Mercredi 27 juin 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Examen du projet de rapport

M. Michel Boutant, président. - Nous approchons du terme de notre mission, puisque cette commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure a été constituée le 17 janvier dernier. En moins de six mois, nous avons mené un très grand nombre de travaux. Nous avons en effet réalisé plus de 40 auditions, dont plusieurs tables rondes, ce qui nous a permis d'entendre de nombreuses personnalités et représentants d'organismes divers. Nous avons également effectué six déplacements sur le terrain : à Calais, Marseille, Bordeaux, Coulommiers - qui nous a marqués -, Versailles-Satory et enfin au Courbat près de Tours.

Nous avons entendu la quasi-totalité des syndicats de policiers ainsi que les membres de la chaîne de concertation des gendarmes. Toutefois, afin d'élargir nos sources et puisque l'un des faits déclencheurs de cette commission est un mouvement de colère qui est sorti des cadres traditionnels, nous avons également entendu les membres de plusieurs coordinations de policiers formées à la suite des événements survenus fin 2016, ainsi que des représentants d'associations liées à la gendarmerie. Nous avons également ouvert nos auditions à la société civile en recevant des avocats, des chercheurs et un journaliste.

Nous avons aussi auditionné de nombreux directeurs de la police et de la gendarmerie nationale ainsi que les ministres de l'Intérieur et de la Justice.

Ces auditions nous ont permis de constater que certains problèmes évoqués par la base sont bien pris en compte par les niveaux élevés de la hiérarchie, et que des réformes utiles ont été lancées, ce dont le rapport fait état.

Mais elles ont également été l'occasion de mesurer un écart parfois infranchissable entre l'analyse de la situation effectuée par ces dirigeants et le ressenti et la réalité vécus par les agents. Dès lors, ce qui ressort d'abord du rapport est un double constat : celui d'une situation de profond malaise au sein des forces de sécurité intérieure, et celui d'une prise en compte insuffisante de ce malaise par les autorités compétentes.

Cette tonalité du rapport reflète bien l'impression générale qui se dégage de l'ensemble de nos travaux et constituera, pour ceux qui nous liront, un véritable signal d'alarme sur la situation actuelle des forces de sécurité intérieure.

Nos travaux se sont déroulés dans un esprit de coopération et de collégialité entre l'ensemble des membres de cette commission d'enquête, et entre le rapporteur et le président.

Je vous remercie donc, mes chers collègues, de votre participation active, de votre travail assidu, de la richesse des questions que vous avez posées à chacun de nos interlocuteurs et qui, très souvent, ont dévoilé un aspect important du sujet que nous étudions. Chacun, je crois, a pu être entendu, s'exprimer et entendre les acteurs qu'il souhaitait.

Conformément aux règles qui régissent les commissions d'enquête et au courrier que je vous avais adressé le 13 juin, le projet de rapport a été mis à votre disposition pour consultation pendant une semaine, du 19 au 26 juin.

Certains d'entre vous ont déposé des propositions de modification, que nous allons examiner.

En dehors des auditions, que nous avons ouvertes au public, les travaux des commissions d'enquête restent secrets tant que le rapport n'a pas été publié. Pour le moment, il nous est donc interdit de communiquer sur la présente réunion et sur le projet de rapport. Si le rapport est adopté, il nous appartiendra de décider si nous voulons que le compte rendu de notre réunion de ce jour figure en annexe et il en sera fait dépôt en fin d'après-midi, ce qui marquera officiellement la fin de notre commission d'enquête. Les sénateurs, les groupes et le Gouvernement seront informés de ce dépôt par voie électronique.

Cette mesure de publicité ouvre aux membres de la conférence des présidents et aux représentants du Gouvernement la possibilité de consulter le rapport, et fait courir le délai dans lequel le Premier ministre ou un dixième des sénateurs peuvent demander, en application de l'article 33 de la Constitution et de l'article 32 du règlement du Sénat, la réunion du Sénat en comité secret. Ce délai est désormais de 24 heures depuis l'arrêté du bureau du 27 octobre 2016. Il peut être prolongé, dans la limite de quatre jours, à la demande du président du Sénat, du président ou du rapporteur de la commission d'enquête, ou d'un président de groupe.

Ce n'est qu'à l'issue de ce délai, si aucune demande de réunion du Sénat en comité secret n'a été formulée, que le rapport pourra être publié. Une conférence de presse se tiendra le mardi 3 juillet à 8h30, et nous pourrons alors librement communiquer sur tout ce qui y figurera. S'il n'était pas adopté, ce que je n'envisage pas, ce rapport resterait confidentiel. Il nous serait alors interdit d'en parler.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je souhaite remercier le président pour la parfaite symbiose dans laquelle nous avons travaillé, et tous les membres de la commission pour leur assiduité, malgré les autres responsabilités qu'ils exercent au Sénat.

J'ai tout d'abord souhaité vous présenter un rapport qui reflète fidèlement les témoignages que nous avons recueillis sous serment, que ce soit en audition au Sénat ou lors de nos déplacements, dont certains nous ont beaucoup marqués.

Au-delà des informations précises qu'ils nous ont apportées, ces témoignages ont été pour la plupart exprimés dans une tonalité générale très négative, traduisant un malaise profond. C'est d'abord ce malaise profond que je me suis efforcé de retranscrire dans le rapport par l'emploi abondant de citations, qui souvent parlent d'elles-mêmes.

Il fallait aller plus loin, et vérifier, par l'analyse précise des rapports des inspections et de toute la documentation disponible, par les questions posées aux dirigeants des forces de sécurité intérieure non seulement lors des auditions, mais également à travers un questionnaire écrit et de nombreuses demandes d'éclaircissement adressés ensuite, que cette tonalité générale très négative traduisait bien une crise des forces de sécurité intérieure.

En effet, nous ne pouvions pas employer des termes tels que « crise », ou même « malaise », à la légère. La responsabilité qui nous est confiée par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est la suivante : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ». En l'occurrence, notre premier objectif devait être de porter un jugement clair et le plus objectif possible sur la gestion du service public de la sécurité.

Or nous avons senti au cours de nos travaux que la haute hiérarchie des forces de sécurité intérieure, qui a certes reconnu un certain nombre de problèmes et qui a parfois
- c'est aussi notre rôle de le souligner - pris des mesures pour y remédier, redoute que nous n'allions plus loin en évoquant une véritable crise ou un malaise général.

C'est pourtant ce qui ressort incontestablement de nos travaux. Je crois d'ailleurs que les membres des force de sécurité intérieure attendaient de nous que nous faisions ce constat, que nous mettions des mots sur ce qu'ils ressentent et vivent depuis des années.

Cependant, il faut d'emblée nuancer : la situation n'est pas la même au sein de la gendarmerie nationale et dans la police nationale ou dans les autres forces qui concourent à la sécurité intérieure.

