MM. Yannick Botrel et Alain Houpert, rapporteurs spéciaux

DEUXIÈME PARTIE :
UN BUDGET QUI SERT INSUFFISAMMENT SES POLITIQUES PUBLIQUES

I. LA POLITIQUE DE SOUTIEN À L'AGRICULTURE OU QUAND LE STRESS BUDGÉTAIRE S'AJOUTE AU STRESS ÉCONOMIQUE ET CLIMATIQUE

L'article premier de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt énonce les objectifs de la politique agricole de la France.

Très légitimement, ils ne manquent pas d'ambition. Pourtant, confrontés à la réalité et appréciés au regard des réalisations, ils apparaissent aujourd'hui presque comme des idéalisations, auxquelles la politique agricole doit mieux restituer leurs chances de se concrétiser effectivement.

Dans ce contexte, il faut s'inquiéter de l'efficacité, voire de la nature même des amortisseurs traditionnels des crises agricoles. Les canaux structurels par lesquels agissent les soutiens agricoles paraissent de moins en moins à même d'exercer ce rôle de sorte que des mesures exceptionnelles doivent de plus en plus intervenir pour soutenir les revenus agricoles. La répétition des crises tend à conférer à ces mesures exceptionnelles, conçues pour les « temps de crise », une dimension structurelle alors qu'elles ne vérifient aucune des propriétés des instruments utilisés pour piloter le devenir de l'agriculture française. Par ailleurs, par leur poids budgétaire, ces amortisseurs tendent à être également des concurrents des moyens employés dans le cadre des différentes actions publiques qui concourent à la conduite de la politique agricole française.

Le programme 149 (les deux tiers des crédits de la mission mais moins de 10 % des concours publics à l'agriculture), qui correspond à la composante nationale de la politique agricole dans sa vocation de soutien et de développement des acteurs du secteur face à des défis particuliers auxquels ils sont confrontés, est particulièrement sous tension 3 ( * ) .

A. LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE AGRICOLE, FACE AU CHOC DE LA RÉALITÉ

L'agriculture française vient de subir trois années de crises qui ont touché les différentes filières. Certaines d'entre elles sont liées à des évolutions du contexte économique ou géopolitique, d'autres à des événements climatiques ou sanitaires plus ou moins spécifiques à la France.

Ces crises se sont plaquées sur une « Ferme France » qui rencontre des difficultés à persister dans son modèle d'agriculture diversifiée et dont la plupart des acteurs subissent des revenus trop bas.

Les différentes filières de production (voir l'annexe n° 1 au présent rapport) ont connu, avec plus ou moins de force, une conjoncture défavorable marquée par une baisse des prix et des productions. L'agriculture désormais largement « globalisée » évolue dans un contexte de risques renouvelés avec notamment de très fortes fluctuations de ses paramètres.

Les stabilisateurs économiques ont pu jouer, notamment la baisse des prix des consommations intermédiaires, aliments et énergie, mais ils n'ont pas suffi à compenser la dégradation des conditions de marché, d'autant moins que, dans certains cas, ces stabilisateurs en ont été l'un des résultats. Quant aux stabilisateurs liés aux transferts publics , leur efficacité mériterait une évaluation à part entière .

Les mécanismes de soutien de la politique agricole commune dans son ancienne formule, qui demeurent disponibles dans un nombre limité de cas, ont été réactivés. Ainsi en est-il allé de l'intervention publique dans le secteur laitier. Ce retour à des formes de régulation cycliques, qui ne bénéficient pas d'un consensus, devrait être pris au sérieux, comme représentant peut-être un « signal faible » d'une difficulté structurelle rencontrée par la politique agricole européenne, celle d'une union entre des préférences collectives marquées par des objectifs hors marché et une tendance au désengagement des régulateurs.

On présente en annexe les évolutions détaillées des filières dont la plupart connaissent des difficultés majeures.

L'un des symptômes de la crise traversée par notre agriculture réside dans la constante attrition du nombre des exploitations agricoles.

Entre 2010 et 2015, le nombre des exploitations aura diminué de près de 11,4 % pour atteindre aujourd'hui 434 000 exploitations parmi lesquelles 296 000 seulement appartiennent à la catégorie des moyennes et grandes exploitations dont le produit brut potentiel dépasse 25 000 euros.

