Mercredi 11 avril 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Projet de programme de stabilité - Audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat

La commission procède à l'audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, sur le projet de programme de stabilité avant sa transmission à la Commission européenne, en application de l'article 121 sur le fonctionnement de l'Union européenne.

M. Philippe Marini, président. - C'est la seconde fois que nous appliquons la procédure du semestre européen. Nous n'aurons pas de débat en séance publique cette année, en raison de la campagne électorale, mais le Gouvernement a néanmoins accepté de venir débattre devant les commissions des finances de nos assemblées, pour nous présenter son projet de programme de stabilité à soumettre à la Commission européenne. L'effort qu'il a dû faire pour tenir les délais est loin d'être négligeable, même si le week-end pascal vous a aidés dans vos diligences.

Au cours des années, je n'avais cessé de dénoncer le caractère théorique de ces programmations. Celle de 2011, pour la première fois, s'approche de la réalité. On peut avoir le sentiment qu'elle n'a plus le caractère virtuel que montraient nos tableaux.

De même, j'ai trop dénoncé le volontarisme de certaines hypothèses de croissance pour ne pas noter avec plaisir une approche plus mesurée. D'ailleurs, ne faudrait-il pas qu'une instance indépendante élabore ces hypothèses ?

La maîtrise de la dépense publique enfin. Comment réaliser ces efforts, sur quels segments les faire porter sont des enjeux essentiels.

M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et du budget. - Vous avez évoqué le semestre européen. Je garde en mémoire la qualité de nos débats de l'an passé. Nous poursuivons ici nos engagements, pour la période 2012-2016. La zone euro, depuis l'été 2011, a été ébranlée par la crise la plus violente de son histoire. L'euro, après s'être hissé en quelques années au rang de monnaie de réserve internationale, a été mis en question. Nous restons convaincus que le facteur de stabilité qu'est ce patrimoine commun sortira renforcé de la crise, parce qu'elle a déclenché une procédure de convergence sans précédent. Un effet salutaire, en somme : chacun a désormais conscience que les politiques qui ne se soucient que du partage de la croissance sans égards pour ce qui fait la croissance, sont condamnées.

Nous sommes entrés dans un processus intergouvernemental, nécessaire pour réduire les déséquilibres qui sont les véritables causes de la crise. Pôle d'innovation et premier marché du monde, l'Europe compte cent des 500 premières entreprises mondiales - la France, avec 35 sociétés, en compte plus que l'Allemagne. Ces atouts solides ne doivent pas être prétextes à l'immobilisme, face à la vive concurrence des pays émergents. Dans le combat pour la préservation de notre modèle social, la reconquête de la compétitivité, chacun doit prendre sa part d'ajustement.

Le diagnostic pour la France est clair : rompre avec l'addiction à la dépense publique. C'est dans cette optique que le Gouvernement a adopté de façon transparente ses perspectives, transcrites dans un programme fait de réalisme et de prudence. A partir de 2010, l'économie française a retrouvé une croissance dynamique : plus 0,9 % au premier trimestre 2011, même si l'activité s'est ensuite ralentie en fin d'année, sous l'effet de tensions sur le marché et d'une crise de la dette souveraine qui auraient pu nous ramener aux jours noirs de 2008.

La France, dans ce contexte, est le seul grand pays qui ait connu une croissance positive sur tous les trimestres, depuis le deuxième trimestre 2009. Le PIB a crû de 0,2 % au quatrième trimestre, contre une baisse de 0,3 % dans la zone euro. Pour l'ensemble de l'année, notre croissance s'établit à 1,7 %, conformément à notre prévision d'août. Grâce aux efforts engagés depuis deux ans, nous avons atteint nos cibles de réduction du déficit, tout en préservant notre modèle social. Des signes d'amélioration se sont fait sentir début 2012, qui a vu le retour de la confiance des ménages et des entreprises.

Tout cela n'est pas le fruit du hasard, mais de l'action déterminée des chefs d'Etat et de gouvernement : ils ont su apporter une réponse à la crise grecque et doter la zone euro d'un pare-feu. Les deux opérations exceptionnelles de refinancement mises en place par la BCE ont également atténué les tensions sur les marchés.

Le dernier trimestre a été marqué par une bonne résistance, au point que les hypothèses de croissance pour 2012 sont révisées à plus 0,7 %, avec un acquis qui est déjà de 0,3 % - 0,5 % selon l'INSEE. Ne pas relever ces hypothèses aurait alimenté le pessimisme, de même que fixer la barre plus haut nous aurait valu des critiques. La montée en puissance de la croissance, prévue à 1,75 % en 2013, permettra de combler l'écart qui s'est creusé. L'économie française progressera à son rythme potentiel.