Dans la gendarmerie nationale, les agents rencontrent indéniablement de nombreuses difficultés liées à l'alourdissement des missions, au manque de moyens, au durcissement de la délinquance ou encore à des relations plus difficiles que par le passé avec la population. En ce qui concerne l'état du parc immobilier domanial, les problèmes atteignent même un niveau alarmant. Malgré tout, faut-il parler de crise ? Il semble que non, car l'institution militaire reste solide et joue encore un rôle protecteur pour les agents, en partie grâce aux réformes mises en oeuvre à la suite des crises de 1989 et 2001. Les gendarmes, qui ne sont pas syndiqués, sont aussi sans doute plus réservés dans leur expression. Le général Lizurey nous a cependant indiqué avec honnêteté que la situation pouvait à nouveau se dégrader si certaines promesses récentes n'étaient pas tenues.

Dans la police nationale, la situation semble bien plus grave. En effet, aux difficultés citées pour la gendarmerie s'ajoutent les faiblesses et les failles propres à une institution divisée, gangrenée par des problèmes récurrents et qui n'ont pas été traités en temps utile. De ce fait, c'est à une véritable crise de sens qu'est confrontée aujourd'hui la police.

Dans les autres forces, enfin, et notamment dans les polices municipales et l'administration pénitentiaire, nous avons pu relever un certain nombre de problèmes, parfois graves, que le rapport analyse.

Comment traduire correctement la gravité de la situation ?

Nous avons souhaité que le rapport s'organise sous forme de trois cercles concentriques, abordant successivement l'état moral et le quotidien des agents, puis les problèmes des institutions elles-mêmes, enfin les difficultés qui naissent de la coopération des forces de sécurité intérieures entre elles et avec les autres administrations.

En premier lieu, au plus près des agents, se pose la question des suicides, des risques psychosociaux et des difficultés rencontrées au quotidien.

Le rapport établit nettement que le taux de suicide est trop élevé au sein des forces de sécurité intérieure par rapport à la moyenne nationale. Des dispositifs de lutte contre ce phénomène existent mais sont insuffisamment développés. Un plan anti-suicides avait été mis en place par Bernard Cazeneuve et un nouveau programme de mobilisation contre les suicides nous a été présenté par le directeur des ressources et des compétences de la police nationale. C'est bien, mais il faut de la continuité dans l'action pour espérer obtenir des résultats. Nous avons pu relever un certain nombre d'expériences intéressantes, notamment au Courbat, avec une prise en charge pluridisciplinaire efficace. Le rapport préconise d'ailleurs d'y mettre en place une véritable filière de traitement des troubles de stress post-traumatique.

Tout ceci relève toutefois de l'aval, c'est pourquoi le rapport met l'accent sur la mise en place, en amont, de conditions de travail plus favorables au bien-être psychologique de l'agent. Il préconise ainsi, c'est une évidence mais nous savons que ce n'est plus mis en oeuvre aujourd'hui, un debriefing systématique avec la hiérarchie après les interventions potentiellement traumatisantes.

Au sein de cette première partie consacrée au quotidien des agents, le rapport ne pouvait pas faire l'économie d'une analyse des problèmes spécifiques de la région parisienne, notamment pour le logement des jeunes policiers. Il y relève des défaillances inacceptables de l'administration, auxquelles il doit être mis fin dans les plus brefs délais, ainsi qu'un système de fidélisation inefficace et complexe qui doit être profondément revu et revalorisé. De manière plus structurelle, une modification du recrutement, visant à augmenter le nombre de jeunes policiers susceptibles de rester à Paris, doit être envisagée.

Quatrième et dernier aspect de cette première partie, le rapport dénonce l'accroissement quelque peu anarchique des missions au cours des dernières années. Il insiste sur le fait que les forces de l'ordre sont désormais l'objet d'agressions directes de la part des délinquants ou des terroristes. Ce que certaines personnes auditionnées ont appelé le syndrome, ou l'effet, Magnanville est ainsi pour la première fois pleinement mis en lumière par nos travaux. Il est totalement inacceptable que les agents soient devenus des cibles, y compris dans leur vie personnelle ! La prise de conscience de ce phénomène doit conduire les institutions à placer la protection des agents au sommet de leurs priorités.

L'ensemble de ces difficultés ne se traduirait pas par la crise que nous observons actuellement si les institutions jouaient correctement leur rôle. La deuxième partie du rapport montre qu'il n'en est rien. Cette analyse est conduite à un double niveau. Celui des moyens d'une part, celui des organisations, d'autre part.

S'agissant des moyens, des progrès ont été faits dans le cadre des plans anti-terroristes, notamment sur le plan des équipements de protection. Toutefois, un effort de remise à niveau des véhicules et de l'immobilier reste entièrement à accomplir.

Surtout, le rapport insiste sur la nécessité absolue de sortir de l'improvisation qui prévaut depuis des années, avec l'adoption d'une cascade de plans en réaction aux événements et aux priorités de l'heure, ainsi qu'une régulation budgétaire déstabilisatrice qui a conduit par exemple à annuler l'achat de 1 300 véhicules sur les 3 000 prévus au sein de la gendarmerie nationale pour 2018. Aucune planification sérieuse n'est mise en oeuvre à moyen et long termes, alors que la dernière loi de programmation date de 2011 - et n'en était pas réellement une.

Le rapport préconise en conséquence d'élaborer un livre blanc spécifiquement consacré à la sécurité intérieure. Cet exercice irait d'ailleurs au-delà des seules questions budgétaires et de moyens puisqu'il permettrait de remettre à plat les missions exercées ainsi que l'organisation des forces. Je pense par exemple à la séparation entre la direction générale de la police nationale (DGPN) et la préfecture de police, ou encore à la question du degré de mutualisation optimal entre police et gendarmerie.

Ce livre blanc pourrait servir de fondement à une loi de programmation de la sécurité intérieure qui fixerait, à intervalle réguliers, un cadre budgétaire stable et crédible. C'est dans ce cadre que devra être prévu un renouvellement annuel suffisant pour assurer le bon état du parc de véhicules. Il en serait de même pour l'immobilier, avec une programmation précise des dépenses annuelles de maintenance d'une part, de reconstruction et de renouvellement d'autre part. Il s'agit simplement pour les forces de sécurité intérieures de savoir où elles vont.

S'agissant ensuite de l'organisation et du management, le rapport effectue un constat très détaillé des dysfonctionnements existants.

À titre d'exemple, les nombreuses plaintes relatives au manque de cohésion entre les corps dans la police sont corroborées par plusieurs rapports de l'IGPN et de l'IGA. Seule une profonde réforme des modalités de recrutement et de formation, passant notamment par une réorganisation de la formation initiale, permettrait de mettre en place un creuset unique susceptible de refondre à neuf l'unité de la police. Ce creuset pourrait prendre la forme d'une académie de police.

