MM. Claude NOUGEIN et Thierry CARCENAC, rapporteurs spéciaux

II. LA RÉORGANISATION DES SERVICES DÉCONCENTRÉS, UN CHANTIER DE LONG TERME ET SOUS CONTRAINTE

A. DANS LES TERRITOIRES : UNE RATIONALISATION NÉCESSAIRE, MAIS UNE CONCERTATION DÉFAILLANTE

1. La DGFiP : une relance des restructurations depuis 2016, qui se poursuit en 2018

Avec plus 4 000 points de contact sur l'ensemble du territoire , le réseau de la DGFiP est l'un des plus denses de toutes les administrations d'État. Sa rationalisation constitue une évolution absolument nécessaire pour les prochaines années : de fait, la qualité du service rendu aux usagers est aujourd'hui menacée par l'inadaptation de ce réseau aux évolutions économiques (bassins d'emploi), démographiques (bassins de vie) et technologiques (Internet et dématérialisation). À cela vient s'ajouter une contrainte budgétaire forte sur le long terme.

Les quelque 92 000 agents de l'administration fiscale sont répartis en différents métiers , dans des proportions relativement stables 8 ( * ) . Un tiers d'entre eux environ est affecté aux services des impôts des particuliers (SIP) et des services des impôts des entreprises (SIE), et un quart environ au sein des trésoreries, notamment en milieu rural.

Répartition par métier des effectifs de la DGFiP

En % du total des ETPT en 2017

Source : commission des finances, réponses au questionnaire budgétaire

La fusion des directions départementales est achevée : celles-ci sont passées de 208 en 2008 à 101 en 2016. À la suite de la réforme territoriale de 2015 9 ( * ) , 13 directions régionales ont en outre été créées au 1 er janvier 2017 , dans la perspective de regrouper l'ensemble des services et missions régionaux existants. S'y ajoutent neuf directions interrégionales du contrôle fiscal (DIRCOFI).

Au niveau local, un mouvement de rationalisation des différents services de la DGFiP a été engagé depuis plusieurs années , conduisant à la fusion ou au regroupement de près de 350 services entre 2012 et 2016.

Évolution du réseau déconcentré de la DGFiP entre 2012 et 2016

Au 31 décembre de chaque année (et 1 er janvier pour 2016)

2012

2013

2014

2015

2016

Variation 2012-2016

Trésoreries mixtes

1683

1661

1615

1525

1338

-20,5%

Trésoreries spécialisées

962

963

977

982

1023

6,3%

Services mixtes SIP-SIE

543

540

541

535

523

-3,7%

SIP (impôts des particuliers)

218

218

217

216

205

-6,0%

SIE (impôts des entreprises)

539

539

538

529

501

-7,1%

Pôles de recouvrement spécialisés

104

104

104

104

104

0,0%

Services de la publicité foncière

354

354

354

354

354

0,0%

Total

4403

4379

4346

4245

4048

-8,1%

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Le regroupement des services des impôts des particuliers (SIP) et des services des impôts des entreprises (SIE) , engagé tardivement à partir de 2015 et surtout de 2016, se poursuit à un rythme soutenu : 21 SIP et 34 SIE ont ainsi été fusionnés au 1 er janvier 2017, et une quarantaine de SIE et SIP urbains devraient être fusionnés au 1 er janvier 2018 10 ( * ) . En parallèle, la DGFiP a engagé une démarche de spécialisation de ses services , qui se traduit notamment par la création de pôles patrimoniaux (à partir de 2015) ou de structures mixtes trésoreries-SIE-SIP.

Fusions des SIE et SIP de la DGFiP depuis 2012

Au 31 décembre de chaque année

Source : réponses au questionnaire budgétaire et au questionnaire complémentaire

Ce rythme soutenu de regroupements devrait permettre d'atteindre un nombre adéquat de SIE et de SIP au cours des prochains exercices .

Dès lors, aujourd'hui, les efforts se concentrent principalement sur le regroupement des postes comptables (trésoreries) de la DGFiP en milieu rural . Les trésoreries assurent la gestion budgétaire et comptable des collectivités locales et de leurs établissements publics, des hôpitaux et de certains offices publics de l'habitat. En milieu rural ou péri-urbain, des trésoreries « mixtes » sont aussi compétentes pour le recouvrement des impôts, et offrent aux particuliers un accueil fiscal de proximité, en complément des SIE et des SIP.

