III. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (3 NOVEMBRE 2011)

Article 48

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Cosyns, inscrit sur l'article 48.

M. Louis Cosyns. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en mai 2009, à Urmatt, le Président de la République a fixé les principales orientations pour revaloriser la filière bois, pour laquelle notre pays a de grandes ambitions. Au coeur de cette réforme, deux enjeux relatifs au mode de gestion de nos forêts et à son financement ont émergé ; c'est à l'aune de ce questionnement que s'est déroulée la renégociation du contrat d'objectifs qui lie l'ONF et l'État, marquée par de nombreuses controverses sur le statut de l'ONF.

Présent sur tout le territoire national, l'Office national des forêts gère 25 % de la surface boisée en forêt domaniale et communale, et assure, en lien avec 11 000 communes forestières, la mise en valeur de cette ressource. Il est de ce fait un outil essentiel d'une politique volontariste en faveur de la filière forêt-bois. L'hypothèse d'une réduction du champ de compétences de l'ONF, voire de sa privatisation, a suscité l'inquiétude des communes forestières et de leurs élus. Nous avons été nombreux à vous interroger, madame la ministre, sur ce sujet au travers de questions orales ou écrites. Qui plus est, la signature du contrat ONF-État 2012-2016 a été marquée par de nombreux rebondissements en raison des différents scénarios proposés pour rétablir l'équilibre financier de l'Office. Les propositions visant à remettre en cause le régime forestier en confiant la gestion des forêts des collectivités à des prestataires privées ou encore à augmenter la contribution financière des communes au travers d'une hausse de leur frais de garderie ou d'une taxe à l'hectare d'un montant de 5 à 10 euros les ont alertées. C'est donc dans un contexte difficile que se sont engagés les travaux d'élaboration du contrat Etat-ONF.

Néanmoins, nous sommes nombreux à nous réjouir de la large concertation à laquelle a donné lieu la signature du contrat 2012-2016. La voix des communes forestières a été entendue et l'État a tenu ses engagements ; à travers ce contrat, vous avez montré votre attachement au maintien du régime forestier et à la préservation du service public de l'ONF.

Le projet de loi de finances pour 2012 nous engage à débattre du plan de rééquilibrage des finances de l'ONF, condition nécessaire à la perpétuation de sa mission auprès des collectivités. Je salue à cette occasion la décision prise par le Gouvernement de verser une subvention d'équilibre de 46 millions d'euros par an sur la durée du contrat.

Mais la question qui s'impose est celle de la participation des communes au financement du régime forestier des collectivités. Alors que les frais de garderie des communes ont été maintenus à leurs taux actuels, soit 12 % en plaine et 10 % en montagne, l'article 48 propose de relever la participation des communes par le biais d'une taxe à l'hectare. Cette augmentation de leur participation est somme toute limitée, puisque l'article introduit le principe d'une contribution de 2 euros à l'hectare pour les forêts gérées. Mais pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que la contribution de 2 euros par hectare est bien stabilisée pour la durée du contrat, c'est-à-dire qu'elle se maintiendra sur la période 2012-2016, sachant que l'État devrait ainsi équilibrer le budget de l'ONF sur les cinq ans à venir en lui apportant 5 millions d'euros supplémentaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, j'avais invité la commission des finances à repousser cet article. Cela fait dix-neuf ans que j'en suis membre,...

M. Jean Dionis du Séjour. Bravo !

Mme Marylise Lebranchu. Cela fait long !

M. Charles de Courson. ...je suis donc bien placé pour vous expliquer pourquoi.

Pour commencer, rappelons que c'est un impôt. Un impôt innommé, ou mal nommé : en fait, il s'agit d'une rémunération de services rendus, mais personne n'a osé porter l'affaire devant le Conseil constitutionnel pour avoir une discussion là-dessus.

