Mardi 22 juin 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Nomination de rapporteurs

La commission nomme :

- M. Gérard Bailly, rapporteur sur la proposition de résolution européenne relative au secteur laitier, sous réserve de son dépôt sur le Bureau du Sénat ;

- M. Charles Revet, rapporteur sur la proposition de résolution européenne relative à la réforme de la politique commune de la pêche, sous réserve de son dépôt sur le Bureau du Sénat.

Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Audition de M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS

La commission procède ensuite à l'audition de M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS, sur le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

M. Jean-Paul Emorine, président. - Au nom des commissions de l'économie et des affaires européennes, je souhaite la bienvenue à M. Louis Gallois, ancien président de la SNCF et, depuis juillet 2007, président d'EADS. Pourriez-vous nous présenter les différentes activités de votre groupe et ses perspectives au niveau mondial ? Je me réjouis du discours positif que vous avez tenu sur la place de vos principales filiales que sont Airbus, Eurocopter et Astrium au sein de la concurrence internationale lors de l'émission télévision de dimanche soir. Enfin, je salue la présence de M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France d'EADS, avec qui j'ai organisé cette audition lors d'une récente visite du Président de la République à Marignane.

M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS. - Je me réjouis d'échanger avec la représentation nationale sur des sujets qui touchent certes à mon entreprise, mais la dépassent aussi.

EADS a un chiffre d'affaires de 43 milliards d'euros. Le groupe est composé à 65 % d'Airbus, à 35 % des autres activités, c'est-à-dire Eurocopter, spécialisé dans la fabrication d'hélicoptères, Astrium, dédié à la construction de lanceurs spatiaux, de missiles balistiques et de satellites. DS regroupe les activités de défense classiques avec MDBA, le premier missilier mondial, des activités de défense liées à l'aéronautique -nous sommes le 1er partenaire de l'Eurofighter- ou encore des activités de sécurité, par exemple la surveillance des frontières de l'Arabie Saoudite dont nous avons remporté le marché l'an dernier. Autrement dit, Airbus est une composante essentielle d'EADS, sans être la seule. Le cauchemar financier de l'A400M, avion de transport militaire promis à un grand avenir, explique les résultats négatifs de l'an dernier. Nous souhaitons qu'Airbus, qui a longtemps porté le groupe et qui supporte les surcoûts de l'A380 et de l'A400M, redresse sa situation. En la matière, les perspectives s'améliorent.

De fait, la crise a eu un effet relativement limité sur le secteur des avions commerciaux car nous réalisons près de 70 % de nos ventes en Asie, Moyen-Orient et Amérique latine, zones qui ont bien résisté à la crise. Nous avons livré plus d'avions en 2009 que jamais -même si cela n'est pas autant que nous l'aurions souhaité. Après une année 2010 qui sera du même ordre, la production augmentera en 2011. Si les commandes massives, comme celle annoncée par la compagnie Emirates au salon de Berlin il y a quinze jours, seront l'exception, la reprise du trafic aérien, sensible partout sauf en Europe, permettra aux compagnies de reconstituer leur situation financière et de procéder à de nouveaux achats, à partir de 2011-2012. Pour l'heure, notre carnet de commandes est suffisamment rempli. L'important est, pour nous, d'avoir de solides perspectives de reprise, ce qui est le cas. En revanche, le secteur des hélicoptères civils a davantage souffert de la crise. Ce marché, actuellement plat, ne se dégrade plus. Il se redressera lorsque les 500 hélicoptères récents actuellement sur le marché de l'occasion seront écoulés. Bref, la crise a été gérée, la reprise est devant nous, au moins hors des frontières européennes.

Quelques mots sur les programmes. Les retards de livraison de l'A380, notre « super gros bébé », s'expliquent par les perturbations du processus de mise en oeuvre industrielle dues aux exigences des compagnies aériennes quant à l'individualisation de la cabine dont elles ont fait leur porte-drapeau. Pour autant, la situation s'est nettement améliorée depuis neuf mois : nous avons livré 7 avions depuis le début de l'année, et nous en prévoyons d'en livrer vingt au total en 2010 contre 10 en 2009. Nous poursuivrons cet effort en 2011. Après avoir maîtrisé les incertitudes liées à un processus industriel très complexe, nous devons maintenant travailler à réduire le coût de fabrication de cet avion.

L'A400M représente, pour EADS, une rude épreuve : nous avons déjà provisionné 4 milliards sur le contrat de 180 avions à livrer aux sept pays européens clients, soit une perte de 20 %. D'autant que, contrairement à nos concurrents américains qui bénéficient d'un système de prix dit « cost plus » selon lequel le Pentagone prend en charge le coût de production et paie une marge aux entreprises, nous travaillons avec un système de prix fixe qui nous impose de prendre en charge le surcoût des avions. Au terme de négociations, nous sommes parvenus à un accord en mars avec les sept États acquéreurs : un effort de 2 milliards des États, soit une augmentation de 10 % du prix de l'avion, et 1,5 million d'avances remboursables sur les exportations. Les négociations pour transformer cet accord en contrat se déroulent dans un climat difficile : le diable est dans les détails, disent nos amis anglais, et surtout l'heure est au serrage de vis pour les budgets de la défense. Néanmoins, le respect de cet accord est sur la bonne voie. Au plan technique, les essais se poursuivent -deux avions volent, un troisième volera dans les prochains jours. Cependant, certains défis techniques demeurent : le système de contrôle de vol ou le système de gestion des charges.

Autre point positif, le retour de l'euro à un niveau raisonnable. Contrairement à nos concurrents américains qui travaillent uniquement avec le dollar, nous achetons en euros et vendons en dollars. Un euro fort avantageait donc Boeing. Pour nous, le taux moyen de l'euro qui correspond à une parité de pouvoir d'achat doit être de 1 euro pour 1,15 à 1,20 dollar. Nous sommes à 1,24 actuellement. Une augmentation du cours de l'euro de dix centimes représente une diminution d'1 milliard de résultat net pour EADS : il conditionne donc les résultats de l'entreprise. L'inverse est également vrai. Ayant pris des couvertures de change pour nous protéger d'un dollar faible, nous ne bénéficierons des effets d'un euro plus raisonnable qu'en 2013-2014. Quoi qu'il en soit, la baisse de l'euro, si elle est durable, bouleverse le paysage pour une industrie de long terme comme la nôtre.

Quels sont nos principaux défis ? Le premier est de construire l'A350, le successeur de l'A330, majoritairement construit à partir de matériaux composites, y compris le fuselage. Cependant, nous avons tiré les bons enseignements du programme 787 de Boeing dont la mise au point est loin d'être une partie de plaisir pour les Américains. Nous maintenons le calendrier de la livraison d'un premier avion en juillet 2013, mais nous n'avons plus de marges calendaires. Second défi : la réduction des budgets de la défense de nos principaux clients, les pays « domestiques », soit l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne. Dans le dialogue avec les États, nous devons montrer l'importance de préserver notre capacité en recherche et développement pour l'avenir et de ne pas opérer de coupes budgétaires, en priorité, sur les programmes de coopération, sources d'économies, au bénéfice des programmes nationaux, parfois plus sensibles pour les opinions publiques nationales. Pour exemple, la France ne saurait financer seule le programme de l'A400M, un avion militaire de transport qui reste moins cher que l'avion américain à la tonne transportée, malgré la hausse des prix qui a été acceptée. En bref, depuis quelques mois, la sortie de crise, l'évolution de l'euro et la remise en ordre du processus industriel de l'A380 inscrivent l'entreprise dans une dynamique positive ressentie par le personnel, dont le moral était assez bas selon un sondage de début 2009.

EADS fête cette année son dixième anniversaire. Ce projet, conçu par deux chefs d'entreprise, le Français Jean-Luc Lagardère et l'Allemand Jürgen Schrempp, patron de Daimler, soutenus par les gouvernements français, allemands et espagnols, avait pour but de constituer un groupe européen capable de faire face aux industries américaines qui s'étaient regroupées autour de quatre géants, Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Ce pari est réussi. Avec une taille comparable à celle de Boeing, que nous avons devancé en 2008, nous avons réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 75 % en dix ans, investi 22 milliards dans la recherche et développement -soit plus que Boeing. EADS est le premier contributeur à la balance commerciale française. Nous avons créé 15 000 emplois nets dans la haute technologie en Europe, y compris durant la crise. Enfin, nous achetons en France pour quelque 13 milliards. Dans le paysage industriel mondial, nous sommes désormais placés au même rang que Boeing. Pour preuve, le Pentagone, pour la première fois, a souhaité que nous participions à l'appel d'offre concernant les avions ravitailleurs, le plus gros programme à lancer par le Pentagone pendant cette décennie, en qualité de maître d'oeuvre du programme, et non de sous-traitant comme en 2008.

Pour conclure, rappelons le succès de cette entreprise véritablement franco-allemande, qui représente l'Europe pour les citoyens à travers AIRBUS et ARIANE. Avec une trésorerie nette de 9 milliards en cette fin d'année, nous sommes prêteurs sur le marché monétaire dans des proportions que seuls atteignent les pétroliers. Cela confirme la robustesse de notre entreprise !

M. Jean-Paul Emorine, président. - Donc, le groupe EADS, s'il a traversé des périodes difficiles dont la presse rend volontiers compte, fait maintenant jeu égal avec Boeing, grâce à votre gestion et aux personnels du groupe.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis également de cette audition commune. Dans cette période de turbulences, EADS fait figure de modèle alors que nous en revenons au noyau dur de l'Europe, le couple franco-allemand. Comment vivez-vous les différences culturelles et salariales entre la France et l'Allemagne au sein de votre entreprise ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour d'autres projets franco-allemands ? La notion de gouvernance à 27 -j'aurais préféré une gouvernance des 16 États membres de la zone euro, mais la position allemande a prévalu- qui a émergé au cours de la crise, va-t-elle faciliter votre quotidien ? Avez-vous prévu des clés de sécurité pour prévenir les effets de l'évolution du taux de change entre l'euro et le dollar ? Pensez-vous être suffisamment protégé en matière de propriété intellectuelle ? Enfin, où en êtes-vous du contentieux avec Boeing au sein de l'OMC ?

M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS. - EADS est une entreprise franco-allemande, mais n'oublions pas les Espagnols ! Leur participation est essentielle à notre groupe. Les différences culturelles entre la France et l'Allemagne ne constituent pas un obstacle dans le travail. S'agissant de la question salariale, historiquement et en traçant la situation à grands traits, l'Allemagne a fait un choix qui est à rebours de celui de la France : l'emploi plutôt que les salaires. Résultat, au cours de la crise, l'Allemagne a très peu perdu d'emplois. Par ailleurs, le système de chômage partiel très long qu'elle a mis en place lui a permis de préserver les emplois indispensables à son industrie pour la phase de reprise. Je n'ai pas d'avis définitif sur la gouvernance économique européenne, si ce n'est qu'elle serait plus simple peut-être à 16 autour de la monnaie unique qu'à 27. Les relations franco-allemandes, celles entre la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Espagne, nos marchés d'exportation, voilà quels sont nos réels sujets d'intérêt. Pour prévenir les effets de la volatilité des monnaies qui nous impactent sans toucher Boeing qui est naturellement déjà en dollars, notre couverture de change s'élève à 66 milliards. Le président Sarkozy veut légitimement mettre sur la table du G20 la question monétaire. Je pense qu'il a raison, même si cela suscite de fortes oppositions. Il y a là un véritable sujet. Nous nous battons à l'OMC entre Américains et Européens sur des aides publiques qui sont en fait secondaires par rapport aux effets monétaires : une variation de l'euro de dix centimes a un impact bien plus décisif sur les résultats de notre entreprise. Entre quatre grands ensembles monétaires -le dollar américain, le yen japonais, le yuan chinois et l'Euro-, il faut éviter que l'Euro ne soit la variable d'ajustement et freiner la volatilité des marchés, pour retrouver une certaine visibilité sur les taux de change.

S'agissant de la propriété industrielle, le groupe, dépose de plus en plus de brevets, l'inconvénient de la publicité étant compensé par une plus forte protection dans un champ plus concurrentiel. La réglementation européenne en la matière ne suscite pas de remarques particulières.

Le rapport de l'OMC, qui nous a été communiqué, ne donne droit qu'à 30 % des réclamations américaines, et il y a les bases d'un appel. Il sera rendu public le 1er juillet, soit neuf jours avant le dépôt de notre offre sur les Tanker. A l'inverse, la communication du rapport intérimaire sur Boeing, suite à la plainte de l'Europe, a été repoussée au 16 juillet, soit huit jours après cette date importante. Je ne peux que le constater et le regretter ...

M. Alain Chatillon. - Je salue votre flegme et votre pragmatisme en ces temps difficiles. Je salue en vous le visionnaire qui met l'accent sur la recherche et développement quand la réflexion à moyen et long termes manquent tant à l'industrie française. Pourriez-vous en dire plus sur la question des nouveaux carburants, que vous avez abordée lors d'une émission sur LCI ? Au sein de la commission de l'économie, nous nous interrogeons sur l'opportunité de réserver des surfaces agricoles à la production de ces carburants. En outre, en tant que sénateur de Haute-Garonne, je désire savoir comment vous comptez assurer le développement d'Astrium à Toulouse et, ce faisant, préserver un équilibre entre les régions françaises ?

M. Daniel Raoul. - La réussite de ce projet européen montre tout l'intérêt qu'il y aurait à développer des projets industriels européens, par exemple, dans le secteur de l'automobile que M. Bourquin connaît bien. Pour rester compétitif face à la Chine et à l'Inde, il faudrait sortir un Airbus et un métro d'avance sur eux. Soit, vous avez investi 22 milliards dans la recherche et développement, mais quid de la clause de transfert de technologie qui accompagne la signature des contrats ? Nous avions adressé la même question à la présidente d'Areva, car la problématique est la même pour les centrales nucléaires. Ce transfert technologique ne nous condamne-t-il pas à terme ?

Enfin, si nous n'avons peut-être pas assez sauvegardé l'emploi au niveau macro-économique, permettez-moi de souligner que, pour entreprendre des comparaisons entre la France et l'Allemagne, il faut tenir compte de la productivité -nous n'avons pas à en rougir si j'en crois les échos que j'ai eus du travail dans les usines Volkswagen, y compris avec un temps de travail de 35 heures.

M. Michel Bécot. - Comment se passera la coopération et le transfert technologique avec la Chine, le Brésil et l'Inde ? La réévaluation du yuan aura-t-elle des effets positifs sur EADS ?

M. Jean-Jacques Mirassou. -Vous n'avez pas évoqué le plan « Power 8 » qui n'est pas étranger aux bénéfices dégagés par votre entreprise. En outre, si le moral des salariés connaît une embellie, rappelons tout de même que les salariés d'Airbus ont organisé une grève sur tous les sites français, inquiets de leurs conditions de travail et de salaire et de la stratégie industrielle d'Airbus. De fait, ils ont été les premiers touchés par les problèmes liés à l'A380 et l'A400M. Si Toulouse va bénéficier de l'augmentation des ventes de l'A380 et fabriquera l'A350, reste que l'A320 reste le produit phare d'Airbus et que les Allemands comptent produire son successeur. Toulouse ne veut donc pas lâcher la proie pour l'ombre... Ajoutons à cela que, en matière d'aérostructure, une filiale française Aerolia ne présente pas les mêmes garanties que l'allemande Aerotec : elle externalise d'ailleurs une petite partie de sa production en Tunisie. Enfin, sept ou huit sous-traitants sont regroupés autour de l'entreprise en Allemagne ou en Espagne, contre une vingtaine en France. Cet éparpillement constitue un handicap. Preuve est faite qu'un changement de braquet est nécessaire pour rationaliser les moyens humains, intellectuels et financiers. Enfin, vous n'avez rien dit du rôle du principal actionnaire de votre entreprise, l'État français, dans la défense de nos intérêts stratégiques. EADS n'est pas une entreprise comme les autres. Or notre gouvernement est parfois muet, souvent absent, ce qui tranche avec la position du gouvernement allemand où une personne est spécifiquement chargée de l'aéronautique. Enfin, les parlementaires devraient être mieux informés sur le dossier de l'A400M !

