Mardi 13 février 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 14 h 20.

Audition de Mme Catherine Pinson, psychologue clinicienne, chef du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO)

M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Catherine Pinson, psychologue clinicienne, chef du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) de la Police nationale, et de Mme Amélie Puaux, psychologue au sein de ce même service, plus précisément à la cellule de soutien psychologique opérationnel de Paris et de sa petite couronne.

Le Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) a été créé à la suite d'une succession de cas de suicides de policiers en 1996. Il reçoit les appels de policiers en difficulté, prend des mesures pour informer les personnes nécessaires en cas de risque de suicide et intervient lorsqu'un drame est survenu, par exemple en soutien des familles lors de procès de meurtriers de policiers. Il intervient également en prévention, avec des groupes de parole autour de la question du suicide ou encore en effectuant des synthèses sur les enquêtes environnementales en la matière. Il s'agit donc d'un dispositif essentiel dans la lutte contre le mal-être des policiers, dont vous pourrez nous décrire brièvement le fonctionnement, avant de nous faire part, autant que possible et par le prisme des cas que vous avez à traiter, de vos analyses sur la situation psychologique actuelle des policiers, puisque cette question est au coeur des travaux de notre commission d'enquête.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacune à votre tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Catherine Pinson et Amélie Puaux prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Mesdames, Mle président vient de vous exposer l'objet de cette commission d'enquête.

Premièrement, à partir de ce que vous avez pu entendre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les causes que vous identifiez le plus souvent dans le malaise des policiers que vous rencontrez, indépendamment bien sûr des causes strictement personnelles, en nous les présentant sous un angle différent de celui des techniciens de la sécurité, des juristes ou des personnels eux-mêmes ? Quels sont les sujets qui reviennent le plus souvent ? Les conditions matérielles de travail souvent décrites comme particulièrement dégradées produisent-elles des effets très négatifs ?

Beaucoup de policiers nous expliquent être en quête de sens. L'absence de réponse pénale et l'incompréhension à laquelle ils se heurtent dans l'opinion ou dans les médias contribuent à saper leur moral. Les organisations syndicales soulignent que les policiers ont le sentiment que le métier qu'ils exercent et pour lequel ils prennent de nombreux risques n'a pas beaucoup de sens ou ne produit pas beaucoup de résultats à cause du dernier maillon de la chaîne pénale. Retrouvez-vous ce sentiment chez les policiers qui craquent ? Quelles sont vos appréciations générales sur les conditions d'exercice du métier de policier telles qu'ils peuvent le ressentir ?

Deuxièmement, comment fonctionne votre service ? Par qui est-il saisi en général ? Les policiers eux-mêmes ? La famille ? L'entourage ? La hiérarchie ? Quelle est l'attitude de la hiérarchie ? Facilite-t-elle les démarches ou les bloque-t-elle ?

Disposez-vous aujourd'hui des moyens suffisants pour toucher le plus grand nombre de policiers au regard des problèmes qui se posent ? Avez-vous le sentiment que de nombreux agents passent à travers les mailles du filet ? Pensez-vous que notre commission aurait intérêt à rencontrer des personnes proches ou des collègues de policiers qui se sont suicidés ? Nous hésitons à le faire par réserve ou par souci de ne pas commettre d'impair. Avons-nous d'autres moyens de percevoir les raisons profondes du malaise qui touche les policiers qui en sont arrivés au suicide ? Comme les statistiques le montrent, le mal-être est-il beaucoup plus profond chez les policiers que dans d'autres professions ou est-ce une affaire politico-médiatique ? Détecte-t-on aujourd'hui ces policiers en mal-être ? Votre service les accompagne-t-il ?

Indépendamment de la prévention, l'accompagnement psychologique est-il suffisant, notamment chez les plus jeunes agents, souvent confrontés aux réalités les plus difficiles ? Le suivi psychologique est-il possible dès la sortie de l'école ou n'est-il réservé qu'aux policiers plus âgés, déjà accidentés ?

Mme Catherine Pinson, psychologue clinicienne, chef du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) de la police nationale. - Comme cela a été précisé, je suis chef du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) de la police nationale. Je vais essayer de vous faire une présentation rapide pour engager des échanges.

J'aborderai trois points pour vous présenter notre travail et la problématique qui nous occupe aujourd'hui.

Je débuterai sur les risques psychologiques liés aux différents métiers de la police, cette institution comprenant en effet de nombreux métiers. À cet égard, j'aborderai plus particulièrement la question du suicide, mais tout en sachant que bien d'autres risques sont liés à l'activité policière.

En outre, je vous dirai comment notre service travaille avec les policiers dans l'accompagnement psychologique, l'organisation de notre service et ses missions. Ma collègue Amélie Puaux abordera plus particulièrement la problématique parisienne.

Enfin, nous présenterons les perspectives, les points à développer en matière de prévention et sur lesquels il conviendrait d'insister.

On lie souvent la création de notre service à la question des suicides. Mais il convient de replacer les choses d'un point de vue historique. Notre service a été créé en 1996 non pas tant en raison d'une vague de suicides, mais à la suite des attentats parisiens, dans l'objectif d'assurer une meilleure prise en charge des risques traumatiques liés à ce genre d'évènements. Les institutions professionnelles à risque ont développé des dispositifs internes de prévention, et la police a été l'une des premières à agir en ce sens.

La confrontation à la mort, qu'il s'agisse du danger de mort pour le policier lui-même ou de la mort d'autrui, ou le fait d'être témoin d'événements dramatiques est de nature à entraîner un certain nombre de perturbations au niveau psychologique. Le traumatisme psychologique est un risque auquel sont confrontés les policiers, même si tous les policiers qui vivent ces événements ne présentent pas un traumatisme.

On le sait aujourd'hui, les métiers confrontés à la mort, ou impliquant une proximité avec des victimes - policiers, gendarmes, pompiers, services d'urgence - sont des métiers à risques. Une étude réalisée sur les intervenants professionnels par Santé publique France, à la suite des attentats parisiens de 2015, révèle que les policiers sont les plus exposés et présentent le plus fort taux d'antécédents traumatiques.

L'autre risque le plus difficile à mesurer, c'est l'épuisement professionnel. Outre les personnels de sécurité, ceux qui travaillent au quotidien auprès de personnes vulnérables, au côté de la misère sociale, ont un taux élevé d'épuisement. Sont aussi concernés des personnels qui, au cours de leur carrière, souffrent d'une forme de dépression, d'épuisement professionnel, qui peut les conduire au suicide.

Le traumatisme psychologique est considéré comme un facteur de risque pour le suicide. Des personnes traumatisées ont plus de risques de passer à l'acte suicidaire. Ici, ces risques sont très fortement liés au métier. Toutefois, je serai prudente. On le sait, le suicide est quelque chose de multifactoriel : entre dix et quinze facteurs peuvent être répertoriés. Aussi, il est difficile de mesurer de façon très précise le poids de la profession. Aujourd'hui, la collusion entre la vie professionnelle et la vie privée fait des dégâts. C'est le cas de la police.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le cadre professionnel peut entraîner des perturbations familiales, devenant un facteur extra-professionnel.

Mme Catherine Pinson. - Tout à fait ! Notre sous-directrice vous exposera demain les grandes lignes du programme de prévention en cours. Se pose effectivement la question de retrouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'éloignement géographique et le décalage horaire sont des éléments perturbateurs.

Mme Catherine Pinson. - Les rythmes de travail, le travail de nuit. Tous ces éléments ont un impact sur l'équilibre familial. Ce n'est pas la seule profession concernée ; c'est vrai pour toutes les professions dont les contraintes opérationnelles et professionnelles peuvent avoir des conséquences.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel risque identifiez-vous ? Nombre de policiers se plaignent de la confrontation à la mort, du risque à l'épuisement. D'ailleurs, peut-on s'y préparer ? Faut-il faire quelque chose au niveau de la formation ? On sent une usure, une lassitude face à l'adversité, aux insultes, aux incompréhensions.

Mme Catherine Pinson. - Concernant l'épuisement, on retrouve souvent la perte de sens de son travail, le sentiment de ne pas être reconnu, mais, là encore, ce n'est pas spécifique à la population policière. On parle beaucoup de « souffrance éthique » : le professionnel a le sentiment de ne plus pouvoir bien faire son travail. Les policiers ne sont plus reconnus comme autorité. À Paris, les affaires très médiatisées ont beaucoup touché l'ensemble de la population policière.

Permettez-moi de faire un focus sur la question du suicide, qui n'est pas simple à traiter.

Il serait compliqué en matière de prévention et même un peu vain de ne considérer cette question que sous l'angle que vous avez évoqué. Quand on parle de suicide, on est déjà dans l'aboutissement d'une crise aiguë, avec un passage à l'acte. C'est quelque chose qui n'est pas complètement conscientisé par la personne, quelque chose qui lui échappe. Vouloir retrouver les causes précises d'un passage à l'acte est très compliqué, y compris pour les psychologues et les psychanalystes. La question du lien entre le travail et le suicide est de plus en plus posée, avec des enjeux juridiques importants, à savoir la cause, la responsabilité de l'employeur ou du métier. Le débat est toujours quelque peu vain. On ne connaîtra pas, comme cela peut être le cas dans une enquête judiciaire, les ressorts intimes de la personne. Les personnes qui font une tentative de suicide grave expliquent que quelque chose leur a totalement échappé.

Certes, des contextes, des facteurs peuvent se retrouver. Les facteurs de risque les plus importants sont la dépression et l'alcool. L'accès à un moyen létal pose indéniablement question chez les policiers. Les deux facteurs de risques principaux pour les policiers sont l'accès à une arme et le fait d'être exposé.

M. François Grosdidier, rapporteur. - D'autant que cet accès est facilité depuis les attentats dans la mesure où ils peuvent rentrer chez eux avec leur arme.

Mme Catherine Pinson. - En effet ! Nous avions fait un travail de prévention pour essayer de limiter l'accès à l'arme. Mais, avec le contexte des attentats, nous en sommes revenus à des mesures qui ne sont pas tout à fait souhaitables. Somme toute, il faut pouvoir concilier l'ensemble.

On parle beaucoup de facteurs de risque, mais on peut tout autant parler de facteurs de protection. En matière de prévention, il faut limiter les facteurs de risque et s'appuyer sur les facteurs de protection, voire les renforcer.

Replaçons les choses : le métier en soi est protecteur. On le sait, les chômeurs sont plus touchés par le suicide que les personnes qui travaillent. Le métier en tant qu'activité dans sa dimension sociale et sous diverses autres facettes est protecteur. Au niveau collectif, l'« esprit police » est important. L'« institution police » peut être considérée comme une institution protectrice, même si l'aspect relatif à la protection collective s'effrite beaucoup depuis quelques années.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pensez-vous que l'effritement de cet esprit maison est propre à la police ? Ou est-ce un phénomène général ?

Mme Catherine Pinson. - Vous avez dû l'entendre, et vous l'entendrez encore si des policiers viennent témoigner : ce vécu est très fort dans les forces de police. L'esprit maison serait beaucoup moins marqué ; on est aujourd'hui dans une société plus individualiste.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel est le rôle de la hiérarchie ? On nous a décrit les chefs anciens modèles en meneurs d'hommes, contre des gestionnaires dans les nouvelles générations de commissaires.

Mme Catherine Pinson. - Je n'ai pas assez d'éléments pour pouvoir me positionner sur cette question. Les dimensions individuelles se retrouvent à tous les niveaux, y compris au niveau managérial, à l'image de notre société.

Des chercheurs du CNAM ont beaucoup travaillé sur la question du lien entre la souffrance au travail, le contexte professionnel et le suicide. Ils considèrent que tous les modes de régulation collective qui existaient dans les métiers, les corporations professionnelles et les syndicats et permettaient un soutien collectif sont aujourd'hui un peu plus défaillants. Ce n'est donc pas spécifique à la police.

Mme Brigitte Lherbier. - Un policier municipal est venu me voir samedi dernier pour me demander à qui il allait pouvoir expliquer ses problèmes maintenant que je n'étais plus adjointe à la sécurité, car je connais tous les policiers municipaux individuellement.

En vous écoutant, je me demandais à qui peut se confier un policier qui, pour différentes raisons, se sent perdu.

Mme Catherine Pinson. - L'une des clés en matière de prévention est de faciliter l'accès à des psychologues, et ce bien en amont des situations de crise aiguë. Nous nous adressons aussi au policier qui commence à rencontrer des difficultés, à s'interroger sur son métier ou, de façon plus générale, sur l'équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle. Mais les premiers soutiens se trouvent dans l'équipe, entre pairs. La place du responsable hiérarchique est importante et les gradés sont des contacts.

Parmi les policiers qui viennent consulter notre service - ce n'est pas exceptionnel ! -, certains vont très mal : ils sont confrontés à des problèmes personnels, familiaux, financiers, mais le travail leur permet de tenir. Le travail n'est pas forcément la source de difficulté. Le fait d'avoir accès à un psychologue ou à un médecin n'est pas très facile. Même si cela se démocratise, la personne en souffrance qui consulte un psychologue est encore un peu stigmatisée dans ces professions.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce n'est pas encore la « culture maison » ?

Mme Catherine Pinson. - Ce n'est pas la culture française de façon générale, par rapport à certaines cultures anglo-saxonnes. La question de la souffrance psychologique n'est pas quelque chose de facile à porter.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La hiérarchie est-elle très sensible à cette question ? Est-elle incitée à pousser ses subordonnés à aller consulter ?

Pour ma part, après des confrontations très violentes à la mort, j'ai ordonné à des policiers rétifs, qui estimaient que je mettais en cause leur solidité et leur virilité, de consulter. J'ai vraiment dû faire un travail avec un premier adjoint colonel qui revenait d'une OPEX pour les convaincre. Cette démarche existe-t-elle dans la hiérarchie policière ? Ou n'est-elle pas encore suffisamment pratiquée ?

Mme Catherine Pinson. - Tout n'est pas parfait. Certaines personnes sont encore réticentes à engager ces démarches, à tous les niveaux, qu'il s'agisse des managers ou des personnels. Mais j'ai la sensation que les choses ont bien progressé en quinze ans.

Un responsable local qui nous avait sollicités à la suite d'un événement grave m'a confié qu'il aurait pu se faire taper sur les doigts il y a dix ans, mais qu'on lui demanderait aujourd'hui des comptes s'il ne le faisait pas. Une tendance forte s'est donc installée. La problématique de la prévention des risques psychosociaux et la question de la responsabilité de l'employeur n'est pas étrangère à ce mouvement. Prendre en compte ces aspects fait maintenant partie du management.

M. Philippe Dallier. - Les situations ne sont pas les mêmes à Paris intra-muros et dans le reste de la région parisienne. En Seine-Saint-Denis, où je suis élu, le niveau de délinquance donne à certains policiers, compte tenu des moyens dont ils disposent, le sentiment d'écoper la mer avec une petite cuiller... Cela contribue sans doute aussi à la souffrance éthique dont vous parliez. Observe-t-on une telle corrélation entre, par exemple, effectif de policiers, taux de délinquance et nombre de suicides ?

Mme Catherine Pinson. - Je n'ai pas connaissance d'enquêtes aussi précises. L'INSERM a publié une étude en 2010 sur les suicides de policiers, mais elle n'entrait pas dans ce niveau de détail.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Concerne-t-elle spécifiquement la police nationale ?

Mme Catherine Pinson. - Oui.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Des conclusions ont-elles été tirées de cette étude ?

Mme Catherine Pinson. - Ce rapport a donné lieu au plan de prévention lancé en 2015. Il se fondait sur les études environnementales diligentées après chaque suicide par le supérieur hiérarchique, qui tentent de cerner les facteurs de risques de passage à l'acte.

Mme Samia Ghali. - Un suicide peut aussi s'expliquer par les relations entretenues avec la hiérarchie ou les tensions internes au groupe, bref par des facteurs humains. Dans la police municipale, il est aisé de s'adresser au maire ou à son adjoint à la sécurité, qui n'ont pas de responsabilité hiérarchique dans l'exécution quotidienne des tâches, pour désamorcer un conflit ou se plaindre d'une situation difficile. Le mode de fonctionnement plus militaire de la police nationale ne rend-il pas les choses plus difficiles de ce point de vue ?

Mme Catherine Pinson. - Les conflits internes au groupe pèsent naturellement d'un poids important dans la psychologie des agents. Un collectif cohésif joue un rôle protecteur, au-delà de la prévention du suicide. Lorsque les choses vont mal, le premier interlocuteur est souvent le collègue.

Un mot sur notre service. Le service de soutien psychologique opérationnel compte 82 psychologues cliniciens, tous spécialisés dans l'aide psychologique à visée psychothérapeutique, et répartis sur tout le territoire. Ce qui fait un psychologue pour 1822 agents. Ce n'est certes pas optimal, mais c'est le plus gros dispositif interne de cette nature en France. Ses missions sont de trois ordres : d'abord, l'accompagnement post-événementiel - très sollicité ces derniers temps - au moyen de débriefings collectifs ou individuels ; ensuite, l'accompagnement individuel par des consultations offertes au plus près des commissariats, à la demande de l'agent lui-même, de sa propre initiative ou orienté par un collègue de la médecine de prévention, de la médecine statutaire, des services sociaux ou l'un de ses responsables hiérarchiques ; enfin, le travail institutionnel, c'est-à-dire le conseil opéré avec les responsables hiérarchiques, voire auprès d'eux, et la participation à la réflexion institutionnelle sur ces questions.

Mme Amélie Puaux, psychologue au sein du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO). - Je fais partie de l'équipe de Paris et de la petite couronne. Les situations rencontrées varient selon les départements. Les agents sont, selon les commissariats, préoccupés par leur sentiment d'impuissance face à la surcharge d'activité ou par leur inutilité, mais l'inactivité dans certains secteurs ne crée pas moins de problèmes de mal-être, qui peuvent tout autant conduire au passage à l'acte.

Nous réalisons nos constats sur la base d'entretiens individuels, de consultations ou d'interventions dans les services de prise en charge péri-traumatiques à la suite d'événements graves comme le suicide, la tentative de suicide ou la blessure grave survenue en service.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Comment procédez-vous ? Rencontrez-vous tout le service ?

Mme Amélie Puaux. - Pas nécessairement. Nous nous rendons dans le service et proposons un accompagnement psychologique. Pour parler de leur intimité, il est nécessaire que les personnes soient volontaires... Le fait que la hiérarchie incite les agents à nous consulter facilite parfois la tâche. Nous rencontrons également les responsables hiérarchiques, de manière formelle ou informelle, et échangeons avec les partenaires institutionnels - médico-sociaux et syndicaux.

M. Michel Boutant, président. - Comment êtes-vous accueillis ?

Mme Amélie Puaux. - Cela dépend des services. Lorsque j'ai démarré, en 2006, il n'était pas simple de faire comprendre que le psychologue était là pour aider. Les choses se sont améliorées, mais il reste des réticences individuelles. La gestion d'un événement grave ou important dédramatise la présence du psychologue. Après les attentats par exemple, le recours à notre service s'est révélé plus aisé.

Le mal-être policier est exacerbé par le risque d'attentat terroriste, qui leur impose depuis 2015 une hypervigilance épuisante. Sans parler des contraintes de l'administration... Tout cela maintient les policiers dans leur bulle professionnelle, même lorsqu'ils ont quitté le travail.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'attentat de Magnanville a été très traumatisant.

Mme Amélie Puaux. - Oui, il a attisé la peur des policiers pour leur famille.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Au point qu'on peut parler de syndrome Magnanville.

Mme Amélie Puaux. - Oui, il est même très fort. Certains policiers ont même déménagé à des heures de route de leur lieu de travail, voire se sont mis en disponibilité, ont changé de service ou démissionné pour mettre leur famille à l'abri du monde de la police ou répondre à ses craintes.

D'une manière générale, les policiers témoignent d'un manque de confiance et de considération, qui découle de problèmes managériaux, mais aussi d'une reconnaissance insuffisante par le système administratif des mutations, des avancements et des primes, vécu comme opaque. En matière d'encadrement, la compétence du chef n'est pas la seule variable : il souffre aussi. D'où le sentiment des services d'être pris en étau, entre les ordres et le terrain, entre les moyens donnés et les réponses qu'ils sont à même d'apporter. D'où également le sentiment d'être perdus. Nous essayons d'accompagner les responsables hiérarchiques, de leur dire qu'eux aussi sont touchés. Certains se saisissent de notre aide, pas tous ; cela dépend des personnalités.

Certains agents expriment des doutes sur leur avenir dans la police ; ceux qui y étaient entrés par vocation la perdent parfois. Nous voyons des traumatismes réels, des épuisements réels, liés aux moyens humains, à la violence qu'ils doivent gérer, qu'ils subissent, et qui grandit, au-delà même de l'effet des attentats, car le terrain est plus violent qu'avant. Simultanément, la fonction protectrice du groupe diminue du fait des transformations de la police comme organisation et des individus : lorsque les choses vont mal sur le plan personnel, un suicide devient possible.

M. Jean Sol. - Avez-vous constaté une corrélation entre le mal-être au travail et l'éloignement des policiers de leur lieu de résidence ? L'âge joue-t-il un rôle ?

Êtes-vous associés à la politique de recrutement ? Votre travail peut aider à définir des profils. Participez-vous à la formation initiale ou continue des agents ?

Quels moyens avez-vous pour minimiser le mal-être des policiers ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Le travail est un facteur de soutien important, avez-vous dit. Or les rythmes et les contraintes sont lourds. Les moyens de suivi sont-ils suffisants pour aider les agents lorsqu'ils en ont besoin, au moment où il est urgent d'agir ? Comment améliorer l'accompagnement personnalisé ?

Mme Amélie Puaux. - Outre les psychologues de soutien et de l'aide aux victimes dont nous faisons partie, il existe des psychologues de formation, qui interviennent lors de la formation initiale et continue, en interne, des agents de la police nationale. Le SSPO ne fait pas d'évaluation des agents, mais il est associé aux réflexions relatives au recrutement et à la formation. Il semble que le recrutement massif, au champ plus ouvert, et les scolarités accélérées décidés récemment rendent nécessaire un accompagnement renforcé.

Mme Catherine Pinson. - Le risque psychologique que fait courir la distance domicile-travail est difficile à mesurer. Il n'y a pas, à ma connaissance, d'études sur cette question. De plus, comme nous le disions, depuis l'attentat de Magnanville, la prise de distance peut être vécue comme une mise à l'abri de sa famille. On peut supposer néanmoins que, au-delà d'une certaine distance, l'équilibre familial se complique. Le célibat géographique est un problème observé dans de nombreuses professions.

Mme Amélie Puaux. - Les gardiens de la paix sont recrutés par un concours national et par un concours déconcentré à Paris. Le premier conduit à un contrat de fidélisation de cinq ans, le second de huit ans, contre deux lorsque j'ai démarré ma carrière. Avoir l'assurance de rester au moins huit ans dans la même région est une prise de risque moindre, car les familles pourront toujours suivre les mutations dans un périmètre ainsi limité. D'autres font leur choix en fonction de leur rythme de travail : certains de ceux qui suivent un cycle 3/3, par exemple, utilisent leurs trois jours de repos pour rentrer en province.

Mme Catherine Pinson. - Le taux d'un psychologue pour 1 800 agents peut paraître faible, mais il reste deux fois plus élevé que dans la gendarmerie, où j'ai travaillé de nombreuses années. Au-delà des moyens, une partie de la solution se trouve du côté du personnel lui-même. Lorsque le travail est la seule chose sur laquelle on peut s'appuyer, que l'on redoute d'y ternir son image, faire appel à un interlocuteur interne à son employeur est une démarche difficile à entreprendre.

Mme Brigitte Lherbier. - Les agents se déplacent-ils dans votre service ? Les personnes qui s'adressent à leur supérieur hiérarchique sont connues de lui et veulent être reconnues. La comparaison de la police et de l'armée trouve ici sa limite : la vie de caserne facilite la connaissance de ses collègues, de leurs familles. Dans la police au contraire, les gens vont et viennent et ne font que se croiser. Un gendarme m'a dit récemment que ses collègues CRS, contrairement à eux, étaient rarement briefés sur ce qui était attendu d'eux lorsqu'ils travaillaient avec des détenus !

Mme Amélie Puaux. - Nous disposons de lieux de consultation individuelle où les agents peuvent se rendre, pour des raisons de confidentialité, car consulter un psychologue est encore stigmatisant. Les métiers de la police et de l'armée sont tous des métiers de la sécurité, mais ce sont en effet des mondes et des cultures très différents.

M. Henri Leroy. - Au Sénat, nous nous sommes émus de la vague de suicides dans la police en 2017. Nous avions même posé une question d'actualité au Gouvernement sur ce sujet : le ministre avait alors répondu que le nombre de psychologues et de psychanalystes allait augmenter. Rappelez-vous, avant les années quatre-vingt, il n'y avait pas de psychologues dans la police. C'est l'affaire Lamare, le tueur de l'Oise, qui a mis en évidence le fait que l'aide psychologique était indispensable. Les psychologues et les psychanalystes ont alors remplacé les officiers d'entretien et leur nombre a été multiplié.

Mais les enjeux de sécurité intérieure et de terrorisme ont rendu la configuration totalement nouvelle. Nous avons entendu des représentants syndicaux et les auteurs des livres Paroles de flics et Colère de flic. Tous nous ont dit qu'il n'y a plus de chef - ou qu'il y en a trop, ce qui revient au même -, que les missions sont si diffuses qu'elles ne sont plus identifiables, que les moyens sont insuffisants, bref que les policiers ne savent plus où ils vont. Cet appel au secours, à ma connaissance, est inédit au sein des forces de sécurité ! Les policiers ont la sensation de travailler sans résultat : il en est ainsi du directeur d'enquête qui travaille quarante-huit heures sans dormir sur un flagrant délit pour que l'inculpé soit relâché ensuite par le juge... Indiscutablement, la souffrance éthique existe. Mais à présent que la psychologie est entrée dans le système depuis longtemps, et que le Gouvernement entend multiplier les postes, quelles orientations prescrivez-vous pour rééquilibrer le moral des services ?

M. Jordi Ginesta. - Il y a beaucoup de suicides aussi parmi les agriculteurs et les chômeurs. Il faudrait identifier la cause des suicides policiers. Le psychologue ne peut que traiter les symptômes. Quelle est la spécificité des policiers ? Regardons pour le comprendre ce qui se passe ailleurs. Aux États-Unis, on vous fait mettre les mains sur le capot de votre voiture pour examiner vos papiers ; en Espagne, quand un policier vous marche sur le pied, c'est vous qui lui demandez pardon ; en France, on peut brûler quatre policiers sans susciter de réactions. Il y a une distorsion très forte entre la fonction et son exercice. Les policiers et les gendarmes ne cessent de se défendre - lorsqu'ils réagissent seulement ! Or l'autorité valorise, elle donne de l'assurance. Et elle dépend moins des psychologues que du législateur.

Mme Catherine Pinson. - La perte d'autorité pousse en effet les policiers à se mettre en danger : l'usage des armes est devenu si risqué qu'ils font tout pour ne pas l'utiliser, ce qui peut les mettre eux-mêmes en danger, ainsi que d'autres personnes. Cela exigerait certainement une réflexion de fond.

Nous avons jusqu'à présent évoqué ce que l'on pourrait appeler la prévention tertiaire, ayant trait aux symptômes, et moins la prévention primaire. La prévention primaire, liée à l'institution policière et au métier lui-même, exige aussi une réflexion, à laquelle nous pourrons être associés, mais qui mobilise davantage les psychologues du travail.

La prévention de la souffrance éthique passe prioritairement par le collectif. Le sentiment de n'être pas soutenu en interne est en effet fréquent. Or le premier soutien, c'est le chef, c'est de lui que doit venir la première reconnaissance. La culture militaire y participe.

Mme Amélie Puaux. - Il faut que les policiers retrouvent un sentiment de sécurité psychologique et physique qu'ils n'éprouvent plus, surtout depuis les attentats et la médiatisation de certaines affaires, qui leur donnent l'impression d'être condamnés avant même que la justice ne se soit prononcée. Bref, il faut que la maison redevienne protectrice.

Audition de M. Laurent-Franck Liénard, avocat

M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Laurent-Franck Liénard, avocat à la Cour d'Appel de Paris, spécialisé dans la défense des membres des forces de l'ordre et des victimes d'infractions.

Maître, la commission d'enquête a décidé de vous entendre afin que vous puissiez apporter votre éclairage sur les raisons du mal-être actuel des forces de sécurité intérieure. Parmi les causes fréquemment alléguées de ce mal-être figurent en effet des aspects dont vous avez régulièrement à connaître, tels que les relations tendues entre police et population, ou encore le sentiment chez les agents que l'usage de la force même légitime les expose à des difficultés jugées anormales compte-tenu des missions qui leur sont confiées. La question de l'utilisation des armes létales revêt naturellement une importance particulière dans ce domaine, et se trouve liée à celle de la formation à cette utilisation, dont vous avez regretté à plusieurs reprises l'insuffisance. Nous vous laisserons d'abord aborder brièvement ces questions puis je donnerai la parole aux membres de la commission d'enquête.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

M. Laurent-Franck Liénard. - Je le jure.

M. Michel Boutant, président. - Je passe à présent la parole au rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Observez-vous une augmentation des mises en cause des agents des forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions ? Ces accusations vous semblent-elles systématiques ou refléter une dégradation du comportement de ces agents, qui serait liée à une diversité de facteurs, comme la violence grandissante des contextes d'intervention ou l'absence d'ordres clairs ? Ainsi, à Calais, les policiers ont l'ordre de ne pas laisser les migrants se réinstaller, sans d'autre précision quant aux moyens requis. Certains jeunes agents déplorent également le fait d'être employés dans des opérations de maintien de l'ordre, sans la formation nécessaire ni l'encadrement suffisant. Percevez-vous le déclin grandissant de « l'esprit de famille » au sein de la police, nourrissant le sentiment parmi les subordonnés, une fois dans la difficulté, de ne pas être soutenus par leur hiérarchie ?

