M. Claude BELOT, rapporteur spécial

II. LE PROGRAMME 180 « PRESSE »

A. UNE RÉDUCTION NOTABLE DES CRÉDITS, DANS UN CONTEXTE DE RÉFORME DES DIFFÉRENTES AIDES DIRECTES

À périmètre constant, le projet de loi de finances pour 2014 propose pour le programme 180 « Presse » une dotation de 258,1 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP) , soit une réduction de 2,7 % par rapport à 2013. Cette évolution globale occulte cependant des évolutions contraires entre les deux actions du programme.

En effet, alors que les crédits de paiement dévolus aux relations financières de l'État et de l'Agence France Presse (action 1) progressent de 2,8 % , pour un montant de 123 millions d'euros, les ressources octroyées aux aides directes à la presse, hors transport postal (action 2) , régressent de 7,3 % par rapport à 2013 . L'action 2 est elle-même composée de plusieurs sous-actions détaillant les différents dispositifs d'aide ( cf. infra ).

Le principal enjeu de l'année 2014 pour le programme 180 « Presse » résidera dans la mise en oeuvre de la réforme des aides à la presse écrite, dont les modalités ont été annoncées en Conseil des ministres le 10 juillet 2013, et dans la clarification des relations financières entre l'État et l'AFP pour répondre à la plainte en cours d'examen par la Commission européenne.

B. UNE RÉFORME QUI VISE À RATIONALISER LES AIDES À LA PRESSE

La ministre de la culture et de la communication a présenté, le 10 juillet dernier, les grands axes de la réforme des aides de l'État à la presse écrite retenus par le Gouvernement, qui s'inspire des recommandations du rapport élaboré par le groupe de travail présidé par Roch-Olivier Maistre publié en avril 2013, sans toutefois les reprendre dans leur intégralité.

Le Gouvernement souhaite ainsi réorienter les aides à la presse sur deux objectifs principaux : aider à la mutation des outils et à la monétisation des contenus d'information pour accélérer l'émergence de modèles économiquement viables sur Internet ; garantir l'accès de tous , quelle que soit la forme de la presse, imprimée ou numérique, à une information diversifiée . De plus, il entend généraliser les conventions-cadres avec les principaux titres de presse et renforcer les engagements souscrits par les éditeurs (un malus sera ainsi introduit pour les éditeurs ne respectant pas les bonnes pratiques professionnelles).

La réforme s'articule autour de quatre piliers :

- le maintien du taux super réduit de TVA de 2,1 % pour l'ensemble des familles de presse écrite bénéficiant actuellement de ce taux . En contrepartie, celles-ci devront continuer à participer au financement solidaire du système de distribution de la presse caractérisant la filière depuis l'après-guerre. Par ailleurs, le Gouvernement a affirmé son souhait d'abaisser le taux de TVA des services de presse en ligne, mesure dont la mise en oeuvre sera soumise aux aléas des négociations avec les autorités européennes 2 ( * ) ;

- la réorientation des aides directes en faveur de la modernisation : la gouvernance du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) sera ouverte à des personnalités extérieures spécialistes de la transition numérique. Surtout, la priorité sera accordée aux projets mutualisés et technologiquement innovants ;

- la poursuite de la réforme de la diffusion de la presse ;

- une meilleure prise en compte de la dimension sociale du secteur, et notamment de la situation des vendeurs colporteurs de presse et des photojournalistes.

C. ...ET QUI A DES CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LE NIVEAU DES DOTATIONS DES DIFFÉRENTES AIDES EN 2014

1. Les aides à la diffusion : une réduction de 36 % par rapport à 2013

a) Une importante réduction de l'aide au transport postal

Bien que les crédits relatifs à l'aide au transport postal soient transférés cette année sur le programme 134 de la mission « Economie », votre rapporteur spécial a souhaité présenter leur évolution entre 2013 et 2014. À périmètre constant, cette aide s'élèvera à 150,5 millions d'euros en 2014, contre 249,4 millions d'euros en 2013 .

