Mardi 27 octobre 2020

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons cet après-midi l'examen des missions budgétaires. Vous avez reçu vendredi le programme de travail de la commission, avec les dates de passage de toutes les missions. La Conférence des Présidents arrêtera demain le calendrier d'examen du projet de loi de finances en séance. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que l'examen devrait se dérouler en séance publique du jeudi 19 novembre au mercredi 25 novembre pour la première partie, puis du jeudi 26 novembre au mardi 8 décembre pour la seconde partie. Compte tenu du temps nécessaire pour l'examen des articles de première partie, et de la discussion sur la nouvelle mission « plan de relance », qui a occupé une dizaine d'heures à l'Assemblée nationale, certaines missions budgétaires devront nécessairement être programmées le samedi 28 novembre.

Pour ce qui concerne nos réunions de commission, je vous indique que les notes de présentation des rapporteurs spéciaux sur leurs missions sont disponibles la veille du passage en commission sur l'espace intranet Demeter. Je vous invite, ainsi que vos collaborateurs, à vous y reporter, ces notes ne faisant dès lors plus l'objet d'un envoi par courriel. En cas de difficultés pour accéder à cet espace, les services de la commission sont à votre disposition.

Enfin, nous privilégions, dès lors que c'est possible, les réunions dans des grandes salles pour permettre à tous les membres de la commission d'y participer dans le respect des normes sanitaires, mais à partir d'aujourd'hui, ces réunions sont également ouvertes en visioconférence pour les sénateurs qui seraient empêchés de se déplacer en raison de la situation sanitaire.

M. Philippe Dallier. -Ne voteront cependant que les membres présents physiquement ?

M. Claude Raynal, président. - Oui, et une seule délégation de vote sera autorisée par personne.

Nous examinons désormais le rapport de M. Savoldelli sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements ». - La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application des dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission soient évaluatifs ; ils ne constituent pas un plafond, à la différence des missions budgétaires classiques.

La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux.

Pour 2020, 126 milliards d'euros de crédits - c'est plus que le plan de relance annoncé par le Gouvernement ! - sont demandés au titre de la présente mission, soit une baisse significative de près de 14 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2020, Cette baisse très importante s'explique notamment, s'agissant des impôts d'État, par un ralentissement des restitutions de TVA en 2021. En effet, afin d'aider les entreprises à faire face aux difficultés de trésorerie rencontrée pendant la crise, les restitutions de TVA se sont accélérées en 2020, une baisse de 5 milliards d'euros étant prévue pour 2021. Le coût de plusieurs contentieux devrait également se réduire en 2021.

Elle s'explique également par la contraction des crédits du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » dans le contexte de la réforme de la taxe d'habitation et des impôts de production.

Au total, l'augmentation des dépenses du programme depuis 2013 devrait atteindre 55 milliards d'euros cette année. Ce montant considérable justifierait un renforcement des dispositifs d'évaluation des politiques publiques financées par le programme ainsi que l'augmentation des moyens affectés au contrôle, en particulier en matière de fraude à la TVA. À titre de comparaison, l'augmentation des crédits en sept ans correspond à la totalité des crédits dédiés annuellement à la mission « Enseignement scolaire ».

Les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État sont évalués à 119,2 milliards d'euros en 2021. Ce montant est en augmentation d'1,5 milliard d'euros par rapport à la prévision pour cette année, dans le prolongement de la hausse quasi ininterrompue de ces crédits depuis 2010.

Il y a lieu de constater que l'année 2020 a été marquée par un plus haut historique, à près de 130 milliards d'euros, la consommation des crédits ayant été de plus de 11 milliards d'euros supérieure à la prévision de la loi de finances initiale.

Plusieurs paramètres permettent d'expliquer cette augmentation pour 2020. Les remboursements de crédits de TVA représentent en valeur la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État et sont particulièrement dynamiques. Avec 56,6 milliards d'euros évalués pour 2021, ces opérations devraient redescendre en 2021 au niveau de 2019 après une année 2020 marquée par un record de consommation à plus de 61 milliards d'euros. En sept ans, la sous-action relative aux restitutions de TVA a augmenté de 14,2 milliards d'euros. Je considère qu'il est nécessaire de fournir une information approfondie aux parlementaires sur les causes de cette trajectoire de hausse.

