M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial

III. ZÉRO CRÉDIT DE PAIEMENT EN 2017 : UNE ASTUCE DE BUDGÉTISATION QUI FRAGILISE LE BON DÉROULEMENT DU PIA 3

Le Gouvernement a annoncé le lancement en 2017 du troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3) pour un montant de 10 milliards d'euros . En réalité, aucune dépense ne sera effectuée en 2017 . Ce programme ne sera doté de crédits de paiement qu'à partir de 2018 et seules des autorisations d'engagement sont budgétées pour 2017 : ce mode de budgétisation présente l'avantage, pour le Gouvernement, de pouvoir afficher un effort important en faveur de l'investissement sans en assumer les conséquences budgétaires , en particulier en matière de déficit. Cette astuce de budgétisation, qui rompt avec les deux premiers programmes d'investissements d'avenir, confère à la mission « Investissements d'avenir » un caractère artificiel et ne protège pas le troisième programme d'investissements d'avenir d'éventuelles « coupes » budgétaires .

A. UNE DÉPENSE BUDGÉTAIRE INEXISTANTE EN 2017, QUI NE PÈSERA SUR LE DÉFICIT QU'À COMPTER DE 2018

Aucun crédit de paiement n'est alloué à la mission « Investissements d'avenir » en 2017 : le Gouvernement s'attribue le mérite d'un programme d'investissement sans en assumer le coût budgétaire.

1. Zéro euro dépensé en 2017 pour le troisième programme d'investissements d'avenir

Aucun crédit de paiement n'est budgété en 2017 sur la mission « Investissements d'avenir ». Seules des autorisations d'engagement sont prévues, à hauteur de 10 milliards d'euros.

Cela signifie que la mise en oeuvre du troisième programme d'investissements d'avenir n'aura un impact sur le déficit budgétaire qu'à partir de 2018 .

Il ne s'agit certes pas de la seule dépense que le Gouvernement affiche tout en reportant son coût budgétaire sur les exercices postérieurs à 2017 37 ( * ) . Mais les montants en jeu sont particulièrement importants puisqu'ils s'élèveront au total à 10 milliards d'euros sur les années 2018 à 2022, soit près de 15 % du déficit budgétaire prévu pour 2017.

La double budgétisation en autorisations d'engagement
et en crédits de paiement

Les autorisations d'engagement sont engagées au moment où la dépense est rendue certaine, tandis que les crédits de paiement ne sont décaissés qu'au moment où le paiement effectif intervient. Par exemple, dans le cadre d'une opération d'investissement, le total des autorisations d'engagement prévues doit être engagé au moment du lancement de l'opération mais le paiement n'interviendra qu'au fur et à mesure de la constatation du service fait.

La comptabilité des autorisations d'engagements permet de déterminer, à l'issue d'un exercice budgétaire et par rapprochement avec les paiements, les restes à payer , à savoir les autorisations d'engagement consommées et non soldées par un paiement. Les restes à payer correspondent ainsi à des paiements qui s'imputeront sur l'exécution des budgets futurs .

Source : commission des finances du Sénat

La dépense en crédits de paiement devrait, selon le Gouvernement, s'étaler sur plusieurs années avec des rythmes de décaissement divers selon les programmes et une attribution des CP à hauteur de 2 milliards d'euros par an sur cinq ans .

Répartition des crédits de paiement par programme et par année

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après le projet annuel de performances pour 2017

Ce montant annuel fixe ne correspondra pas aux dépenses réellement décaissées par les opérateurs du programme d'investissements d'avenir : il est probable que celles-ci soient d'abord inférieures à deux milliards d'euros, en raison des délais de lancement des projets, puis supérieures en fin de période.

2. Un choix qui rompt avec la logique des deux premiers programmes d'investissements d'avenir

L'absence de crédits de paiement est exactement contraire à la pratique établie par les deux premiers programmes d'investissements d'avenir : en 2010 comme en 2014, les 35 et 12 milliards d'euros ont pesé intégralement sur la dépense budgétaire de l'année où le programme d'investissements a été lancé.

Cette modalité de mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir était d'ailleurs prévue explicitement dans le rapport « Investir l'avenir » dit Juppé-Rocard à l'origine du premier programme d'investissements d'avenir.