Prudence et détermination nous guident dans la fixation des prévisions macroéconomiques comme dans la réduction du déficit budgétaire. C'est ainsi que l'ensemble des dépenses publiques, Etat, sécurité sociale et collectivités locales, est pour la première fois, resté stable en volume en 2011. Je me félicite que notre déficit se soit établi à 5,2 % contre 5,7 %. Le respect de la trajectoire de retour à l'équilibre s'appuie sur un plan d'effort de 115 milliards d'euros, fondé sur des hypothèses de croissance réalistes, le respect de normes de dépenses et la suppression des niches fiscales et sociales les moins performantes ; 72 milliards ont déjà été votés dans les précédentes lois de finances, 39 en dépenses et 33 en recettes : les deux tiers de l'effort de consolidation sont documentés.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat. - Réduire les déficits est un impératif auquel aucun pays européen ne peut se soustraire, une exigence d'intérêt national qui n'est ni de droite ni de gauche. La crise et trente ans de dérive nous ont menés à une situation qui menace la croissance, notre modèle social et notre souveraineté. Y apporter une réponse était une exigence politique et morale car les générations futures ne sont pas responsables. Nous l'avons apportée en nous engageant avec constance, dans la réforme de l'Etat, avec réactivité, pour dépasser un fatalisme simpliste, avec détermination, car les Français savent que nous ne pouvons nous permettre de relâcher notre effort, tant le chemin vers l'équilibre en 2016 est encore long. Si nous avons allongé le pacte de stabilité d'un an, c'est que le rendez-vous avec l'équilibre est indispensable.

Notre stratégie porte ses fruits. Au plus fort de la crise, nous avons choisi de protéger les Français : notre PIB n'a alors reculé que de 2,5 points, contre 5,5 points en Allemagne - les Français ont moins souffert. Pour résorber un déficit structurel accumulé depuis trente ans, le Gouvernement met tout en oeuvre, et les résultats sont au rendez-vous. Nous avons suscité la confiance en respectant scrupuleusement nos engagements. Nous avons même fait mieux : 7,1 % en 2010 contre 8 %  initialement prévus ; 5,2 % en 2011 contre 6 %. Qui peut contester notre crédibilité ? L'amélioration du déficit en 2011 représente 1,9 point de PIB ; sans précédent, elle nous donne une longueur d'avance.

Les dépenses ont été ramenées de 56,6 % à 55,9 % du PIB en 2011, vers une stabilisation en volume que l'on n'avait jamais connue depuis 1960. Qui peut contester notre capacité à maîtriser nos dépenses ? Grâce à des réformes audacieuses, comme la RGPP, la règle du un sur deux, ou encore la réforme des retraites, les économies ont été, malgré la crise, considérables, sans affaiblir les filets de protection sociale. Le rythme de progression des dépenses de l'Etat en retraites et pensions diminue, l'Ondam est respecté pour la deuxième année de suite, ce qui est inédit. Notre stratégie a été d'autant plus efficace que, grâce à un ciblage fin, notamment sur ceux dont les capacités contributives sont les plus fortes, elle n'a à aucun moment, joué contre la croissance : celle-ci est restée stable au premier trimestre 2012, quand les Cassandre anticipaient une récession. La France est ainsi un des seuls pays de l'OCDE à n'avoir connu aucun recul de son PIB depuis le deuxième trimestre 2009.

Ce programme de stabilité s'inscrit dans le prolongement de cette stratégie, selon une trajectoire très proche de celle qui vous avait été présentée par François Baroin, pour un retour à l'équilibre des comptes publics en 2016. La réduction du déficit structurel nous amène dès 2012 à un niveau inférieur aux critères de Maastricht et à celui que nous avions trouvé en 2007, tandis que la dette sera stabilisée dès 2013, hors engagements européens.

La réduction des déficits n'est pas l'ennemi de la croissance, au contraire, c'est le meilleur allié d'une croissance saine, solide, durable. Notre stratégie reste inchangée. Avec une augmentation des prélèvements obligatoires de 1,1 point, les dépenses reculeront de 3,2 points, pour retrouver, en 2016, 52,6 % du PIB, le niveau qui était le leur en 2007. Notre effort de maîtrise passe par des réformes qui ne cassent pas la croissance. Un effort en dépenses de 75 milliards, dont 39 déjà adoptés par le Parlement : restent donc 34 milliards à répartir sur quatre ans ; cela est considérable, crédible, réaliste, documenté. Tous les secteurs des administrations publiques seront mis à contribution, l'Etat, bien sûr, pour une stabilisation des dépenses en volume, mais aussi les collectivités, et la sécurité sociale, avec la limitation de l'évolution de l'Ondam à 2,5 % par an.