D'autre part, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) continue à peser sur les remboursements et dégrèvements. Après avoir atteint quasiment 20 milliards d'euros en 2019, le coût budgétaire du dispositif en 2020 est resté élevé, et même supérieur aux prévisions initiales pour 2020. La sous-action dédiée devrait être en baisse en 2021, mais le dispositif ayant été transformé en nouvelles réductions de cotisations sociales employeurs, le coût pour les finances publiques reste conséquent.

Les coûts des contentieux fiscaux sont retracés au sein du programme 200. Il s'agit principalement des grands contentieux fiscaux de droit de l'Union européenne, dont le coût pour l'État est très élevé. Pour fournir quelques exemples, il s'agit notamment du contentieux OPCVM, qui devrait représenter près de 11 milliards d'euros, de celui sur la taxe additionnelle sur les dividendes, pour 9,5 milliards d'euros, ou sur le précompte mobilier, pour un peu plus de 5 milliards d'euros. Je relève dans mon rapport la priorité donnée par les institutions de l'Union aux marchés et à l'égalité de traitement entre les entreprises par rapport aux objectifs qui devraient constituer des priorités pour l'Union : urgence sociale, économique et environnementale.

De plus, la course au moins disant en matière de fiscalité des entreprises, tant au niveau européen que mondial, conduit à réduire toujours davantage le niveau d'impôt sur les sociétés sans jamais conduire à s'interroger sur le niveau le plus juste d'imposition des entreprises dans une société avancée.

J'ai fait le choix de m'intéresser particulièrement à trois sujets en partie retracés sur le programme 200: la question de la TVA, celle du crédit impôt recherche (CIR) et celle des règlements d'ensemble opérés par l'administration fiscale.

Dans son rapport de décembre dernier, la Cour des comptes a estimé la fraude à la TVA à près de 15 milliards d'euros. À l'instar de la Cour, je considère qu'un chantier de grande ampleur et de long terme doit être mené afin de parvenir à une estimation fiabilisée du niveau de la fraude. La mobilisation de l'ensemble des administrations concernées doit permettre de corriger les biais de sélection et de détection qui affectent les estimations disponibles à ce jour.

Il me semble, chers collègues, que nous sommes tous d'accord pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Pour ce faire, l'information doit être décloisonnée et les services doivent travailler de façon coordonnée, autant au niveau national qu'européen et international. Les moyens humains doivent être renforcés et mieux spécialisés. Ce sont les conclusions que tirait déjà la Cour des comptes dans son référé de décembre 2018.

La lutte contre la fraude doit aussi permettre de dégager de nouvelles ressources publiques. Les taux de TVA doivent être revus à la baisse pour les produits et les services essentiels aux personnes et au maintien de leur dignité. Je pense par exemple au savon, au dentifrice, au gel douche ou encore au shampooing.

J'ai bien conscience que les taux réduits font l'objet d'un encadrement strict par le droit de l'Union européenne et c'est pourquoi je considère que la France doit impérativement porter une initiative au niveau européen concernant l'extension de ces taux réduits.

Par ailleurs, concernant le crédit impôt recherche, je considère le dispositif comme inadapté pour répondre aux grands enjeux de la recherche et du développement.

En effet, la plupart des études concluent à un effet de levier très limité, voire nul : pour 1 euro de CIR dépensé par l'État, les entreprises n'engagent pas ou peu de dépenses supplémentaires. Cette absence d'effet de levier est signe d'une profonde inadaptation du dispositif. De plus, malgré un coût élevé pour les finances publiques, de plus de 6 milliards d'euros, l'outil ne permet pas à l'État de déterminer des priorités stratégiques pour la recherche et le développement afin de répondre aux grandes problématiques actuelles, notamment sanitaires, environnementales ou encore sociales.

Enfin, cette dépense est en grande partie imputable aux grandes entreprises qui utilisent souvent le CIR au sein de stratégies d'optimisation fiscale. Une étude d'Oxfam indique en effet qu'en « 2015, sur 14 000 entreprises ayant bénéficié du CIR, 42 grandes entreprises, soit 0,3 % des bénéficiaires, se sont accaparé à elles seules 31 % des créances du CIR. »

Ainsi, je plaide pour le rétablissement d'un plafonnement du bénéfice de ce dispositif à 16 millions d'euros, apprécié au niveau du groupe.