Ensuite, l'alignement des peines encourues pour outrage à agents, qui ont été alignées sur celles en vigueur pour les magistrats, vous semble-t-il une bonne démarche ? Malgré le souhait du législateur, l'injure et la rébellion ne sont que faiblement sanctionnés, faute, d'après certains témoignages que nous avons recueillis, du souhait de la hiérarchie d'entamer des procédures.

Que pensez-vous également de la généralisation des caméras-piétons à l'ensemble des agents de terrain?

Enfin, quel bilan tirez-vous de l'évolution du régime de la légitime défense des policiers apportée par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Je vous remercie de consacrer votre temps à ces hommes et à ces femmes, qui exposent leur vie pour protéger les nôtres. Cette démarche les conforte, tant ils ont l'impression d'être bien souvent laissés à eux-mêmes. Je ne témoignerai qu'à l'aune de ma propre expérience au sein de mon cabinet.

Depuis 25 ans, j'ai pu constater que la remise en cause stratégique de l'action policière était systématique et relayée par des associations qui tentent désormais de tuer l'État et de remettre en cause l'exercice de la force par ses représentants. Un policier n'exerce pas la violence, mais ses fonctions de représentant de l'État. Certes, certains policiers peuvent être des délinquants, mais ceux-ci ne représentent qu'une infime partie des forces de l'ordre. Les gendarmes, qui ont interpellé Adama Traoré, ont été immédiatement mutés, officiellement pour des raisons de sécurité, mais surtout suite au déchaînement médiatique dont ils ont été les victimes. Nulle autorité publique, au plus haut niveau de l'État, n'intervient plus pour soutenir les forces de l'ordre, en rappelant que la force doit demeurer à la loi.

Les policiers ont aujourd'hui perdu leur motivation professionnelle. Leur traitement ne prend nullement en compte leur prise de risque, ne serait-ce qu'au gré d'interpellations légères, sans parler des interpellations violentes. L'atmosphère devient kafkaïenne et nombre de policiers, soucieux de préserver leur vie ou d'éviter les procédures, demandent leur mutation dans des services non exposés et ne souhaitent plus participer au maintien de l'ordre sur le terrain. Ceux que je reçois et qui sont entrés dans la police, avec une vraie motivation, ne souhaitent plus se mettre en danger. L'impunité du délinquant est réelle
- les vols à mains armées n'étant, le plus souvent, réprimés qu'avec deux ans de prison avec sursis- et la réponse pénale est devenue une farce, faute de délivrer de réelles sanctions. Les policiers, en dehors des homicides et des viols qui sont généralement punis de peines conséquentes, ont désormais l'impression de travailler pour rien. Toute question à un prévenu ne peut être posée qu'au terme d'une quinzaine de procédures. Nous sommes arrivés à la limite du système et ne parvenons plus à assurer la sécurité.

Lorsqu'un gendarme comparait en correctionnelle, il est assisté d'un officier supérieur en tenue qui représente son arme, tandis que le policier demeure seul, à l'exception peut-être d'un officier de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) qui veille à ce qu'il soit condamné. Cette absence de soutien de la hiérarchie s'explique par la logique de castes qui prévaut dans la police ; les officiers étant pris entre les commissaires qui dirigent et les policiers qui font le travail au quotidien. Restaurer l'esprit de la police impliquerait ainsi d'abandonner certains privilèges.

À cet égard, la création d'une académie de police, avec six mois de formation commune à l'ensemble des personnels, permettrait de mettre fin à un tel esprit et de réaffirmer la cohésion des corps, nécessaire pour faire front face à la délinquance.

En outre, je suis favorable aux caméras, afin d'éviter les vidéos et de garantir des images policières. Ces caméras permettront également de contrôler la véracité des témoignages et les agissements des personnes face aux policiers et d'améliorer la déontologie, en prévenant les débordements de certains agents, rendus possibles par le défaut d'encadrement.

Le policier, qui se défend, ne veux jamais la violence, mais doit réagir avec les moyens dont il dispose face une situation violente. Les gens sous l'uniforme aujourd'hui sont faibles physiquement, techniquement et légalement. La formation continue des policiers devrait être plus importante et contribuer à façonner la perception de la police par la population.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La formation continue vous paraît être plus discutable encore que la formation initiale des policiers ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Je pense que leur formation continue est plus hasardeuse que leur formation initiale. Cependant, la formation est aussi une question de motivation personnelle. Il y a une forme de cercle vicieux qui s'amorce avec le souhait de ne pas intervenir et ainsi de ne pas s'y préparer, compte tenu des risques encourus et de l'impunité judiciaire.

Outre la création d'une académie de police, la restauration de l'effectivité de la sanction, impliquant une condamnation sévère et infamante, raviverait la motivation des policiers. Il est donc nécessaire de redéfinir le système pénal, lequel, faute de réforme, est voué à sa perte.

Mme Samia Ghali. - Je suis d'accord avec vous sur l'usage des caméras, qui permettraient de remédier aux vidéos des smartphones et protégeraient à la fois les policiers et les citoyens. Vous avez évoqué la différence de perception entre les gendarmes et les policiers. Je prendrai un exemple dans ma circonscription où des gendarmes ont été déployés dans des zones de sécurité prioritaire (ZSP). Ceux-ci ont été considérés par la population comme plus respectueux et investis d'une réelle autorité dont elle estimait dépourvue les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Comment expliquez-vous une telle différence de notoriété au sein de la population entre la police et la gendarmerie ?

M. Alain Marc. - Je souscris à votre idée d'une formation commune à l'ensemble des grades de la police. Dans les départements ruraux, nous constatons la relation de proximité que les officiers de gendarmerie entretiennent avec leurs hommes. Si l'on compare les brigades de gendarmerie aux commissariats, la différence est frappante. Cette implantation géographique, avec des petites unités et l'investissement humain des officiers supérieurs, dans les relations avec leurs subordonnés, n'illustrent-ils pas, en contrepoint, les problèmes que connaît, sur ce plan, la police ?

M. Laurent-Franck Liénard. - En gendarmerie, on trouve une adhésion à l'institution, qui n'hésite pas à faire bloc en cas de problème. Au lendemain de la mort de Denis Fraisse au barrage de Sivens, M. Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), est venu sous les feux médiatiques défendre ses hommes. Avez-vous jamais vu son homologue de la police nationale faire de même ? Le directeur général de la police nationale (DGPN) pense d'abord à sa carrière et non à ses hommes. Il est essentiel de changer de prisme et de contraindre l'administration policière à devenir une famille. Ainsi, le commissaire ne devrait pas être un chef d'entreprise, comme on le lui inculque à l'école nationale supérieure de la police, mais un chef de famille ! Mais la police veut-elle se réformer de l'intérieur ?

Mme Brigitte Lherbier. - Universitaire pendant trente-cinq ans, j'ai dirigé l'institut d'études judiciaires qui préparait notamment au concours de commissaire de police. Je souscris totalement à vos propos : la formation met actuellement l'accent sur les sciences sociales et humaines, ainsi que sur la criminologie, et non sur le sport, pourtant capital lorsqu'on est sur le terrain ! Les candidates, qui préparent le concours d'avocat pénaliste, ont certes une soif de justice, mais elles ne sont pas préparées psychologiquement à s'insérer dans l'univers carcéral et à être confrontées à la délinquance. Lorsque nos anciens étudiants se retrouvent sur le terrain, ils sont démunis des repères nécessaires. À l'inverse, en gendarmerie, les officiers bénéficient d'une formation progressive qui les conduit aux postes de direction.

M. Laurent-Franck Liénard. - La perspective de devenir commissaire à 23 ans, sans expérience préalable dans la police, suscite une certaine incompréhension dans les autres pays.

Mme Brigitte Lherbier. - Les revirements de carrière, notamment des anciennes étudiantes, sont fréquents, du fait de la difficulté de l'environnement professionnel dans lequel elles sont plongées, à la suite de leurs études, sans y avoir été préparées !

M. Dominique de Legge. - Quelles sont les associations qui financent les avocats dans la perspective d'engager des procès contre les forces de l'ordre ? Quel bilan tirez-vous de la réforme de 2008 en vertu de laquelle la gendarmerie a été placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur ?

M. Laurent-Franck Liénard - Je n'ai pas de connaissance précise des réseaux de financement des avocats qui interviennent, pourtant de manière récurrente, sur cette question. Chaque affaire suscite la mobilisation d'associations ou de collectifs, comme « Urgence- notre-police-assassine ! », sans compter les regroupements ponctuels, comme celui créé par la soeur d'Adama Traoré, qui interviennent à l'encontre de la police et dénoncent son usage légitime de la force.

La réforme de 2008 n'a pas modifié l'esprit de la gendarmerie, dont les membres ont gardé le statut et la formation militaires. Le placement sous l'égide du ministre de l'intérieur de la gendarmerie est en cohérence avec son travail désormais de sécurité intérieure. À l'inverse, la formation militaire manque cruellement à nos policiers qui ne bénéficient plus du service militaire pour acquérir une première formation. C'est pourquoi, une académie de police commune, impliquant la formation d'un esprit de groupe dans des activités éprouvantes pour l'ensemble des cadres, pourrait pallier ce manque.

M. Henri Leroy. - Vous êtes un avocat reconnu dans la police ou la gendarmerie. La réforme de 2008 a été très bien gérée par mon camarade de promotion, M. Denis Favier, qui a su assurer la pérennisation du statut militaire. Cette démarche a permis de renforcer l'âme des gendarmes.

M. Laurent-Franck Liénard. - Depuis 25 ans, les policiers que je reçois m'avouent être très maltraités par l'institution judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La garde à vue des personnes issues des forces de l'ordre pourrait-elle être modifiée, de manière moins pénible, tout assurant la recherche de la vérité ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Aujourd'hui, la garde-à-vue a évolué et n'est plus systématique pour l'inspection générale de la police nationale (IGPN), fût-ce même pour des affaires d'ouverture du feu où prime désormais l'organisation d'auditions libres. En revanche, l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a tendance à mettre en garde à vue de manière systématique les gendarmes, qui doivent alors dormir en cellule. Je ne suis pas favorable au placement en garde à vue des gendarmes.

M. Henri Leroy. - En principe, ces gendarmes sont aux arrêts de rigueur et doivent, par conséquent, demeurer en cellule.

M. Laurent-Franck Liénard. - Ils font plutôt, dans ce cas, l'objet d'une mesure d'administration judiciaire.

M. Jean Sol. - Comment, selon vous, modifier la réponse pénale pour améliorer la motivation des policiers ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Le travail de police est au service de la chaîne pénale. Aujourd'hui, l'infraction pénale n'est pas réprimée : tout délinquant primaire est frappé d'une peine en sursis. Or, la systématisation du sursis est de nature à dénaturer la peine qui n'est plus pénible ni certaine. En outre, les délais de traitement, qui peuvent aller jusqu'à douze ans après les faits, frappent de caducité la peine en elle-même. L'ensemble du processus pénal s'avère tragiquement risible. Je ne compte plus le nombre de gens qui sont déférés au tribunal avec plus d'une vingtaine de mentions sur leur casier judiciaire. Les travaux d'intérêt général sont aussi illogiques dans leur approche : la signature de l'éducateur est accordée dès le premier jour de présence, au motif irréaliste de la nécessaire volonté de la personne condamnée à effectuer ces travaux. Peine perdue ! Aucun moyen de contrainte et d'efficience pénale ne s'exerce sur le délinquant qui est désormais le surprotégé de la société française.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La délinquance a changé en France depuis l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante qu'il conviendrait de modifier !

M. Laurent-Franck Liénard. - Je vois des mineurs délinquants aux assises qui peuvent parfois être accusés d'homicide sur les représentants de l'ordre et auxquels on demande un projet éducatif sérieux ! La planète justice est devenue insensée ; le problème n'est pas que de moyens, mais aussi de prisme idéologique et de volonté. L'autorité du juge aux États-Unis contraste fortement avec celle de son homologue français ! Sans être réactionnaire, je pense cependant qu'il faut réagir.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je nuancerai vos propos en faveur du service militaire. En 1986, une étude, conduite par mon groupe de l'institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), a démontré qu'un appelé, débutant son service national avec un esprit de défense, le perdait nécessairement à l'issue de son incorporation de douze mois ; l'armée, qui se professionnalisait, ayant d'autres priorités que d'assurer sa formation militaire.

Je reviendrai sur les propos de ma collègue des Bouches-du-Rhône. La différence du rapport de la gendarmerie et de la police avec la population s'explique notamment par la différence de respect et de présentation, lors des opérations de contrôle.

En outre, j'ai visité l'école de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or qui se trouve sur ma circonscription et je vous accorde que la formation, qui y est dispensée, ne suscite aucun esprit de corps au sein de la police. Comment peut-on former des personnes, avec des niveaux différents et destinées à des fonctions différentes, de manière à assurer un esprit de solidarité une fois en poste au sein des commissariats ? Comme élu, j'ai travaillé avec des officiers de gendarmerie issus du rang. Les opportunités de promotion interne, qui renforcent les liens entre les différents niveaux de commandement, ne me semblent guère exister dans la Police nationale.

M. Laurent-Franck Liénard. - Il m'est arrivé d'accompagner des policiers en service et de leur dire qu'ils portaient le déshonneur sur la police nationale, car ils ne respectaient pas leur code de déontologie, rudoyaient et tutoyaient leurs interlocuteurs. La police doit demeurer au service de tous les citoyens, mais malheureusement les modalités de l'intervention de certains de ses membres peuvent être attentatoires à ce principe même.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les policiers municipaux sont-ils bien formés, ne serait-ce qu'au vouvoiement ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Il faut un encadrement compétent et motivé, au plus près des hommes. L'officier, qui devrait l'assurer sur le terrain, est devenu l'esclave de la logique comptable, dont l'effet est dévastateur. Plus la situation est difficile, plus elle est gérée par des jeunes. Dans certains quartiers, les policiers qui n'ont que deux ans d'expérience, sont déjà considérés comme aguerris !

M. Jordi Ginesta. - Qui contrôle, en théorie, le temps de travail des magistrats dans les tribunaux ?

M. Laurent-Franck Liénard. - On ne peut distinguer entre les magistrats qui travaillent, souvent trop d'ailleurs, et ceux qui ne font rien. Je plaide trop souvent devant des magistrats n'ayant aucune connaissance de leurs dossiers. La justice est totalement déshumanisée et tend à broyer les policiers qui sont devant elles. D'ailleurs, désarmer et placer un policier sous contrôle judiciaire provoque des tragédies personnelles.

M. Philippe Dominati. - Les citoyens, selon qu'ils se trouvent en milieu rural ou urbain, sont manifestement face à deux forces différentes pour assurer leur sécurité. La réforme de 2008, qui visait initialement à élaborer un système parfait entre police et gendarmerie, n'a-t-elle finalement induit qu'un déséquilibre ? Il semble que la gendarmerie parvienne à assumer, mieux que la police, sa mission de sécurité. En définitive, ces deux forces sont-elles confrontées aux mêmes difficultés ou l'une prédomine-t-elle manifestement sur l'autre ?

M. Laurent-Franck Liénard. - Les facteurs d'efficacité de ces deux forces sont distincts. Mon propos se plaçait sur le terrain institutionnel : l'institution police est écartelée entre ses différents corps.

M. Philippe Dominati. - Certes, mais les policiers peuvent se syndiquer !

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les syndicats n'ont pas su traduire le malaise des policiers.

M. Laurent-Franck Liénard. - L'égalité du citoyen face à la réponse policière, selon qu'il se trouve en zone gendarmerie ou police, n'est pas respectée. La police intervient plus rapidement que la gendarmerie du fait des différences d'extension géographique des zones et des moyens déployés.

Mon propos n'était pas de dire qu'une force marche mieux que l'autre. Néanmoins, la gendarmerie est une vraie institution, tandis que l'esprit de famille a disparu de la police, ce qu'illustre, du reste, la différence des taux de suicide entre les policiers et les gendarmes.

Enfin, le nouvel article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui précise le nouveau régime d'usage des armes conjoint aux policiers et aux gendarmes, est une bombe à retardement. En effet, cette disposition législative réduit drastiquement la capacité des gendarmes et des policiers à utiliser leurs armes. Les deux critères d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité ne sont pas, pour le moment, définis par le droit et la jurisprudence devrait mettre dix ans à pallier cette absence !

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation est plus optimiste que vous sur ce point.

M. Laurent-Franck Liénard. - Je reste, pour ma part, extrêmement pessimiste, puisque ce vide juridique laisse le juge seul décideur en la matière.

M. Michel Boutant, président. - Maître, je vous remercie de votre intervention et de vos réponses à nos questions.

Audition de M. Alain Bauer, professeur de criminologie appliquée au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à New-York et à Shanghai

M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, nous allons à présent entendre M. Alain Bauer, qui est notamment ancien président du Conseil national des activités privées de sécurité et professeur de Criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers depuis 2009. Il enseigne également à New York et à Shanghai.

M. Bauer, votre longue expérience dans le domaine de la criminologie et de la sécurité vous permet d'abord sans doute de nous livrer une appréciation globale sur l'état des forces de sécurité intérieure dans notre pays : pensez-vous que l'on doive véritablement parler d'une crise globale, qui se traduirait notamment par une souffrance psychologique anormale au sein de la police ou de la gendarmerie, ou bien y-a-t-il seulement un ensemble de problèmes et de difficultés ponctuels qui doivent être traités ?

Par ailleurs, vous pourriez sans doute nous éclairer un aspect plus précis. En tant qu'ancien président du conseil d'orientation de l'Observatoire national de la délinquance, vous avez réfléchi à la question des statistiques de la délinquance, des faits constatés par les forces de sécurité, police et gendarmerie nationale, ainsi que des objectifs quantitatifs et qualitatifs qui sont fixées à celles-ci par leur hiérarchie et, au-delà, par le politique. Dans ce contexte, quelle est votre analyse sur ce que l'on appelle la « politique du chiffre », qui est toujours dénoncée actuellement, par ses excès supposés, comme l'une des causes profondes du mal-être policier ? Quelles seraient les mesures à prendre dans ce domaine pour améliorer la situation tout en maintenant l'exigence de « redevabilité » du service public de la sécurité ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Bauer prête serment.

Je passe à présent la parole au rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre objectif est d'identifier les causes multifactorielles du malaise des policiers et gendarmes et d'aboutir à des préconisations concrètes.

L'on observe des divorces multiples, qui sont mal vécus par les policiers : entre les policiers et leur hiérarchie ; entre les policiers et les politiques, les premiers ne se sentant pas aussi soutenus par leurs ministres successifs qu'ils l'auraient souhaité ; entre la police et la justice, avec une défiance réciproque, les policiers ayant le sentiment de prendre des risques inutiles en l'absence de réponse pénale et passant environ un tiers de leur temps seulement en opération, les deux autres tiers étant consacrés à des tâches administratives ; enfin, entre les policiers et une fraction minoritaire de la population, plus large cependant que les seuls délinquants.

Ces divorces sont mis en exergue alors même que l'on n'a jamais autant parlé de « coproduction de sécurité ». Les policiers eux-mêmes, d'abord réticents face à la montée en puissance de la sécurité privée et des polices municipales, en sont aujourd'hui demandeurs, pour se décharger des tâches indues. Vos analyses confirment-elles le sentiment que nous avons et quelles préconisations en retirez-vous ?

M. Alain Bauer. - Les policiers et les gendarmes - dans une proportion pour l'instant moindre - connaissent au moins trois crises.

La première est une crise d'identité. Ils sont nés dans l'idée, en partie inexacte, qu'ils étaient un élément constitutif de la création de la République, qu'ils étaient respectés par nature et que leurs instructions étaient mécaniquement suivies. Sous l'effet des téléfilms américains, les policiers ont aussi eu le sentiment qu'il y aurait un respect inné de leur fonction. Or tout ceci ne se vérifie plus : les outrages, les insultes, les refus d'obtempérer qui conduisent parfois à des accidents, les agressions le montrent. Ce qui leur avait été présenté comme la nature de la fonction ne correspond plus à la réalité, y compris dans les yeux de leur entourage, de leurs enfants.

La seconde est une crise d'utilité. Les forces de sécurité se considéraient comme un outil de présence, de visibilité, de proximité, de maintien de l'ordre, d'intervention, de renseignement, mais leur capacité, leur compétence et leurs qualités sont contestées pour chacune de ces fonctions. L'absence totale de méthodologie, de mode d'emploi et de réflexion sur la nature de la fonction policière suscite aujourd'hui de profondes critiques. Le renseignement policier a été mis en cause après les événements terroristes de 2015. Le maintien de l'ordre connaît des difficultés de réorganisation considérables qui n'ont pas été réglées depuis l'affaire « Malik Oussekine », les émeutes de 2005, les « Black Blocks », les ZAD, etc. On se lamente à chaque fois du manque de retour d'expérience et de l'absence de prise en compte des propositions des opérateurs de terrain par une organisation très centralisatrice, ce qui a un effet désastreux sur la pratique de terrain.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Que pensez-vous de la police de sécurité du quotidien (PSQ) ?

M. Alain Bauer. - La méthode clinique que j'emploie habituellement
- diagnostic, pronostic, thérapeutique - n'est pas applicable pour l'instant à la PSQ : il n'est pas encore possible d'établir un diagnostic. J'ai relevé une phrase dans le discours de M. Gérard Collomb : le ministre a annoncé que l'on ne ferait dorénavant plus de « prêt-à-porter », mais du « sur-mesure ». Cela fait vingt ans environ que les opérateurs, qui considèrent que la pratique de la police doit être décentralisée, et non seulement déconcentrée, attendaient qu'un ministre de l'intérieur aille jusqu'au bout de cette logique. M. Collomb, de manière surprenante, a en outre employé le mot de « révolution », ce qui est de bon augure. Cependant, le diable est dans les détails et dans la réalisation pratique : la police de proximité de M. Lionel Jospin était sur le papier très bonne, mais elle a profondément pâti de la précipitation et de la confusion qui ont entouré sa mise en place.

L'idée de la PSQ ne pose aucun problème en tant que telle. Il faut en effet réviser profondément l'organigramme policier et régler le divorce interne entre les policiers et la haute fonction policière, qui est essentiellement préfectorale.

J'en reviens à la troisième crise, qui est celle de l'efficacité. Ce qui est en cause ici, c'est la relation avec la partie pénale et judiciaire. Les policiers ont le sentiment de passer leur temps à interpeller des personnes qui sont libérées avant même la fin de la procédure, et de faire l'objet de moqueries et d'humiliations en raison de l'absence de chaîne pénale cohérente.

Tous ces éléments sont réels, mais la situation qui en résulte n'est pas complètement inédite dans l'histoire de la police, qui a notamment subi une trentaine de réformes au cours des trente dernières années et connu des crises multiples, dont l'une des plus importantes s'est produite sous M. Georges Clemenceau et s'est traduite par une réorganisation territoriale, une réforme de la formation, une modernisation des équipements, la création des brigades dites « du Tigre », etc.

Le vrai problème réside dans la modification très importante des modalités de confrontation de terrain. Auparavant, les policiers ou les gendarmes étaient la cible de violences lorsqu'ils intervenaient de manière impromptue, au milieu d'une situation où leur présence était perturbatrice : il y avait alors confrontation parce que deux « bandes » - aux yeux des délinquants, les forces de l'ordre constituaient elles aussi une bande - essayaient de contrôler le même territoire. Il s'agissait alors d'une réaction face à une surprise. Depuis une vingtaine d'années, il y a une augmentation de plus en plus importante des guet-apens, qui concerne plus largement les personnels en tenue (postiers, pompiers, agents ERDF, personnels de santé, etc.) : c'est un problème de contrôle de l'espace territorial, dans lequel toute intrusion d'agents - quelle que soit la mission dont ils sont chargés - n'est pas supportée. La problématique n'est plus policière, mais concerne l'ensemble des services publics. La donne est nouvelle : l'on est mis en cause dans sa propre identité, alors même que l'on n'est pas générateur d'un élément qui justifiait jusqu'à présent la confrontation due à la surprise.

Le deuxième phénomène nouveau est celui de l'assassinat du policier et de sa femme, sous les yeux de leur enfant, à leur domicile de Magnanville. Cet épisode conduit à penser que les policiers sont passés du statut d'un intervenant éventuellement violenté à celui d'une cible directe dans un espace non professionnel. Il n'existe donc plus de lieu sûr, de sanctuaire ; le risque est permanent, même dans la vie courante. Ce traumatisme est mille fois plus important que tous les facteurs déjà évoqués, c'est un élément de perturbation maximale. Il a tout bouleversé, y compris l'organisation traditionnelle de la représentation et de la défense des intérêts des policiers - la commission d'enquête d'ailleurs en a tenu compte, puisqu'elle a reçu récemment une organisation non syndicale représentative du mouvement de colère des policiers, ce qui constitue une première me semble-t-il.

Enfin, il y a une forte demande de la police, exprimée par les syndicats de policiers eux-mêmes auprès du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), en faveur d'une nouvelle répartition des tâches. Je précise que le CNAPS en a fixé les lignes rouges : pas de milice privée sur la voie publique, pas de transfert de garde des détenus par des opérateurs privés, pas de privatisation de l'espace public. Paradoxalement, le CNAPS et les syndicats de policiers sont d'accord sur l'existence de lignes rouges, plus que ne l'est l'administration du ministère de l'intérieur, quel que soit le ministre : la place Beauvau est favorable à une sous-traitance généralisée au secteur privé. Dans les faits, il n'y a pas de coproduction de sécurité, puisque l'État décide par exemple unilatéralement de se retirer des contrôles et palpations à l'entrée des aéroports, des ports maritimes, des stades, de la protection des transporteurs de fonds... Il y a seulement un dialogue, une amélioration de la régulation, un progrès dans le contrôle, mais pas encore de coproduction au sens où le secteur privé lui-même la souhaiterait.

En conclusion, non, la situation de crise à l'intérieur de la police n'est pas inédite mais, oui, son ampleur l'est, à cause de l'affaire de Magnanville.

M. Philippe Dominati. - Je suis intéressé par la dualité entre les deux forces de sécurité : d'un côté, la police, dans les zones de forte criminalité, de l'autre, la gendarmerie, qui a une image d'efficacité, d'organisation bien hiérarchisée et de bon contact avec la population. Aux yeux du citoyen, il y a dualité.

La crise et son ampleur sont-elles les mêmes dans la police et dans la gendarmerie ? Le processus d'intégration et de définition d'un nouvel équilibre au ministère de l'intérieur, entamé en 2008, fonctionne-t-il bien ?

Mme Nathalie Delattre. - Samedi dernier, j'ai assisté aux obsèques du gendarme décédé en service à Salle, dans le département de la Gironde dont je suis sénatrice. À un moment donné, le général Michel a reçu le parquet dans une salle séparée, avec la famille, parce qu'il y avait une incompréhension totale de la qualification des faits. Ceci illustre les tensions qui existent avec le système pénal et qui sont l'une des clefs du ras-le-bol. 

M. Jordi Ginesta. - Nous avons précédemment entendu des psychologues sur la question du suicide chez les policiers français. Qu'en était-il par le passé et quelle est la situation ailleurs, par exemple aux États-Unis ou en Espagne ?

Mme Samia Ghali. - Le malaise des policiers est-il seulement dans la relation avec la population ou aussi au sein même de la police, entre les agents et une hiérarchie que l'on dit parfois « déconnectée » du terrain ?

J'aimerais aussi que vous approfondissiez le terme de « crise ». Je remarque que la délinquance est de plus en plus jeune et de plus en plus violente ; il n'y a plus de notion de bien ni de mal, ni même de peur de tuer ou de se faire tuer. Ceci n'est-il pas une source d'angoisse permanente pour la police ?

Enfin, j'ai connu des commissariats de police de proximité ; les délinquants respectaient les policiers lorsqu'ils se faisaient arrêter et les policiers étaient en capacité de venir dialoguer avec la population. Aujourd'hui, cela n'est plus possible : les commissariats sont parfois situés à des kilomètres. J'applaudis des deux mains la création de la police de sécurité du quotidien, qui est une police de proximité, mais je crains qu'elle ne soit pas en mesure de résoudre les problèmes parce qu'elle sera confrontée à des sujets très lourds.

M. Philippe Dallier. - Que vous semble-t-il le plus urgent de faire ? Que l'État doit-il faire pour redonner confiance aux forces de sécurité intérieure ?

M. Alain Bauer. - Concernant la première question sur la dualité, il y a des tâches que la gendarmerie fait et que la police ne peut pas faire. La gendarmerie conduit des opérations extérieures, c'est quelque chose de très important et ça ne peut pas être fait par des policiers. Il n'est pas possible d'envoyer des officiers de police judiciaire non militaires pour conduire des opérations extérieures. Ni l'organisation des Nations unies, ni les conventions internationales, ni l'Europe ne le permettent. Les opérations de sécurisation, de stabilisation ou de « pacification » consacrent donc la primauté militaire. Je fais partie de ces gens qui aiment tant la police qu'il m'en faut plusieurs catégories. C'est dans l'intérêt des opérations judiciaires, pour permettre la qualité de l'enquête et afin de garantir l'indépendance des procédures que les magistrats disposent de plusieurs outils d'enquête. Étant un ferme partisan de l'indépendance, à tout point de vue, du dispositif judiciaire, y compris du parquet, je suis très favorable au maintien de plusieurs forces de police. Ce n'est pas un sujet de compétition, c'est un sujet d'organisation.