Savez-vous quel était le taux il y a dix-neuf ans ? 7 %. On l'a constamment augmenté. Actuellement, il atteint 12 %. Il y avait même eu une tentative, il y a six ou sept ans, de le porter à 20 %, et nous l'avons fait échouer en commission des finances. Une telle évolution n'est pas raisonnable. Quel est le coût réel, pour une forêt communale bien gérée, du service de garderie ? 5 % à 6 % du produit de la forêt. On en est déjà au double ! On nous explique que les belles forêts de l'Est doivent financer les forêts du Sud ; mais ce n'est pas aux communes de financer cette solidarité, c'est à l'État de l'assurer.

Aujourd'hui, le Gouvernement a renoncé à augmenter encore le taux, mais il a trouvé un autre dispositif : taxer de 2 euros supplémentaires à l'hectare. Ce qui correspond, dans les forêts de l'Est, à une augmentation du taux d'un à deux points : autrement dit, il passe de 12 % à 14 %. Cela n'est pas acceptable parce que ce n'est pas raisonnable. Je voterai donc contre cet article.

Au surplus, le dispositif proposé ne règle pas le fond du problème. On veut toujours faire jouer à l'ONF un rôle de péréquation en prélevant sur les forêts du Nord et de l'Est pour financer celles du Sud. Certes, une partie de celles-ci sont extrêmement peu productives, elles ont un très faible rendement, mais cette question relève d'une autre politique de protection de l'environnement. Il ne faut pas prélever sur les communes du Nord et de l'Est pour financer une politique d'État sur les forêts du Sud.

Voilà pourquoi, je le répète, je ne suis pas d'accord dans cette affaire et que je voterai contre l'article 48.

Mme la présidente. L'amendement n° 7 présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase de l'alinéa 7 par les mots :

«, ainsi que tous les produits physiques ou financiers tirés du sol ou de l'exploitation du sous-sol. »

La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la présidente, je propose de soutenir globalement les amendements n os 7 et 8 car tous deux portent sur les frais de garderie.

Mme la présidente. Très bien, madame la ministre.

L'amendement n° 8 présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après le mot :

« alinéa »,

rédiger ainsi la fin de l'alinéa 8 :

« acquittent en outre au bénéfice de l'Office national des forêts une contribution annuelle de 2 € par hectare de terrains relevant du régime forestier et dotés d'un document de gestion au sens de l'article L. 4 du code forestier ou pour lesquels l'Office a proposé à la personne morale propriétaire un tel document. »

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je tiens à répondre aux objections formulées par le groupe Nouveau Centre et singulièrement par Charles de Courson.

M. Charles de Courson. J'ai exprimé mon opposition à cet article à titre personnel, madame la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Dont acte, monsieur de Courson. L'effort de l'État en faveur de l'ONF est confirmé dans ce budget. C'est un effort exceptionnel, avec l'attribution d'un complément de dotation de 46 millions d'euros pour 2012, parce que la filière bois est une filière stratégique.

Je tiens à vous rassurer, monsieur le député : le relèvement des frais de garderie n'a pas pour objet de permettre un désengagement financier de l'État. C'est tout le contraire : l'État s'engage comme jamais il avec un tel complément de dotation. Certes, il demande à l'ONF de participer comme tous les autres opérateurs de l'État, à l'effort d'économies avec une réduction de ses effectifs de 1,5 %, mais il soutient massivement cette filière stratégique. À cet effet, il a signé avec l'ONF un contrat d'objectifs et de moyens, avec donc 46 millions d'euros supplémentaires à la clef dès 2012.

La création d'une taxe à l'hectare pour couvrir les frais de garderie a pour objet de mieux répartir la charge de financement de l'ONF entre les communes. À ce jour, seules celles qui exploitent du bois sont soumises à la taxe pour les frais de garderie. Or il serait plus logique d'avoir une taxe additionnelle assise sur la superficie boisée, ce qui répartirait mieux cette charge. Le premier amendement, n° 7, propose d'élargir l'assiette, le second, n° 8, de fixer le taux à 2 euros à l'hectare. C'est un taux raisonnable qui permettra d'étaler la charge de la garderie sur l'ensemble des communes qui en bénéficient.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing.

