariés s'étant arrêtés au moins un jour pour maladie dans le secteur public et le secteur privé (soit 20 %) , on obtient une estimation de 120 millions d'euros, très proche du chiffrage retenu par le Gouvernement, qui exclut en outre du champ d'application du dispositif, entre autres, les congés de longue maladie et les congés de longue durée. Le Gouvernement semble donc avoir fait l'hypothèse d'arrêts maladie plus fréquents dans le secteur public et avoir retenu le principe, contestable, d'inclure dans l'assiette des économies attendues les pensions des retraités et les cotisations sociales, dont on peut cependant penser qu'elles continueront à être versées en cas d'arrêt maladie, la retenue ne devant porter que sur les rémunérations d'activité.

Il ne doit donc pas être exclu que le Gouvernement ait volontairement majoré ses prévisions de recettes, de plusieurs dizaines de millions d'euros, pour atteindre en apparence son objectif de réduction du déficit public dans le plan d'économies présenté par le Premier ministre le 7 novembre 2011.

D. UN RISQUE PESANT SUR LES SALARIÉS LES MOINS BIEN RÉMUNÉRÉS

Si l'on retient néanmoins les estimations du Gouvernement, l'économie budgétaire attendue représente en moyenne un peu moins de 40 euros par agent public et par an (et environ 0,1 % de la rémunération annuelle).

Il s'agit toutefois de données moyennes, le risque existant que les salariés les moins bien rémunérés renoncent à un arrêt de travail pour des raisons financières , malgré les risques encourus pour leur santé, dans un contexte où les franchises médicales, les déremboursements des médicaments et l'augmentation des forfaits hospitaliers conduisent un nombre croissant de citoyens à renoncer à des soins de santé.

Votre commission vous propose de  supprimer cet article circonstanciel, qui institue une inégalité de traitement entre les salariés du public et du privé, dont la plupart voient leur délai de carence couvert par les conventions collectives.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.


* 1 L'article vise expressément les cas où la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires, à savoir lorsque « le fonctionnaire civil [...] se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes et (...) n'a pu être reclassé dans un autre corps ».

* 2 Compte rendu des débats à l'Assemblée nationale, troisième séance du mardi 15 novembre 2011.

* 3 ANACT, Travail et changement , n° 329 (janvier-février 2010).

* 4 ANACT, op. cit. , p. 6.

* 5 Ibid.

* 6 ANACT, op. cit. , p. 7.

* 7 ANACT, op. cit. , p. 12.