Enfin, je souhaite aborder la question des « règlements d'ensemble », qui permettent à l'administration d'accorder au contribuable une minoration du montant des pénalités dues, mais également des droits demandés. Cette pratique est utilisée lors de redressements complexes, en matière de fiscalité internationale notamment. D'après le rapport récemment remis au Parlement sur le sujet, la pratique vise à faciliter la conclusion de certains contrôles dans les cas où il existe « des difficultés à établir avec suffisamment d'exactitude le quantum des rectifications [...] ou un véritable aléa juridique. »

Dans ces affaires, l'État renonce non seulement à percevoir certaines pénalités, mais accepte également de voir les droits réduits. Sur les 116 règlements d'ensemble opérés en 2019, portant sur une remise totale 1,6 milliard d'euros, les droits ont été minorés de 1,12 milliard d'euros.

Alors que les bases légales de cette procédure ne sont pas clairement définies, le pouvoir discrétionnaire laissé à l'administration de renoncer à des droits qui devraient être perçus en vertu de dispositions législatives ne peut aucunement satisfaire le Parlement.

J'en viens maintenant au second programme de cette mission qui est consacré aux dégrèvements et remboursements d'impôts locaux. En 2021, les crédits du programme s'effondrent puisqu'ils passent de 23 milliards d'euros à 7 milliards d'euros. Deux évènements expliquent cette contraction. D'abord, la réforme de la taxe d'habitation et, ensuite, la réforme des impôts de production.

S'agissant de la réforme de la taxe d'habitation (TH), il est utile de se rappeler que nous arrivons, en 2021, dans la deuxième phase de la réforme. Jusqu'ici, l'allègement introduit en loi de finances pour 2018 avait pris la forme d'un dégrèvement et, par voie de conséquence, son coût était retracé par la mission dont je rapporte les crédits.

La mise en oeuvre progressive de ce dégrèvement s'était ainsi traduite par une hausse importante des crédits de la mission : + 3 milliards d'euros en 2018, + 6 milliards d'euros en 2019 et + 14 milliards d'euros en 2020.

À compter de 2021, ce dégrèvement est transformé en exonération et le produit de la taxe d'habitation est perçu par l'État. Des 15 milliards d'euros de dégrèvement de taxe d'habitation retracés l'année dernière que reste-t-il à rapporter ? 700 millions d'euros composés principalement de quelques contentieux résiduels.

C'est ainsi qu'avec la taxe d'habitation sur les résidences principales, disparaissent quasiment les deux tiers des crédits du programme.

Néanmoins, si on allège la charge de votre rapporteur spécial, mes chers collègues, on renforce son inquiétude d'élu local. Il faut rappeler, en effet, qu'à compter de l'année à venir les EPCI et les départements percevront de la TVA dans le cadre de cette réforme. Une TVA inéquitable par construction et dont le produit est fortement soumis aux aléas économiques de surcroît.

Qu'on se rassure, toutefois, car le ministre de l'action et des comptes publics avait rappelé lors de nos débats sur le PLF l'an dernier qu'une contraction de la TVA était assez improbable. Cela doit nous rassurer d'autant plus que pour les départements, par exemple, ces recettes de TVA vont représenter plus de 20 % de leurs recettes de fonctionnement. En économie on appelle cela un cygne noir, c'est-à-dire un évènement dont la survenue est plutôt improbable, mais dont les effets sont dévastateurs.

Pourtant peut-on considérer comme improbable un évènement qui est survenu deux fois en un peu de plus de dix ans, c'est-à-dire lors de la crise de 2008 et au cours de cette année ? Le cygne me semble plus gris que noir.

Que penser, alors, des mécanismes de garanties - presque inexistants - qui accompagnent cette réforme ? Que dire de l'amendement introduit à l'initiative du Gouvernement à l'Assemblée nationale et qui vise à rendre contemporain les versements de TVA, c'est-à-dire à s'assurer qu'une chute de la TVA frappe bien immédiatement les collectivités locales ?

