M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial

SECONDE PARTIE :
UNE NORMALISATION BUDGÉTAIRE ARTIFICIELLE

L'exposé des motifs de l'article 56 du projet de loi de finances pour 2017, rattaché à la présente mission, indique que « pour tenir compte des recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport public thématique sur les programmes d'investissements d'avenir, les crédits de paiement versés aux opérateurs du PIA 3 seront autorisés annuellement au sein du budget général ». La création d'une mission dédiée au troisième programme d'investissements d'avenir serait donc une réponse aux critiques de la Cour des comptes et permettrait de « rapprocher le mode de budgétisation du PIA 3 des règles budgétaires de droit commun ».

En réalité, la création d'une mission budgétaire ne règle aucun des problèmes de fond soulevés par la Cour des comptes et par le Parlement . Les règles du droit budgétaire continueront de ne pas être appliquées aux crédits du programme d'investissements d'avenir et cette simple modification de la maquette budgétaire n'évitera pas les problèmes rencontrés lors des précédents programmes. Le suivi des dépenses, loin d'être simplifié, sera rendu plus complexe par le chevauchement des décaissements du budget général avec ceux des opérateurs.

I. LA CRÉATION D'UNE MISSION DÉDIÉE AU PIA 3 : UNE NORMALISATION BUDGÉTAIRE TRÈS LIMITÉE

Le Gouvernement argue du fait qu'en créant une mission dédiée aux investissements d'avenir, il améliore le suivi des dépenses du programme et répond aux critiques formulées à la fois par le Parlement et la Cour des comptes en matière de lisibilité des dépenses et de conformité au droit budgétaire.

Pourtant, le projet annuel de performances de la mission « Investissements d'avenir » ne présente presque aucune information relative à la gestion budgétaire des crédits de la mission, et pour cause : contrairement aux allégations du Gouvernement, la création d'une mission dédiée n'entraîne pas une réelle normalisation budgétaire du troisième programme d'investissements d'avenir et ne répond en rien aux recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport public thématique.

A. L'ABSENCE DE LIEN DIRECT ENTRE LA CRÉATION D'UNE MISSION BUDGÉTAIRE ET LES RECOMMANDATIONS FORMULÉES PAR LA COUR DES COMPTES

Selon le Gouvernement, la création d'une mission budgétaire dédiée aux investissements d'avenir vise à « tenir compte des recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport public » . Il ne paraît donc pas inutile de rappeler la nature exacte de ces recommandations.

Les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport public thématique relatif au programme d'investissements d'avenir

1. Pour assurer une meilleure compréhension et une plus grande transparence des résultats du PIA, mieux définir les données budgétaires et financières, en particulier les montants disponibles pour financer les opérations, la mesure de l'avancement du programme, la définition de l'effet de levier et des cofinancements, la comptabilisation des retours financiers ;

2. Définir les conditions de retour sur investissement adaptées aux types et aux tailles des projets, dès les appels à projets et les décisions d'engagements ;

3. Élargir le périmètre des normes de dépenses aux décaissements annuels effectués par les opérateurs dans le cadre de la mise en oeuvre du PIA (dotations consommables et intérêts versés au titre des dotations non consommables) ;

4. Clarifier rapidement le devenir des dotations non consommables des Idex et des Labex afin de ne pas créer d'engagements de dépenses budgétaires pour l'État sans limitation de durée ;

5. Proscrire le recours à des opérateurs « écrans » dont l'intervention est sans utilité par rapport à la gestion budgétaire habituelle des opérations concernées ;

6. Organiser le pilotage interministériel et transversal du PIA ;

7. Poursuivre la simplification des procédures de sélection, de décision et de gestion des opérations, en les adaptant mieux à la taille et à l'objet des actions financées ;

8. Créer une instance d'évaluation du PIA, interministérielle et indépendante.

Source : Cour des comptes, rapport public thématique relatif aux investissements d'avenir

Les recommandations, au nombre de huit, n'évoquent pas la création d'une mission .

La seule référence à la maquette budgétaire fait suite à un développement sur la norme de dépenses 39 ( * ) . En effet, la Cour des comptes indique que « la prolongation du PIA, ainsi que les débudgétisations de plus en plus importantes auxquelles il donne lieu, rendent désormais injustifiées certaines de ses spécificités, en particulier la gestion extrabudgétaire de ses crédits et son exclusion de la norme de dépense du budget général ». Elle propose donc d'élargir le périmètre des normes de dépenses aux décaissements annuels effectués par les opérateurs dans le cadre de la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir (dotations consommables et intérêts versés au titre des dotations non consommables).

Au total, les véritables critiques de la Cour des comptes portaient sur deux points précis : la gestion extrabudgétaire des crédits et l'exclusion des décaissements du PIA de la norme de dépenses du budget général.

Or, sur ces deux sujets, la création d'une mission n'apporte aucune amélioration .

B. LE MAINTIEN D'UNE GESTION EXTRABUDGÉTAIRE ET DE L'EXCLUSION DE LA NORME DE DÉPENSES

La normalisation budgétaire mise en avant par le Gouvernement est, dans le meilleur des cas, extrêmement limitée .