Après un quasi-gel des réorganisations dans les années 2012 à 2014, celles-ci ont été relancées à partir de 2015, et surtout de 2016 .

Au 1 er janvier 2017, 124 trésoreries ont ainsi été fusionnées avec des trésoreries proches, et nombre d'opérations du même ordre est prévu pour l'année 2018.

Fusions de trésoreries la DGFiP depuis 2009

Au 31 décembre de chaque année (2018 : prévisions)

Source : réponses au questionnaire budgétaire et audition de Bruno Parent (21 octobre 2017)

S'agissant du réseau urbain , un mouvement de regroupement des postes comptables a été engagé en 2015. Les trésoreries sont également concernées par la démarche de spécialisation, avec notamment la création de trésoreries hospitalières, plus étoffées et plus professionnelles .

2. La DGDDI : la poursuite des réorganisations, avec des objectifs décalés à 2020

À l'instar de l'administration fiscale, la douane est engagée depuis plusieurs années dans un effort de rationalisation de son réseau territorial , conformément aux orientations fixées par le programme stratégique Douane 2018 (PSD 2018) - dont les objectifs devraient finalement être atteints en 2020 .

Sur le plan géographique, la douane est structurée en 12 directions interrégionales , qui constituent le niveau principal de décision, sur le plan opérationnel mais aussi en matière de pilotage fonctionnel, budgétaire et comptable. Celles-ci sont elles-mêmes divisées 42 directions régionales et 842 implantations en 2017 .

Les effectifs sont répartis en trois « branches » : la branche « surveillance », qui regroupe environ la moitié des agents (en uniforme), et les branches « opérations commerciales » et « administration générale », qui regroupe l'autre moitié des agents (en civil). Une implantation territoriale de la douane peut comprendre des effectifs appartenant à une ou plusieurs branches.

Le réseau territorial et la répartition des effectifs de la DGDDI fin 2016

Source : direction générale des douanes et droits indirects

Afin d'améliorer la qualité du service rendu aux usagers, l'efficacité des contrôles mais aussi les conditions de travail des agents, l'objectif général est de diminuer le nombre d'implantations et d'augmenter le nombre d'agents par implantation . L'enjeu est aussi immobilier, quoiqu'avec un ratio de 12,54 mètres carrés par agent en 2017, la DGDDI est déjà presque conforme à la cible de 12 mètres carrés.

Le nombre d'implantations est stable en 2017 (842 implantations) , après avoir diminué de 18 % entre 2011 et 2016, passant de 903 implantations à 841 implantations 11 ( * ) . Le nombre moyen d'agent par bureau ou brigade, quant à lui, est en augmentation .

La réorganisation du réseau territorial de la DGDDI se fait selon les priorités suivantes :

- le regroupement des postes comptables de la DGDDI, avec un objectif de 18 recettes interrégionales (soit 13 et métropole, en cohérence avec la nouvelle carte régionale, et 5 en outre-mer), contre 41 recettes régionales actuellement (et 226 avant la première centralisation comptable). À deux exceptions près (Le Havre au lieu de Rouen, et Dunkerque au lieu de Lille), liées à la structure historique de la DGDDI, les recettes interrégionales devraient être installées aux chefs-lieux de région ;

- la fermeture des petits bureaux de douane et des services des contributions indirectes trop fragiles au profit de bureaux multifonctions, rassemblant diverses compétences. Une vingtaine de bureaux pourraient être concernés dans les prochaines années ;

- le regroupement des brigades de surveillance terrestre, et notamment des brigades fixes aux points de passage autorisés (PPA) et aux points de passage frontaliers (PPF). Une quinzaine de bridages pourraient être concernés dans les prochaines années ;

- le regroupement de certaines fonctions en services nationaux spécialisés : service grands comptes (SGC), pôle d'expertise en matière de fiscalité environnementale au bureau de Nice-Port (qui gère l'intégralité de la TGAP), ou encore création de cinq pôles spécialisés en fiscalité de l'énergie (au sein de cinq directions interrégionales).