En revanche, il y a des mutualisations indispensables. Cela a été le cas avec le remarquable succès de la direction de la coopération internationale, c'est le cas avec l'outil informatique qui s'est beaucoup amélioré. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour éviter les doublons, dans la police scientifique notamment. Le fait que la police a des hélicoptères mais utilise parfois ceux de la gendarmerie peut sembler étonnant mais l'idée de mutualiser certains moyens est une bonne idée. Du point de vue de la présence et de la compétence il y a un vrai sujet.

Il y a un élément qui est sous-estimé, c'est la rurbanisation. L'espace rurbain, celui où la population progresse le plus, est sous le contrôle de la gendarmerie. Cette population nouvelle vient de l'espace urbain, avec la culture de l'espace urbain. Ce n'est pas simple pour les gendarmes de passer de la police du « voleur de poules » à la police du dealer de shit, c'est un autre process à appréhender. La non prise en compte, en France, des territoires de la criminalité est un drame de notre système. La France est un des rares pays où l'on fonctionne sur une logique d'effectifs avant de poser la question des territoires. C'est très étonnant. Dans tous les autres pays, on adapte les effectifs aux territoires de la criminalité. En France, on fait l'inverse. Certains départements, où il y a peu de population et une criminalité faible, devraient être entièrement gérés, y compris dans les villes, qui sont de petite taille, de la même manière : il faudrait y uniformiser les opérations de police. Il faut ensuite évaluer les menaces et en déduire quelles sont les missions de la police dans le territoire concerné. Alors seulement on devrait se poser la question des moyens à la fin. Or on procède autrement et il y a un morcellement et un enchevêtrement des zones d'intervention : un peu moins de 36 000 communes, 400 circonscriptions de sécurité publique, 3 000 brigades de gendarmerie, quelques centaines de communautés de brigade. Aucun de ces découpages n'est établi en cohérence avec les autres, sauf peut-être un jour le grand Paris...

M. Philippe Dallier. - Je n'en rêve même plus !

M. Alain Bauer. - C'était un instant d'humour...Le problème n'est en tout cas ni la dualité, ni la diversité des polices, ou la concurrence avec les polices municipales. La problématique c'est la cohérence territoriale au regard de trois critères, pris dans cet ordre : menaces, missions et effectifs. Tant qu'on ne fera pas cela, on n'améliorera pas la situation.

Concernant la politique pénale, le principal problème est qu'il n'y a pas de conférence de politique pénale. Les magistrats passent leur temps à expliquer que les policiers sont des fascistes et les policiers à dire que les magistrats sont laxistes, et cela publiquement pour être certains qu'ils seront entendus. Que ce soit l'USM, le SM, ou le SCSI et les autres syndicats de policiers, tous sont passés maîtres dans l'art des communiqués de presse, des tracts ou des déclarations insultant ceux qui devraient être leurs partenaires dans la conduite des affaires de sécurité publique. On a une tentative, historique, de conférence de consensus. Mais une conférence de consensus, c'est fait pour que des gens qui ne sont pas d'accord au départ le soient à l'arrivée. Le précédent ministre de la justice avait considéré qu'une conférence de consensus consistait à convoquer des gens d'accord entre eux pour qu'ils affichent cet accord. Cela n'a pas fait avancer grand-chose. Il y a un véritable enjeu à organiser une conférence de politique pénale digne de ce nom, en particulier sur des sujets comme la justice des mineurs ou les stupéfiants. Sur le sort à réserver à la consommation de cannabis, le Parlement, pour une fois, a pris sa part en assumant sa mission d'information, mais on souffre de la tenue d'une conférence de consensus sur ces sujets. Vous seriez surpris de constater, alors qu'on peut imaginer l'inverse pour des raisons idéologiques, voire théologiques, à quel point les policiers sont très favorables et les juges très défavorables à la contraventionnalisation de la consommation de cannabis.

S'agissant de la question très importante des suicides, il faut en premier lieu préciser qu'il y a beaucoup plus de morts par suicide chez les policiers, ou de manière générale dans les forces de sécurité, aux États-Unis qu'en France. Il y a une peur des policiers, et d'ailleurs c'est en partie justifié puisque 1000 personnes tous les ans sont abattus par des policiers en service aux États-Unis. En parallèle, une centaine de policiers meurt chaque année en exercice. C'est considérable. En comparaison, les chiffres en France sont très bas. Il y a en revanche un nombre trop importants de suicides de policiers en France. Le problème est que l'on devrait rapporter le nombre de suicides à d'autres critères qu'il faut croiser. Un taux de suicide doit être ramené à des facteurs par catégorie de population. On ne peut comparer ces chiffres sur le taux de suicide qu'au regard de l'âge. Le taux de suicide des policiers est effectivement plus élevé que la population du même âge, mais pas autant qu'on le dit parfois, ce qui n'enlève rien au drame qu'est le suicide des policiers.

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est tout de même deux fois la moyenne nationale !

M. Alain Bauer. - Je ne sais pas ce qu'est la moyenne nationale. La moyenne nationale dans son ensemble ? Par rapport à la population du même âge ? C'est un peu comme pour le débat des contrôles au faciès. J'ai été auditionné à New-York sur ce sujet : à juste titre on nous a opposé des statistiques qui montrent qu'effectivement, par rapport à l'ensemble de la population, les jeunes afro-américains et les jeunes hispaniques sont surreprésentés dans les personnes contrôlées. Mais dans la population de moins de trente ans, par ailleurs statistiquement davantage susceptible d'avoir une arme aux États-Unis, cette surreprésentation est divisée par deux. La démographie est un élément à prendre en compte, ce qui en France est une véritable difficulté : la mise en place de l'institut national d'études démographiques a été aussi difficile que la reconnaissance de la criminologie. C'est dire à quel point ce pays aime savoir ce dont il parle. Je pense donc qu'il y a une surreprésentation des suicides chez les policiers, mais à mon avis beaucoup moins importante que ce chiffre souvent avancé du double d'une moyenne nationale dont on ne mesure pas bien ce qu'elle recouvre, eu égard au témoin de population pouvant se suicider. C'est exactement la même situation qu'à la Poste ou chez France Telecom : la visibilité globale des suicides est élevée mais la réalité statistique est plus mesurée. Concernant les facteurs du suicide, certes les conditions d'exercice du service ont un impact, mais il est difficile de mesurer la part des autres facteurs, en particulier personnels.

Lorsque c'est en lien avec l'activité professionnelle, indéniablement on identifie un coupable qui a fait l'objet d'une autre question qui m'a été posée : la politique du chiffre, à laquelle on doit mettre un terme. La politique du chiffre n'est pas une invention du ministère de l'intérieur, c'est une création du ministère du budget : le fait d'être redevable des comptes publics figure dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Le ministère du budgeta parfaitement compris qu'on ne peut pas donner de l'argent sans dire à quoi il sert. La comptabilité, c'est aussi une responsabilité. Mais il existe deux types de politiques du chiffre. Il y a la politique du résultat, c'est-à-dire une évaluation de la qualité de l'action publique. Cela implique une évaluation fine et sur mesure. Et il y a la politique du chiffre, purement quantitative. Le ministère de l'intérieur a choisi la facilité, avec cette approche comptable très facile à traduire dans des circulaires. Le ministère a été aidé en cela par tous ses partenaires qui se satisfont tous de données immédiatement compréhensibles et purement comptables : combien d'homicides, combien de mis en cause, combien de personnes interpellées ou gardées à vue, combien de fumeurs de haschich, combien de contraventions, etc.

L'outil statistique choisi est confortable et se marie bien avec les technologies : un smartphone permet de savoir ce que l'agent faisait, de le géolocaliser et de voir quel type d'actes il contrôlait.

M. François Grosdidier, rapporteur. - A-t-on parfois une approche plus qualitative ?

M. Alain Bauer. - On pourrait très bien avoir une approche qualitative mais ce n'est absolument pas le cas. La police de New-York par exemple a fait le choix d'avoir cette approche qualitative. Mais c'est un choix...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a des études qui montrent ça ?

M. Alain Bauer. - Oui, ce n'est pas très difficile à trouver. Le collège de justice criminelle de New-York par exemple a fait plusieurs études sur l'organisation de la police américaine. Cela permet de comparer les polices de New-York et Chicago. Je rappelle que New-York a atteint le plus bas taux de criminalité de son histoire. Ce n'est certes pas le cas sur tous les facteurs étudiés, mais le nombre d'homicides ou d'usages d'armes à feu par exemple est historiquement bas. Cela montre bien qu'aucune situation n'est systématiquement vouée à la catastrophe. Ces évolutions sont le résultat de politiques locales volontaristes dont on ferait bien de s'inspirer.

Mme Ghali, j'arrive à votre question. Le problème n'est pas la police de proximité, c'est la proximité de la police. Pour simplement ouvrir un commissariat, il faut trente emplois, et encore, ce nombre ne permet pas de mettre un seul policier sur le terrain, c'est juste ce qu'il faut pour qu'il y ait de la lumière. Ce sont des moyens considérables, il faut donc revoir la territorialisation. Si l'on regarde dans votre ville, à Marseille, la « mère de toutes les cités » : la busserine. C'est là qu'on a inventé la criminalité moderne, on y a fait bien mieux encore qu'Al Capone. C'est un « modèle » d'économie libérale avancée : intégration verticale, intégration horizontale, investissements dans la « recherche et développement », etc. Seule la gestion de la concurrence est plus définitive que dans le petit commerce traditionnel. Et pourtant on a résolu ces problèmes à un moment. Il y avait par exemple bien plus d'homicides en lien avec la criminalité et le trafic de drogue il y a quarante ans à Marseille qu'on en compte aujourd'hui. La criminalité y a considérablement chuté. Certes, la situation est très particulière : il y a eu une crise de succession et une crise de sécession. La disparition de Jean-Jérôme Colonna a été un drame dans l'organisation du crime marseillais. Ce n'est pas une situation liée à la police, mais ce sont des questions internes au crime organisé. L'arrivée de Farid Berrahma a tout changé : on est passé à la décentralisation et à l'ubérisation du crime. Le rapport du producteur au consommateur de Haschich a beaucoup évolué. Cette situation est purement locale, la police ne peut donc fonctionner efficacement que si elle connait ces sujets locaux. C'est pour cela qu'elle doit être « à » proximité, mais pas « de » proximité. L'important n'est pas de faire la ronde, mais de connaitre le fonctionnement de ce supermarché de la drogue...La question du Haschich doit être envisagée sous l'angle économique. Le procès de la tour K a montré la grande diversité des acteurs impliqués : la mule, le guetteur, le livreur, ils sont tous impliqués dans ce trafic pour des raisons d'argent. Parfois, c'est pour simplement payer son permis. Il faut bien avoir conscience que ce sont des motivations économiques du quotidien qui entrainent une bonne partie des acteurs dans ce trafic. Maintenant, c'est même inclus pour partie dans le PIB. Le traitement de tout cela passe par une approche transversale : je crois beaucoup en la complémentarité de la criminologie, de l'expertise, de l'action sociale, de la police, de l'action éducative, etc. Il faut donc du « sur mesure » dans la définition du territoire pour identifier quels sont les risques et les moyens à mettre en oeuvre.

Mme Samia Ghali. - Cette situation n'est plus spécifique à Marseille, on trouve ces pratiques aussi dans les banlieues parisienne ou lyonnaise.

M. Alain Bauer. - Cela fait longtemps que ces pratiques se sont répandues ailleurs qu'à Marseille...On peut citer Toulouse aussi, dont l'évolution est inquiétante.

M. Jean Sol. - Qu'en est-il de l'efficacité de la structure originale de la Préfecture à Marseille ? Cette organisation spécifique de la police à Marseille constitue-t-elle l'outil adapté ?

M. Alain Bauer. - Il y a eu d'excellents préfets de Police à Marseille, en revanche je cherche toujours à comprendre à quoi sert la préfecture de police en tant que structure. Pour avoir suivi les conditions dans lesquelles le décret instaurant la préfecture de police de Marseille a été adopté, je peux affirmer que cette création a considérablement amoindri les autres structures. Cette création a donc entrainé davantage de problèmes qu'elle n'en résout.

La dernière question qui m'a été posée : que faire ? Je citerai ma rencontre, à l'invitation d'un syndicat de policiers, avec une cinquantaine de bacqueux dont, je dois l'avouer, je ne disais pas du bien. J'ai eu droit à un accueil rugueux, mais par des gens qui avaient été sermonnés. Au bout de dix minutes, on a commencé à avoir un débat de qualité. Ils ont commencé à aborder intelligemment ce qui pourrait être amélioré dans leur métier. Ils ont mis en avant trois éléments. D'abord, la BAC engendre le plus haut niveau d'ennui imaginable pour un policier : il ne se passe rien. Les bacqueux m'ont expliqué qu'ils meublaient leur ennui par le seul outil dont ils disposent pour justifier leur activité : les contrôles d'identité. Ils n'avaient aucun doute sur le manque d'intérêt de la pratique, en revanche cela leur permet de montrer qui contrôle le territoire. Ils ont commencé à échanger sur ce qu'ils pourraient faire d'utile à la place. Mais les propositions que j'ai entendues ne s'inscrivent pas dans la politique du chiffre. En particulier, ce qu'on ne fait jamais dans la police, dresser un retour d'expériences. Cela s'explique très bien : nous avons une des rares polices au monde qui n'est pas dirigée par des policiers. Mais il y a un travail à faire là-dessus, en sollicitant plus les policiers de terrain, qui ont à la fois la connaissance et la compétence, dans la définition des stratégies policières. Cette expérience n'est qu'un exemple mais j'ai beaucoup plus appris en trois heures avec des bacqueux qu'en dix ans d'échanges avec l'école nationale supérieure de police.

Ce serait par exemple très intéressant de voir ce que les policiers proposent au sujet de la police de proximité. La police communautaire a été « exécutée » par l'étude de Kansas city qui démontre que la police communautaire n'a aucun impact sur la sécurité, elle n'a d'effet que sur la confiance du public. Elle n'est donc pas inutile, mais simplement pas faite pour ce que l'on nous vend. Il y a donc besoin d'une police de présence et s'une police d'intervention. Ce n'est pas l'une ou l'autre, elles sont complémentaires mais il faut adapter ces choix aux territoires et à des moments précis. Jusqu'à récemment, l'outil de comptabilisation des plaintes prenait en compte le lieu de dépôt des plaintes et non pas le lieu de l'infraction dénoncée. Il faut bien voir d'où on part, mais les policiers, comme les gendarmes, ont les capacités et le support administratif indispensables.

M. Jean Sol. - Vous avez évoqué le sujet des guet-apens. Les policiers sont devenus des cibles directes dans un cadre non professionnel. Je suis sensible au triptyque que vous évoquez : diagnostic, pronostic, thérapeutique. Que préconisez-vous en matière de thérapeutique ?

M. Alain Bauer. - Concernant les guets-apens dans le cadre professionnel, la solution passe par un démantèlement des structures criminelles organisées. Cela implique un changement de mentalités : les opérateurs criminels ne sont pas des victimes de notre société. Il y a une grande diversité de délinquants. 65 % ne recommenceront jamais, 30 % vont recommencer et une partie des 5 % restants sont le noyau dur. Ces derniers sont surproducteurs d'activité criminelle : 30 à 70 % de l'activité criminelle gérée par les policiers est concentrée sur moins de 5 % de la population. Recentrer l'activité contre ce noyau dur est indispensable. Il faut par exemple casser les pratiques dont on parlait tout à l'heure de contrôle d'un territoire par des petits délinquants, avec tous les outils que le code pénal offre, au besoin l'enfermement ou l'éloignement. Mais pour pérenniser cela, la réponse n'est pas exclusivement policière : le social, l'éducatif, les parents ont un rôle aussi important que les forces de police. Beaucoup des parents de criminels sont les otages, et non pas les complices, de leurs enfants. Il faut se méfier des généralisations hâtives : les causes de ce type de délits sont à rechercher du côté de la démographie et non pas de l'origine socio-culturelle ou ethnique. Ce noyau dur concerne un nombre restreint de personnes, parfaitement identifiées par ailleurs, contre lesquelles on a tout intérêt à concentrer nos efforts. Ce ne sont pas des actions « coup de poing », ce sont des actions d'enracinement pour permettre le retour de la République dans les espaces, je n'emploie volontairement pas le mot : « quartiers », d'où elle est partie. Il ne faut pas prendre les policiers pour des incultes, il faut réorienter cette énergie dont ils disposent. Trop longtemps, on n'a pas montré suffisamment les limites. Plus on attend, plus ce sera douloureux.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous sommes preneurs de toute proposition dans le prolongement de cette audition.

On a d'ores et déjà identifié plusieurs pistes : en premier lieu, ce malaise entre la hiérarchie et la base doit être atténué. La police de sécurité du quotidien apportera peut-être des réponses puisqu'elle vise une meilleure territorialisation de l'action policière, qui constitue un autre problème que l'on a identifié. L'autonomie des cadres intermédiaires est également une piste. Le transfert de certaines activités au secteur privé est également une piste sur la table.

Pensez-vous que les 7 000 postes de policiers et les 3 000 postes de gendarme supplémentaires suffiront à couvrir les besoins si l'on tient compte de l'allégement de la procédure pénale qu'on nous annonce, bien que l'on n'en connaisse pas encore les contours ? Enfin, comment résorber ce sentiment qu'ont les policiers de travailler pour rien au regard des réponses pénales parfois insuffisantes apportées par les magistrats ?

M. Alain Bauer. - Il n'y a jamais eu autant de personnes en prison, pour des durées aussi longues, condamnées pour des faits aussi graves. Le système de sanction fonctionne. Le système judiciaire punit abondamment. Notre code pénal, c'est « prison pour tous ». Comme c'est absurde, on fait le « sursis pour tous » ou des mesures alternatives. C'est lié au fait que nous sommes quasiment le dernier pays avec ce système d'inquisition. Le système inquisitoire est une honte absolue. On n'a pas voulu d'un système accusatoire, on a donc créé le « contradictoire », qui regroupe tous les défauts ! Ce n'est ni rapide, ni efficace. La prison est faite pour réinsérer, ceux qui parmi vous en visitent régulièrement savent que ce n'est pas le cas et que les conditions de détention aggravent la situation. La prison est devenue l'école de la récidive et l'école de la haine. Comme je le dis souvent, la prison n'est pas la réponse à tout, la prison n'est pas la réponse à rien. Le problème réside dans le fait que l'on met beaucoup de personnes en prison qui ne devraient pas y être, et qu'on y met pas les personnes qui devraient y être.

L'Institut pour la Justice a montré récemment que les pays où il y a le moins de prisonniers sont ceux où l'on va le plus souvent en prison pour de courtes peines, car on casse la spirale vers le stade supérieur de la délinquance. Or, en France, on ne met pas les gens en prison pour de courtes durées. On se trompe peut-être en agissant ainsi. Si notre politique, c'est la vengeance, on est très lents. Si notre politique c'est la réinsertion, on est mauvais. Si notre politique c'est la lutte contre la récidive, on peut clairement mieux faire. Il faut redonner un sens à notre politique pénale. La réforme de la procédure pénale, si c'est juste pour alléger la procédure, n'a aucun intérêt.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le gain de temps, tout de même...

M. Alain Bauer. - La procédure pénale a été inventée pour protéger de l'arbitraire et des exactions de la police, pour lutter contre les aveux extorqués qui avaient cours dans ce pays et pour lesquels la France a plusieurs fois été condamnée. On ne va pas passer cette procédure, qui garantit les libertés fondamentales, à la trappe juste pour un gain de temps. On est passé à la culture de la preuve.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous pensez que la police est réellement passée à cette politique de la preuve ?

M. Alain Bauer. - Bien sûr ! C'est entré dans les esprits. Mais c'est un processus long. Le législateur a une responsabilité énorme : il ne doit pas s'interroger sur de la comptabilité policière, mais sur l'objet même de notre procédure pénale. Aujourd'hui on fait des « patchs » : on change un aspect de procédure par ci, un aspect par là. On ne pourra pas s'affranchir d'un débat sur la cohérence d'ensemble de notre politique pénale. On ne pourra pas se contenter de copier-coller ce qui se fait ailleurs. On a importé la police communautaire du Canada, en France ça ne marche pas. La procédure pénale, c'est redonner du sens à l'action pénale.

Mercredi 14 février 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 15 h 20.

Audition du Colonel Bruno Arviset, secrétaire général, et de représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG)

M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition des représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG).

Je rappelle que le CFMG est l'instance de concertation et d'examen préalable des textes au sein de la gendarmerie nationale, homologue des conseils de la formation militaire de chaque armée. Il se réunit actuellement à raison de trois sessions ordinaires par an, pour examiner les textes figurant à l'ordre du jour du Conseil supérieur de la fonction militaire relatifs à la gendarmerie et pour aborder, sur l'initiative de l'administration ou de ses membres, des sujets propres à la gendarmerie. Cette instance traite ainsi de toutes les questions relatives à la gendarmerie, mais plus particulièrement de celles liées aux conditions de vie, à l'exercice du métier de militaire ou à l'organisation du travail. Le CFMG a été réformé en profondeur en 2016, avec notamment le passage à l'élection de ses membres.

Monsieur le secrétaire général, mesdames, messieurs les membres du CFMG, je vais d'abord vous laisser nous faire brièvement état des principales difficultés actuellement rencontrées par les gendarmes dans l'exercice de leurs missions, en insistant sur celles qui vous semblent avoir un retentissement important sur le moral des gendarmes, avant de donner la parole aux commissaires qui souhaiteraient vous poser des questions.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Arviset, Mme Samia Bakli, MM. Sébastien Baudoux, Raoul Burdet, Gérard Dhordain et Emmanuel Franchet, Mme Hélène L'Hotelier, MM. Frédéric Le Louette, Franck Potier, Grégory Rivière, Bruno Tromeur et Erick Verfaillie prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette commission d'enquête a été mise en place après la vague de suicides qui a touché la police et, dans une moindre mesure, la gendarmerie, et après la « Mobilisation des policiers en colère ».

Le malaise semble être moindre dans la gendarmerie. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons et nous apporter des précisions sur la condition sociale des gendarmes, leurs conditions de vie, les contraintes qu'ils subissent sur leur vie familiale et leurs conditions matérielles de travail ? La cohésion est apparemment plus forte chez les militaires que chez les policiers. Est-ce toujours aussi vrai qu'auparavant ? Est-ce suffisant pour compenser les difficultés ?

Nous nous sommes rendu compte qu'une partie des problèmes rencontrés par les forces de sécurité intérieure relevait de la justice : la lourdeur procédurale, qui conduit à passer plus de temps à remplir des formalités qu'à faire du travail opérationnel, et la chaîne pénale, qui donne parfois le sentiment de travailler pour pas grand-chose. Ce sentiment est-il aussi fort chez vous que chez les policiers ? Qu'est-ce qui vous pèse le plus ? Les annonces relatives à la police de sécurité du quotidien (PSQ) concernent-elles aussi la gendarmerie ?

Quel est le suivi psychosociologique des gendarmes ? Comment détecter et traiter les personnels en souffrance ?

Colonel Bruno Arviset, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire Gendarmerie (CFMG). - Vous avez devant vous douze membres représentant le CFMG, composé de 75 élus représentant les quatre corps de la gendarmerie, toutes les régions, ainsi que les formations spécialisées.

Le taux de suicide des gendarmes est moins élevé que celui des policiers. Néanmoins, si l'on y ajoute les tentatives de suicide, les chiffres sont assez proches. Nous menons une politique de prévention depuis une dizaine d'années qui semble porter ses fruits. Il ne faudrait pas que le nombre de suicides soit le thermomètre du mal-être ou du mieux-être des deux forces.

Vous avez mentionné la colère des policiers. Chez les gendarmes, la colère est identique, mais comme nous sommes des militaires, elle est moins médiatisée. Chaque force a sa spécificité : la police doit gérer des concentrations urbaines, alors que nous devons gérer du périurbain et des espaces à tenir. Chacun a ses contraintes, mais nous rencontrons les mêmes difficultés. Je veux évoquer trois points : le sous-effectif, d'active comme de réserve - au terme des cinq années à venir, nous n'aurons pas retrouvé notre effectif de 2007 -, car il a des conséquences sur les conditions de vie des gendarmes ; le budget insuffisant, qui se traduit par un nombre insuffisant de véhicules pour patrouiller, par un état variable du parc immobilier - le pire côtoie le meilleur - et par des matériels manquants ou désuets ; les missions, avec le lien entre forces de sécurité intérieure et justice et le problème de la procédure pénale.

Le chantier est immense, et les inquiétudes sont grandes. Mais nous sommes une institution militaire, unie derrière son chef dans la difficulté. Nous ne portons pas la parole de l'administration, puisque nous sommes des représentants de nos camarades ; nous portons la parole légitime des 100 000 gendarmes.

Major Emmanuel Franchet, membre du CFMG. - Je commande un peloton d'intervention de la gendarmerie à Avranches, dans la Manche.

Je veux évoquer la question des suicides et des risques psychosociaux. Le CFMG a pris à bras-le-corps cette question depuis cinq ans. Nous avons déploré 17 suicides en 2017. Nous avons un ou deux psychologues par région de gendarmerie. Une chaîne de concertation a été mise en place : chaque service ou groupement de gendarmerie dispose de concertants, élus par leurs pairs pour détecter, voire régler, les problèmes rencontrés par leurs camarades. Ce sont des « détecteurs de soucis », lesquels peuvent être relatés soit au service de santé de la gendarmerie, soit à la hiérarchie. Nous mettons l'humain en avant, et nous le protégeons.

Adjudant-chef Hélène L'Hotelier. - Je suis conseiller de concertation de troisième niveau pour la région des Pays de la Loire. Sur l'initiative du directeur général, nous avons mis en place des enquêtes dites « d'environnement professionnel » : nous nous déplaçons dans les unités de gendarmerie où ont eu lieu des suicides pour déterminer si des raisons d'ordre professionnel expliquent ces actes. Nous pouvons faire des préconisations, en lien avec le commandant, le psychologue et les médecins.

Lieutenant-colonel Sébastien Baudoux. - Je représente les officiers de gendarmerie et je commande en second le peloton de gendarmerie du Gard. La concertation fonctionne bien, car l'écoute est mutuelle : pour commander, le chef s'appuie sur ses subordonnés et sur les concertants. Il ne faudrait pas que vous pensiez qu'il y a un malaise chez les policiers parce qu'ils manifestent, et pas nous. En tant que chef, je peux vous confirmer que je suis confronté quotidiennement à ce malaise, notamment lié à la question des effectifs. Les gendarmes ne cessent de me demander quand les renforts arriveront. Normalement, le ratio devrait être d'un gendarme pour 1 000 habitants ; or, dans certaines brigades, il est d'un pour 1 300.

La réserve opérationnelle est devenue une solution. Nos réservistes sont devenus de véritables intérimaires que l'on emploie pour boucher les trous. Or, si le budget de cette réserve, qui était présentée comme la garde nationale, a été reconduit, on constate sur le terrain qu'il a, en réalité, été amputé de 20 % en 2018.

Les gendarmes réclament l'égalité et la parité. Nous sommes 102 000 gendarmes, pour 140 000 policiers. Si on enlève les personnels de statut civil non opérationnels, ce nombre tombe à 120 000. Nous avons participé à l'effort de diminution des effectifs dans le cadre de la RGPP à hauteur de 50 %, donc à même proportion que les policiers, ce qui représentait presque 6 000 emplois.

Durant le dernier quinquennat, les effectifs des deux forces ont augmenté. Nous avons obtenu 40 % de cette augmentation, ce qui nous a à peine permis de retrouver la situation que nous connaissions en 2007. La gendarmerie ne devrait recevoir que 2 500 des 10 000 créations d'emplois annoncées. Les gendarmes vivent très mal le fait de ne représenter qu'un quart de la progression des forces de sécurité intérieure, alors que cela ne correspond pas la réalité. Ils doivent protéger 50 % de la population sur 95 % du territoire, avec seulement 25 % de l'abondement des effectifs.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel est l'impact de la mise en oeuvre des normes européennes sur le temps de travail en équivalents temps plein ? Le Président de la République a annoncé que cela ne s'appliquerait pas à la gendarmerie. Cela vous a-t-il surpris ?

M. Bruno Arviset. - La directive européenne sur le temps de travail a été partiellement mise en oeuvre depuis le 1er septembre 2016, notamment en matière de repos journalier. Nous avons constaté que cela représentait une baisse de 6 % du temps de travail, soit une perte de 6 000 gendarmes.

Maréchal des logis-chef Frédéric Le Louette. - Je représente la région Bretagne. En matière de temps de travail, le système fonctionne bien : quand les besoins sont avérés, il peut être procédé à des suppressions de droits. C'est ce qui est arrivé au moment de l'ouragan Irma. Les gendarmes sont alors corvéables à merci, tant que cela est nécessaire.