La gestion financière et budgétaire des fonds prévue par le rapport « Investir pour l'avenir » dit rapport Juppé-Rocard

La gestion financière et budgétaire des fonds doit suivre plusieurs règles:

- l'affectation des fonds à des organismes gestionnaires clairement identifiés pour financer les dépenses d'investissement proposées [...] ;

- une étanchéité stricte entre le budget de l'État et les fonds alloués dans le cadre de l'emprunt national ; autrement dit, il ne doit pas être possible d'utiliser ces fonds pour financer les actions normalement prévues dans le budget de l'État ;

- un effet additionnel par rapport aux financements budgétaires habituels : l'affectation de fonds à la suite de l'emprunt national ne doit pas conduire à une diminution des dotations budgétaires annuelles des organismes gestionnaires ;

- le non-financement de salaires de fonctionnaires , afin d'éviter d'utiliser l'emprunt pour procéder à des recrutements publics ;

- la pluriannualité de l'utilisation des fonds.

[...] Le schéma suivant pourrait être retenu pour la gestion financière :

- une loi de finances pourrait ventiler les fonds levés par l'emprunt national dans autant de programmes budgétaires interministériels (rattachés au Premier ministre) que d'axes prioritaires retenus (« Recherche et innovation », « PME innovantes »...) ;

- les dépenses inscrites dans ces programmes seraient constituées exclusivement de dotations pour les organismes récipiendaires identifiés pour chaque action à financer [...] en une seule fois en 2010 (voire une seconde fois en 2011 en cas de levée de l'emprunt sur deux ans) ;

- ces dotations seraient placées, sauf exceptions, sur le compte unique du Trésor à la banque de France ;

- la gestion financière des dépenses d'investissements d'avenir [...] serait assurée de manière décentralisée par les organismes ainsi dotés .

Source : rapport « Investir pour l'avenir », p. 43

Ainsi, l'exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2010 38 ( * ) indiquait que « l'intégralité des crédits sera décaissée par l'État avant la fin de l'année , au fur et à mesure du rythme de conclusion des conventions prévoyant les modalités d'utilisation des fonds » et le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait que « les programmes [liés aux investissements d'avenir] seront créés pour la seule année 2014 afin de permettre le versement des fonds aux opérateurs chargés de leur gestion , en vertu de conventions qui seront signées avec l'État au cours de l'année 2014 ».

La totalité des autorisations d'engagement et des crédits de paiement était donc dépensée l'année de lancement du programme d'investissements d'avenir et les fonds étaient alors transmis aux opérateurs. Ceux-ci les décaissaient, à leur tour, au fur et à mesure de l'avancement des projets sélectionnés. Afin de limiter l'endettement net induit par les dépenses d'avenir, les opérateurs étaient dans l'obligation de déposer sur le compte du Trésor les sommes qui leur étaient allouées par l'État, jusqu'au paiement effectif des dépenses correspondantes.

Pour ce troisième programme d'investissements d'avenir, le choix fait par le Gouvernement rend la création de la mission « Investissements d'avenir » en 2017 totalement artificielle : en réalité, il aurait été plus conforme à la logique budgétaire - et au bon sens - que le programme soit lancé de façon concomitante avec les décaissements effectifs de crédits . En 2017, des conventions vont être conclues entre l'État et les organismes gestionnaires des programmes d'investissements d'avenir alors même que ceux-ci ne disposeront pas d'un euro de crédit de paiement. De façon similaire aux précédents PIA, il aurait été tout à fait envisageable de décaisser la totalité des crédits au moment même de la conclusion des conventions entre l'État et les opérateurs .

Cette astuce de budgétisation permet au Gouvernement de s'attribuer le mérite d'un programme d'investissement dont il ne supporte pas le coût - laissant derrière lui un lourd héritage de 10 milliards d'euros. Elle est aussi profondément contraire à la logique même du programme d'investissements d'avenir , qui est de sanctuariser les crédits dédiés à l'investissement en faveur de projets innovants et disruptifs.

B. UNE ASTUCE DE BUDGÉTISATION QUI FRAGILISE LE TROISIÈME PROGRAMME D'INVESTISSEMENTS D'AVENIR

1. L'ADN des programmes d'investissements d'avenir : la sanctuarisation des dépenses d'investissement en période de restriction budgétaire

L'objet même du programme d'investissements d'avenir est de protéger les investissements de long terme de l'État de la tentation de restrictions budgétaires. En effet, il est plus facile de réduire les dépenses d'investissement , dont le caractère est assez largement discrétionnaire, que la masse salariale de l'État ou encore les dépenses de fonctionnement.

