MM. Claude NOUGEIN et Thierry CARCENAC, rapporteurs spéciaux

III. LA MODERNISATION DU SERVICE PUBLIC, ENTRE BLOCAGES PERSISTANTS ET INITIATIVES ENCOURAGEANTES

A. LES PROJETS INFORMATIQUES : LA PERSISTANCE DES RISQUES DE DÉRAPAGE ET DES FAIBLESSES DU PILOTAGE

1. Les ministères économiques et financiers, premiers maîtres d'ouvrage en matière de projets informatiques

La forte hausse des dépenses d'investissement de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui augmentent en 2018 de 36 millions d'euros en AE (+ 23,8 %) et de 52 millions d'euros en CP (+ 38,1 %) , est en grande partie due aux investissements informatiques. Cette hausse se retrouve à la fois sur le programme 156 (+ 84,6 % en CP, soit 25 millions d'euros), sur le programme 302 (+ 26,3 % en CP, soit 14,6 millions d'euros) et sur le programme 218 (+ 29,2 % en CP, soit 12,7 millions d'euros), ce dernier portant certains chantiers informatiques à vocation interministérielle.

Même si le poids des dépenses d'investissement est relativement faible sur l'ensemble de la mission (1,7 % du total), les projets informatiques représentent un levier majeur de modernisation du service public.

Les projets informatiques relevant de la mission
« Gestion des finances publiques et des ressources humaines »

Durée du projet (en mois)

Coût du projet (en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et le panorama de la DINSIC (juillet 2017).

Les projets informatiques relevant de la mission
« Gestion des finances publiques et des ressources humaines »

Nom du projet

Programme

Date de début

Durée prévisionnelle (années)

Phase du projet en cours

Coût estimé (en M€)

Coût estimé
par tranche
(en M€)

CPP 2017

218

2013-10-01

4.0

Déploiement

33.2 M€

entre 20 et 100 M€

Le projet Chorus Portail Professionnel 2017 (CPP2017) vise à mettre en oeuvre la facturation électronique pour les émetteurs de factures à destination de l'État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, conformément à l'ordonnance n°2014-697 du 26 juin 2014. Depuis le 1 er janvier 2017, le portail Chorus Pro offre un portail unique pour le dépôt, la réception et la transmission des factures électroniques. La phase de généralisation de la facturation électronique permettra à plus d'un million de fournisseurs de la sphère publique d'accéder progressivement à ce service entre 2017 et 2020 en fonction du calendrier de l'ordonnance.

ENSAP

156

2013-10-01

5.4

Conception / Réalisation

10.0 M€

entre 9 et 20 M€

Mise à disposition des agents publics d'un portail sécurisé dans les domaines de la rémunération et de la retraite (documents déposés à leur intention, informations sur leur situation personnelle, outils de simulation retraite et espace de dialogue)

PAYSAGE

156

2014-10-01

6.3

Conception / Réalisation

41.7 M€

entre 20 et 100 M€

Réécriture iso-fonctionnelle de l'application PAY afin de pallier l'obsolescence technologique actuelle

RenoiRH

218

2011-01-01

8.0

Déploiement

43.5 M€

entre 20 et 100 M€

Le projet RenoiRH (Offre SIRH) a pour objectif d'offrir une solution SIRH commune et répondant aux spécificités de la fonction publique d'État pour les ministères qui le souhaitent.

Les ministères déjà en production sont : le ministère de la culture (dont le musée du quai Branly), les ministères sociaux et les services du Premier ministre, soit un total d'environ 60 000 agents.

Le ministère en projet est : le ministère en charge de l'écologie soit environ 70 000 agents.

SIRANO

218

2014-09-01

3.3

Conception / Réalisation

10.1 M€

entre 9 et 20 M€

Le projet SIRANO concerne la refonte du système d'information de TRACFIN, la cellule de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L'objectif est d'exploiter de manière plus efficiente et juridiquement sécurisée les volumes de données en forte croissance, grâce à une technologie innovante de stockage et d'exploitation de l'information, ainsi qu'une dématérialisation totale.

SIRHIUS V1

156

2007-01-01

12.5

Déploiement

161.7 M€

> 100 M€

Gestion des ressources humaines ministérielles

Système d'information des ressources humaines (SIRH) unique pour l'ensemble des directions des ministères économique et financier (DGFiP, DGDDI, SG, DGCCRF, INSEE) et le ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI)

GUN

302

2010-04-01

9.4

Conception / Réalisation

4.2 M€

< 5 M€

Le projet GUN (Guichet Unique National du dédouanement) vise à mettre en place une plate-forme de liaison entre le système d'information douanier DELT@-G et les bases de quinze administrations partenaires qui délivrent les autorisations d'importation et d'exportation appelées Documents d'ordre public (DOP). L'objectif est de dématérialiser les DOP et d'automatiser leur contrôle lors du dédouanement.

Offre IGC ministérielle

218

2014-12-01

3.0

Déploiement

4.2 M€

< 5 M€

Le projet IGC (Infrastructure de gestion de clés) construit une offre de service pour délivrer des certificats électroniques qui garantissent la sécurité des données et échanges numériques. La solution couvre l'ensemble du ministère de l'économie et des finances. Les certificats sont conformes aux normes une étoile (1*) et deux étoiles (2*) du référentiel général de sécurité (RGS).

NSTI / DELT@ T

302

2014-09-01

4.0

Conception / Réalisation

5.6 M€

entre 5 et 9 M€

Le projet Delta T a pour objet la refonte de l'application permettant la gestion et le suivi du régime douanier du transit (NSTI). Le transit est un régime douanier permettant la circulation de marchandises en suspension de droits et taxes et de mesures commerciales / fiscales / douanières sur le territoire douanier de la communauté européenne. L'application NSTI traite plus de 5 millions de déclarations par an. La nouvelle application permettra d'assurer une meilleure traçabilité du transport de marchandises, une sécurité accrue et mettra le SI douanier en conformité avec le futur code des douanes de l'Union européenne de 2020.