Gendarme Grégory Rivière. - Je représente la région Midi-Pyrénées. Nous sommes une grande famille : on nous donne un budget, défini en loi de finances initiale, et nous le gérons au mieux. Mais, en 2017, 90 millions d'euros de crédits de paiement ont été annulés. C'est la première fois en quinze ans que nous commençons l'année en déficit. Le climat est anxiogène sur le terrain. Nous aurons moins de nouveaux véhicules, alors que nous roulons dans des voitures qui ont parfois 250 000 kilomètres au compteur. En 2013-2014, seulement 5 millions d'euros ont été consacrés à l'entretien des logements. Le parc domanial représente 5 millions de mètres carrés. Il faudrait de 200 à 300 millions d'euros pour entretenir et renouveler les logements.

Le logement est l'essence même de la vie du gendarme, qui y réside avec sa famille. Certaines gendarmeries sont heureusement remises en état par les collectivités locales. Quant à nos anciennes casernes, elles sont entièrement réhabilitées avant d'être proposées comme logements sociaux, alors même que les gendarmes y vivaient depuis des années...

Capitaine Franck Potier. - Je suis concertant dans le département de la Seine-et-Marne. Le parc domanial est en souffrance, à la différence de celui des collectivités territoriales, qui est bien entretenu. On a dû évacuer une partie de la caserne de Melun en raison d'éboulements. La gendarmerie n'a pas les moyens d'entretenir ces logements : par conséquent, elle est contrainte de louer à l'extérieur, dans le civil. La caserne de Dijon connaît les mêmes difficultés.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela concerne-t-il à la fois les logements et les locaux de service ?

M. Franck Potier. - Tout à fait ! La problématique des logements n'est pourtant pas nouvelle : elle avait déjà été évoquée lors du mouvement de protestation qui avait touché l'institution en décembre 2001.

Major Bruno Tromeur. - Je représente les gendarmes spécialisés.

Le gendarme habite dans son logement de fonction : si celui-ci n'est pas en bon état, cela peut augmenter le stress qu'il subit déjà dans son travail. Les policiers ne sont pas confrontés à ce problème.

Adjudant-chef Samia Bakli. - Je suis représentante des militaires des corps de soutien administratifs. Je veux évoquer le décret du 11 avril 2016, qui n'est toujours pas entré en vigueur. Il est pourtant la traduction d'une attente forte des personnels, qui sont également touchés par une politique de transformation et de substitution de postes.

M. Bruno Arviset. - Nous avions signé ce protocole le 11 avril 2016 avec le ministre de l'intérieur, protocole qui a été validé le lendemain par le Président de la République. Une démarche similaire a été entreprise pour la police. Les engagements de l'État ne sont pas tenus, car certaines administrations font de la résistance. À titre d'exemple, un décret devait permettre à notre corps de soutien d'être « ancré » à la catégorie B de la fonction publique à partir du 1er janvier 2018. Nous attendons toujours.

Si la situation était la même dans la police, quelques réactions syndicales auraient suffi à faire plier les administrations qui résistent.

Mme Samia Bakli. - Je rappelle que le militaire de corps de soutien apporte un soutien aux gendarmes sur le terrain. Sans cela le gendarme ne peut pas bien travailler.

Adjudant Erick Verfaillie. - Je suis conseiller concertation en Midi-Pyrénées. Vous avez fait état de la force de la gendarmerie qui, contre vents et marées, remplit toujours ses missions, malgré un budget moindre, un manque d'effectifs et un nombre insuffisant de véhicules.

Je ressens tous les jours les tensions de mes collègues, qui s'inquiètent de l'avenir de leurs retraites. Pour nous, la retraite, c'est la reconnaissance d'une vie de sacrifices. Nous devons assurer des permanences qui nous empêchent d'avoir une vie familiale et sociale normale.

Toucher à nos retraites constituerait un point de fracture. Après une vie au service des citoyens, le gendarme ne doit pas être traité comme les autres. Vous ne risquez pas de voir descendre les gendarmes dans la rue, mais sachez que 14 000 gendarmes sur 100 000 ont suffisamment d'annuités pour partir demain en retraite. Si nos retraites se dégradaient, beaucoup feraient le choix de partir. Or ce sont des gradés, qui assurent l'encadrement. Nous aurions alors une gendarmerie composée de jeunes gendarmes, ce qui n'est pas sans risques.

Adjudant Raoul Burdet. - Je représente la garde républicaine.

La condition militaire fait l'identité de la gendarmerie, avec des marqueurs favorables - prise en compte de la santé et de la sécurité au travail - et des marqueurs défavorables - éventuelle dégradation des systèmes de pension différés, comme les retraites. Néanmoins, elle est mise à mal par des effectifs insuffisants. Les escadrons de gendarmerie mobile ou la garde républicaine avaient l'habitude de travailler ensemble, en développant un système de formation continue. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à rassembler tous ces militaires autour d'un même corpus qui permettrait d'évoluer techniquement et d'assurer la cohésion.

Mme Hélène L'Hotelier. - Nous avons récemment obtenu quelques informations sur les propositions qui seraient retenues pour simplifier la procédure pénale. Ces orientations ne correspondent pas à nos attentes. Sur les 300 propositions faites par la gendarmerie au ministère de la justice, il n'en resterait qu'une trentaine.

M. Bruno Arviset. - La direction des affaires criminelles et des grâces n'en aurait effectivement retenu que trente.

Mme Hélène L'Hotelier. - Aucune mesure ne serait prise pour alléger la procédure de la garde à vue.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Parlez-vous de l'oralisation ?

M. Sébastien Baudoux. - Pour 24 heures de garde à vue, nous consacrons 10 heures à la procédure : faire signer et émarger, faire venir le médecin, faire venir un avocat dès la première heure... Au lieu de faire signer 20 fois le procès-verbal de la garde à vue, pour chaque étape - pauses, visite du médecin, etc. -, on pourrait imaginer de ne le faire signer qu'une seule fois, à la fin.

M. François Grosdidier, rapporteur. - J'espère que vous ne proposez pas la suppression de la présence de l'avocat lors de la garde à vue !

M. Erick Verfaillie. - Non, bien sûr ! Nous proposons d'alléger le formalisme de la procédure. La présence de l'avocat est entrée dans les moeurs. Il est garant des droits de la personne en garde à vue. Auparavant, nous devions protéger le gardé à vue et garantir ses droits ; dorénavant cela relève du travail de l'avocat. Nous souhaitons alléger et fluidifier la procédure. Nous aimerions ne nous occuper que du fond de l'enquête.

M. Emmanuel Franchet. - L'oralisation était une piste de travail de la gendarmerie qui n'a pas été retenue.

M. Bruno Arviset. - Il faudra s'interroger sur le formalisme de notre code de procédure pénale, dont le volume a été multiplié par huit en trente ans. Au droit français existant ont été ajoutés des pans entiers de droit européen. Un toilettage en profondeur du code est nécessaire, pour alléger la garde à vue et les différentes phases de l'enquête. Les pistes envisagées par le ministère de la justice ne permettront pas de répondre au problème de fond, qui doit être pris à bras-le-corps.

M. Franck Potier. - Dans les enquêtes judiciaires, nous passons plus de temps à respecter le formalisme qu'à travailler sur le fond !

M. Henri Leroy. - Le Sénat est tout à fait conscient de la situation de la gendarmerie. Lorsque la commission des lois, dont j'étais le rapporteur, et la commission des finances ont examiné le projet de loi de finances pour 2018, elles ont dénoncé les difficultés - matériels, véhicules, effectifs, retards de loyers - que vous avez citées.

Les policiers ont des syndicats, mais vous êtes en quelque sort les représentants « syndicaux » des gendarmes. Les améliorations qui pourraient être apportées en termes de personnels, de matériels, de casernements - sur les 56 000 logements, seuls 2 000 seront réhabilités en 2018 - permettront-elles d'éviter une nouvelle vague de suicides ?

M. Jean Sol. - Je salue le travail que vous faites au quotidien, car je suis bien conscient des moyens qui sont à votre disposition.

Sur les effectifs, combien d'agents vous manque-t-il, sur quels types de métier et sur quels grades ? Quels sont vos besoins en termes de logements ? Sur les retraites, que proposez-vous ? Le système d'informations dont vous disposez est-il performant et efficient ?

Mme Samia Ghali. - Je suis très heureuse de cet échange, qui m'a permis d'en savoir plus sur la gendarmerie. Quelle formation suivez-vous pour mener des gardes à vue ou arrêter une personne ? Pourquoi y a-t-il moins d'affrontements avec les gendarmes qu'avec les policiers ?

Mme Éliane Assassi. - Je comprends très bien votre situation, et je suis d'ailleurs la seule ici à ne pas avoir voté le budget pour 2018. Le malaise et les souffrances vécues par les forces de sécurité intérieure ont été le point de départ de notre commission d'enquête. Dans la police, il existe des structures pour accueillir les policiers en souffrance. Des structures similaires existent-elles pour la gendarmerie ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la mutualisation de certains services mise en place depuis quelques années avec la police ? Je pense aux secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI). Selon les retours que j'ai pu en avoir, les gendarmes n'ont pas toujours le sentiment de bénéficier du même traitement que les policiers au sein de ces structures.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je vous félicite pour votre sens du devoir, votre cohésion, l'abnégation dont vous faites preuve dans le cadre de vos missions, et l'esprit de solidarité qui règne entre la hiérarchie et le gendarme sur le terrain. Je m'interroge néanmoins : disposez-vous d'un encadrement psychologique suffisant ? Lorsqu'un gendarme est en difficulté, bénéficie-t-il d'un véritable suivi psychologique ?

J'aimerais également que vous nous apportiez plus de précisions sur votre formation.

M. Bruno Arviset. - Pour chaque suicide, on s'aperçoit qu'il y a, à la fois, un problème personnel et un lien avec le service. Des moyens supplémentaires n'arrêteront pas complètement ces actes, mais contribueront à améliorer le bien-être des gendarmes.

M. Grégory Rivière. - En Midi-Pyrénées, nous avons deux psychologues pour plus de 4 000 personnels. Ce n'est pas suffisant, il en faut davantage. On se serre les coudes et on se débrouille entre nous.

M. Franck Potier. - La semaine dernière, se tenait une session ordinaire du CFMG. Avec le directeur de la gendarmerie, nous avons une nouvelle fois abordé la problématique des suicides au sein de l'institution. Lutter contre la souffrance de nos camarades est une priorité.

La chaîne de concertation est bien ancrée au sein de l'institution : à tous les niveaux, les concertants peuvent être amenés à détecter les agents qui souffrent, à intervenir et à les orienter. Je précise que des enquêtes de causalité sont systématiquement faites en cas de suicide.

Mme Samia Bakli.  - En cas de détection d'un problème au sein d'une unité, le bureau de l'accompagnement du personnel met en place un groupe d'entretiens, composé des personnels de la concertation, du chef du bureau des ressources humaines, de l'assistante sociale, du médecin, du psychologue. Il faudrait beaucoup plus de psychologues : un ou deux par région ne suffisent pas.

M. Emmanuel Franchet. - Nous sommes des militaires, nous travaillons ensemble, nous vivons ensemble, nos épouses vivent ensemble, nos enfants jouent ensemble. Nous sommes en permanence ensemble. Cette solidarité militaire est une force.

La formation dure deux ans à l'École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN), douze mois dans une école de gendarmerie pour les sous-officiers. Nous sommes soumis à des règles déontologiques. La plupart des gendarmes passent l'examen d'officier de police judiciaire, ce qui nécessite une année de formation. Nous avons également une formation à l'intervention professionnelle tout au long de la carrière, ainsi qu'une formation au tir. Aujourd'hui, chaque militaire de la gendarmerie tire un certain nombre de cartouches plusieurs fois par an. Nous apprenons à intercepter une voiture, à procéder à un contrôle d'identité.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La faiblesse des effectifs a-t-elle un impact sur la formation ?

M. Emmanuel Franchet. - Naturellement, car nous travaillons à flux tendu.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les gendarmes ont-ils le temps de faire du sport, contrairement aux policiers ?

M. Bruno Arviset. - On prend le temps d'en faire !

M. Sébastien Baudoux. - La directive sur le temps de travail prévoit un temps repos de 11 heures sur 24 heures ou, si ce n'est pas possible, d'au moins 9 heures. Le coût de mise en oeuvre de cette mesure représente 5,25 % de l'effectif. Si l'on veut revenir à notre production de sécurité d'il y a deux ans, il faudrait prévoir 5 500 effectifs supplémentaires.

La proximité et le contact sont constitutifs de l'ADN du gendarme. Celui-ci n'a aujourd'hui plus le temps d'aller au contact en raison de la charge que représente ses tâches en matière de procédure pénale, d'application des directives du préfet, de police de la route, de police judiciaire, de transfèrements administratifs... La gendarmerie couvre 95 % du territoire, et nous intervenons en priorité dans les zones où la population est la plus nombreuse : nous délaissons forcément une partie de la population. Pour consacrer du temps aux acteurs sociaux et économiques, aux élus, aux patrons de société, aux clubs et associations, il faut consacrer et sanctuariser cette mission de contact, c'est-à-dire nous donner des effectifs supplémentaires.

M. Bruno Tromeur. - La vie en caserne peut engendrer du stress si les logements ne sont pas en bon état. Leur rénovation permettra aux gendarmes de se sentir mieux chez eux et de mieux travailler.

M. Raoul Burdet. - La différence avec la police ne tient pas seulement à la formation. Il s'agit aussi d'une question d'identité. Nous sommes deux maisons différentes, avec deux cultures différentes. La mutualisation n'est pas forcément une bonne idée.

M. Frédéric Le Louette. - Notre adage est « un chef, des missions, des moyens ». Avec les SGAMI, on a l'impression que ces moyens ont disparu ou ne sont plus tout à fait à la main du chef. Certains services automobiles ont été mutualisés : par exemple, les dépanneurs de poids lourds ne peuvent intervenir sur leur secteur habituel s'ils sont mobilisés ailleurs. Nous avons l'impression que ces SGAMI entraînent des retards, alors que nous devons, au contraire, être très réactifs.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le problème vient-il de la mutualisation ou de la pénurie ?

M. Frédéric Le Louette. - Dans bien des cas il vient davantage de la mutualisation que de la pénurie.

Maréchal des logis-chef Gérard Dhordain. - Je représente la gendarmerie mobile d'Île-de-France.

Lors de la dernière RGPP, la gendarmerie mobile a perdu 15 escadrons, et n'en a récupéré qu'un seul, en 2016. Le turn-over est tel que les stages prévus à Saint-Astier, notre « Mecque » du maintien de l'ordre, sont suspendus. Nous travaillons sur nos acquis, les plus anciens conseillant les plus jeunes. Mais le temps de l'instruction a bien diminué. La pratique du sport se fait sur le temps libre. Nous travaillons en flux tendu.

M. Erick Verfaillie. - Notre régime des retraites est un régime non pas spécial, mais dérogatoire. Il ne découle pas de longues luttes et de grèves, il est la reconnaissance de nos sacrifices. Nous n'avons pas le droit de grève, nous sommes soumis à un droit de réserve et, surtout, nous nous engageons à sacrifier notre vie pour des inconnus. Ce dernier sacrifice n'a pas de prix ; il doit être reconnu par la Nation.

Notre proposition concernant nos retraites est très simple : ne pas y toucher !

M. Frédéric Le Louette. - Nos vacances et nos repos sont imposés par l'administration, ce qui a des conséquences sur la structure familiale et le travail. Pour prévenir les suicides, il faut faire des efforts en matière de formation : celle de nos chefs, qui doivent mieux détecter nos camarades en souffrance par une meilleure écoute, et celle des concertants. Aucune structure ne permet actuellement d'accompagner les familles de gendarmes qui se sont suicidés.

M. Grégory Rivière. - Des gendarmes sont détachés dans les écoles pour faire de la formation : cela représente moins d'effectifs sur le terrain. Cela n'est pas admissible : il faut mieux calibrer les effectifs de la gendarmerie.

S'agissant de la PSQ, je veux souligner qu'il ne reste dans les endroits les plus isolés du territoire que les gendarmeries et les mairies. De nombreux services publics sont partis. On ne sécurise pas que les habitants des grandes villes, il faut aussi sécuriser ceux qui vivent à la campagne.

M. Bruno Arviset. - Le Président de la République avait annoncé, lors de la campagne électorale, que lorsqu'il investirait un euro dans les villes, il mettrait aussi un euro dans les campagnes. Nous l'avons entendu, et nous y avons cru. Or, s'agissant des 10 000 effectifs supplémentaires, 7 500 iront dans les villes, et 2 500 sur le reste du territoire.

M. Sébastien Baudoux. - En ce qui concerne les redéploiements de forces entre la police et la gendarmerie, il ne devrait plus y avoir de commissariat dans les zones de 20 000, voire même 30 000 ou 40 000, habitants. Le levier de bascule de forces est énorme. Il faudra beaucoup de courage pour s'attaquer à ce problème.

M. Franck Potier. - Ultime proposition, il faudrait aussi travailler sur la numérisation et la dématérialisation, notamment en ce qui concerne la procédure pénale.

M. Michel Boutant, président. - Quid du transfèrement des détenus ?

M. Bruno Arviset. - Que l'administration pénitentiaire fasse le travail pour lequel elle est payée... Nous lui avons donné les effectifs et les voitures pour le faire.

M. Michel Boutant, président. - Mesdames, messieurs les membres du CFMG, je vous remercie pour votre participation à notre commission d'enquête.

Audition de M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale

M. Michel Boutant, président. - Nous entendons à présent M. le préfet Éric Morvan, directeur général de la police nationale (DGPN), accompagné de MM. Gérard Clérissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale, Michel Vilbois, chef du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure et de Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien.

Notre commission d'enquête s'efforce, d'abord, d'établir un diagnostic objectif sur l'existence d'un mal-être au sein des forces de sécurité intérieure, ce mal-être ayant notamment pu se manifester par des expressions de colère débordant les canaux traditionnels, notamment depuis fin 2016 ; ensuite, le cas échéant, nous souhaitons comprendre les causes, matérielles ou morales, de ce phénomène, et examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède ; enfin, nous comptons proposer des pistes pour améliorer la situation.

Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je vous rappelle qu'une fausse déclaration devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

MM. Éric Morvan, Gérard Clérissi et Michel Vilbois et Mme Noémie Angel prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été créée à la suite des vagues de suicides dans la police et la gendarmerie. De tels actes ont toujours des causes multifactorielles. Notre attention a aussi été attirée par les manifestations spontanées de policiers, qui ont échappé au cadre syndical. Comment les risques psychosociaux sont-ils pris en compte dans la police ? M. Cazeneuve avait mis en oeuvre un plan d'action. Où en est-on ? Outre le risque immédiat, qui ne concerne que quelques individus, il y a un malaise général, que nous ont confirmé les syndicats policiers.

La formation initiale ne prépare guère au choc infligé par la confrontation à des situations difficiles, sans parler des contextes de guerre créés par les actes terroristes. Comment l'améliorer et la compléter par de la formation continue ? Il y a les séances de tir, dont les juges vérifient la réalité en cas de problème ; le sport ; les formations aux nouvelles technologies, indispensables dans notre société de communication...

Policier, gendarme : chaque statut a ses avantages et ses inconvénients. L'esprit militaire qui règne à la gendarmerie créée, semble-t-il, une cohésion qui réduit le malaise. À l'inverse, on dénonce dans la police un esprit de caste, où un commissaire ne considèrerait comme son égal qu'un autre commissaire - quand dans la gendarmerie, on est camarades à tous les grades. Cet esprit de lutte des classes donnerait le sentiment que la hiérarchie ne perçoit pas ce que vit la base et ne la soutient pas, en particulier lorsqu'elle est mise en cause de manière injustifiée. Ce manque de soutien est encore davantage reproché aux magistrats, qui ne poursuivent pas systématiquement l'outrage ou la rébellion.

Les conditions matérielles comportent plusieurs aspects : immobilier, parc automobile, outils informatiques... La Nation vous donne-t-elle assez de moyens ? Beaucoup remettent en cause l'indemnisation de responsabilisation et de performance (IRP), qui inciterait à une politique du chiffre. Où en est-on de l'application du protocole social PPCR d'avril 2016 ? Est-elle plus avancée que dans la gendarmerie ?

Le projet de de réforme de la procédure pénale vous paraît-il susceptible de faire gagner du temps aux policiers, qui déplorent la lourdeur des procédures judiciaires ? Ils se plaignent aussi de l'insuffisance de la réponse pénale. Quand on a le sentiment de prendre des risques pour rien, le moral ne peut qu'être affecté. La création de 7 000 ou 7 500 postes suffira-t-elle ? Quel sera l'impact sur la police de la norme européenne sur le temps de repos. Combien annulera-t-elle de créations de postes ?

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale. - Au cours des dix dernières années, la police nationale a connu de profonds changements, liés à une série de facteurs aux effets cumulatifs. D'abord, elle a subi les évolutions sociales ou sociétales, les policiers étant des citoyens à part entière, qui ressemblent à la communauté nationale et qui sont traversés par les mêmes interrogations sur leur quotidien et les mêmes difficultés que le reste de la population. Le rapport à la hiérarchie, au travail, au sens de l'État, s'est également transformé. Qu'une organisation syndicale se soit crue autorisée à ne pas déférer à votre convocation illustre assez ce changement.

La police a aussi connu des évolutions opérationnelles, liées en particulier aux actes terroristes qui ont frappé le pays depuis 2015 et à la menace toujours prégnante. La modification du contexte opérationnel résulte également de la vague migratoire qui affecte le pays depuis plusieurs années et qui a fortement sollicité les services, et pas seulement ceux de la police aux frontières (PAF). Enfin, nos moyens ont évolué, dans la mesure où les choix politiques qui ont été faits entre 2007 et 2012 ont abouti à une baisse des effectifs et des moyens qui ont eu des répercussions sur la tension opérationnelle des forces. Le point bas des effectifs a été atteint en 2014, au moment même où la charge opérationnelle augmentait fortement, non seulement en raison des conséquences directes des attentats ou de la crise migratoire, mais aussi de leurs conséquences indirectes : gardes statiques, sécurisation des événements sportifs, culturels, festifs, gestion de la période de l'état d'urgence...

Le choix d'une diminution des effectifs a été assumé, y compris par les organisations syndicales, car il a financé des avancées catégorielles substantielles. Ainsi, au travers de l'accord « corps et carrières » de 2004, de son protocole additionnel de 2008, ou encore du protocole du 11 avril 2016, les différents corps de la police nationale ont connu un exhaussement significatif de leur classement : catégorie B pour les gardiens de la paix, A-type pour les officiers et A+ pour les commissaires. Ils ont également bénéficié d'une nouvelle dynamique des déroulements de carrière et d'avancées indemnitaires favorables. L'idée était qu'il fallait moins de fonctionnaires, mais mieux rémunérés.

La Cour des Comptes indique qu'entre 2006 et 2016 « les effectifs ont diminué dans la police nationale de - 4,1 %, sans toutefois que cette réduction n'enraye la progression des dépenses de rémunération, qui augmentent de 9,1 % hors pension et de 17 % pensions comprises ». C'est dire les avancées qu'a connues la situation individuelle des fonctionnaires de police.

Ce choix avait donc une logique, parfaitement assumée. Il s'est heurté, sur une période longue, à une réalité opérationnelle plus difficile, d'autant que les efforts ont été reportés sur d'autres chapitres de dépenses, ce qui a altéré notre capacité d'investissement en matière d'équipement, de mobilité, d'immobilier ou de solutions numériques.

Certes, à compter de 2012, ces orientations ont été modifiées : les départs en retraite ont été remplacés et le principe d'une augmentation annuelle de 500 ETP a été décidé. Mais l'inertie structurelle des processus de recrutements, liée à l'organisation des concours et à la durée des formations - même si certaines d'entre elles ont été raccourcies - a prolongé les effets de la déflation jusqu'en 2014.

Par la suite, compte tenu de la menace terroriste, plusieurs plans de recrutements ont été décidés. Ils ont avant tout concerné les services spécialisés de renseignement, comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le service central du renseignement territorial (SCRT), et plus marginalement la police judiciaire (PJ), la PAF et les CRS. Ainsi, la police du quotidien, celle de la sécurité publique, celle des commissariats a connu, au cours de cette période, une tension objective. Hors SCRT, le nombre de gardiens de la paix était fin 2010 de 49 816 : c'était le point haut. En 2015, nous avons atteint un point bas avec 47 934 gardiens de la paix.

D'autres phénomènes se sont invités dans le débat. La violence n'a pas fléchi, en particulier dans certains quartiers difficiles. L'expression de la contestation sociale s'est elle-même radicalisée, dans le sens premier du terme, avec des manifestations systématiquement violentes. Une exposition médiatique débridée et volontiers accusatoire ou déformée, accrédite de plus en plus l'idée d'une police violente et détachée de ses principes déontologiques : tout le monde déteste la police. Enfin, signalons l'angoisse, légitime, des policiers qui ont subi des violences proprement inqualifiables, et des actes terroristes qui ont coûté la vie à plusieurs d'entre eux : Franck Brinsolaro, Ahmed Mérabet, Xavier Jugelé, mais aussi Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, abattus dans leur domicile de Magnanville en présence de leur enfant de quatre ans... J'évoque aussi, bien sûr, Clarissa Jean-Philippe, policière municipale de Montrouge.

C'est l'ensemble de ces éléments qui a forgé, au fil des années, ce que l'on a appelé le malaise policier et qui s'est cristallisé à la faveur d'événements particuliers. Le problème n'est pas la situation matérielle des policiers, dont les revendications ont, dans l'ensemble, été satisfaites. La malaise s'est plutôt forgé à la suite d'évènements particuliers, comme le drame de Magnanville ou la blessure extrêmement grave d'un policier à l'Ile-Saint-Denis le 5 octobre 2015, dont on ne parle plus guère alors que c'est cela qui a déclenché la manifestation de 10 000 policiers place Vendôme sous les bureaux de Mme Taubira ; l'agression de policiers quai de Valmy à Paris en mai 2016, et celle de quatre policiers à Viry-Châtillon en octobre 2016. Ces violences sont quotidiennes. Il y a celles qui sont médiatisées, comme l'affaire de Champigny à la Saint Sylvestre, mais au moment où je vous parle, un policier montpelliérain subit une opération chirurgicale au visage après s'être fait gravement agresser hier soir, en service, à l'occasion du Carnaval des Gueux.

Ce sont là les racines du malaise. Et les tensions sur les effectifs, dans un contexte de violences qui ne faiblissent pas, notamment à l'égard des forces de l'ordre, ont-elles-mêmes modifié peu à peu le métier de police de voie publique : nous avons glissé vers une police de l'intervention, de l'urgence, de la crise, du conflit en délaissant la police de terrain, de présence naturelle dans l'espace public, car nous n'en avions plus les moyens. Ce n'est bon ni pour les policiers, ni pour le rapport confiant qu'ils souhaitent entretenir avec la population.

C'est tout le pari de la police de sécurité du quotidien voulue par le Président de la République, qui n'est pas une révolution mais un retour déterminé à nos fondamentaux : une police plus disponible, plus présente, plus naturellement présente et qui fait de la satisfaction des citoyens un élément central de la mesure de l'efficacité de son action. C'est peut-être sur ce dernier élément que l'on peut parler de révolution car nous n'avons jamais développé d'indicateur ou d'outil de mesure en ce domaine pourtant essentiel.

Mais, dans cette perspective ambitieuse, tout ne se réduira pas à une augmentation des effectifs, pourtant décidée et inscrite dans la programmation budgétaire du quinquennat.

En effet, une part importante de cet effort pourrait avoir l'effet d'un verre d'eau versé sur le sable s'il n'était accompagné de mesures d'efficience pour que chaque policier supplémentaire recruté consacre bien son temps à une activité opérationnelle efficace. Il est donc nécessaire de créer les conditions de cette efficience, au-delà des efforts importants consacrés à l'immobilier ou à l'équipement. Ce sont les processus qu'il faut interroger, pour utiliser les policiers là ou leur valeur ajoutée est optimale.

À cet égard, plusieurs chantiers sont en cours. D'abord, la réforme de la procédure pénale apportera simplification, dématérialisation et forfaitisation d'un certain nombre d'infractions. Puis, nous allons abandonner des tâches que les policiers considèrent comme indues comme les gardes statiques, les extractions judiciaires, les gardes de détenus hospitalisés, les procurations électorales, les opérations mortuaires, dont la gendarmerie ne s'occupe d'ailleurs plus, et nous libérer de la nécessité de développer des conventions avec la médecine de ville pour la prise en charge des ivresse publiques et manifestes ou pour la médecine légale de proximité. Nous allégerons également des procédures internes, générées par la police elle-même - comme par toute administration. Ainsi, par exemple, du foisonnement du reporting. Nous développerons une réserve civile orientée vers un emploi opérationnel et s'ouvrant davantage à la société civile alors qu'elle est aujourd'hui essentiellement constituée d'anciens policiers... Nous accroîtrons le recours aux outils numériques et renforcerons nos partenariats avec la sécurité privée ou avec les polices municipales. Nous mutualiserons certaines fonctions support entre services de police et avec la gendarmerie nationale. Enfin, nous conduirons une réflexion très concrète sur l'organisation territoriale de la police nationale en recherchant un décloisonnement puissant des fonctions d'état-major ou des centres d'information et de commandement ainsi que des actes de pré-gestion. La police est trop organisée en tuyaux d'orgue, ce qui s'explique parfois par la spécialisation des tâches. Le décloisonnement des états-majors améliorera la coopération au niveau territorial.