Les recettes représenteront un tiers de l'effort, à 40 milliards, dont 32 milliards déjà votés dans des mesures qui n'ont pas encore produit leur effet. Il faudra engager des mesures complémentaires. Nous ne sommes pas de ceux qui prônent un choc fiscal en feignant d'ignorer son impact sur la croissance. Nous veillerons à répartir équitablement l'effort - nos engagements à cet égard restent intangibles : pas d'augmentation généralisée, un effort qui pèse sur ceux qui ont la plus forte capacité contributive. Les prélèvements obligatoires augmenteront d'un point de PIB, soit 22 milliards, dont 8 milliards provenant de recettes exceptionnelles, le reste de la reconstitution de recettes frappées par la crise. Est-ce optimiste ? L'impôt sur les sociétés, qui surréagit, avait vu son rendement chuter de 50,8 milliards en 2007 à 21 milliards en 2009. Cet impôt, qui avait perdu 60 % de son montant quand le PIB reculait de 2,5 %, n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant la crise, ce qu'il est raisonnable d'attendre à l'horizon 2016.

Un Etat qui protège, un Etat en mesure de préserver notre modèle social doit reposer sur une assise financière solide. Nous avons su, à la différence de certains de nos voisins, conserver tous nos filets de sécurité - RSA, AAH, minimum vieillesse n'ont pas été remis en cause. Notre compétitivité passe aussi par le désendettement des administrations publiques. Nous conserverons la priorité à l'innovation, avec le crédit d'impôt recherche et les investissements d'avenir, et à la valorisation du travail (TVA compétitivité, réforme des retraites). C'est ainsi que le Gouvernement poursuit sa démarche ambitieuse en vue d'un retour rapide à l'équilibre. Il a pris des engagements, il les a toujours respectés ; cela donne crédibilité à la voix de la France, avec un programme qui devrait être la boussole de tous les candidats à la présidentielle.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je remercie les ministres de satisfaire à l'engagement qu'ils avaient pris le 25 janvier, lors de leur dernière audition, de venir présenter le programme de stabilité devant la commission des finances. Ce programme est d'autant plus important que les règles de gouvernance de la zone euro ont été profondément modifiées en novembre dernier : l'exercice est désormais contraignant, il engage la France. Quelques questions pour préparer mon rapport sur le projet du Gouvernement, que je présenterai le 17.

Sur l'exécution 2011, tout d'abord, notamment en matière de dépenses publiques, objet de tous les soins de la communication gouvernementale. Quelle incidence l'inflation plus élevée que prévu a-t-elle eu sur le dépassement de l'objectif de réduction du taux d'évolution des dépenses en volume ? Même question pour les livraisons de matériel militaire, dont on sait le traitement particulier en comptabilité nationale.

J'insiste sur la périodicité de la programmation. Pourquoi, alors que le programme porte sur 2012-2016, intégrez-vous, parmi les mesures de consolidation et dans le tableau que vous présentez page 11, l'année 2011, alors que l'exercice est clos ? Cela pose un problème de lisibilité, et complique les comparaisons. Votre programmation est-elle totalement cohérente ou complémentaire avec les annonces faites le 5 avril par le président-candidat ou candidat-président ?

Les recettes, ensuite. La programmation prévoit que le taux de prélèvements obligatoires passe de 44,7 % du PIB en 2012 à 45,8 % en 2016, soit une différence de quelque 20 milliards. Or, vous n'annoncez que 8 milliards de mesures nouvelles, auxquelles le programme du candidat-président ajoute 5 milliards de mesures votées restant à entrer en vigueur : il manque donc encore 7 milliards pour faire le compte, sachant que vous prévoyez une élasticité des recettes au PIB de 1 à compter de 2013.

Sur les dépenses, vous rappelez que 39 milliards d'économies ont été déjà votées en 2011-2012. Combien seront-elles constatées sur ces années, et combien à partir de 2013 ? C'est une question de lisibilité : le Parlement a besoin d'apprécier l'effort qui reste à accomplir.

Vous souhaitez limiter la progression des dépenses à 0,4 % en volume. Evaluer l'ampleur de l'effort que cela représente implique de connaître l'hypothèse d'évolution spontanée de la dépense que vous retenez. La commission des finances considère, selon une position constante, que les dépenses augmentent spontanément de 2 % par an. L'effort à accomplir serait alors de 1,6 %, soit quelque 15 milliards par an.