M. Robert Navarro. - En ces temps de réduction des budgets de la défense, quel avenir pour les projets de coopération si les États adoptent des stratégies différentes ? Comment maintenir la capacité en recherche et développement ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Votre trésorerie de 9 milliards est le signe de votre gestion de qualité. Pour autant, la situation des sous-traitants est plus difficile. Comment, dans ce contexte de concurrence accrue et de délocalisation, garantir la pérennité de la sous-traitance ?

M. Martial Bourquin. - L'Allemagne n'a pas opté pour l'emploi contre les salaires -il s'agit d'un raccourci-, elle a eu depuis longtemps une ambition industrielle quand la France a préféré les services, mis à l'honneur dans des théories fumeuses qui nous ont conduit dans l'impasse. Or la réussite économique s'appuie toujours sur un socle industriel fort, une stratégie de filière pour les sous-traitants qui nous fait cruellement défaut, et la conservation sur le territoire national du coeur de métier. Il n'est jamais trop tard pour revenir à une politique industrielle cohérente. La France n'a pas fait le choix des salaires contre l'emploi, elle a opté pour le « ni salaire ni emploi ». Enfin, la croissance doit également s'appuyer sur de l'investissement, une offre et une demande fortes que risque d'étouffer la politique de rigueur salariale du Gouvernement. Je tenais à ces observations en ces temps de campagne contre les salaires et les retraites. Tout à coup, les salariés sont quasiment qualifiés de nantis ! La France a besoin de salariés qui gagnent leur vie !

M. Ladislas Poniatowski. - Pouvez-vous nous donner des informations sur l'évolution de l'actionnariat de votre groupe après les bruits sur un éventuel retrait de Lagardère ? Où en est-on de l'A400M ? Le ministère de la défense a fait des déclarations il y a quelques semaines. Qui mène la danse, vous ou le Gouvernement ? Où en est le partenariat ? Quand le premier A400M verra-t-il le jour ?

M. Serge Godard. - N'oublions pas qu'il existe en France une petite industrie de matériaux de production de matériaux composites telles les aciéries Aubert et Duval pour la production de l'A350 et encore les forges qui fabriquent des pièces détachées pour Airbus dans le centre de la France. Comment voyez-vous l'avenir de ces entreprises, implantées dans des régions peu tournées vers l'aéronautique ? Ensuite, quel rôle entend jouer EADS pour le programme Ariane et la réalisation des vecteurs spatiaux ?

M. Louis Gallois, président exécutif d'EADS. - Monsieur Chatillon, dans l'industrie aéronautique, il est indispensable d'avoir une vision de long terme quand nos programmes ont une durée de vie de 30 à 40 ans. Mon métier est de regarder à long terme. Pour m'en tenir à un seul exemple, les avions de transport militaire ont une durée de vie moyenne de 40 ans. Et Ariane 6 est à un horizon 2025-2030. Autrement dit, 2013-2014, moment où nous commencerons à ressentir les effets bénéfiques d'un euro raisonnable, pour nous, c'est demain !

Nous croyons beaucoup au développement des nouveaux carburants à partir de produits non alimentaires, telles les algues qui présentent l'avantage d'une forte capacité énergétique et d'un bilan carbone excellent. S'ils ne remplaceront pas le kérosène du jour au lendemain, il faut y réfléchir dès aujourd'hui. Nous avons fait voler un petit avion alimenté par un tel carburant au salon de Berlin. Boeing vient à son tour d'annoncer le lancement de recherches sur les carburants à base d'algues...

Toulouse a effectivement subi deux déconvenues avec Galileo ; nous examinons notre gestion de l'appel d'offres ; s'agissant de Météosat -notre responsabilité m'apparaît moins évidente dans cette affaire. Pour autant, une entreprise ne peut pas remporter toutes les compétitions auxquelles elle participe ! A court terme, il n'y a pas de raison de s'inquiéter.

Monsieur Raoul, oui, nous avons besoin de projets industriels européens. Hélas, l'heure est plutôt au repli sur soi avec la crise quand nous devrions lancer des projets concrets et valorisants, incarnation de l'Europe aux yeux de nos concitoyens, en matière de véhicule électrique, ou de génétique, pour ne pas parler que de l'aéronautique et de l'espace !

Les pays émergents représentent un marché très important grâce auquel nous avons pu faire face à la crise. Si nous voulons vendre chez eux, nous devons accepter la coopération industrielle. Ne nous faisons pas d'illusions : il y aura transfert de technologies, malgré toutes les précautions prises et leur propre niveau est de plus en plus élevé. La Chine a lancé un homme dans l'espace, pas l'Europe ! En 2016, la Chine sortira son premier avion, concurrent de l'A320. Pour faire face à cette nouvelle concurrence qui mettra fin au duopole Airbus-Boeing, trois mots : innovation, qualité et service. Le différentiel auprès des compagnies aériennes s'opérera sur notre niveau de qualité de service, notre capacité, par exemple, à dépêcher une équipe sur place en cas de problème, dans les délais les plus brefs et cela durant 30 ans après l'acquisition de nos appareils.

Si nous n'avons pas à rougir de la productivité en France, convenons que le nombre d'heures travaillées en France, où l'on entre tard sur le marché du travail pour le quitter tôt, se situe dans le bas de la fourchette européenne. Ce problème mérite d'être étudié de près. Pour avoir longtemps travaillé à la SNCF, je sais qu'il faut offrir des contreparties dans une négociation, en matière par exemple de droits des salariés au sein de l'entreprise. Le système de co-détermination en Allemagne, s'il n'est sans doute pas transposable tel quel en France, me semble, dans son principe, une piste intéressante.

Monsieur Bécot, la coopération avec les pays émergents peut être très productive : je pense à la fabrication de l'hélicoptère avec les Chinois dont les coûts sont partagés également entre nous et qui nous donne accès à leur marché où nous sommes leur principal fournisseur pour le marché civil. La réévaluation du yuan n'a pas d'impact sur EADS. L'installation d'une chaîne d'assemblage en Chine n'avait pas pour objectif de faire des économies -cela nous coûte même plus cher qu'une production en France ou en Allemagne-, mais de faciliter notre accès au marché chinois, le premier du monde. Nous vendons aujourd'hui 20 % de nos avions en Chine et sommes passés de 10 à 40 % de parts de marché !

Monsieur Mirassou, Hambourg se plaint que Toulouse concentre tous les pouvoirs d'Airbus. Je vous rappelle que Toulouse assemble l'A380, soit l'équivalent en charge de travail par avion de la production de huit A320, et on va y assembler l'A350, soit l'équivalent par avion de 5 A320. Nous avons 530 commandes d'A350, soit l'équivalent de 2 500 A320, dont l'assemblage est partagé entre Hambourg et Toulouse. Est-il raisonnable de conserver deux chaînes d'assemblage pour un avion ? Je ne crois pas que cela soit compétitif. Je défends le choix industriel d'assembler le successeur de l'A320 à Hambourg fait en 2001 lorsque l'A380 a été lancé car Toulouse n'est pas lésée. Sans la contribution financière des Allemands, Airbus n'existerait pas, même si la capacité technique était principalement française. Conservons un équilibre. Quant à la grève à Airbus, j'estime que le blocage des approvisionnements de l'usine par un groupe limité de salariés n'est pas acceptable. Les personnels ont obtenu de substantielles augmentations de salaires. Bref, le sacrifice supposé de Toulouse au bénéfice de Hambourg relève d'un procès d'intention récurrent et commode.

J'en viens aux sous-traitants. Aerolia construit une usine en Tunisie, mais Premium Aerotech en prépare une en Roumanie. Nous devons effectivement conserver les points critiques et les compétences-clés du processus industriel en Europe tout en étant présents dans le monde entier, pour une entreprise comme la nôtre qui exporte 75 % de sa production. Mais, dans le même temps, AIRBUS investit 200 millions d'euros cette année à Méaulte, autant à Nantes, et l'A350 représente 1,4 milliard d'euros investis en France entre Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire et Méaulte. Nous ne sommes donc pas en train de quitter la France ! En matière de sous-traitants, Airbus a fait son devoir envers le groupe Latécoère via des avances de trésorerie, ou le préfinancement d'investissements et le maintien de nos commandes. Nous ne pouvons pas prendre en charge nos sous-traitants, mais nous y sommes très attachés pour une raison simple : nous réalisons 15 % de la valeur ajoutée d'un avion en interne, 85 % provient de la chaîne des fournisseurs. D'où les énormes progrès d'Airbus depuis environ quatre ans pour éclairer les sous-traitants sur l'évolution des plans de charges, celle des technologies nécessaires et les conditions de la concurrence. Notre fonds Aerofund, que nous avons mis en place avec Safran et la Caisse des dépôts et consignations, vise à les aider à se regrouper. L'application de la loi de modernisation de l'économie a également impliqué un transfert de centaines de millions de trésorerie vers les fournisseurs. Au cours de la crise, nous avons soutenu nos sous-traitants par nos commandes de sorte qu'aucun n'est resté au bord de la route, contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors de la crise de 1993 qui avait frappé plus durement encore notre secteur. J'ai eu autrefois une expression malheureuse mais réaliste : « nous ne pouvons pas être le Père Noël de la chaîne des sous-traitants ». Cependant, nous pouvons les aider à être plus compétitifs. Reste que l'aérostructure est effectivement trop dispersée en France : la question devra un jour être traitée. Enfin, EADS a des interlocuteurs au sein du gouvernement français, M. Jean-Louis Borloo et M. Dominique Bussereau, comme M. Hervé Morin ou Mme Christine Lagarde, et a bénéficié d'un soutien constant de notre pays. Les parlementaires ont obtenu des informations sur l'A400M avec la publication du rapport des sénateurs Gautier et Masseret. Je suis moi-même venu devant le Sénat expliquer la situation. Au plan technique, nous avons procédé à des essais de vol. Reste à régler les deux problèmes techniques que sont le système de contrôle du vol et le système de gestion de la charge. Le premier avion sera livré en 2013 avec quatre standards selon les logiciels donnant les performances de vol, notamment pour les vols de basse altitude. L'A400M a généré un surcoût de 7,6 milliards, dont 4 pris en charge par EADS, 2 par les États clients et 1,5 par des avances remboursables sur les exportations au terme de l'accord de mai qui doit être maintenant traduit dans un contrat.

Monsieur Navarro, l'avenir est effectivement aux projets de coopération. Il faut également veiller à ce que les coupes budgétaires ne touchent pas prioritairement les programmes de nouveaux matériels au bénéfice des plans de livraison de matériel existants que les ministères de la défense ont tendance à privilégier en temps de crise : leurs révisions budgétaires doivent s'attacher à préserver un bon équilibre, supportable pour nos bureaux d'études.

Monsieur Bourquin, concernant l'ambition industrielle, je vous renvoie à l'article que j'ai publié dans la revue Commentaire. L'industrie française se trouve dans une situation préoccupante. La part de l'industrie dans le PNB a reculé de 22 à 16 % entre 1998 et 2010, quand elle a progressé de 28 à 30 % en Allemagne. La France manque de ces entreprises moyennes de 2 à 5 000 employés, qui font la solidité du socle industriel allemand, capables d'exporter et de s'implanter à l'étranger en conservant leur coeur de métier sur le territoire. Nos entreprises moyennes souffrent d'un problème de financement. Comment orienter l'épargne française vers l'industrie ? Une portion négligeable des 1 200 milliards de l'assurance vie s'oriente aujourd'hui vers l'industrie. Un dernier mot sur le problème des salaires et de l'emploi : l'augmentation du pouvoir d'achat est une revendication compréhensible, mais ne profite-t-elle pas surtout aux biens importés ?

Monsieur Poniatowski, l'actionnariat d'EADS est constitué à 22,5 % de Daimler, à 22,5 % de SOGEADE (Etat français 15 % et Lagardère 7,55 %), 5 % de SEPI (société d'Etat des participations industrielles, espagnole) et à 50 % de flottant sur le marché. Les rumeurs de retrait vont et viennent. En tant que président d'EADS, je n'ai jamais eu confirmation d'un retrait de Lagardère ou de Daimler.

Monsieur Godard, les aciéries Aubert et Duval ainsi que les forges sont des fournisseurs très importants pour EADS. Nous avons avec Aubert et Duval, très présente à Toulouse, un dialogue proche et technique très régulier. Le lanceur Ariane 5 est extrêmement fiable, mais peu souple : il exige le lancement de deux satellites ou d'un gros satellite. D'où l'idée d'abord d'améliorer l'étage supérieur d'Ariane 5 pour lui permettre des mises en orbite plus diversifiées et de lancer Ariane 6, en complément d'Ariane 5, d'une taille plus réduite. Aucune décision n'a été prise sur Ariane 6, mais nous avons proposé le financement via le Grand emprunt, d'un intégrateur de technologies, préparant la voie pour Ariane VI.

M. Gérard César, président. - Merci Monsieur le Président de cet exposé très clair. Je remercie également François Desprairies de sa présence.

M. Daniel Raoul. - Permettez-moi une observation sur la difficulté que représente l'organisation de deux auditions concomitantes par la même commission...

M. Gérard César, président. - Dont acte.

Mercredi 23 juin 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Audition de M. Henri Proglio, président d'EDF

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend M. Henri Proglio, président d'EDF, sur le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

M. Jean-Paul Emorine, président. - Sur ce projet de loi, notre rapporteur, M. Ladislas Poniatowski, a déjà mené plus d'une trentaine d'auditions. Nous avons jugé que les plus importantes devaient être menées dans le cadre de la commission, élargie au groupe d'étude sur l'énergie. Le texte, qui s'inscrit dans la ligne du rapport que M. Paul Champsaur présenté en avril 2009, a été adopté en conseil des ministres le 14 avril dernier. L'Assemblée nationale l'a voté en première lecture le 15 juin. Le projet comprenait à l'origine 11 articles, portés à 18, d'inégale importance. Le coeur du texte est constitué par l'article 1er, qui définit le dispositif d'accès régulé à l'électricité de base (ARB), renommé par les députés « accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (ARENH).

L'Assemblée nationale a supprimé l'article 10, qui habilitait le gouvernement à transposer par ordonnances les directives du troisième paquet énergie. Elle a inséré un article 12 très copieux qui réforme le régime des taxes locales d'électricité afin de le mettre en conformité avec le droit communautaire.

Nos auditions sur ce projet de loi se poursuivront mercredi 30 juin puis l'examen du rapport et l'adoption du texte de la commission aura lieu le mercredi 7 juillet - le délai limite pour le dépôt des amendements étant fixé au vendredi 2 juillet à 11 heures. La discussion du projet de loi NOME en séance publique aura lieu durant la session extraordinaire de septembre, sans doute après le 15 septembre.

Pour débuter ce cycle d'auditions devant la commission, élargie au groupe d'études sur l'énergie, j'ai le plaisir d'accueillir M. Henri Proglio, président d'EDF, entreprise qui est au coeur du dispositif du projet de loi, en tant que producteur d'énergie nucléaire. J'ai d'ailleurs, à l'occasion de discussions préliminaires avec le ministre sur le contenu de ce texte, combattu l'expression de « rente » nucléaire qui n'est pas du tout conforme à la réalité.