En outre, l'inadéquation de la formation initiale par rapport aux réalités du terrain a été maintes fois soulignée et doit être corrigée par une meilleure prise en compte des problématiques opérationnelles et des besoins des policiers de terrain. Le rapport analyse également les nombreuses lacunes de la formation continue, censée pourtant garantir l'adaptation permanente des agents à une délinquance en constante augmentation.

Un autre point particulièrement important abordé dans cette deuxième partie est la question du déroulement de la carrière et des interventions extérieures, notamment d'origine syndicale, qui causent souvent un fort sentiment d'injustice. Le rapport met notamment en exergue le faible taux de suivi du médiateur de la police nationale sur les cas individuels dont il est saisi. C'est un point qu'il faut améliorer d'urgence.

Concernant les autres aspects de la gestion de la carrière, le rapport préconise notamment la résorption du vivier de gardiens de la paix en attente - parfois pendant plus de dix ans... - d'une nomination au grade de brigadiers. L'engagement de l'administration sur ce point ne doit pas être remis en cause par le récent report du protocole pour la valorisation des carrières, des compétences et des rémunérations.

La question des méthodes managériales est également traitée, en particulier le problème de la politique du chiffre. Certes - nous l'avons vérifié - aucune prime n'est officiellement indexée sur des résultats chiffrés. Mais force est de constater que nombre des agents fustigent la persistance d'un management orienté vers la poursuite d'objectifs purement quantitatifs. Malgré le discours officiel, cette pratique semble donc encore ancrée dans les services. D'ailleurs, le simple fait que les agents soient persuadés que leur hiérarchie est ainsi animée par des objectifs purement personnels de carrière, est déjà un problème en soi. En tout état de cause, il est impératif que l'administration rappelle les critères d'évaluation de la performance et surtout que des missions d'inspection soient régulièrement menées pour lutter contre les éventuelles pratiques managériales abusives dans ce domaine. Comme le montre un rapport de l'IGPN, Il faut également mettre fin à la confusion entre reporting et fixation d'objectif chiffrés : la performance doit évidemment être mesurée mais les instruments de mesure et d'évaluation ne doivent pas être retournés pour devenir un moyen de fixer des objectifs dépourvus de sens par rapport à la mission.

Enfin, la protection fonctionnelle des agents exige une réforme immédiate. Si des instructions ont récemment été prises dans ce domaine, l'accompagnement des agents n'est toujours pas effectif. Ce doit être une priorité absolue pour l'administration.

La troisième partie du projet de rapport est consacrée à la coopération des forces de sécurité entre elles et avec les autres administrations.

Le rapport insiste d'abord fortement sur la crise de confiance entre les forces de sécurité et la justice, et plus particulièrement sur le sentiment des policiers et des gendarmes que les interpellations qu'ils effectuent ne sont pas suivies d'effet. Plus qu'un problème de sévérité des peines prononcées, le système judiciaire pèche par une insuffisante exécution des peines, avec 44% des peines d'emprisonnement fermes non mises à exécution au bout de six mois et encore 16% au bout de deux ans. Bien que cela ne relève pas directement de nos travaux, il faut donc rappeler que la Justice a besoin de plus de moyens pour être efficace. Les moyens ne suffisent pas : nous préconisons de développer la connaissance mutuelle des policiers et des magistrats par le développement de stages d'immersion réciproques.

Autre grand sujet systématiquement mis en avant par les agents, la lourdeur de la procédure pénale tient éloignée du terrain une partie de plus en plus importante des effectif, pendant une part importante - jusqu'à deux tiers - de leur temps de travail.

À cet égard, soyons clairs : le volet de simplification de la procédure pénale du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est insuffisant et bien en deçà des attentes exprimées par les agents. C'est même pour eux une profonde déception. Le rapport demande donc la mise en oeuvre immédiate de l'oralisation des procédures simples, seule mesure susceptible de produire rapidement un allègement substantiel des tâches. Une telle mesure avait d'ailleurs déjà été proposée par le procureur général Jacques Beaume en 2014 et une expérimentation avait été envisagée par la gendarmerie en 2015, mais jamais mise en oeuvre. Il est donc temps de lancer ce mouvement !

Nos travaux nous ont aussi permis de faire une découverte surprenante : les mesures de simplification déjà votées depuis 2016 ne sont toujours pas entrées en application, si bien que les agents les réclament toujours ! S'il est vrai que l'inflation normative ne facilite pas l'assimilation, il faut tout de même regretter une certaine inertie de la police et de la gendarmerie nationale, qui n'ont mis en oeuvre ni la possibilité de déroger à la règle selon laquelle tout acte doit donner lieu à un PV, ni celle de réaliser un PV unique de diligences pour la garde à vue, alors que les décrets ont été adoptés depuis deux ans ! C'est pourquoi le rapport demande qu'une évaluation de l'appropriation des mesures de simplification déjà prises soit immédiatement effectuée et que les conséquences en soient tirées au plus vite.

Enfin, si la dématérialisation de la chaîne pénale est officiellement lancée, nous craignons que ce projet impliquant la réalisation de nombreux développements informatiques ne prenne du retard et ne puisse aboutir d'ici 2020 comme prévu. Il est urgent d'établir un échéancier réaliste des étapes à franchir si nous ne voulons pas assister à une dérive. De manière plus ambitieuse, le rapport préconise que les deux ministères discutent dès maintenant de la mise en place d'échanges dématérialisés et en temps réel entre les parquets et les services d'enquête, afin d'améliorer le traitement en temps réel des procédures, qui est aujourd'hui à bout de souffle.

Le rapport évoque ensuite la répartition des missions entre les différents acteurs de la sécurité.

Il traite d'abord de la répartition des compétences avec l'administration pénitentiaire. Sur ce point, après avoir rappelé la nécessité de mener à terme la reprise des extractions judiciaires par l'administration pénitentiaire, le rapport entend traduire fidèlement le malaise des surveillants, tel qu'il ressort notamment de la table ronde que nous avons organisée. Ce malaise, et plus généralement les dysfonctionnements de la prison, ont en effet un impact très négatif sur l'ensemble de la chaîne pénale en amont et par conséquent sur le moral des agents des forces de sécurité intérieure. Bien que ce ne soit pas là le coeur de notre sujet, nous devons clairement dire que l'amélioration de l'état de ces forces de sécurité reste en partie tributaire des mesures qui seront prises en faveur de l'administration pénitentiaire.