La police nationale doit aussi beaucoup plus et mieux communiquer sur son action, donner d'elle une image bien plus conforme à la réalité que les propos déformés et caricaturaux que tiennent nos détracteurs, qu'ils soient extérieurs à notre institution ou, au contraire, qu'ils en fassent partie. C'est aussi un enjeu majeur et je suis de ceux qui considèrent que la communication est une mission de police à part entière, pour peu que les préfets encouragent les chefs de service à communiquer et que les parquets ne prennent pas ombrage d'une communication factuelle qui ne nuit pas au secret des enquêtes. Nous sommes sans doute l'une des seules démocraties du monde à trouver mauvais que les policiers communiquent eux-mêmes ; ce qui entraine de fâcheuses dérives, depuis la parole portée par des organisations syndicales jusqu'aux pseudos experts des plateaux de télévision.

Je souhaite conclure mon propos en abordant la douloureuse question des suicides, en tenant un langage de vérité, tant sur le phénomène lui-même que sur l'humilité que chacun doit avoir pour aborder un sujet aussi complexe, qui s'accommode mal des discussions de comptoir et des raccourcis simplificateurs. Pour cela, il faut commencer par faire un peu de statistique, même si cela peut paraître obscène sur un sujet aussi humainement sensible.

L'année 2017 aura été une année difficile, avec 50 suicides recensés. Au cours des années 2000, nous avons malheureusement connu d'autres années sombres : 54 suicides en 2000, 50 en 2005, 49 en 2008, 55 en 2014. Vous donnant ces chiffres, je ne suis pas en train de vous dire que l'année 2017 s'inscrit dans une sorte de bruit de fond statistique admis par la police nationale. J'indique simplement que ce tragique phénomène n'est pas nouveau et n'a pas connu une explosion qui caractériserait un contexte récent. Dès lors, j'ose affirmer qu'il serait intellectuellement malhonnête de rattacher ces disparitions violentes de ce que l'on a appelé récemment le malaise policier.

En poursuivant, avec une infinie prudence, sur le chemin de la statistique, les derniers chiffres - 55 suicides en 2014, 44 en 2015, 36 en 2016 - révèlent une baisse très significative de dix cas par an au moment même où les fonctionnaires de police étaient soumis à une tension forte et une sollicitation opérationnelle inédite. Tout statisticien vous dira qu'il est bien présomptueux de dégager des tendances sur des petits nombres, qui plus est sur des périodes courtes, mais il m'arrive de m'interroger sur la part que prend le sens de la mission dans la psychologie d'un policier : ce sens de la mission était évident en ces années de menaces inédites, et les policiers se sont tous incroyablement engagés.

Le fait que le nombre de suicides dans la population policière soit plus important que dans la population générale n'est pas non plus une aberration statistique : le suicide est un geste éminemment masculin et les hommes sont surreprésentés dans notre institution. En revanche, peu d'hommes et de femmes sont exposés dans leur vie quotidienne à autant de stress traumatiques que peut l'être un policier. Ce quotidien use et peut fragiliser même les plus solides. L'autre élément caractéristique qui singularise le policier est la détention d'une arme - et 60 % des policiers qui se suicident utilisent leur arme de service. C'est un problème majeur pour moi : lorsque l'idée noire survient, lorsque l'idée suicidaire finit par s'imposer, même de manière fugace, le fait de détenir une arme favorise évidemment le passage à l'acte, aux conséquences tragiquement définitives. La question de l'arme n'est pas, dans la police, un sujet consensuel, et je suis soumis à une contradiction majeure entre la volonté de permettre à tout policier de conserver son arme hors service pour protéger et se protéger, et celle de lutter efficacement contre le suicide. Lors des discussions avec les organisations syndicales, l'idée de ne pas porter son arme hors service est immédiatement balayée.

Les statistiques révèlent également que l'on se suicide un peu moins chez les CRS, un peu moins dans la police judiciaire, et beaucoup moins dans la gendarmerie nationale. Il serait sans doute nécessaire d'approfondir ce constat mais je suis intimement convaincu que la cohésion est un facteur évident. Elle dépend de nombreux éléments comme la qualité du management, à tous les étages de la hiérarchie, la convivialité, qui à certains égard a disparu de nos commissariats, le sport ou encore la capacité à déterminer les stratégies opérationnelles au plus près du terrain en associant étroitement les personnels pour qu'ils aient une parfaite conscience de leur place et de leur valeur dans les politiques publiques que nous assumons.

En ce sens, je ne trace pas une ligne étanche entre vie professionnelle et vie personnelle, même si, dans une immense proportion des cas, le facteur déclenchant du suicide est d'ordre personnel : une vie familiale déstructurée, une déception affective, des problèmes financiers, une addiction, une maladie grave... Ces éléments interviennent dans un contexte et, dans le contexte, la vie professionnelle compte énormément. Si l'on se sent bien au travail, on a bien plus de chance de résister aux mauvais coups de la vie. La qualité de vie au travail fait donc évidemment partie du sujet.

À cet égard, la question du temps de travail et des rythmes de travail est essentielle, notamment pour le travail en cycles et le travail de nuit. La police nationale a défini en 2016 des cycles horaires qui respectent la directive européenne de 2003 sur la sécurité et la santé au travail. Elle parachève actuellement cette entreprise par la mise au point d'un arrêté d'application qui sera très bientôt soumis à l'avis des comités techniques compétents. L'un d'eux devait siéger aujourd'hui, mais la réunion a été reportée car Bercy voulait relire notre texte.

J'ai toutefois souhaité que ces cycles de travail, assez différents les uns des autres, puissent être très sérieusement évalués tout au long de l'année 2018 par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), appuyée par une équipe pluridisciplinaire. Cette étude portera sur deux aspects : la capacité opérationnelle des services selon les cycles, et le bien-être des personnels, tant dans leur vie professionnelle que dans leur vie privée. Les résultats de cette étude me seront présentés début 2019 et ils seront intégralement partagés avec les organisations syndicales. Nous en tirerons alors toutes les conclusions utiles. Si la vacation forte, qui a la préférence des policiers, est généralisée, il faudra davantage d'effectifs. Pour les quelques 15 % de services qui fonctionnent ainsi, nous avons dû ajouter 500 ETP. Il faudrait donc un total de 3 000 ou 4 000 ETP - soit plus de la moitié des 7 500 postes attendus. Il serait dommage qu'un tel effort ne nous fasse pas gagner des marges opérationnelles.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien seront dans les services centraux, notamment à la DGSI ? Combien sont répartis sur le territoire ?

M. Éric Morvan. - La DGSI recrute essentiellement des contractuels. Si les postes créés ne servent qu'à faire tourner le cycle actuel, l'effet ne sera pas à la hauteur de l'effort. C'est sur ce point que nous avons des frictions avec les organisations syndicales. Je souhaite que l'étude pluridisciplinaire de l'IGPN objective le sujet.

En tous cas, le malaise actuel n'est pas lié à des revendications catégorielles. La Cour des Comptes a bien montré les efforts déjà réalisés.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les policiers parlent surtout de quête de sens et de reconnaissance.

M. Éric Morvan. - En effet.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'équipement en caméras individuelles a-t-il été généralisé ?

M. Éric Morvan. - Il a été expérimenté dans les ZSP. Nous comptons doter la police et la gendarmerie de 5 000 caméras chacune.

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est peu par rapport aux effectifs.

M. Éric Morvan. - Mais c'est significatif, car chaque policier n'a pas besoin d'avoir sa propre caméra.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien de policiers déployez-vous, en moyenne, sur le terrain ?

M. Éric Morvan. - Je ne saurais vous le dire.

M. Vincent Capo-Canellas. - Pour éviter les tuyaux d'orgue, vous prônez le décloisonnement. Qu'est-ce à dire ? Grands commissariats ? Regroupements de circonscriptions ? En Ile-de-France, certains policiers venus de province se sentent prisonniers : huit ans, c'est long. Et les élus disent qu'il est difficile de fidéliser les policiers. Que faire ? Vous n'avez guère parlé de la PAF, dont les effectifs doivent évoluer. Dans certains quartiers, les délinquants ont pour stratégie de saisir systématiquement l'IGPN afin de décourager les policiers. Comment y faire face ?

M. Éric Morvan. - Il n'est pas question de recomposer la carte territoriale. Il arrive qu'on créée de toutes pièces un bureau de police avant de s'apercevoir que l'activité est insuffisante. Les policiers sont plus efficaces sur la voie publique, munis d'outils numériques, que derrière la banque d'accueil d'un commissariat. Mais il est parfois compliqué de faire admettre cela aux maires, surtout en Ile-de-France... Le décloisonnement que je prône est organisationnel. Dans la zone Nord, par exemple, il y a la Sécurité Publique, la PJ, la PAF, la direction zonale des CRS : autant d'états-majors, de directions des ressources humaines, de salles d'information et de commandement. Déjà, la direction centrale de la Sécurité Publique a passé une convention avec celle de la PAF pour lutter de concert contre l'immigration irrégulière, et avec celle de la PJ pour que celle-ci pilote les investigations dans le cadre des analyses criminelles. Nous devons aller plus loin, et mutualiser davantage les fonctions support et les états-majors. C'est ainsi que nous dégagerons des ressources humaines et des marges opérationnelles. En 2018, nous étudierons à fond cette problématique.

M. Dominique de Legge. - Élu rural, je séjourne trois jours par semaine à Paris. Pourquoi le délai de réaction diffère-t-il tant entre la police et la gendarmerie ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur le temps de travail, et sur le temps passé sur le terrain ?

Vous avez mentionné le problème posé par la procédure judiciaire. Est-ce le seul entre les policiers et le monde judiciaire ? N'y a-t-il pas des difficultés plus profondes de compréhension ?

La réforme de l'organisation suffira-t-elle ? Le personnel y est-il prêt ? Comment l'IGPN est-elle perçue par les policiers ? Qui les défend lorsqu'elle les met en cause ?

Mme Brigitte Lherbier. - Oui, la zone de Lille est dense, mais la délinquance y est abondante. Vous dites qu'une cinquantaine de personnes se suicident chaque année dans la police. Avez-vous des statistiques sur ces drames ? Âge, lieu, entourage... Y a-t-il un dossier pour chaque suicide ? Les demandes de mutation des gardiens de la paix sont très nombreuses. Y a-t-il aussi beaucoup de demandes de reconversion professionnelle ?

M. Henri Leroy. - Les syndicats nous expliquent unanimement que le manque de moyens nous amène au bord de la rupture. Qu'en pensez-vous ? Les deux auteurs d'ouvrage Paroles de flics et Colère de flic ne disent pas autre chose. Les décisions politiques ralentiront-elles ce processus ? Les gendarmes sont, eux aussi, très préoccupés.

M. Éric Morvan. - Au bord de la rupture ? Les policiers sont toujours très engagés, mais leurs attentes sont fortes, en effet : simplification de la procédure pénale, définition des stratégies opérationnelles au plus près du terrain, organisation du temps de travail... Ils mesurent aussi les efforts que nous faisons, notamment en matière d'équipement - à cet égard, je m'efforce d'éviter tout délai de livraison. Mais qu'une affaire un peu forte survienne, cette année où doivent se tenir des élections professionnelles, et l'hypersensibilité actuelle conduira à une rapide dégradation : la coupe est pleine.

Si, par le passé, l'IGPN et l'IGS étaient des structures surtout disciplinaires, puisqu'elles peuvent être saisies par la justice, elles ont développé à présent, notamment sous l'impulsion de Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, un rôle considérable d'appui et de conseil aux services pour la maîtrise du risque et la diffusion des bonnes pratiques. Leur perception a donc considérément évolué et n'a plus rien à voir avec les boeufs-carottes de notre jeunesse. Elles ont mis en place des plateformes de signalement de discrimination pour le personnel.

Quant à la relation avec le monde judiciaire, les policiers ne veulent pas d'une justice laxiste, qui les conduit à courir sans cesse après les mêmes délinquants, auxquels elle donne un sentiment d'impunité. Tout ne se résume pas à la dématérialisation de la procédure judiciaire, donc - même si celle-ci accroître aussi la célérité de la réponse pénale, si ce n'est l'effectivité de la peine prononcée.

Qu'entendez-vous par le délai de réaction ?

M. Henri Leroy. - La réactivité.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les temps de réponse sont compris entre dix et vingt minutes...

M. Philippe Dallier. - Oui, mais la réaction est plus rapide à Paris qu'en Seine-Saint-Denis. La réactivité varie aussi avec l'heure de la journée, ou de la nuit. Difficile de généraliser...

Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien. - Nous suivons chaque cas de suicide activement et de près. L'âge moyen au moment du suicide est compris entre 40 et 49 ans, le mode opératoire principal est l'usage de l'arme de service, et les victimes sont majoritairement des hommes. Enfin, 62 % des passages à l'acte ont lieu au domicile et non sur le lieu de travail. Un rapport environnemental est systématiquement réalisé - réseau de soutien, chef de service, collègues - selon une grille unique, afin d'identifier d'éventuels facteurs récurrents et d'améliorer nos actions de prévention.

M. Gérard Clérissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale. - Les personnes concernées sont avant tout des hommes. À l'inverse, le taux de suicide des femmes policières est très inférieur à celui des femmes en général.

M. Philippe Dallier. - Avez-vous cartographié les endroits où sont commis ces suicides ? D'un territoire à un autre, les situations sont plus ou moins lourdes à porter : il y a un monde entre la Courneuve et le sixième arrondissement. Y a-t-il une corrélation entre difficulté d'exercice du métier et taux de suicide ? Le nombre de cas ne suffit peut-être pas à dégager de telles lois... Mais le sentiment d'inutilité, notamment face à une réponse pénale trop faible, doit sans doute jouer.

Mme Noémie Angel. - Oui, nous avons fait des cartes, en tenant aussi compte du taux de suicide global dans chaque département. Le suicide est toujours multifactoriel. Des zones à risque se dégagent toutefois. D'abord, celles où l'activité est intense. Des débriefings réguliers, ainsi que des formations sur la confrontation à la mort, doivent réduire l'impact des successions de traumatismes psychologiques qu'y éprouvent les policiers. Mais les suicides sont aussi plus nombreux là où l'activité est faible, notamment dans certains territoires ruraux - où le taux de suicide de la population est aussi plus élevé.

M. Philippe Dallier. - Disposez-vous d'études à l'échelon infra-départemental, ou passe-t-on alors immédiatement au cas par cas ?

M. Philippe Dominati. - Vous avez évoqué l'évolution des effectifs depuis 2006. Leur croissance a atteint 31 % depuis, quand les crédits d'équipement n'ont augmenté que de 5 %. Le personnel, qui représentait 80 % du budget, compte en 2018 pour 88,77 %. Quel est le bon ratio entre les moyens et les effectifs ? La question se pose à chaque budget. En dix ans, pour trois postes créés, nous avons supprimé une voiture de police.

M. Gérard Clérissi. - Difficile de trouver le bon ratio ! La sécurité publique est affaire avant tout de main-d'oeuvre. Les crédits d'investissement et de fonctionnement ont-ils suffisamment augmenté ? C'est surtout entre 2009 et 2014 que le ratio s'est dégradé. Ensuite, les plans de renforts ont abondé les crédits d'investissement et de fonctionnement. Hors titre II, le ratio par effectif a augmenté et atteint, à 7 897 euros en 2018, son niveau le plus élevé depuis dix ans.

M. Philippe Dominati. - C'est à peu près le même montant que l'an dernier. Il semble vous satisfaire. D'après vous, avec un peu moins de 12 % du budget consacré aux moyens, les agents peuvent remplir leur mission.

M. Gérard Clérissi. - De gros efforts d'armement et de protection ont été faits. Certes, il faudrait faire plus pour nos véhicules, mais nous sommes déjà revenus à des taux de remplacement de 2 500 par an.

M. Philippe Dominati. - Le parc vieillit-il, ou rajeunit-il ? Il vieillit, je crois.

Mme Samia Ghali. - Il vieillit !

M. Gérard Clérissi. - Le ratio hors titre II par effectif a recommencé à progresser, après un étiage en 2014, et il est désormais supérieur à ce qu'il était en 2007-2008. Le rattrapage est certain, et les plans de renfort, qui s'achevaient en 2017, ont eu des prolongements budgétaires en 2018 - ce qui est un véritable effort.

M. Philippe Dominati. - Je résume : vous considérez la dégradation du ratio entre personnel et moyens, au sein de programme « Police nationale », comme un rattrapage !

Michel Vilbois, chef du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure. - En 2014, le budget d'équipement hors informatique était de 74 millions d'euros en crédits de paiement. En 2018, ce chiffre est passé à 150,8 millions d'euros. Nous consacrons 2 000 euros par an à l'équipement de chaque policier. Le soclage des différents plans de renfort nous a permis de remplacer en trois ans 72 000 gilets pare-balle individuels, pour 120 000 fonctionnaires équipés : 60 % ont reçu un gilet neuf. Dans deux exercices, nous aurons renouvelé la totalité du stock, qui remonte à 2002.

Il est vrai que 10 % de notre parc automobile a plus de dix ans. Entre 2009 et 2011, nous achetions 1 300 véhicules par an. Entre 2012 et 2017, ce chiffre est monté à 2 400. En 2018, nous acquerrons 2 800 véhicules. Résultat : en 2017, pour la première fois, le parc a rajeuni : 5,75 années en moyenne, contre 5,80 en 2016. L'âge moyen était de 3,65 années en 2010, il a atteint son maximum en 2016, et commence enfin à décroître, même faiblement. Certes, nous avons toujours 3 400 véhicules de plus de dix ans, qu'il nous faut remplacer dans les deux prochaines années. Si la représentation parlementaire nous y aide, nous y arriverons. Déjà, 46 % de nos véhicules ont moins de 5 ans.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pouvez-vous nous fournir un état des lieux précis du parc immobilier et du parc automobile ? À partir de quelle ancienneté considérez-vous qu'un véhicule ne doit plus être en circulation ? Combien sont - et seront - dans ce cas ? Les crédits votés sont-ils à la hauteur des besoins pour un retour à la normale ? Il ne suffit pas de faire un peu mieux que quand c'était pire...

M. Michel Boutant, président. - Et, d'un point de vue qualitatif, les nouveaux véhicules sont-ils adaptés aux différentes missions de la police ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - On nous dit que ceux des BAC sont trop petits pour y charger le matériel qui leur est imposé depuis les attentats.

M. Éric Morvan. - Nous en avons tenu compte : les nouveaux véhicules sont montés en gamme.

Mme Samia Ghali. - Le problème n'est pas l'âge d'un véhicule, mais son kilométrage.

M. Éric Morvan. - Les deux font partie des critères du renouvellement, qui se déclenche dès que le véhicule atteint huit ans d'ancienneté, ou a parcouru 200 000 kilomètres.

Mme Samia Ghali. - À Marseille, le système de l'approche globale fonctionnait bien, mais il est mis à mal car on nous a retiré des effectifs, et nous n'avons plus qu'une compagnie de CRS - entièrement mobilisée sur la frontière italienne. Cette perturbation brutale d'un fonctionnement satisfaisant est regrettable. La police de sécurité du quotidien, qui vient en remplacement, me laisse perplexe. Sera-t-elle convenablement formée à l'approche globale, indispensable sur ces territoires complexes ? Sinon, c'est le citoyen lambda qui paiera pour les autres ! Les gilets pare-balle ont-ils tous été renouvelés ?

M. Michel Vilbois. - Le système est simple : le fonctionnaire s'adresse à son référent armement, et notre plateforme logistique nationale expédie un gilet de la bonne taille sous huit jours. En 2017, nous avons ainsi satisfait 20 000 demandes individuelles de renouvellement. Les fonctionnaires se sont bien approprié le système : en 2018, nous avons déjà expédié 3 000 nouveaux gilets.

M. Éric Morvan. - Je partage votre avis sur la méthode globale, qui a été expérimentée à Marseille avec de bons résultats. Elle a inspiré la police de sécurité du quotidien, qui n'est pas une affaire de doux rêveurs : l'idée est qu'il faut adapter les politiques de sécurité à la réalité de chaque territoire - et de chaque quartier, à Marseille comme à Toulouse ou ailleurs. La méthode globale nécessite une certaine régularité, mais dans les quartiers l'appui des forces mobiles est indispensable. Or ces forces mobiles ont dernièrement été affectées à de nombreuses autres missions. De plus, l'effectif des CRS a baissé de 2 000 postes et les compagnies ne comptent plus que trois sections, ce qui les rend moins manoeuvrables. Les gendarmes, eux, ont supprimé des escadrons de gendarmerie mobile (EGM). Bref, il y a une vraie tension opérationnelle sur les forces mobiles. Nous devons redéfinir la coopération entre police et gendarmerie sur ce point, et dépasser la vision territoriale, ou patrimoniale, des choses. L'unité de coordination des forces mobiles (UCFM) gère la réserve nationale des forces mobiles : elle doit avoir la main sur les CRS comme sur les EGM. Le ministre est conscient de la nécessité de faire évoluer les choses.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Outre le besoin de reconnaissance de nos policiers, la difficulté de concilier leur travail avec leur vie de famille, la nécessité de transformer le regard de nos concitoyens sur leur police, ou l'allègement de la procédure pénale, ne serait-il pas pertinent de créer une académie de police qui réunirait les trois corps ? Une école, également, réunissant les cadres, redévelopperait la cohésion et l'esprit de corps, tout en relançant l'ascenseur social. Qu'en pensez-vous ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - Convivialité insuffisante, esprit de caste et non de corps... Que pensez-vous de l'IRP et de son effet sur le management ? Faut-il rendre ses critères plus qualitatifs ? La difficulté à se loger, notamment en région parisienne, est insuffisamment prise en charge, malgré un Bureau dédié. Pourtant, elle ne peut que diminuer la qualité de l'engagement. Entre la sortie d'école et l'entrée en service actif, il faut payer la caution tout de suite, mais la revalorisation salariale n'intervient qu'après six mois. On ne voit pas non plus poindre la moindre solution au problème posé par le fait que les policiers les plus jeunes et les moins expérimentés sont affectés aux quartiers les plus difficiles.

M. Éric Morvan. - Oui, il y a là un vrai problème structurel. Si les demandes de mutation pour le Sud-Ouest ou la Bretagne affluent, personne ne demande sa mutation pour l'Ile-de-France. Du coup, pour répondre aux besoins, nous y envoyons les policiers en sortie d'école. Nous avons instauré des mécanismes de fidélisation : huit ans lorsque l'on passe le concours en Ile-de-France, cinq ans si l'on passe le concours national - dont 70 % des lauréats sont d'ailleurs affectés en Ile-de-France...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Et saisissent leur parlementaire pour ne pas avoir à y aller...

M. Éric Morvan. - C'est la France éternelle ! Certains mécanismes incitent également à rester en Ile-de-France en y rendant l'avancement plus rapide. Pour autant, une fois la période de cinq ou huit ans écoulée, les départs sont immédiats. Nous avons essayé de les limiter à mille par an : cela fut très mal vécu. Nous étudions la possibilité d'élargir les viviers de recrutement. Actuellement, on devient gardien de la paix par un concours externe, qui requiert d'être bachelier, et par un concours réservé aux adjoints de sécurité, aux gendarmes adjoints volontaires, etc. Nous n'avons pas de vrai concours interne, ouvert aux trois fonctions publiques. Si nous en ouvrions un, ouvert à tous les fonctionnaires de catégorie C ayant une ancienneté suffisante, nous attirerions, pour servir en Ile-de-France, davantage de franciliens.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Comme le président veut réduire les effectifs de chaque administration...

M. Éric Morvan. - Nous réfléchissons en effet à la création d'une académie de police, ce qui accroîtrait le brassage et la reconnaissance mutuelle entre corps de policiers. Le montage pédagogique requiert de la réflexion, et le choix d'un emplacement, des moyens ! Nous avons commencé à travailler sur l'organisation de contenus pédagogiques et de calendriers pour élaborer une période de formation commune des trois corps pendant un ou deux mois sur un socle de valeurs partagées par tout policier, quel que soit son grade, et de compétences techniques de base. Il existe déjà des formations de ce type. Nous souhaitons faire en sorte que chaque policier, en entrant dans la police, fasse ses classes pendant deux mois. Nous avons des disponibilités foncières à Nîmes, mais l'École supérieure de police est à Lyon, celle des officiers, à Cannes-Écluse...

M. Michel Boutant, président. - Merci.

Audition de M. Christian Mouhanna, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP)

M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Christian Mouhanna, chargé de recherches au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Je rappelle que le CESDIP est l'émanation du Service d'études pénales et criminologiques du ministère de la Justice (SEPC) établi en 1969. Il s'agit d'une institution dotée d'une histoire déjà longue, et qui a quatre tutelles : le CNRS, le ministère de la justice, l'université de Versailles-Saint-Quentin et l'université de Cergy-Pontoise.

Le CESDIP produit des recherches sur les phénomènes de criminalité, de délinquance et, plus largement, de déviance, ainsi que sur les institutions en charge de prévenir, contrôler, incriminer ou réprimer ces phénomènes, en premier lieu les institutions pénales.

Monsieur le directeur, notre commission d'enquête s'interroge sur l'état actuel des forces de sécurité intérieure, alors que des mouvements de contestation débordant les canaux habituels, notamment syndicaux, se manifestent depuis quelques années, particulièrement au sein de la police nationale.

Nous sommes également interpellés par les nombreux suicides de policiers ou de gendarmes qui semblent, pour partie au moins, la traduction d'un malaise au sein des forces de l'ordre.

Des travaux menés dans le cadre de votre institution permettent-ils de mieux objectiver ces phénomènes et, éventuellement, d'en déceler les causes ? Comment peuvent-ils être replacés dans le fonctionnement général de notre système pénal, qui comprend également les institutions judiciaires ?

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu qui sera publié.

Enfin, je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, monsieur Mouhanna, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Mouhanna prête serment.

M. Michel Boutant, président. - Merci.

Je passe maintenant la parole au rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le sujet est vaste, et nous sommes amenés à analyser des causes multifactorielles.

Nous avons déjà pu en identifier un certain nombre en auditionnant les syndicats, ainsi qu'un journaliste qui s'est immergé durant six mois dans différentes unités pour écrire un ouvrage intitulé « Paroles de flics ».

On est face à une police aujourd'hui en quête de sens et de reconnaissance, dont les revendications sont bien plus que des revendications salariales ou catégorielles, la condition sociale des policiers, notamment celles des jeunes que l'on envoie en début de carrière en Île-de-France, étant également problématique.

La surcharge des emplois du temps, ces dernières années, ainsi que l'éloignement, ont multiplié les problèmes de vie familiale ou d'ordre personnel, qui font partie des facteurs qui s'additionnent et qui poussent certains d'entre eux au geste extrême.

Selon vous, quelles sont les causes multifactorielles du malaise des policiers ? Quelle appréciation portez-vous sur le concept de police de sécurité du quotidien (PSQ), dont on n'est pas forcément convaincu que les moyens qui ont été annoncés suffiront - même si les directions paraissent être les bonnes ?

Nous voudrions surtout vous interroger sur un point exprimé de façon très brutale par les policiers, le divorce qu'ils vivent aujourd'hui avec une fraction de la population qui, dans certains quartiers, ne veut pas d'une présence policière qui empêche l'économie souterraine de fonctionner. Les policiers ont le sentiment que le harcèlement dont ils font l'objet au quotidien - injures, outrages, rébellion -, n'est pas mis en balance par rapport aux quelques bavures ou supposés bavures hypermédiatisées qui sont mises en avant, parfois même avant l'établissement des faits.

Il existe également un problème de relations avec la justice, avec qui le divorce est consommé. Il suffit de lire les déclarations syndicales de policiers ou de magistrats pour comprendre que ces deux mondes s'affrontent, alors que rien ne peut se construire sans symbiose. Quel est votre sentiment ?

Ces deux entités ont pourtant su se rencontrer intellectuellement au niveau de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), en surmontant bien des réticences, mais continuent à s'opposer, ce qui constitue une véritable difficulté pour le politique.

On pourra également évoquer les charges indues, la coproduction de sécurité, la montée en puissance des polices municipales. Aujourd'hui, les policiers ont le sentiment de travailler dans de mauvaises conditions, de prendre de plus en plus de risques dans une société de plus en plus violente, d'être totalement incompris par les magistrats et de travailler « pour rien » - je caricature -, la justice ne suivant pas, parce que la chaîne pénale ne fonctionne pas, les peines ne sont pas exécutées et la prison n'est pas ce qu'elle devrait être.

M. Christian Mouhanna. - Merci pour votre invitation. Il me semble toujours intéressant de confronter le point de vue du chercheur à celui des élus et des autres professionnels.

Nous sommes, au CESDIP, attachés à une sociologie opérationnelle qui nous fait aller sur le terrain observer les pratiques policières, le fonctionnement des groupes de jeunes, mais aussi des institutions judiciaires.

À titre personnel, cela fait plus de 20 ans que je travaille sur la police à travers un certain nombre d'études - que je ne détaille pas ici, mais dont je pourrai vous en envoyer la liste si cela vous intéresse - et sur le fonctionnement de ce qu'on appelle la chaîne pénale, qui va du policier jusqu'à l'exécution de la peine en milieu ouvert ou en prison.

Je vais essayer de vous donner un avis qui ne soit pas seulement attaché au milieu policier, même si celui-ci m'intéresse depuis très longtemps et me passionne même.

Le malaise, on le constate quand on va interviewer ou observer le fonctionnement des commissariats. Il est similaire dans l'institution judiciaire, et des mouvements commencent à sourdre dans d'autres institutions publiques. Il y a donc, je pense, une crise générale...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Dans la justice, est-ce seulement lié à la misère matérielle, qui est équivalente ?