M. Henri Proglio, président d'EDF. - En vous remerciant de votre accueil, et avant mon propos introductif sur le projet de loi, j'apporterai la précision suivante : même si le mot est maladroit, il existe une forme de rente nucléaire en France. Mais, elle est le résultat de la capacité d'anticipation, de l'audace, du courage de notre pays, ces cinquante dernières années, pour constituer un outil nucléaire unique en une période où l'énergie fossile était beaucoup moins chère qu'aujourd'hui. Depuis, nous possédons le premier parc mondial et cette réussite donne un atout de compétitivité à notre territoire. La rente est redistribuée aux Français par le biais des tarifs. C'est ce que nous essaierons collectivement de préserver. Et c'est ce que les autres pays européens veulent voir supprimer. L'énergie électrique est chez nous 30 à 40 % moins chère que la moyenne européenne. Ce n'est pas un mince avantage dans la bataille économique !

Je porte une grande attention aux conséquences de cette future loi pour EDF. Elle est en effet fondée sur un mécanisme économique fort inhabituel et dont la mise en oeuvre, si l'on n'y prend garde, pourrait empêcher EDF de remplir sa mission. Je me dois de défendre les intérêts d'EDF et de préparer l'avenir de l'entreprise, dans l'intérêt de la nation.

Mon ambition, pour la production en France, est de rétablir et développer la performance du parc nucléaire mais aussi hydraulique, thermique et celle des filières renouvelables. Nous allons nous en donner les moyens et les compétences. J'entends également renforcer la proximité avec les consommateurs et rétablir une relation de qualité avec nos clients et leurs élus. C'est en partie une question d'organisation. A l'international, il nous faut améliorer notre performance, notamment dans le domaine nucléaire. Vous connaissez ma position sur ce sujet et sur l'efficacité qui peut être celle d'EDF. Ces ambitions stratégiques reposent sur une mobilisation de tous au sein du groupe.

Aucun de ces objectifs ne pourra être atteint si EDF doit subventionner ses concurrents en vendant sa production en dessous du coût de revient économique. Comment justifier que des opérateurs n'ayant pas investi et n'assumant pas les risques d'exploitation de nos centrales puissent acquérir l'électricité produite par EDF en dessous de son coût de revient ? J'ai exprimé quelques convictions fortes liées à une vision industrielle de long terme. La rédaction initiale, marquée par le seul souci de développer la concurrence à court terme, a été en partie rééquilibrée, les enjeux d'investissement pris en compte dans une certaine mesure. L'enjeu majeur pour le pays, c'est bien l'investissement.

Quel que soit le modèle de marché retenu, concurrence ou monopole, sans un certain niveau d'investissements ni la sécurité d'approvisionnement, ni la compétitivité du prix de l'électricité ne seront au rendez vous. Le projet de loi actuel incite-t-il les opérateurs à investir? Laissera-t-il à EDF les moyens d'investir? EDF est favorable à la concurrence et à un marché ouvert, pas à une répartition de force des parts de marchés. Tous les opérateurs doivent être incités à investir dans des moyens de production. Une concurrence artificielle sur la seule activité de commercialisation ne serait pas viable. Aucun commercialisateur ne dure sans être également producteur.

Or je ne retrouve pas dans le projet de loi l'exigence d'investissements au-delà des moyens de pointe. La concurrence ne sera pas équilibrée. Plus grave, la sécurité d'approvisionnement du pays sera à terme menacée. La nouvelle organisation doit maintenir la gestion intégrée du parc de production d'EDF, sans isoler le parc nucléaire, comme cela fut envisagé. S'il a été possible de faire face cet hiver, malgré la faible disponibilité des centrales nucléaires, à des situations climatiques aussi tendues, c'est grâce à l'optimisation de la production nucléaire, thermique et hydraulique, de l'achat-vente sur les marchés et des échanges avec les pays voisins. Ne désarticulons pas le parc de production ! Enfin, le prix payé pour l'accès à la production nucléaire d'EDF devra donner à ce groupe la capacité d'exploiter son parc en industriel responsable, en réalisant des investissements considérables - de maintenance, de démantèlement des installations, de prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans. Les références internationales sont plutôt de 60 ans.

Les échanges avec le gouvernement ces derniers mois puis l'examen par l'Assemblée nationale ont rééquilibré en partie le projet de loi. Je souhaite que l'examen par le Sénat soit l'occasion de l'améliorer encore. Quel est en effet l'objet de la loi? Il est d'organiser la disparition du tarif TaRTAM, puis des tarifs jaunes et verts, pour tenir compte des procédures européennes en cours. Mais l'Europe ne demande pas le subventionnement des fournisseurs alternatifs ; elle ne demande pas de démanteler ni d'endetter EDF ; elle demande seulement la fin des tarifs aux entreprises. Les tarifs bleus ne suscitent aucun contentieux et sont du reste confirmés par la loi.

Le dispositif retenu pour répondre à cette prescription est tellement interventionniste envers EDF qu'il doit être encadré et effectivement transitoire. Sur la question centrale, le prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire d'EDF, vous allez voter une loi qui va forcer mon groupe à vendre sa production à ses concurrents à un prix régulé. C'est une forme d'expropriation ! Si le prix payé pour cette énergie ne couvrait pas le coût de revient économique de chaque MWh nucléaire concerné, cela représenterait une spoliation d'EDF. Dans aucun secteur de l'économie il n'est possible d'utiliser un outil de production sans en rémunérer le coût économique complet. Or, pour couvrir le coût de revient économique du parc nucléaire, autrement dit le « coût courant économique », le prix devra représenter la somme de deux termes : le premier, variable, bien défini dans le projet de loi, correspond à la somme des coûts supportés chaque année par l'entreprise à compter de la promulgation de la loi ; le second, fixe en euros constants, correspond à la couverture et à la rémunération du capital investi dans le parc et il est fixé une fois pour toutes, ce qui nous évitera d'entrer chaque année dans une discussion sur le montant déjà amorti, les intérêts, etc.

Le projet de loi prévoit une période transitoire pendant laquelle le prix sera arrêté par le gouvernement, lequel passera ensuite le relais à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Le prix de départ sera fixé « en cohérence » et en continuité avec le niveau actuel du tarif réglementé transitoire d'adaptation du marché (TaRTAM), soit 42 euros par mégawatt-heure. Le respect de ce prix plancher de départ de 42 euros est fondamental pour EDF. C'est le prix régulé auquel nous vendons aujourd'hui notre électricité. Toute baisse représenterait une perte immédiate de recette pour l'entreprise, sans aucun bénéfice pour les consommateurs.

Il est essentiel aussi que l'accès régulé au nucléaire profite en priorité aux industriels. Ce sont eux qui vont perdre la protection des tarifs : le TaRTAM tout de suite, puis les jaunes et verts dans cinq ans, tandis que les bleus vont perdurer. L'électricité compétitive, c'est de l'emploi industriel. L'accès régulé au nucléaire, s'il est calé sur le niveau de prix du TaRTAM actuel puis évolue vers la couverture du coût économique complet du parc nucléaire existant, permettra de concilier des offres en concurrence et maintien de la compétitivité du nucléaire pour les clients.

L'accès régulé au nucléaire doit être calibré pour répondre aux attentes des industriels et non pour satisfaire aux schémas marketing des fournisseurs spécialisés sur le segment des clients résidentiels. Ni Bruxelles, ni la commission Champsaur, ni même les particuliers ne font une priorité du développement de la concurrence sur le marché des clients domestiques. Une concurrence vive peut en revanche se développer sur toutes les autres catégories de clients.

L'essentiel des volumes de nucléaire régulé qui sera mis en vente doivent donc bien être dédiés à la fourniture des entreprises. Il convient d'éviter les effets d'aubaine, voire les enrichissements sans cause au détriment d'EDF. J'en donnerai seulement deux exemples.

Il existe des énergéticiens disposant en France de moyens de production - non nucléaires - dont les coûts sont très inférieurs à ceux du parc nucléaire historique. La compétitivité exceptionnelle d'un tel fournisseur avait ainsi conduit le législateur de 2006 à ne pas lui reconnaître le droit à une compensation, considérant qu'en vendant au TaRTAM il ne subissait pas de préjudice. La loi l'a même astreint à contribuer, aux côtés d'EDF, au financement de la compensation. Comment justifier que l'on offre aujourd'hui à ce principal concurrent d'EDF l'accès régulé à la production nucléaire d'EDF sans décompter au préalable les volumes qu'il produit à un coût inférieur?

Deuxième exemple d'effet d'aubaine à encadrer : certains fournisseurs, par décision de l'Autorité de la concurrence, ont accès à des volumes d'énergie à prix régulé, sous la stricte condition de les destiner à des clients finals en France - dans le cas contraire, ils auraient à payer un complément de prix. Or la rédaction actuelle du projet de loi n'interdit pas que la même clientèle finale soit mise en avant pour obtenir un accès à la fois à cette énergie régulée et au nucléaire régulé. Une partie des volumes obtenus serait revendue sur le marché de gros, sans que le complément de prix puisse s'appliquer. Il s'agit tout de même de dix térawatts-heure...

Enfin, le caractère transitoire d'un tel système est absolument fondamental. Il importe donc d'écrire dés maintenant la phase de sortie. La décroissance progressive des volumes d'électricité fournis par l'accès régulé doit être inscrite dans la loi. Seule cette réduction programmée incitera les fournisseurs à investir ou passer des accords industriels avec des producteurs. Si aucun dispositif de sortie n'était prévu, aucun opérateur n'aurait intérêt à investir et la sécurité d'approvisionnement du pays serait mise en danger. Le paysage électrique français va donc évoluer fortement avec la loi NOME.

EDF va se retrouver amputé pendant 15 ans d'une part importante de sa production. Non pour avoir été défaillant, non pour avoir été mal géré, non pour avoir abusé d'une position dominante, mais parce qu'il est trop compétitif.

Soyons conscients que les ménages et les entreprises, en France, bénéficient de prix de l'électricité 30 à 40 % plus bas que la moyenne européenne - le prix est presque double en Allemagne. Ce que l'on qualifie de rente nucléaire est intégralement transféré aux consommateurs, toutes catégories confondues. Le maintien de cet avantage compétitif suppose de poursuivre une politique fondée sur une logique industrielle de long terme.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Vous êtes dans votre rôle en défendant votre entreprise et en exprimant vos inquiétudes pour l'avenir. L'Europe a considéré que le marché ne s'était pas ouvert pour les clients entreprises, restés vos clients à 96% : elle nous a imposé de faire quelque chose. Quant à moi je défends les consommateurs et souhaite donc qu'ils continuent à bénéficier du tarif régulé. Je ne suis pas certain que le mécanisme mis en place dans le projet de loi les protège. Il faut préserver le fleuron industriel qu'est EDF ; je suis hostile à toute menace de démantèlement. Il faut faire très attention à ce mécanisme qui pourrait se révéler très perturbant. Tous les parlementaires français se préoccupent également de l'indépendance énergétique de notre pays. J'ai noté votre souci que les autres fournisseurs investissent. La loi n'est pas suffisamment précise pour les y inciter. Si le nouveau système donne des parts de marché aux concurrents sans contrepartie en investissements, nous aurons tout raté.

Le prix ARENH sera défini en tenant compte de la rémunération du capital, du coût d'exploitation, de l'investissement de maintenance et de la charge du nucléaire, gestion des déchets et démantèlement. A-t-on tout intégré ? Le compte y est-il ? Les 42 euros seront-ils suffisants ?

Vos concurrents, pour obtenir l'accès régulé, devront fournir des informations sur leurs clients. Comment cela peut-il fonctionner ? Comment le régulateur pourra-t-il opérer des vérifications ? Vous saurez tout de suite quelle entreprise, quel site, est passé chez le concurrent !

Les contrats de gré à gré conclus avec tel ou tel fournisseur viendront en déduction des 100 térawatts-heure. Pourquoi signer de tels contrats, avec Poweo ou tel grand concurrent étranger ? En quoi est-ce une « fenêtre » ?

Si les autres fournisseurs n'investissent pas, nous allons dans le mur. S'ils investissent, la donne est différente. J'ai assisté à l'inauguration par Poweo de sa centrale de Pont-sur-Sambre, centrale à gaz pour la pointe. Ce fournisseur a signé un accord avec vous, un échange de base et de pointe. Je précise qu'avec des investissements sur la pointe uniquement, on manque l'objectif d'indépendance énergétique de la France. Comment organiser de bons échanges ?

Le taux de disponibilité des centrales françaises est mauvais au plan européen ou mondial. Il est inférieur à 80 % chez nous mais supérieur dans la plupart des autres pays. Cela signifie sans doute que les investissements nécessaires n'ont pas été réalisés auparavant. Si EDF est demain amputé de 25 % de sa production par l'ARENH et que ses disponibilités sont inférieures à celle des concurrents étrangers, elle sera mal en point. La priorité est d'améliorer le parc de centrales.

Enfin, quelles sont les conditions d'un bon développement des capacités d'effacement. Le rapport de MM. Bruno Sido et Serge Poignant se conclut par des propositions fortes que je serais tenté de reprendre dans des amendements : seraient-ils selon vous prématurés ?

M. Henri Proglio, président d'EDF. - Les modalités de définition du prix sont cruciales pour la survie de l'entreprise. Qui accepterait de perdre des parts de marché ? Comment imposer à ses collaborateurs des pertes de parts de marché décidées par la loi ou par un règlement ? Nous mettrons, sous la contrainte, une partie de notre production à disposition de nos concurrents, à un prix que vous déterminerez. Mais je me battrai pour qu'EDF ne perde pas de parts de marché dans un marché ouvert.

Mais tout de même... Imaginons que quelqu'un achète une vieille voiture, pour prendre une licence de taxi. Le coût de revient comptable de sa production, le coût marginal de la course, est très faible... jusqu'au jour où le véhicule est bon pour la casse. S'il vend sa course à ce coût comptable, alors ce chauffeur n'aura pas les moyens d'acheter une nouvelle voiture et disparaîtra. Il en va de même ici. L'outil industriel est aux trois-quarts amorti. Prendre en compte un coût de revient comptable est un non-sens total. Le coût de revient effectif est différent du coût de revient comptable. Il reste en moyenne une quinzaine d'années d'exploitation sur les centrales nucléaires. Vais-je m'efforcer d'obtenir un prolongement de leur durée de vie et dans le même temps m'engager à vendre pendant quinze ans la production à tel prix ? Prolonger la durée d'exploitation des centrales pourrait coûter 600 millions d'euros par tranche, soit un total de 35 milliards d'euros pour 58 tranches.

A l'issue d'une période transitoire de 15 ans, les centrales auront 15 ans de plus et l'outil de production et d'indépendance énergétique du pays sera compromis. Il faudra renouveler le parc, pour un coût, alors, de 4 milliards d'euros par tranche. Le coût de revient complet doit donc inclure le coût d'exploitation courante, la maintenance courante, le démantèlement, l'élimination des déchets, l'extension de la durée de vie. Il se situe entre 42 et 45 euros ; le niveau de 42 euros garantit la continuité avec le TaRTAM, mais n'enrichira pas EDF, et ne contribuera pas au financement des investissements liés au renouvellement des centrales. Je le dis solennellement. J'ajoute qu'un pillage par le biais d'un prix inférieur au coût de revient porterait un lourd préjudice à tous les acteurs économiques. De 42 euros, le prix doit être progressivement porté à 45 euros, point d'équilibre, incluant le coût de l'extension de durée de vie - mais non le coût du renouvellement.

J'en viens aux échanges d'information, ce n'est qu'a posteriori que nous saurons quels clients ont conclu un contrat avec nos concurrents. Quant aux contrats de gré à gré, ils ont surtout l'avantage d'être pluriannuels et de donner à chacun une meilleure visibilité à moyen terme.