Je crois que les inquiétudes exprimées à l'encontre de cette réforme par presque chacun d'entre nous l'année dernière sont plus que légitimes et doivent être entendues.

La seconde raison pour laquelle les crédits diminuent cette année réside dans la mise en oeuvre de la réforme des impôts de production prévue aux articles 3 et 4 du projet de loi de finances. La première mesure consiste à supprimer la part de contribution sur la valeur ajoutée (CVAE) actuellement perçue par les régions. La seconde mesure consiste à réformer les modalités d'évaluation de la valeur locative des locaux industriels.

Au total, le Gouvernement s'attend à une diminution de l'ordre de 10 milliards d'euros de la CVAE, de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) acquittées par les entreprises. En conséquence, le montant des dégrèvements et des remboursements opérés au titre de ces impôts et retracés par le programme 201 diminuera également.

Là encore, j'estime que ces réformes sont contestables. D'abord, il y a le principe même d'organiser des allègements de cette ampleur sans que ne soit proposée aucune contrepartie.

Ensuite, il y a la méthode retenue pour compenser les collectivités locales. Pour les régions, un accord a été trouvé entre l'État et l'association des régions de France pour remplacer les anciennes recettes de CVAE par de la TVA.

Avant que nous n'entamions dans quelques jours le débat sur ce sujet en commission comme en séance, il me semble utile de rappeler que c'est encore le législateur qui détermine les règles de la libre administration des collectivités locales et les ressources dont elles disposent. Il me semble que nous aurions tout à fait le droit et qu'il serait utile de nous interroger sur le caractère souhaitable ou non de cet accord qu'on nous demande d'avaliser. Pour le bloc communal, on propose d'instituer un prélèvement sur les recettes de l'État. Or, il faut garder à l'esprit que ce qu'une loi de finances fait, une autre loi de finances peut le défaire. Ainsi, je pense qu'il faut être optimiste pour croire que cette compensation ne sera pas ajustée à l'avenir comme l'ont été toutes celles qui l'ont précédée.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » ont un caractère purement évaluatif. La mission retrace des mouvements mécaniques de crédits, liés directement aux modalités des différents impôts, à des politiques publiques, comme les crédits d'impôt, ou encore à la gestion des produits d'imposition, comme les dégrèvements. Le vote de la mission revient simplement à valider la prévision proposée par le Gouvernement sur les mouvements de crédits attendus en 2021 en application des dispositions législatives, et en particulier fiscales.

J'aurais trois questions. Tout d'abord, quelles ont été les conséquences de la mise en oeuvre du prélèvement à la source sur les crédits de la mission ?

Ensuite, au-delà de la diminution des dégrèvements de CVAE et de CFE, quels sont les facteurs qui peuvent expliquer la réduction des crédits de l'action « Remboursements et dégrèvements d'imposition économique » ?

Enfin, quel est le montant de la provision passée au titre du contentieux lié à la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ?

M. Philippe Dallier. - Je veux revenir sur le coût pour les finances publiques de la suppression de la taxe d'habitation. On constate que le coût est de + 3 milliards d'euros en 2018, + 6 milliards d'euros en 2019 et + 14 milliards d'euros en 2020, soit 23 milliards au total. Mais, inversement, il faut aussi déduire le montant des exonérations qui existaient déjà avant et que l'État compensait déjà. Au total, j'estimais le coût de cette suppression à 19 milliards d'euros. Cette évaluation est-elle bonne ?

Nombre de communes sont surprises lorsqu'elles reçoivent les états des services fiscaux qui leur notifient leurs bases de taxe d'habitation. Certaines communes, qui gagnent de la population, voient leur taxe foncière progresser, mais la TH progresse nettement moins... Il arrive parfois que la première notification de TH soit très basse et qu'elle soit suivie d'une forte correction ensuite. Avec la forfaitisation, les communes souhaitent être sûres que la totalité des bases ont bien été prises en compte. Comment s'assurer, auprès des services de l'État, que quelques centaines de millions d'euros, voire plus, ne s'évaporeront pas en 2021 ?

