MM. Yannick Botrel et Alain Houpert, rapporteurs spéciaux

II. UN BUDGET LOIN DE RECOUVRIR L'ENSEMBLE DES CONCOURS PUBLICS À L'AGRICULTURE

Le budget de la mission n'épuise pas l'ensemble des concours publics à l'agriculture. Au demeurant, sa contribution aux soutiens publics à l'agriculture suit une tendance à la baisse depuis quelques années, évolution qui n'est pas sans susciter quelques interrogations quant aux équilibres ordonnant le financement de notre politique agricole.

A. LE BUDGET DE LA MISSION NE REPRÉSENTE QUE 16 % DE CONCOURS PUBLICS À L'AGRICULTURE ATTENDUS PLUS DYNAMIQUES QUE LES DÉPENSES BUDGÉTAIRES EN 2018

Pour appréhender l'ensemble des concours publics à l'agriculture, il convient de compléter la considération des crédits de la mission AAFAR par d'autres transferts publics.

Aux 3,435 milliards d'euros de crédits de paiement demandés pour 2018, il faut ajouter 17,927 milliards d'euros d'autres concours publics.

Évolution et décomposition des concours publics à l'agriculture
(2013-2018)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du ministère de l'agriculture et de l'alimentation

En six ans, les concours publics à l'agriculture auront rassemblé 120,1 milliards d'euros , soit, en moyenne annuelle, 20 milliards d'euros.

Hors financement de l'enseignement agricole (technique et supérieur) et de la recherche (voir le tableau ci-dessous), ils auront totalisé 109,8 milliards d'euros .

Évolution des dépenses et crédits de l'enseignement et de la recherche agricoles
(2013-2018)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du ministère de l'agriculture et de l'alimentation

Prolongeant une tendance bien installée, les concours apportés à l'agriculture en 2018, en augmentation de 15,1 % par rapport à l'année 2013, progresseraient davantage entre 2017 et 2018 que les seules dépenses budgétaires (+ 4,8 % contre + 1,40 %) et a fortiori que les seules dotations de la mission (+ 1,3 %).

Pourtant, avec 8,907 milliards d'euros de subventions européennes, les aides versées par l'Europe s'inscriraient en baisse par rapport à un référentiel théorique pour 2017 de 8,936 milliards d'euros. En 2013, elles étaient encore de 9,132 milliards d'euros et ont ainsi connu un repli de 2,5 % en valeur sur la période, soit un repli en volume considérable. Ce recul confirme la tendance des dépenses sur crédits à décliner. Il est partiellement le reflet des refus d'apurement communautaire qui, sur la période, ont contraint le budget national à prendre le relais des paiements en provenance du budget européen. ce point appelant d'ailleurs la poursuite et l'approfondissement du travail méthodologique conduit en matière d'octroi de ces aides afin d'en limiter la portée financière parfois très conséquente pour l'État. Mais, il correspond aussi à une programmation financière pluriannuelle qui n'a pas témoigné d'une volonté de maintenir la politique agricole commune comme première priorité de l'Union européenne.

Les facteurs de soutien à la dynamique des concours publics agricoles sont ailleurs. Prolongeant également une tendance qui semblait acquise, ils résident dans la forte croissance attendue des allègements de cotisations sociales et des dépenses fiscales. Cumulée leur augmentation apporterait en 2018 269 millions d'euros aux exploitations agricoles et atteindrait 4,1 %.

On relèvera qu'avec 1,8 milliard d'euros l'estimation des dépenses fiscales réalisée par les comptables nationaux diffère de celle présentée dans le projet annuel de performances de la mission pour 2018. Il semble que des motifs méthodologiques soient en cause.

Dans l'annexe budgétaire, les 37 dépenses fiscales désormais rattachées au programme 149 devraient avoir un coût de 2,862 milliards d'euros en 2018, dont 2,67 milliards d'euros pour les impôts perçus par l'État et 171 millions d'euros pour les dépenses fiscales concernant les impôts locaux prises en charge par l'État.

B. UNE MODIFICATION STRUCTURELLE QUI N'EST PAS ANODINE

La divergence entre les dépenses budgétaires (européennes et nationales) et les transferts provenant de réductions des prélèvements obligatoires, qui se manifeste essentiellement par la très forte dynamique des réductions de cotisations sociales, tend à installer une structure d'interventions au profit de l'agriculture passant par le canal des prélèvements obligatoires.

Les propriétés économiques du modèle d'interventions qui, ainsi, émerge, diffèrent sensiblement de celles qu'on peut associer à un mode de soutien plus direct, à travers des dépenses budgétaires.