La principale nouveauté méthodologique de ce programme est l'inscription, conformément au voeu de la Commission européenne, d'un scénario à politique inchangée. Serait-il possible de disposer des calculs en fonction desquels celui-ci a-t-il été élaboré, en particulier pour les dépenses des différentes catégories d'administration publique ? Sous réserve d'une analyse approfondie, l'effort sur la dépense, d'ici à 2016, en retenant une hypothèse de 2 % d'augmentation spontanée, devrait être de 70 milliards d'ici à 2016, 80 milliards à 2017, sachant que le candidat-président table sur un excédent budgétaire de 0,5 points de PIB à cette date. Or, vous considérez, comme lui, que 35 milliards suffisent. Le compte n'y est pas. Comment expliquer cet écart ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Une première remarque, méthodologique. Vous faites allusion au document du 5 avril présenté par un candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy. Notre rôle n'est pas de présenter un document de campagne : nous sommes ici pour commenter le programme de stabilité à transmettre à Bruxelles. Il est vrai que ce candidat se projette à 2017 et finance 9,5 milliards de dépenses supplémentaires par rapport à l'effort prévu dans le programme de stabilité.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il n'y a donc pas de cohérence entre la programmation transmise à Bruxelles et le document du 5 avril ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Si ! Le président-candidat, puisque c'est ainsi que vous l'appelez, a des propositions, qu'il prévoit de financer avec des recettes ad hoc : il met sur la table, au-delà du programme, qui est aussi l'engagement de la France, 9,5 milliards supplémentaires, en dépenses et en recettes. Son projet se rajoute aux 115 milliards. Il est neutre.

M. Philippe Marini, président. - Le programme ne préjuge pas du résultat des élections présidentielles. Il procède à politique inchangée.

M. François Baroin, ministre. - Nous pouvons transmettre le document-programme de Nicolas Sarkozy pour en assurer la promotion la plus large : il détaille l'ensemble des économies et de ses annonces.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Il y a au moins un candidat qui inscrit son programme dans la trajectoire de la France...

Sur les matériels militaires, je vous apporterai une réponse précise. La périodicité ? Nous sommes en glissement par rapport au programme qu'avait présenté François Baroin l'an dernier. Nous avons voulu montrer le chemin de retour à l'équilibre : si nous incluons l'exécution 2011, c'est qu'elle fonde notre crédibilité. Je ne vois pas en quoi cela peut gêner la lecture.

L'élasticité des recettes sera de l'ordre de 10 milliards. J'ai dit que les recettes de l'impôt sur les sociétés étaient passées de 50 milliards en 2007 à 21,9 milliards en 2009, avant de revenir à 40 milliards en 2011. Manquent donc 10 milliards : d'ici 2016, il y aura une élasticité à la hausse des recettes fiscales.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Supérieure à 1 ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Légèrement, à 1,06.

Sur les dépenses, 39 milliards d'économies ont déjà été sécurisées : les mesures votées en 2011-2012 pour 23,9 milliards, plus la réforme des retraites, pour 16 milliards.

Pour ce qui reste à trouver, nous fixons une norme, qui nous lie et, j'y insiste, que nous ne ferons pas varier selon la conjoncture : 0,4 % de croissance des dépenses publiques en volume. Vous considérez que c'est ambitieux ? Certes, mais possible, puisque nous avons fait 0,3 % en 2010 et 0 % en 2011. Cela nécessite néanmoins de poursuivre des réformes structurelles courageuses et difficiles d'ampleur : le « un sur deux », la RGPP, la réforme des opérateurs, les relations avec les collectivités, la sécurité sociale...

Nous fondons notre stratégie sur une trajectoire acquise depuis deux ans grâce à des plans de redressement. L'année 2017 est hors champ mais le candidat Sarkozy a une vision à 2017, même si l'année est hors champs du programme : il faut un excédent pour réduire la dette en valeur.

M. François Baroin, ministre. - Le Gouvernement est favorable à l'idée de faire établir les prévisions macroéconomique par un organisme indépendant. L'idée est dans le traité. Nous ferons des propositions pour le PLF 2013 et la Commission fera des suggestions pour améliorer la gouvernance statistique. Ce qui ne dévalue en rien les travaux de l'Insee, dont l'indépendance ne saurait être contestée.