M. Claude Raynal, président. - Ils ne seront pas perdus pour tout le monde !

M. Éric Bocquet. - Un rapport de l'Assemblée nationale proposait il y a quelques années de faire le ménage parmi les niches fiscales. Le débat est ancien, mais la matière est mouvante. On comptait 451 niches fiscales en 2017 ; on en compte aujourd'hui 475. De petites niches peu rentables ont certes disparu, mais d'autres ont été créées. Il est donc difficile de s'y retrouver et d'estimer leur coût pour les finances publiques. Certaines niches, en outre, n'ont que des crédits estimatifs : seules 234 dépenses fiscales sur 475 font l'objet d'un chiffrage précis. Disposera-t-on à un moment ou à un autre, en loi de règlement par exemple, du coût de ces niches ?

M. Marc Laménie. - Vous avez évoqué la lutte contre la fraude à la TVA. Mais sur le terrain les effectifs des services de la direction générale des finances publiques baissent, des trésoreries ferment. Si les moyens humains se réduisent, comment lutter contre la fraude ?

Les élus sont aussi inquiets quant à la compensation de la suppression de la taxe d'habitation, alors que les recettes de TVA ne progressent pas.

M. Michel Canevet. - J'ai découvert dans le rapport que deux contribuables s'étaient vu imposer des niveaux d'imposition très élevés pour corriger des erreurs déclaratives. S'agit-il d'erreurs de traitement ou bien de contribuables particulièrement fortunés ?

Nous devons être prudents sur le CIR, qui me semble très important pour l'innovation et l'esprit d'entreprise en France. Nous avions constaté, lors des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche, à quel point ce dispositif était apprécié par les entrepreneurs, non seulement les grandes entreprises, mais aussi les PME, qui peuvent mener une politique de recherche grâce à ce mécanisme. L'innovation est fondamentale dans l'économie d'aujourd'hui. Soyons donc prudents, pour ne pas prendre le risque de voir l'effort de recherche s'effondrer en France.

Enfin, peut-on être sûr que la baisse des impôts de production visera bien les entreprises industrielles ?

M. Sébastien Meurant. - À chaque déplacement de la délégation aux entreprises, la question du CIR est posée. Il s'agit de PME. La recherche permet de soutenir l'innovation et la croissance. Faut-il risquer de remettre en cause un dispositif qui bénéficie aux petites entreprises, et dont l'intérêt est clair dans l'enfer fiscal que constitue la France pour les chefs d'entreprise ? Je rappelle que la France est le pays de l'OCDE où les impôts sont les plus élevés.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Vos propos contiennent des questions, auxquelles je m'efforcerai de répondre, et des appréciations, qui relèvent de l'opinion de chacun.

Concernant la mise en oeuvre du prélèvement à la source : trois éléments sont retracés sur la mission. D'une part, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement mis en oeuvre en 2019 pour résoudre la question de l'année blanche et éviter les doubles impositions, a représenté 6 milliards d'euros. D'autre part, à chaque début d'année, un acompte de 60 % des réductions et crédits d'impôt est versé aux contribuables, pour un coût annuel de 5,5 milliards d'euros. Enfin, les restitutions en cas de trop-perçu sont versées l'année suivante et ont représenté en 2020 un peu plus de 11 milliards d'euros.

Le Gouvernement estime que la réforme des impôts de production - CVAE, CFE et TFPB - représente une économie d'impôt de 10 milliards d'euros pour les entreprises. Quant à la provision liée à la CSPE, je vous répondrai plus précisément ultérieurement.

La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales représente une moindre recette de l'ordre de 23 milliards d'euros ; l'estimation avancée par M. Dallier est donc juste. En 2020, les bases de TH ont évolué de 0,9 %, et non par rapport à l'inflation comme le prévoyait le droit antérieur à la réforme de la taxe d'habitation, ce qui est donc moins favorable. Nous avions posé, l'année dernière, unanimement, la question de la juste compensation, mais n'avions pas été entendus. Le montant des retours aux collectivités territoriales est d'environ 23 milliards. Toutefois, compte tenu du fait que l'État assumait le coût de certaines exonérations, la charge nette pour lui s'élèverait plutôt à 18 milliards d'euros.