Concernant l'articulation des tâches avec les polices municipales, le rapport souligne d'abord l'importance d'accorder la reconnaissance qu'elle mérite à ce qui constitue désormais la troisième force de sécurité intérieure de notre pays. Tout en réaffirmant le principe de la liberté du maire dans la définition de sa police municipale, il insiste sur la nécessité de renforcer la coordination entre les forces d'État et les forces municipales et de s'assurer de la bonne adéquation entre les missions confiées à la police municipale sur un territoire donné aux moyens et aux équipements qui lui sont attribués. Encore une fois, sans remettre en cause la liberté de décision du maire, il serait utile que l'armement des agents fasse chaque fois l'objet d'une réflexion approfondie et partagée entre les différents acteurs. Enfin, le rapport préconise un renforcement des prérogatives judiciaires des agents, en profitant notamment de l'élan donné par la dépénalisation et la forfaitisation de certaines infractions.

Le rapport aborde enfin la question des relations entre les forces de sécurité, la population et les médias.

Nous savons qu'il s'agit d'une source importante de malaise pour les agents, qui se plaignent d'une présomption de culpabilité systématique. Une circulaire du ministère de l'intérieur du 13 février dernier demande aux préfets et aux chefs de service de répondre aux mises en cause injustifiées sur les réseaux sociaux. Cela va dans le bon sens, mais il faut que cela devienne systématique et que les services s'approprient davantage cette culture des réseaux sociaux, conformément d'ailleurs à un rapport de l'IGA de 2016 qui prévoit toute une série de mesures.

Sur le rapprochement entre police et population, il existe déjà de nombreux dispositifs, depuis les délégués à la cohésion entre police et population aux centres de loisir des jeunes de la police nationale, en passant par les sondages sur la satisfaction à l'égard de l'action des forces de l'ordre. Cette dernière mesure constitue d'ailleurs une des pistes pour sortir réellement de la politique du chiffre et doit donc être davantage développée. Par ailleurs, le rapport préconise une meilleure valorisation des missions des réservistes de la réserve civile de la police nationale. Il s'agit de rendre cette réserve civile plus attractive dans le but d'en faire une véritable force d'appoint participant au rapprochement entre police et population, sur le modèle de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale.

Comment expliquer, enfin, que le dispositif des caméras portatives, plébiscité par l'ensemble des acteurs que nous avons entendus, ne soit pas encore généralisé, après plus de dix ans d'expérimentations diverses ! Il est donc urgent que chaque unité sur le terrain en soit équipée. L'achat des 10 400 caméras prévu pour le troisième trimestre 2018 est nettement insuffisant.

En conclusion, je crois qu'il nous faut établir le constat suivant, douloureux mais incontestable : la République n'a pas consacré l'attention et les moyens nécessaires à ses forces de sécurité intérieure. En particulier, elle n'a pas fait ce qu'il fallait pour préserver l'état moral des agents de ce service public, ce qui est pourtant indispensable au bon accomplissement de leurs missions. Ce faisant, ce sont en réalité tous les citoyens qui ont été lésés, car les forces de sécurité intérieure sont leur premier rempart.

Espérons que ce rapport contribue à améliorer la situation !

Mme Brigitte Lherbier. - Merci au président et au rapporteur. Nous nous sommes régulièrement retrouvés pour les auditions et, au fil de ce long travail, votre fougue et votre professionnalisme nous ont tous entraînés et passionnés. Nous avons aussi apprécié l'entente cordiale qui a régné entre nous.

Mme Nathalie Delattre. - C'était ma première expérience. Merci pour votre travail et la manière dont vous avez conduit cette commission d'enquête. J'ai retrouvé dans le rapport toutes les demandes et préconisations que nous avions entendues. Je regrette toutefois qu'il n'évoque pas la famille que ces hommes et ces femmes, qui donnent leur temps pour nous, ont - ou n'ont pas, du fait de leur métier - et qui constitue le contexte social qui les soutient. Nous devrions mieux reconnaître ces familles, et les revaloriser dans notre société. Peut-on créer des aides particulières à la recherche d'emploi, ou donner une priorité pour les crèches à horaires décalés ? Il y a là un volet humain qui manque un peu au rapport.

Mme Éliane Assassi. - Merci au président et au rapporteur pour leur travail. Nous avons apprécié leur rigueur et leur capacité à élargir le spectre des auditions. Avec le rythme législatif effréné que nous connaissons, je n'ai pas pu participer à toutes, mais j'ai parcouru le rapport, et y ai apprécié énormément de choses. Il ne méconnaît pas la situation, d'abord, et met en exergue l'idée selon laquelle l'état des forces de sécurité intérieure n'est pas bon, et ce depuis des années. De fait, ces forces ont été délaissées par les Gouvernements successifs, dont certains ont même eu à leur endroit une approche utilitariste : exiger toujours plus, sans donner les moyens adéquats pour l'exercice d'une mission de service public. J'apprécie beaucoup vos recommandations, comme j'ai apprécié celles des deux députés qui ont rédigé récemment un rapport sur les services publics en Seine-Saint-Denis et qui, sur les forces de police, font le même constat. J'espère que votre rapport va engager le Gouvernement à prendre des mesures à la hauteur - car il n'y a pas de fatalité ! Et il ne s'agit pas que de moyens financiers, bien sûr.

Vos 30 recommandations ne font pas une place suffisante, selon moi, à la pénitentiaire, qui connaît un vrai malaise. Je me rends souvent à la prison de Villepinte : les agents vont jusqu'à douter de l'utilité de leur mission. Même remarque sur la police municipale, qui se sent parfois le rebut des forces de sécurité alors que son rôle de proximité est primordial. Vos réflexions sur la formation continue et la formation initiale sont très intéressantes. Sur le rapprochement entre police et justice, en revanche, nous devons veiller à respecter la séparation des pouvoirs, qui impose une ligne rouge à ne pas franchir.

Mais la question de fond, qui se pose en creux, est celle des moyens humains et matériels. Il faut que le prochain projet de loi de finances concrétise les recommandations présentées dans ce rapport. C'est le nerf de la guerre ! Pour l'heure, la République n'a pas fait le nécessaire pour préserver l'état moral de nos forces de sécurité intérieure, comme l'a dit le rapporteur. Si l'on n'y met pas les moyens, cet état moral continuera à se dégrader.

M. Michel Boutant, président. - Mme Assassi a indiqué qu'elle souhaitait déposer demain une contribution.

M. Dominique de Legge. - À mon tour, je voudrais remercier le président et le rapporteur, non pas pour sacrifier à une liturgie de bon aloi, mais parce qu'il s'agissait d'un sujet potentiellement explosif ; or ce rapport est à la fois fidèle à nos travaux, mesuré et, dans ses recommandations, tout à fait responsable.

J'insisterai sur deux points. En premier lieu, au titre des principales conclusions, il est question - c'est la proposition n° 6 - de restaurer le lien de confiance entre les agents des forces de sécurité intérieure et la justice, dont on explique qu'il est érodé en raison d'une réponse pénale jugée insuffisante. Je ne suis pas du tout certain que la procédure pénale telle qu'elle est appliquée aujourd'hui soit totalement adaptée aux nouvelles agressions auxquelles font face les forces de l'ordre.