Regroupement des centres informatiques

218

2015-01-01

10.0

Déploiement

11.9 M€

entre 9 et 20 M€

Rénovation et regroupement des centres informatiques pour la mise à disposition de capacités d'hébergement (immobilier, électricité, climatisation)

MISTR@L

156

2014-06-01

8.0

Conception / Réalisation

26.6 M€

entre 20 et 100 M€

Le projet vise la modernisation et la ré-ingénierie de l'activité bancaire de la DGFIP au travers notamment de la réécriture et/ou de la refonte de différentes applications composant le système d'information des DFT (dépôts de fonds au Trésor) dans le cadre d'un projet intitulé « Mistr@l » (Management Interactif de la Situation au Trésor - Application en ligne). Il concerne les missions DGFiP découlant du principe de l'obligation de dépôt des fonds au Trésor (DFT) rappelé par la LOLF et s'imposant à 130 000 organismes publics (État et organismes locaux) assujettis à l'obligation de dépôt de leurs fonds au Trésor.

ELIRE

218

2016-03-01

3.5

Conception / Réalisation

5.0 M€

entre 5 et 9 M€

Le projet Elire est une composante du projet interministériel de mise en place des nouvelles modalités d'inscription sur les listes électorales établies par les lois du 1er août 2016. Il a pour objet la mise en place du répertoire électoral unique (REU). Il vise à permettre à l'Insee de jouer le rôle qui lui est dévolu et à offrir aux autres acteurs du système, et en premier lieu aux communes, des modalités d'échanges simples et robustes.

3PA-S

218

2016-01-01

En cadrage

Cadrage

En cadrage

En cadrage

Le projet « 3PA-S » consiste à mettre en oeuvre et à intégrer dans le Système d'information des achats de l'État (SIAE) une solution standard du marché hébergée sur une plateforme du Ministère de l'économie. La solution 3PA-Sourcing doit couvrir les briques fonctionnelles principales suivantes (absentes à ce stade ou nécessitant un renforcement dans le SIAE) :


• la Programmation pluriannuelle des achats de l'État,

• le suivi de la Performance,

• la Planification des tâches des projets d'Achat,

• le Sourcing/SRM comprenant notamment le suivi et la gestion de la relation acheteur-fournisseur.

Concentrateur DSN

218

2016-11-29

En cadrage

Cadrage

En cadrage

En cadrage

Le projet consiste dans la construction de l'outil qui va permettre de centraliser les flux permettant de fabriquer la Déclaration sociale nominative (DSN) de la fonction publique de l'État (le contexte de la FPE se caractérise par la multiplicité des sources de données à mobiliser), d'effectuer les calculs et transformations nécessaires sur ces données, de gérer les contrôles et les rejets en amont de l'envoi au GIP MDS et en aval après contrôles du GIP MDS.

Guichet entreprise

134

2015-04-01

5.0

Déploiement

24.4 M€

entre 20 et 100 M€

Guichet entreprise est un guichet en ligne destiné à tous les citoyens de l'Union européenne. Formalités de création pour tous les types d'entreprises, de modification ou cessation d'activité pour les micro-entrepreneurs.

Le service à compétence nationale Guichet Entreprise propose aussi un autre guichet en ligne guichet-qualifications.fr qui offre sous forme dématérialisée la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues à l'étranger et le renouvellement des autorisations d'exercer pour les professions réglementées.

PAS

156

2016-01-01

3.7

Conception / Réalisation

159.7 M€

> 100 M€

La réforme du prélèvement à la source (PAS) consiste en la suppression du décalage d'un an entre la perception d'un revenu et le paiement de l'impôt correspondant. Ni l'aspect législatif de cet impôt, ni les modalités de son calcul (barème, quotient familial) ne sont modifiés.

Ces nouvelles modalités de recouvrement de l'impôt sur le revenu concerneront aussi bien les revenus imposables versés par un tiers aux usagers (traitements, salaires, pensions de retraites et revenus de remplacement) que les revenus sans tiers collecteur (revenus d'activités professionnelles, revenus fonciers, pensions alimentaires...).

Le prélèvement à la source, prévu au 1 er janvier 2018, comprend un important volet informatique que la DGFiP est chargée de mettre en oeuvre.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et le panorama de la DINSIC (juillet 2017).

2. Un suivi amélioré, mais un pilotage toujours incertain

En novembre 2016, la direction interministérielle du numérique et du système d'information de l'État (DINSIC) , rattachée au Premier ministre, a rendu public un « panorama des grands projets SI de l'État », élaboré avec les différents ministères, et régulièrement actualisé. Cet outil permet une amélioration notable du suivi de ces grands chantiers.

On constate ainsi qu'avec seize projets en cours, de montant et de durée variables, les ministères économiques et financiers arrivent en tête des administrations de l'État, avec environ 15 % des projets et 20 % des dépenses 30 ( * ) .

Les grands projets informatiques de l'État

Source : panorama des grands projets SI de l'État, DINSIC, juin 2017

En outre, les projets informatiques conduits par les ministères économiques et financiers n'accusent pas de surcoûts ou de retards particulièrement excessifs par rapport aux autres ministères . Pour mémoire, le taux d'écart budgétaire moyen est 31 % pour l'ensemble des 61 projets suivis, et l'écart calendaire moyen est de 43 % en juin 2017, en hausse de 5 points par rapport à novembre 2016 (43 %) - une hausse qui tient à l'allongement de la durée de certains projets mais surtout à une fiabilité croissante des données collectées. Cette augmentation est sans impact sur la durée moyenne des projets (6,1 ans).