C'est d'ailleurs la logique défendue dans le rapport Juppé-Rocard de 2009 qui a inspiré la mise en place du dispositif : partant du constat que « dans un contexte de recherche d'économies, face à la dégradation des finances publiques, la part de l'investissement dans les dépenses publiques a reculé », les auteurs proposaient la mise en oeuvre d'un programme d'investissement ambitieux devant s'accompagner d'une maîtrise à terme de la croissance de l'endettement de l'État.

Or, le décaissement de la totalité des crédits en un an facilite la sanctuarisation des fonds et leur étanchéité avec le budget de l'État . Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le rapport dit « Juppé-Rocard » précisait explicitement qu'il fallait que les dotations aux opérateurs gestionnaires du PIA soient transférées sur une seule année.

Ce mode de budgétisation avait en effet été choisi en 2010 et 2014 parce qu'il correspond à l'objet même du programme d'investissements d'avenir : le fait de décaisser les crédits en une seule fois constitue en quelque sorte une « autocontrainte » du Gouvernement qui ne pourra plus opérer de coupes dans ces crédits une fois qu'ils auront été sortis du budget général pour être pris en charge directement par les divers organismes gestionnaires du programme d'investissements.

2. Un rythme de décaissement en crédits de paiement soumis aux aléas de gestion budgétaire

En revanche, la libération progressive des fonds sur cinq ans que prévoit le Gouvernement fragilise le programme .

En effet, la budgétisation de 2 milliards d'euros de crédits de paiement chaque année, au titre du PIA 3, n'aura rien d'automatique . Le Gouvernement devra prendre en compte les contraintes pesant sur le solde budgétaire de l'État. Or celles-ci devraient être particulièrement lourdes à compter de 2017 au regard des sous-budgétisations importantes que contient le projet de loi de finances pour 2017 et des nombreuses mesures annoncées par le Gouvernement, tant en dépenses qu'en recettes, qui ne pèseront qu'à partir de 2018.

Au surplus, bien que les programmes soient supervisés par le Premier ministre, dans un contexte de raréfaction des crédits budgétaires il est difficile de concevoir que l'existence d'une enveloppe de deux milliards d'euros en crédits de paiement chaque année ne suscitera pas des convoitises au sein des ministères, facilitant les débudgétisations et les dérogations au principe d'additionnalité prévu par le rapport « Juppé-Rocard ».

Le rythme de décaissement des programmes d'investissements d'avenir est déjà utilisé par le Gouvernement, en comptabilité maastrichtienne, comme un outil de financement de certaines dépenses nouvelles : ainsi, en 2017, le Gouvernement a indiqué que le ralentissement des décaissements PIA permettait de financer une partie des nombreuses dépenses supplémentaires prévues par rapport au programme de stabilité.

Aujourd'hui, la corrélation entre le rythme des décaissements PIA et les dépenses supplémentaires annoncées par le Gouvernement ne concerne que les dépenses publiques au sens maastrichtien, non les crédits budgétaires proprement dits puisque ceux-ci ont tous été décaissés la première année du lancement du programme. Par ailleurs, le lien établi entre le ralentissement des dépenses du PIA et les nouvelles annonces du Gouvernement est essentiellement rhétorique.

Cependant, la récurrence de la budgétisation de 2 milliards d'euros chaque année renforce considérablement le risque d'un pilotage des crédits du PIA en lien avec le déficit budgétaire de l'État . Le Gouvernement semble d'ailleurs avoir déjà prévu cette possibilité puisque l'article rattaché à la mission, qui prévoit les modalités de gouvernance du nouveau programme d'investissements d'avenir, indique que la convention conclue entre l'État et l'opérateur retenu pour mener à bien l'action financée par le PIA précise notamment le « rythme prévisionnel d'abondement des fonds des programmes de la mission "Investissements d'avenir" [...] » mais également que le rapport annexé à la loi de finances initiale (« jaune budgétaire ») relatif au suivi des investissements d'avenir présente les abondements réellement opérés pour chaque programme, comparés aux prévisions initialement établies dans la convention entre l'État et l'opérateur - laissant entendre qu' il est probable que l'un ne coïncide pas totalement avec l'autre .


* 37 Cf. tome I du rapport général relatif au projet de loi de finances pour 2017.

* 38 Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010.