Cette forte baisse s'explique par :

- l'arrêt de la compensation du moratoire sur l'aide postale décidé en 2009, qui représentera une économie de 32 millions d'euros. Cette évolution, nécessaire mais douloureuse, suscite de fortes tensions entre le groupe La Poste et les éditeurs de presse sur la répartition du surcoût à payer. Par ailleurs, elle pénalisera particulièrement la presse spécialisée, dont les ventes se font presque exclusivement par abonnement, et qui ne recourt pas au portage ;

- la baisse tendancielle, prévue par les accords « Schwartz » 3 ( * ) , du besoin de compensation des tarifs postaux de près de 20 millions d'euros ;

- un ajustement de 50 millions d'euros correspondant à une fraction de l'impact du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sur la dotation versée par l'État au titre de l'aide au transport postal.

b) La suppression de l'aide au transport par le train

En 2014, il est mis fin à la participation de l'État au financement du plan de transport des quotidiens d'information politique et générale par le train, qui s'élevait à 4,5 millions d'euros en 2013 . Cette décision tient à la décroissance du nombre d'exemplaires acheminés par ce mode de transport.

c) Une relative stabilité de l'aide en faveur du portage de la presse

Le montant total de la dotation dédiée au fonds d'aide au portage de la presse sera de 36 millions d'euros en 2014 , contre 37,6 millions d'euros en 2013. Bien que ce montant soit inférieur à celui observé durant le plan triennal 2009-2011 (70 millions d'euros), la relative stabilité de la dotation entre 2013 et 2014 traduit la priorité accordée par le Gouvernement à ce mode de transport, qui constitue la voie d'avenir à l'inverse du transport postal . Toutefois, dans le sillage de son rapport d'information sur les aides à la presse 4 ( * ) , votre rapporteur spécial souligne que le maintien de la dotation devra s'accompagner d'une réforme du mode de calcul de cette aide, afin d'en augmenter l'efficacité et d'en réduire les effets d'aubaine .

D'après les informations communiquées à votre rapporteur spécial, une étude est en cours afin de calibrer les nouveaux paramètres de l'aide pour la rendre plus efficace.

d) Une budgétisation plus réaliste de l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse

Le coût en 2014 des exonérations de charges pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse est estimé à 21,2 millions d'euros, contre 17 millions d'euros en 2013. La révision à la hausse de ce montant tient compte d'une recommandation de la Cour des comptes, qui avait critiqué la sous-budgétisation récurrente du dispositif.

D'après les informations communiquées à votre rapporteur spécial, « l'estimation de l'exonération de charges patronales pour les vendeurs colporteurs et porteurs de presse a été recalée sur la dernière prévision de l'Agence centrale des organismes de sécurité social (ACOSS), soit 21,2 millions d'euros. Le coût pour 2014 de ces exonérations de charges a été revu à la hausse de façon importante par l'ACOSS, sur la base de prévisions prenant en compte une revalorisation annuelle probable du Smic et intégrant un rythme de croissance soutenu du nombre de journaux par porteur (+ 5 % par an) 5 ( * ) ».

Cette évolution du chiffrage contribue à renforcer la sincérité budgétaire .

2. Des aides au pluralisme globalement préservées

En 2014, les aides au pluralisme bénéficieront de 11,5 millions d'euros, contre 12 millions d'euros en 2013 .

Cette évolution tient à une réfaction de 0,5 million d'euros sur l'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires, afin de tenir compte de la disparition de France soir.

Au total, les aides au pluralisme ne représentent donc que 3 % des aides directes à la presse , alors que ce principe constitue la justification première du soutien public au secteur de la presse.

3. Les aides à la modernisation : une réduction de 13 %

a) L'aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale

Pour mémoire, cette aide, instaurée par l'article 135 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 vise à accompagner le processus de modernisation professionnelle et sociale engagée par la presse quotidienne nationale, régionale et départementale. Le montant de cette aide diminue fortement par rapport à 2013, puisqu'il passe de 19,7 millions d'euros à 12,6 millions d'euros. Il se répartit, d'une part, entre la presse quotidienne nationale (PQN), à hauteur de 4,4 millions d'euros, et, d'autre part, la presse quotidienne régionale (PQR) et la presse quotidienne départementale (PQD), à hauteur de 7,6 millions d'euros.