La capacité de base est la plus importante et la pointe peut être couverte par des moyens différents. Je suis favorable aux conclusions du rapport Sido-Poignant.

Le taux de disponibilité n'est pas identique à la capacité de production, c'est un taux moyen sur une période, qui tient compte des arrêts programmés et subis. Plus le taux est élevé, meilleures sont la capacité théorique de production et l'efficacité économique de l'outil. Il faut apprécier la pertinence du taux en fonction de la saison. Par exemple, j'ai accepté que le taux soit réduit cet été afin que les centrales soient en fonction l'hiver prochain. J'ampute le taux à court terme mais j'améliore la situation économique du groupe. Un taux de disponibilité s'apprécie aussi au regard de l'utilisation qui est faite du nucléaire. Dans les pays où la part du nucléaire ne dépasse pas 20 ou 25 %, il est plus facile d'utiliser les centrales, en base seulement, à 90 %. Il n'y a pas de comparaison possible avec la France. Le meilleur taux jamais atteint par EDF est 83,5 % ; en 2009, nous étions à 78 %. Et je me suis engagé à porter ce taux à 85 % en cinq ans. Objectif ambitieux !

En 2009, le taux effectif faible a été dû aux mouvements sociaux. Je compte récupérer en 2010 les journées d'exploitation perdues en 2009. La maintenance a été renforcée, la gestion de proximité est plus efficace. L'effacement est un sujet important, il s'agit d'optimisation.

M. Roland Courteau. - Il est facile de dire que c'est l'Europe qui nous oblige ! Nous aurions pu revisiter la directive sur la concurrence à la lumière des articles 90 et 160. Et mettre en place la fameuse directive-cadre sur les services d'intérêt général prévue en 2002. Le projet de loi incite-t-il les opérateurs à investir ? La concurrence n'est-elle pas artificielle ? Les commercialisateurs peuvent-ils durer sans produire ? Nous partageons à 100 % vos réflexions sur ces sujets. Le texte est censé améliorer la concurrence - toujours ce fameux dogme ! En réalité, il cherche à colmater les effets négatifs de la libéralisation du marché de l'énergie. Je crains hélas qu'il ne décourage les investissements et ne mette en péril la sécurité d'approvisionnement du pays. Nous proposons donc, pour créer une incitation à l'investissement, d'organiser la décroissance des volumes cédés autour de 2020 ou 2025.

Quelles garanties a-t-on que les fournisseurs alternatifs ne vendront pas à l'étranger une partie des volumes que leur cèdera EDF ? La traçabilité de l'électricité est difficile : impossible de l'estampiller « made in France » !

M. Bruno Sido. - Avant de m'intéresser à l'électricité, je m'étais penché sur le secteur des télécommunications. Or, la concurrence n'a entraîné aucune création de valeur.

En 2006, j'ai participé à la rédaction d'un rapport sur la sécurité d'approvisionnement en électricité de notre pays. Nous nous étions rendu à La Mecque du marché - Londres, où l'on nous avait expliqué que le marché de l'électricité ne marchait pas, que les opérateurs s'alignaient toujours sur les prix les plus hauts et non pas les plus bas. Peut être les choses ont-elles changé depuis...

En Allemagne où il y a quatre opérateurs, chacun a sa part et la concurrence n'existe pas vraiment.

Et puis, il faut bien reconnaître que depuis 1946, c'est la France qui a payé EDF ! Je vous rappelle qu'il était un temps où l'on payait l'électricité plus cher dans notre pays qu'ailleurs ! Ce qui est essentiel, c'est l'indépendance française et sa sécurité d'approvisionnement. A partir du moment où les Français sont hostiles à l'interconnexion, il nous faut développer une capacité nationale de production pour couvrir nos besoins. Je serai donc très vigilant lors de l'examen de cette loi : il faudra prévoir une sortie en sifflet en exigeant des nouveaux opérateurs des investissements croissants tous les ans.

En ce qui concerne les 42 euros, êtes-vous sûr d'être au meilleur prix, d'autant que de nombreuses incertitudes continuent de peser sur EDF ? On ne sait toujours pas quel sera le coût du stockage des déchets à haute activité et votre entreprise doit affronter une inflation de normes, notamment en ce qui concerne la sureté nucléaire. On vous demandera bientôt d'enfouir à 500 mètres de profondeur les bétons contaminés. Vous êtes donc confrontés à des incertitudes phénoménales.

Alors, certes, nos concitoyens attendent des prix compétitifs, mais ils veulent surtout que la sécurité d'approvisionnement soit préservée.

M. Daniel Raoul. -  J'ai noté l'inquiétude de notre rapporteur sur cette loi. Mais il a handicap par rapport à nous, son appartenance à la majorité !

M. Henri Proglio a parlé en tant que président d'EDF. Nous, nous parlons au nom de nos concitoyens. Il s'agit non d'une expropriation mais d'une spoliation d'un patrimoine national car ce sont bien les Français qui ont payé cette entreprise. De quel droit peut-on obérer ainsi une partie du patrimoine de la Nation en le mettant à la disposition de concurrents alternatifs ? La Commission européenne, mais aussi notre pays, sont touchés par le dogme de la concurrence. Mais il s'agit d'un véritable TOC : un trouble obsessionnel de la concurrence !

Dans tous les pays où l'on a organisé la concurrence dans le secteur énergétique, et notamment pour l'électricité, les problèmes ont été innombrables, dont la multiplication des effets d'aubaine pour les concurrents. Le prix du mégawatt est fixé à 42 euros, soit, mais cela ne comprend pas la marge d'investissement. Avec cette loi, les concurrents n'auront aucun intérêt à investir : ils vont tout simplement bénéficier d'un cadeau de la Nation !

Bruxelles nous impose donc cette loi : j'aurais souhaité que le gouvernement négocie pied à pied, surtout lorsqu'on sait les aides qu'apportent les Landers à leurs entreprises ! L'Europe reproche à la France d'aider EDF. Mais avec cette loi, nous sommes en train de nous tirer une balle dans le pied !

Toute la question tourne autour de notre indépendance énergétique et c'est d'autant plus d'actualité lorsqu'on voit ce qui se passe dans le secteur gazier, avec Gazprom. Durant les années 1980, la France a beaucoup investi pour assurer son indépendance énergétique. Quelle sera la capacité d'investissement d'EDF lorsque cette loi aura été votée ?

M. Alain Fouché. - Gaz-de-France-Suez dispose d'une production d'électricité hydraulique très compétitive, notamment avec la Compagnie nationale du Rhône, et elle doit en faire bénéficier ses clients avant de revendiquer la production nucléaire d'EDF. Or, GDF revend 90 % de sa production sur le marché de gros : c'est compréhensible, compte tenu du prix de revient extrêmement compétitif de l'hydraulique. Mais cette entreprise ne peut revendiquer en même temps une part de l'électricité nucléaire d'EDF sous prétexte qu'elle ne dispose pas de moyens de production compétitifs ! Si nous acceptions cela, nous entérinerions purement et simplement un transfert financier d'EDF vers GDF-Suez.

M. Martial Bourquin. - Il serait dommage que cette loi en vienne à handicaper l'avenir alors qu'EDF a mené une remarquable politique énergétique et en matière de coûts. Je rappelle que souveraineté alimentaire et souveraineté énergétique sont étroitement liées. Cette loi, qui va réduire les investissements d'EDF de 2 milliards par an, ne peut, ne doit pas être votée, d'autant qu'elle organise une concurrence artificielle dans le secteur énergétique. Pourquoi casse-t-on les monopoles ? Parce qu'ils imposent des prix trop élevés. Ici, c'est exactement l'inverse !

En outre, si le nucléaire permet de réduire les émissions de CO2, il pose de graves problèmes de sécurité. Un sous-investissement pourrait avoir des conséquences non-négligeables sur la sécurité. Enfin, la question énergétique est capitale pour mener à bien une grande politique industrielle. Nous devons tout faire pour garder ce fleuron de l'industrie énergétique française, d'autant que nous ne sommes pas obligés de nous incliner systématiquement devant une Commission européenne aux mains d' ayatollahs du néolibéralisme qui veulent instaurer la concurrence partout, y compris lorsqu'elle ne sert à rien. Pourquoi ne pas continuer avec ce qui marche bien ? Ce projet de loi hypothèque purement et simplement l'avenir.

Je souhaiterais également savoir combien British Energy a coûté à EDF et combien lui coûtera le démantèlement des centrales britanniques en fin de vie. Mais comme il s'agit d'un autre sujet, je vous écrirai.

M. Francis Grignon. - Je souffrirais vraiment de voir débarquer des compagnies low-cost dans notre pays !

Comment va-t-on traiter la cogénération, notamment pour l'industrie papetière ? La cogénération représente 5 gigawatts, elle coûte 600 millions du fait de la contribution du service public électricité. Elle est cependant vertueuse puisqu'elle crée de la vapeur et de l'électricité. Elle concerne 50 sites et 25 000 emplois. Alors, quid de la cogénération ? Bénéficiera-t-elle d'un traitement particulier ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous avez expliqué la genèse de la loi en expliquant qu'elle était voulue par la Commission européenne. Mais il en va de cette dernière comme des gros bateaux : une fois les moteurs arrêtés, ils continuent longtemps sur leur erre. Le contexte économique et énergétique n'est pourtant plus le même qu'il y a trois ou quatre ans : l'énergie est devenue un bien précieux.

Comment peut-on nous demander de faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix alors que certains, et non des moindres, estiment que cette loi les fera augmenter ? Les consommateurs vont être en outre assujettis à une double peine puisque ils seront spoliés d'une partie de leur effort et qu'ils devront payer plus cher leur électricité. J'aimerais, monsieur le Président, que vous puissiez nous en dire plus sur cette question.

M. Jean-Pierre Vial. - Je constate l'enthousiasme de tous les participants devant cette loi ! En France, l'effacement représente 1 % alors que les États-Unis atteignent 15 à 20 %. C'est un véritable gisement.

Je vous félicite, M. Henri Proglio, d'avoir souligné l'intérêt du lien entre énergie et industrie. Alors que cette loi va être examinée, le renouvellement des concessions hydrauliques va intervenir et on évoque un texte sur l'industrie ; cette conjonction offre une grande opportunité.

J'étais hier avec un gros industriel de l'électro-intensif qui me disait qu'avec une bonne gestion de l'effacement, il dégagerait de 15 à 20 millions supplémentaires, marge qui lui permettrait de rester en France.

J'avais interrogé il y a deux ans Mme Lagarde sur le cas de Rio Tinto : il s'agit d'un véritable scandale car cet industriel a repris Pechiney avec ses 30 000 emplois. Aujourd'hui, il en reste moins de 4 000 et il a l'intention de fermer l'aluminium en Europe et surtout en France. Le site de Saint-Jean-de-Maurienne aura disparu dans deux ou trois ans et il en ira probablement de même à moyen terme pour Dunkerque. Cet industriel fait un chantage à l'énergie : il est rentré dans Exceltium pour bénéficier d'une énergie à bon marché et la revendre deux fois plus cher. Il aurait suffi qu'on lui interdise de revendre cette énergie pour constater qu'il n'avait pas l'intention de rester en France. Aujourd'hui, il fait du chantage aux barrages hydrauliques. J'ose espérer que nous ne nous laisserons pas avoir. Nous avons encore la possibilité de maintenir l'aluminium en France, encore faut-il conclure des accords entre la filière énergétique et le secteur industriel.

Le gouvernement doit tout faire pour éviter que les lois en cours n'aboutissent à nous faire abandonner une partie de notre industrie et de notre production hydroélectrique qui passerait aux mains des Espagnols et des Italiens qui, eux, ne sont pas soumis au renouvellement des concessions hydrauliques.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Ce sujet est effectivement très préoccupant.

Mme Odette Herviaux. - On nous dit que la concurrence doit être libre et non faussée. Or, ce n'est absolument pas le cas puisque ne sont pas pris en compte les montants des investissements.

Il y a quelques temps, un grand quotidien a procédé à « une mise en accusation » des réseaux. Certes, il s'agit d'une filiale d'EDF, ERDF, mais comment maintenir les investissements d'EDF en faveur du transport de l'électricité ? Dans le monde rural, les incidents se sont multipliés ces derniers temps.

M. Didier Guillaume. - Globalement, nous sommes tous d'accord au sein de cette commission sur la stratégie énergétique française et nous estimons que cette loi risque de fragiliser EDF. Certes, la vie politique va reprendre ses droits mais nous allons tous faire en sorte que cette loi soit la meilleure possible.

Nous pouvons nous nous retrouver sur le triptyque : indépendance énergétique, sécurité d'approvisionnement et excellence industrielle. L'indépendance énergétique est la priorité absolue sans laquelle notre pays ne pourra pas jouer son rôle. Évidemment, la sécurité d'approvisionnement implique de nombreux investissements. Enfin, sans excellence industrielle, la filière de l'énergie ne pourra pas fonctionner.

On a beaucoup entendu parler du fiasco de l'équipe de France, mais on s'en contrefiche. En revanche, on a beaucoup moins parlé du fiasco d'Abou Dhabi qui est bien plus grave : il a montré que notre pays ne disposait pas en matière énergétique d'une véritable stratégie industrielle. C'est inquiétant alors que nous nous préparons à examiner cette loi. Aujourd'hui, on ne sait pas comment augmenter la durée de vie des centrales, alors que c'est une nécessité. Parallèlement, notre pays doit investir pour en construire de nouvelles.

Je m'inquiète des conséquences de cette loi sur le prix payé par nos concitoyens en matière d'électricité. Une augmentation des tarifs leur poserait de graves problèmes.

Étant élu de la Drôme, je souhaite que vous nous parliez, monsieur le Président, des conséquences des relations entre Areva et EDF sur le site d'Eurodif : plusieurs centaines d'emplois sont en jeu.

Mme Bariza Khiari. - Vous savez ce que nous pensons de la concurrence « libre et non faussée », mais cela fait du bien de vous entendre parler de spoliation et de pillage du patrimoine qui appartient aux Français. Cette loi organise le transfert de ce patrimoine aux amis du Fouquet's et compagnie.

Les fournisseurs alternatifs tireront profit de l'accès au parc nucléaire à prix coûtant sans pour autant investir. Certains analystes pensent que ce projet de loi ne permettra pas à EDF d'investir de façon optimale dans son parc nucléaire. Nous allons donc perdre sur les deux tableaux car les investissements sont les emplois de demain. Avec cette loi, ne signe-t-on pas le scénario d'un échec annoncé ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Tout ceci n'est pas réjouissant, mais comme nous partageons votre sentiment, nous allons essayer de faire pour le mieux.

M. Marc Daunis. - Quel étrange moment ! Nous avions un modèle intégré, régulé, de qualité, qui fonctionnait bien et nous sommes en train de nous demander comment casser ce modèle, mais de la moins mauvaise façon possible. Cet exercice peut intellectuellement avoir son charme, mais il est quand même surprenant alors que l'on parle d'indépendance énergétique, de politique industrielle, de prix payés par nos concitoyens. Avec cette loi, faisons-nous une bonne ou une mauvaise action ?

D'abord, Bruxelles demande-t-elle vraiment cette loi ? En ce qui concerne les particuliers, la réponse est négative. Ne devrions-nous pas avoir une attitude un peu plus responsable ? Lorsqu'on voit comment les États-Unis tentent de corriger l'erreur fondamentale qu'ils ont commise, peut être faudrait-il s'interroger avant de nous lancer dans la voie qu'ils ont emprunté avant nous.

Les investissements liés à la croissance verte et au développement des énergies renouvelables ne vont-ils pas être freinés du fait de cette loi ? De quelle protection disposerons-nous en cas de revente spéculative à l'étranger ?