Éléments européens

Le nombre d'exploitations agricoles dans l'Union européenne à 28 est de 10,8 millions d'unités en 2013. Près des deux-tiers sont concentrées dans seulement quatre pays : Italie, Espagne mais surtout Roumanie et Pologne où prédominent la polyculture et l'élevage sur de petites surfaces. Le nombre d'exploitations en Europe a diminué de 11 % entre 2010 et 2013 tandis que la surface agricole restait stable. Entre 2010 et 2013, le nombre d'exploitations a diminué dans tous les pays européens à l'exception de la République tchèque, avec des rythmes toutefois variables selon les pays. Les exploitations « moyennes et grandes » (produit brut potentiel supérieur à 25 000 €) représentent 16 % des exploitations de l'UE et cultivent 76 % de la surface agricole européenne.

En France métropolitaine, ces proportions sont respectivement de 68 % et 93 %. Dans la plupart des pays européens, la diminution du nombre d'exploitations s'est accompagnée d'une augmentation de la superficie agricole moyenne, signe d'un agrandissement de la taille des exploitations. La superficie agricole moyenne dans l'ensemble de l'UE à 28 est ainsi passée de 14,4 ha en 2010 à 16,1 ha en 2013. Pour la France métropolitaine, la superficie moyenne est de 62 ha en 2013, contre 57 ha en 2010.

L'un des objectifs de la politique agricole est de faire de l'agriculture un vivier d'emplois. Les résultats ne sont pas satisfaisants.

D'après les estimations provisoires pour 2016, 866 300 personnes travaillent à temps plein ou partiel sur l'ensemble des exploitations agricoles de France métropolitaine. Ces « actifs permanents » représentent 594 000 unités de travail, un volume en baisse de 1,7 % par rapport à 2015 et de 10,1 % par rapport à 2010. Quant aux travailleurs saisonniers et aux entreprises de travaux agricoles apportent, pour leur part, un volume de travail occasionnel estimé à 108 000 unités de travail annuel (+ 19,2 % par rapport à 2010). En 2016, le nombre total d'actifs agricoles (actifs permanents, saisonniers et CUMA) est estimé à 702 000 en équivalent temps plein, en baisse de 6,6 % par rapport à 2010 et de 1,2 % par rapport à 2015. Pour lui être proche, le rythme de diminution du volume de l'emploi agricole au niveau européen, qui réunit 9,7 millions de personnes à temps complet (- 4,2 % entre 2010 et 2013), est inférieur à celui constaté en France.

Emploi agricole en France métropolitaine

France métropolitaine

2010

2014

2015

2016 estimations

Total actifs agricoles

ETP

751 000

722 000

710 500

702 000

Total main d'oeuvre permanente

Personnes

966 000

908 000

885 000

866 000

ETP

661 000

618 000

604 000

594 000

Chefs d'exploitations et coexploitants

Personnes

604 000

570 000

561 000

552 000

ETP

446 000

423 000

415 000

409 000

Conjoints et autre main d'oeuvre familiale

Personnes

190 000

146 000

135 000

125 000

ETP

75 000

55 000

50 000

47 000

Salariés permanents

Personnes

172 000

192 000

190 000

190 000

ETP

140 000

140 000

139 000

139 000

Salariés saisonniers, Entreprises de travaux agricoles, Cuma

ETP

91 000

105 000

106 000

108 000

Source : Service de la Statistique et de la Prospective - recensement de l'agriculture 2010, bilans annuels de l'emploi agricole pour 2014, 2015 et 2016.

La baisse des emplois agricoles s'accompagne ainsi d'une flexibilité accrue des emplois, les embauches temporaires étant la seule catégorie à montrer quelque dynamisme.

Si cette profonde dégradation du tissu agricole français n'a pas eu de correspondance dans les évolutions de la surface agricole utilisée signalant un réel problème de renouvellement des générations, elle traduit ce qui est plus qu'un effritement de la base agricole française, qui, pour toucher principalement ses marges, dégrade la puissance agricole française tout entière.