Deuxième point, M. le rapporteur l'a évoqué tout à l'heure : la proposition n° 21 consiste à instaurer dans le cursus de formation initiale des forces de sécurité intérieure un stage d'immersion au sein de la magistrature. J'aurais envie d'y ajouter : et réciproquement ! Si l'on veut aller vers une culture commune, il faut le faire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Un tel stage existe déjà - ce n'est certes pas suffisant - à l'ENM.

Mme Samia Ghali. - À mon tour de saluer le travail du président et du rapporteur. C'est la première commission d'enquête à laquelle je participe. Cet exercice s'est avéré passionnant, propice au dépassement des clivages politiques et à la recherche de l'intérêt général. Nous avons pu aller au fond des choses. C'est l'humain qui a parlé, avant tout le reste. Ces commissions d'enquête méritent vraiment d'exister, et peut-être même d'être développées.

J'abonde totalement dans le sens du rapport, qui me semble fidèle aux auditions que nous avons menées. Ces auditions se sont souvent recoupées ; une même souffrance humaine s'est exprimée. En tant qu'élus locaux, nous ressentons cette souffrance sur le terrain.

Une question essentielle est celle de l'évolution de la nature de la délinquance : les dangers ont changé depuis dix ans. La délinquance actuelle est lourdement armée ; je le vois tous les jours, hélas, à Marseille. L'intérêt de cette commission est aussi d'alerter : on ne peut pas demander toujours plus aux forces de sécurité sans leur donner les moyens nécessaires.

Je donne l'exemple de ce qui s'est passé à la cité de la Busserine. Les policiers n'ont même pas pu entrer ! Songez qu'ils sont allés jusqu'à lancer, à la télévision, un cri d'alarme. Ils ont eu peur pour leur vie ; ils ne sont pas armés pour répondre au danger.

Autre point : la police municipale. La délinquance a changé de visage ; la police nationale et la gendarmerie ne sont pas les seules forces affectées par cette évolution. On demande beaucoup à la police municipale pour pallier les manques de la police nationale ; or elle n'est pas reconnue de manière uniforme. Être policier municipal à Marseille ou dans un petit village, c'est très différent. La question du statut des policiers municipaux doit être étudiée de près.

M. Jordi Ginesta. - Je souhaiterais que nous mettions un peu plus en valeur les polices municipales. Je rappelle qu'un maire n'est pas obligé d'avoir une police municipale : la police doit être assurée par l'État sur l'ensemble du territoire. Les polices municipales sont là, depuis bien longtemps, pour pallier le désengagement progressif de l'État en matière de sécurité intérieure. Il ne s'agit pas de policiers de seconde zone.

Mme Éliane Assassi. - Ils se considèrent tels !

M. Jordi Ginesta. - Et ceci coûte très cher dans le budget d'une ville.

Il ne faudrait pas que les polices municipales se substituent à la police nationale par l'extension des compétences territoriales. La police municipale a vocation à agir dans la commune ; il ne faudrait pas en faire une police d'agglomération, ou une police de métropole, et, petit à petit, faire peser sur les collectivités territoriales la charge budgétaire de la sécurité.

Mme Gisèle Jourda. - Tout à fait.

M. Jordi Ginesta. - Ce que regrettent le plus les policiers, c'est la nature des rapports avec la justice : ce sont toujours les mêmes qu'ils retrouvent dehors, libérés rapidement, voire jamais incarcérés, après de multiples infractions. C'est là-dessus qu'il faut insister dans le rapport.

Merci et bravo au président et au rapporteur.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je voudrais également saluer le travail de qualité qui a été accompli. Ce travail a créé des liens ; il mérite d'être mis en avant. Je remercie François Grosdidier et notre président Michel Boutant d'avoir su nous fédérer.

Nous avons bien compris qu'il y avait une différence entre le corps de la gendarmerie et celui de la police nationale ; nous l'avons tous ressenti notamment à l'occasion de l'expérience que nous avons vécue à Coulommiers - encore aujourd'hui, j'ai du mal à ne plus y penser. Il faut toutefois préciser que les gendarmes, par leur esprit militaire et par leur discipline, ont tendance à ne pas s'exprimer, à ne pas se livrer ; mais le malaise est aussi important au sein de notre gendarmerie qu'au sein de notre police. Nous l'avons constaté la semaine dernière à Chinon, où un gendarme a tué une personne qui le menaçait avec une arme factice. Nous devons donc être très prudents dans nos conclusions.

J'évoquerai par ailleurs l'expérience qui est menée à l'établissement du Courbat : on a su y rapprocher nos forces de l'ordre de personnes civiles. Cette rencontre leur a permis d'apprendre à se connaître et surtout à se respecter. Aujourd'hui, nos forces de l'ordre sont en manque de reconnaissance de la part de la population. Cette expérience est une piste qui mérite d'être explorée.

Pour nos forces de l'ordre, l'essentiel est que la réponse pénale soit en rapport avec la violence vécue qui, elle, s'est transformée au cours des dernières années.

Je salue la fidélité de la retranscription, dans le rapport, de tout ce que nous avons entendu et vécu sur le terrain ; j'ai été très agréablement surprise en constatant que l'humain prenait autant de place...

S'agissant de la police municipale, se pencher sur cette question permet de saisir la différence entre les territoires. La police municipale de mon territoire, qui est un territoire rural, n'a pas du tout le sentiment d'être partie intégrante des forces de sécurité intérieure du pays - pour eux, l'échelon de l'autorité est celui de l'EPCI.

M. Alain Cazabonne. - Il s'agissait aussi de ma première commission d'enquête ; j'ai passé de très bons moments en votre compagnie. J'ai retrouvé dans le rapport tout ce qui avait été évoqué lors de nos travaux, avec parfois beaucoup de nuances.

Sur la police municipale, je suis assez d'accord avec Jordi Ginesta. Il faut que les choses soient très claires : la sécurité, c'est la police nationale. La mission de la police municipale, c'est la proximité. Le danger, c'est le désengagement de l'État. Et si cela se passe comme pour les passeports, comment fera-t-on pour assumer ce qui doit l'être ? Il faut être très prudent, d'autant que lorsque des mesures financières viennent compenser les transferts de charges - je pense au produit des amendes de stationnement -, les recettes sont versées à l'intercommunalité, pas aux communes elles-mêmes.

Soit la police municipale a un rôle de sécurité et, le cas échéant, la mairie touche elle-même l'argent dédié, soit les missions restent séparées. On l'a vécu pour le stationnement gênant : lorsqu'un citoyen appelait pour signaler une voiture mal garée, le commissariat de Talence le renvoyait vers la police municipale.