Le ministère de la culture et de la communication indique que « le calibrage des crédits de cette aide est difficile en raison de l'impact des différentes réformes des retraites sur son coût. En revanche, l'entrée dans le dispositif est close depuis le 31 décembre 2011 : les effectifs sont donc définitifs 6 ( * ) ». 0,6 million d'euros sont provisionnés en prévision de l'impact de la réforme des retraites.

b) Les aides à la modernisation des diffuseurs de presse

Cette aide est versée aux points de vente porteurs de projets visant à la modernisation de l'espace de vente et à leur informatisation. Son montant est stable entre 2013 et 2014 (4 millions d'euros).

c) L'aide à la distribution de la presse quotidienne

Cette aide est versée aux quotidiens nationaux d'information politique et générale qui la reversent de fait à Presstalis pour contribuer à sa restructuration. Le montant de l'aide sera reconduit en 2014 (19 millions d'euros).

d) Le fonds stratégique pour le développement de la presse

La dotation du fonds stratégique pour le développement de la presse diminue par rapport à 2013, passant de 33,5 à 30,9 millions d'euros (- 7,8 %). Votre rapporteur spécial s'étonne de la réduction de cette dotation, alors que le fonds a été présenté comme l'instrument central de modernisation et d'innovation du secteur de la presse .

Le tableau ci-dessous récapitule l'évolution des différentes aides entre 2013 et 2014.

Evolution des différentes aides à la presse entre 2013 et 2014 (en CP)

(en millions d'euros)

Types d'aides

2013

2014

Aides à la diffusion

308 425 620

207 727 519

Aide au transport postal

249 425 620

150 500 000

Réduction du tarif SNCF

4 500 000

0

Aide au portage

37 600 000

36 000 000

Exonération de charges patronales pour les vendeurs et colporteurs de presse

16 900 000

21 227 519

Aides au pluralisme

11 975 000

11 475 000

Aides aux quotidiens nationaux d'information politique et générale (IPG) à faibles ressources publicitaires

9 155 000

8 655 000

Aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'IPG à faibles ressources et de petites annonces

1 400 000

1 400 000

Aide à la presse hebdomadaire régionale

1 420 000

1 420 000

Aides à la modernisation

76 065 000

66 372 481

Aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'IPG

19 729 837

12 572 774

Aide à la modernisation de la distribution de la presse

18 850 000

18 850 000

Aide à la modernisation des diffuseurs de presse

4 000 000

4 000 000

Fonds stratégique pour le développement de la presse

33 485 163

30 949 707

Total

396 465 620

285 575 000

Source : commission des finances, d'après les données des projets annuels de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » des années 2013 et 2014

4. Un dispositif de performance amélioré

Votre rapporteur spécial se félicite de l'introduction en 2014, dans le dispositif de mesure de la performance, d'un nouvel indicateur dédié à l'évolution de l'audience des services de presse en ligne . Cet ajout est positif et complète utilement le dispositif, dans la mesure où le développement de la presse en ligne prend de plus en plus d'importance dans le secteur de la presse.

Par ailleurs, l'indicateur 2.1 « Diffusion de la presse » est modifié pour apporter davantage de lisibilité sur les évolutions relatives à la presse payante « éditeur » d'une part, et à la seule presse d'IPG d'autre part, ce dernier ensemble étant défini au sens large, en incluant les quotidiens d'information gratuits et les magazines hebdomadaires.

Enfin, l'indicateur 4.2 « Part de l'aide publique globale accordée à la presse d'IPG » est doté d'un troisième sous-indicateur relatif à l'aide au transport postal. Cette évolution est certes positive, mais paraît contradictoire avec le transfert des crédits afférents sur le programme 134 de la mission « Economie » .

D. L'AGENCE FRANCE PRESSE : LA PRÉPARATION D'UN NOUVEAU CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE MOYENS

La subvention allouée par l'État à l'Agence France Presse (AFP), tant au titre des abonnements que de la compensation de ses missions d'intérêt général, est fixée à 123 millions d'euros en 2014, soit une hausse de 2,8 % par rapport à 2013.

Le prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et l'AFP doit entrer en vigueur en 2014 . Il précisera les modalités de calcul du coût net engendré par l'exécution des missions d'intérêt général. La distinction entre les missions d'intérêt général fixées par le COM et compensées par subvention de l'État, d'une part, et les abonnements de l'État, prévus par la loi et souscrits à titre commercial d'autre part, doit permettre de clore de façon satisfaisante la plainte engagée devant la Commission européenne pour aide d'État.