M. Philippe Marini, président. - Voilà une conquête historique que, voces clamantes in deserto, nous appelions depuis longtemps de nos voeux avec Jean Arthuis. La crise des dettes souveraines aura au moins eu ce mérite qu'elle aura aidé à nous faire entendre.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - A quelle tendance spontanée d'évolution faut-il comparer votre objectif de 0,4 % en volume, sachant que sur longue période, le scénario tendanciel est de 2 % ? Et pouvez-vous nous livrer le détail de l'effort, par administration publique ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. - En 2012, pour l'Ondam, nous avions un tendanciel de 4,4 % que nous faisons passer à 2,5 %, ce qui correspond à deux points de moins. Pour le budget de l'Etat, nous avons les mêmes hypothèses que vous : 2%, que nous faisons passer à 0,4 %.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il faudra bien expliquer comment.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Ce sont les 34 milliards. L'impact de l'inflation est globalement neutre, car la charge de la dette est stable. Ce qui compte est que le solde structurel s'améliore de 1,9 point.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Vous n'avez pas modifié l'hypothèse d'inflation.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Elle a été supérieure aux prévisions de la loi de finances initiale, ce qui a suscité des dépenses supplémentaires, mais a fait gagner au budget de l'État sur les dépenses non indexées.

M. Philippe Marini, président. - Nous aurons l'occasion d'approfondir toutes ces questions la semaine prochaine. Je n'ai pas le sentiment, en tout cas, de contradictions majeures.

M. Roland du Luart. - Je souscris pleinement à ce programme de stabilité, indispensable, même s'il vient presque tard. Vous prévoyez une réduction des dépenses de l'État de 1 milliard par an. Est-ce suffisant pour parvenir à l'équilibre réel que vous visez pour 2016 ?

La dette s'est accrue de 500 milliards au cours du quinquennat. Quelle part en est à attribuer à la crise, et laquelle au glissement non contrôlé des dépenses de l'Etat ?

M. Serge Dassault. - Pourquoi attendre 2016 ? Qu'est-ce qui empêche d'aller plus vite, alors que chaque année, la dette augmente de 50 milliards ? Entre 2012 et 2016 elle progressera encore de 150 à 200 milliards.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Elle baisse en pourcentage du PIB à partir de 2013.

M. Serge Dassault. - Elle augmente en milliards ! Un principe général de gestion financière, publique ou privée veut que l'on n'emprunte jamais pour payer des dépenses de fonctionnement. Or on ne fait que ça depuis 1980. Pourquoi ne pas supprimer tout bonnement, les dépenses qui obligent à emprunter ? S'il y a moins de recettes, il y a moins de dépenses, voilà la priorité pour les finances. Si on ne le dit pas aux gens, on s'expose à voir baisser notre note, et à emprunter plus cher, comme c'est arrivé à la Grèce et à l'Espagne. Mais non ! L'Etat, pour faire plaisir à l'électeur, continue de donner des subventions en empruntant pour les payer. Et la sécurité sociale ! Ce sont 20 milliards, avec les allègements sociaux décidés pour contrebalancer les 35 heures, qui sont subrepticement passés du budget de l'emploi à celui de la sécurité sociale. On a beau ne plus en parler, ils sont toujours là et on paye pour ces charges. Ne pourrait-on pas s'occuper de cela ? Après tout, les collectivités locales n'ont pas le droit de voter un budget en déséquilibre. Les emplois aidés, les baisses de TVA, les aides diverses, les allègements fiscaux... ça va bien, surtout qu'ils ne sont pas forcément utiles. Il vaut mieux y renoncer que de risquer la catastrophe que serait une réduction de notre note. Expliquons aux électeurs que l'Etat ne peut pas dépenser l'argent qu'il n'a pas.

M. Philippe Marini, président. - Le maire de Tours partage-t-il les préoccupations du maire honoraire de Corbeil-Essonnes ?

M. Jean Germain. - J'ai bien vu les sourires lorsque M. Dassault expliquait que l'on ne peut pas dépenser l'argent que l'on n'a pas. En même temps, quand on parle de politiques contracycliques dans nos campagnes, les gens que je rencontre ont un peu de mal à y croire.

Dans la présentation qui nous a été faite, y a t-il une réponse satisfaisante à la question de la compétitivité ? Très franchement, je n'en suis pas sûr, car l'analyse sur la TVA sociale et la baisse des prélèvements sur le travail me semble un peu rapide. Peu de choses aussi sur la croissance, qui passe par la création de valeur par la population, ce qui suppose un certain enthousiasme, que je ne ressens pas en ce moment.