M. Philippe Dallier. - C'est partout pareil !

M. Alain Cazabonne. - Des missions supplémentaires, d'accord, mais pas sans garanties de financements.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Nathalie Delattre sur les questions de primes et d'incitations. C'est sur les secteurs dangereux qu'il faut faire l'effort, avec des primes, comme pour les militaires qui partent à l'étranger, mais en se gardant de prendre des mesures générales. Si l'on retient le seul critère du service public mobilisé jour et nuit, on n'a pas fini d'énumérer la liste : pompiers, infirmiers, etc. ! En revanche, qu'il existe des différences de rémunération, c'est envisageable. Exercer dans les quartiers nord de Marseille ou à Bordeaux, ce n'est pas la même mission !

Concernant la justice, il faut revenir sur l'ordonnance de 1945. Pensez aux trafics de drogue : ce sont toujours les mineurs qui font le guet.

Enfin, j'ai dit hier que nous étions, nous, élus, en partie responsables de la surcharge de travail pesant sur les policiers et les gendarmes, via l'inflation des arrêtés, des circulaires, des lois, des décisions qui sont prises. Les policiers nous le disent : « arrêtez avec les arrêtés » ! Plus de 500 000 arrêtés, circulaires, décrets, etc., sont en vigueur en France ! Et les forces de l'ordre n'en peuvent plus des constants changements.

Mme Gisèle Jourda. - Je partage les réflexions faites par nos collègues, s'agissant notamment de la manière dont cette commission d'enquête a été menée par notre président et par notre rapporteur.

Je voudrais insister sur la proposition n° 10, l'élaboration du livre blanc. Cette piste me semble très intéressante pour bâtir le devenir. Il faut fixer un cadre budgétaire et opérationnel pour nos forces de sécurité intérieure, afin qu'elles répondent au mieux aux besoins de sécurité de nos concitoyens.

S'agissant de la police municipale, la directrice de collectivité territoriale que j'ai été ne peut pas ne pas intervenir sur ce sujet. Il ressort de nos échanges que nous avons des polices municipales et non pas une police municipale. Certains maires ont souhaité se dessaisir du pouvoir de police au profit de l'intercommunalité, mais pas tous. À Trèbes, ma commune, qui est une toute petite ville rentrée dans l'histoire pour les raisons malheureuses que l'on sait, les maires successifs ont décidé depuis des décennies d'avoir une police municipale réactive. Nous avons été à l'initiative des premières conventions nouées avec la gendarmerie. Et lorsqu'il a fallu répondre à l'attentat de Trèbes, la police municipale a joué le rôle de force de coordination. Ailleurs, toutefois, la réalité est différente.

Il est très bien écrit, au titre des préconisations qui président à la proposition n° 26 : « Sans porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ni à la liberté du maire dans la définition de la police, la commission recommande que, le cas échéant, sous l'égide du préfet, la négociation de conventions de coordination soit plus approfondie ». Et pourtant, dans le texte de la proposition, « le cas échéant » a disparu.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous aurons des amendements à examiner.

Mme Gisèle Jourda. - J'ai la décentralisation chevillée au corps. Les maires, dans leurs communes, ou, si la compétence a été déléguée, les intercommunalités, se doivent d'être à la manoeuvre pour établir les conventions avec l'État et définir les missions de la police municipale. Aujourd'hui, au moindre problème, on préconise d'en appeler au préfet. Il faut, me semble-t-il, revenir à des choses beaucoup plus simples, et conserver leur autonomie aux collectivités territoriales.

J'ai peut-être le syndrome de Trèbes, mais l'insécurité se manifeste aujourd'hui partout, de la manière la plus violente. Les responsables de collectivités doivent pouvoir nouer les partenariats nécessaires avec l'État - veillons néanmoins au respect de la séparation des pouvoirs.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'irai dans le sens de tout ce qui a déjà été dit. Pour ce qui me concerne, il s'agissait d'une première expérience. J'ai eu d'abord le sentiment de participer à quelque chose d'assez xénomorphe, et je voudrais remercier nos administrateurs, le président et le rapporteur, parce que le rapport, tout compte fait, est très bien structuré. Il débouche sur trente propositions, ce qui me paraît très intéressant.

Premier point : je ne vois pas bien comment on pourra améliorer l'état d'esprit de nos policiers et de nos gendarmes tant qu'on ne donnera pas davantage de moyens à la justice, qui, dans le département du Rhône, est complètement engorgée. Des classements sans suite y sont prononcés là où, pour les mêmes faits, des poursuites seraient décidées dans d'autres départements. Cette situation est extrêmement mal vécue aussi bien par les policiers que par les gendarmes.

Deuxième point, sur la formation initiale des policiers municipaux. J'ai moi-même recruté des policiers municipaux, en 1995. Je ne suis pas certain que ceux recrutés en 1995 le seraient de nouveau en 2018, tant les missions ont changé.

La formation initiale du policier municipal est-elle bien adaptée aux missions qui lui sont confiées, du moins dans les zones hyperurbanisées ? J'aimerais que ce point donne lieu à une recommandation.

Évidemment, une police municipale dépend du maire, j'en suis d'accord. Il ne faudrait pas laisser entendre que le chef d'une police municipale d'une commune pourrait ne plus dépendre du maire, ou prendre ses ordres ailleurs. Ceci dit, parler, en la matière, de décision du maire, c'est beaucoup dire : dans une métropole comme la mienne, la pression qui s'exerce constamment sur le maire l'oblige à épouser le mouvement qui consiste à augmenter les effectifs de la police municipale.

M. Henri Leroy. - Le rapport me semble très lisible et accessible aux citoyens, et notamment à l'ensemble des membres des forces de sécurité. Les huit conclusions et les trente propositions répondent à toutes les préoccupations qui ont été exprimées.

Quant aux polices municipales, qu'on assimile à des forces de sécurité, elles n'en sont pas. Administrativement, elles dépendent exclusivement du maire, qui les équipe, les recrute, les oriente et fixe leurs missions.

On ne pourra pas vaincre l'obstruction que pratiquent les syndicats de police vis-à-vis de la police municipale. Si l'on veut pouvoir l'assimiler à une force de sécurité, il faut qu'elle ait une école de formation et une école de procédure pénale, et il faut qu'elle dépende de l'État. Comme c'est impossible, quelles que soient les lois que nous votons, le maire aura toujours le pouvoir de déséquiper sa police municipale et de revenir aux gardes-champêtres. Ce n'est pas ce que nous voulons ; mais l'assimilation de la police municipale aux forces de sécurité, gendarmerie et police nationale, n'est pas dans la doctrine des forces de sécurité. C'est le maire qui est le patron de la police municipale, sous l'autorité judiciaire du procureur de la République.

Je voterai le rapport. Il y manque toutefois une mise en garde : si les conclusions ne sont pas prises en compte, si elles restent lettre morte, la situation continuera à se dégrader, et les attentes très fortes des forces de sécurité, qui se sont exprimées durant une enquête longue de six mois, ne seront pas satisfaites.