Les évolutions préoccupantes des revenus agricoles en témoignent, qui découragent l'activité et réduisent la capacité de notre offre productive à se muscler dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

La France se situe du mauvais côté de la ligne de séparation existant en Europe.

Selon les estimations d'Eurostat, dans l'Union européenne à 28, le revenu des facteurs de la branche agricole par actif serait quasiment stable en 2016 (- 0,4 %), après une baisse de 2,3 % en 2015. Mais, les évolutions du revenu agricole y seraient très dispersées. Le revenu des facteurs de la branche par actif reculerait dans 11 des 28 États membres, la baisse étant supérieure à 10 % en Estonie, au Danemark, en Belgique, et en Slovénie. Le revenu des facteurs augmenterait dans les 17 autres états membres, les hausses les plus marquées (supérieures à + 10 %). étant observées en Roumanie, en Hongrie et au Portugal.

En France, le revenu des facteurs de la branche agricole par actif, en termes réels, baisserait de 12 % en 2016 selon les estimations les plus récentes, après une hausse de 6,6 % en 2015.

Les capacités d'investissement des exploitations s'en trouvent naturellement très altérées, ce dont témoignent les performances obtenues. C'est dans cette perspective que la problématique de partage de la valeur ajoutée agricole entre amont et aval doit être posée. Si cette question a été largement abordée durant les États généraux de l'alimentation, vos rapporteurs spéciaux attendent avec intérêt la production législative et réglementaire qui devrait en découler.

B. UN BUDGET D'APPARENCES ET SANS TONUS

Les dotations - 2 225,3 millions d'euros - apparaissent presque stabilisées en 2018 (- 7,4 millions d'euros) par rapport aux ouvertures de la loi de finances initiale pour 2017 (2 223,7 millions d'euros) mais dans un cadre budgétaire profondément renouvelé qui suscite, en même temps que les conditions d'exécution budgétaire de l'année en cours, des réserves introductives.

En premier lieu , doit être soulignée la relativité des appréciations portant sur l'évolution des dotations budgétaires devant l'ampleur des mouvements de crédits d'ores et déjà intervenus, et sans doute à venir, sur un programme qui est affecté de larges impasses de financement. Les comparaisons d'exercice à exercice, fondées sur des programmations initiales dépassées par les besoins effectifs, en perdent leur sens. En outre, une partie des dotations prévues pour 2018 relèvent soit d'un rattrapage de dépenses non acquittées au cours des exercices précédents, soit d'un questionnement sur les engagements qu'elles recouvrent.

En second lieu, la modification de la structure des dotations engendrée par les réorganisations touchant les équilibres de la protection sociale des exploitants et par l'inscription d'une provision pour risques oblige à relativiser la portée des inscriptions budgétaires.

Évolution du programme 149
(2017-2018)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Dans ce contexte, la budgétisation proposée pour 2018 laisse une marge de manoeuvre de prime abord non négligeable mais dont l'emploi ne témoigne pas de la budgétisation d'un effort soutenu en faveur des agriculteurs.

1. Un budget qui cultive les apparences

La programmation budgétaire pour 2018 laisse apparemment une marge de manoeuvre non négligeable dans la mesure où la provision assurantielle de 300 millions d'euros n'absorbe qu'une partie des économies résultant de la suppression de la mesure d'allègement de 7 points de la cotisation d'assurance maladie des exploitants agricoles. La baisse des crédits de paiement affichée (- 7,4 millions d'euros) est compatible, à périmètre constant, avec un renforcement des lignes budgétaires du programme de l'ordre de 130 millions d'euros.

De fait, pour la plupart des actions du programme on relève des augmentations de crédits parmi lesquelles il convient particulièrement de détacher l'action 24 «  Gestion équilibrée et durable des territoires » dont les dotations seraient en augmentation de 91,3 millions d'euros.

Comparativement, les autres actions connaîtraient des évolutions plus modestes, en particulier, l'action 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles » (+ 20,6 millions d'euros) et l'action 21 « Adaptation des filières à l'évolution des marchés » (+ 14,5 millions d'euros).

Par contraste, les dotations de la politique forestière seraient les seules prévues en baisse (- 5 millions d'euros).