Surtout, le service national douanier de la fiscalité routière (SNDFR) , installé à Metz à la mi-2015 12 ( * ) , centralise depuis le 1 er juillet 2017 l'intégralité de la gestion de la fiscalité des transports, c'est-à-dire la taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR) et les demandes de remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Le SNDFR compte aujourd'hui 116 agents, après une montée en charge progressive . La DGDDI a toutefois rencontré des difficultés à pourvoir les postes ouverts à Metz, en raison notamment des règles de mobilité applicables aux agents 13 ( * ) .

3. Une évolution nécessaire, d'abord conduite en fonction des circonstances internes

La rationalisation des implantations territoriales de la DGFiP et de la DGDDI constitue une évolution nécessaire, qui doit être poursuivie . Les structures les plus fragiles, qui ne sont plus à même de fournir un service de qualité aux usagers ni des conditions de travail satisfaisantes aux agents, doivent être regroupées.

Les réorganisations ont vocation à suivre les grandes mutations économiques et démographiques , et également à s'adapter à la nouvelle carte territoriale (cf. infra ).

Dans cette perspective, les directeurs départementaux des finances publiques se sont vu confier en 2014 le soin d'élaborer, pour leur département, un diagnostic précis et détaillé de l'organisation de l'ensemble de leurs services.

À court terme, toutefois, il apparaît que les décisions relatives à la réorganisation de ces réseaux n'obéissent pas à un schéma préétabli, mais qu'elles sont plutôt prises au gré des circonstances . Il n'existe pas, du moins de façon formelle, d'objectif chiffré tel qu'un nombre d'usagers cible par service au sein d'un territoire donné - ce qui d'ailleurs n'aurait pas toujours de sens, un territoire de montagne étant par exemple plus difficile à « couvrir », à population identique, qu'un territoire de plaine.

Les décisions semblent bien davantage prises de façon ponctuelle, en particulier à l'occasion des départs en retraite d'agents affectés à des services devenus trop petits. À cet égard, il convient de préciser que l'âge médian des agents de l'administration fiscale est d'environ 50 ans , et que le nombre de sorties (retraite etc.) excède largement le nombre d'entrées (5 860 ETP contre 4 260 ETP en 2018). Les gestionnaires sont toutefois très contraints, notamment en raison des règles de mobilité des agents, qui laissent à ces derniers une grande latitude - laquelle se traduit souvent par une volonté de quitter les territoires urbains, où les effectifs font défaut, au profit de postes au sein du réseau rural, sur lesquels ils ne demeurent du reste pas longtemps.

Les cartes 14 ( * ) ci-après permettent de mesurer ce pilotage « de circonstances ». Elles comparent, au niveau de chaque département :

- d'une part, l'évolution entre 2014 et 2016 des effectifs de la DGFiP affectés à la fiscalité des particuliers avec l'évolution du nombre de foyers fiscaux redevables de l'impôt sur le revenu 15 ( * ) ;

- d'autre part, l'évolution entre 2014 et 2016 des effectifs de la DGFiP affectés à la fiscalité des professionnels avec l'évolution du nombre redevables ayant déposé une déclaration de TVA 16 ( * ) .

Il convient, à titre liminaire, de rappeler que les effectifs de la DGFiP directement affectés à la fiscalité des particuliers (SIP) et des professionnels (SIE), soit environ 30 000 agents, ne représentent qu'un tiers du total des agents de cette direction . Aussi les évolutions constatées ne correspondent donc pas nécessairement à l'évolution globale des effectifs pour chaque département.

Ces remarques étant faites, l'analyse de ces cartes peut appeler les observations suivantes :

- il n'est pas possible d'identifier une corrélation fine et directe entre l'évolution des effectifs d'une part, et les réalités économiques et démographiques d'autre part, ce qui confirme que, sur courte période au moins, les réorganisations sont surtout menées en fonction des possibilités internes , ou contraintes par les rigidités inhérentes à la gestion d'une telle administration. Ainsi, les diminutions d'effectifs les plus élevées, qui sont de l'ordre de 15 % des effectifs en trois ans (pour une moyenne de 4,5 % pour les particuliers et de 3,6 % pour les professionnels), touchent à la fois des départements dont le nombre de redevables baisse, et des départements dont le nombre de redevables augmente ;

- en revanche, les évolutions affectant les deux types de services semblent concerner des départements distincts , et ceci de manière assez nette. Concrètement, cela correspond souvent à l'arbitrage suivant : fermer un SIE ou un SIP, mais pas les deux à la fois sur une courte période . Cet arbitrage, qui couvre aussi les autres services de la DGFiP, témoigne d'une volonté de mener la réorganisation du réseau de manière progressive et équilibrée.