Monsieur le président, vous avez parlé d'une loi rééquilibrée : ne pensez-vous pas que la seule façon de la rendre plus équilibrée serait de la retirer purement et simplement ? Je dis cela sans polémique aucune. Quel serait l'impact sur EDF si cette loi n'était pas votée ?

M. Jacques Muller. - Cette loi va mettre en difficulté EDF. Je suis plus sensible à sa capacité d'investir massivement dans les énergies renouvelables que dans le parc nucléaire. Je partage aussi les inquiétudes de Bruno Sido sur les coûts du traitement des déchets nucléaires. Mais il faut aussi s'interroger sur celui du démantèlement. Personne ne maîtrise cette technique. La capacité industrielle d'EDF passe-t-elle par le développement de cette technologie qui serait d'ailleurs exportable puisqu'aucune centrale de part le monde n'a été démantelée ? Celles qui ont été arrêtées sont restées en l'état. En Alsace, nous avons la plus vieille centrale nucléaire française qui connaît des pannes de plus en plus fréquentes. Ne pourrait-elle servir de laboratoire à la nouvelle technologie du démantèlement, ne serait-ce que pour en connaître le coût ?

M. Marcel Deneux. - M. Henri Proglio a tenu un langage qui nous réconforte. Je partage les inquiétudes de Bruno Sido sur les coûts futurs du traitement des déchets et sur les incertitudes comptables du bilan d'EDF. Vous savez ce que l'on peut faire dire aux chiffres.

Nous devons mettre en place une vraie filière industrielle pour les gros consommateurs. Si l'on veut avoir une industrie de l'aluminium en France, il faudra revoir les tarifs. Ensuite, nous devrons définir une politique d'effacement, car la France est en retard. Nous ne pouvons que nous opposer à ce texte : notre devoir est de le rééquilibrer car, en l'état, il n'est pas bon.

M. René Beaumont. - Je tiens à féliciter M. Henri Proglio pour la qualité de son intervention. Tout d'abord, rien ne sert de regretter l'échec d'Abou Dhabi. La centrale qui a été vendue coûtait 45 % moins cher que la nôtre. Il était impossible dès lors de décrocher le marché.

J'en reviens à la politique énergétique de la France. Le problème est bien réel : ce matin dans la presse, on pouvait lire que le président d'Alstom ne pouvait plus s'entendre avec Areva. Or, la politique énergétique de la France passe par Areva, Alstom, EDF et Gaz-de-France. Quand est-ce que ces quatre-là finiront par s'entendre ? Allez-vous être le fédérateur ou faut-il en trouver un autre ?

M. Michel Teston. - En obligeant EDF à rétrocéder à ses concurrents jusqu'à un quart de sa production à prix coûtant, l'effet d'aubaine sera indéniable. Pour la première fois, une loi ne va-t-elle pas autoriser l'enrichissement sans cause qui est, je vous le rappelle, pénalement sanctionnable ? Vos conseils juridiques ont-ils examiné cet aspect de la question ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Avec toutes ces interventions, il est certain que le projet de loi doit pouvoir évoluer.

M. Henri Proglio, président d'EDF. - On peut être exproprié et spolié : j'essaye, quant à moi, d'être exproprié sans spoliation. Cette loi aura de toute façon des conséquences négatives sur EDF.

La question des investissements doit être intégrée dans le texte. Pour l'instant, elle n'est évoquée qu'à l'occasion d'une clause de revoyure dans cinq ans. Le plus sage serait d'imposer à ceux qui bénéficieront de cette mise à disposition de contrebalancer cet avantage par des investissements propres.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - J'y travaille !

M. Henri Proglio, président d'EDF. - Merci !

Il n'y a pas de garantie possible pour éviter des exportations d'électricité. Une clause de destination serait illégale.

Sur la question du prix, je vous ai parlé des prix de revient. Aucune forme d'expertise ne peut conduire à un prix inférieur à celui que j'ai mentionné. Toute autre déclaration relèverait d'une méconnaissance des prix de revient du groupe. 42 euros est le prix d'équilibre minimum qui intègre une quote-part des investissements d'extension. Aucun prix inférieur n'est réaliste. Il n'y a pas de corrélation directe entre le prix de mise à disposition de la capacité de production par EDF et les tarifs aux clients. Si nous étions amenés à vendre en-dessous du prix de revient une part significative de notre production, nous serions obligés, pour assurer la survie du groupe, d'augmenter nos prix de vente aux clients. La corrélation n'est donc pas directe entre les prix de cession et les tarifs, mais elle est inverse !

La cogénération est un élément important, je me suis beaucoup battu pour elle, et elle n'a pas de rapport direct avec cette loi.

Sur la Compagnie nationale du Rhône, il n'est moralement pas acceptable que les volumes d'hydroélectricité produits par tel ou tel concurrent ne soient pas déduits lors du calcul des droits à l'ARENH dont ils disposeront. Les règles du jeu doivent être équitables. Pourtant, cette intégration a été refusée au moment de la rédaction du projet de loi. La simple équité exige qu'il en soit tenu compte dans ce texte.

Il n'est bien évidemment pas question de sacrifier à la sécurité, notamment dans le nucléaire. Quelles que soient les conditions qui nous serons imposées, aucun élément de sécurité ne sera négligé.

Le démantèlement des centrales de British Energy est à la charge des pouvoirs publics britanniques.

Bien évidement, l'incitation à l'investissement dans l'effacement est inversement proportionnelle au prix. Si l'effacement est moins développé en France, c'est que les prix étant très compétitifs, la rentabilité de l'effacement est par définition moindre. Il ne me viendrait pas à l'idée de vous proposer une forte augmentation des prix pour accroître l'intérêt de l'effacement. Il nous appartient donc de faire un effort particulier dans ce domaine afin d'optimiser l'efficacité économique du parc existant. C'est d'ailleurs ce que nous faisons.

J'aimerais que les réflexions qui ont été faites sur l'entreprise Rio Tinto soient connues du ministre d'État (Sourires). Cela me rendrait service.

M. Jean-Pierre Vial. - Je suis intervenu en séance il y a deux ans sur cette question. J'interrogerai ce soir M. Jean-Louis Borloo.

M. Henri Proglio, président d'EDF. - Nous sommes effectivement dans une situation ubuesque.

Nous nous sommes mobilisés en faveur des électro-intensifs. Nous avons signé l'accord Exceltium pour leur donner plus de visibilité tarifaire. Notre pays restera durablement compétitif en ce domaine. Les électro-intensifs doivent adhérer à ce contrat qui leur offre une grande compétitivité par rapport aux autres pays européens. En revanche, certains États aident substantiellement leurs industriels, mais vous savez que cela nous est interdit.

Cette loi amputera la capacité d'investissement d'EDF : espérons que cela ne soit que marginal. Je prends l'engagement que ce texte n'aura aucun impact sur les réseaux. J'alerte néanmoins les élus sur la nécessité que les investissements d'ERDF soient efficaces et que les élus, propriétaires des réseaux, ne séquestrent pas une part de plus en plus importante des sommes en jeu vers des investissements de confort plutôt que productifs. Il en va de l'efficacité du réseau. Nous avons augmenté de 50 % les investissements dans la distribution depuis près de trois ans. Je souhaite que cet effort ne soit pas sans lendemain.

Je suis convaincu que notre pays doit redécouvrir les vertus de l'industrie. Il convient de définir des politiques à long terme pour donner plus de visibilité aux entrepreneurs. Une commission a été réunie autour de François Roussely à cet effet et ses conclusions seront bientôt connues. Je suis déterminé à ce qu'EDF joue son rôle dans ce domaine. Je le fais déjà au quotidien, mais avec un succès mitigé, du fait d'un manque de cohérence, voire de solidarité, des acteurs de cette filière. Je le déplore.

J'aurais beaucoup de chose à dire sur Eurodif, mais ce serait un peu long en commission. Nous pourrons le faire plus tard.

Je crois au service intégré, je crois à l'efficacité de l'outil économique qui a un été un des grands atouts de ce pays au cours des 50 dernières années. Bruxelles demande une désintégration du service : cela coûtera cher et réduira la performance. Nous ferons néanmoins tout notre possible pour améliorer la qualité de service de proximité sans perdre pour autant la qualité d'expertise que nous possédons dans les différents segments de la filière. J'investis massivement en R&D et dans l'outil industriel afin que nous soyons capables, partout dans le monde, d'être la référence.

Faut-il ne pas voter la loi ? Certainement pas, car l'incertitude serait grande, et vous savez qu'il s'agit de la pire ennemie de tout entrepreneur. Je préfère une loi imparfaite, qui respecte cependant les équilibres économiques, à une absence de loi qui conduirait Bruxelles à interférer dans le paysage industriel de façon incontrôlée. Je vous incite donc à amender ce texte, mais non à le rejeter. Le plan d'investissement d'EDF pour les années 2011-2013 est réduit pour tenir compte de la situation actuelle Il exclut également toute acquisition, tout investissement purement financier. Or, il représente encore 57 à 58 milliards d'euros ! Il s'agit donc d'un engagement massif. Pour piloter ce navire, vous comprenez qu'il est indispensable de disposer d'une visibilité à moyen et long terme.

En ce qui concerne les coûts, les chiffres que je vous ai donnés me semblent réalistes.

Je vous suis très reconnaissant de tenir compte de nos caractéristiques propres et de nos contraintes particulières. Je crois avoir répondu à vos principales questions.

Vous allez décider des conditions dans lesquelles EDF, et donc, notre industrie énergétique seront conduites dans les 20 à 50 années à venir. Cette loi, dont j'aurais peut-être souhaité que les prémices soient différentes, sera donc déterminante pour le groupe EDF, pour ses 170 000 collaborateurs et pour la place de la France dans le monde de l'énergie.

M. Jean-Paul Emorine, président. - La grande majorité de la commission partage vos préoccupations. Le nucléaire est un avantage compétitif qu'il convient de préserver et je partage tout à fait votre analyse sur les charges d'EDF et sur les provisions qu'elle doit constituer pour construire de nouvelles centrales. Dans deux semaines nous aurons le rapport sur ce projet de loi et nous nous prononcerons sur les amendements qui prépareront le texte de la commission. Je pense que vous avez été entendu. N'oublions pas que c'est le Parlement qui fait la loi. Ce projet de loi ne sera pas retiré car la décision appartient au gouvernement mais, comme vous l'avez dit, l'absence de loi serait encore pire pour l'avenir d'EDF.

Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la commission de régulation de l'énergie

Puis, la commission entend M. Philippe de Ladoucette, président de la commission de régulation de l'énergie (CRE), sur le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Merci de m'accueillir. Cette loi est la conséquence d'une mise en demeure de Bruxelles d'avril 2006 et d'un avis motivé de décembre 2006 relatifs à la transposition de la directive de 2003 ; et par ailleurs une enquête sur les tarifs règlementés de vente pour les moyennes et les grandes entreprises sur le TaRTAM a été lancée en juillet 2007. C'est dans ce contexte que le gouvernement à confié à Paul Champsaur la présidence d'un groupe de travail dont le rapport final a inspiré les grandes orientations du projet de loi NOME. Le Premier ministre a pris des engagements auprès de la Commission européenne afin de régler les contentieux en cours, par une lettre en date du 15 septembre 2009. Aujourd'hui, pour Bruxelles, cette lettre est un document de référence. Il est donc intéressant de vérifier ce que le projet de loi reprend des engagements contenus dans cette lettre.

La nouvelle organisation du marché de l'électricité proposée dans le projet de loi NOME poursuit un triple objectif. Il s'agit d'abord de permettre à la concurrence de s'exercer sur l'ensemble des segments de clientèle - particuliers et professionnels - dès l'entrée en vigueur de la loi. Je souligne ce point car il pourrait y avoir des ambiguïtés dans certaines déclarations. Il s'agit bien de l'ensemble des segments comme le précise le Premier ministre en pages 3 et suivantes de sa lettre : il s'agit bien de l'ensemble des consommateurs, et donc des particuliers, qu'ils soient au tarif bleu, jaune ou vert.

Il s'agit ensuite d'assurer le financement du parc de production existant en permettant à EDF, dans un premier temps, de sécuriser ses engagements à long terme pour le démantèlement des centrales nucléaires et la gestion des déchets, dans un deuxième temps - soit en 2020-2025 - de réaliser les investissements nécessaires à l'allongement de la durée d'exploitation des réacteurs de son parc nucléaire historique et, dans un troisième temps, de préparer le renouvellement de son outil de production.

Il s'agit, enfin, de préserver, pour l'ensemble des consommateurs, le bénéfice de l'investissement réalisé dans le développement du nucléaire par des prix reflétant la réalité industrielle du parc de production. La loi doit atteindre ces trois objectifs au plus tard à la fin de 2015.

Trois éléments important dans cette loi : le prix de cession, c'est-à-dire de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dit prix ARENH ; les volumes d'énergie qui pourront être vendus à ce prix aux fournisseurs alternatifs et, enfin, la construction d'un tarif réglementé de vente établi de telle sorte qu'il place tous les fournisseurs d'électricité dans des conditions économiques équivalentes.

Le projet de loi prévoit que les volumes d'énergie qui seront attribués par la CRE à chaque fournisseur au prix ARENH, qu'on peut également appeler « part ARENH », seront calculés sur les prévisions d'évolution du portefeuille de clients de chaque fournisseur. La « part ARENH » représente un certain pourcentage de la consommation d'électricité annuelle de ce portefeuille. Elle doit être évaluée de telle sorte qu'elle ne crée pas de distorsion de concurrence entre le fournisseur alternatif et EDF. Imaginons en effet que soit attribuée au portefeuille d'un fournisseur alternatif une part ARENH représentant 60 % de la consommation de son portefeuille. Si EDF utilise en réalité 70 % d'électricité nucléaire historique pour fournir ce même portefeuille, elle bénéficiera dès lors d'un avantage en termes de coût de fourniture, dans la mesure où le fournisseur alternatif devra faire appel au marché pour 10 % de plus qu'EDF, générant ainsi un surcoût. Inversement, si le fournisseur alternatif bénéficiait, au titre de ce même portefeuille, d'une part ARENH de 80 %, c'est EDF qui supporterait un surcoût. Le développement d'une concurrence effective dépend donc de la « part ARENH » qui sera attribuée à chaque fournisseur, en fonction des caractéristiques de son portefeuille. Le calcul de ce volume d'énergie doit être effectué de telle sorte qu'EDF et les fournisseurs alternatifs se trouvent dans des conditions de fourniture équivalentes pour un portefeuille de clients donné.

L'actuelle rédaction de l'article premier mériterait d'être clarifiée et harmonisée car, tel quel, il sera un peu compliqué à interpréter par la suite.

M. Daniel Raoul. - C'est un euphémisme....

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - J'en viens à la construction d'un tarif réglementé de vente. Le projet de loi NOME dispose que, dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente doivent être établis en tenant compte de l'addition du prix ARENH, du coût du complément à la fourniture d'électricité, qui inclut la garantie de capacité, des coût d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation, ainsi que d'une rémunération normale. Pour que la concurrence se développe de manière effective, sur l'ensemble des segments de clientèle, les tarifs réglementés de vente doivent intégrer le prix ARENH et la proportion du volume d'électricité de base vendue à ce prix, dès l'entrée en vigueur de la loi. Dans le cas contraire, les concurrents d'EDF ne seront pas dans des conditions économiques équivalentes à celles d'EDF. Comme l'indique l'Autorité de la concurrence dans son avis, cette règle de calcul des tarifs règlementés s'avère indispensable pour garantir la neutralité de ces tarifs quant aux conditions de concurrence entre les fournisseurs mais son efficacité est amoindrie par le report de son application à quasiment cinq ans. Dans sa lettre aux commissaires européens à la concurrence et à l'énergie, le Premier ministre a souhaité que ce soit le régulateur qui fixe le prix ARENH.

