M. Eric BOCQUET, rapporteur spécial

ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 304 « LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : REVENU DE SOLIDARITÉ ACTIVE ET EXPÉRIMENTATIONS SOCIALES »

La maquette du programme n° 304 est stable par rapport à 2013, où elle avait connu d'importantes modifications. Elle comprend cinq actions :

- une action n° 11 « Revenu de solidarité active » , qui porte la subvention d'équilibre de l'Etat au FNSA permettant le financement, notamment, de la partie « activité » du RSA ;

- une action n° 12 « Économie sociale et solidaire » qui correspond à un fonds d'expérimentations en faveur des projets d'économie sociale et solidaire ;

- une action n° 13 « Autres expérimentations » , qui finance des pratiques innovantes en matière de lutte contre la pauvreté ;

- une action n° 14 «  Aide alimentaire » , qui permet essentiellement l'achat de denrées alimentaires et le soutien à certains acteurs de l'aide alimentaire ;

- une action n° 15 « Qualification en travail social » , qui finance des actions de développement pédagogique et de professionnalisation du secteur du travail social.

En pratique, la subvention d'équilibre au FNSA représente l'essentiel des crédits du programme, d'autant plus que cette subvention connaît en 2014 une importante augmentation.

Répartition des crédits de paiement pour 2014 du programme 304

Source : commission des finances

A. UNE SUBVENTION D'ÉQUILIBRE AU FNSA EN FORTE HAUSSE

1. Des dispositifs stables

Le programme n° 304 porte, à travers son action n° 1, la subvention d'équilibre de l'Etat au fonds national des solidarités actives (FNSA) . Ce fonds finance cinq prestations :

- la partie « activité » du revenu de solidarité active (RSA) , la partie « socle » étant financée par les départements ;

- le RSA jeunes ;

- le RSA des départements d'outre-mer (y compris Mayotte) ;

- l' aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE) ;

- les aides de fin d'année versées aux allocataires du RSA ;

Par ailleurs, le FNSA comprend également un financement spécifique permettant de compenser les frais de gestion occasionnés par le versement de l'allocation pour les caisses d'allocations familiales (CAF), qui en sont chargées.

Cependant, la subvention d'équilibre portée par le présent programme ne représente qu'une part minoritaire des ressources du FNSA . Le fonds est, en effet, principalement alimenté par un prélèvement de solidarité sur les revenus de patrimoine et les produits de placement , dont le taux a été porté à 1,45 % par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Cette année, ce taux est abaissé à 1,37 % par l'article 39 du projet de loi de finances ; en effet, il s'agissait de compenser la hausse de son assiette résultant de l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale sur la fiscalité des produits d'épargne, qui devait bénéficier à hauteur de 109 millions d'euros au FNSA. Toutefois, le Gouvernement ayant annoncé son intention de supprimer cet article du PLFSS, l'abaissement du taux du FNSA créé un « trou » dans les ressources du FNSA pour 2014.

2. Une modeste revalorisation plutôt qu'une réforme structurelle du RSA activité

La principale prestation financée par le FNSA est la partie « activité » du RSA . En effet, le RSA est une allocation qui combine revenu minimum et complément des revenus d'activité pour les travailleurs pauvres. L'objectif en est de garantir que le retour à l'emploi se traduise, pour la personne concernée, par un gain monétaire par rapport à la situation antérieure où elle ne touchait que le « RSA socle ».

Le revenu de solidarité active se décompose ainsi en deux parties :

- le RSA « socle » , qui correspond au revenu minimum, soit un montant forfaitaire, fixé au regard de la configuration familiale conformément au tableau ci-dessous, versé aux personnes sans ressources.

- le RSA « activité » , qui est un complément des revenus du travail pour garantir aux travailleurs la progression de leurs revenus d'activité. Il correspond à 62 % des revenus d'activité.

Le montant du RSA versé correspond ainsi au montant forfaitaire du RSA socle, augmenté de 62 % des revenus d'activité du foyer, et diminué des ressources du foyer. Par exemple, le RSA versé à une personne seule gagnant 300 euros par mois sera de 378,90 euros (492,90 euros + 62 % de 300 euros - 300 euros), s'ajoutant à ses revenus d'activité.