Évolution de la structure des concours publics à l'agriculture

(2013-2018)

(en % du total)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du ministère de l'agriculture et de l'alimentation

Le poids des allègements de cotisations sociales dans les concours publics à l'agriculture n'a cessé d'augmenter au cours de la période au point que, comptant pour un peu plus de 10 % des concours publics à l'agriculture il y a cinq ans, ils en représentent désormais près de 25 %. Outre le renforcement du rôle des allègements de cotisations sociales les dépenses fiscales doivent être prises en compte. Selon les informations relatives aux concours publics à l'agriculture, elles ont vu leur part de ces derniers se réduire légèrement (11,3 % en 2013 à 8,3 % en 2018, soit - 3 points) mais un peu moins que la part des concours publics revenant aux dépenses budgétaires (- 3,3 points).

Une profonde modification de la structure des concours publics s'est ainsi produite au terme de laquelle les dépenses sur crédits européens apportent une contribution relative en net retrait passant de près de la moitié du total à un peu plus de 40 %. Les dépenses européennes, qui demeurent encore la première source de soutien à l'agriculture française, ont subi une restructuration au terme de laquelle la baisse des interventions du premier pilier n'a pas été complètement compensée par l'augmentation des dépenses du deuxième pilier du budget agricole européen.

Évolution des dépenses agricoles européennes en France
(2013-2018)

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat

Le glissement des dépenses européennes vers les interventions du deuxième pilier, ainsi d'ailleurs que certains réaménagements du régime applicable au premier pilier, se sont accompagnés d'une plus grande sélectivité des interventions du budget agricole européen au profit d'une politique de développement rural, celle soutenue par le deuxième pilier de la PAC et par le programme 149 de la mission.

Pour poursuivre l'objectif louable de soutenir des modes de production faisant face à des défis particuliers (zones difficiles, préoccupations environnementales...), n'a pu être financée qu'au détriment du soutien à d'autres productions massivement concurrencées et de plus en plus soumises, comme celles bénéficiant prioritairement des interventions du programme 149, à des risques de toutes natures (climatiques, sanitaires, géopolitiques).

À ce déplacement des dépenses budgétaires sur certains secteurs de l'offre agricole, de plus en plus réduits, il faut associer un autre constat, celui d' une forme de renationalisation de la politique agricole européenne. Celle-ci semble s'être d'ores et déjà produite dans la droite ligne d'une programmation pluriannuelle européenne décevante pour l'agriculture française (et que les nouvelles perspectives européennes n'annoncent pas en voie d'amélioration) mais, surtout, de la mise à la charge des finances publiques nationales d'une part de plus en plus grande de l'effort nécessaire au soutien du revenu net des exploitations.

De cette évolution, il découle encore que le taux de retour de la France , qui est une contributrice nette au budget européen, se dégrade progressivement, une partie de cette dégradation étant liée aux difficultés rencontrées pour exécuter correctement la dépense agricole.

Enfin, il convient de tenir compte des impacts associés du point de vue de leurs propriétés économiques à l'évolution du modèle des interventions agricoles vers une atténuation de la place des dépenses budgétaires au profit de soutiens passant par le jeu des prélèvements obligatoires.

En dehors d'une certaine perte de visibilité que ce changement suscite et d'effets temporels pouvant impliquer des décalages entre les faits générateurs des avantages fiscaux et sociaux et leur traduction concrète pour les exploitants agricoles, force est de s'interroger sur trois dimensions :

- étant donné la nature de ces avantages, qui vont se renforçant à mesure que le revenu agricole augmente, une certaine procyclicité, ou à tout le moins des effets retard, semblent s'imposer alors même que l'un des besoins des agriculteurs est de bénéficier rapidement d'amortisseurs en cas de chute de leurs revenus ; cet aspect de la modification de la structure des soutiens publics à l'agriculture appelle une vérification d'autant qu'il irait dans le sens d'une amplification de la volatilité déjà très marquée des marchés agricoles ;

- quant aux charges de gestion qu'implique pour les bénéficiaires et les organismes de protection sociale agricole mais aussi les administrations fiscales, le recours de plus en plus important à des avantages fiscaux et sociaux, il conviendrait également de les pondérer même si, comme le passé récent a pu le montrer, la gestion des dépenses budgétaires n'est, de loin, pas exempte d'errements ;

- enfin, la répartition des avantages procurés par les mécanismes d'allégements fiscaux et sociaux appelle des éclaircissements, qu'en l'état les services du ministère ne semblent pas en mesure de fournir et qui peuvent amener à s'interroger sur l'équité de traitement entre les acteurs de ce secteur.