Surtout, en application du décret n° 2014-879 du 1 er août 2014, la DINSIC rend désormais un avis conforme pour tout projet dont le montant global prévisionnel est compris entre 5 et 9 millions d'euros , ce qui constitue une amélioration très sensible du pilotage de ces projets au niveau interministériel.

Toutefois, si la situation est encourageante, une grande prudence demeure nécessaire, pour plusieurs raisons :

- premièrement, la diminution du niveau de risque pesant sur les projets informatiques de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » tient avant toute chose à la réduction de leur montant financier par rapport à la période précédente, et notamment aux grands chantiers que furent Chorus et l'Opérateur national de paye (ONP) ;

- parmi les principaux projets en cours, deux découlent directement de l'arrêt de l'ONP, décidée en mars 2014, après six années de développement en pure perte , évaluée à 286 millions d'euros sur la seule période comprise entre 2009 et 2013 31 ( * ) ;

- il s'agit, d'une part, de la réécriture l'actuelle application de paye des agents publics (projet PAYSAGE) , qui continuera donc à être utilisée en lieu et place de l'ONP. Le projet annuel de performances 2018 estime son coût complet à 28,3 millions d'euros, comme en 2018, mais bien plus que les 17 millions d'euros en 2016. La DINSIC estime pour la part son coût total à 41,7 millions d'euros, mais les méthodes de calcul sont différentes ;

- il s`agit, d'autre part, du développement par la DGFiP d'un système de gestion des ressources humaines interministériel (projet SIRHIUS) . L'application SIRHIUS est actuellement déployée dans quatre directions (INSEE, DGCCRF, DGDDI et administration centrale), ainsi qu'au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour un total de 60 000 agents, et la bascule de la DGFiP est prévue pour 2018. Toutefois, des dépassements sont à craindre : la DGFiP évalue le coût total du projet à 129,8 millions d'euros, contre 160 millions d'euros pour la Cour des comptes dans un référé du 20 avril 2016 32 ( * ) , et 162 millions d'euros pour la DINSIC . En outre, un projet de SIRH concurrent, RENOIRH , également porté par la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » sur le programme 218, en cours de développement, à l'attention « des ministères qui le souhaitent », c'est-à-dire le ministère de la culture, les ministères sociaux et les services du Premier ministre, soit un total d'environ 60 000 agents également. Cette absence de mutualisation , sans même mentionner les ministères disposant de leur propre SIRH, est regrettable, et témoigne des rigidités inhérentes au pilotage de long terme des projets SI de l'État.

Fondamentalement, les facteurs de risques structurels inhérents aux grands projets informatiques des ministères économiques et financiers n'ont pas encore été levés . On citera notamment :

- une gouvernance trop faible pour assurer la maîtrise des coûts et des délais , en raison notamment du manque d'expertise technique des responsables de ces projets et de la durée restreinte pendant laquelle ils occupent le poste. En revanche, les ministères économiques et financiers se caractérisent par une internalisation plus forte, et bienvenue, de la réalisation technique de ces projets , en comparaison des autres ministères qui ont plus fréquemment recours à des prestataires extérieurs - l'un des principaux facteurs de dérive des coûts et des délais, et d'inadéquation des projets aux besoins ;

- à l'inverse, une autonomie trop forte de « Bercy » et surtout de ses directions générales par rapport au pilotage interministériel, dont est chargée la DINSIC.

B. LE RECRUTEMENT DES « COMPÉTENCES RARES » : ENJEU CRUCIAL, SUJET TABOU

1. L'analyse des données : un défi majeur à relever dans les prochaines années

Les nouvelles techniques de collecte et d'analyse de données de masse ( datamining , data anlysis ) ouvrent des perspectives très importantes pour l'administration, comme d'ailleurs pour les entreprises. La DGFiP et la DGDDI, en particulier, disposent de données brutes dont le volume, la variété et la profondeur ont peu d'équivalent ailleurs.

En matière de contrôle, l'analyse de ces données permettrait ainsi un meilleur ciblage des risques , mais aussi une meilleure allocation des moyens et, in fine, un meilleur service rendu aux usagers.

C'est d'ailleurs l'objet de la « task force TVA » mise en place en 2014 , notamment par la DGFiP et la DGDDI, qui a notamment recours à de telles techniques pour identifier les grandes fraudes (de type carrousel). Toutefois, il ne s'agit pour l'instant que d'une structure de coordination 33 ( * ) , au périmètre restreint, et aux moyens limités (une quinzaine de personnes). Surtout, il s'agit pour ainsi dire d'une structure « parallèle », qui n'est pas intégrée dans la chaîne « traditionnelle » de fonctionnement de ces administrations. On ne peut pas encore parler d'appropriation de ces nouvelles techniques.

Parmi les nombreuses possibilités d'exploitation, on pourrait par exemple citer :

- les données transmises depuis cette année par les établissements financiers dans le cadre de l'échange automatique d'informations fiscales 34 ( * ) . D'après les entretiens conduits par vos rapporteurs spéciaux, une analyse de ces données de masse semble pouvoir permettre d'identifier des schémas de fraude alors ignorés de l'administration fiscale , et de faire apparaître les grandes constantes et les grandes « préférences » des fraudeurs et de leurs conseils - ce que ne permettent pas les méthodes plus « traditionnelles », consistant à « remonter » d'un compte bancaire à l'autre, en espérant ne pas se heurter à une structure opaque ou à un État peu coopératif. Toutefois, les agents chargés du contrôle fiscal ne disposent pas à ce jour de telles compétences ;

- les données collectées par les intermédiaires de paiement ou encore les plateformes en ligne . Le groupe de travail de la commission des finances sur le recouvrement de l'impôt à l'heure du numérique a mis en évidence le considérable manque à gagner résultant du non-paiement de la TVA par les vendeurs en ligne (en particulier les vendeurs issus de pays hors-Union européenne présent sur des plateformes telles qu' Amazon , eBay , Leboncoin etc.) 35 ( * ) ;

- toutes les données relatives aux flux de marchandises, collectées par les systèmes d'information de la DGDDI et les opérateurs en matière de commerce international (transporteurs, expressistes, déclarants en douane etc.).