Mme Samia Ghali. - Je voterai pour ce rapport.

S'agissant de la police municipale, gardons-nous de toute hypocrisie. Du moment que des agents sont en uniforme, dans la rue, le délinquant se moque de savoir s'ils appartiennent ou pas aux forces de sécurité. Il ne fait pas la part des choses.

M. Philippe Dallier. - Si, il la fait !

Mme Samia Ghali. - La preuve : des policiers municipaux ont été blessés. Si, demain, un policier municipal se trouve confronté à une situation de délinquance grave, restera-t-il les mains dans les poches ? Non ! Il interviendra, même si une telle intervention relève des missions de la police nationale. Les délinquants ne font pas de différence entre les uniformes.

M. Philippe Dallier. - S'agissant de la situation très particulière de l'Île-de-France, il existe un contingent de logements affecté aux forces de sécurité, notamment à la police nationale. Vous rappelez très bien combien il est difficile de faire tourner ce parc, en partie situé au milieu de quartiers difficiles où, bien évidemment, les policiers ne veulent pas aller habiter. Dans le projet de loi ÉLAN figurent des dispositions relatives à la réaffectation des logements du parc social. Le parc ne sera plus géré en stock, mais en flux. Il y a peut-être là, pour le ministère de l'intérieur, l'occasion de mieux utiliser son contingent. Or, dans le projet de loi, il est dit que le ministère de l'intérieur sera exclu de cette nouvelle modalité de gestion. L'idée serait pourtant bel et bien de replacer des logements dans des lieux où les policiers seraient susceptibles de les accepter. Ne restons pas figés sur le contingent actuel.

J'ai moi-même dirigé une police municipale pendant 22 ans. Je comprends tout ce qu'ils disent et ressentent. Ils ont toujours eu le sentiment d'être en quelque sorte les parents pauvres de la sécurité ; souvent, les policiers nationaux les regardent avec condescendance, même si, au fil du temps, les choses ont pu s'améliorer.

Pour autant, attention à ne pas dessaisir le maire : attention à ce que la police nationale ne profite pas de l'élargissement des compétences pour accaparer ou absorber les policiers municipaux. Combien de fois, notamment dans les zones urbaines, le commissariat répond-il, lorsqu'un particulier appelle, pour tout et n'importe quoi : « allez donc voir la police municipale » ? La frontière doit donc être consacrée.

Autre point : j'ai très longtemps refusé d'armer les policiers municipaux ; je n'ai fini par le faire qu'après les attentats, considérant que la donne avait changé. Ceci dit, ce choix doit rester celui du maire. Aujourd'hui, eu égard aux circonstances, je considère qu'il vaut mieux que les polices municipales soient armées ; pour autant, cette décision doit rester du ressort du maire.

En matière d'avancement de grade et de rémunération dans les polices municipales, il faut savoir qu'il existe, en Île-de-France, une concurrence épouvantable entre communes. Toutes les communes créent des postes ; celles qui ont le plus de moyens inventent des systèmes de primes, ou paient forfaitairement des heures supplémentaires et des astreintes qui n'en sont pas, ce qui est parfaitement illégal et a d'ailleurs attiré l'attention des préfets. Il existe une course au salaire, que je peux comprendre ; pour rééquilibrer les choses, il faudrait une autre grille de salaires, très strictement contrôlée.

Mme Brigitte Lherbier. - Le fait que la police municipale dépende du maire
- j'ai eu cette responsabilité, en tant qu'adjointe, pendant longtemps - est une force et une faiblesse. Les policiers municipaux peuvent certes se sentir inférieurs ; mais le maire peut leur redonner le prestige et l'estime qui leur sont dus. En l'occurrence, je connaissais individuellement tous les membres de ma police municipale ; tel n'est pas forcément le cas du commissaire avec ses propres troupes. Le rapport entre nous était très différent de celui qui existe entre les policiers nationaux et leur hiérarchie. C'est ce qui fait la force de la police municipale.

En revanche, comme le disait Samia Ghali, ce que vivent les policiers municipaux dans certains quartiers est tout à fait comparable à ce que subissent les autres forces de sécurité.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Effectivement, madame Assassi, les dysfonctionnements constatés en aval ont des effets sur l'ensemble de la chaîne pénale. Nous pouvons à cet égard proposer une disposition plus précise, faisant mention d'une nécessaire augmentation des moyens destinés à l'administration pénitentiaire. Les surveillants l'ont eux-mêmes constatés devant notre commission d'enquête : la prison, au-delà du phénomène de surpopulation carcérale, s'apparente à une zone de non droit où sévit la loi du plus fort. Je retiens votre idée d'un plan ambitieux et concret en faveur de l'administration pénitentiaire.

Vous avez été nombreux à évoquer la police municipale, à propos de laquelle j'ai toujours rappelé le principe de libre administration des collectivités territoriales et l'importance du rôle du maire. Elle représente la troisième force de sécurité intérieure, désormais mentionnée au code afférent. Sauf à ce que la commune décide du transfert de la compétence, la police municipale ressort de la responsabilité du maire, même si des mutualisations de moyens sont toujours possibles au niveau intercommunal. Le maire décide des effectifs et des missions, sous l'autorité du procureur de la République dès lors qu'est mise en oeuvre une prérogative de police judiciaire. Le fait que les policiers municipaux ne soient qu'agents de police judiciaire adjoints (APJA) entrave leur mission, y compris de respect de la réglementation municipale. Je vous propose d'accroître la qualification judiciaire par catégorie, sous le contrôle du Parquet et de l'officier de police judiciaire territorialement compétent (OPJTC) afin de ne pas encourir les foudres du Conseil constitutionnel, qui censura la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPSI au motif de l'unicité du pouvoir judiciaire.

M. Henri Leroy. - Le maire est un OPJ sans circonscription : les agents municipaux ne relèvent donc que de l'OPJTC pour ce qui concerne la police judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - J'ai armé ma police municipale car les missions et les circonstances l'imposaient, mais nous devons trouver, s'agissant de l'armement, un équilibre sur le fondement d'un référentiel national pour les conventions de coordination. Dès lors, des formations devront être obligatoires.

M. Philippe Dallier. - A la page 94 du rapport, à l'avant-dernier paragraphe, la rédaction relative au rôle décisionnaire du maire en matière d'armement de la police municipale m'apparaît ambiguë.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'autorisation de la convention de coordination représente un préalable obligatoire à l'envoi de policiers municipaux en patrouille de nuit par exemple. Il ne faut en aucun cas les exposer à l'excès ! En outre, en cas de dangerosité avérée, le maire doit leur fournir des moyens adaptés. Il s'agit, il me semble, d'une façon de répondre raisonnablement à une demande d'armement généralisé.

Mme Brigitte Lherbier. - Je croyais pourtant que les policiers municipaux n'étaient pas autorisés à sortir de nuit sans la présence de la police nationale ?

