AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mercredi 9 février 2000

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Retraites - Audition de M. René Teulade sur l'avis du Conseil économique et social

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. René Teulade sur l'avis du Conseil économique et social, consacré à " L'avenir des systèmes de retraite ".

M. Jean Delaneau, président, a fait valoir que la commission suivait naturellement, avec beaucoup d'attention, le dossier des retraites. Il a souligné qu'elle avait ainsi entendu à deux reprises M. Jean-Michel Charpin, commissaire général du Plan, à la fois sur la méthode retenue pour élaborer le " diagnostic partagé " que lui avait commandé le Premier ministre, et sur les conclusions de ses travaux.

Il a rappelé que M. Alain Vasselle, rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour l'assurance vieillesse, avait réalisé, à la demande de la commission, une analyse des apports du travail du commissaire au Plan et une appréciation des réactions que ce travail avait suscitées.

M. Jean Delaneau, président, a constaté que l'avis du Conseil économique et social avait, par sa teneur, créé la surprise et fait l'objet de commentaires sévères. Il a indiqué à M. René Teulade que la commission attendait, de cette audition, des éléments permettant de comprendre les raisons de l'écart de ton considérable qui existait entre le " rapport Charpin " et le " rapport Teulade ".

M. Jean Delaneau, président, a également relevé que cet avis avait fait l'objet, lors de son examen par le Conseil économique et social, d'une motion préjudicielle, demandant le renvoi pour avis à la section des finances et à celle des problèmes économiques, généraux et de la conjoncture. Il a souligné que le dépôt d'une telle motion constituait une procédure très rare au Conseil économique et social.

Après s'être félicité que la représentation nationale ait souhaité l'entendre, M. René Teulade a fait observer que l'avis du Conseil économique et social avait été abondamment commenté par la presse, de manière souvent très inexacte.

Il a souligné que l'avis sur " L'avenir des systèmes de retraite " était avant tout l'avis du Conseil économique et social et qu'il n'était, pour sa part, que le rapporteur de cette assemblée. Rappelant la procédure suivie pour l'adoption de cet avis, il a précisé que le Conseil économique et social s'était saisi de ce dossier et avait désigné M. Jean-Louis Mandinaud comme rapporteur de la section des affaires sociales en avril 1999. Ce dernier n'ayant pas vu son mandat renouvelé en septembre 1999, M. René Teulade avait alors été désigné comme rapporteur.

M. René Teulade a expliqué que le Conseil économique et social n'avait pas entendu publier un nouveau rapport ou une nouvelle étude sur les retraites, mais avait émis, en toute indépendance, un avis destiné à éclairer les décideurs. Il a estimé que l'avis adopté par la section des affaires sociales le 23 décembre 1999, puis en séance plénière le 12 janvier 2000, résultait de la synthèse des positions des différentes composantes du Conseil économique et social.

M. René Teulade s'est élevé contre les commentaires selon lesquels cet avis se serait fondé sur une prévision de croissance de 3,5 % par an pendant 40 ans. Il a jugé que préconiser un tel taux de croissance, pour résoudre le problème des retraites, aurait été totalement irréaliste. Il a affirmé que, face à la réalité " mouvante et vivante " de la question des retraites, qui nécessitait des adaptations progressives, le Conseil économique et social s'était au contraire placé résolument dans un horizon de court terme. Il a souligné que l'avis du Conseil économique et social ne reposait sur aucune projection à long terme, contrairement au rapport de M. Jean-Michel Charpin.

M. René Teulade a constaté que la démarche globale et prudente du Conseil économique et social avait sans doute été mal comprise ; il a indiqué qu'il s'efforçait désormais de l'expliciter davantage.

M. René Teulade a jugé que la question du financement des retraites devait être analysée de manière globale et qu'il n'apparaissait pas réaliste, dans les conditions économiques actuelles caractérisées par le recours massif aux préretraites, d'envisager une augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Il a précisé que si le Conseil économique et social n'avait pas entendu écarter définitivement la nécessité d'un éventuel allongement de la durée de cotisation, il avait plutôt souhaité étudier les possibilités d'accroître, dans l'immédiat, les ressources disponibles pour financer les retraites.