Sur la question des dépenses fiscales, la mission « Remboursements et dégrèvements » traite seulement des restitutions d'impôts et non des réductions d'impôt. C'est bien dommage, car elles ne font l'objet de quasiment aucune évaluation. Il serait sans doute pertinent que notre commission s'occupe davantage de ce sujet. Au niveau de la mission dont je rapporte les crédits, les restitutions pour l'impôt sur les sociétés représentent tout de même un montant d'un peu plus de 12 milliards d'euros.

Par ailleurs, je crois que l'on ne peut pas évaluer le CIR uniquement au regard de l'effort global de recherche et développement mais que l'on doit bien voir que la dépense n'est pas toujours efficace.

Je sais que nous sommes divisés sur la réforme des impôts productifs. Une réforme du calcul de la valeur locative cadastrale des locaux industriels est en cours. La notion me semble claire, mais il reste à savoir comment elle sera conduite ensuite sur le plan administratif. En tenant compte de cette réforme et de celle de la CVAE, l'effet sera plus diffus : on peut estimer, à ce stade, qu'elle bénéficiera à l'industrie pour 40 %.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Projet de loi de finances pour 2021 - Examen du rapport relatif à la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 31)

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Chaque année le projet de loi de finances fournit une évaluation du prélèvement sur recettes du budget de l'État qui est versé au profit de l'Union européenne (PSRUE). Le montant de ce prélèvement constitue l'élément essentiel de la participation de la France au budget européen, auquel il faut ajouter les droits de douanes nets pour obtenir le montant total de notre contribution.

Si notre participation au budget de l'Union européenne constitue une obligation des traités, l'examen de ces crédits répond néanmoins à une exigence de contrôle démocratique.

Avant de vous détailler le montant du prélèvement européen, il est nécessaire de rappeler que notre contribution dépend directement de l'issue des négociations du prochain cadre financier pluriannuel (CFP).

Après deux ans de négociations houleuses, les États membres ont trouvé un accord sur le budget pluriannuel de l'Union européenne lors du Conseil européen qui s'est tenu du 17 au 21 juillet derniers. Cet accord a été obtenu dans un contexte de fortes attentes des citoyens européens sur la réponse à apporter à la crise. Dans cette perspective, l'accord de juillet constitue un tournant budgétaire et politique majeur. Il définit un CFP dit « socle » s'élevant à 1 074 milliards d'euros en crédits d'engagement, et qui sera complété par un instrument de relance, doté d'une enveloppe de 750 milliards d'euros.

L'articulation entre le CFP socle et cet instrument de relance retient un schéma inédit, marqué par le souci de l'Union européenne d'accroître sa force de frappe budgétaire dès l'année prochaine. Le plan de relance européen sera financé par des ressources levées sur les marchés financiers par la Commission européenne, au nom de l'ensemble des États membres. Il se répartira entre des prêts, à hauteur de 360 milliards d'euros, et des subventions de 390 milliards d'euros. Ces sommes transiteront par le budget européen, soit via des programmes qui existent déjà, soit par un nouveau programme intitulé « facilité pour la reprise et la résilience ». Cette facilité constitue la clé de voûte du plan de relance européen : premièrement, elle concentre la totalité des prêts de l'instrument de relance, et la majeure partie des subventions - 312,5 milliards d'euros ; deuxièmement, les modalités d'allocation et de décaissement de ses crédits diffèrent de celles en vigueur pour les fonds structurels européens traditionnels.

Au titre de cette « facilité », la France devrait bénéficier d'une enveloppe de 40 milliards d'euros courants, sur laquelle le Gouvernement compte pour financer son plan de relance, soit 37,5 milliards d'euros constants.

Toutefois, des interrogations subsistent actuellement sur la mise en oeuvre du nouveau CFP et du plan de relance.

Premièrement, les négociations entre le Parlement européen et le Conseil continuent d'achopper sur certains points, notamment l'augmentation de quelques programmes budgétaires et le mécanisme de conditionnalité des fonds liée au respect de l'état de droit, auxquels tient le Parlement européen.