Cependant, ces augmentations témoignent largement d'un effet d'affichage. Ainsi, l'un des facteurs principaux de la dynamique des dotations du programme réside dans la ligne de financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et de soutien à l'agriculture biologique réunies dans l'action 24 (« Gestion équilibrée et durable des territoires »). Dotée de 75,8 millions d'euros en crédits de paiement en 2017, elle serait portée à 157,9 millions d'euros en 2018 (soit le tiers des crédits de paiement de l'action). Cette augmentation de 82,1 millions d'euros contribue à l'apparente stabilité des dotations du programme en 2018 mais les dotations pour 2018 ne correspondent pas à des interventions nouvelles puisque, pour l'essentiel, elles sont liées à des charges non acquittées en lien avec des dossiers engagés lors des campagnes précédentes pouvant remonter jusqu'à 2015.

Les autres rubriques de l'action 24 seraient pratiquement stabilisées de sorte qu'hors l'inflation des crédits des MAEC et pour l'agriculture biologique, les dotations prévues pour financer les interventions de l'agriculture fragile des territoires subiraient un déclin en valeur réelle. La programmation de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) ne comporte aucune revalorisation.

Le nombre de bénéficiaires de cette aide semble s'inscrire en baisse ces dernières années, avec une réduction de 4 366 unités (- 5 %). Pour l'ICHN également les difficultés de paiement rencontrées au cours des derniers exercices n'autorisent pas le ministère à prolonger ses statistiques de bénéficiaires au-delà de 2016. Mais, il est hélas à redouter qu'il faille associer la diminution de ceux-ci aux évolutions négatives de la démographie des exploitations agricoles exposées ci-dessus.

Évolution du nombre d'exploitations bénéficiaires de l'ICHN

2 011

2 012

2 013

2 014

2 015

88 240

87 114

85 384

83 861

83 874

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Finalement, les seules dotations de cette importante action devant connaître la hausse porteraient sur les moyens de lutte contre les grands prédateurs - la protection des élevages contre le loup gagnant 5 millions d'euros supplémentaires - et les aides aux SAFER portées à 3,750 millions d'euros.

2. Des mesures compensatoires entre rattrapage et essoufflement

Si la programmation budgétaire de la ligne MAEC illustre certains effets d'affichage qui caractérisent une fois encore le projet de budget de la mission AAFAR, il faut par ailleurs mentionner quelques interrogations sur l'efficacité du dispositif. De la même manière, les soutiens programmés à l'agriculture biologique suscitent une certaine perplexité.

Quant aux bénéficiaires des grandes interventions du budget agricole, le ministère fournit des données, peu actualisées du fait des incidents de paiement survenus après 2014, desquelles se détache une progression soutenue du nombre des entités participant aux différents dispositifs à vocation environnementale.

Évolution des bénéficiaires de grandes interventions du budget agricole
(2011-2015)

2011

2012

2013

2014

2015

Aides découplées

348 677

344 625

340 366

334 787

334 851

Indemnité compensatoire de handicaps naturels

88 240

87 114

85 384

83 861

83 874

Prime herbagère agro-environnementale

52 584

51 372

47 696

-

-

Mesures agri-environnementales

39 032

41 160

40 210

81 798

-

Mesures agriculture biologique

13 657

17 946

20 822

23 538

-

Aides vaches allaitantes

90 513

88 379

86 317

84 386

84 452

Aides ovines et caprines

27 136

26 672

25 955

25 353

25 656

Autres aides couplées

123 209

117 225

119 201

119 112

121 413

Assurance récolte

63 742

65 493

65 450

63 469

64 810

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Toutefois, la progression des bénéficiaires des engagements relatifs au MAEC s'explique par une évolution qui, à compter de 2014, a vu celles-ci prendre le relais des attributions de la prime herbagère agro-environnementale (PHAE).

Évolution du nombre d'exploitations bénéficiaires
des crédits agroécologiques

2011

2012

2013

2014

Prime herbagère agro-environnementale

52 584

51 372

47 696

NS

Mesures agri-environnementales

39 032

41 160

40 210

81 798

Mesures agriculture biologique

13 657

17 946

20 822

23 538

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Quoi qu'il en soit, le nombre des exploitations concernées par les dispositifs sous revue reste relativement modeste une fois rapporté au nombre des exploitations agricoles (434 000) et l'attractivité des aides pourrait être améliorée.