Montant du « RSA socle » au 1 er septembre 2013

Situation

Montant du RSA socle (au 1 er janvier 2012)

Personne seule

474,93 euros

Personne seule avec enfant

712,40 euros

Couple sans enfant

712,40 euros

Le financement du RSA est réparti entre les départements et l'Etat :

- les départements sont responsables, au titre de leur compétence en matière d'insertion sociale, du financement du revenu minimum garanti (« RSA socle ») ;

- l'Etat prend en charge, par le biais du FNSA, le financement de la part du RSA complétant les revenus du travail et visant à garantir la progression des ressources du bénéficiaire en cas de reprise d'activité (« RSA activité »).

De façon générale, le nombre de bénéficiaires du RSA (socle et activité) a progressé, passant de 1,8 million de personnes en décembre 2010 à 2,5 millions de personnes à la fin de l'année 2013, d'après l'évaluation du Gouvernement transmise à votre rapporteur spécial.

En revanche, le nombre de bénéficiaires du RSA « activité » n'a pas atteint l'objectif qui lui avait été initialement assigné , soit 2 millions de travailleurs pauvres. Ainsi, au 30 septembre 2012, on dénombrait seulement environ 720 000 allocataires du RSA « activité » , dont 489 000 pour le RSA « activité seul » et 231 000 pour le RSA « activité et socle ». Cette stagnation du nombre de bénéficiaires résulte du phénomène du « non-recours » à la prestation, estimé à environ 68 % des bénéficiaires potentiels du dispositif, qui s'explique par différents facteurs (stigmatisation, complexité, variation des revenus, etc.).

Le plan pluriannuel a repris ce constat de l'important non-recours au RSA « activité » et a confié à notre collègue député Christophe Sirugue une mission sur le sujet. Le rapport de ce dernier, remis le 15 juillet dernier et portant sur la « réforme des dispositifs de soutien aux revenus d'activité modestes », préconise notamment une fusion, au sein d'une nouvelle « prime d'activité », des dispositifs du RSA « activité » et de la prime pour l'emploi (PPE) qui ont l'un et l'autre pour objectif d'apporter un complément de ressources aux personnes qui tirent de faibles revenus de leur activité professionnelle. Ces deux dispositifs sont déjà articulés aujourd'hui, puisque le montant de RSA « activité » perçu par un foyer vient en déduction de la PPE due (la PPE est dite « résiduelle ») ; d'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, cela concernerait 600 000 foyers, pour un montant total d'environ 200 millions d'euros. En outre, le barème de cette dernière a été gelé.

Comme Christophe Sirugue l'a souligné devant la commission élargie de l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier, « il est urgent de simplifier et mieux cibler ces deux dispositifs en les fusionnant en une seule prime d'activité qui permettra d' ouvrir le dispositif aux personnes qui, bien qu'éligibles, n'y recourent pas, ainsi qu'aux jeunes ». Votre rapporteur spécial partage entièrement cette préconisation et souhaite que ce chantier soit engagé sans tarder, pour une pleine application dans le cadre de la prochaine loi de finances . C'est ce qu'a semblé indiquer Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, lors de cette même commission élargie, en rappelant que l'arbitrage sur la réforme « aura lieu dans le cadre de l'élaboration du plan triennal 2015-2017, afin que le dispositif soit opérationnel au début de 2015 ».

En attendant cette réforme globale du dispositif du RSA « activité », le Gouvernement a mis en oeuvre la revalorisation du montant du RSA avec une augmentation exceptionnelle de 2 % de son montant au 1 er septembre 2013. D'après Marie-Arlette Carlotti lors de la commission élargie précitée, « il y avait un dangereux décrochage du RSA socle par rapport au SMIC ». Tout en approuvant pleinement cette revalorisation du RSA, votre rapporteur spécial souligne qu'elle ne doit pas masquer l'urgence d'une réforme globale du RSA « activité ».

3. L'augmentation des dépenses du FNSA, financée par l'Etat

Les dépenses du FNSA sont prévues, pour 2014, à 2 384 millions d'euros, en augmentation de 6,3 % par rapport à 2013 . Comme l'illustre le tableau suivant, cette augmentation est portée par les deux principaux postes de dépenses du fonds : le RSA « activité » d'une part (+ 8,7 %) et la prime de Noël d'autre part (+ 4,2 %).