Je bute aussi sur une inadéquation entre l'évolution du déficit pour lequel on annonce une réduction extrêmement rapide certes, mais hors créances et pensions, ce qui relativise les choses, et celle de la dette qui devrait baisser par rapport au PIB à compter de fin 2013, tout en demeurant très loin de l'objectif de 60 %. En outre, l'on ignore ce que sera le coût de cette dette, puisque l'on ne sait pas qui nous vendra l'argent.

Quelles sont les inflexions prévues dans la politique européenne ?

Enfin, on trouve, dans votre document tout ce qui fait la révolte des collectivités locales. Vous dites explicitement, page 26, que les réformes fiscales que vous avez faites diminuent leurs recettes et que celles-ci n'augmenteront avec le PIB qu'à partir de 2014. C'est d'autant plus terrible qu'à la page 46, sous l'appellation de rationalisation des dépenses locales, on casse une partie de la croissance, dont l'investissement local est un élément important.

Ce ne sont pas des moments faciles et j'entends que certains dans notre commission voudraient aller plus vite, comme si l'on pouvait effacer en 30 minutes des erreurs qui auraient, dit on, été commises pendant trente ans.

M. Yann Gaillard. - J'ai été intrigué et un peu amusé de lire ceci à la page 6 : « la bonne tenue des exportations, soutenues par la dépréciation de l'euro, et le moindre dynamisme des importations, permettraient au commerce extérieur de contribuer positivement à la croissance ». Saluer la dépréciation de l'euro constitue une première...

M. Jean Arthuis. - Il est très intéressant d'observer que l'on distingue la dette publique au sens de Maastricht et celle hors soutien financier aux pays de la zone euro. Cela lève l'apparent paradoxe qui avait conduit à publier simultanément une baisse du déficit pour 2011 tout en constatant une hausse de l'endettement par rapport aux prévisions, sans doute en raison des concours apportés à la Grèce, et au fonds européen de stabilité financière pour le Portugal et l'Irlande. Cela souligne le caractère très solidaire de la zone euro comme l'impact des déficits de nos partenaires dans notre endettement. La gouvernance de la zone euro est-elle à la hauteur des défis nouveaux ? Je ne crois pas beaucoup à la menace de sanctions financières décidées par des juridictions. Demander à des Etats en difficulté de s'endetter un peu plus pour verser une amende relève de l'illusion et de l'incantation. Je voudrais être sûr que derrière le silence assourdissant relatif à la gouvernance de la zone euro, il y a des engagements forts pour assumer le partage de souveraineté que constitue le passage à la monnaie unique ?

Comment voyez-vous les lourds déséquilibres commerciaux qui s'accroissent à l'intérieur de la zone euro, la France accusant un déficit de 70 milliards d'euros, alors que l'Allemagne enregistre en excédent de 155 milliards ? La zone euro est suréquilibrée commercialement, fragmentée par des déséquilibres internes qui s'aggravent.

Sur le tableau de la page 11, je salue la belle ambition affichée en matière de masse salariale. Les économies attendues de la règle du un sur deux ne seront-elles plus rabotées aux deux tiers par des avantages catégoriels ? Les économies de fonctionnement sont ce qu'il y a de plus difficile. Lors d'une conférence sur le déficit public, le chef de l'Etat avait pris l'engagement de réduire ces dépenses de 10 % en deux ans ; on a fait, je crois, 0,5 %.

Les objectifs en matière de transferts aux collectivités territoriales me semblent au contraire très modestes. Pourra-t-on en rester à ce niveau ? Il faudra peut-être aller plus loin sur les 90 milliards injectés par l'Etat sous forme de dotations ou de compensations d'impôts.

Enfin, d'où vient la différence entre le montant nécessaire de 2012 à 2016 pour revenir à l'équilibre, soit 92,4 milliards, si on se réfère au tableau de la page 11, et les 103 milliards effectivement atteints par le déficit en 2011.

M. Francis Delattre. - Je souscris globalement au plan de redressement qui produit ses premiers résultats, pas aux critiques systématiques adressées aux collectivités locales. Page 26, on nous dit que les prélèvements 2011 ont augmenté plus vite que le PIB en raison de la hausse des droits de mutation. La critique ne vaut pas quand, dans le même temps, monsieur le maire de Troyes, le RSA et les autres dépenses sociales ont largement évolué. Gérons-nous les mêmes collectivités ? Nos gestions sont extrêmement serrées.

Vous reconnaissez vous-même la faible progression de la contribution sur la valeur ajoutée et l'on constate que la CNRACL apporte une aide non négligeable qui contribue au système des retraites de l'Etat ! Il faut vraiment clarifier les choses. Les fameux 90 milliards accusent une baisse constante.