Si une meilleure exécution des engagements pris par l'État contribuerait à les rendre plus fiables, d'autres clarifications devraient intervenir.

Une étude publiée en 2016 4 ( * ) a, en particulier, fait valoir que les dédommagements apportés par les MAEC rémunérant essentiellement le coût d'opportunité supporté par les bénéficiaires ne satisfaisaient qu'insuffisamment à des exigences d'incitation et pouvaient laisser aux agriculteurs la charge supplémentaire des coûts d'administration de la mesure (parmi lesquels les coûts de dossier et de contrôle mais sans doute aussi d'autres coûts pouvant être liés à la disponibilité de ressources nécessaires à la production agricole).

Par ailleurs, d'un point de vue plus collectif, il ne ressort pas toujours clairement que les MAEC ou les autres aides à l'agriculture biologique apportent une plus-value environnementale, même si elles peuvent prévenir des dégradations supplémentaires.

Ces deux interrogations sont d'autant plus aigües que les dispositifs mis en oeuvre répondent à une logique de « sur étagère » plutôt qu'à une stylisation individuelle fondée sur des considérations au cas par cas.

Le nombre des parties prenantes aux mesures en faveur de l'agriculture biologique est encore plus nettement en progression. Partant d'un très bas niveau, ils ont à peu près doublé en trois ans. S'il serait tout à fait excessif d'associer à cette augmentation un quelconque phénomène de conversion de l'agriculture française à l'agriculture biologique, on observe une extension des surfaces cultivées en agriculture biologique. Les enveloppes budgétées à ce titre semblent être largement dépassées. Cette contrainte budgétaire paraît expliquer la décision de ne plus financer par le budget de l'État que les aides à la conversation biologique à l'exclusion des aides au maintien, choix dont la cohérence devra être suivie attentivement.

3. Des interventions peu « offensives »

L'appui à la modernisation des exploitations agricoles ne mobilise que 6,3 % des dotations. Or, même si d'autres interventions peuvent concourir à cet objectif, cette action regroupe des moyens moins « réparateurs », davantage orientés vers la préparation de l'avenir, que les actions qui occupent les premiers rangs dans la hiérarchie des interventions du programme. Son positionnement dans cette hiérarchie, un peu second, peut être apprécié comme traduisant une orientation principalement défensive de notre politique publique en faveur de l'agriculture. Si cette dernière composante est sans doute justifiable au vu des difficultés rencontrées par les agriculteurs, elle provient également de priorités plus discrétionnaires de cette politique publique, dont la mise en oeuvre concrète appellerait un audit complet, et qui pourrait être justiciables d'un rééquilibrage vers des investissements plus susceptibles d'élever le niveau de compétitivité de notre agriculture.

On doit déplorer en particulier la forte réduction des engagements au titre du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) qui, encore doté de 84,5 millions d'euros en 2016 et 2017, voit ses crédits reculer à 56 millions d'euros.

En outre, compte tenu des difficultés exceptionnelles rencontrées par la filière, les 5 millions d'euros en faveur des investissements de biosécurité dans la filière palmipède semblent bien justes pour prévenir de nouvelles crises dont on rappelle que le coût économique a pu être estimé à plus de 500 millions d'euros. Quant aux 10 millions d'euros prévus pour les investissements en faveur de la qualité de l'air dans les élevages intensifs de volailles et de porcins, il reste à vérifier qu'ils suffiront à nous mettre en règle avec nos obligations européennes.

4. Une refonte de la contribution des exploitants agricoles à leur protection sociale qui profite au programme mais sans doute pas aux exploitants

Dotée de 918,3 millions d'euros en 2017, l'action 25 « Protection sociale », qui regroupe les crédits nécessaires à la compensation des exonérations de cotisations sociales accordées aux exploitants agricoles se trouve allégée de 437,9 millions d'euros soit une économie très substantielle pour la mission (19,6 % des crédits ouverts en 2017). Elle provient de la suppression de la mesure de réduction de 7 points de la cotisation d'assurance-maladie des exploitants, qui avait été portée à 3,04 % depuis 2016 pour un coût en 2017 budgété à 480 millions d'euros.