Toutefois, ces nouvelles techniques impliquent que les administrations concernées puissent se doter, en interne, des compétences de pointe nécessaires pour effectuer ces analyses, mais aussi, en amont, pour concevoir les algorithmes prédictifs pertinents et s'assurer de leur bon fonctionnement dans le cadre des systèmes d'information existants.

Or il s'agit de compétences spécifiques, particulièrement pointues et demandées, et donc relativement coûteuses . Les différents entretiens conduits par vos rapporteurs spéciaux ont montré que la DGFiP comme la DGDDI, tout en étant parfaitement conscientes de l'importance de cette question, n'étaient pour l'instant pas en mesure de recruter, et surtout de fidéliser, les compétences nécessaires.

Il s'agit à vrai dire d'un problème qui dépasse largement le seul cas de l'administration fiscale et de la douane , et qui a vocation à être traité au niveau interministériel.

2. Une difficulté à attirer les profils atypiques, qui tient aux pratiques plus qu'à des obstacles juridiques

Il apparaît toutefois que ces obstacles, bien réels, ne tiennent pas à des dispositions légales ou réglementaires, mais s'expliquent bien davantage par la pratique . De fait, le recrutement de contractuels disposant de compétences spécifiques, et ceci dans des conditions relativement attractives, est d'ores et déjà possible.

Certes, l'article 3 de du titre I er du statut général des fonctionnaires pose le principe selon lequel les emplois permanents de l'État et de ses établissements publics administratifs sont occupés par des fonctionnaires, sauf dispositions législatives contraires. Toutefois, le 2° de l'article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État rend possible le recours à des contractuels lorsque les postes « requièrent des qualifications professionnelles particulières indispensables à l'exercice de leurs missions spécifiques et non dévolues à des corps de fonctionnaires ». Plus précisément, l'article 4 de cette même loi autorise expressément le recours à des contractuels dans les cas suivants :

« 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ;

« 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l'Etat à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient ».

À cet égard, la circulaire du 21 mars 2017 36 ( * ) adressée par le Premier ministre à l'ensemble des ministres a représenté un progrès important, du moins dans la prise de conscience. Élaborée par les services de la DINSIC et de la DGAFP, celle-ci rappelle l'étendue des possibilités offertes par le droit actuel, trop souvent méconnues - ou trop peu pratiquées - par les responsables des ressources humaines.

Circulaire du 21 mars 2017 relative à la gestion des ressources humaines dans les métiers du numérique et des systèmes d'information et de communication (extraits)

(...)

Un réseau des services ministériels de ressources humaines (RH) et des systèmes d'information et de communication (SIC) , piloté par la DINSIC et la DGAFP est mis en place. D assurera le suivi des chantiers communs à tous les ministères, diffusera les bonnes pratiques et conduira les réflexions sur la gestion de la filière.

(...)

Le corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (ISIC) du ministère de l'intérieur a en particulier été ouvert à l'interministérialité en mai 2015 . Il s'agit d'un levier majeur pour la gouvernance de la filière SIC et ce corps a vocation à devenir le principal vivier interministériel de ressources en matière de numérique et de systèmes d'information et de communication.

(...)

Par-delà ces outils transversaux, il faut avant tout de favoriser le recrutement et la mobilité au sein de cette filière aux profils compétents recherchés et parfois atypiques. Toute la palette d'outils de recrutement et de fidélisation qu'offre l'état du droit doit par conséquent être mobilisée :

- les concours externes, internes, 3ème voie et dispositif de recrutement réservé aux agents contractuels en application de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, en particulier via le corps des ISIC géré par le ministère de l'intérieur doivent être largement utilisés. Des plans de communication ambitieux doivent rendre ces voies d'accès plus lisibles et mieux connues vis à vis du marché du travail et au sein de l'État ;

- pour les métiers à compétences rares de même qu'en l'absence de corps de fonctionnaires, le recrutement en CDI sans obligatoirement attendre une période de 6 ans doit être privilégié lorsque qu'il s'avère un levier majeur de motivation et que l'employabilité à long terme du candidat a été démontrée par l'employeur. Ainsi, une CDisation en cours de CDD, ou un primo recrutement en CDI pourront être utilisés . ll en sera de même pour le recours à la CDisation, au terme des 6 ans de contrat des agents, en évitant de pratiquer des durées de contrats de type 3 ans + 2 ans + 1 an ;

- la mobilité au sein de la filière doit être renforcée en facilitant le recrutement en CDI d'agents publics déjà en CDI ou les congés mobilités des contractuels . L'article 6 ter de la loi 11 janvier 1984 permet en effet à tout employeur qui le souhaite de recruter directement en CDI un agent bénéficiant déjà d'un engagement à durée indéterminée au sein de la même fonction publique, dès lors qu'il s'agit d'exercer des fonctions de même catégorie hiérarchique ;

- enfin, les conditions de classement des contractuels nommés dans un corps de fonctionnaire après réussite à un concours réservé ouvert au titre de la loi du 12 mars 2012 précitée doivent être clairement indiquées aux agents éligibles . En catégorie A, le classement au premier grade reste le principe et les agents nommés dans un corps de catégorie A sont classés dans un échelon permettant de prendre en compte une partie de leur ancienneté. S'agissant de leur rémunération (traitement et primes), il est possible de maintenir la rémunération perçue avant la nomination en qualité de fonctionnaire et je vous demande de vous en assurer , dans le respect de l'équilibre général du corps. Si ce n'est pas le cas, l'agent doit en être clairement informé.