Deuxièmement, des interrogations demeurent quant à la gouvernance et au décaissement des crédits du plan. En effet, si la procédure de décaissement est guidée par le souci de garantir que les sommes issues du plan relance, et donc de l'endettement commun, sont utilisées à bon escient, force est de constater que cette procédure est complexe et longue. Les États membres devront présenter un plan national détaillant leurs projets d'investissement et de réformes, qui sera évalué par la Commission européenne et validé par le Conseil à la majorité qualifiée. Ensuite, le décaissement des crédits s'étalera entre 2021 et 2026, au fur et à mesure de l'atteinte d'objectifs intermédiaires. Dans ces conditions, il apparaît évident que les plans de relance nationaux restent en première ligne pour assurer le soutien à la reprise économique. Il faut être transparent : le plan de relance européen constitue bien un remboursement a posteriori des dépenses engagées par les États membres dans leur plan de relance national.

Comment le plan de relance européen est-il financé, et dans quelle mesure la France devra-t-elle participer à son financement ? Cette équation budgétaire comporte encore plusieurs inconnues. En effet, les sommes empruntées seront remboursées à partir de 2028, ce qui permet de ne pas peser sur les finances publiques des États membres dans les premières années. Toutefois, en l'absence de nouvelles ressources propres, le remboursement sera effectué par les États membres, en fonction de leur part dans le revenu national brut (RNB) de l'Union européenne. Pour la France, cela signifie que le remboursement du plan de relance européen pourrait s'élever à 2,5 milliards d'euros par an.

Toutefois, le pessimisme n'est pas encore totalement à l'ordre du jour, puisque le Conseil européen a fait de l'introduction de nouvelles ressources propres une priorité. Ainsi, dès 2021, sera introduite une nouvelle ressource fondée sur le taux de recyclage de déchets plastiques. La Commission européenne devra également présenter des propositions relatives à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, à une taxe numérique, un système révisé d'échange de quotas carbone, et éventuellement une taxe sur les transactions financières. Dans ces conditions, l'accord du 21 juillet a apporté, dans l'urgence, une réponse budgétaire novatrice, mais qui occulte de façon préoccupante la question du financement du plan de relance. Le coût in fine pour la France dépendra de la nature des nouvelles ressources qui seront mises en oeuvre. Il faudra être particulièrement vigilant à ce qu'elles ne soient pas vécues comme la création d'un impôt supplémentaire par nos concitoyens.

Ces négociations viennent percuter la procédure d'examen du projet de budget européen pour 2021, qui suit son cours, mais dépend de l'issue des négociations du règlement du CFP. Dans ce contexte, l'évaluation du montant de la contribution de la France pour 2021 constitue un exercice de haute voltige.

Pour 2021, l'article 31 du projet de loi de finances évalue à 26,9 milliards d'euros le montant du PSRUE, soit une hausse de 15 % par rapport à la dernière prévision d'exécution pour 2020. Pour rappel, le montant de ce prélèvement est évalué à partir, d'une part, du besoin de financement de l'Union européenne pour 2021, qui dépend du budget pour cet exercice, qui lui-même dépend de l'adoption du nouveau CFP et du solde de 2020 qui sera reporté sur 2021 ; et, d'autre part, à partir des données prévisionnelles des ressources propres de l'Union assises sur la TVA, le RNB, et les droits de douane.

Compte tenu de ces hypothèses, l'évaluation de ce montant est très incertaine cette année. En effet, les perspectives économiques dégradées rendent les ressources propres de l'Union volatiles, et le règlement sur le CFP n'a pas encore été formellement adopté.

La hausse du PSRUE anticipée en 2021 résulte essentiellement de quatre facteurs : le retrait du Royaume-Uni du budget européen, alors qu'il faisait partie des contributeurs nets ; le niveau de dépenses de l'Union pour 2021 qui devrait être supérieur avec l'entrée en vigueur du nouveau CFP ; les conséquences économiques de la crise sanitaire, qui réduisent les ressources propres de l'Union européenne ; et les modifications des règles de calcul des contributions nationales pour le prochain CFP.