La réduction des dotations prévues en 2018 au titre de l'action est inférieure de 42,1 millions d'euros à l'économie potentiellement attribuable à la fin de cette mesure en raison d'un rehaussement des provisions prévues pour financer les compensations d'exonérations du régime des travailleurs occasionnels qui passeraient de 438 millions d'euros en 2017 à 480 millions d'euros l'an prochain.

Le coût en crédits des exonérations de cotisations sociales se replierait ainsi fortement mais il mobiliserait encore plus d'un cinquième des dotations du programme 149, la part dans les concours publics à l'agriculture relevant d'allégements de cotisations sociales étant encore plus forte.

Cette année, une modification de grande ampleur de la structure de financement de la protection sociale est proposée dans les projets de loi à caractère financier. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale augmente la contribution sociale généralisée (CSG) et supprime les cotisations sociales d'assurance-maladie des salariés tandis que, pour les exploitants agricoles, les cotisations-famille et maladie suivent des réaménagements spécifiques parallèles à ceux appliqués aux travailleurs indépendants. Les taux de cotisations d'allocations familiales sont diminués, sous certaines conditions de revenu, de 5,25 points tandis que pour les cotisations d'assurance-maladie la réduction est limitée à 5 points selon un système décroissant qui serait déterminé par décret.

Ces modifications induisent nécessairement des pertes globales de revenus pour les exploitants. En premier lieu, la hausse de la CSG alourdira les prélèvements obligatoires imposés aux exploitants.

Quant aux allègements de cotisations sociales, l'impact de celui portant sur les cotisations d'allocations familiales sera en toute hypothèse minoré par l'existence des allègements déjà prévus (présentés dans leur détail à l'annexe n° 2 du présent rapport), tandis que celui de la réduction de la cotisation d'assurance-maladie devrait être moins favorable que la diminution de 7 points jusqu'alors en vigueur. Son plafond est inférieur et l'allègement devrait suivre un chemin dégressif. Selon certaines analyses, cette disposition ne devrait bénéficier, et que peu, aux seuls exploitants agricoles gagnant moins de 75 % du SMIC. Les seuils créés ne sont ainsi pas opportuns selon votre rapporteur spécial Yannick Botrel.

5. Un provisionnement des risques qui constitue un progrès de sincérité difficilement évaluable et laisse sans solution la protection de l'activité agricole contre des risques en voie de forte accentuation
a) Une dotation de 300 millions d'euros insuffisante qui doit d'autant moins être détournée de son objet que les risques de refus d'apurement européens en excèdent largement le montant

Le projet de budget est marqué par l'inscription d'une dotation provisionnelle de 300 millions d'euros. Elle n'est a priori pas faite pour être dépensée puisque supposée ne financer que les dépenses imprévisibles du programme 149, le PAP mentionnant à titre d'illustrations, les dépenses pouvant résulter des crises ou des refus d'apurement européens.

Vos rapporteurs spéciaux souhaitent souligner, en premier lieu, que la notion de dépenses imprévisibles, pour équivoque qu'elle soit, n'a pas vocation, à leurs yeux, à recouvrir les dépenses qui, quoique parfaitement prévisibles, n'auraient pas été prévues. Une telle interprétation, si elle devait être appliquée par le ministère, reviendrait à altérer la programmation budgétaire annuelle et à dégrader encore la transparence de l'information budgétaire, particulièrement nécessaire à l'ensemble des parties prenantes. En outre, il leur semble impératif de conserver à cette dotation sa destination, qui exclut qu'elle vienne couvrir des sous-budgétisations « de facilité », dans la mesure où, pour pouvoir n'être pas aisément évaluables, les risques pesant sur le budget agricole, en particulier du fait des refus d'apurement européens paraissent certains.

À cet égard, il leur faut s'interroger sur le calibrage de la dotation provisionnelle ainsi inscrite au budget pour 2018, en particulier au regard des risques représentés par d'éventuels nouveaux refus d'apurement européens.