M. Christian Mouhanna. - Je pense qu'il existe aussi un problème de quête de sens. Ce ne sera pas le cas à l'hôpital, où le sens est clair et où il existe une distorsion par rapport aux moyens d'y arriver.

Cette quête de sens est fondamentale, aussi bien dans la justice que dans la police, où on a une difficulté à savoir pourquoi on travaille, et quel est l'objectif. Certaines personnes ont du mal à l'établir. Je ne ferai pas de cours de sociologie, mais il me semble qu'il est nécessaire d'avoir une direction très floue au quotidien pour connaître ses tâches et ses priorités.

Nous avons assez bien identifié le divorce que l'on constate avec une partie de la population. Je pourrai vous envoyer des documents à ce sujet. On le voit à divers titres, à travers les observations dont je parlais, mais aussi à travers des sondages européens, notamment lorsqu'on compare les différentes polices européennes. Le niveau de satisfaction reste généralement toujours très élevé mais, dans d'autres pays, la satisfaction vis-à-vis de la police s'est plutôt améliorée ces dernières années, ce qui correspond à un certain nombre de stratégies qu'on pourrait rapidement qualifier de stratégies de police de proximité, ou de politique volontariste de rapprochement avec la population.

Au contraire, en France, on observe un décrochage qui, de façon relativement claire, concerne plutôt les populations habitant dans les quartiers dits « sensibles », « difficiles » ou autres, selon la classification policière.

Ceci concerne plus les personnes relevant de minorités visibles, Français ou non, davantage les individus de sexe masculin, et principalement les jeunes, qui ont tendance à vivre à l'extérieur de chez eux et à occuper les espaces publics, une partie du temps d'ailleurs tout à fait légitimement, même si cela peut occasionner une gêne due au bruit, à leur comportement ou à leur simple présence.

Ce divorce avec la population résulte de plusieurs causes. Le constat remonte à 1977 et au rapport Peyrefitte, dont une des parties est consacrée à la prise de distance entre la police et la population, ainsi qu'aux difficultés que cela entraîne déjà à l'époque. Tout un chapitre traite des rapports difficiles entre police et population. Un certain nombre de politiques ont essayé d'y remédier dans les années 1980-1990 avec la relance de l'îlotage, pour aboutir à la police de proximité de 1997, qui a posé beaucoup de problèmes dans son opérationnalisation, mais qui avait au moins le mérite de soulever clairement la question de la prise de distance entre la police et la population.

Cette politique, selon les lieux, a rencontré plus ou moins de difficultés. Elle avait selon moi un tort essentiel, celui d'avoir en partie ouvert un certain nombre de postes de police dans les quartiers, ce qui a eu pour effet d'envoyer dans des bureaux un certain nombre de policiers, même s'ils étaient délocalisés par rapport aux commissariats. On a très clairement pu établir à cette époque qu'il existait des endroits où l'opération avait rencontré un certain succès, apaisé les tensions et permis un début de retournement de la population, notamment parmi ces jeunes occupant l'espace public, qui constituent souvent un objectif du travail policier.

Les enquêtes de victimation démontrent bien que ces jeunes sont parmi ceux où se recrutent les auteurs de délits, certes, mais aussi un grand nombre de victimes. Il existe en effet des tensions entre ces jeunes gens, et l'on constate une demande d'une police « normale ».

C'est le sentiment qui a fort bien été identifié par Dominique Monjardet, célèbre sociologue de la police dans les années 1990, qui avait clairement mis en évidence le symptôme d'une police à la fois trop présente et trop absente.

La police est trop présente dans ces quartiers, souvent en masse, à l'occasion d'opérations de sécurisation de CRS, ou en cas d'appel à Police secours, pour des raisons de sécurité. À d'autres moments, il est impossible de recourir à la police : les policiers ne répondent pas, mettent longtemps à intervenir, le font très rapidement avant de se rendre sur l'intervention suivante. On a le sentiment d'être « mal servi » par cette police.

Tout cela constitue un cercle vicieux, la police ayant de plus en plus de difficultés à s'ancrer dans ces quartiers et à les connaître.

Vous avez certainement évoqué avec d'autres interlocuteurs le système de recrutement national, où les jeunes recrues se retrouvent dans les quartiers les plus difficiles alors qu'ils ont peu d'expérience. Il n'est qu'à considérer le nombre d'adjoints de sécurité (ADS), contractuels qui forment les patrouilles dans les quartiers les plus difficiles. Le policier expérimenté est plus souvent derrière un bureau que dans la rue. Les policiers sont également très vite mutés ailleurs, d'où un manque d'ancrage dans la population.

Cette méconnaissance implique souvent la peur. Dès 2001, les premières grosses manifestations de policiers évoquaient déjà ce thème, que l'on voit émerger à nouveau en 2016, dans le contexte terroriste et l'affaire de Magnanville. L'idée que le policier est vulnérable constitue un tabou qui est tombé au début des années 2000. Auparavant, on ne parlait pas de la peur. À présent, on l'exprime assez facilement - et fort légitimement d'ailleurs, car il s'agit d'un métier dangereux.

La relation avec le public est donc très dégradée. Les policiers essayent de bien faire leur travail, compte tenu de leurs contraintes, mais ne reçoivent pas d'écho d'une partie de la population, parce qu'ils ne répondent pas aux attentes de celle-ci. Il est assez intéressant de constater le décalage entre la demande publique dans certains secteurs et la réponse policière.

Je pourrai répondre à vos questions à ce sujet s'il y en a.

L'autre point sur lequel vous insistez, c'est celui des relations avec la justice. Il y a deux façons de les envisager.

En premier lieu, on peut dire que le fait de rejeter toutes les responsabilités sur l'institution judiciaire permet à la police d'éviter de se poser un certain nombre de questions sur son fonctionnement, notamment hiérarchique, qui est extrêmement lourd. Le corporatisme policier est à la fois une protection par rapport à ceux que les policiers appellent « les autres », les non-policiers, qui ne peuvent les comprendre, mais il est aussi très lourd.

J'ai travaillé il y a quelque temps sur les questions de déontologie : il est très difficile pour un policier de dénoncer le comportement d'un de ses collègues. Cela ne se fait pas.

C'est une partie du malaise sur lequel vos interlocuteurs se sont certainement peu exprimés, mais j'insiste sur la difficulté qui existe à travailler dans un univers où beaucoup de choses ne se disent pas, et où domine une certaine pesanteur hiérarchique. Même les syndicats, qui sont un atout dans le jeu des mutations pour obtenir plus rapidement un certain nombre de choses, sont très fortement dénoncés pour leurs pouvoirs. Il n'est qu'à considérer les manifestations de 2016, qui ont été totalement conduites en dehors d'eux.

L'institution fonctionne avec des règles judiciaires, une hiérarchie et un pouvoir syndical très forts, mais cette hiérarchie manque de légitimité et est extrêmement critiquée. En effet, ce que les policiers appellent la « politique du chiffre », primes de résultats à l'appui, a contribué assez fortement à casser son image. Même si ce système a tendance à devenir moins prégnant, la hiérarchie, en jouant ce jeu, a longtemps été désavouée aux yeux de policiers pour qui cette politique allait à l'encontre de leurs objectifs.

En résumé, soit on suit des directives hiérarchiques avec des ordres et des évaluations venant du sommet - plan cambriolage, etc. - soit on répond aux sollicitations des personnes du quartier.

On voit bien que les logiques ne sont pas toujours permanentes : on ne peut répondre rapidement à la demande sociale, locale, s'il faut, de l'autre côté, répondre à d'autres exigences, dont quelques-unes apparaissent totalement paradoxales : dans les unités spécialisées constituées pour répondre à certains délits, on explique au citoyen qu'on n'a pas le temps d'enregistrer sa plainte, car on travaille sur un autre dossier !

Je pense que c'est l'un des défis de la PSQ. On verra dans la pratique, après les annonces faites le 8 février dernier par M. Collomb. Toute la question est de savoir si l'institution policière va pouvoir redonner de la responsabilité aux policiers de terrain, et si ces derniers y sont prêts. C'est un double objectif qui rend toute réussite très difficile. L'institution policière va-t-elle ou non accepter de sortir de sa logique hiérarchique très pesante pour laisser un peu de subsidiarité aux acteurs locaux ?

Deuxième point : les relations avec la justice. J'observe les relations entre la police et la justice depuis les années 1990. À la fin de celles-ci, lorsqu'on interviewait des officiers de police judiciaire ou des magistrats, le maître mot était celui de « confiance ».

Tous les policiers n'avaient pas confiance dans tous les magistrats, mais certains policiers avaient confiance dans certains magistrats - parquetiers, juges d'instruction - qui faisaient eux-mêmes confiance à certains OPJ, et on voyait ainsi se constituer des équipes relativement pérennes, où la confiance était très forte.

Ce système n'existe quasiment plus actuellement. Je ne parle pas des grands services de police judiciaire, dont le mode de fonctionnement est différent, mais du secteur judiciaire courant, où la confiance a disparu. Comme vous l'avez dit, on est plutôt sur des relations de méfiance, voire de tensions quasi déclarées.

Il y a à cela plusieurs raisons. Du côté policier, cela s'explique par la course aux chiffres, qui constitue une logique propre au ministère de l'intérieur. On a demandé à la justice d'enregistrer des résultats. Sans vouloir défendre à tout prix l'institution judiciaire, je dois dire qu'un certain nombre de procès-verbaux transmis aux services judiciaires sont des PV portant la mention d'auteur inconnu, ou des PV où l'infraction est mal caractérisée. Le taux de perte est assez important. Sur 5 millions de PV, on était, il y a deux ans, à plus de 2 millions de PV où l'auteur est inconnu, soit 40 %.

Quand on est OPJ, on est dans ce double système de hiérarchie administrative et judiciaire, les officiers étant rattachés au parquet ou devant répondre aux demandes du juge d'instruction dans le cadre de la procédure pénale. Dans les faits, la carrière d'un policier dépend plus de la hiérarchie administrative que judiciaire. Il aura donc très naturellement tendance à répondre plus à l'une qu'à l'autre.

Le deuxième point important, c'est la réforme des corps et carrières, qui a débuté en 1996 et qui a connu une nouvelle étape en 2004. Auparavant, il existait deux corps dans la sécurité publique. On trouvait, dans les commissariats d'une part les agents en tenue, qui se chargeaient des patrouilles, gardaient les espaces à surveiller, etc., d'autre part les officiers de police judiciaire - inspecteurs, inspecteurs principaux. C'était là deux carrières distinctes. On entrait dans les services de sécurité publique ou dans la carrière en tenue. Cela posait éventuellement des problèmes de coopération entre les deux corps, mais surtout, lorsqu'on entrait dans la police comme OPJ, on y faisait quasiment toute sa carrière.

Dans l'espace parisien, ceci se traduisait par la présence de commissariats de quartier dotés d'officiers de police judiciaire - quatre par arrondissement - et de commissariats constitués de policiers en tenue - un par arrondissement.

On a fusionné les deux pour des tas de raisons, mais ceci a créé un effet pervers : dorénavant, le fait d'être OPJ - bien que la réforme de 1998 donne la possibilité aux gardiens de la paix de devenir officiers - n'est qu'une étape dans une carrière de policier : on peut être OPJ pendant trois ans, aller ensuite dans un service administratif, puis faire autre chose.

M. François Grosdidier, rapporteur. - À l'inverse de votre démonstration, il y a beaucoup plus d'OPJ chez les gendarmes sans qu'il y existe cette séparation.

M. Christian Mouhanna. - La gendarmerie pose des questions tout à fait différentes. Il faut séparer les deux : les logiques sont assez divergentes.

Ce qui est intéressant dans la police nationale, pour dire les choses brutalement et de façon caricaturale, c'est le fait que les officiers de police judiciaire qui effectuaient auparavant ce travail judiciaire sont devenus les encadrant des autres. On a l'ajouté des niveaux hiérarchiques supplémentaires, mais on a sorti cette spécialisation juridique qui faisait la force des OPJ.

M. François Grosdidier, rapporteur. - D'après ce qu'on a entendu, c'est aujourd'hui le cloisonnement plus que les passerelles qui posent problème.

M. Christian Mouhanna. - Oui, mais on a créé d'autres cloisonnements.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous semblez démontrer le contraire.

M. Christian Mouhanna. - Non, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une divergence. Pour donner une fonction à tous ces officiers, on a multiplié les sous-bureaux spécialisés de police judiciaire. Certains travaux le montrent fort bien.

Il s'agissait à la fois de donner un poste aux officiers - je caricature, mais pas tant que cela - et de faire en sorte que les OPJ « généralistes » arrivent à connaître la procédure dans tel ou tel domaine.

Certains travaux suivent durant dix ans l'évolution des commissariats. On y voit se créer, au sein de la police judiciaire, la brigade qui traite des vols à l'étalage, celle qui traite des cambriolages, puis celle qui traite des vols à l'étalage de jour dans les établissements, etc. Les ramifications sont de plus en plus fines, avec des services de deux à trois personnes, un chef, un adjoint et une troisième personne.

Bref, cette hyperspécialisation conduit au cloisonnement. On peut faire un parallèle avec la médecine, où l'on trouve peu de spécialistes d'une aire géographique ou d'une population précise.

La brigade des cambriolages s'occupe de cambriolages, celle travaillant sur la délinquance routière s'occupe de délinquance routière, mais il n'existe pas de policier généraliste qui ait une vision générale.

L'évolution existe également dans le domaine de la justice, notamment du fait du traitement en temps réel mis en place à partir de 1993 avec l'expérience de Bobigny, qui a demandé une dizaine d'années pour se généraliser à tous les tribunaux. Il s'agit de la mise en place par les parquets d'une sorte de centre d'appel où des substituts, généralement parmi les plus jeunes, formés à l'École de la magistrature (ENM), répondent en cinq à dix minutes maximum à des appels d'OPJ qui leur présentent oralement des affaires de façon très résumée. Ceci a eu un certain nombre d'effets, ces jeunes substituts prenant en une minute une décision d'orientation à travers les différentes filières pénales.

On est face à une déshumanisation, une industrialisation - on a également pu parler d'une forme de taylorisation -, policiers et magistrats n'ayant plus le temps de s'intéresser au fond de l'affaire ni même d'échanger entre eux.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il ne s'agit pas de jugements, mais de procédures.

M. Christian Mouhanna. - En effet. Il s'agit d'un contact entre l'OPJ et le magistrat. Très souvent, ce sont les policiers intervenant sur la voie publique qui sont à l'origine du dossier. Un premier travail judiciaire a été effectué, avec quelques tensions entre l'OPJ et ceux qui sont sur le terrain, qui sont confrontés à la réalité.

L'échange entre l'OPJ et le magistrat ne permet pas de construire une relation forte. On est dans du traitement rapide de flux d'affaires. Le taux de réponse pénale a été longtemps considéré comme très important dans les parquets. On est dans une logique industrielle où l'on ne consacre plus de temps aux contacts humains. Il faut aller vite, traiter des affaires. On s'attacher plus à la procédure qu'au fond.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous ne semblez pas percevoir les choses comme nous les avons perçues : l'essentiel du malaise provient aujourd'hui pour une grande part de ce que les policiers, syndiqués ou non, de droite ou de gauche, ont le sentiment qu'il n'y a pas de réponse pénale adaptée.

Soit elle ne vient pas soit, lorsqu'elle arrive, elle intervient trop tard et elle est parfois contre-productive, plus encore dans le domaine de la justice des mineurs, qui sont en phase de construction.

Ce que vous dites paraît en contradiction avec cet état de fait. Par ailleurs, l'aiguillage tel qu'il est réalisé n'engage pas le jugement au fond.

M. Christian Mouhanna. - On a pu démontrer que le choix par le parquet de telle ou telle orientation constitue en partie un préjugement. En comparution immédiate, le risque de condamnation à des peines de prison ferme est bien plus élevé que dans le cadre d'une procédure normale.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La procédure normale devenant anormale, la justice ne réfléchit-elle pas à la façon dont on pourrait raccourcir les durées ?

M. Christian Mouhanna. - Bien sûr, mais cela pose la question du nombre de magistrats et de greffiers. Je ne veux pas me faire le héraut des positions syndicales de magistrats ou de greffiers...

Le ratio de policiers par habitant, en France, est plutôt plus élevé que la moyenne européenne, alors que le ratio de magistrats est bien plus faible par rapport à la plupart des pays européens, voire des anciennes démocraties populaires des pays de l'est. Cela pose un certain nombre de questions.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quoi qu'il en soit, policiers et élus considèrent que, dans des secteurs très difficiles, comme celui de Samia Ghali ou le mien, ils agissent dans le vide faute de réponse pénale. J'ai 70 % de logements sociaux.

M. Christian Mouhanna. - Je voudrais malgré tout émettre une nuance. Je n'ai pas les chiffres de la justice, mais je pense que vous les obtiendrez facilement si vous les demandez. On constate une augmentation de la réponse pénale, le nombre de personnes incarcérées ayant fortement augmenté en quelques années.

La durée des peines est de plus en plus longue, à délit similaire. On incarcère des personnes pour des périodes très courtes, donc pour des délits qu'on peut considérer moins graves que d'autres : un tiers des personnes passent moins de trois mois en prison. On peut dire que la justice est trop clémente, mais on voit d'après les chiffres qu'elle est plutôt dans une voie de sévérité accrue.

Pour répondre à votre question, je pense qu'il existe du côté policier une forte méconnaissance de l'appareil judiciaire et de la réponse pénale exacte...

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est peut-être réciproque.

M. Christian Mouhanna. - On peut en effet le dire dans une large mesure.

L'une des difficultés vient du fait que la police agit dans un temps très bref en matière de petits et moyens délits, ceux-ci ne relevant pas du juge d'instruction.

Les comparutions immédiates représentent un pourcentage relativement limité des affaires. Nous avons toutes les réponses alternatives. Dans certains TGI de région parisienne, deux tiers à trois-quarts des sanctions sont prises hors audience. Cela signifie que les gens ne se rendent pas au tribunal, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne font pas l'objet de sanctions - confiscations, interdictions de fréquenter certains lieux, etc. - par exemple par le biais d'ordonnance pénale, courrier, composition pénale, etc.

Structurellement, la justice est en retard. On est dans un temps judiciaire décalé. Cela ne veut pas dire que la sanction ne peut pas être sévère.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Plus la justice est tardive, moins elle est appropriée.

M. Christian Mouhanna. - C'est une autre question. Il s'agit d'un vaste débat : il n'a jamais été démontré qu'une que justice rapide soit plus efficace.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Sans être expéditive, je le précise. Si la sanction a une vertu pédagogique, et qu'elle parvient à un jeune en construction deux ans après que les faits aient été commis, c'est trop tard.

M. Christian Mouhanna. - La menace de la sanction peut être la voie vers une rédemption ou vers des efforts. L'attente du jugement est aussi un moyen de stimuler certaines personnes.

Je pense qu'aucun travail de recherche ni aucune évaluation sérieuse n'ont été menés à propos de l'idée qu'une justice plus rapide soit plus efficace qu'une justice qui prend son temps. On parle d'une césure du procès pénal.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas qu'il existe une prise en charge, mais un jugement rapide est-il préférable à un jugement plus long ? La contrainte pénale pose énormément de questions. Je pense qu'il s'agit là d'un autre chapitre.

Pour en revenir à ce que je disais, les policiers connaissent très mal l'institution pénale et ses délais, et ont du mal à avoir des tableaux de suivi. C'est pourquoi il est important qu'un policier ait une vision claire d'un quartier lui permettant le suivi de telle ou telle personne.

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est une question qu'on n'a pas posée. Elle est très pertinente. Il n'y a pas d'échanges d'informations exhaustives et en temps réel entre police et justice.

M. Christian Mouhanna. - Pas toujours, cela existe dans certains cas.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il n'existe même pas de logiciel qui le permette. Le magistrat qui aura le contrevenant ou le délinquant présumé devant lui ne saura pas forcément si les affaires n'ont pas déjà été traitées et jugées.

M. Christian Mouhanna. - C'est tout le problème. Il existe des fichiers de police comme le TAJ (Traitement d'antécédents judiciaires), anciennement STIC, mais les rapports de la Direction générale de la police nationale (DGPN) et de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ont démontré qu'ils étaient assez largement entachés d'erreurs - ce qui est compréhensible - et incomplets. Or même les magistrats se basent sur le TAJ pour arrêter des décisions d'orientation.

Je voudrais insister sur un point afin d'aller plus loin : on a énormément de personnes suivies en milieu ouvert, bien plus qu'en milieu fermé. Dans les commissariats, on considère qu'il ne s'agit pas d'une vraie sanction, contrairement à la prison. On peut s'interroger sur cette affirmation, mais c'est un avis qui domine.

Cependant, énormément de gens suivis en milieu ouvert sont interdits de certains territoires. Or la police ne le sait même pas. Quelle légitimité peuvent alors avoir les deux institutions ?

Dans beaucoup d'endroits, lorsque le juge d'application des peines (JAP) demande à la police d'exercer un certain nombre de contraintes, celle-ci hausse les épaules et considère le JAP avec un certain dédain. Le JAP, ce n'est pas le juge répressif mais le juge social. Cela ne correspond pas du tout à la réalité, mais peu importe. La coopération est très faible.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quand les juges des libertés et de la détention (JLD) fonctionnent bien, cela peut arriver.

M. Christian Mouhanna. - Cela peut en effet arriver, mais vous parliez d'exemplarité : je vous parle d'application d'une sanction.

Mme Samia Ghali. - Est-ce vraiment le travail du policier ? À force de trop lui en demander, il finit par se noyer.

Pourquoi ne pas prévoir le port d'un bracelet électronique permettant de géolocaliser les personnes faisant l'objet d'une interdiction de territoire ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - S'il est du quartier, les policiers le connaissent.

Mme Samia Ghali. - Ils ne sont pas toujours du quartier !

M. Christian Mouhanna. - Vous rejoignez ce que j'essaye de démontrer. Ne pas respecter des obligations constitue un délit pénal.

Quel est le sens du travail policier ? Il existe des groupes de « casse-pieds », pour ne pas employer d'autres termes. Certains ne relèvent peut-être pas du pénal et nécessiteraient d'autres systèmes de gestion, mais ne pas faire respecter les condamnations ôte toute légitimité au système pénal. Or il me semble que le travail des policiers soit bien de lutter contre le noyau dur de la délinquance.

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est au JAP d'informer la police dans le cas d'espèce !

M. Christian Mouhanna. - Les commissariats de quartiers, lorsqu'ils existaient à Paris, suivaient non seulement les délinquants - et on ne disposait pourtant pas à l'époque d'ordinateurs aussi performants qu'aujourd'hui, ce qui pose question - mais aussi les « fous », etc.

Sans suivi, pas de renseignements, pas de connaissance de la délinquance !

Mme Brigitte Lherbier. - J'étais, jusqu'à il y a peu, adjointe au maire de Tourcoing, ville qui comporte une ZSP proche de la frontière belge où les taux de délinquance et de chômage sont énormes. Tout est au rouge.

On réalise des cellules de veille tous les vendredis matin avec la police nationale, la police municipale, les bailleurs sociaux, etc. Tout le monde sait ce qui se passe pratiquement rue par rue, depuis l'arrestation du délinquant, son internement, jusqu'à sa sortie de prison.

Il existe cependant des ratés : les policiers municipaux ou nationaux se font agresser à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, qu'ils soient deux ou dix. Les voitures de service reçoivent des cailloux, des cannettes, etc. On ne peut envoyer à chaque fois 50 policiers parce qu'un groupe se trouve devant tel ou tel établissement.

Certes, la réponse n'est pas adaptée à la demande, mais plus on en fait, plus les gens en réclament ! Lorsque des enfants jouent au ballon contre une porte, on reçoit immédiatement un coup de téléphone pour se plaindre du fait que la police ne fait rien. C'est systématique. Lorsque vous avez été, comme moi, adjointe à la sécurité plusieurs années durant, vous avez compris ce qu'endurent les policiers !

Vous dites que la population n'obtient pas de réponse de la police. Lorsque je faisais des réunions de quartier, le commissaire de police ne venait plus. Les habitants se plaignaient sans cesse, et cela devenait infernal.

Comme le disait François Grosdidier, il faut que la justice prenne la suite. Les JAP infligent des travaux d'intérêt général, mais il faut aussi que certaines sanctions marquent le coup !

Mme Samia Ghali. - Vos recherches ont-elles porté sur tout le territoire ? La délinquance n'est en effet pas partout la même. À Marseille, par exemple, il n'y a pas d'agressivité vis-à-vis de la police. Le problème est différent.

Pourquoi la police est-elle violemment prise à partie sur certains territoires et pas dans d'autres ? J'en ai bien une idée, mais j'aimerais connaître la vôtre.

Par ailleurs, avez-vous travaillé sur la question des « voisins vigilants » ? Cela fonctionne très bien dans les villages, où elle peut constituer un outil d'accompagnement.

Je suis quant à moi favorable à ce que l'on accorde un crédit d'impôt aux citoyens qui s'équipent de caméras de vidéosurveillance. C'est une idée que je proposerai à M. le rapporteur et à M. le président. En effet, ces équipements coûtent de l'argent, et tout le monde ne peut se les payer. Pourtant, cela limite les cambriolages.

Comme l'a fait valoir Mme Lherbier, on sollicite les policiers pour tout et n'importe quoi. Personne ne supporte plus rien. Parfois les jeunes ne font rien, mais on veut agir de façon préventive. C'est une pression de plus pour la police : lorsqu'elle fait bien son travail d'un côté, on lui dit qu'elle le fait mal de l'autre - et c'est tout aussi compliqué pour les élus.

M. Christian Mouhanna. - Toutes ces questions demanderaient chacune des développements très longs.

Cela fait 20 à 25 ans qu'il existe de nombreux de travaux de recherche sur le sujet, et l'on commence à accumuler les savoirs.

Je vous rejoins tout à fait dans ce que vous avez dit - et cela a été dit par M. Collomb jeudi dernier : la politique de sécurité doit se définir à un niveau local. On n'a en effet pas partout la même délinquance ni les mêmes types de problèmes. Ce n'est même pas à l'échelle de la municipalité. Certains travaux ont montré comment, dans une ville moyenne de 50 000 habitants, le fonctionnement de la police est complètement différent selon les quartiers.

Je ne connais pas bien Tourcoing, mais j'ai patrouillé assez longtemps à Roubaix dans les années 1990, à l'époque où les îlotiers avaient été relancés par le directeur départemental.

Il était alors possible d'effectuer des rondes à pied avec les policiers. Pourquoi ne peut-on plus le faire ? À un certain moment, on a décidé que l'îlotage constituait du « bricolage », et on l'a arrêté.

Mme Brigitte Lherbier. - Ne pensez-vous pas que la violence était alors moins importante ?

M. Christian Mouhanna. - C'est une question intéressante. Toutes les démocraties occidentales enregistrent une baisse tendancielle des violences sur le très long terme. Les homicides sont en très forte baisse depuis la fin de la guerre, ainsi que les violences aux personnes. La réponse pénale - et je pèse mes mots - est plus forte à délit égal.

Par exemple, auparavant, lorsque deux élèves en frappaient un troisième dans une cour d'école, personne ne déposait plainte ou procédait à un signalement. Aujourd'hui, c'est une incrimination avec circonstances aggravantes : les faits se sont déroulés dans un établissement scolaire, et la victime est mineure.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On a aussi un territoire bien plus différencié et contrasté.

Ce que vous dites constitue peut-être une réalité objective à l'échelle globale, mais ceux qui gèrent les zones urbaines sensibles (ZUS) ainsi que les policiers ont constaté ces dix dernières années une augmentation de la violence gratuite des jeunes. C'est le cas dans ma ville, où j'ai pourtant divisé par deux le nombre d'actes de délinquance.

M. Christian Mouhanna. - Cela fait vingt ans que j'entends cela...

M. François Grosdidier, rapporteur. - On enregistre depuis cinq ans des phénomènes de violence des filles dans les établissements scolaires.

M. Christian Mouhanna. - La violence des filles est un sujet qui revient environ tous les quatre à cinq ans, et on le considère comme un phénomène nouveau. J'étais au ministère de l'intérieur il y a quinze ans : on nous disait exactement la même chose.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce sont des enseignants qui ont vingt ou trente ans d'ancienneté qui décrivent ces phénomènes.

M. Christian Mouhanna. - Soyons clairs : je ne dis pas qu'il n'existe pas de violence de la part des mineurs, je dis que, tendanciellement, le phénomène a plutôt tendance à baisser.

Cependant, je vous rejoins sur le fait qu'on enregistre une concentration de problèmes dans certains secteurs du fait de politiques différentes - gentrification, etc.

Certaines personnes, à tort ou à raison, se sentent abandonnées par la République. Je ne dis pas qu'ils le sont, mais ils le ressentent comme tel. Ces personnes vont se raccrocher à l'école, à la police, aux représentants de l'État, et leur demander de résoudre tous les problèmes - quand ils ne s'adressent pas au maire ou à l'élu de quartier.

On peut considérer qu'il s'agit là d'un manque de maturité ou de ressources, mais comment faire pour résoudre une partie de ces problèmes ? Aujourd'hui, pour que l'on s'intéresse aux problèmes, il faut qu'il s'agisse d'une question de sécurité.

Mme Brigitte Lherbier. - C'est parce que les violences augmentent !