Répartition et évolution des dépenses du FNSA

(en millions d'euros)

Budget 2013 du FNSA

PLF 2014

Évolution

RSA « activité »

1 529

1 662

+ 8,7 %

RSA jeunes

25

26

+4 %

RSA DOM, Mayotte et RSTA

179

148

- 17,3 %

Prime de Noël

457

476

+ 4,2 %

APRE

15

35

+ 133,3 %

Frais de gestion

37

37

-

Total

2 242

2 384

+ 6,3 %

Source : réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial

Répartition des dépenses prévisionnelles pour 2014 du FNSA

Source : Commission des finances

S'agissant du RSA « activité », l'augmentation des dépenses prévisionnelles (+ 133 millions d'euros) est la résultante de trois phénomènes :

- un effet-volume , qui est lié à l'augmentation régulière normale d'environ 2 % du nombre de bénéficiaires ;

- un effet-prix , en raison de l'augmentation du montant du RSA (première tranche de la revalorisation exceptionnelle du RSA au 1 er septembre 2013, augmentation normale à hauteur de l'inflation au 1 er janvier 2014 et nouvelle tranche de la revalorisation au 1 er septembre 2014) ;

- un effet-champ , qui résulte de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du fait de cette revalorisation, qui fait entrer dans le champ du RSA des personnes dont les revenus étaient auparavant supérieurs à son montant.

S'agissant des crédits spécifiques aux départements d'outre-mer, la baisse globale de la dotation est liée au transfert des crédits du revenu supplémentaire temporaire d'activité, désormais disparu, vers le RSA « activité » de droit commun. Le RSA DOM, en lui-même, se révèle moins dynamique que les prévisions initiales, ce qui explique que la dotation 2014 (148 millions d'euros), soit légèrement inférieure à celle prévue pour 2013 (153 millions d'euros).

Le RSA « jeunes » , qui s'adresse aux jeunes majeurs de moins de vingt-cinq ans ayant exercé une activité professionnelle pendant au moins trois années, est toujours caractérisée par une stagnation de la dépense, autour de 26 millions d'euros, qui traduit en pratique une baisse du nombre de bénéficiaires : en mars 2013, seuls 8 470 personnes bénéficiaient du RSA « jeunes », contre 9 420 en mars 2012. L'inadéquation des critères du RSA « jeunes » avec la réalité de la précarité d'une partie de la jeunesse semble donc se confirmer. A cet égard, Marie-Arlette Carlotti a indiqué devant la commission élargie précitée que « dans le cadre de la réforme du RSA activité et de la prime pour l'emploi [le Gouvernement a] prévu [...] d' intégrer les jeunes à partir de dix-huit ans , de manière à ne pas les abandonner sur le bas-côté du chemin ».

En outre, le FNSA finance également les aides de fin d'année (« prime de Noël ») pour l'ensemble des bénéficiaires du RSA mais aussi, depuis 2013, de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), de l'allocation équivalent retraite (AER) et de l'allocation temporaire de solidarité (ATS). Cela représente une dépense totale de 476 millions d'euros en 2014 , en légère augmentation de 4,2 % par rapport à 2013 en raison de l'augmentation du nombre de bénéficiaires, le montant individuel restant stable à 152,45 euros pour une personne seule .

Enfin, le FNSA finance l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE) , coup de pouce permettant de lever des obstacles à la reprise d'activité pour les bénéficiaires du RSA. Cette dépense est prévue à 35 millions d'euros en 2014, contre 15 millions d'euros en 2013 . Toutefois, cette augmentation apparente de la dotation masque une baisse de l'enveloppe réellement disponible : en effet, en 2013, l'enveloppe était prévue à 75 millions d'euros, dont 15 millions d'euros de dotation nouvelle et 60 millions d'euros de reliquats des années précédentes. En 2014, d'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, ces reliquats sont épuisés , si bien que l'enveloppe est, en pratique, divisée par deux par rapport à la consommation constatée des trois derniers exercices. Votre rapporteur spécial ne peut approuver une telle diminution pour une prestation dont il a pu, à l'occasion de son contrôle budgétaire, constater l'utilité, voire le besoin, sur le terrain. Cette baisse de dotation remet largement en question les pistes de réforme envisagées par lui et par le ministère pour ce dispositif.

4. Un financement incertain

Comme il a été précédemment indiqué, la subvention de l'Etat au FNSA portée par le présent programme est minoritaire par rapport à la contribution additionnelle , dont le taux est abaissé de 1,45 % à 1,37 % par le présent projet de loi de finances mais dont l'assiette devait être élargie par le projet de loi de financement de la sécurité sociale, jusqu'à une annonce récente du Gouvernement.

A ce sujet, Marie-Arlette Carlotti a indiqué devant la commission élargie précitée que « la perte anticipée de recettes liée à la décision de ne pas soumettre les PEL et les PEA à la contribution sociale abondant ce fonds ne devrait pas être trop élevée - je ne sais pas exactement à combien elle s'élèvera puisqu'elle est en train d'être chiffrée ». Elle devrait s'établir autour de 100 millions d'euros .