Vos rapporteurs spéciaux ont exposé en détail les risques pendants à ce titre dans leur contribution sur le projet de loi de finances pour 2017 et ils relèvent que, selon le CBCM du ministère, une impasse de financement des paiements dus en 2017 doit être constatée pour 212,2 millions d'euros sur un total de risque de 221,9 millions d'euros.

À cette somme s'ajoutent d'éventuels nouveaux refus d'apurement dont le détail est présenté, avec les grands éléments de la procédure suivie, dans l'annexe n° 3 au présent rapport.

Les risques encourus pour 2018 et les années suivantes s'élèvent ainsi à 1 081 millions d'euros .

La somme mentionnée, qui ne couvre que des exercices déjà relativement anciens, reste tributaire d'évolutions susceptibles de marquer le déroulement d'une procédure dont on rappelle qu'elle prend un certain temps du fait de l'application du principe du contradictoire notamment mais aussi de délais éventuels de procédure.

Présentation schématique des procédures européennes d'apurement

L'article 317 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) stipule que la législation sur l'app l ication des corrections financières nettes est exposée dans le règlement financier (RF) et précisée dans les règlements sectoriels. L'article 80 du règlement financier contient les dispositions suivantes destinées à assurer la protection du budget de l'Union :

« La Commission procède à des corrections financières concernant les États membres afin d'exclure du financement de l'Union les dépenses engagées en violation du droit applicable. La Commission fonde ses corrections financières sur la détection des montants indûment dépensés, ainsi que sur les implications financières pour le budget. Quand ces montants ne peuvent pas être clairement déterminés, la Commission peut appliquer des corrections extrapolées ou forfaitaires, conformément à la réglementation sectorielle.

Lorsqu'elle décide du montant d'une correction financière, la Commission tient compte de la nature et de la gravité de la violation du droit applicable ainsi que des implications financières pour le budget, y compris en cas d'insuffisances dans les systèmes de gestion et de contrôle.

Les critères d'établissement des corrections financières et la procédure à appliquer peuvent être prévus dans la réglementation sectorielle ».

Néanmoins, son ampleur peut aisément être mise en rapport avec la provision de 300 millions d'euros inscrite au budget 2018. Cumulés les sous-budgétisations de 2017 et les risques quasi-certains pour 2018 dépassent la réserve ainsi constituée de plus de 70 millions d'euros. Si le qualificatif d'insincérité budgétaire est retenu pour l'exercice 2017, il doit dans ce sens également l'être pour le projet de loi de finances soumis pour l'année 2018 au Parlement.

b) Un système d'apports de trésorerie remboursables qui tend à s'installer

Vos rapporteurs spéciaux relèvent que des apports de trésorerie remboursables ont à nouveau été mis en place pour surmonter les difficultés de l'exécution budgétaire en 2017. Ils déplorent que les agriculteurs aient à supporter des coûts d'administration en plus de la lourde charge de travail qui est la leur. Ces enjeux feront l'objet d'un rapport d'information de vos rapporteurs spéciaux dans les mois à venir. Par ailleurs, un certain nombre d'entre eux n'ont pas accès à ces dispositifs, comme, par exemple, les nouveaux installés tandis que les dysfonctionnements dans l'exécution des paiements ajoutent à l'altération globale du climat dans lequel s'exercent les activités agricoles.

c) La faiblesse des amortisseurs de crise

Dans l'hypothèse, contestable, où l'impact financier des refus d'apurement européens serait absorbé par la dotation pour dépenses imprévisibles, celle-ci apparaîtrait insuffisante et a fortiori ne laisserait aucune marge pour amortir les autres risques pouvant se produire en cours d'année.

Or, ceux-ci sont récurrents et les dispositifs soutenus budgétairement pour aider les agriculteurs à y faire face manquent de vigueur.

Votre rapporteur spécial Yannick Botrel propose dans cette perspective la dissociation de ces lignes de réserves de précaution en fonction de leur objet afin de renforcer la transparence budgétaire de la mission.

Ainsi en va-t-il d'un premier dispositif, celui de l'assurance récolte .