M. Christian Mouhanna. - Les viols augmentent, mais on sait qu'auparavant, on ne portait pas plainte...

M. François Grosdidier, rapporteur. - C'est le cas de toutes les violences intrafamiliales.

M. Christian Mouhanna. - Autrefois, une majorité de policiers étaient habitués à la violence, parce que la société était habituée à la violence.

L'ordonnance relative à l'enfance délinquante date de 1945, époque à laquelle les mineurs étaient armés.

Mme Samia Ghali. - On est donc revenu en 1945 ?

M. Christian Mouhanna. - Non, mais à la suite de la guerre d'Algérie, certaines personnes ont été confrontées à des violences.

Actuellement, les jeunes policiers viennent de villes de province relativement généralement tranquilles. La DRCPN possèdent les chiffres. Il s'agit de personnes plutôt issues des classes moyennes, qui ne sont pas confrontées à ce genre de situation. Les policiers qui pénètrent pour la première fois dans les quartiers difficiles ne sont pas habitués à la violence.

À l'époque où j'ai commencé à travailler avec les policiers, certains avaient été fondeurs. Ils avaient donc l'habitude des rapports physiques.

Les policiers ne déposaient pas forcément plainte pour outrage à l'époque, mais réglaient le problème eux-mêmes.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Parfois, ils donnaient deux claques, ce n'était pas forcément mieux !

M. Christian Mouhanna. - C'est une autre stratégie. Je vous rejoins sur ce point. Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien ou mal. De nos jours, on ne peut plus le faire, et on n'en a pas forcément envie. On n'est pas habitué à la violence, et tous les policiers ne sont pas uniquement recrutés sur des critères athlétiques. Cela fait partie du malaise

M. François Grosdidier, rapporteur. - On a une société plus contrastée, encore plus lorsque les policiers viennent de province et vivent dans un certain cocon, qu'ils n'ont jamais été confrontés à la violence et qu'ils débarquent dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui dont ils sont issus, la nation étant aujourd'hui beaucoup plus hétérogène. Ils changent de milieu et n'ont pas les codes.

Vous m'inquiétez lorsque vous dites que la réponse policière ne correspond pas à la demande sociale. J'aurais tendance à dire - et c'est d'ailleurs ce qu'on entend - que c'est la réponse pénale qui ne répond pas à la demande sociale.

En fait, même si beaucoup de nos concitoyens supportent de moins en moins leurs voisins, c'est en grande partie parce qu'on est dans un contexte de tensions permanentes. Le chahut des jeunes fait peur parce qu'on pense à autre chose. Je m'interroge lorsque je vous entends dire que la lenteur de la justice des mineurs peut avoir une vertu thérapeutique...

M. Christian Mouhanna. - Je n'ai pas dit cela : j'ai dit qu'on ne le sait pas.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je pense qu'il n'y a pas de réponse pénale adaptée, dans un délai raisonnable, à l'action policière, alors que celles-ci correspond à la demande sociale.

M. Christian Mouhanna. - Je ne suis pas d'accord avec vous. Il existe une réponse policière qui n'est pas adaptée à la demande sociale. On pourrait d'ailleurs le démontrer. Je serai ravi d'aller faire une étude dans votre secteur pour parler de choses concrètes.

La police renvoie tous ses problèmes sur la justice : cela lui évite de se poser un certain nombre de questions.

M. François Grosdidier, rapporteur. - J'ai l'impression que le fait que l'on arrête des délinquants pour des motifs graves et qu'il n'existe pas de sanctions ne vous interpelle pas.

M. Christian Mouhanna. - Non seulement cela m'interpelle, mais je suis en outre les personnes jusqu'à la prison. Je n'ai pas de problème avec la prison. Ce n'est pas une posture idéologique que je défends.

J'affirme qu'on n'a rien démontré dans un sens ni dans l'autre. On est là face à des croyances - et je pèse mes mots.

L'appareil judiciaire est totalement saturé, et même plus. Je pense que les juges, s'ils pouvaient ajouter une audience ou deux de plus, le feraient. Ils ont développé des mesures hors audience pour apporter des réponses plus rapides. Je tiens les chiffres à votre disposition, et le ministère de la justice en dispose également. Par exemple, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - le « plaider-coupable » - est en train de se développer très rapidement. La justice, sans vouloir avoir l'air de m'en faire l'avocat, a développé des réponses.

Je me tourne vers les élus : soit l'on accepte de dépénaliser certains actes et de les traiter autrement...

M. François Grosdidier, rapporteur. - On peut aussi donner à la justice les moyens suffisants pour agir.

M. Christian Mouhanna. - En effet. Ce sont des choix politiques qu'il ne m'appartient pas de trancher.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Mais il vous appartient d'identifier les problèmes et d'établir des préconisations.

M. Christian Mouhanna. - Non seulement il faut poser la question de la déjudiciarisation d'un certain nombre de problématiques, mais aussi développer en parallèle le rôle de médiateur que certains policiers pourraient tenir.

On dit que ce n'est pas leur travail. On voit développer le nombre des délégués à la cohésion police-population pour réaliser les médiations. C'était aussi le travail du gardien de la paix, dont certains tiraient d'ailleurs une certaine fierté. Lorsque vous êtes appelé la nuit pour régler un différend familial ou un différend entre voisins, vous cherchez à calmer les choses avant d'entamer une procédure judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils le font quand même !

M. Christian Mouhanna. - Certains le font encore. Tendanciellement, cela a baissé. Cela fait partie du malaise policier.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils n'ont pas le temps !

M. Christian Mouhanna. - Bien entendu. Je ne les incrimine pas. La machine s'est emballée. Il existe une demande sociale de pénalisation. Il faudrait expliquer aux gens que tout ne se pénalise pas. Cela renvoie au fonctionnement d'une justice de proximité, qui permet de résoudre des problèmes simples.

Faut-il que je porte plainte contre mon voisin pour que l'on commence à prendre en compte mes difficultés de voisinage ? Ce ne sont pas des exemples isolés...

La structuration des appels passés à Police secours depuis les quartiers sensibles démontre qu'il s'agit de différends familiaux ou de différends entre voisins. La police, dans certains cas, ne se déplace pas, faute de temps, d'énergie, et parce que les conditions de sécurité font qu'on ne se rend pas dans ces quartiers avec une seule voiture, vous l'avez fort bien dit. Il en faut trois. Le temps de les réunir, il peut se passer plein de choses.

Le temps d'intervention - et je ne dis pas que c'est la faute des policiers, c'est l'enchaînement qui m'intéresse - casse l'image de la police.

Par ailleurs, les voisins vigilants sont évidemment une bonne idée. La gendarmerie essaie de fonctionner à nouveau avec des « brigades de contact ». Nous ne les avons pas évaluées, et je ne sais pas si elles fonctionnent bien, mais il existe un mouvement dans cette direction.

Il s'agit d'une police ancrée dans son territoire, qui prend le temps de discuter avec les gens qui l'informent, même dans les quartiers les plus sensibles.

Mme Brigitte Lherbier. - Tout dépend des endroits !

M. Christian Mouhanna. - Lorsqu'un policier est dans un endroit discret, les habitants du quartier viennent lui parler. Certes, ils peuvent lui raconter des choses peu intéressantes, qui ne sont pas du ressort de la police, mais que fait-on de tout cela ?

Mme Brigitte Lherbier. - Vous placez les personnes dans des situations délicates. Le voisin vigilant qui va observer un dealer est-il apte à supporter cette tension ? Je n'ai pas voulu conserver de voisins vigilants à Tourcoing. Il y en a eu quelques-uns, mais on les a mis en danger : ils recevaient des pierres sur leurs portes, etc. On les considérait comme des espions.

Tout dépend des quartiers. Certaines s'y prêtent, d'autres non.

Mme Gisèle Jourda. - J'ai été très intéressée par votre exposé, car vous y avez fait apparaître des problématiques qui, pour les politiques, sont parfois difficiles à analyser.

De par mes fonctions, j'ai connu les différentes politiques qui ont été appliquées à nos forces de sécurité. C'est ainsi que les cartes judiciaires ont été modifiées. Dans mon département de l'Aude, nous comptions cinq tribunaux : il n'en reste plus que deux. Pour la justice de proximité et le suivi, ce n'est pas évident. On nous a expliqué qu'il fallait réduire les effectifs pour faire des économies.

Mon département disposait d'un maillage du territoire grâce à des commissariats et des gendarmeries adossés à des politiques de prévention de la délinquance. Dans une ville moyenne, on avait essayé de protéger au mieux les populations en lançant, dans les années 1980, les premiers conseils de prévention de délinquance regroupant la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les commissariats, la gendarmerie. On arrivait à avoir des instances de débat entre la commune et les forces de sécurité. Les zones de gendarmerie et de commissariat n'ont pas rempli les mêmes missions.

On a aujourd'hui abandonné la police de proximité et condamné l'îlotage. Un certain nombre de jeunes policiers de l'Aude se sont installés en Île-de-France ou sont partis à Toulouse après la fermeture des commissariats.

Dans mon département, je n'ai pas les mêmes problématiques que celles que rencontrent les collègues qui se sont exprimés, mais le citoyen français doit avoir accès à la police et à la protection judiciaire de la même façon où qu'il se trouve.

En milieu rural, on en revient à présent à des brigades de gendarmerie plus denses, mais on a vu se développer des zones liées à la production de produits stupéfiants, et la criminalité est arrivée dans des zones rurales où personne ne serait jamais allé la chercher.

Vous avez dit que les policiers avaient du mal à trouver un sens à leur action. Vous avez même parlé d'une « direction floue ». Je voulais aborder la question de la formation des personnes qui en arrivent là.

Les problématiques ne sont pas les mêmes à Marseille, Tourcoing ou Paris, mais la délinquance existe partout. On constate un divorce entre la population et ses forces de sécurité, auxquelles elle était pourtant très liée. La base se sent oubliée !

J'ai été ce cambriolée deux fois. Cela peut arriver. Je n'ai pas dit qui j'étais. La gendarmerie est venue constater le premier cambriolage. Pour le second cambriolage, qui a eu lieu un samedi soir, ils n'ont pas pu se déplacer avant le lundi, faute d'effectifs !

Les deux tribunaux de l'Aude sont complètement engorgés. On a les mêmes problématiques que celles dépeintes par Samia Ghali. On n'a plus de suivi, les jeunes sont relâchés, et la population ne comprend pas.

Les politiques ne sont aujourd'hui plus audibles. Je souhaitais connaître votre sentiment. Notre rapport doit dégager des pistes pour améliorer la situation, afin de ne pas procéder à un empilage nouveau qui n'aboutira pas, faute d'y mettre les moyens financiers.

M. Henri Leroy. - Savez-vous qu'on a enlevé aux forces de sécurité tous les moyens de suivre les délinquants ? Les fiches 23, 24 et 25, qui permettaient de les suivre tout au long de leur existence ont été supprimées. Aujourd'hui, on ne peut pister un délinquant qui passe d'une ville à l'autre, même s'il s'agit d'un pédophile ou d'un escroc.

On a totalement retiré à la police et à la gendarmerie la capacité d'agir contre la délinquance. En tant que chercheur, vous pourriez le signaler à qui de droit. C'était vraiment un outil essentiel.

M. Christian Mouhanna. - Je tiens à votre disposition d'autres éléments complémentaires si vous en avez besoin.

M. Michel Boutant, président. - Vous pourrez répondre de manière écrite.

M. Christian Mouhanna. - J'aurais voulu répondre à la question sur la vidéosurveillance - que je ne qualifie pas de vidéoprotection. Je vous ferai une réponse personnalisée un autre jour. N'y voyez aucun renoncement.

S'agissant de la formation policière, celle-ci est assez inadaptée à un certain nombre d'enjeux, notamment en matière d'analyse des situations. Les formations en matière de sécurité, d'affrontement, de tir, etc., sont totalement légitimes. On peut se poser la question de l'utilité sur le fond de certaines formations en droit public, mais ce sont les formations destinées à l'intervention dans des secteurs inconnus qui manquent le plus.

J'insiste sur le fait que la formation continue est inexistante chez les policiers. Elle fonctionne un peu mieux pour ce qui concerne la magistrature. C'est vrai également pour les commissaires de police.

On pourrait certes suivre les grands délinquants, mais mon problème est à une échelle plus modeste. Il concerne le groupe de « casse-pieds » que j'ai précédemment cité. Ses membres n'ont pas de condamnation judiciaire, et il est difficile de faire quelque chose contre eux. Des obligations judiciaires pèsent cependant contre quelques-uns. Comment le gère-t-on ?

Des tablettes tactiles vont être mises à la disposition des policiers. Je suis curieux de voir comment ils vont pouvoir être à la fois en face d'un groupe de jeune et utiliser cet outil. On verra, mais il est assez aberrant de ne pas avoir une vision policière proche.

Je pense que les policiers ont l'impression de répondre à une demande. Or ce n'est pas celle qui leur est faite. C'est de ce malentendu que naissent les problèmes. Ce n'est pas avec une loi qu'on va régler la question des halls d'immeubles. On a voté des lois inapplicables. Certains de ces jeunes squatters sont des délinquants, des trafiquants de drogue : ils nécessitent un traitement judiciaire. Je n'ai personnellement aucun problème avec cela. D'autres sont là parce qu'ils s'ennuient. Qu'en fait-on ?

Vous allez me répondre que ce n'est pas à la police de s'en occuper. Peut-être pas mais, à une époque - je vais en choquer certains - les policiers organisaient des matches de football avec les jeunes.

Mme Brigitte Lherbier. - Il y a des centres sociaux pour cela !

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a aussi des éducateurs spécialisés. On ne demande pas à la police de proximité de jouer au football avec les jeunes. En revanche, ils doivent connaître le public. Cela fonctionne souvent lorsque les patrouilles de police municipale patrouillent la nuit et, en accord avec la police nationale, effectuent cette tâche.

C'est ainsi que je règle ces problèmes, avec deux patrouilles pour 15 000 habitants, quand la police nationale en emploie trois pour 230 000 habitants. Il faut d'abord des moyens.

M. Christian Mouhanna. - Il faut analyser les problèmes. Trop souvent, les questions ne relèvent pas de la sécurité. On les identifie mal et elles se développent. Cela fait vingt ans ou trente ans qu'on entend parler des matches de football. Quand j'étais à Roubaix, on rencontrait déjà le problème de terrains de sport mal pensés qui généraient du bruit. Ce sujet, qui est celui des équipements sportifs dégradés, concerne les élus. Ce sont des questions très complexes.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela se gère avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

M. Christian Mouhanna. - Il existe cependant des endroits où ces problèmes sont encore présents.

Mme Samia Ghali. - Il y a aussi les centres sociaux.

M. Christian Mouhanna. - On ne va évidemment pas demander aux policiers de tout faire, mais à certains moments, certains ont animé des centres de loisirs pour les jeunes. Pourquoi pas ? Cela permettait aux policiers d'être au courant de certaines choses.

On évoquait le renseignement judiciaire. Dans certains commissariats, les policiers n'ont plus le temps de faire d'enquête. Ils ont peur de renter dans les quartiers, et il n'existe plus de police de proximité pour leur transmettre des informations, plus de voisins vigilants. Les procédures sont donc bâclées. Certains policiers qui passent leur temps à apposer des tampons de vaines recherches sur les dossiers.

Mme Samia Ghali. - Cela ne protège pas ceux qui fournissent les informations.

M. Christian Mouhanna. - Il n'y a pas que cela. Il manque une certaine présence. Je ne citerai pas de noms ici pour préserver l'anonymat.

M. François Grosdidier, rapporteur. - On les connaît, mais les bureaux sont pleins de dossiers et les policiers ne sortent plus.

M. Christian Mouhanna. - Nous sommes d'accord. On est dans l'hyper-pénalisation.

Je n'insiste pas sur l'alourdissement de la procédure pénale, les représentants des policiers ayant déjà dû vous en parler, mais je suis conscient qu'il existe des papiers qui ne protègent pas les citoyens et qui peuvent être très lourds. Peut-être y a-t-il un tri à faire dans ce domaine. Des réflexions sont en cours.

On ne résoudra pas la question du malaise des policiers si on ne met pas la demande du citoyen au coeur du problème. Je n'ai pas le temps de vous citer les exemples étrangers qui fonctionnent dans des villes extrêmement violentes. Même aux États-Unis, on a réussi à faire baisser les tensions. On n'arrivera jamais à zéro délinquance mais, quand les policiers se rendent dans un quartier sans avoir la peur au ventre, c'est déjà une victoire.

Le problème, c'est que l'on a rompu avec cette pratique. Certaines personnes de 30 ans disent que, lorsqu'elles avaient 15 ans, les policiers jouaient au football avec elles. Les jeunes pouvaient discuter avec eux et leur expliquer que tel ou tel groupe leur faisait peur.

On a parfois l'impression qu'il faut contrôler les jeunes à tout prix...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Certains jeunes ne veulent pas de policiers dans leurs quartiers, parce qu'ils les dérangent.

M. Christian Mouhanna. - Tout le monde ne profite pas de la délinquance qui règne dans certains secteurs. Comment faire adhérer les gens à ce discours, alors mêmes que la police est discréditée ? La seule chose qui mette les délinquants d'accord, c'est la lutte contre la police.

Il me semble qu'une stratégie policière intelligente serait de s'appuyer les uns sur les autres. Les consommateurs de stupéfiants, qui ont un rapport extrêmement complexe avec leurs dealers, sont prêts à les dénoncer.

Mme Brigitte Lherbier. - Ce n'est pas si simple. Quand un enfant gagne 80 euros par après-midi, la famille est bien contente.

M. Christian Mouhanna. - Bien sûr, mais il existe une concurrence féroce pour accéder à ce marché. Je suis obligé de dire les choses rapidement, mais je suis prêt à prolonger le débat...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous imaginez que des magistrats puissent aller en stage dans la police et inversement ?

M. Christian Mouhanna. - Les magistrats qui sont à l'ENM font un stage dans la police. Beaucoup ont de la sympathie pour le travail des policiers, ce qui ne veut pas dire qu'ils comprennent exactement ce qu'ils font. À l'inverse, peu de policiers ont conscience du travail de magistrat. Les magistrats du parquet ont cependant besoin de la police, dont ils sont dépendants.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a plus de confiance.

Mme Brigitte Lherbier. - Cela se passe bien avec le parquet !

M. Christian Mouhanna. - De moins en moins ! Le parquet a beau inventer de plus en plus de voies pour traiter les affaires rapidement, il n'arrive pas à répondre à tout.

Mme Brigitte Lherbier. - Ils ont la même logique.

M. Christian Mouhanna. - Oui, mais cela ne se passe pas si bien que cela par rapport à il y a 20 ans. Quand cela se dégrade de partout, c'est que les stratégies ne sont plus adéquates.

En cas de problème grave, on sait mobiliser les forces de police. Ne serait-il pas nécessaire d'avoir une force de police qui se mobilise pour de petits problèmes ? On n'apporte pas de réponse à un différend familial ou à un problème de voisinage, et certaines personnes sont en danger. Comment gérer les relations compliquées au sein des couples, où certains peuvent se sentir menacés, à tort ou à raison ?

Si on ne règle pas tous ces problèmes, on continuera à connaître un malaise chez les policiers, qui déposeront une demande de mutation loin du terrain. La plupart des vieux policiers ne sont pas sur le terrain, mais dans des bureaux. Je les comprends. Je n'aurais pas envie de me faire cracher dessus, insulter, ni menacer en permanence. Il faut changer de stratégie. C'est possible. C'était le cas il y a quinze ans, et cela existe dans d'autres pays, qui ont choisi des stratégies différentes de celles de la France. Comme par hasard, les policiers s'y sentent mieux. Il est intéressant de se poser la question.

J'ai assisté à des réunions entre des policiers des belges et français. Les Belges demandaient aux Français comment ils pouvaient gérer les choses sans interlocuteurs.

Mme Brigitte Lherbier. - En Belgique, ils tirent « dans le tas » !

M. Christian Mouhanna. - Ils ont cependant développé certaines stratégies. On n'a pas non plus le temps de parler ici des dérapages de la police française.

J'ai été obligé d'être rapide sur certains points, voire caricatural, mais je tiens à votre disposition tous documents ou précisions qui vous sembleraient nécessaires.

M. Michel Boutant, président. - Merci. Nous avons pu constater votre enthousiasme sur la question.

La réunion est close à 19 h 50.

Jeudi 15 février 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 16 h 20.

Audition de syndicats de policiers municipaux

M. Michel Boutant, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux en étudiant la question des polices municipales, avec l'audition des syndicats représentatifs de la fonction publique territoriale.

Messieurs, la commission d'enquête s'efforce de comprendre le mal-être des membres des forces de sécurité intérieure, qui les a conduits, à partir de 2016, à des mouvements de colère et de protestation très forts, lesquels ont débordé des canaux d'expression habituels, en particulier les syndicats.

Parmi les facteurs à l'origine de cette situation, on cite souvent un manque de moyens matériels, un contact permanent avec la violence et la mort, une difficulté à concilier travail et vie de famille ou encore l'impression d'un manque de considération, que ce soit de la part de la hiérarchie ou de la population et des médias.

Les problèmes rencontrés par les policiers municipaux ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux que doivent affronter les membres des autres forces de sécurité. Nous aimerions donc que vous nous précisiez vos spécificités dans ce domaine, en insistant notamment sur les difficultés que vous pouvez rencontrer au quotidien dans vos relations avec les autres acteurs de la sécurité publique ou privée, en particulier la police et la gendarmerie nationales.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Léveillé, Patrick Lefèvre, Pascal Kessler, Pascal Aiguesparses, Fabien Golfier, Manuel Herrero, Pascal Ratel, Yves Manier, Serge Haure et Hervé Jacq prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avons décidé de créer cette commission d'enquête après la vague de suicides qui a touché les policiers et, dans une moindre mesure, les gendarmes, et après l'expression d'un mouvement de colère qui a dépassé le champ syndical. Les problèmes soulevés n'étaient pas seulement corporatistes et matériels, même si les questions de ce dernier ordre sont prégnantes chez les policiers nationaux et les gendarmes hébergés dans le parc domanial.

Nous investiguons pour dresser un état des lieux et faire des préconisations, qui pourront inspirer les travaux du Parlement.

Il nous a semblé nécessaire d'étendre notre travail aux polices municipales, car une partie du malaise des forces nationales de sécurité peut avoir des causes communes avec les problèmes que vous rencontrez : manque de reconnaissance, quête de sens, liens avec la justice. Nous tâcherons d'esquisser des propositions destinées, d'une part, à faciliter votre travail et lui donner davantage de sens et, d'autre part, à alléger les forces de l'ordre nationales d'une partie de leur travail. Par exemple, si vous aviez une qualification judiciaire plus élevée, vous pourriez accomplir des tâches de procédure.

Je vous invite à évoquer les problèmes que vous rencontrez, qui peuvent être similaires ou différents de ceux des forces nationales, vos conditions sociales et matérielles et vos rapports avec la justice et les médias.

M. Pascal Ratel, chef de service, élu à la Commission consultative des polices municipales (CCPM), membre directeur du collectif national CGT pour la police municipale. - Le mal-être des policiers municipaux tient surtout à un manque de reconnaissance, qui se traduit en termes de statut, de rémunération et de moyens matériels et juridiques, ainsi qu'à un manque de confiance de nos partenaires - gendarmerie et police nationales - avec lesquels nous assurons, au quotidien, la sécurité des Français. Si des conventions de coordination ont été mises en oeuvre, elles ne sont pas toujours effectives sur le terrain.

M. Christophe Léveillé, secrétaire national Police municipale FO. - Nous avons boycotté le rendez-vous que nous avait fixé Gérard Collomb la semaine dernière.

Les policiers municipaux attendent une reconnaissance statutaire. Le volet social n'avance pas depuis trente-cinq ans. Leurs missions ont changé, notamment dans les très grandes collectivités. Nos collègues attendent une reconnaissance qui doit se traduire par une revalorisation de la prime de fonction, l'intégration de cette prime dans le calcul des pensions et le maintien de notre catégorie active dans l'intégralité de la filière police.

Deux groupes de travail devaient voir le jour, dont l'un sur le volet social.

M. Fabien Golfier, secrétaire national en charge de la police municipale au sein de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale (FA-FPT), membre de la commission consultative de la police municipale au titre de la FA-FPT. - Nous sommes deux policiers municipaux de catégorie C représentant aujourd'hui la FA-FPT, mais nous avons mené une réflexion commune avec les représentants des catégories A et B.

La police municipale est la version moderne de celle qui a vu le jour après la Révolution et qui s'est professionnalisée avec la loi du 15 avril 1999. Nous souhaitons vous faire part des difficultés rencontrées par les policiers municipaux, qu'ils exercent dans les agglomérations ou en milieu rural. Je précise que la police municipale englobe nos collègues gardes champêtres, deuxième cadre d'emploi de sécurité de la fonction publique territoriale.

S'il y a une forte identité chez les policiers municipaux, il existe également de grandes disparités. L'identité s'est forgée au travers d'un uniforme commun, de véhicules avec des sérigraphies identiques, de cursus de formation identiques, d'un code de déontologie propre au cadre d'emploi, etc. Néanmoins, elle est mise à mal par les conséquences de la libre administration des collectivités territoriales. Il n'est pas dans mon intention de faire le procès de ce principe au Sénat, mais je relève qu'il pose des difficultés. De notre point de vue, le meilleur échelon en matière de sécurité publique est l'échelon local.

Les disparités s'expriment de différentes façons. Il faut évoquer les moyens mis à la disposition des agents pour assurer leur sécurité et celle des citoyens dont ils ont la responsabilité. La FA-FPT défend depuis bien trop longtemps le bien-fondé d'armer l'ensemble des policiers municipaux. Il ne s'agit pas là d'un caprice : il faut faire preuve de bon sens, et il dépend des maires employeurs.

Notre professionnalisation n'a pas été sans effet sur l'implication des policiers municipaux dans l'exercice des missions de sécurité publique locale. Il n'est plus possible d'exposer des agents en se donnant bonne conscience grâce à la dotation d'un simple gilet pare-balles subventionné par l'État. Il ne doit plus être possible de créer une police municipale qui ne serait pas dotée d'armes létales. Les décès en service par balles que nous avons eus dans nos rangs depuis 1999 et avant l'ont certes été dans des circonstances différentes, mais si la police municipale n'avait pas été armée à Villiers-sur-Marne, ce sont deux morts que nous aurions déplorés ce jour-là. Un était déjà de trop.

Il existe des services de police municipale importants et très structurés, mais 96 % d'entre eux comptent moins de 9 agents, et 38 % un seul agent, soit 1 316 services sur les 3 457 qui ont été comptabilisés au dernier recensement du ministère de l'intérieur. Il ne doit plus être possible de laisser exercer un agent isolé sur la voie publique sans aucune possibilité de renfort immédiat. Cet isolement pèse sur ces agents qui se voient pourtant confier des missions de sécurisation, une situation inimaginable pour les polices d'État.

On peut recenser un certain nombre de thèmes qui soulèvent des difficultés chez les policiers municipaux : les revendications sociales et les disparités de traitement entre les services, l'iniquité avec les polices d'État, l'absence de doctrine, le recrutement et la professionnalisation, la formation, l'exercice du métier, le suivi psychologique et le débriefing au sein des services, les suicides - au nombre de six ces dernières années -, les problèmes de management et les difficultés managériales, la politique du chiffre, l'image du policier et les relations avec la justice.

Nous vous proposerons des pistes de réflexion.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Disposez-vous d'études nationales sur les risques psychosociaux et les suicides ?

M. Fabien Golfier. - Nous n'avons pas de recensement officiel. Il n'existe même pas de fichier de recensement du nombre exact de policiers municipaux !

En matière de suicides, nous ne comptabilisons que ceux qui sont portés à notre connaissance ou dont la presse s'est fait l'écho. Or celle-ci ne parlera pas, par exemple, d'un policier municipal qui se suiciderait à son domicile.

M. Serge Haure, chargé de mission à la CFDT forces de sécurité publique et civile. - Les policiers sont attachés aux valeurs de la République. Pourtant, on constate un décalage entre cette réalité et la perception qu'ont nos concitoyens et les élus de la police municipale. Nous devons renverser cette perception en favorisant la proximité avec les usagers. Pour cela, les policiers doivent exercer leur activité sans avoir à se soucier de leur quotidien.

Notre fédération, deuxième organisation syndicale représentative dans la fonction publique territoriale, promeut une approche équilibrée et coordonnée, fondée sur le triptyque : prévention, sanctions, cohésion sociale.

Il est impératif de fluidifier les relations entre les forces de sécurité nationales et municipales en créant des synergies. Cette démarche partenariale doit être conduite par l'État : la politique de sécurité doit être adaptée à la spécificité des territoires.

La pacification de l'espace public est un élément important : les policiers municipaux doivent « récupérer » certains secteurs, occupés par des bandes ou des gangs. Il faut aussi casser les trafics pour retrouver une cohésion sociale.

En termes d'objectifs, les politiques partenariales doivent être développées. Le positionnement du maire et le rôle de ses policiers municipaux doivent être renforcés. Il ne faut pas déconnecter la prise de décision publique des agents chargés de la faire respecter. Aujourd'hui, les décisions tombent, et les forces de sécurité doivent les appliquer : le dialogue ne s'instaure pas.