Évolution entre 2014 et 2016 des effectifs de la DGFiP
affectés à la fiscalité des particuliers

Évolution entre 2011 et 2016 du nombre de foyers fiscaux
redevables de l'impôt sur le revenu

Source : commission des finances, d'après les éléments transmis à vos rapporteurs spéciaux, la documentation statistique annuelle de la DGFiP et les extractions de l'outil suivi annuel et général des effectifs du réseau des finances publiques (SAGERFiP).

Évolution entre 2014 et 2016 des effectifs de la DGFiP
affectés à la fiscalité des professionnels

Évolution entre 2014 et 2016 du nombre de redevables
ayant déposé une déclaration de TVA

Source : commission des finances, d'après les éléments transmis à vos rapporteurs spéciaux, la documentation statistique annuelle de la DGFiP et les extractions de l'outil suivi annuel et général des effectifs du réseau des finances publiques (SAGERFiP).

4. Une concertation défaillante avec les acteurs locaux

La réorganisation du réseau de la DGFiP et de la DGDDI se fait donc largement en fonction des circonstances. Si cette méthode peut s'expliquer et se comprendre à plusieurs égards, elle présente toutefois un inconvénient majeur pour les citoyens, les collectivités locales et les acteurs locaux d'une manière générale : son manque de prévisibilité .

En effet, même si les décisions de fermeture ou de regroupement sont justifiées sur le fond, elles n'en ont pas moins des conséquences importantes au niveau local, qui requièrent un minimum d'anticipation et de coordination . À défaut, un même territoire pourrait « perdre » en même temps plusieurs services de l'État - l'administration fiscale, la gendarmerie, la douane etc. -, ce qui représente une grave menace pour sa cohésion, sans rien apporter à l'usager en termes de qualité du service public. En particulier, rien ne justifie a priori que tous les services de l'État se regroupent au chef-lieu du département ou de la région.

D'après l'administration fiscale, « s'agissant de l'évolution de son réseau rural, la DGFiP s'attache particulièrement à prendre en compte  le contexte territorial, dans le cadre d'une concertation approfondie avec les acteurs et élus locaux 17 ( * ) ». La douane a une position similaire.

En pratique, toutefois, vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que déplorer l'absence trop fréquente de concertation en amont de ces décisions, notamment entre les acteurs locaux et le préfet , à qui il incombe de coordonner l'ensemble des administrations de l'État, ainsi qu'avec les agents publics concernés. Il s'agit pourtant d'une obligation légale : l'article 98 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) prévoit l'élaboration de schémas départementaux d'amélioration et d'accessibilité des services au public . Si ceux-ci n'ont pas de valeur contraignante, ils n'en constituent pas moins un outil indispensable pour assurer la cohésion et l'équilibre des territoires.

Il n'est pas acceptable que, dans certains territoires, la décision de l'État intervienne avant même que le schéma ait pu être élaboré .

À vrai dire, de telles défaillances ne tiennent pas tant aux administrations elles-mêmes (la DGFiP et la DGDDI) qu'à la relative faiblesse du préfet et à l'absence de dialogue entre les différents services de l'État , qui conduisent chacun la rationalisation de leur propre réseau de manière autonome.

D'une manière générale, une adaptation à la nouvelle carte intercommunale s'impose, du moins pour la DGFiP . Avec quelque 1 270 EPCI, celle-ci est maintenant stabilisée : que la DGFiP doit en tenir le plus grand compte. Il en va de même pour la carte des trésoreries hospitalières , où une plus grande prévisibilité apparaît possible.

Dans ce contexte, les recommandations suivantes, déjà formulées par vos rapporteurs spéciaux Thierry Carcenac et Michel Bouvard l'année dernière, peuvent être reprises dans les mêmes termes :

« - la DGFiP et le cas échéant le préfet devraient s'abstenir de prendre toute décision avant l'adoption du schéma départemental d'amélioration et d'accessibilité des services au public ;

« - une prévisibilité à moyen terme est nécessaire , au moins pour les cas où les évolutions sont évidentes, par exemple pour les trésoreries hospitalières ou l'adaptation à la nouvelle carte intercommunale ;

« - la présence de proximité doit être maintenue , y compris par un développement du recours aux maisons de service au public pour l'accueil des usagers. La proximité de l'accueil et des services « de base » n'est pas incompatible avec un regroupement, par ailleurs, des services spécialisés ».