(...)

Les directions des ressources humaines des ministères devront, sous le pilotage de la DINSIC et de la DGAFP, alimenter une cartographie interministérielle par métiers et compétences en ciblant en priorité les métiers les plus en tension .

(...)

J'appelle votre attention sur la nécessité d'éviter toute politique de concurrence entre ministères . Si la concurrence vis-à-vis du secteur privé est une réalité dans le recrutement et la fidélisation des agents de la filière NSIC, la concurrence au sein de l'État est une pratique contraire à l'intérêt général . Afin de remédier à ce phénomène, la DINSIC et la DGAFP mettront en place, avec les ministères, un référentiel des rémunérations par métier NSIC des agents titulaires et contractuels.

Toutefois, si cette circulaire devrait permettre de lever certains obstacles quant à la titularisation et à la progression de carrière au sein de la fonction publique, elle ne constitue pas une réponse suffisante dans le cas des compétences les plus recherchées - et donc les mieux rémunérées .

Pour les profils atypiques de très haut niveau, la perspective d'un recrutement en CDI ne constitue pas un argument décisif, et le critère de la rémunération prend une place plus importante. Or, d'après l'administration, « en dehors de ce cadre, l'administration ne peut librement négocier la rémunération d'un agent contractuel, notamment pour assurer une contre-proposition financière à un candidat par ailleurs en négociation parallèle avec une entreprise privée. Dans des secteurs très concurrentiels, de type informatique (exemple des dataminers ), l'administration ne peut ainsi pas compenser certaines propositions salariales faites par le secteur privé , qui peut octroyer à ces personnels des éléments de rémunération de type participation, intéressement, avantages sociaux, avantages en nature liés aux fonctions, etc. Dans ces conditions, peu de candidats choisissent d'entrer dans l'administration par la voie contractuelle 37 ( * ) ».

Dans l'attente du référentiel interministériel des rémunérations, en cours d'élaboration, il n'est pas possible d'établir de comparaisons fiables. Les chiffres ci-dessous témoignent toutefois de la difficulté pour l'État de proposer des rémunérations attractives, au regard notamment de celles qui sont offertes dans le secteur privé dans le secteur privé (banques, compagnies d'assurances, entreprises du secteur numérique etc.).

Échelle de salaire annuel au recrutement pour un data scientist à Paris

Source : ChooseYourBoss.com, baromètre des salaires en data science , novembre 2017. Données récoltées et mises à jour quotidiennement provenant d'offres publiées par des professionnels du recrutement.

Au-delà de la rémunération, la question de la progression de la carrière, et sans doute plus encore de la marge de manoeuvre personnelle des agents concernés dans leur travail, se pose avec acuité.

Dans ce contexte, votre rapporteur spécial Thierry Carcenac vous propose donc :

- d'une part, un amendement tendant à permettre le recrutement par la DGFiP et la DGDDI d'une vingtaine de data scientists « junior » , soit 10 pour la DGFiP et 10 pour la DGDDI, dans des conditions de rémunération analogues à celles du secteur privé ;

- d'autre part, un amendement prévoyant la remise d'un rapport sur le sujet , afin d'évaluer les moyens de faciliter le recrutement et la fidélisation de compétences rares et recherchées.

C. LE « FRENCH TECH CENTRAL » À STATION F : PRÈS DE TRENTE SERVICES PUBLICS EN UN SEUL LIEU

Les développements ci-dessous sont communs au rapport spécial de Thierry Carcenac et Claude Nougein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », et au rapport spécial de Frédérique Espagnac et Bernard Lalande sur la mission « Économie ».

1. Le French Tech Central, une initiative originale étroitement liée au lancement de l'incubateur Station F

L'un des principaux enjeux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » est l'amélioration du service rendu aux usagers de la DGFiP et de la DGDDI, dans un contexte de nécessaire réorganisation de son réseau territorial, mais aussi de nouvelles opportunités créées par la dématérialisation.

L'un des principaux enjeux de la mission « Économie » est de définir puis de conduire des politiques publiques efficaces au service des entreprises, et notamment des PME innovantes et/ou exportatrices, dans un contexte où l'émiettement des dispositifs et des acteurs est de plus en plus problématique (cf. supra ).

Lancé en septembre 2017 au sein de l'incubateur Station F (cf. encadré), le « French Tech Central » pourrait constituer une réponse à ces défis , pour l'écosystème des TPE/PME innovantes, mais aussi au-delà, sur l'ensemble du territoire - et à certaines conditions.

Station F

Créé par Xavier Niel et inauguré le 29 juin 2017, Station F est un incubateur de start-ups, situé dans la Halle Freyssinet à Paris (13 e arrondissement).

Disposant de 34 000 mètres carrés, Station F peut accueillir jusqu'à 1 000 start-ups, sur quelque 9 000 stations de travail, ce qui en ferait le plus grand incubateur du monde . Le site dispose en outre d'un auditorium de 370 places, de plusieurs espaces événementiels, d'un « makerspace » disposant notamment d'imprimantes 3D, de quatre cuisines et de deux cafés. Une résidence de 800 logements est en cours de construction. L'ensemble représente un investissement de 250 millions d'euros .

Les start-ups sont réparties entre plus de vingt programmes d'accompagnement proposés par des acteurs extérieurs ( Startup Garage de Facebook , Impulse de Vente-Privée etc.) ou au sein du Founders Program proposé directement par l'incubateur. Sont également présents sur place des investisseurs , ainsi que plusieurs services publics (rassemblés au sein du French Tech Central).