M. Louis Giscard d'Estaing. Je suis en désaccord, pour une fois, avec Charles de Courson.

M. Charles de Courson. C'est rare !

M. Louis Giscard d'Estaing. En effet, mon cher collègue, c'est pourquoi je le souligne. (Sourires.)

Madame la ministre, vous avez soulevé les trois points importants du dispositif.

Premièrement, il s'agit de réaffirmer notre soutien à la filière bois. Louis Cosyns y a fait référence. Il est en effet important de rappeler que cette filière est tout à fait stratégique et qu'il faut essayer de combler notre déficit de compétitivité, notamment dans les régions qui disposent de massifs forestiers importants.

Deuxième sujet : la gestion de l'ONF et la gestion du patrimoine forestier que lui délèguent les communes. Charles de Courson ne l'a pas relevé, mais il y a tout de même un petit différentiel de taxe entre les communes de plaine et les communes de montagne en faveur, et c'est logique, de ces dernières, moins favorisées sur le plan de l'exploitation forestière.

Et puis il faut aussi relever que les missions importantes de l'ONF ont été rappelées dans le contrat d'objectifs, avec le soutien notamment de la Fédération nationale des communes forestières. Il est donc utile de mettre en place une contribution de 2 euros à l'hectare au titre des frais de garderie, elle correspond à une des missions de l'ONF.

Par ailleurs, j'appelle l'attention de mes collègues sur le fait que même si notre commune n'est pas très active sur le plan de la gestion forestière, nous pouvons confier des missions rémunérées à l'ONF.

M. Charles de Courson. Tout à fait.

M. Louis Giscard d'Estaing. Ma commune est la première d'Auvergne à l'avoir fait : j'ai demandé aux agents de l'ONF un diagnostic sanitaire sur l'état des arbres et ils ont fait un travail tout à fait remarquable.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n° s 7 et 8 ?

M. Michel Diefenbacher, rapporteur spécial suppléant . Pour toutes les raisons excellemment exposées par notre collègue Giscard d'Estaing, la commission des finances a adopté ces deux amendements. L'avis est très favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Cosyns.

M. Louis Cosyns. Madame la ministre, il ne semble pas que vous ayez répondu à ma question sur la pérennité de la contribution de 2 euros sur la durée du contrat entre l'ONF et l'État.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Madame la ministre, si vous aviez créé une taxe de 2 euros l'hectare tout en baissant de 12 % à 10 % le taux actuel, cela aurait été tout à fait cohérent. Le taux de 10 % se rapprocherait du taux du marché. Mais ce n'est pas du tout ce que vous proposez puisque votre dispositif consiste à additionner deux euros à un taux de 10 % !

Je sais que nous ne sommes qu'une petite minorité à être quelque peu forestiers, aussi, pour mes collègues qui ne le sont pas, j'indique que dans l'Est, une forêt bien gérée rapporte environ 100 euros par hectare et par an. Avec ce prélèvement de 2 euros, on va passer d'un taux de 12 % à un taux de 14 %. Certes, je partage votre avis, madame la ministre, quand vous dites qu'une contribution assise sur la superficie, sur l'hectare, est plus juste parce que cela permet une meilleure répartition, mais il faut baisser le taux. Ce n'est pas aux forêts de l'Est de financer les forêts du Sud.

M. Germinal Peiro. On ne peut pas dire ça !

M. Charles de Courson. Cela relève d'une politique nationale qui doit être financée directement par le budget de l'État.

Dernier point : je ne veux pas faire du juridisme, mais je m'interroge sur la constitutionnalité de ce nouvel impôt qui est en réalité une rémunération de services rendus. Je ne voudrais pas déposer une QPC pour faire sauter le dispositif, mais d'autres que moi pourraient y songer. Il faut être raisonnable ; et quand on s'écarte d'un taux de marché de 5 % à 6 %, c'est-à-dire de ce que demandent les opérateurs privés au titre des frais de garderie, ce n'est pas raisonnable.