5. La mutualisation, garantie de la proximité

Fournir un service public de qualité aux usagers consiste de moins en moins à assurer une présence « permanente » , au risque que celle-ci soit assurée par un nombre d'agents très restreint et n'ayant pas compétence pour intervenir sur l'ensemble des sujets.

L'enjeu pour la DGFiP comme pour la DGDDI est aujourd'hui d'assurer une présence « pertinente » . C'est d'ailleurs le sens du passage progressif des centres des impôts à un fonctionnement par rendez-vous, plutôt que par guichet. Se développent également les dispositifs de présence « modulaire », comme par exemple des permanences dans les mairies.

Toutefois, la mutualisation des services et de leurs moyens, notamment immobiliers, reste à ce jour une piste insuffisamment explorée .

À cet égard, la possibilité de recourir aux Maisons de services au public (MSAP) devrait être envisagée de façon plus systématique . Une participation de la DGFiP, voire de la DGDDI à ces initiatives permettrait à la fois d'accroître l'offre de chacune de ces structures pour les usagers, et de multiplier leur nombre sur leur territoire. Pour mémoire, il existe aujourd'hui 1 150 MSAP ouvertes ou en cours d'ouverture, réparties sur l'ensemble du territoire national 18 ( * ) , dont sont partenaires sept opérateurs nationaux : Pôle emploi, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), ainsi que La Poste et GRDF.

Dans le cadre plus spécifique de l'écosystème des start-up innovantes, le « French Tech Central » constitue une autre piste de modernisation encourageante. Installé au sein de l'incubateur Station F , cet espace rassemble près de trente services publics différents, dont la DGFiP et la DGDDI. Une telle initiative, toutefois, n'est pas transposable telle quelle sur l'ensemble du réseau territorial des administrations relevant de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » (cf. infra ).

Enfin, vos rapporteurs spéciaux soulignent que le développement de services dématérialisés , s'il constitue une piste d'amélioration importante (cf. infra ), n'a pas vocation et ne saurait en aucun cas se substituer à la présence de la DGFIP dans les territoires . De même, si l'on peut saluer le lancement d'initiatives « digitales » telles que les MOOC 19 ( * ) ou « tutoriels vidéo 20 ( * ) », il convient de rappeler que celles-ci s'adressent à un public ciblé, voire restreint, et qu'elles ne peuvent pas remplacer l'accompagnement de proximité.

De plus, le développement des services publics numériques ne peut constituer une réponse adéquate qu'à la stricte condition d'assurer une couverture de l'ensemble du territoire en très haut débit d'ici 2022 , conformément aux engagements pris en 2013, et réitérés par le Président de la République le 17 juillet 2017. Or à ce stade, le déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP) dans les territoires ruraux est bien trop lent : seuls 31,2 % des ménages et locaux professionnels ont accès au très haut débit, dont une petite part seulement (5,5 %) peut bénéficier de la fibre optique jusqu'à l'abonné. Par contraste, en zone dense, 62,2 % des ménages et locaux professionnels ont accès au très haut débit, dont 55,4 % ont accès à la fibre optique.

B. DANS LES SERVICES : L'INQUIÉTANTE IMPRÉPARATION DE LA DGFIP FACE AUX MUTATIONS À VENIR

1. Prélèvement à la source, prélèvement forfaitaire unique, impôt sur la fortune immobilière et révision des valeurs locatives : des réformes aux effets systémiques mal anticipées

L'enjeu de la réorganisation territoriale des services se cumule, notamment à la DGFiP, avec celui de l'organisation interne aux services. Or il existe, sur ce point, d'importants motifs d'inquiétude .

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, vos rapporteurs spéciaux Michel Bouvard et Thierry Carcenac avaient alerté sur le surcroît de charge de travail que causait, dans les services, la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) . La transformation du CICE en allègement pérenne de cotisations patronales 21 ( * ) , à compter du 1 er janvier 2019, ne met pas fin à ce problème, car la « bascule » sera progressive et les créances de CICE demeureront.