Puisque certains candidats parlent de révolution, il faut vraiment en faire une ! Quand les collectivités ont les moyens d'emprunter sur le marché obligataire, elles n'ont aucun problème. Quand on nous cite la réforme Schröder, on oublie la décentralisation qui l'a accompagnée. L'Allemagne, qui n'a pas l'équivalent du CAC 40, a des PME-PMI. Nous gérons les grands ensembles, nous sommes nuls ou presque sur les moyens et petits. Nos vingt-deux régions n'ont ni les capacités, ni les pouvoirs. Nous avons besoin de banques régionales fortes, pas d'une énième banque parisienne. Acceptons une véritable décentralisation, acceptons que les collectivités, qui seraient notées triple A, empruntent sur le marché ; elles sont capables d'assumer des responsabilités, donnons-leur les structures.

M. Éric Doligé. - Pour les collectivités, si l'on peut faire 10 %, 15 % ou 20 % d'économies, il ne faut surtout pas hésiter à le faire. Simplement, il faut prendre en compte les bons périmètres. Par exemple, lorsque page 24, le document évoque la baisse des dépenses de RSA, il ne dit pas que la population vieillit. N'oublions pas l'autre côté de la médaille. Peut-être des économies seront-elles réalisées par la mise en place du conseiller territorial ; je me réjouis aussi que l'on cite la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités, même s'il est dommage que celle-ci ne soit pas venue plus tôt. Cela vaut aussi pour le Sénat, plutôt que bricoler, il faut peut-être réduire le nombre d'élus. Ici comme ailleurs, prétendre que l'on va diminuer les dépenses en conservant le même périmètre et en ne proposant que des économies de façade, c'est de la démagogie. Pour ma part, je présenterai dans un mois des propositions plus audacieuses.

M. Jean Arthuis. - Très bien !

M. François Baroin, ministre. - Bien que pris en otage par la campagne électorale, les chiffres de la dette sont précis et je renvoie ceux qui ne croient pas le Gouvernement ou même doutent de l'INSEE, à l'étude de l'OCDE dans laquelle des économistes analysent les conséquences de la crise. La dette française a pris 20 points, la dette américaine 29 et celle du Royaume-Uni 40. Si son impact été majeur, la France y a répondu avec des mesures bien calibrées qui ont permis que la récession y soit deux fois moins profonde qu'en Allemagne et que nous en sortions plus rapidement. Il est même probable que la France aurait été citée en exemple si l'affaire grecque n'avait pas entraîné, au dernier trimestre, une diminution du PIB de 0,3 % dans la zone euro - mais + 0,2 % en France. Il sera tout de même difficile d'expliquer que Nicolas Sarkozy est aussi responsable de la très forte augmentation de la dette dans les pays que j'ai cités... Plaçons chacun devant ses responsabilités politiques.

A Serge Dassault qui en appelle à un retour plus rapide à l'équilibre, je réponds qu'il faut répartir les efforts de façon juste entre la nécessité de protéger la croissance et celle de réduire les dépenses de l'Etat, sociales et locales par la RGPP, la règle du un sur deux, l'élimination progressive des niches fiscales et sociales et la réforme des retraites. L'horizon de quatre ans auquel nous prévoyons le retour à l'équilibre est très court, bien plus proche de celui du myope que du forestier.

Je connais bien Yann Gaillard et cet humour aubois, que nous avons en partage.

Au président Arthuis, je répondrai que l'intérêt de notre présentation de la dette est bien de distinguer ce qui relève de la solidarité européenne et ce qui dépend de notre propre inertie en matière de gestion de la dette. En outre, le volet préventif de la gouvernance de la zone euro est renforcé, puisque grâce au semestre européen et à la procédure rénovée pour déficits excessif, nous n'interviendrons plus seulement a posteriori, les sanctions...

M. Jean Arthuis. - Cela n'a pas de sens.

M. François Baroin, ministre. - ... comprises entre 0,1 % et 0,5 % du PIB, prévues par le traité intergouvernemental étant automatiques.

M. Jean Arthuis. - Cela va augmenter notre dette...

M. François Baroin, ministre. - Non, car nous respecterons nos engagements. L'on ne peut pas prétendre tout et son contraire : d'un côté, en appeler à plus de rigueur, de convergence ou à la TVA sociale, et de l'autre, reprocher aux chefs d'Etats et de gouvernements de renforcer les règles visant à ce qu'aucun pays ne dévie de la trajectoire ou ne manque les rendez-vous fixés.