Evoquant les mesures concrètes préconisées par l'avis du Conseil économique et social, M. René Teulade a rappelé qu'il avait ainsi suggéré d'inverser la pratique actuelle des cessations anticipées et définitives d'activité, et de remplacer les aides publiques actuelles aux préretraites par des dispositifs souples de préretraites choisies et progressives. Le Conseil économique et social avait préconisé de mieux prendre en considération, dans le décompte des annuités pour la retraite, le service national, les périodes de stage, ainsi que la pénibilité du travail, et de favoriser une liberté accrue du choix de l'âge de départ à la retraite en remplaçant les abattements actuels par le principe d'une neutralité actuarielle.

M. René Teulade a jugé que des marges de financement complémentaires devaient par ailleurs être dégagées, en abondant le fonds de réserve pour les retraites par l'affectation des excédents de la sécurité sociale, et en soulageant les régimes de retraite du financement des " avantages non contributifs ".

Soulignant que les salariés du régime général avaient déjà été fortement mis à contribution par la réforme de 1993, M. René Teulade a jugé nécessaire une remise à plat de la situation des régimes spéciaux et un rapprochement des taux d'effort des différents régimes. Il a conclu en précisant que le Conseil économique et social avait entendu tenir compte des circonstances nouvelles créées par la forte croissance que connaissait la France depuis un an.

M. Jean Delaneau, président, a constaté que l'avis du Conseil économique et social mettait effectivement l'accent sur le rôle prééminent de la croissance dans le financement futur des retraites.

M. Alain Vasselle, rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour l'assurance vieillesse, s'est interrogé sur la pertinence d'une vision à si court terme lorsque l'on veut aborder " l'avenir des systèmes de retraite ". Il a constaté que le rapport de M. René Teulade se référait certes aux travaux de la mission Charpin, mais également à une étude du Conseil économique et social en date de juin 1999, intitulée " Perspectives socio-démographiques à l'horizon 2020-2040 ", rédigée par Mme Chantal Lebatard, et s'appuyait sur cette étude pour souligner " le rôle clé de la croissance dans la réponse aux problèmes financiers des systèmes de retraite ".

M. Alain Vasselle a souligné que, sur ce point, les travaux du Conseil économique et social étaient en totale contradiction avec ceux du Plan : ainsi, avec des hypothèses identiques, et en retenant une indexation des pensions sur les prix, le poids des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) reviendrait, selon le Conseil économique et social, de 12,7 % en 1995 à 10,3 % en 2040, tandis que, dans le rapport Charpin, il atteindrait 15,8 %. M. Alain Vasselle s'est interrogé sur les raisons susceptibles d'expliquer une telle contradiction.

M. René Teulade a considéré que l'on ne pouvait pas opposer l'avis du Conseil économique et social et le rapport de M. Jean-Michel Charpin, dans la mesure où le premier se limitait à une analyse à un horizon de 3 ou 4 ans, tandis que le rapport Charpin procédait à des projections à l'horizon 2040. Il a fait valoir que la croissance que connaissait notre pays était moins forte au moment où avait été élaboré le rapport Charpin et que le Conseil économique et social, conscient des difficultés d'établir des projections à long terme, avait souhaité que soit mis en place un Centre national de vigilance et de garantie des retraites, qui réexaminerait périodiquement l'évolution de la situation des retraites.

M. Claude Domeizel a demandé si le Conseil économique et social avait intégré, dans sa réflexion, l'évolution, depuis 1945, du niveau des pensions de réversion et de l'espérance de vie moyenne.

M. Claude Huriet a relevé que l'avis du Conseil économique et social n'avait été adopté que par 100 voix sur 201, ce qui constituait un événement tout à fait exceptionnel dans une assemblée qui s'efforçait habituellement de dégager des consensus. Il a jugé qu'il n'était pas raisonnable d'analyser le problème des retraites à un horizon de court terme, puisque les problèmes ne commenceraient à se manifester effectivement qu'à un horizon de 5 à 10 ans. Examinant les propositions formulées par l'avis, il s'est demandé comment une augmentation de la fécondité pouvait avoir un impact à court terme sur les retraites.

M. Jean Chérioux s'est également interrogé sur l'incidence d'une hausse éventuelle du taux de fécondité.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souhaité savoir si l'avis du Conseil économique et social avait étudié la question de l'assiette des cotisations de retraite.

M. Alain Gournac s'est inquiété de la perception du rapport de M. René Teulade par l'opinion publique, qui pouvait être tentée de croire qu'il n'y avait effectivement pas de problème de financement futur des retraites. Il a souligné que le problème des retraites était à l'évidence un problème de long terme, et non un problème à court terme.

Mme Gisèle Printz s'est inquiétée de l'évolution des pensions de réversion.