La discussion a été lancée à l'été 2013, et les axes stratégiques sont en cours d'examen . Ils devront prolonger les efforts déjà réalisés par l'Agence pour rénover ses modes et moyens de fonctionnement. Ils devraient comprendre l'objectif d'un renforcement de l'AFP sur certains supports (vidéo, infographie), ainsi que de la production multimédia (joignant texte, image et vidéo).

Votre rapporteur spécial relève par ailleurs que le Gouvernement a nommé le député Michel Français parlementaire en mission sur l'AFP. Sa mission consiste à identifier les voies législatives, réglementaires et financières permettant à l'Agence de mener à bien sa stratégie de développement et d'innovation, dans le respect des objectifs de redressement des comptes publics et du droit européen de la concurrence.

La procédure communautaire en cours concernant les relations financières de l'État et de l'AFP

La direction générale (DG) de la concurrence de la Commission européenne enquête depuis début 2010 sur le financement de l'Agence France Presse (AFP) par l'État. Cet intérêt fait suite à une plainte adressée à la Commission européenne par l'Agence de presse allemande « DAPD Nachrichten » le 22 février 2010 alléguant que la France aurait accordé des aides d'État à l'Agence France Presse.

En août 2011, la DG concurrence a informé les autorités françaises de ses « conclusions provisoires » selon lesquelles les souscriptions annuelles du Gouvernement ne constitueraient pas une contrepartie justifiée des abonnements fournis à l'État et constitueraient une aide d'État. Elle a cependant esquissé une voie de résolution consistant pour l'État à confier explicitement à l'AFP des missions d'intérêt général, les sommes versées à l'AFP constituant alors pour partie la compensation du coût de ces missions et, pour le reste, la contrepartie des abonnements des services de l'État.

Le Gouvernement a depuis lors poursuivi, en lien avec la direction générale de la concurrence, le travail sur la définition des missions d'intérêt général confiées à l'AFP par l'État et de leur mode de compensation.

Parallèlement, la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l'AFP a été modifiée ; l'article 100 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives a introduit à l'article 13 de la loi du 10 janvier 1957, parmi les ressources de l'AFP, la compensation par l'État du coût net des missions d'intérêt général de l'AFP définies aux articles 1 et 2 de la loi. Cette modification des statuts de l'AFP prévoyant dorénavant deux modes de financement de l'agence par l'État a été notifiée à la Commission.

Le 8 mai 2012, celle-ci a adressé à la France un courrier sur la base de l'article 17§2 du règlement n° 659/1999/CE dit « règlement de procédure », dans lequel elle confirme ses conclusions préliminaires :

- le financement de l'AFP par l'État est qualifiable d'aide d'État au sens de l'article 107§1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;

- ce financement pourrait être considéré comme une compensation de service public au sens de l'article 106§2 du TFUE relatif aux services d'intérêt économique général si des missions d'intérêt général (MIG) peuvent clairement être dégagées des statuts de l'AFP.

Source : réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial

Par ailleurs, la réforme du statut de l'AFP est pour le moment reportée . En effet, il importe avant toute chose de mener à bien la mise en oeuvre des nouvelles modalités de contribution de l'État à l'accomplissement des missions d'intérêt général de l'AFP, ainsi que la mise en conformité du montant de l'abonnement des services de l'État aux dépêches de l'AFP, dans le cadre d'une renégociation de la convention commerciale, qui devrait aboutir d'ici la fin de l'année ou en début d'année 2014 .


* 2 Sur ce point, le communiqué de presse du Conseil des ministres indique que « l'intensification des échanges avec nos partenaires européens et la Commission européenne pour que cette dernière intègre les services de presse en ligne dans la réouverture des discussions sur la directive relative à la TVA qu'elle doit proposer avant la fin de l'année permettra une décision formelle en 2014 ».

* 3 Les accords Schwartz couvrent la période 2009-2015. Ces accords tripartites entre l'État, la presse et La Poste prévoient l'engagement réciproque de chacune des parties sur des évolutions progressives et programmées : hausse de la productivité de La Poste, hausse des tarifs acquittés par les éditeurs de presse et baisse de la compensation de l'État versée à La Poste.

* 4 « Quelle réforme des aides de l'État à la presse écrite ? », rapport d'information n° 853, 2012-2013.

* 5 Source : réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial.

* 6 Source : réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial.