IV. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011)

Article 47 terdecies (nouveau)

M. le président. « Art. 47 terdecies . - Hormis les cas de congé de longue maladie, de congé de longue durée ou si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, les agents publics civils et militaires en congé de maladie ne perçoivent pas leur rémunération au titre du premier jour de ce congé.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° II-359 est présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° II-364 est présenté par Mme Beaufils, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la rapporteure générale, pour présenter l'amendement n° II-359.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement est important, car il vise à supprimer l'article 47 terdecies , introduit à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement dans le cadre de son plan d'économies du 7 novembre 2011.

Cet article a pour objet de ne pas verser de rémunération, le premier jour du congé maladie - le fameux « jour de carence » ! -, aux agents publics. Cette mesure a été justifiée par analogie avec le secteur privé : pour les salariés du privé, la rémunération n'est pas versée les trois premiers jours du congé maladie.

Or, madame la ministre, 80 % des salariés étant couverts par des conventions collectives, il n'existe pas fondamentalement de différence entre les secteurs privé et public, contrairement à ce que vous voulez faire croire en raisonnant par analogie ; d'ailleurs, c'est bien une habitude traditionnelle du Gouvernement que de diviser les salariés de ces deux secteurs d'activité. Votre argument n'est pas fondé.

De surcroît, aucune donnée incontestable ne montre que les fonctionnaires prennent plus de congés de maladie de courte durée que les salariés du privé.

L'article 47 terdecies crée une recette à bon compte, sur le dos des salariés de la fonction publique, notamment des moins bien rémunérés d'entre eux. En raison de la perte de salaire qu'ils risquent de subir, certains pourraient renoncer à prendre un congé de maladie, au détriment de leur santé. On sait bien pourtant que, pour les agents de la catégorie C, les indemnités journalières ne sont pas un luxe.

Pourquoi les salariés du secteur public adopteraient-ils une attitude différente de celle des salariés du secteur privé en matière de congé de maladie ? Il faut raison garder !

En réalité, parce qu'il a beaucoup creusé les déficits, le Gouvernement cherche des recettes, mais il ne doit pas le faire sur le dos des salariés du secteur public !

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° II-364.

M. Thierry Foucaud. Je souscris bien évidemment aux propos que vient de tenir Mme la rapporteure générale. Nous sommes totalement opposés au principe de l'instauration d'un jour de carence à l'encontre des fonctionnaires.

Présentée comme une mesure d'économie, cette disposition constitue, en réalité, une nouvelle attaque contre le pouvoir d'achat des agents publics. On peut même parler d'acharnement à leur égard !

Ainsi a été décidé le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. De ce fait, la charge de travail assurée jusqu'ici par les retraités est désormais partagée entre l'ensemble des agents encore en activité, qui doivent, dans un contexte de productivité renforcée, assurer la même qualité de service.

Puis, au titre de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques, la notation statutaire a été remplacée par l'évaluation, fondée sur des critères inspirés de la logique managériale anglo-saxonne. Parlons franchement, nous connaissons le prix de cette RGPP : mise en cause des services publics, progression des tensions et des stress subis par les agents, détérioration du service public et du service rendu à l'usager et - cerise sur le gâteau, si je puis dire - gel du point d'indice de la fonction publique, l'objectif affiché étant de limiter la progression de la masse salariale dans le secteur public.

L'adoption du principe d'un délai de carence constitue, en quelque sorte, une rupture de confiance entre les agents publics et l'État.

Pour notre part, nous sommes convaincus que les indemnités journalières constituent un élément de revenu des fonctionnaires, au même titre que le traitement ; elles sont imposables, dois-je vous le rappeler, madame la ministre ? Autrement dit, la prétendue économie que l'article 47 terdecies permettrait aux comptes publics de réaliser se révèle obérée par la déperdition de recettes occasionnée par une perte de base pour l'impôt sur le revenu.

Dans un souci de préservation du pouvoir d'achat des fonctionnaires, mais aussi d'équilibre des comptes publics, nous vous proposons, mes chers collègues, d'adopter cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Avec cet article, il s'agit d'une mesure de responsabilisation des agents publics, à l'instar de celle qui est en vigueur pour les salariés du secteur privé : trois jours de carence sont imposés à ces derniers, alors qu'aucun n'était prévu pour ceux du secteur public.

Aujourd'hui, alors que nous demandons à tous les Français de consentir des efforts, nous jugeons nécessaire non pas d'aligner la situation des agents publics sur celle des salariés du privé - dans ce cas, trois jours auraient été imposés ! -, mais de l'en rapprocher, en exigeant de la part des premiers un jour de carence.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la ministre, la maîtrise de la dépense publique est un sujet bien trop grave pour qu'on se laisse aller à « taper sur le dos » des fonctionnaires et qu'on l'instrumentalise à des fins électoralistes.

C'est très clair : l'instauration d'un jour de carence à l'égard des agents publics correspond à un retour à votre discours habituel qui dépeint les fonctionnaires comme des privilégiés. Ce discours ressurgit à chaque campagne électorale, pour essayer d'amadouer les électeurs.

Présenter l'article 47 terdecies comme instaurant une mesure d'équité sociale est mensonger et dangereux. Comme l'a souligné Mme la rapporteure générale, pour les deux tiers des salariés du secteur privé, des conventions collectives permettent d'atténuer les conséquences des trois jours de carence, voire d'indemniser les trois premiers jours de congé maladie.

L'instauration d'un jour de carence pour les fonctionnaires revient tout simplement à créer une inégalité entre les salariés du secteur privé et ceux de la fonction publique. Elle se traduira par une perte nette de salaire.

Madame la ministre, aucune analyse raisonnable ne montre que votre comparaison entre les secteurs public et privé soit assise sur des fondements sérieux. Vous prônez l'égalité entre les Français, mais, en réalité, cette mesure est une recette de poche, comme l'a sous-entendu Mme la rapporteure générale ; elle consiste tout simplement à « prendre sur le dos » des fonctionnaires, qui sont tout sauf des privilégiés. Je vous rappelle d'ailleurs que certains d'entre eux gagnent très mal leur vie.

Pis, vous mettez en route la machine électorale du Président de la République sortant, qui est bel et bien en campagne.

M. Roland Courteau. C'est vrai. On le constate !

M. Jean-Marc Todeschini. C'est le retour d'un discours qui vise à monter les Français les uns contre les autres et à créer toujours plus de divisions dans notre pays. Hélas, je crains que ce ne soit pas terminé !

M. Roland Courteau. Oh oui, hélas !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.

M. Philippe Dominati. Je fais partie des parlementaires qui saluent la modération du Gouvernement. (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV.) À l'occasion de l'adoption de la présente disposition par l'Assemblée nationale et de l'information communiquée alors à l'opinion publique, nombre de salariés du secteur privé ont été étonnés d'apprendre la disparité existant entre la fonction publique et le secteur privé. Personnellement, comme nombre de mes collègues, j'ai été saisi par certains de nos concitoyens de cette question.

Je le répète, le Gouvernement a fait preuve de modération puisqu'il a limité sa mesure à un jour de carence, sans chercher, contrairement à ce qu'affirme M. Todeschini, à créer une polémique et à dresser un secteur contre l'autre. Il a simplement révélé l'existence d'une disparité importante et a voulu adresser un signal de responsabilité.

Madame la rapporteure générale, votre argumentation pèche sur un point : un tiers des salariés du secteur privé ne sont pas couverts par une convention collective ! Alors que vous soutenez que les fonctionnaires qui ont les salaires les plus faibles sont défavorisés, vous oubliez parallèlement les salariés du secteur privé qui perçoivent les revenus les plus faibles.

La volonté du Gouvernement n'est pas nécessairement bien comprise, parce que beaucoup s'attendaient à ce que soit instituée une parité totale, autrement dit trois jours de carence dans la fonction publique comme dans le secteur privé. Ce n'est donc qu'un premier pas.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n os II-359 et II-364.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l'article 47 terdecies est supprimé.