M. Guy Fischer s'est réjoui que le rapport de M. René Teulade mette fin au catastrophisme qui caractérisait trop souvent les analyses de la question des retraites. Il a interrogé M. René Teulade sur les conséquences, pour le pouvoir d'achat des retraités, de l'indexation des prix sur les pensions, et il s'est inquiété des modalités de placement des sommes accumulées au sein du fonds de réserve pour les retraites.

M. Alain Vasselle a considéré qu'il ne pouvait y avoir de contradiction entre le rapport Charpin et l'avis du Conseil économique et social, puisque tous deux se situaient dans des horizons temporels radicalement différents. Il a souligné que la préoccupation du Sénat était précisément de prendre aujourd'hui les mesures qui assureraient l'équilibre à long terme de notre système de retraite.

M. René Teulade a fait valoir que le Conseil économique et social n'avait pas récusé un allongement éventuel de la durée de cotisation, mais avait jugé aujourd'hui inopportune cette mesure, dans le contexte nouveau créé par la croissance. Il a jugé que le problème des retraites concernait surtout les régimes spéciaux, et qu'il convenait d'éviter de creuser les écarts entre ces régimes et les régimes qui avaient l'objet de réformes. Il a fait valoir que cette question était délicate, car touchant aux statuts des personnels.

M. René Teulade a estimé que l'avis du Conseil économique et social avait recueilli l'accord de l'ensemble des forces vives de la Nation. Il a ajouté que le Conseil économique et social avait contribué à dédramatiser la question des retraites et pensait avoir accompli, de la sorte, oeuvre utile.

M. Jean Delaneau, président, a fait observer que la Confédération française démocratique du travail (CFDT) avait émis de vives critiques contre cet avis, qu'elle n'avait d'ailleurs pas voté, et que Mme Nicole Notat, secrétaire général de cette confédération, avait ainsi dénoncé une " illusion dangereuse pour les salariés ".

Retraites - Audition de M. Jean-Michel Charpin, commissaire général du Plan

Puis la commission a entendu M. Jean-Michel Charpin, commissaire général du Plan.

M. Jean Delaneau, président,
a relevé les fortes divergences qui opposaient les conclusions du rapport de M. Jean-Michel Charpin et les conclusions de l'avis du Conseil économique et social.

Après avoir déclaré que nul n'était plus qualifié que M. René Teulade pour commenter l'avis du Conseil économique et social, M. Jean-Michel Charpin a fait valoir les différences d'approche qui existaient entre son rapport et le rapport de M. René Teulade.

Il a rappelé que l'avis du Conseil économique et social s'était largement appuyé, en la citant, sur l'étude de cette même assemblée rédigée par Mme Chantal Lebatard. En se fondant sur certains des scénarios étudiés par Mme Lebatard, l'avis du Conseil économique et social avait été amené à souligner qu'un taux de croissance de 3,5 % par an pendant 40 ans serait nécessaire pour permettre le financement des retraites sans augmentation de la part de celles-ci dans le PIB. Il a fait valoir que l'étude de Mme Lebatard présentait comme irréalisable le maintien d'un tel taux de croissance à long terme.

S'interrogeant sur la raison qui conduisait les travaux du Conseil économique et social à minorer de 50 %, soit plusieurs centaines de milliards de francs par an, les charges futures des régimes de retraite, M. Alain Vasselle a relevé une erreur de méthode majeure : il a souligné que les projections retenues par le Conseil économique et social " oubliaient " que la pension moyenne augmentait à long terme au même rythme que les salaires, quand bien même les pensions seraient indexées sur les prix. Dans ces conditions, il n'apparaissait guère surprenant que le Conseil économique et social ait pu conclure à une diminution à long terme de la part des dépenses de retraite dans le PIB.

Interrogé sur ce point, M. Jean-Michel Charpin a confirmé cette analyse. Il a expliqué que les pensions servies dépendent des salaires perçus par les assurés pendant leur carrière, chaque génération d'actifs bénéficiant de salaires plus élevés que les générations précédentes ; la pension moyenne augmente donc, en termes réels, d'une année sur l'autre, du simple fait du renouvellement des générations de retraités, et ceci, quel que soit le mode retenu d'indexation des pensions.

M. Jean-Michel Charpin a précisé que, compte tenu des conséquences lourdes que pouvait entraîner une telle omission, il avait souhaité consacrer à la question de l'évolution de la pension moyenne une annexe spécifique de son rapport au Premier ministre. Il a constaté que cet effort de pédagogie n'avait manifestement pas porté ses fruits.