M. Philippe Dallier. - La rédaction que je mentionnais précédemment n'en demeure pas moins floue... Ma police municipale souhaitait être armée : la responsabilité de la décision revient au maire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les conventions de coordination ne devraient pas être un exercice formel, mais l'occasion d'un échange approfondi entre forces de sécurité. Pour autant, nous pouvons préciser davantage le rôle décisionnaire du maire.

M. Jordi Ginesta. - Les policiers municipaux armés sont obligés d'être formés puisqu'il s'agit d'une condition pour obtenir l'autorisation préalable du préfet.

M. Henri Leroy. - Vivre avec une arme, cela s'apprend ! Imaginez que 30 % des personnes armées ont peur. Une formation morale et psychologique me semble indispensable.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Parfois, le policier municipal reste un bourgmestre amélioré...

M. Michel Boutant, président. - Rajoutons donc que le maire dispose d'un rôle décisionnel.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le préfet vérifie, pour sa part, que les personnes autorisées à porter une arme ne présentent pas de caractéristique rédhibitoire.

EXAMEN DU RAPPORT

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 1 apporte des précisions relatives aux volumes de véhicules qu'il conviendrait d'acquérir pour moderniser suffisamment le parc automobile de la gendarmerie nationale.

La proposition n° 1 du rapporteur est adoptée.

La proposition de précision n° 2 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 3 complète la proposition n° 17 du rapport, afin de recommander que soit établi un plan de réduction du stock d'heures supplémentaires de la police nationale, assorti d'un système de compensation financière pour les 21 millions d'euros d'heures supplémentaires.

La proposition n° 3 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 4 affirme plus nettement le retard de la police nationale en matière de bonnes pratiques managériales.

La proposition n° 4 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 5 modifie la proposition n° 18 du rapport, afin de privilégier des approches qualitatives plutôt que quantitatives en matière d'évaluation de la performance au sein de la police nationale.

La proposition n° 5 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 6 apporte une précision sur le sentiment des policiers et des gendarmes s'agissant de l'évolution de la délinquance.

La proposition n° 6 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 7 apporte une précision sur la lourdeur des tâches purement procédurales.

La proposition n° 7 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 8 modifie la rédaction de la proposition n° 22 du rapport, afin de préciser le développement consacré à l'oralisation de certains actes de procédure et de demander que soit revu en profondeur le code de procédure pénale, dont la simplification en cours ne constitue qu'un pis-aller en attendant une réforme d'envergure.

La proposition n° 8 du rapporteur est adoptée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 9, qui intègre la proposition n° 10 présentée par notre collègue Gilbert-Luc Devinaz, introduit une nouvelle proposition relative au renforcement de la formation initiale des agents de police municipale et à la réforme de leur filière statutaire. Je vous rappelle, à cet égard, que certains syndicats de police municipale préféraient conserver la formation au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), tandis que d'autres souhaitaient son transfert au ministère de l'intérieur. En tout état de cause, le cadre B démarre trop haut - pensez qu'un brigadier-chef appartient au cadre C -, tandis que le cadre A cesse trop rapidement la progression dans sa grille indiciaire.

La proposition n° 9 du rapporteur . La proposition n° 10 de M. Devinaz tombe car satisfaite.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ma proposition n° 11 modifie la proposition n° 27 du rapport pour demander que soit étudiée la possibilité juridique de conférer aux agents de police municipale le statut d'agent de police judiciaire voire, dans des cas limités au code de la route et à la réglementation municipale, d'officier de police judiciaire, en posant dans la loi un principe clair de subordination au procureur de la République et à l'OPJTC afin de lever l'obstacle constitutionnel.

La proposition n° 11 du rapporteur est adoptée.

M. Michel Boutant, président. - Nous sommes également saisis de quatre autres propositions par M. Dallier, Mme Assassi et Mme Jourda. Dans la proposition n° 7 du rapport relative à l'offre de logement destinée aux jeunes agents de la police nationale, notre collègue Philippe Dallier souhaite qu'il soit fait référence aux nouvelles règles applicables à la gestion des flux dans les logements réservés à l'usage de l'administration.

M. Philippe Dallier. - Le problème n'est, en effet, pas circonscrit à un insuffisant turn-over ; il s'agit également de relocaliser géographiquement les logements affectés aux jeunes policiers pour éviter des quartiers où ils ne peuvent habiter.

M. Michel Boutant, président. - Certains logements réservés à l'administration se trouvent, en outre, occupés par des retraités ou par des personnes dont les revenus leur permettraient d'habiter dans le parc privé.

M. Philippe Dallier. - Je propose donc que nous fassions mention, dans la proposition n° 7, des nouvelles règles relatives à la relocalisation des logements.

La proposition de M. Dallier est adoptée.

M. Michel Boutant. - La seconde proposition de M. Dallier porte sur le rappel du rôle décisionnaire du maire s'agissant de l'armement de la police municipale.

La proposition de M. Dallier est adoptée.

Mme Gisèle Jourda. - Je propose, pour ma part, qu'il soit précisé, à la proposition n° 26 du rapport, que la négociation de conventions de coordination plus précises soit impulsée par les préfets le cas échéant uniquement.

La proposition de Mme Jourda est adoptée.

M. Alain Cazabonne. - Ne pourrions-nous pas évoquer la question du financement des polices municipales ? Il n'est pas normal que le produit des amendes soit versé à l'intercommunalité, alors que certaines communes n'ont aucune police municipale.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Tel n'est pas le sujet de notre commission d'enquête !

M. Michel Boutant, président. - Enfin, Eliane Assassi souhaite l'intégration d'une nouvelle proposition demandant le lancement d'un plan ambitieux et concret d'amélioration des conditions de travail des agents pénitentiaires et de la revalorisation des missions de l'administration pénitentiaire.

La proposition de Mme Assassi est adoptée.

Mme Éliane Assassi. - Notre rapport représente, j'en suis convaincue, un pas important vers une reconnaissance du malaise des forces de sécurité intérieure. J'en partage l'esprit et la lettre, à défaut d'adhérer à la totalité des propositions, dont certaines m'apparaissent insuffisantes, au regard notamment de la nécessaire séparation entre la police et la justice et en matière de gestion des ressources humaines. Ma position sera en conséquence celle d'une abstention positive et constructive. J'attends avec impatience la traduction de nos recommandations dans la prochaine loi de finances... Enfin, si vous l'acceptez, je souhaiterais que figure en annexe du rapport une contribution du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE).

Le rapport est adopté, ainsi que son titre : « Vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure : une exigence républicaine »

La possibilité d'intégrer une contribution du groupe CRCE est adoptée.

La publication du rapport et celle du compte rendu sont autorisées.

M. Michel Boutant, président. - Je suis heureux de cette belle unanimité.

La réunion est close à 16 h 05.