Dans ce contexte, la prochaine mise en oeuvre de réformes majeures de la fiscalité , prévues notamment par le présent projet de loi de finances pour 2018, est de nature à accroître encore la désorganisation des services :

- la mise en oeuvre du prélèvement à la source (cf. supra ) ;

- la suppression progressive de la taxe d'habitation pour 80 % des foyers 22 ( * ) , sous la forme d'un dégrèvement pris en charge par l'État, dans la limite des taux et abattements en vigueur pour les impositions de 2017 ;

- la mise en place du prélèvement forfaitaire unique 23 ( * ) (PFU) sur les revenus de l'épargne, au taux de 30 % (dont 12,8 % d'impôt sur le revenu), à la place de l'imposition au barème et de la plupart des régimes spécifiques existants ;

- la création de l'impôt sur la fortune immobilière 24 ( * ) (IFI) et l'abrogation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ;

- la révision des valeurs locatives des locaux professionnels 25 ( * ) , qui sera mise en oeuvre dès 2017 pour taxe foncière (TF), de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et de cotisation foncière des entreprises (CFE) et en 2018 en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et à laquelle pourrait succéder une révision des valeurs locatives des locaux d'habitation , le rapport rendu le 1 er mars 2017 à la suite d'une période d'expérimentation ayant conclu à l'absence d'obstacles techniques.

Il s'agit là de réformes systémiques pour la DGFiP, dont l'impact sur l'organisation interne des services, la charge de travail des agents et l'évolution de leurs missions pourrait être considérable , et est en tout état de cause inédit depuis plusieurs années.

Or vos rapporteurs spéciaux n'ont obtenu que des informations très vagues quant aux mesures prises pour assurer la bonne mise en oeuvre de ces réformes, de manière concrète, au sein des services et dans les relations avec les usagers. Les documents budgétaires ne contiennent presque aucune précision relative à l'organisation des tâches, à la gestion du temps de travail, à la formation des agents, à la communication interne et externe etc. Compte tenu de l'ampleur de ces réformes et de leur caractère simultané, de surcroît dans un contexte de poursuite de la réduction des effectifs (en dépit des 500 ETP prévus au titre du prélèvement à la source), la DGFiP doit impérativement s'attacher à formuler des réponses concrètes à ces inquiétudes, au risque d'une désorganisation profonde et durable de l'ensemble de cette administration .

2. Le risque d'un affaiblissement durable du contrôle fiscal

En dépit de la baisse tendancielle des effectifs de la DGFiP, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales constitue - à juste titre - une priorité forte du Gouvernement. À ce titre, les effectifs du contrôle fiscal au sein de la DGFiP, soit environ 9,7 % du total, sont « sanctuarisés » depuis plusieurs années.

Toutefois, cette stabilité globale n'empêche pas, au sein de cet ensemble, une hausse tendancielle des effectifs affectés aux services spécialisés tels que les DIRCOFI 26 ( * ) (+ 4 % entre 2014 et 2016), la DNEF 27 ( * ) (+ 4 % entre 2014 et 2016) ou encore la DVNI 28 ( * ) (+ 3,7 % entre 2014 et 2016). Ce choix permet une concentration sur les dossiers à plus fort enjeu, et est en soi justifié.

Toutefois, sa conséquence est une baisse corrélative des effectifs chargés du contrôle fiscal « de proximité » , notamment dans les brigades départementales. Une telle diminution a toutefois ses limites, et ne peut pas demeurer viable à long terme , qu'il s'agisse d'efficacité ou d'égalité devant l'impôt. Plusieurs remarques peuvent être faites à cet égard :

- la loi de finances rectificative pour 2016 29 ( * ) a créé une procédure dite d'« examen de comptabilité », qui permet aux agents de l'administration d'examiner la comptabilité des entreprises tenue sous forme informatisée, sans se déplacer dans l'entreprise. Il s'agit donc d'un contrôle sur place... à distance . Cette nouvelle procédure, permettra aux agents d'effectuer un plus grand nombre de contrôles, dans les cas où il n'est pas nécessaire de se déplacer. Mais on pourrait aussi y voir un risque - ou un aveu - d'affaiblissement des moyens du contrôle fiscal , notamment dans les cas où seul un déplacement dans les locaux de l'entreprise permet d'obtenir certaines informations (par exemple un contrôle physique des stocks) ;