Piloté par l'Agence du numérique , service à compétence nationale (SCN) rassemblant depuis 2015 l'initiative French Tech (soutien aux start-up en France et à l'international), le programme Société Numérique (formation aux nouveaux usages) et le plan France Très haut débit, le French Tech Central est un espace de 300 mètres carrés ayant vocation à rassembler une trentaine de services publics différents, dans le but de favoriser les échanges avec les entrepreneurs, les investisseurs, les chercheurs, les autres acteurs publics, les visiteurs internationaux etc.

Parmi les administrations participantes, la DGFiP et la DGDDI relèvent de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». D'autres administrations, établissements publics et autorités administratives indépendantes (AAI) relèvent de la mission « Économie » : la Direccte d'Île-de-France, l'INPI, l'ANFr, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance, Business France, l'Arcep ou encore la CCI Paris Ile-de-France.

Services publics présents au « French Tech Central »
au 1 er novembre 2017

Source : Agence du numérique, French Tech Central

Services publics prochainement présents
au « French Tech Central »

Source : Agence du numérique, French Tech Central

L'offre du French Tech Central, encore au stade expérimental, semble se structurer plus précisément en trois volets :

? des « master classes », ou présentations générales des services publics , de leurs domaines d'intervention, des procédures et obligations existantes etc. Ce format généraliste constitue une forme de premier contact pour les entreprises, et peut s'avérer particulièrement utile pour les jeunes entrepreneurs ou les étrangers . À titre d'exemple, la master class prévue à la suite de la visite de vos rapporteurs spéciaux était organisée par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;

? des « ateliers », de format plus restreint et plus ciblé, rassemblant par exemple entre dix ou vingt participants, sur un thème particulier . Par exemple, là où l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) consacrerait une master class à la régulation financière en général, ces ateliers pourraient porter sur l'encadrement des monnaies virtuelles de type bitcoin , la technologie blockchain , ou encore les nouveautés de la deuxième directive sur les services de paiement (DSP 2) ;

? enfin, la possibilité de prendre un rendez-vous individuel direct, sur réservation, avec un agent public identifié et pour un besoin précis : impôts et cotisations sociales, formalités douanières en vue d'une importation ou d'une exportation, recherche de financements publics ou privés, protection de la propriété intellectuelle, régime applicable aux traitements de données à caractère personnel etc. Ces premiers rendez-vous ont d'ores et déjà commencé .

Tous les échanges peuvent avoir lieu en français ou en anglais , ce qui constitue un élément important de qualité du service public, compte tenu des usagers concernés.

2. Une réforme du service public qui pose des questions inédites

Tirer un premier bilan du French Tech Central serait prématuré , l'initiative ayant été lancée il y a un mois seulement. Toutefois, d'après les indications et les chiffres fournis à vos rapporteurs spéciaux, l'initiative est pour l'instant un succès . Plusieurs centaines de rendez-vous ont déjà été pris, et le taux de remplissage des créneaux est presque complet .

Le French Tech Central apparaît ainsi comme un exemple concret de modernisation de l'action publique , volontariste et innovant - ce que facilitent, bien sûr, les particularités de l'écosystème. Le lancement de cette initiative a notamment fait apparaître une série de questions importantes , qui conditionnent la possibilité d'exporter ce modèle au-delà de Station F ou de structures similaires.

a) La mise en place d'un dispositif d'évaluation pertinent

Le premier enjeu est l'évaluation de l'efficacité du dispositif, qui passe par la mise en place d'indicateurs de performance spécifiques . Ceux-ci pourraient par exemple mesurer le nombre de rendez-vous pris, le taux de remplissage, mais aussi, selon des modalités à préciser, les suites données à ces rendez-vous. Il serait souhaitable que les résultats puissent être analysés au regard des indicateurs de performance généraux de chacun des services publics concernés , et notamment de la DGFiP et de la DGDDI, qui disposent de données importantes sur leurs usagers.

b) La gestion des effectifs, entre mutualisation et égalité d'accès au service public

La gestion des effectifs constitue un autre enjeu majeur . En effet, la présence des services et organismes publics au sein du French Tech Central, bien qu'intermittente, mobilise des agents publics 38 ( * ) , et constitue donc, du point de vue du présent rapport, un arbitrage budgétaire .

Concrètement, l'un des objectifs doit être la mutualisation des effectifs . Par exemple, un agent de la DGFiP pourrait, dans certains cas, répondre à certaines questions au titre de la DGDDI - ne serait-ce que sur la répartition des compétences entre les deux, ou s'agissant de domaines partagés tels que la TVA. De même, un représentant de Bpifrance pourrait, le cas échéant, orienter les entrepreneurs vers d'autres sources de financements publics , proposés par exemple par la région, la Caisse des dépôts et consignations ou les chambres de commerce et d'industrie (CCI).

Une telle possibilité, qui constitue un avantage évident pour l'usager du service public, implique toutefois une coordination poussée - et souvent nouvelle - entre les différents acteurs sur le plan pratique et logistique (répartition des créneaux de rendez-vous etc.). Ils doivent également être prêts à conseiller, lorsque cela est pertinent, le recours à un dispositif ou à un financement qui est parfois en concurrence avec celui dont ils ont la charge à titre principal.

Pour les agents concernés, tous volontaires, une telle initiative soulève de nouvelles questions en termes de formation, de carrière, mais aussi de valorisation en interne des tâches accomplies . Faut-il, ainsi, prévoir une formation spécifique, compte tenu du caractère transversal des échanges avec les entreprises présentes à Station F ? Les agents présents au French Tech Central doivent-ils être des spécialistes de cet écosystème ou des « généralistes » ? Comment ces fonctions doivent-elles être prises en compte dans la carrière des agents publics ? Ces questions, bien sûr, se posent avec davantage d'acuité pour les grandes directions à réseau que sont la DGFiP et la DGDDI , par rapport aux structures plus autonomes et ayant davantage recours à des agents contractuels.