Mme la présidente. La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Il faut rappeler que cette taxe ne concerne que les communes forestières, pas les personnes privées.

M. Charles de Courson. Mais les départements aussi !

M. Germinal Peiro. Je crois savoir que la Fédération nationale des communes forestières a fini par accepter le dispositif qui nous est proposé.

M. Louis Cosyns. Tout à fait !

M. Germinal Peiro. Monsieur de Courson, je ne peux pas suivre votre raisonnement lorsque vous dites qu'il n'appartient pas aux communes de l'Est de payer pour les communes du Sud. On finirait comme la Ligue du Nord, demandant la sécession d'une partie de la France au motif qu'elle ne voudrait pas payer pour les autres... Cela n'a pas de sens.

M. Charles de Courson. Mais ce n'est pas un service public !

M. Germinal Peiro. Ce qui compte, c'est de sauver le personnel de l'ONF et de préserver le travail qu'il accomplit. Je rappelle que l'ONF a perdu, au cours des dernières années, 643 emplois. Or il faut bien une politique nationale, et celle-ci va être financée par les communes propriétaires de forêts.

M. Charles de Courson. Ah bon ?

M. Germinal Peiro. Vous dites que dans le Sud, il n'y a pas de forêt, mais je suis l'élu d'un département, la Dordogne, troisième de France par sa superficie et dont le taux de boisement est de 43 % !

M. Charles de Courson. Et la productivité ?

M. Germinal Peiro. Les Landes sont couvertes de forêts, de même que toutes les communes du Massif central et des Pyrénées. Pour ma part, cela ne me choque pas que les communes forestières du Sud-Ouest, comme celles de l'Est, paient la même taxe qui ira dans un pot commun destiné à financer une vraie politique forestière dans ce pays.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. En réponse à ce débat qui se noue, je voudrais apporter quelques précisions. D'abord, à Louis Cosyns, en m'excusant de ne pas avoir répondu à sa question : oui, bien sûr, les 2 euros par hectare se comptent sur la durée du contrat d'objectifs et de moyens de l'ONF.

À M. Germinal Peiro, je signale que si 5 millions d'euros de profits sont escomptés de la nouvelle taxe de garderie, 46 millions d'euros viendront d'un effort supplémentaire de l'État et seront inscrits au budget pour 2012. Les communes ne se substituent pas à l'État, je le répète parce que je ne veux pas qu'on le dise.

M. Germinal Peiro. Ce n'est pas moi qui l'ai dit !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Non, mais je le reprécise pour que les termes du débat soient bien clairs. C'est sans doute pour cela aussi que la Fédération nationale des communes forestières a donné un avis favorable : les efforts en direction de la filière bois sont très importants et équitablement répartis.

L'argumentation de Charles de Courson me conduit à faire une autre remarque importante : le contrat d'objectifs et de moyens de l'ONF vise évidemment à mobiliser bien davantage la ressource bois des communes forestières, permettant ainsi à ces dernières d'exploiter beaucoup plus leur bois. Il me semble que l'objectif est d'exploiter 20 millions de mètres cubes de bois supplémentaires...

M. Louis Cosyns et M. Louis Giscard d'Estaing. 200 000 mètres cubes !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Pardon ? Non, c'est bien 20 millions de mètres cubes supplémentaires d'ici à 2020.

M. Charles de Courson. Cela fait à peu près 200 000 mètres cubes par an !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans ce cas, cela ne ferait que 2 millions de mètres cubes. Il y a un problème dans vos calculs. La direction du budget est toujours très ambitieuse pour les filières industrielles.

En tout cas, l'objectif est de mobiliser davantage les ressources en bois des communes et donc de leur faire gagner de l'argent in fine .

(L'amendement n° 7 est adopté.)

(L'amendement n° 8 est adopté.)

(L'article 48, amendé, est adopté.)

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120037.asp#P395_93519