Le VI de l'article 1er du projet de loi prévoit une période transitoire de trois ans pendant lesquels la CRE donnera un avis sur une proposition du ministre. Il paraîtrait cohérent que l'autre période transitoire concernant les tarifs réglementés, actuellement de cinq ans, soit elle aussi fixée à trois ans par souci de cohérence entre les deux.

La consultation du Conseil supérieur de l'énergie, en soi louable, pose un problème de faisabilité. Sur quel texte le consulter ? Ce ne peut être sur une délibération de la CRE car cela viendrait trop tard et, avant, il n'y a pas vraiment de texte. Ce ne peut donc être que sur des éléments très généraux. On se retrouve là dans le même cadre que la CRE qui consacre beaucoup de temps à des consultations publiques. Par exemple, sur la construction du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), elle est amenée à consulter l'ensemble des acteurs par voie électronique, par courrier, par le biais d'auditions ou de tables rondes. Donc, j'ai l'impression que la consultation du Conseil supérieur de l'énergie est un peu redondante. Je sais bien qu'il s'agit de compenser l'éviction des commissaires représentant les consommateurs mais je ne suis pas certain que cela réponde à cet objectif.

Quelques mots sur la CRE elle-même. Celle-ci, qui a aujourd'hui dix ans d'existence, a connu plusieurs lois sur l'énergie et vu sa gouvernance modifiée déjà trois fois. Le projet de loi NOME prévoit donc une quatrième modification - en dix ans - de la composition de son collège. Je ne crois pas que l'on rencontre une telle instabilité dans aucun pays européen comparable au nôtre. La dernière modification remonte à la loi votée en décembre 2006 : le Parlement a souhaité ajouter deux commissaires aux sept existants, afin que les consommateurs soient représentés au sein du collège. Vous aviez également décidé la création de postes de vice-président pour deux des membres nommés par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, et ramené à trois le nombre de commissaires à plein temps. Votre réforme est achevée et effective depuis avril dernier. Le collège de la CRE est donc composé de neuf commissaires, dont trois à temps complet. On y dénombre deux conseillers d'État, un ancien sénateur, deux ingénieurs généraux des mines, un ancien responsable syndical, un ancien président d'entreprise publique du secteur de l'énergie, un industriel représentant les grands consommateurs et un responsable d'association de consommateurs domestiques. Le projet de loi actuel, voté par l'Assemblée nationale, prévoit un collège réduit à trois membres à temps plein. Ce nombre de trois ne me semble pas optimal et celui de cinq, que prévoyait le texte initial, correspond davantage à ce qu'est un collège et, surtout, aux besoins de la CRE. Avec un effectif de trois et un quorum de trois, il suffit qu'un des membres soit malade ou effectuant un des nombreux déplacements que requiert son activité internationale, pour que la Commission de régulation ne puisse fonctionner.

Mais, surtout, il faudrait désormais cesser de modifier sa composition et la stabiliser pendant plusieurs années ! Aucune autre autorité de régulation économique n'est soumise à un tel rythme de changements en si peu d'années.

Un régulateur n'est pas là pour faire plaisir aux entités qu'il régule. Il applique la loi et les directives européennes. Il est donc normal qu'il dérange car il est obligé de justifier ses positions sur le plan juridique et économique, celles-ci étant toujours attaquables devant les juridictions compétentes. Il est rare qu'un régulateur soit apprécié au même moment par tous les acteurs du marché. Mais s'il est successivement apprécié et critiqué, c'est qu'il a trouvé un juste équilibre.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Que se passera-t-il lorsque le volume global maximal fixé par la loi sera atteint ? D'autre part, dans un petit ajout du texte de l'Assemblée nationale, les députés ont introduit un serment. De quoi s'agit-il ? Qu'en pensez-vous ?

Pour diminuer le nombre de membres de la CRE, on a supprimé la représentation des consommateurs. En compensation, on leur a accordé la consultation du Conseil supérieur de l'énergie. Créer une usine à gaz pour répondre à une demande, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Cela va alourdir les procédures, alors même que la CRE consulte tout le monde, y compris les consommateurs. Je souhaiterais qu'on ne garde pas cette disposition, mais je sais que cela va poser un problème au gouvernement qui a pris des engagements.

Je suis moi aussi partisan d'en revenir à une CRE comprenant cinq membres mais, ce qui me gêne dans le texte initial du gouvernement, c'est que celui-ci désignerait trois membres tandis que les présidents des assemblées n'en désigneraient qu'un seul chacun. Cette sur-prédominance du gouvernement me pose problème. Je serais tenté de laisser au gouvernement la désignation du président de la Commission de régulation et de confier aux présidents des assemblées le soin d'en désigner chacun deux membres. Mais je n'ai pas tranché et j'aimerais connaître l'avis de mes collègues.

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Sur le serment je n'ai pas de commentaires à faire... Je m'en remets « à la sagesse du Sénat » pour savoir si c'est utile ou non.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Il faut expliquer le contexte. C'était le moment où un rapport sur les réseaux avait été divulgué dans la presse avent même que la CRE l'ait examiné, signé par deux vice-présidents. Cela avait, à juste titre, énervé les députés mais ceux-ci ont imposé ce serment comme sanction. C'est ridicule.

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Que se passera-t-il quand le volume global sera atteint ? Actuellement, c'est une répartition du volume global en fonction d'un développement équilibré de la concurrence. Rien de plus n'est prévu dans la loi et on laisse aux décrets d'application le soin d'aller plus loin. On peut imaginer que cela se fera au prorata des parts de marché mais je n'en ai pas encore discuté avec les services du gouvernement.

Sur la composition de la CRE, vous pourriez aussi imaginer, en restant dans l'hypothèse de cinq membres dont trois nommés par le gouvernement, de faire désigner les deux vice-présidents par les présidents des deux assemblées...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Suggestion intéressante.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous êtes donc le gardien du temple, chargé de faire appliquer la loi et les directives européennes.... La concurrence devait favoriser la baisse des prix. Or, malgré les dénégations du ministre, on entend tout et le contraire de tout et j'aimerais avoir votre sentiment à ce sujet.

M. Daniel Raoul. - Le président de la CRE, à la fois juge et partie, doit être dans une position inconfortable face à ce projet de loi. Nommé par le gouvernement, il ne vous est pas facile d'avoir une vision critique. D'ailleurs vous savez ce que nous pensons des autorités indépendantes en général : elles posent des problèmes aux parlementaires.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Seulement à certains d'entre eux ! Pas à moi par exemple.

M. Daniel Raoul. - Nous en reparlerons à la fin 2011... M. Ladislas Poniatowski a posé un vrai problème, celui des volumes. Comment le règlerez-vous ? Quoiqu'il en soit, si nous en sommes là avec ce projet de loi, c'est que l'ouverture du marché a été un échec ; d'où la création du TaRTAM. En outre, ce qui me gêne beaucoup dans ce projet de loi, c'est que le rôle du régulateur et des gestionnaires de réseau - RTE et consorts - sera défini par ordonnance. Vous savez notre peu de sympathie pour cette procédure et je n'apprécie pas que le rôle d'une autorité dite indépendante soit défini ainsi.

M. Martial Bourquin. - Il est rare que la mise en place d'une concurrence aboutisse à faire monter les tarifs. Un monopole de fait est en général à l'origine de prix élevés. Là, c'est l'inverse : on avait une entreprise publique en situation de monopole qui vendait son électricité 30 % moins cher que tous nos voisins. Et voilà que le projet de loi NOME propose de reverser une partie de cette énergie peu coûteuse à des concurrents d'EDF qui, eux, la revendraient à l'étranger au prix du marché ! Cela risque de compromettre les capacités d'investissement d'EDF, sachant que notre politique énergétique a une force - faible coût et peu de gaz à effet de serre - et une faiblesse - les contraintes de sécurisation de la technique nucléaire.

Vous avez fait une déclaration sur les futurs prix de l'électricité alors même que les impayés se multiplient sur les factures de gaz, comme en témoigne un article des Échos. Nos concitoyens subissent en effet les effets de la crise. Si vous avez fait cette déclaration sur les tarifs de l'électricité, c'est sans doute que vous avez évalué les conséquences de ce projet de loi NOME ? Enfin, que pensez-vous d'un prix de gros à 42 euros ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - A terme, c'est la CRE qui proposera au gouvernement les tarifs de l'électricité. Donc le débat porte sur la prise en compte des coûts de cette électricité - rémunération des capitaux, coûts d'exploitation, d'investissement, de maintenance, d'extension du réseau, charges nucléaire sur le long terme. Tout cela est bien encadré. Mais il y aura une difficulté si EDF doit céder son électricité à un prix qui ne prend pas en charge ses provisions pour investissements dans les futures centrales nucléaires. Dès lors, EDF sera mal placée pour soumissionner sur le futur marché de construction des centrales nucléaires.

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Sur les volumes, je n'ai pas plus de réponse que tout à l'heure. La CRE n'est pas chargée d'élaborer la loi, on lui demande seulement de l'appliquer, ce à quoi j'ai dit oui, sans enthousiasme. Je ne peux que commenter l'application de la loi, non sa rédaction.

Je n'ai pas compris l'objection de M. Raoul sur la fixation par ordonnance des rôles du régulateur et des gestionnaires de réseau. Ce n'est plus d'actualité car cette partie du projet de loi a été retirée - il s'agit du « troisième paquet » du Grenelle. Je regrette qu'on ne puisse le transposer immédiatement car il faut l'avoir fait avant le 31mars 2011 et, pour la CRE, cette transposition est une charge de travail beaucoup plus lourde que l'application de la future loi NOME.

Sur les tarifs, M. Martial Bourquin, je n'ai fait aucune déclaration. Lors de mon audition à l'Assemblée nationale, je n'ai pas parlé des prix de détail mais seulement du prix de cession de l'accès régulé à la base (ARB). Un schéma été diffusé auprès des parlementaires, document interne à la CRE, expliquant ce qu'il en serait si on voulait, dès 2011, aligner les tarifs réglementés sur les prix ARENH. Ce n'était pas une prévision - la décision relevant du Gouvernement - c'était un schéma théorique. Ce qui est dans la loi, c'est que, fin 2015, les tarifs réglementés devront prendre en compte les prix ARENH. Si les prix augmentent, ce sera à cause des nécessaires investissements, lesquels feront augmenter l'ARENH. Aujourd'hui le débat porte sur la cohérence par rapport au TaRTAM. Là-dessus nous avons des analyses, pas totalement partagées par EDF. Mais les écarts ne sont pas très grands, nos chiffres varient de 38,6 à 39,8 euros le kwh tandis que M. Henri Proglio parle de 42 euros. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la CRE qui fixera le niveau de l'ARENH pour la première fois, en 2011 ; c'est le gouvernement. Celui-ci peut lui demander une expertise mais cela s'arrête là. Ensuite, jusqu'en 2013, c'est toujours le gouvernement qui fixera l'ARENH, avec un avis de la CRE ; alors, on ne sera plus dans la cohérence par rapport au TaRTAM mais dans un calcul réellement économique. Pour la troisième période, celle du renouvellement des centrales nucléaires, il y a débat entre le gouvernement et la Commission de Bruxelles qui, elle n'envisage pas que l'ARENH prenne en compte ce renouvellement. C'est ce que le Premier ministre a écrit !

M. Daniel Raoul. - Il n'aurait pas dû ! Il n'y a pas de provisions pour les investissements !

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Pour l'instant les 38, 39 ou 42 euros prennent en compte les prolongements des centrales nucléaires. Mais la question du renouvellement ne se posera pas avant 2030 au plus tôt. Les engagements du gouvernement français ne prennent pas en compte les charges pour renouvellement mais, dans la loi, c'est prévu pour 2020/2025. Si l'augmentation des prix est inéluctable, c'est que le renouvellement du parc est inéluctable. EDF estime le prolongement à 600 millions par réacteur, d'où un investissement de 35 milliards qui peut expliquer l'écart entre les tarifs réglementés d'aujourd'hui - 34/35 euros - et le futur prix ARENH.

M. Martial Bourquin. - Les 2 milliards que perdra EDF chaque année en revendant son électricité à bas coût n'iront pas vers l'investissement. Il faudra au moins 200 millions pour entretenir les centrales. Or, EDF a provisionné 10 millions ! Je crains que le vieillissement des centrales n'étrangle EDF. Le prix doit donc en tenir compte, malgré les engagements du Premier ministre. Car après tout, le Parlement est là pour contrôler le gouvernement. C'est lui qui vote la loi ! Il ne faut pas transférer cette charge de l'entretien et du renouvellement des centrales, sur les générations futures. Le Premier ministre a pris un engagement : il arrive à tout le monde de se tromper mais perseverare diabolicum.

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Tout fournisseur alternatif qui revendrait, à l'étranger et au prix du marché, l'électricité achetée à EDF, devra reverser à EDF le bénéfice qu'il en retirerait. En outre, il y a eu une sorte d'accord tacite, dans les courriers entre les deux commissaires européens et le Premier ministre, pour limiter ces profits au territoire français.

M. Marc Daunis. - Sur la libre circulation des produits, principe fondateur de l'Europe, vous venez de dire qu'on va s'arranger en douce, qu'on a noué des accords tacites. Tout cela montre la difficulté à sortir du processus fou dans lequel nous nous sommes engagés avec la dérégulation et la désintégration d'un service public performant. Pour Bruxelles, la question des particuliers est mineure, l'important, ce sont les consommateurs industriels. Ne pensez-vous pas qu'il aurait été préférable et plus simple de procéder par conventions de service public ? Vous avez dit il y a quelques mois que le niveau de fixation de l'ARENH sera déterminant pour l'évolution des tarifs réglementés. Voilà qui n'est pas anodin....

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. - Oui, c'est un sujet important. Le niveau de l'ARENH sera fixé en fonction d'une cohérence TaRTAM mais aussi en fonction des besoins économiques d'investissement. On ne se basera pas uniquement sur les déclarations d'EDF mais aussi sur des contre-expertises. Vous auriez le même débat sans cette loi, car il faudra bien qu'un jour EDF investisse et que, donc, les prix suivent. Il n'y a pas d'ambiguïté : la loi prévoit que, fin 2015, les tarifs devront intégrer le prix ARENH.

S'il n'y avait pas les contentieux européens, on ne serait pas obligé de faire une loi. Dans la commission Champsaur, deux hypothèses ont été évoquées : celle à laquelle vous êtes aujourd'hui confrontés ; et une autre, plus simple, plus avantageuse pour EDF : on supprime les tarifs réglementés et on compense cette perte pour le consommateur sous forme d'impôt négatif. Mais personne n'a voulu de cette solution. D'abord parce qu'il aurait été difficile de faire accepter la suppression des tarifs réglementés et, ensuite, parce que nos concitoyens risquent d'être incrédules quant à la capacité de l'État à leur rendre de l'argent sur la durée.

L'alternative est donc soit cette loi, soit la Cour de justice de l'Union européenne devant laquelle nous pourrions être déférés pour les deux contentieux en cours, celui des aides à travers d'Etat, les tarifs règlementés, et celui plus général du défaut de transposition de la directive 2003/54/CE sur la libéralisation des marchés de l'électricité. La Commission a suspendu ces contentieux dans l'attente de cette loi.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Merci de ces éclairages sur le rôle de la CRE et sur la fixation des tarifs.

Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Audition de M. Dominique Maillard, président de réseau de transport d'électricité

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Dominique Maillard, président de réseau de transport d'électricité, sur le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

M. Dominique Maillard, président de réseau de transport d'électricité (RTE). - Certaines mesures de ce projet de loi, d'apparence technique et donc peu médiatisées, sont déterminantes pour la sécurité de l'alimentation électrique. RTE est concerné par la majorité de ces nouvelles dispositions.

La loi impose au transporteur, comme au distributeur, d'acheter de l'énergie pour compenser les pertes. Cette forme de péréquation représente 20 % des charges de RTE, soit environ 800 millions d'euros. Nous achetons sur le marché, à terme comme en spot, en répartissant nos achats. Nous avons ainsi aujourd'hui d'ores et déjà couvert 75 % des pertes estimées pour 2011.

Le projet de loi instaure un accès régulé à l'énergie nucléaire historique, ce qui offrira plus de prévisibilité, ainsi qu'un niveau de prix inférieur à celui du marché. Le législateur nous imposant une totale transparence, c'est le client final qui en bénéficiera. L'entreprise n'y gagnera pas en valeur économique, mais en lisibilité.

Nous n'achèterons sans doute pas ainsi la totalité de l'énergie, pour permettre des ajustements au dernier moment, entre achat de base « en ruban », pour les deux tiers, et modulation. En France, les pertes dues au transport d'électricité représentent 11 térawatts-heure, soit 2,5 % de la consommation. Elles devraient croître qualitativement, avec l'augmentation des distances entre lieux de production et de consommation, notamment pour les énergies renouvelables, mais rester autour de ce seuil : la densité de la population est assez homogène en France, contrairement à la Chine où il faut transporter l'énergie sur des milliers de kilomètres. Pour le consommateur domestique, le transport représente 10 % de sa facture, soit 8 euros par kilowatt-heure ; la distribution, 35 %, le reste représentant les coûts de production et de commercialisation.

Deuxième avancée : la création d'un mécanisme d'obligation de capacités de production et d'effacement. La demande d'électricité varie en fonction de l'activité humaine ; les pointes de consommation interviennent vers midi l'été, vers 19 heures l'hiver. Ce sont des périodes de tension pour tout le système ; nos lignes de transport fonctionnent à pleine capacité. Pour y faire face, il faut d'une part solliciter tous les moyens de production disponibles, d'autre part, écrêter les pointes : c'est l'effacement. Celui-ci peut être le fait de grands clients industriels, qui acceptent de réduire leur consommation à certaines heures, ou un effacement diffus, agrégeant l'effacement de consommateurs individuels qui acceptent, sitôt prévenus, d'interrompre leurs appareils domestiques. Nous sommes prêts à rémunérer de la même façon production supplémentaire ou effacement.

L'article 2 du projet de loi fait obligation à tout fournisseur sur le marché de justifier qu'il dispose de capacités de production ou d'effacement. Cela a l'avantage de répartir la responsabilité sur l'ensemble des acteurs et pas seulement sur l'opérateur historique, de traiter sur un pied d'égalité production supplémentaire et effacement, et de créer un marché des capacités excédentaires. Mais le diable est dans les détails. Il faudra s'assurer du caractère effectif des annonces de capacité. Le projet de loi prévoit de confier à RTE des responsabilités en la matière, même si la sanction doit rester du domaine de la puissance régalienne. Nous avons l'expérience, avec le mécanisme d'ajustement, de régler de manière fine les écarts entre prévision et réalisation.

En créant ce marché, on va au devant des difficultés potentielles. Les acteurs peuvent préférer investir dans des moyens de base, rémunérés régulièrement, plutôt que dans des moyens de production temporaires, fortement rémunérés mais coûteux et qui serviront peu. La gestion des périodes de pointe a souvent été résolue via des mécanismes de ce genre, notamment aux États-Unis.

Le volet du projet de loi transposant le troisième « paquet énergie » a été abandonné. RTE, pourtant filiale à 100 % d'EDF, est aujourd'hui soumise à des règles exorbitantes du droit commun : ainsi, ses investissements sont approuvés non par l'actionnaire mais par le régulateur. Nous souhaitons que la transposition intervienne néanmoins avant l'échéance de mars 2011.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - L'Assemblée nationale a supprimé le plafond de 20 térawatts-heure pour les pertes de réseaux. Avec ce levier, vous pourrez demain couvrir ainsi vos pertes à 100 %. Quel serait le gain pour RTE ?

Comment assurez-vous le contrôle des capacités de production et d'effacement ?

Quelles sont les conditions du bon fonctionnement du futur marché d'échange des garanties de capacités ?

Y a-t-il des limites techniques au développement de l'effacement ?

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a cité RTE pour justifier l'article 2 ter. Quel est l'intérêt pour vous de ce dispositif d'interruption instantanée de certains consommateurs agréés ? La motivation me semble purement économique...

Il est aujourd'hui interdit de s'effacer à partir de sa base. Pourquoi ? Certes, il y aurait un manque à gagner pour EDF, mais cette faculté existe dans d'autres pays.

M. Dominique Maillard, président de RTE. - Les deux tiers de nos pertes sont régulières, et peuvent être couvertes par l'offre de production « en ruban ». Je ne suis pas sûr que nous trouvions une offre permettant d'assurer la modulation, même si nous en avions la faculté ! La suppression de la contrainte des 20 térawatts-heure se heurte à la limite de nos capacités d'achat « en ruban ». Le chiffrage dépendra de l'écart entre le prix fixé et le prix du marché. Peut-être pourrons-nous acheter un à deux térawatts-heure de plus...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Sans doute est-ce plus intéressant pour le distributeur ?

M. Dominique Maillard, président de RTE. - En effet. Il n'y a pas de gain pour l'entreprise, l'économie sur nos coûts étant répercutée sur les tarifs.

Il faut contrôler la réalité des capacités de production et d'effacement. Dans sa rédaction actuelle, l'article 2 prévoit sanctions et obligations. Pour l'heure, nous n'avons pas de pouvoir d'investigation hors de France, or le marché est européen. Pourquoi ne pas imaginer un mécanisme de double reconnaissance, où les certificats délivrés par l'opérateur de chaque pays seraient reconnus dans tous les États membres ?

Je vois trois conditions au bon fonctionnement du futur marché d'échange des garanties de capacités. Tout d'abord, l'obligation de déclarer les capacités inutilisées, à l'instar de ce qui existe pour le mécanisme d'ajustement, le producteur restant libre d'en fixer le prix, et donc de rendre ses capacités accessibles ou non. Le marché doit également être suffisamment liquide. À ce titre, jumeler capacité de production et capacité d'effacement accroît le potentiel. Enfin, le marché doit s'inscrire dans un cadre européen, pour profiter de la complémentarité des moyens de production. La France est très sensible aux conditions de température, car le chauffage électrique y est largement développé : un degré de plus en Europe continentale, c'est un appel à 4500 mégawatts de plus, dont 2100 pour la seule France ! Il est économiquement intéressant d'utiliser les interconnexions, car des capacités peuvent être disponibles chez nos voisins quand elles manquent chez nous !

Je ne sais s'il y a une limite au gisement de l'effacement - peut-être 10% - : c'est une question de comportement. Les industriels ont un raisonnement économique, il faut les payer plus cher que s'ils n'avaient pas interrompu leur activité, mais les consommateurs domestiques ont d'autres motivations que la rémunération, certains veulent faire « un geste pour la planète ». Je pense que leur capacité de mobilisation est plus importante qu'on ne le croit. En Bretagne ou en région PACA, notre système de sensibilisation EcoWatt, qui permet d'alerter les consommateurs par SMS ou e-mail, a rencontré un taux de réaction satisfaisant : dix-huit mille consommateurs bretons ont réduit leur consommation, contre dix mille l'an dernier. On économise au plus un kilowatt par individu, mais le potentiel est là !

RTE n'a pas suggéré l'article 2 ter, qui traite d'une variante d'effacement : l'intemptibilité immédiate. Ce mécanisme existe en Italie : dans un pays habitué des black-out, la valeur de l'interruptibilité - et donc sa rémunération - est élevée. En France, la situation est différente. Notre modèle économique n'aboutira donc pas aux prix italiens...

Pour garantir l'effectivité de l'interruptibilité immédiate, je propose de prévoir que le gestionnaire de réseau peut, une fois par an, faire appel à ces capacités, pour vérification. Dans d'autres fonctions, j'ai constaté que des industriels ayant des contrats interruptibles gaz-fioul s'étaient en réalité défaits de leur brûleur à fioul, pariant qu'ils ne seraient jamais appelés à s'en servir ! Je veux garantir que les capacités seront effectivement mobilisables.

L'ajustement de l'offre et de la demande est plus difficile en période de pointe. En période de base, la rémunération d'un mégawatt supplémentaire est faible : je crains que le prix ne compense pas les contraintes de l'effacement.

M. Jean-Pierre Vial. - Les consommateurs électro-intensifs demandent à bénéficier d'une réduction, voire d'une exonération des coûts de transport quand le point de consommation est à proximité ou sur le lieu même de production, comme le prévoit la législation allemande.

Je me réjouis des discours volontaristes des producteurs, mais la mise en oeuvre de l'effacement suppose un véritable marché capacitaire, avec un cadre réglementaire et un opérateur. RTE propose d'être ce « gendarme ». Qu'attendez-vous des pouvoirs publics, de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ?

Je connais un industriel capable d'effacer 300 mégawatts-heure, ce qui représenterait pour lui un gain de 15 à 20 millions euros et lui permettrait de rester en France. Il est prêt à faire cet effort et à prendre ce risque, mais il lui faut être sûr de pouvoir vendre ! Ce mécanisme sera-t-il opérationnel dans les prochains mois ? Les industriels ont besoin de prévoir leurs investissements à long terme.

M. Marc Daunis. - En tant qu'élu des Alpes-Maritimes, je suis particulièrement sensible à ces questions. La loi NOME suppose une coordination parfaite entre les différents intervenants - ministres de l'énergie et des finances, CRE, RTE, etc. - car les interactions sont nombreuses. Quelles garanties de cohérence la loi apporte-t-elle en matière de régulation ?

M. Daniel Raoul. - Je n'évoquerai pas le problème du statut de RTE, entreprise 100 % publique dont l'unique actionnaire est partiellement privatisé...

Qui paye le raccordement des énergies renouvelables ? Quelle est son impact sur le prix du transport d'électricité ? Par ailleurs, quel est l'effet collatéral sur RTE du mécanisme d'ARENH ?

M. Dominique Maillard, président de RTE. - Au sujet du coût du transport, je pourrais me réfugier derrière l'argument selon lequel nous appliquons la loi. Mais les experts ne s'accordent pas sur le mode de tarification. Depuis une dizaine d'années, le coût du transport est assumé à 95 % par les « soutireurs », c'est-à-dire les consommateurs finaux ou les redistributeurs ; les « injecteurs », c'est-à-dire les producteurs, ne paient que 5 %. Cette répartition avait été choisie pour ne pas nuire aux exportations françaises. Mais elle pénalise les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP).

Certains gros clients se plaignent de payer au prix fort alors qu'il existe un barrage à quelques kilomètres de leur usine. Mais le réseau est maillé, ce qui signifie qu'en cas de panne ou pendant les périodes de maintenance, ces clients reçoivent de l'électricité produite ailleurs. Ce système tarifaire constitue d'ailleurs une forme de péréquation. Il en va différemment des liaisons point à point. Naguère, des communes proches de centrales hydrauliques ou de centrales nucléaires bénéficiaient de tarifs spécifiques ; de telles mesures peuvent être légitimes, car les centrales occasionnent des nuisances. Il revient aux décideurs politiques de choisir. Nous sommes prêts à nous adapter, du moment que nos coûts sont couverts.

Pour favoriser l'effacement, nous sommes disposés à apporter notre expertise technique et notre connaissance de l'offre et de la demande car nous sommes actionnaires de référence à la bourse de l'électricité. Nos missions doivent être clairement fixées par l'Etat ou le régulateur, pour ne pas être juge et partie car nous sommes un monopole naturel.

Nous nous engageons à rémunérer de la même manière un effacement et une production supplémentaire. Je me réjouis que les industriels se disent prêts à réduire leur consommation ; j'espère seulement qu'ils rempliront leurs promesses. Il y a deux ans, nous avons lancé un appel d'offre auprès de nos gros clients industriels, en leur demandant combien d'énergie ils se proposaient d'effacer, étant entendu qu'ils en fixeraient eux-mêmes le prix. Or les propositions d'effacement n'atteignirent qu'un montant dérisoire, inférieur à 100 mégawatts-heure !

M. Jean-Pierre Vial. - Faute d'intégrateur, aucun industriel ne peut répondre à un tel appel d'offre !

M. Dominique Maillard, président de RTE. - Les grands industriels sont bien capables de décider seuls de leurs achats d'énergie. Mais nous n'avons aucune réticence à les aider si nécessaire, s'il manque un maillon -même si cela irrite parfois notre actionnaire...

M. Daunis, les lois successives ont bien délimité le domaine régalien et réglementaire, le domaine du régulateur qui élabore une jurisprudence et celui des acteurs, dont nous sommes, chargés de faire des propositions techniques et non de définir les règles. Ce n'est pas véritablement compliqué mais si la loi permet encore de clarifier, tant mieux.

M. Daniel Raoul a évoqué les frais de raccordement des producteurs d'énergies renouvelables. Il faut distinguer entre les dépenses occasionnées par l'établissement d'une ligne entre l'installation et le poste, qui sont à la charge de l'investisseur, et les frais de renforcement des capacités d'accueil du réseau. Pour atteindre l'objectif de 18 gigawatts d'électricité issue d'éoliennes terrestres d'ici 2020, il faudra dépenser 1 milliard d'euros en frais de raccordement, et 3 à 5 milliards d'euros pour produire 6 gigawatts d'électricité issue de l'éolien off shore - car il faut alors créer le réseau de toutes pièces.

L'ARENH n'aura pas de conséquence directe pour nous, si l'on fait abstraction de la répercussion du coût de couverture des pertes.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les frais de raccordement vous incombent-ils principalement, plutôt qu'au gestionnaire du réseau de distribution ?

M. Dominique Maillard, président de RTE. - Si les énergies nouvelles se développent beaucoup, oui, l'essentiel des coûts de renforcement se retrouveront à la charge du réseau de transport.

Nouvelle organisation du marché de l'électricité - Audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer

Puis, la commission entend M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, sur le projet de loi n° 556 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. - Ce projet de loi est l'occasion de simplifier et de clarifier les règles du marché de l'électricité, alors que deux contentieux sont en cours contre la France, visant à la fois les aides d'État et le défaut de concurrence. Ces litiges font peser un risque considérable sur l'industrie française. Si nous ne faisons rien, nous n'aurons le choix que de la dérégulation ou du démantèlement. J'ai donc demandé à Paul Champsaur de présider une mission pluraliste, qui a fait des propositions destinées à apporter plus de stabilité et de visibilité aux industriels et aux consommateurs.

L'électricité n'est pas un produit comme les autres : elle présente des enjeux stratégiques, qu'il s'agisse de l'aménagement du territoire, de l'indépendance nationale ou des investissements à long terme. Dans ce domaine, la loi du marché ne suffit pas. Ce projet de loi reprend les conclusions de la mission Champsaur. Il s'agit de substituer à la régulation en aval, qui nous expose aux foudres de Bruxelles, une régulation en amont. Nous ne pouvons plus nous contenter de lois de rattrapage comme depuis dix ans. L'industrie française d'électricité s'est trop longtemps reposée sur ses lauriers...