Enfin, sur le principe, la présence d'agents publics dans les locaux de Station F , lieu privé, ne doit en aucun cas aboutir à limiter l'accès au service publics aux seuls entreprises hébergées par l'incubateur . C'est pourquoi les services proposés au French Tech Central sont accessibles à tous les usagers du service public, sans discrimination , et sans que l'appartenance à un programme de Station F soit une condition préalable 39 ( * ) .

c) Une comptabilité analytique pour un pilotage budgétaire transversal

Le French Tech Central est par définition une initiative transversale, qui mobilise de nombreux acteurs publics, et implique une mutualisation poussée des moyens humains, matériels et financiers.

La pérennisation du dispositif, et son éventuelle transposition à d'autres situations, implique donc la mise en place d'une comptabilité analytique spécifique , permettant d'évaluer la part de chacun des acteurs concernés, et de rapporter celle-ci aux résultats obtenus.

Il serait toutefois prématuré de lancer ce chantier dès à présent : le projet est encore à un stade expérimental, et a besoin plus que toute autre chose de flexibilité et de capacité d'initiative . De plus, l'Agence du numérique dispose de moyens humains très limités.

d) Du conseil à l'accomplissement effectif des procédures

Du point de vue de l'usager, la question principale est la nature du service rendu. L'objectif, pour le French Tech Central, est de pouvoir offrir non seulement des informations et des conseils aux usagers, mais aussi la possibilité d'accomplir directement, sur place et en temps réel, certaines démarches administratives . Cela implique que les agents présents au sein du French Tech Central aient la possibilité - aussi bien juridique que technique - d'accéder de façon sécurisée aux dossiers individuels des usagers, c'est-à-dire concrètement au système d'information de leur administration . Parmi les organismes présents au French Tech Central, certains offrent déjà cette possibilité, grâce à une organisation flexible et des systèmes conçus pour un accès à distance facile.

A contrario , ce mode de fonctionnement peut s'avérer plus délicat à mettre en oeuvre pour une grande direction comme la DGFiP , organisée depuis longtemps sur une base géographique, et dont les systèmes d'information autant que les procédures sont complexes à faire évoluer. L'enjeu est pourtant très concret : l'administration fiscale est représentée au French Tech Central par la direction des finances publiques compétente pour le département de Paris, mais les start-up présentes à Station F sont parfois domiciliées ailleurs en Île-de-France ou même en France 40 ( * ) . L'agent de l'administration fiscale n'a donc pas accès au dossier du contribuable lors du rendez-vous , et se limite donc à un rôle de conseil et d'information en matière fiscale - qui peut, d'ailleurs, être tenu par d'autres organismes publics présents sur place. Cet obstacle, toutefois, ne paraît pas rédhibitoire, comme le rappelle la récente mise en place par la DGFiP de centres d'appels nationaux , dont les opérateurs ont accès aux dossiers de l'ensemble des contribuables qui les sollicitent.

Ces remarques valent, bien sûr, pour l'ensemble des administrations présentes sur place, étant entendu que la possibilité de réaliser simplement et directement des démarches administratives, sans se déplacer, est évidemment un axe de modernisation majeur du service public , qui dépasse largement le seul cas du French Tech Central.

3. Un soutien politique et au niveau des directions générales : une nécessité qui n'est pas dénuée de risques

Le French Tech Central, initiative lancée par une petite structure de pilotage rattachée aux ministères économiques et financiers, a pu être mis en place grâce à la mobilisation des services de l'État au niveau déconcentré . Il convient tout particulièrement de saluer le rôle joué par la préfecture d'Île-de-France et de son secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) , qui a oeuvré à la mobilisation des différents services.

C'est pour cette raison que les services de l'État sont représentés au sein du French Tech Central par les directions régionales , qu'il s'agisse de l'administration fiscale, de la douane ou encore de la direction des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Cette mobilisation au niveau déconcentré, toutefois, risque de trouver bientôt ses limites 41 ( * ) , comme le montrent par exemple l'obstacle de l'accès au dossier des usagers ne relevant pas du ressort territorial de la direction concernée, ou encore le besoin de règles pérennes de mutualisation des effectifs et de partage des informations À terme, une forte implication des directions générales, et donc un soutien politique, apparaît donc indispensable .

En outre, certaines politiques publiques sont aujourd'hui menées par plusieurs acteurs, dont les compétences sont concurrentes ou du moins insuffisamment définies. Là encore, il appartient à l'autorité politique de définir clairement le chef de file de chacune des politiques concernées - par exemple, pour le financement ou l'accompagnement à l'international (cf. supra ) -, cette responsabilité ne relevant en aucun cas de l'Agence du numérique .

Toutefois, bien qu'indispensable, l'implication des responsables politiques et des responsables de programme n'est pas dénuée de risques .

En effet, il apparaît clairement que les premiers succès du French Tech Central tiennent à la liberté d'initiative dont ses responsables ont pu disposer . Le fait que cet espace soit adossé à un projet privé, Station F , et s'inscrive dans la dynamique dont bénéficie celui-ci, semble à cet égard constituer un facteur de succès important.

Vos rapporteurs spéciaux appellent donc les responsables politiques et les directions générales à se mobiliser pour faciliter la réussite de cette initiative, tout en veillant, à ce stade, à préserver les marges de manoeuvre et les possibilités d'expérimentations qui caractérisent le projet .

4. Une initiative reproductible sous certaines conditions, qui n'a pas les mêmes objectifs que les Maisons de services au public

L'exemple du French Tech Central, avec les questions qu'il pose, pourraient trouver à s'appliquer au-delà du cas particulier des start-up de Station F , et constituer un modèle de réforme du service public fondé sur le paradigme suivant : partir des besoins des usagers, plutôt que des missions de chaque administration ou organisme, trop souvent divisées en silos .