En ce qui concerne la méthode, une stratégie opérationnelle visant à une meilleure complémentarité entre les forces de sécurité nationales et municipales doit être pilotée et évaluée par l'État. La réponse apportée aux citoyens doit être améliorée : l'appel au 17 n'est plus adapté. La création de centres opérationnels gérés par la police municipale et des représentants de l'État devrait être envisagée.

Aujourd'hui, nous ne disposons pas de mesures statistiques permettant de quantifier le fonctionnement des polices municipales. L'évaluation n'est donc pas possible, et nous ne sommes pas capables de dire qui fait quoi.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La police nationale souffre, quant à elle, d'être évaluée sur des critères trop quantitatifs et pas assez qualitatifs.

M. Serge Haure. - Pour améliorer les conditions de travail de nos collègues, il faudrait forfaitiser certains délits et confier de nouvelles attributions aux policiers municipaux en matière judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La police nationale commence à comprendre qu'une telle mesure lui permettrait d'alléger les tâches procédurales qui lui sont confiées.

M. Serge Haure. - Les syndicats ne bloquent pas la mise en oeuvre de ces mesures, mais l'inertie de Beauvau n'aide pas...

La protection des personnels contre les menaces est un sujet important. Envoyer des policiers municipaux dans des secteurs connus pour être hostiles à l'autorité constitue une forme de mise en danger.

Une réforme de la procédure pénale est évoquée. Les agents spécialisés de la police technique et scientifique (ASPTS) font aujourd'hui des prélèvements, alors qu'ils ne sont pas des agents de police judiciaire. On pourrait donc inclure les policiers municipaux, comme ces derniers, si l'on repensait le système.

L'État encourage le développement des services de police municipale, mais cette évolution doit s'accompagner de la mise en place d'une structure de contrôle et d'audit de ces services. Nous pouvons potentiellement être contrôlés par l'Inspection générale de l'administration, mais elle travaille de manière globale et non ciblée, et l'Inspection générale de la police nationale, dans le cadre d'événements particuliers. Il faut aller au-delà.

Dans certaines préfectures sont déployés des bureaux chargés de coordonner les manifestations sportives ou récréatives, l'agrément et le contrôle des agents de police municipale, et la mise en oeuvre du suivi de conventions de coordination avec la police et la gendarmerie nationales. Nous aimerions la généralisation de cette mesure à toutes les préfectures.

Nous souhaiterions aussi une harmonisation effective des procédures de prise en charge des interpellés par les agents de police municipale.

Enfin, il faudrait des moyens juridiques adaptés à la résolution des infractions de la vie quotidienne. Nous sommes favorables à des centres de supervision urbains communs aux trois forces de sécurité.

Une harmonisation des équipements de protection individuelle - gilet pare-balles, lame, casque, armement, etc. - doit être mise en oeuvre, afin de rationaliser les coûts et d'améliorer la visibilité des effectifs déployés sur le terrain.

L'accès direct au fichier d'identification des véhicules (FIV), au système national des permis de conduire (SNPC) et au fichier des personnes recherchées doit en outre être mis en oeuvre.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La loi a été votée il y a deux ans. Le ministre Bernard Cazeneuve avait promis que cette mesure serait mise en oeuvre pour le 31 décembre 2016.

M. Serge Haure. - Une direction du ministère de l'intérieur a ralenti la manoeuvre...

M. Fabien Golfier. - Le projet est devant le Conseil d'État depuis une quinzaine de jours.

M. Serge Haure. - Nous espérons que la situation va se débloquer, car cela fait très longtemps que nous attendons. Nous avons obtenu une promesse politique, et Bernard Cazeneuve souhaitait ardemment que cette mesure soit mise en oeuvre, mais les blocages sont venus d'ailleurs.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les policiers municipaux devraient avoir directement accès à ces fichiers, d'autant que la traçabilité permet de s'assurer qu'il n'y aura pas d'abus.

M. Serge Haure. - Les nouvelles missions confiées aux policiers municipaux doivent se traduire en termes de rémunération, car ils exposent potentiellement leur vie. L'État fait preuve de bienveillance envers les sapeurs-pompiers. On aimerait qu'il en aille de même pour nous.

L'indemnité spéciale de fonctions allouée aux policiers municipaux devrait être soumise à une surcotisation et être prise en compte dans le calcul des droits à pension. Les policiers municipaux travaillent de nuit, entre 22 heures et 5 heures du matin, ou le week-end et les jours fériés, et connaissent des horaires décalés. Ces emplois du temps atypiques ont des effets délétères sur la santé.

M. Manuel Herrero, membre de la commission consultative des polices municipales, Secrétaire général adjoint UNSA territoriaux région Auvergne-Rhône-Alpes. - Je suis chef de service d'une police municipale de 10 agents. Je suis sans poste fixe, puisque mon poste de police a entièrement brûlé il y a une semaine, après une attaque au cocktail Molotov. Le maire de la commune dans laquelle je travaille a déjà subi une attaque il y a dix-huit mois : son véhicule a été brûlé. Le policier municipal est soumis aux mêmes dangers que nos collègues gendarmes et policiers nationaux.

M. Michel Boutant, président. - Sentez-vous un sentiment de défiance vis-à-vis de votre autorité de la part de certaines franges de la population ?

M. Manuel Herrero. - Certainement. Quand la violence augmente, nous avons besoin de l'appui de la police nationale ou de la gendarmerie. Après le redécoupage territorial entre les deux forces, mon commissariat de support, à Valence, se trouve à vingt-cinq minutes de Portes-lès-Valence. En heure de pointe, il leur faut quarante minutes pour venir nous prêter assistance. Le poste de police nationale de ma ville comprend deux fonctionnaires non armés, sans véhicule, qui ne font que de la procédure.

Les polices municipales ont dû remplir des missions qui n'étaient pas les leurs il y a encore quelques années. J'ai été gendarme, et je peux vous assurer que c'est le grand écart entre les deux métiers ! En quinze ans, j'ai vu les missions des policiers municipaux rattraper à grandes enjambées celles des policiers nationaux et des gendarmes. Mais nous n'avons pas les mêmes moyens et prérogatives. Nous avons une qualification d'agent de police judiciaire adjoint (APJA), qui n'est pas adaptée à nos missions actuelles. Nous avons toujours un sentiment d'inachevé... Nous sommes soumis au bon vouloir des forces d'État, qui ne peuvent pas toujours assurer la continuité des procédures que nous lançons. D'autant que nous n'avons pas d'accès direct aux fichiers et que notre armement est très limité. Nous avons des armes à feu de poing de calibre 9 mm ou de munitions de type « .38 spécial », et rien d'autre.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous avez obtenu récemment les armes de calibre 9 mm.

M. Manuel Herrero. - Tant mieux.

On verra ce qui va se passer avec les gardes champêtres, sans statut spécial, la souche mère des polices en France, qui est en train de s'éteindre : il en reste 800. Lorsque vous arrivez de la gendarmerie ou de la police nationales et que vous voyez ce qui se passe dans la fonction publique territoriale, chez les gardes champêtres ou les policiers municipaux, vous vous demandez où vous êtes.

Depuis la mise en place de la Commission consultative des polices municipales (CCPM), les choses évoluent à grands pas. La loi du 15 avril 1999 a été le point de départ de la revalorisation des prérogatives pour des policiers municipaux.

Je souligne que les procédures ne sont pas suivies d'effets. Le découpage est, selon nous, une catastrophe. Nous sommes à la fois la pierre angulaire d'une politique de sécurité menée par les maires, des travailleurs sociaux dans la rue et l'épaule sur laquelle viennent pleurer les habitants. Nos collègues policiers nationaux se sont vu attribuer d'autres missions, notamment celle d'agent de police judiciaire, et ne remplissent plus les missions de police de proximité. Le policier municipal remplace aujourd'hui le policier national dans la rue et peut même être le gendarme. Il souffre d'un mal-être au travail, car se pose aussi un problème en termes de rémunération. Après quinze ans dans la fonction publique, l'un de mes collègues aura une retraite de 460 euros.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Sans entrer dans le détail, pourriez-vous nous transmettre une note sur ce point ? Les policiers municipaux peuvent effectivement être défavorisés pour ce qui concerne la retraite.

M. Manuel Herrero. - Tout à fait.

Les gendarmes bénéficient notamment d'une annuité tous les cinq ans. Pourquoi une telle démesure - j'ose le mot - avec nous ? Les policiers municipaux ne sont pas payés à la hauteur des tâches qu'ils remplissent aujourd'hui. Quelque 35 000 personnes travaillent pour la police municipale ou avec elle : 22 000 policiers municipaux environ, dont 6 500 agents de surveillance de la voie publique (ASVP), 1 200 gardes champêtres, des assistants temporaires de police municipale (ATPM), des adjoints administratifs assurent le secrétariat, sans oublier les personnels des 400 centres de supervision urbains (CSU). L'État peut-il se passer de 35 000 soldats de la République ? Je ne le sais pas.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette fonction comprend très peu d'agents de catégorie A et B.

M. Manuel Herrero. - En effet.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La fonction publique territoriale souffre effectivement d'une sous-reconnaissance de l'encadrement.

M. Manuel Herrero. - Tout à fait.

Les catégories B existent depuis 2000 et le cadre d'emploi de directeur, contrairement à tous les autres cadres A de la fonction publique territoriale, ne comprend pas trois grades. Nous espérons que cette disparité sera très vite gommée.

M. Yves Manier, Brigadier-chef principal, membre directeur du collectif national CGT des policiers municipaux. - Nous sommes entièrement d'accord avec tout ce qui a été dit.

Concernant les matériels de protection et de sécurité, il ne faut pas perdre de vue que les policiers municipaux sont bien souvent les primo-intervenants. Il faut absolument que nous ayons les mêmes moyens de protection que nos collègues de la police nationale. Nous surveillons les établissements publics, les lieux de culte. Il est donc nécessaire que l'État prenne ces missions en considération.

Dès lors qu'un fonctionnaire territorial est en bleu, c'est un policier municipal. Tous les policiers municipaux doivent être armés. Nous avons aussi besoin d'une doctrine d'emploi. J'ai l'impression que nous sommes les parents pauvres de la sécurité intérieure : une fois fonctionnaire territorial, une fois policier municipal. En cas de drame, nous sommes la troisième force de sécurité, mais, quand il s'agit de légiférer ou de présenter un texte réglementaire, on parle des polices municipales. Un décret doit harmoniser la sérigraphie des véhicules. Nous avons un code de déontologie. Il faut non pas des polices municipales, mais une police municipale.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le Sénat a fait mentionner la police municipale pour la première fois dans le code de la sécurité intérieure. C'était une première.

M. Yves Manier. - Lorsque j'ai eu l'occasion de vous rencontrer, j'ai constaté avec plaisir que certains d'entre vous nous comprennent ! Mais ce n'est pas la majorité.

Dans ma commune d'Antibes, les policiers municipaux devaient se désarmer pendant leur service - mettre leur arme en sécurité avec un verrou de pontet, transporter séparément les munitions - pour aller s'entraîner au tir, conformément à un décret, alors qu'ils sont en tenue et circulent à bord d'une voiture sérigraphiée. Cette note éditée par le président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) - une autorité plus importante que le maire et le préfet du département, d'après ce que j'ai appris ! - est aberrante. Il faut mettre fin à cette situation.

De même, quand nous allons suivre des formations au CNFPT, nous sommes en tenue, contrairement aux sapeurs-pompiers ou aux cuisiniers ! Pour la sécurité des fonctionnaires de police, il conviendrait de nous autoriser à être en civil. Si l'on tient à ce que les policiers municipaux soient en tenue, créez des écoles !

Voilà des points à améliorer. Je pense aussi au fichier. Pour soulager nos collègues de la police nationale, mettons-le très vite en place.

Enfin, il serait souhaitable que tous les fonctionnaires puissent accéder à la catégorie B et que le diplôme exigé pour le concours soit le baccalauréat.

M. Fabien Golfier. - Je précise que le décret n° 2016-1616 permet aux policiers municipaux de partir en formation de tir en tenue, armés de leur arme de service approvisionnée, les munitions destinées à l'entraînement transportées séparément. Rien ne nous interdit d'aller à un entraînement en civil. À la suite d'une demande que nous avions formulée, le ministre Cazeneuve avait débloqué cette situation aberrante, qui mettait en danger nos collègues.

Mme Samia Ghali. - Le salaire d'un policier municipal de Marseille par exemple est-il le même que celui d'un policier de Toulouse ? Existe-t-il une harmonisation des salaires ? C'est une véritable question. Même si les salaires à Paris et à Marseille sont différents, les agents de la police nationale ont le même statut. Qu'en est-il pour les policiers municipaux à statut égal, avec la même ancienneté ?

Aujourd'hui, les missions de la police municipale ont évolué. Preuve en est, tous les maires veulent armer leur police. Certaines mairies ont même créé leur police municipale. Il y a un vrai engouement pour la police municipale, qui fait le travail avant la police nationale. Celle-ci ne s'occupe plus ou quasiment plus de toutes les questions liées aux problèmes de voisinage, de stationnement, etc. Mais les policiers municipaux armés constituent des cibles, de la même manière que les policiers nationaux. Qui plus est, vos uniformes ressemblent de plus en plus à ceux des policiers nationaux, voire sont similaires.

J'aborderai la question de la vidéosurveillance. En cas de cambriolage, d'incendie de voiture, les vidéos ne sont pas systématiquement regardées. À Marseille, les agents municipaux ne les envoient pas systématiquement à la police nationale.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela se fait sur réquisition judiciaire. C'est la loi.

Quand le système est huilé entre l'officier de police judiciaire, la police nationale, le parquet, cela se fait systématiquement. Dans ma commune, cela se fait tous les jours. L'autorité administrative municipale n'a pas le droit d'intervenir sans réquisition, ce qui est d'ailleurs très protecteur pour les libertés individuelles.

Mme Samia Ghali. - Mais ce n'est pas protecteur pour les personnes agressées.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Dès lors qu'elles portent plainte, c'est possible.

M. Christophe Léveillé. - Ce n'est pas systématique.

Mme Samia Ghali. - Même en cas de dépôt de plainte ; je l'ai vu. De ce fait, des Marseillais nous disent que la vidéosurveillance ne sert à rien. De quelle façon la police municipale et la police nationale peuvent-elles coopérer ? On a deux polices, mais celles-ci se parlent parfois peu, voire pas du tout.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises le besoin de tendre vers une harmonisation des pratiques et une démarche globalisée, pour ne pas dépendre systématiquement du préfet.

Élue d'Indre-et-Loire, permettez-moi d'évoquer les territoires ruraux. La police municipale conventionne avec les villes principales, mais, avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, les périmètres de nos EPCI ont évolué. Aujourd'hui, les policiers municipaux se retrouvent en très grandes difficultés, car ils sont confrontés à des réalités auxquelles ils n'étaient pas du tout préparés.

Avant de prendre d'autres dispositions, ne pensez-vous pas qu'il faudrait renforcer la formation et développer les liens avec la police nationale ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire si la formation dispensée par le CNFPT vous convient ou si elle est perfectible ? Ou opteriez-vous plutôt pour une formation assurée par les services du ministère de l'intérieur ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Pour avoir travaillé de nombreuses années avec la gendarmerie et la police nationales, je comprends fort bien le souhait de partir à certaines réunions en civil, pour votre sécurité et pour celle de ceux qui vous accompagnent.

La commune de Villeurbanne n'a pas été très enthousiaste à l'idée de créer une police municipale. Nous l'avons fait en raison des carences de la police nationale et fortement encouragés par l'État. Je le reconnais, la police municipale est véritablement une police de proximité et elle sera vraisemblablement demain une police du quotidien.

Vos missions ont fortement évolué. Lorsque nous nous sommes interrogés en tant qu'élus sur la question de vous armer, il était évident qu'il fallait faire en sorte que vous ne vous retrouviez pas mis en danger.

La façon dont une commune vous recrute est-elle toujours adaptée ? Ne faut-il pas revoir la formation initiale ? De mon point de vue, elle est inexistante.

M. Patrick Lefèvre, Secrétaire national Police municipale FO. - Concernant les salaires, comme pour tous les fonctionnaires territoriaux, le traitement indiciaire de base est identique pour tous les fonctionnaires municipaux et s'y ajoutent des primes et diverses indemnités, qui sont à la discrétion du maire, ce que nous déplorons vivement.

Mme Samia Ghali. - Ce n'est pas normal.

M. Patrick Lefèvre. - Les textes n'imposent pas aux maires d'attribuer une prime de fonction, ni même le pourcentage de celle-ci, qui peut varier de 0 à 20 %. Imaginez la différence de salaire, d'autant que le coefficient de l'indemnité d'administration et de technicité, elle aussi fixée par le maire, va de 0 à 8 %, soit quasiment une différence de traitement de 30 %. D'autres petites indemnités peuvent encore s'ajouter. Les disparités peuvent donc être énormes.

L'uniforme est réglementé. Nous avons tout fait pour avoir un uniforme distinct de celui de la police nationale. Voilà quelques années, nous avions adopté la casquette à visière ; un an après, la police nationale en a fait de même. Ce fut la même chose pour le pull. Pour le citoyen, peu importe qu'il s'agisse d'un policier national, municipal ou d'un gendarme, il veut qu'un agent vienne à son secours. Mais, je ne vous le cache pas, il peut y avoir confusion dans l'esprit du public. Et que dire si les agents de surveillance de la voie publique ont aussi un uniforme similaire, au grand dam d'ailleurs des organisations syndicales ? Nous sommes pour une réelle différenciation des uniformes de manière à ne pas confondre les polices et ne pas mettre les collègues en danger. Mais - je pèse mes mots -, je crois que de nombreux maires entretiennent la confusion parce que c'est pratique d'avoir du bleu dans le décor, comme on dit, voire de demander à ces agents d'assurer des missions relevant des policiers municipaux.

M. François Grosdidier, rapporteur. - M. Vaillant avait voulu habiller les policiers en vert. Mais tous les syndicats ont été vent debout, car le bleu est la couleur de l'autorité. On ne peut pas vouloir à la fois incarner l'autorité et avoir un uniforme distinct.

M. Patrick Lefèvre. - Les uniformes sont réglementés par décret ; il ne devrait donc pas y avoir de problème sur ce point.

M. Christophe Léveillé. - Il en est de même pour la sérigraphie des véhicules.

M. Patrick Lefèvre. - En effet. Cela vaut aussi pour les cartes de fonction.

Concernant la vidéosurveillance, je ne ferai que confirmer les propos de M. Grosdidier : la transmission des images vidéo ne peut être faite que sur réquisition. Un maire qui voudrait apporter son aide dans une enquête se mettrait en infraction avec la loi s'il transmettait lui-même d'autorité les images vidéo à l'officier de police judiciaire. Il revient à ce dernier de demander l'extraction et la transmission de la vidéo. Comme l'a rappelé M. Grosdidier, c'est aussi une garantie pour les libertés individuelles.

La formation au CNFPT est assurée en grande partie par des policiers municipaux. J'ai participé à l'élaboration du référentiel de formation. Il y a une trentaine d'années, de nombreux formateurs étaient des policiers et des gendarmes parce que nous n'avions pas la culture nécessaire pour faire les formations. Mais aujourd'hui nombre de policiers municipaux transmettent leur savoir aux stagiaires. Siégeant au Conseil national d'orientation du CNFPT, je peux vous dire que cinq points de formation en France regrouperont la formation de tous les policiers municipaux par région. On va tendre vers un système comparable à celui des écoles, même s'il ne s'agira pas d'écoles de police municipale.

Si le lieu de formation est sécurisé et que les mesures d'hygiène élémentaires sont respectées, avec des vestiaires, je ne suis personnellement pas opposé au fait que les stagiaires suivent leur formation en uniforme, au contraire. Le formateur peut réellement voir la réaction du stagiaire si celui-ci se met vraiment dans la peau du policier en uniforme. Le psychologue, qui assiste régulièrement aux séances de formation, peut ainsi détecter un comportement inadapté. L'autorité s'acquiert aussi avec l'uniforme.

J'ajoute que Force ouvrière ne veut absolument pas remplacer la formation du CNFPT par une formation délivrée par la police nationale.

M. Fabien Golfier. - Je regrette que nous n'ayons pas le temps de développer toutes les problématiques soulevées, qui ne relèvent pas de revendications purement syndicales. Mais nous vous transmettrons des notes par écrit.

Je reviendrai sur les différences de salaire. D'une collectivité à une autre, le traitement des agents est effectivement différent. Sans vouloir être cynique, à grade égal, on n'enlève pas la vie pour le même prix à Villiers-sur-Marne, à Montrouge ou à Cavalaire-sur-Mer. On ne peut nier cette réalité. Le policier municipal prend tous les jours des risques, mais pas pour le même prix.

Concernant la vidéosurveillance, en parallèle avec l'extraction des enregistrements, des conventions de déport ont été passées : l'image est diffusée en direct sur les postes de la police nationale ou de la gendarmerie, avec un traitement par les deux services. Un mouvement de coopération est en train de se mettre en place entre les différentes forces de police en présence.

Les formations ont considérablement évolué dans le temps et sont parfaitement adaptées à la police municipale. La police nationale n'est pas capable d'assurer ces formations parc qu'elle travaille dans une autre sphère. Pour ce qui nous concerne, nous sommes vraiment en relation avec le territoire. Toutes nos missions sont dictées par ce territoire. Il importe de conserver cette culture territoriale. Quand je vois l'état des structures de formation de la police nationale et les difficultés qu'ils ont à avoir des plateaux techniques spécifiques, je ne suis pas certain qu'ils pourront nous être d'un grand soutien.

Enfin, le bleu représente l'autorité publique, et nous sommes dépositaires de l'autorité publique. C'est ainsi que doivent nous voir nos concitoyens.

M. Hervé Jacq, Brigadier-Chef principal sur la commune de La Ferté-Alais. - La CFDT a une vision globale concernant la sécurité. La formation du CNFPT est de qualité, pour toutes les raisons exposées.

Toutefois, il convient de procéder à une mutualisation des moyens pour que les agents de la gendarmerie, de la police nationale et de la police municipale apprennent à travailler ensemble. Les économies ainsi réalisées pourraient être consacrées à d'autres fins. Nous sommes favorables à la création d'académies de sécurité publique, comme cela existe en Espagne.

Il pourrait être intéressant que vous receviez M. Deluga, président du CNFPT, pour qu'il vous explique plus précisément le contenu de notre formation.

M. Pascal Ratel. - Je suis policier municipal depuis 1985 ; j'ai vu l'évolution. À mon arrivée, une milice avait été créée dans ma commune tant les problèmes étaient nombreux. Cette commune de 5 000 habitants est en zone de sécurité prioritaire, avec sept agents et 96 caméras de vidéoprotection, dont 72 sur la voie publique.

Ce ne sont pas les missions qui ont changé, les pouvoirs de police du maire n'ayant pas été modifiés depuis des années, mais la police municipale reprend l'activité qu'elle n'aurait dû d'ailleurs jamais quitter. De plus en plus, les maires prennent leurs responsabilités et nous sommes complémentaires dans la lutte contre la délinquance.

Je suis intervenant au CNFPT dans divers domaines, notamment la police rurale et l'environnement. Deux petites communes rurales, l'une de 300 habitants et l'autre de quelque 250 habitants, se sont adjointes à la commune. Ce fut un choc pour les agents de devoir traiter d'autres problématiques : régler des problèmes sur des chemins ruraux, des problèmes de voisinage.

La formation peut toujours être améliorée. Il conviendrait peut-être de revoir le référentiel au regard des nouvelles missions assignées. La police du littoral figure dans le socle de formation, alors que tous les policiers municipaux n'exercent pas en bord de mer.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a des plans d'eau intérieurs.

M. Pascal Ratel. - Il pourrait être intéressant de prévoir un socle commun avec la police nationale ou la gendarmerie nationale pour avoir des réflexes communs concernant les interventions sur la voie publique.

D'ailleurs, nous devons faire des stages d'observation chez nos partenaires, la police ou la gendarmerie nationales. Nous sommes immergés dans leurs services pendant une semaine, et il sera souhaitable qu'ils viennent aussi dans nos services.

M. Michel Boutant, président. -  Vous êtes bien admis ?

M. Pascal Ratel. - Oui, cela se passe très bien en général.

M. Michel Boutant, président. - Ces stages se font sur tout le territoire ?

M. Pascal Ratel. - Je n'ai pas d'informations à ce sujet.

M. Patrick Lefèvre. - C'est obligatoire.

M. Manuel Herrero. - C'est un stage de formation de quatre semaines.

M. Dominique de Legge. - Je vous prie de m'excuser, car je vais devoir partir, mais je lirai votre réponse dans le compte rendu de nos travaux.

Pouvez-vous nous préciser quelles sont vos missions nouvelles ? S'agit-il de missions concertées, prévisibles, ou sont-elles nouvelles par défaut, en raison des carences des moyens de la police ou de la gendarmerie nationales ?

Les annonces quant à la police du quotidien vont-elles changer beaucoup de choses pour vous ?

M. Serge Haure. - Permettez-moi de répondre à Mme Raimond-Pavero.

Dans les grandes villes, les services de police municipale sont très structurés. On n'y travaille pas de la même façon que dans les territoires ruraux où les problématiques sont différentes.

En termes d'efficacité et de sécurité pour les agents, le fait d'avoir un ou deux policiers municipaux dans une commune peut poser problème. Par le biais des EPCI, les communes ont la possibilité de mutualiser un certain nombre de moyens.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Une mutualisation par convention.

M. Serge Haure. - Il est possible de mettre à disposition des effectifs. Aujourd'hui, tout le monde parle d'économies. Dans ce cas, il faut rationaliser - c'est un syndicaliste qui vous parle ; ce n'est pas tous les jours que vous entendrez de tels propos ! Ne serait-il pas plus judicieux de rationaliser les effectifs quand la commune appartient à une communauté de communes ou d'agglomération ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cela se fait souvent à l'échelle plus réduite de quelques communes ; la mutualisation est alors beaucoup plus efficiente.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - En l'espèce, je parlais de 6 policiers municipaux pour 22 000 habitants dans l'EPCI. Ils sont donc confrontés à de véritables difficultés sur le terrain.

M. Serge Haure. - Quelle est la dimension du territoire ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La communauté de communes comprend 20 communes, car le canton a été dernièrement découpé administrativement. Ces policiers se retrouvent face à des problématiques qu'ils n'ont jamais eu à gérer. L'EPCI vient de conventionner avec plusieurs communes.

M. Serge Haure. - Dans les grandes villes, une brigade comprend 6 agents environ. Sans porter de jugement de valeur, les effectifs de votre police municipale sont sous-dimensionnés.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Tout est une question de moyens.

M. Serge Haure. - Tout cela doit se faire en lien avec l'État, notamment les brigades de gendarmerie dans votre secteur.

Monsieur Devinaz, concernant le recrutement des policiers municipaux, vous interrogez-vous sur la qualité du recrutement ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Au regard de l'évolution de vos missions, le recrutement est-il toujours adapté ? J'ai recruté des policiers municipaux en 1995, mais ceux-ci ne remplissent plus du tout les mêmes missions.

M. Serge Haure. - La formation a aussi évolué, mais on peut toujours l'améliorer. Comme l'a souligné l'un de mes collègues, le tronc commun avec la police nationale est une bonne idée. Je le redis, il faut rationaliser la formation. La formation dispensée par le CNFPT est plus riche que celle qui est donnée par l'État. Nos collègues d'Alternative ont dû vous dire la difficulté qu'ils rencontrent pour exécuter leurs trois tirs annuels, ce qui n'est pas le cas de la police municipale.

Les policiers municipaux armés sont formés très régulièrement, une ou deux fois par mois. En matière d'armement et dans d'autres domaines, la qualité de notre formation est relativement importante ; c'est un directeur d'une école de police nationale située dans le Gard qui le dit - je parle là sous serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous retenons que vous souhaitez le maintien de la formation du CNFPT et d'un socle commun avec la formation des policiers nationaux, tout en améliorant l'interopérabilité des services et l'ouverture aux changements.

M. Serge Haure. - L'audition de M. Deluga vous serait sans doute utile sur ces aspects.

La police de sécurité au quotidien (PSQ) est en construction. Une police de proximité s'exerce déjà, partout où il existe une police municipale. Pour que la PSQ fonctionne, il faut une étroite collaboration entre l'État et les collectivités territoriales. Tout le monde l'a bien compris, y compris l'État.

M. Fabien Golfier. - Les missions ont évolué, la formation aussi, mais le mode de recrutement a été biaisé par les détachements. Ceux-ci ont fait rentrer dans la police municipale des personnes de très grande qualité, mais aussi des personnes qui n'avaient pas le niveau. Or on ne peut défendre la professionnalisation des polices municipales - le ministre, lors des assises de la sécurité privée, a vanté le modèle - sans veiller à l'homogénéité des niveaux de recrutement. Il s'agit non pas de remettre en cause le droit au détachement, mais d'assurer la compétence des agents qui seront sur le terrain au cours des trente prochaines années.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le transfert des ADS dans la police municipale a parfois, en effet, été jugé trop facile et contradictoire avec l'armement et la montée en compétences des policiers municipaux.

M. Pascal Ratel. - Le problème réside certes dans le manque de moyens, mais aussi dans le manque de volonté politique. Il faut dire aux maires qu'ils sont responsables de la tranquillité et de la sécurité publiques dans leur commune. Il n'est pas normal qu'il y ait, selon les communes, 6 agents pour 22 000 habitants ou, comme dans la mienne, 7 agents pour 5 600 habitants.

M. Michel Boutant, président. - Nous vous remercions de votre participation.

La réunion est close à 17 h 50.