Evoquant les différences de méthodes entre les travaux qui avaient été menés sous sa direction et l'étude du Conseil économique et social, M. Jean-Michel Charpin a observé que son rapport reposait sur des projections multi-régimes réalisées en collaboration étroite avec les responsables techniques des différents régimes de retraite, alors que l'étude du Conseil économique et social raisonnait tous régimes confondus. La mission qu'il avait conduite disposait, il est vrai, de moyens beaucoup plus importants que ceux sur lesquels s'était appuyée Mme Lebatard.

S'agissant du rôle de la croissance dans le financement des retraites, M. Jean-Michel Charpin a constaté que l'avis du Conseil économique et social, tout comme l'étude de Mme Lebatard, présentait des taux de croissance, sans préciser quelle part provenait d'une croissance de la productivité et quelle part découlait d'une croissance de l'emploi. Or, ces deux facteurs pouvaient avoir des impacts très différents sur les recettes des régimes de retraite.

Il a expliqué que, dans les scénarios étudiés par le commissariat du Plan, il apparaissait nettement que, seule, l'augmentation de la productivité pourrait susciter une croissance supplémentaire après 2010, dans la mesure où les gisements d'emplois subsistant s'avéreraient alors très limités. Il a fait observer qu'une croissance uniquement fondée sur la productivité se traduirait inévitablement par une hausse des salaires, et donc des cotisations, ce qui augmenterait à terme la charge des retraites.

S'agissant de l'horizon retenu pour traiter de l'avenir des retraites, M. Jean-Michel Charpin a considéré que certaines mesures, comme l'augmentation des cotisations, pouvaient être prises au jour le jour, au vu de la dégradation de l'équilibre financier des régimes, alors que d'autres, tels les mécanismes de capitalisation ou de réserve, devaient être programmées à l'avance et donc engagées sans tarder.

Après avoir rappelé que les régimes de retraite ne connaîtraient aucune difficulté avant 2006, M. Jean-Michel Charpin a souligné les dangers, pour l'équité entre les générations, que comporterait un défaut d'anticipation face au déséquilibre, connu depuis plus de dix ans, qu'entraînera, à partir de cette date, le départ à la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre.

M. Jean Chérioux s'est interrogé sur l'hypothèse, avancé par le Conseil économique et social, d'une augmentation du taux de fécondité. Après avoir fait remarquer que plus on attendait pour prendre des mesures, plus ces mesures seraient draconiennes, il a souhaité savoir quelle serait l'évolution des systèmes de retraite calculée en points, tels que ceux de l'Association des régimes de retraite complémentaire (ARRCO) et de l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC).

Mme Gisèle Printz s'est enquise de l'évolution future des retraites des veuves.

En réponse à M. Jean Chérioux, M. Jean-Michel Charpin a précisé que dans les régimes en points, la liquidation se faisait en fonction du nombre de points accumulés et de la valeur du point, et non des salaires perçus pendant les périodes d'activité. Ces régimes étaient aujourd'hui de facto indexés sur les prix, ce qui se traduisait par des évolutions très limitées de la pension moyenne.

Il a indiqué que l'évolution du taux de fécondité était un phénomène difficile à prévoir, même si ce taux avait peu évolué depuis une dizaine d'années. Il a fait observer qu'une augmentation forte du taux de fécondité n'aurait un impact réel sur les régimes de retraite qu'après 2020.

En réponse à Mme Gisèle Printz, M. Jean-Michel Charpin a précisé que les travaux menés sous sa direction n'avaient pas étudié une éventuelle modification des règles applicables aux personnes veuves. Il a indiqué que les femmes bénéficieraient de carrières de plus en plus complètes et donc de pensions de retraite supérieures à celles des générations précédentes, ce qui avait été intégré dans les projections du commissariat du Plan.

M. Jean Delaneau, président, a conclu en soulignant que la profonde différence de nature qui apparaissait entre l'avis du Conseil économique et social et les travaux menés par le commissaire du Plan, du point de vue notamment de la rigueur scientifique, conduisait à considérer, comme l'avait fait d'ailleurs M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dès le 9 janvier dernier, que le rapport Charpin restait, à l'évidence, le rapport de référence sur l'avenir des retraites.

Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats

Enfin, la commission a désigné comme candidats proposés à la nomination du Sénat M. André Jourdain pour siéger au sein du Conseil national de la montagne etM. Paul Blanc pour siéger au sein du Conseil national du bruit.