Cette conception, que l'on retrouve d'ailleurs fréquemment dans les documents budgétaires et autres contrats d'objectifs et de performance (COP) des administrations, trouve là une traduction concrète : si un entrepreneur se demande « comment exporter au plus vite ? », il doit pouvoir trouver sur place et rapidement l'ensemble des réponses.

La reproductibilité d'une telle initiative est toutefois soumise à plusieurs conditions. Il convient, à cet égard, de distinguer deux niveaux d'ambition.

D'abord, la transposition du French Tech Central au sein de l'écosystème des start-up innovantes ne semble pas poser de difficulté à moyen terme , sous réserve bien sûr d'apporter des réponses aux questions évoquées ci-dessus. Cet écosystème est bien structuré, connu des pouvoirs publics, et particulièrement en attente de tels services. Des espaces similaires au French Tech Central pourraient ainsi être créés dans les treize « métropoles French Tech » , la plupart de ces écosystèmes labellisés disposant d'ailleurs d'un ou plusieurs bâtiments emblématiques, voire même, à terme, dans les vingt-deux « hubs French Tech » , avec dans ce cas une spécialisation (internationalisation des PME/investissement en France, visa, expatriation etc.). Si cette initiative fait la preuve de son efficacité, elle pourrait constituer un levier puissant de dynamisation et d'attractivité des territoires pour les start-up , du fait de la facilité de sa mise en oeuvre.

Au-delà des PME innovantes, d'autres configurations particulières pourraient s'inspirer de cette démarche , dès lors qu'il existe une concentration d'usagers relativement homogènes et ayant des besoins spécifiques - on pourrait citer, par exemple, les campus universitaires.

En revanche, cette initiative ne semble pas transposable telle quelle à l'ensemble des services publics sur le territoire. Certes, la logique qui sous-tend le French Tech Central rappelle celle des Maisons de services au public (MSAP) : « les Maisons de services au public délivrent une offre de proximité et de qualité à l'attention de tous les publics. En un lieu unique, les usagers sont accompagnés par des agents dans leurs démarches de la vie quotidienne. De l'information à l'accompagnement sur des démarches spécifiques, les Maisons de services au public articulent présence humaine et outils numériques 42 ( * ) ». Il existe aujourd'hui 1 150 MSAP ouvertes ou en cours d'ouverture, réparties sur l'ensemble du territoire national 43 ( * ) , dont sont partenaires sept opérateurs nationaux : Pôle emploi, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), ainsi que La Poste et GRDF.

D'après le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'usager-type est « une femme, âgée de 40 à 60 ans, habitant généralement la communauté de communes d'implantation de la MSAP, qui se renseigne principalement sur : les aides et les prestations sociales (CMU, RSA, etc.) ; l'emploi et la formation ; mais aussi sur l'accès aux outils numériques, le logement, l'énergie, l'accès au droit et les aspects juridiques ».

Les MSAP répondent donc à un objectif très différent : là où le French Tech Central vise à répondre à des problématiques très ciblées et propres aux PME innovantes (propriété intellectuelle, internationalisation, données personnelles etc.), les MSAP ont un impératif d'accessibilité du service public et de cohésion sociale et territoriale , qui repose de surcroît sur des opérateurs publics dotés d'un réseau territorial existant, et de procédures normalisées à l'échelle nationale.


* 30 Source : DINSIC. Certains projets ne sont toutefois pas pris en compte dans le suivi effectué apr la DINSIC, notamment les projets à caractère militaires du ministère des Armées.

* 31 Lancé en 2008, ce projet visait à unifier la paye des 2,5 millions d'agents de l'État (volet « SI-Paye »), et devait être connecté aux nouveaux systèmes d'information de gestion des ressources humaines (SIRH) des différents ministères - c'est dans cette interconnexion que se trouvaient l'essentiel des économies attendues. Toutefois, l'hétérogénéité des SIRH ministériels, la faiblesse du pilotage interministériel et les retards pris dans les développements techniques ont conduit à mettre fin au volet « SI-Paye » de l'ONP.

* 32 Référé S-2016-0980 sur le déploiement du système d'information des ressources humaines des ministères économiques et financiers (SIRHIUS), 20 avril 2016.

* 33 Celle-ci rassemble la DGFiP, la douane, le ministère de l'intérieur, l'autorité judiciaire, la cellule de renseignement financier Tracfin et d'autres administrations.

* 34 En vertu de l'accord multilatéral entre autorités compétentes, signé à Berlin le 29 octobre 2014 sous l'égide de l'OCDE. Près de 150 pays se sont engagés à l'appliquer, à partir de septembre 2017 ou septembre 2018.

* 35 Rapport n° 691 (2014-2015), « Le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source », 17 septembre 2015. Il était proposé d'instituer un système de paiement à la source de la TVA, lors de la transaction sur Internet, par un « paiement scindé » effectué par les intermédiaires de paiement.

* 36 Circulaire du 21 mars 2017 relative à la gestion des ressources humaines dans les métiers du numérique et des systèmes d'information et de communication.

* 37 Source : questionnaire budgétaire complémentaire 2017.

* 38 Il est, à ce stade, impossible de chiffrer précisément le nombre d'ETPT consacrés par les différentes structures publiques à cette initiative.

* 39 Les locaux occupés par l'Agence du numérique au sein de Station F , utilisés par le French Tech Central et d'autres agents de ce service, sont d'ailleurs loués dans les conditions de droit commun.

* 40 Les entreprises accueillies par l'incubateur Station F ne peuvent pas y être domiciliées.

* 41 Le problème ne se pose pas, en revanche, pour les organismes publics ayant une compétence nationale et/ou des procédures plus flexibles que celles des grandes directions à réseau.

* 42 Source : commissariat général à l'égalité des territoires (CGET).

* 43 Source : commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), chiffres au 22 septembre 2017.