Or, la trésorerie du FNSA est aujourd'hui complètement asséchée, les importantes réserves accumulées lors des premières années de surbudgétisation du RSA activité étant épuisées depuis l'exercice 2012 : ainsi, l'excédent de trésorerie, qui était de 999 millions d'euros en 2010 et de 477 millions d'euros en 2011, est de seulement 39,6 millions à la fin de l'exercice 2012 , soit un niveau incompressible au regard du volume du fonds - le Gouvernement estime ainsi, dans sa réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, qu'un montant de 50 millions d'euros est un « seuil minimal à conserver pour garantir les premiers versements de l'année n+1 ».

En outre, en 2013, la contribution additionnelle a présenté un rendement significativement inférieur aux prévisions . En effet, au 30 juin 2013, le rendement de la contribution additionnelle s'élève à 296 millions d'euros, contre 340,9 millions d'euros sur la même période malgré la majoration de 0,35 point de son taux. Globalement, sur l'exercice 2013, le rendement de la taxe devrait être revu à la baisse à 1 809 millions d'euros , contre 1 884 millions d'euros dans l'EPRD initial du FNSA.

Dans ce contexte, la forte augmentation de la subvention d'équilibre de l'Etat, qui passe de 373 millions d'euros en 2013 à 544 millions d'euros en 2014 (+ 171 millions d'euros, soit + 45,8 %) risque d'être insuffisante pour couvrir les besoins du FNSA . L'année 2014 pourrait ainsi marquer le passage d'une sur-budgétisation traditionnelle du programme à une sous-budgétisation qui risque de se prolonger lors des prochains exercices , sous l'effet combiné de la stabilité de la ressource affectée et de la poursuite de la revalorisation du montant de l'allocation.

B. DES ACTIONS COMPLÉMENTAIRES GLOBALEMENT INCHANCHÉES

A côté de la subvention d'équilibre du FNSA, le programme 304 finance quatre actions dont les crédits sont relativement stables par rapport à 2013.

Comme en 2013, les crédits d'expérimentations restent essentiellement tournés vers l'économie sociale et solidaire, à hauteur de 5 millions d'euros pour l'action n° 12 contre moins d'un million d'euros pour l'action n° 13 consacrée aux « autres expérimentations », qui, d'après le projet annuel de performances, « doivent permettre le soutien à des pratiques innovantes portées soit par le secteur social, et notamment les acteurs associatifs, soit par les services concentrés oeuvrant dans le champ de la lutte contre la pauvreté et de la cohésion sociale ». La faiblesse de cette ligne budgétaire pose la question à la fois de sa pertinence et de la justification du maintien des crédits d'expérimentations en économie sociale et solidaire au sein de la présente mission , au moment où le projet de loi actuellement débattu par le Parlement devrait orienter cette politique davantage vers la mission « Economie » du budget général.

L'action n° 14 relative à l' aide alimentaire permet l'achat de denrées alimentaires , effectué par France AgriMer dans le cadre du programme national d'aide alimentaire, au profit des réseaux associatifs. Elle assure également une partie du financement des associations intervenant dans ce domaine. Si la dotation de 23,4 millions d'euros pour 2014 est stable par rapport à 2013, elle ne représente en pratique qu'une petite partie de l'effort public en la matière, qui est essentiellement assuré par les fonds européens . Le programme européen d'aide aux plus démunis expire en 2013 et est transformé, à partir de 2014, en fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) pour la période 2014-2020. Or, sa mise en place et, partant, le montant de son versement aux associations françaises ne sont pas encore finalisés. Comme l'a souligné Marie-Arlette Carlotti devant la commission élargie de l'Assemblée nationale, « les discussions sont en cours au sein de l'Union européenne. Le montant de la dotation française n'est pas fixé (...) mais tout laisse à penser qu'il sera identique à celui des années précédentes », soit environ 75 millions d'euros par an . Au regard de la progression des situations de pauvreté en France, la moindre diminution de dotation européenne devra impérativement être compensée par un abondement des crédits du programme 304 en cours de gestion .

Enfin, le présent programme finance, à hauteur de 2 millions d'euros, une action n° 16 de qualification en travail social, qui correspond à l'organisation des diplômes en travail social pour les professionnels du secteur, assurée par la direction générale de la cohésion sociale. Cette action est stable par rapport à 2013.