Il semble que les décaissements des opérateurs continueront de ne pas être intégrés à la norme de dépenses , contrairement aux recommandations de la Cour des comptes formulées dans son rapport précité. En effet, la question de la prise en compte des décaissements des opérateurs dans la norme de dépenses n'est évoquée ni dans le rapport spécial de la mission, ni dans le projet de loi de finances pour 2017, ni dans les documents qui lui sont annexés. Il n'est pas illogique qu'aucune réponse n'ait été apportée dans la mesure où le Gouvernement n'a budgété en 2017 aucun des crédits de paiement sur lesquels une telle norme pourrait s'appliquer.

En outre, la gestion des crédits demeurera extrabudgétaire , les modalités de gouvernance des précédents programmes étant, pour l'essentiel, reconduites : les fonds seront mis à disposition d'organismes gestionnaires du programme d'investissements d'avenir qui auront la charge d'effectuer les décaissements au fur et à mesure de l'avancement des projets. Il faut donc distinguer le décaissement prévisionnel, par l'État, de 2 milliards d'euros chaque année, des dépenses versées par les opérateurs aux projets sélectionnés. En d'autres termes, les mouvements retracés par le budget général ne correspondront aucunement à la réalité des dépenses effectuées par les organismes gestionnaires .

Enfin, la mise en réserve ne s'appliquera pas aux crédits du troisième programme d'investissements d'avenir .

Au total, aucune des règles budgétaires de droit commun ne s'appliquera à la mission : la « normalisation » mise en avant par le Gouvernement comme une réponse aux critiques formulées par le Parlement et par la Cour des comptes est inexistante.

C. UNE NOUVELLE MISSION QUI N'INDIQUE PAS CLAIREMENT À QUELLES POLITIQUES PUBLIQUES CONCOURENT LES PROJETS MIS EN oeUVRE

En outre, la question du respect de la loi organique relative aux lois de finances doit être posée . Celle-ci prévoit en effet à son article 7 qu'une mission « comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». La seule exception à ce principe, définie dans le même article, est celle des crédits des pouvoirs publics : bien qu'ils ne forment pas à proprement parler une politique publique définie, la loi organique relative aux lois de finances prévoit leur regroupement dans une mission budgétaire.

Or il est clair que les crédits du troisième programme d'investissements d'avenir ne constituent pas une « politique publique définie » , à moins de considérer que l'investissement en faveur de projets innovants suffit à définir une politique publique - une conception iconoclaste qui entraînerait, à n'en pas douter, d'importantes réorganisations de la maquette budgétaire de l'État.

Au contraire, ces crédits concourent à un ensemble divers de politiques publiques , en particulier celles portées par les missions « Recherche et enseignement supérieur » et « Économie » - comme en témoigne d'ailleurs la convergence des dispositifs de performance entre les programmes et les missions précitées. À titre d'exemple, l'objectif 2 « Intégrer et soutenir l'excellence de la recherche et de l'enseignement supérieur » du programme 421 « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche » est extrêmement proche de l'objectif 3 « Produire des connaissances scientifiques au meilleur niveau international » du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

La reprise d'indicateurs identiques n'est pas forcément choquante si elle traduit la similitude des buts poursuivis par les deux programmes. C'est d'ailleurs cette convergence - qui n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'additionnalité - qui explique le choix fait en 2010, lors du lancement du premier programme d'investissements d'avenir, de constituer des programmes PIA à l'intérieur des missions auxquelles concouraient les crédits.

En revanche, le caractère identique des mesures de performance entre les programmes de la mission PIA et d'autres programmes budgétaires est plus surprenant au regard du choix fait de présenter les crédits dans une mission autonome qui est censée regrouper les moyens en faveur d'une « politique publique définie ».

Le choix de réunir les crédits au sein d'une nouvelle mission, sous couvert d'une réponse aux critiques formulées par la Cour des comptes, présente en réalité un avantage plus subtil : celui de ne pas avoir à indiquer clairement les politiques publiques auxquelles se rattachent les projets prévus . Cette indétermination permet au Gouvernement d'afficher un montant de 60 % des crédits en faveur du développement durable, alors qu'une présentation plus claire aurait fait apparaître que les montants réellement consacrés aux enjeux écologiques sont nettement plus faibles (cf. infra) .


* 39 Pp.102 et 103 du rapport : « Mais l'existence d'un PIA2 et l'annonce d'un PIA3 changent la nature même du programme qui était censé être exceptionnel, bénéficiant donc de moyens et de procédures également exceptionnels. La prolongation du PIA, ainsi que les débudgétisations de plus en plus importantes auxquelles il donne lieu, rendent désormais injustifiées certaines de ses spécificités, en particulier la gestion extrabudgétaire de ses crédits et son exclusion de la norme de dépense du budget général, qui en est une des conséquences. [...] Rien n'empêcherait que le PIA3 prenne la forme, au sein du budget de l'État, d'un nouveau programme budgétaire, placé sous la responsabilité du Premier ministre, pour lui conserver sa dimension interministérielle, et non soumis aux pratiques de régulation infra-annuelle des crédits ».