- d'une manière générale, le recouvrement effectif des droits et pénalités redressées demeure un point faible . Mesuré par l'indicateur 1.2 du programme 156, le taux net en droits et pénalités sur créance de contrôle fiscal prises en charge en N-1 reste peu élevé, et est même en baisse (69 % en 2015, 66 % en 2016, cible de 65 % en 2017 et 2018). Ceci s'explique par les faillites, les procédures contentieuses, ou encore les difficultés à recouvrer les sommes redressées dès lors que le contribuable est établi à l'étranger, et que l'assistance administrative internationale, avec ses lenteurs et ses dysfonctionnements, doit être activée ;

- dans ce contexte, l'annulation du redressement fiscal de Google en juillet 2017 (1,1 milliard d'euros) rappelle qu'un risque juridique élevé pèse sur les dossiers les plus importants, auxquels une part importante des résultats du contrôle fiscal est due ces dernières années ;

- de même, la fermeture du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) au 31 décembre 2017 rappelle que de telles recettes ont par définition un caractère exceptionnel (au-delà de la partie « pérenne » due aux assiettes auparavant dissimulées, qui est très difficile à évaluer et en tout état de cause peu importante par rapport aux droits et pénalités dus). Ces recettes avaient d'ailleurs commencé à se tarir : 1,9 milliard d'euros en 2014, 2,7 milliards d'euros en 2015, 2,5 milliards d'euros en 2016, et moins de un milliard d'euros attendus en 2017.


* 8 Certaines variations sont constatées d'une année à l'autre ; toutefois, celles-ci sont pour partie dues à des changements dans les règles de ventilation entre les différents métiers des fonctions supports.

* 9 Loi n ° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 10 Source : réponses au questionnaire budgétaire. Pour mémoire, les regroupements prévus au titre d'un exercice interviennent généralement le 1 er janvier de chaque année.

* 11 Source : projet annuel de performances.

* 12 La création du SNDFR visait à remplacer le service taxe poids lourds (STPL), suite à la décision du Gouvernement de « suspendre sine die » la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, le 9 octobre 2014.

* 13 Plusieurs ont refusé une mobilité, compte tenu notamment du manque de logements disponibles.

* 14 Les données relatives aux effectifs sont issues de l'outil suivi annuel et général des effectifs du réseau des finances publiques (SAGERFiP). Elles font apparaître la répartition fonctionnelle des agents de la DGFiP, au 31 décembre de chaque année. Elles sont donc différentes des plafonds d'emplois votés en loi de finances initiale.

* 15 Cette variable est plus pertinente, par exemple, que l'évolution des recettes d'impôt sur le revenu collectées par la DGFiP, soumises à de nombreux facteurs exogènes sans lien avec la répartition des effectifs : conjoncture économique, inégale répartition géographique des revenus, impact variable d'un changement de barème selon les départements etc.

* 16 Les mêmes remarques s'appliquent : le nombre de dépôt de déclarations de TVA est une mesure plus pertinente du besoin en effectifs que, par exemple, les recettes de TVA, qui sont très sensibles à la conjoncture.

* 17 Source : réponses au questionnaire budgétaire.

* 18 Source : commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), chiffres au 22 septembre 2017.

* 19 Les MOOC ( Massive Online Open Courses ) sont des cours en ligne ouverts à tous. La DGFiP a notamment lancé l'élaboration d'un MOOC sur le régime du micro-entrepreneur, qui aboutira en 2018. Source : réponses au questionnaire complémentaire.

* 20 « Une vidéo intitulée « comment déclarer et payer sa TVA » est accessible sur internet via Youtube et impots.gouv.fr depuis octobre 2017. D'autres tutoriels sont en cours de réalisation s'agissant notamment de la création de son espace professionnel ». Source : réponses au questionnaire complémentaire.

* 21 Article 42 du projet de loi de finances pour 2018.

* 22 Article 3 du projet de loi de finances pour 2018.

* 23 Article 11 du projet de loi de finances pour 2018.

* 24 Article 12 du projet de loi de finances pour 2018.

* 25 Article 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 26 Directions interrégionales du contrôle fiscal.

* 27 Direction nationale des enquêtes fiscales.

* 28 Direction des vérifications nationales et internationales.

* 29 Article 14 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.