Données relatives à l'assurance récolte

L'État soutient depuis 2005 la diffusion de contrats d'assurance multirisques climatiques (« assurance récolte »), offrant une meilleure couverture du risque que les simples assurances grêle et des indemnisations supérieures à celles du régime des calamités agricoles. Des aides à la souscription des contrats d'assurance récolte ont été mises en place sous la forme de prise en charge partielle des primes ou cotisations d'assurance payées par les exploitants agricoles. Depuis 2015, ces aides sont versées dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, au titre du Programme national de gestion des risques et d'assistance technique (PNGRAT), et sont entièrement financées par des fonds européens (FEADER).

Après une augmentation de 2010 à 2013, le nombre de contrats d'assurance récolte et le taux de diffusion ont fléchi à compter de 2014 (taux de diffusion de 26,1 % en 2015 alors qu'il approchait les 31 % en 2013). Cette diminution est probablement en partie liée à la mise en oeuvre d'un stabilisateur budgétaire pour les campagnes 2013 et 2014, années où le dispositif mobilisait encore des crédits nationaux (pour 25 % de la dépense) : le taux de subvention de 65 % n'a pas pu être atteint car l'enveloppe budgétaire allouée au dispositif n'était pas suffisante, et des taux inférieurs ont finalement été pratiqués. Aussi, pour la campagne 2014, une aide exceptionnelle complémentaire relevant du régime des aides de minimis de 15,8 millions d'euros et financée via le FNGRA (voir ci-dessous) a été allouée au dispositif et versée en 2016. Ce complément a permis d'atteindre le taux maximal de subvention de 65 %. Une enveloppe de 600,75 millions d'euros, issue d'un premier transfert du premier vers le deuxième pilier de la PAC est allouée au financement de l'aide à l'assurance récolte et au soutien aux fonds de mutualisation en cas d'aléas sanitaires et environnementaux pour la période 2015-2020. Le transfert de l'aide à l'assurance récolte sur le deuxième pilier a permis de fixer le taux d'aide à 65 % pour les campagnes 2015 à 2017 du moins pour le niveau socle (le niveau complémentaire est subventionné à 45 %).

Au vu des données transmises par les assureurs, seuls 64 500 contrats d'assurance multi-risques climatiques couvrant 25,7 % de la superficie agricole hors prairie ont été commercialisés en 2016 (contre 68 400 contrats en 2015 et un taux de diffusion de 26,1 %). Les résultats sont faibles dans un contexte où, par ailleurs, l'on doit à nouveau relever une impasse de financement.

Ainsi, l'enveloppe actuelle du PNGRAT n'est pas suffisante pour garantir les taux de subvention actuels jusqu'à la fin de la programmation.

L' impasse est estimée à 85 millions d'euros à taux de diffusion constant et près de 170 millions d'euros en cas de développement modéré conduisant à redouter une réduction des taux de subvention qui alourdirait encore les perspectives du dispositif.

Quant au fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), il a subi fin 2015 un prélèvement à hauteur de 255 millions d'euros tandis que le taux de la taxe affectée qui le finance a été réduit, passant de 11 % à 5,5 %, la contribution additionnelle étant plafonnée à 60 millions d'euros depuis le 1 er janvier 2016.

En cas de crise majeure, telle la sécheresse ou des excès de pluies, l'abondement du fonds par des crédits d'État devient nécessaire. Aussi, des abondements successifs par ouvertures en lois de finances rectificatives sont intervenus régulièrement :

- en 2010 pour 32,8 millions d'euros ;

- en 2011 pour 9,2 millions d'euros ;

- en 2012 à hauteur de 111,8 millions d'euros;

- en 2015 pour 81 millions d'euros.

Il faut tenir compte de ces inscriptions historiques pour apprécier la crédibilité du projet de budget pour 2018 qui, comme cela a été souligné, est sujette à caution.


* 3 Depuis l'année dernière, les crédits correspondant aux interventions de l'État dans le domaine forestier, auparavant isolés dans un programme à part entière, sont intégrés au programme. Cette année, s'y ajoutent les dotations pour la pêche et l'aquaculture. Au total, le programme est subdivisé en huit actions.

* 4 Duval L. et al, 2016, Paiements pour services environnementaux et méthodes d'évaluation économique. Enseignements pour les mesures agro-environnementales de la politique agricole commune.