Ce projet de loi a donc plusieurs objets : mettre en place une régulation en amont ; parvenir à ce que la nation, par le biais de ses représentants, s'accorde pour définir les éléments constitutifs du prix de l'électricité ; donner à tous les acteurs le droit d'acheter de l'électricité de base produite par les centrales nucléaires ; limiter ce droit de tirage aux fournisseurs implantés en France et imposer en contrepartie des obligations d'investissement. La concurrence s'en trouvera renforcée sur des réseaux intelligents. Nous préservons aussi le consortium Exceltium, qui réunit des entreprises électro-intensives.

Les députés ont voulu apporter des améliorations techniques, mais pour l'essentiel cette réforme fait consensus.

M. Roland Courteau. - Détrompez-vous !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - M. le ministre pourrait-il nous expliquer pourquoi il n'a pas décidé d'autoriser les fournisseurs alternatifs à acheter de l'électricité produite par le parc hydraulique, depuis longtemps amorti ?

Ces fournisseurs n'investiront que si pèse sur eux une épée de Damoclès, et s'ils savent que, à défaut d'investir, le volume de 100 térawatts auquel ils ont droit diminuera progressivement. Seriez-vous hostile à ce que le Sénat inscrive dans la loi ce principe de dégressivité ?

Les nouveaux fournisseurs devront fournir à EDF des informations sur leurs clients ; il est à craindre qu'EDF ne cherche alors à les débaucher. L'entité juridique indépendante que vous proposez suffira-t-elle à éviter ce problème ?

Ne faudrait-il pas réduire de cinq à trois ans la période transitoire au terme de laquelle la CRE fixera elle-même les prix ?

Les députés ont réduit de cinq à trois le nombre des membres de la CRE, mais les exemples étrangers montrent que les entités régulatrices comportant trois membres ne fonctionnent pas. Je proposerai donc de revenir à cinq. Accepteriez-vous que le Président de la République n'en nomme qu'un, et les présidents des assemblées chacun deux ?

Le projet de loi oblige la CRE à consulter le Conseil supérieur de l'énergie « préalablement à toute proposition de principe ou décision importante ». Vous avez ainsi voulu rassurer les associations de consommateurs, qui ne seront plus membres de droit de la CRE, celle-ci ne devant pas être un groupement de lobbies. Mais une telle obligation risque de bloquer toute décision ! La CRE consulte déjà les consommateurs.

L'Assemblée nationale a supprimé l'article 10 qui autorisait le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur certains points. Aucun parlementaire n'aime les ordonnances. Mais je ne serais pas hostile à ce que des mesures techniques, ne suscitant aucun débat politique, soient prises de cette manière. De toute manière la voie est étroite, puisque nous devons transposer la directive avant mars 2011.

M. Daniel Raoul. - M. le ministre a évoqué les deux contentieux qui visent la France. S'agissant des aides d'Etat, les Länder allemands en accordent bien plus que nous à leurs industries, mais nous voulons toujours être plus irréprochables que les autres... Cela me rappelle la concurrence de Boeing et d'Airbus et les négociations à l'OMC !

Quant à la concurrence, elle n'a jamais fait baisser les prix de l'énergie, au contraire : l'expérience étrangère le prouve. Le contentieux actuel est la conséquence du piège de la libéralisation imposée par Nicole Fontaine en novembre 2002, malgré les engagements du président Chirac en mars de la même année.

Pourquoi avoir exclu l'électricité hydraulique de l'ARENH ?

Il faut contraindre les producteurs alternatifs à investir, sinon nous ne parviendrons pas à l'autosuffisance énergétique. La dégressivité proposée par le rapporteur pourrait y contribuer.

Quelle absurdité de confier dans trois ans à la CRE le soin de fixer le tarif de l'électricité ! Vous connaissez mon opinion sur les autorités indépendantes... La détermination du prix de l'énergie est une mesure éminemment politique, qui influe sur le niveau de vie de nos concitoyens et sur l'aménagement du territoire.

Je ne crois pas souhaitable que des parlementaires siègent au sein de la CRE. Au Haut conseil des biotechnologies, je ne vois pas bien ce que les parlementaires apportent.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. - Je suis tout à fait disposé à ce que le Gouvernement et le Parlement se partagent le travail pour transcrire la directive : il faut aller vite.

L'électricité hydraulique diffère de l'électricité nucléaire par son statut - elle est soumise à une redevance -, son mode de production, son financement. Les centrales hydrauliques ne produisent pas seulement de l'électricité de base, ce qui rend impossible l'extension du dispositif à ce type d'énergie. Nous reparlerons bientôt de ce sujet, puisque le renouvellement des concessions a été accéléré. L'Assemblée nationale a d'ailleurs souhaité limiter le nouveau droit de tirage à l'énergie nucléaire historique.

Faut-il prévoir d'ores et déjà une dégressivité de l'offre ? L'accès régulé prendra fin en 2025, et des clauses de revoyure sont prévues. La Commission européenne verrait d'un mauvais oeil que nous allions plus loin, et il faut éviter de relancer les contentieux alors que les négociations ont miraculeusement abouti.

Pour éviter qu'EDF ne profite de la transmission des données des autres fournisseurs, nous avons choisi de mettre en place une entité intermédiaire destinée à effacer les données individuelles, qui ne sont d'ailleurs transmises qu'en fin d'année. Il n'y aura pas de « chasse au chaland ». Ce problème se rencontre fréquemment : nos entreprises historiques partagent leurs réseaux commerciaux.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je préférerais que la CRE exerce directement ce contrôle.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat. - Le système doit être le plus simple possible.

La période transitoire correspond aux dispositions relatives aux tarifs réglementés industriels.

Quant à la CRE, le Gouvernement a délibérément choisi d'en faire une instance indépendante, qui ne soit pas le reflet des différents intérêts en présence, car elle n'aboutirait alors qu'à des compromis. Ses membres travailleront à temps plein. Mais pour la première fois, le Parlement inscrira dans la loi les composantes du prix de l'électricité : le contrôle démocratique sera ainsi assuré. En outre, en cas de désaccord sur l'interprétation de la loi, un vaste débat citoyen pourra s'ouvrir, dans un esprit « grenellien ». Nul ne conteste les règles générales de détermination des prix que nous avons fixées ; on s'inquiète en revanche de leur interprétation. Je ne suis pas hostile à ce que la CRE comporte cinq membres au lieu de trois, mais cette commission doit rester un organe d'exécution technique, non de décision politique.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Monsieur le ministre, il faut avoir assisté à une réunion du Conseil supérieur de l'énergie pour savoir que l'on y perd des heures en palabres ubuesques ! La CRE consulte régulièrement les associations de consommateurs, qui me l'ont confirmé au cours des nombreuses auditions que j'ai menées. Imposer à la CRE de consulter le Conseil avant toute proposition de principe conduirait à des discussions sans fin !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. - Il est bon que nous nous fassions bénéficier mutuellement de nos lumières. Peut-être faudrait-il modifier le mode de fonctionnement du Conseil.

M. Marcel Deneux. - Ce serait difficile !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. - Toujours est-il que le Gouvernement veut rendre la CRE plus opérationnelle, en la chargeant d'appliquer les règles définies par la loi.

J'insiste enfin sur la nécessité d'investir dans le domaine de l'électricité de pointe.

M. Alain Fouché. - Faut-il permettre aux fournisseurs qui disposent déjà de capacités de production d'électricité de base compétitive grâce à leurs centrales hydrauliques d'acquérir de l'énergie nucléaire à un tarif régulé ? Je pense au groupe GDF-Suez, auquel EDF a dû céder la Compagnie nationale du Rhône, et qui revend 90 % de sa production au sein d'une bourse de l'électricité au lieu d'en faire bénéficier ses clients.

M. Roland Courteau. - Les commissaires socialistes considèrent que ce projet de loi n'apporte aucune réponse satisfaisante aux effets néfastes de la libéralisation du marché de l'énergie. Je parie que l'on nous soumettra bientôt une loi NOME 2, voire une loi NOME 3... Nous en sommes réduits au rapiéçage. Il faut s'attendre à une hausse du prix de l'électricité, car plus le tarif consenti par EDF aux fournisseurs alternatifs sera bas, plus le tarif imposé aux clients sera élevé. Le nouveau dispositif amputera les ressources dont EDF dispose pour investir, renouveler le parc et l'entretenir. Dans ces conditions, on peut craindre pour l'approvisionnement énergétique de notre pays.

Comme Alain Fouché, je juge équitable que les fournisseurs alternatifs qui disposent déjà de capacités de production à des coûts inférieurs à ceux d'EDF ne soient pas autorisés à acheter l'énergie nucléaire de l'opérateur historique, ou du moins n'aient pas droit au même quota.

M. Jean-Pierre Vial. - J'ai deux questions dont je ne doute pas qu'elles vous intéresseront, Monsieur le ministre, parce qu'elles sont très politiques et au coeur du développement durable.

L'effacement fait l'unanimité dans les discours, parce qu'il y a en France un gisement quand on compare notre situation à celles des États-Unis, par exemple. Mais le président d'EDF considère que ce n'est pas son job et le président de RTE ne m'a guère paru mobilisé. On ne pourra avancer sur l'effacement sans intégrateurs, lesquels nécessitent des opérateurs et un cadre juridique : RTE pourrait agir comme opérateur, mais le cadre réglementaire dépend de vos services, en particulier de la direction générale de l'énergie et du climat : qu'envisagez-vous en la matière ?

Ensuite, il me semble qu'on ne doit pas dissocier la loi NOME du renouvellement des concessions hydrauliques et de la situation des électro-intensifs. Nous allons redéfinir l'architecture pour 30 ans, prenons garde à ce que nos concurrents allemands, espagnols ou italiens, qui échappent chez eux à la concurrence, ne viennent vendre sur notre marché. N'oublions pas les industriels, en particulier les électro-intensifs qui rencontrent des difficultés économiques importantes du fait, notamment, du prix de l'électricité.

Je citerai l'exemple de Rio Tinto, qui a pris la suite de Péchiney dans la production française d'aluminium. Le groupe français employait 30 000 salariés, là où son successeur n'en compte plus que quatre à cinq mille et je suis convaincu que dans trois ans la production d'aluminium aura disparu de Savoie, tout comme Rio Tinto ne tardera pas à quitter notre territoire. Rio Tinto bénéficie des prix du consortium Exceltium : si demain il s'arrête de produire de l'aluminium en France, il pourrait très bien vendre alors cette électricité qu'il achète dans des conditions favorables, et changer ainsi de métier. Si nous ne nous protégeons pas contre les industriels prédateurs, si nous ne lions pas le renouvellement des concessions hydrauliques et l'adossement des électro-intensifs, alors nous seront impuissants face à la désindustrialisation et nous accepterons que seuls les pays qui disposent de pétrole ou de gaz chez eux conservent une industrie.

Il y a deux ans par une question orale, j'avais alerté le Gouvernement contre le risque de voir Rio Tinto acquérir l'emballage et la transformation. Or, c'est arrivé depuis, et comme je le craignais, l'entreprise a transféré ces activités au Brésil. Nous avons encore 2 300 emplois en Maurienne, mais je suis convaincu que Rio Tinto fermera bientôt son usine. Dunkerque connaîtra le même sort, 15 000 à 20 000 emplois de la filière aval sont directement menacés.

Monsieur le ministre d'État, comptez-vous saisir cette dernière occasion de préserver notre capacité énergétique pour sauvegarder notre industrie ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - La désindustrialisation est rampante, on réalise que des secteurs entiers peuvent disparaître quand c'est déjà presque trop tard : c'est très préoccupant.

M. Michel Teston. - EDF va devoir rétrocéder le quart de sa production à prix coûtant, ce cadeau à la concurrence est évalué à 2 milliards : Monsieur le ministre, introduisez-vous là, dans notre droit, la notion d'enrichissement sans cause ? J'ai interrogé le président d'EDF, il n'a pas pu me répondre...

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. - Puisqu'on parle de la CNR, la concession sera remise à la concurrence au plus tard en 2023 ; avec une redevance qui atteint 24 % du chiffre d'affaires, on ne peut pas parler de cadeau. On a élaboré une législation importante et je vous propose de ne pas revenir sans cesse sur des textes pris sous l'égide d'un président de la République et d'un premier Ministre qui s'appelaient Jacques Chirac et Lionel Jospin...

L'hydraulique a été exclu, comme l'éolien, l'énergie marine, la géothermie et la biomasse pour ne conserver que le nucléaire.

La rétrocession est-elle un cadeau à la concurrence ? Quand vous vendez à la concurrence votre production en intégrant dans le prix vos charges et vos salaires, en bref ce qui vous permet de vivre, on ne peut pas véritablement parler de cadeau. Il n'y a donc pas d'enrichissement sans cause et si la concurrence fait du bénéfice, ce sera parce qu'elle aura mieux géré les réseaux.

Le texte créé un marché de l'effacement et prévoit l'obligation de le financer, tous les fournisseurs doivent disposer de cette capacité et le marché sera bien réel pour les effaceurs. Vous avez été associé à la définition du dispositif au travers de la mission de MM. Bruno Sido et Serge Poignant, il n'y a donc nulle surprise.

Sur l'hydraulique, le renouvellement des concessions est accéléré et il tient compte des critères énergétiques et environnementaux. Vous craignez que des entreprises européennes, qui seraient protégées chez elles, ne viennent fausser la concurrence, au détriment d'EDF. Mais nous sommes le pays en Europe qui protège encore le plus sa production d'électricité, d'où la violence des attaques.

La question de la désindustrialisation est effectivement vitale. Mais nous sommes le pays où les industriels bénéficient de l'électricité la moins chère et nous continuons dans ce sens, même si notre opérateur historique risque de perdre des avantages comparatifs. Rio Tinto peut être tenté de changer de métier et de vendre l'électricité qu'il n'aurait pas produite mais juste achetée dans des conditions avantageuses : vos remarques ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd et nous veillerons à ce que cela ne se produise pas sans conséquence sur l'accès au consortium Exceltium.

Le prix ne résulte pas des mécanismes administratifs, mais de la performance à long terme, donc des investissements. Or, nous sortons d'une période d'au moins dix ans de sous-investissement : entre 1994 et 2004, les investissements ont été trois fois moindres que dans la décennie précédente, cela créé des problèmes très importants de maintenance et de réseau. La loi ne changera pas cette réalité, qui est déterminante pour le prix. Or, notre électricité est la moins chère d'Europe, exception encore faite de la Bulgarie : nous sommes 30% en dessous de nos partenaires, et tout le monde convient que ce faible prix tient à ce qu'il n'intègre pas les investissements nécessaires au maintien de nos réseaux et de nos équipements.

M. Roland Courteau. - Ma question était double : à quel prix EDF va-t-il devoir vendre l'électricité à la concurrence, et les tarifs pour les particuliers ne vont-il pas augmenter à proportion des rabais consentis à cette concurrence ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Nous avons vu que le prix intégrait le coût d'exploitation et de renouvellement des équipements. Le président d'EDF a souligné la nécessité d'investir, ou bien il sera distancé par la concurrence. Notre collègue s'inquiète donc, Monsieur le Ministre, de ce que le prix de vente prenne bien en compte ces investissements nécessaires, ou bien ce serait affaiblir EDF.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. - Nous sommes parvenus à un compromis sur la définition du prix, avec les opérateurs. Il y aura une clause de revoyure. Aujourd'hui, l'accent est mis sur la prolongation des équipements mais nous investissons déjà dans les réseaux, notamment pour intégrer les énergies renouvelables intermittentes. Nous prenons en compte les investissements nécessaires à la maintenance, aux dépenses de renouvellement et de démantèlement, puis nous nous reverrons.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Notre collègue a donc été entendu, mais je suis prudent sur la clause de revoyure : il ne faut pas qu'elle soit trop tardive et nous devons veiller à ce qu'EDF ne soit pas affaiblie face à la concurrence parce qu'elle aurait vendu son électricité à un prix trop bas.