M. Jean Arthuis. - Les dix années de l'euro ont été marquées par une gouvernance inepte : ça a été dix années de folie. Nous avons laissé faire n'importe quoi et nous avons notre part de responsabilité dans les déconvenues de la Grèce. Nous n'avons pas assumé nos responsabilités collectives. Va-t-on prêter de l'argent pour que des pays paient des amendes ? C'est inopérant.

M. François Baroin, ministre. - Nous assumons un programme pour assurer l'unité de la zone monétaire et adresser un message aux investisseurs qui s'étaient affolés au mois d'août. Ils s'étaient retirés du marché des titres italiens, espagnols, français et même, au mois de novembre, allemands, notamment parce qu'ils n'avaient plus confiance.

Vous avez raison de dire que ce que nous mettons en place est encore fragile et que cela prendra du temps. Pour autant, ce renforcement de la convergence auquel nous travaillons depuis trois mois va dans le bon sens. S'éloigner de la convergence serait prendre un risque considérable.

Sur la compétitivité, vous devriez avoir des droits d'auteur sur la TVA sociale, que vous avez tant défendue ici depuis toutes ces années.

M. Jean Arthuis. - Pourquoi si tard ? Pourquoi si peu ?

M. François Baroin, ministre. - Il n'est jamais trop tard pour vous écouter.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Le milliard par an de baisse des dépenses de l'Etat est-il suffisant ? A entendre certains c'est trop et d'autres pas assez, c'est donc peut-être un bon équilibre. Ce qui est inédit, c'est la baisse des dépenses que l'on a réalisée pour la première fois en 2011 à hauteur de 200 millions d'euros, alors que la tendance était à une augmentation perpétuelle.

La Cour des comptes l'a expliqué, l'accroissement de la dette s'explique en 2010 pour 50 % par l'héritage, pour 40 % par la crise et pour 10 % par les mesures fiscales. Les choses s'améliorent aujourd'hui, puisque nous nous rapprochons d'un déficit structurel de 2,6 %. Entre 2012 et 2016, nous prévoyons une baisse de la dette de 6 points de PIB, ce qui nous ramènera à un ratio de 80 % en fin de période. Il faudra bien sûr plus d'un quinquennat pour revenir aux 60 %.

Je rappellerai à Serge Dassault que la France n'est pas dans la situation de l'Espagne et que nos taux d'intérêt n'ont jamais été aussi bas. Pourquoi ? Parce que nous tenons nos objectifs de réduction des déficits, étant entendu que tout écart par rapport aux engagements intangibles que nous avons pris serait très néfaste pour le niveau de ces taux.

Le coût de la dette, monsieur Germain, nous le connaissons. Il est de 48 milliards et, avec la réduction des déficits, la charge de la dette évitée atteindra 15 milliards en 2016.

Quant à la diminution des dépenses locales, l'on peut gaspiller avec peu d'argent, bien gérer avec beaucoup d'argent et inversement. Il est absurde de généraliser car les collectivités locales, ça n'existe pas ! Il faudrait plutôt, ce qui est difficile, procéder à une typologie des dépenses et des différentes recettes, comme par exemple, monsieur Doligé, les droits de mutation en Ile-de-France qui ont explosé.

M. Francis Delattre. - Le coût du RSA aussi !

Mme Valérie Pécresse, ministre. - C'est surtout la dette de votre département qui a augmenté, mais ce n'est pas de votre faute.

M. Philippe Marini, président. - Ne traitons pas de situations locales...

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Le Val-d'Oise a vu sa dette doubler en trois ans de gestion de gauche, ce qui est problématique pour ce département. En conclusion, oui, il faut rationaliser les dépenses locales.

Le chiffre que cherchait M. Arthuis pour expliquer l'écart entre le montant du déficit fin 2011 et celui de l'effort à accomplir pour le faire disparaitre totalement fin 2016 s'obtient en prenant en compte, dans le tableau de la page 11, la charge de la dette évitée. Quant à la difficulté de faire baisser les dépenses d'intervention de 10 %, elle est réelle mais nous avons déjà fait beaucoup, plus qu'on ne le pensait.

M. Doligé a raison, la RGPP inclut nécessairement la simplification des normes. Cela permettra de réaliser des économies et de faire grandir les PME chères à M. Delattre. Il faut d'ailleurs éviter les effets de seuil : un impôt sur les sociétés avec deux seuils n'est pas de nature à favoriser les PME.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie de ces réponses. Mme la rapporteure générale présentera son rapport le 17 avril. Dans la perspective de sa publication, les groupes qui le souhaitent sont invités à transmettre leurs « opinions », en vue de leur insertion en annexe de ce rapport.