Sur ce dernier point, il convient de souligner que l'accord du 21 juillet dernier constitue un renoncement de la France sur la question des rabais. La France, comme la Commission européenne, défendait la suppression des rabais dans le prochain CFP, à la faveur du départ du Royaume-Uni. Or, non seulement les rabais forfaitaires ont été maintenus, mais ils ont également été augmentés. Un rabais a également été introduit sur la nouvelle ressource « plastique ». Par ailleurs, contrairement à la position de la Commission européenne et de la France, le taux de retenue pour frais de perception appliqué aux droits de douane a été augmenté de 20 % à 25 %.

Ainsi, la nécessité de parvenir à un accord a constitué une priorité supérieure à la préservation d'une partie des intérêts budgétaires de la France. Toutefois, si le coût budgétaire aurait pu être mieux maîtrisé, il est certain que le coût politique d'une absence d'accord aurait été beaucoup plus élevé.

En outre, la France a quand même réussi à faire prévaloir certaines de ses positions sur le plan des dépenses, notamment en matière de politique agricole commune (PAC).

Concernant le prélèvement sur recettes, en l'état actuel des données disponibles, je recommande donc à la commission l'adoption sans modification, de l'article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On constate les difficultés à évaluer le montant du PSRUE et l'important aléa que le Brexit continue de constituer pour l'Union européenne et ses États membres.

Le plan de relance européen est important, en dépit de l'incertitude quant au calendrier de distribution des sommes annoncées aux États et nécessaires pour financer leurs actions. N'avez-vous pas le sentiment toutefois que les États membres se sont un peu engagés sans connaître précisément la charge budgétaire que nos finances publiques devront assumer au titre du remboursement du plan de relance européen à partir de 2028 ?

M. Jean-François Rapin. - Je suis satisfait de constater que notre rapporteur fait la distinction entre euros constants et euros courants. C'est essentiel, d'autant plus lorsque les échéances sont lointaines. Nous en verrons demain tout l'intérêt dans le projet de loi de programmation de la recherche.

Nous avons tous été surpris de l'ampleur de la hausse de la contribution française au budget européen cette année. Avons-nous pris conscience que les 40 milliards constituent une bombe à retardement, car il faudra bien un jour rembourser ? Finalement, au-delà du plan de relance, je crains que notre relation à l'Europe ne change pas fondamentalement, en dépit du Brexit.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Il est vrai que les États membres se sont, d'une certaine manière, lié les mains en s'engageant sur un plan de relance, sans savoir s'il pourra être financé par l'introduction de nouvelles ressources propres.

Monsieur Rapin, la forte hausse de notre contribution est due en partie au retrait de la contribution britannique au budget européen, qui occasionne un surcoût de 2,1 milliards d'euros par rapport à 2020. S'agissant du remboursement du plan de relance européen, celui-ci n'interviendra qu'à partir de 2028, donc il n'a pas encore d'effet direct sur la contribution française au budget européen.

M. Éric Bocquet. - J'ai entendu à la radio ce matin, que les 40 milliards d'euros dévolus à la France tardaient à arriver. Qu'en est-il ?

En ce qui concerne les ressources propres, nous ne pouvons que nous féliciter des pistes avancées, comme la taxation des géants du numérique à l'échelle européenne. La taxe sur les transactions financières est une arlésienne dont on parle depuis 2011 : tout le monde trouve l'idée intéressante, mais on n'arrive pas à s'entendre sur ses modalités ; pourtant, une telle taxe, avec un taux de 0,1 %, dégagerait des recettes de 36 milliards d'euros par an ; ce n'est pas rien ! Il semblerait que la France et l'Allemagne soient enfin d'accord, mais la fiscalité relève de la règle de l'unanimité. Où en sommes-nous en Europe sur ce sujet ?

M. Philippe Dallier. - Nous avons été nombreux à nous réjouir de l'annonce du plan de relance européen et de l'enveloppe de 40 milliards pour la France. Cela a permis d'éviter que le doute ne s'installe sur la santé économique de certains pays et que les taux d'intérêt n'augmentent. Toutefois, les 40 milliards d'euros, comme l'a expliqué notre rapporteur, constituent en fait un remboursement de notre plan de relance, et ce remboursement devra être remboursé, contrairement à ce que beaucoup ont cru : l'argent ne tombe pas du ciel ! De plus, on risque de toucher une enveloppe budgétaire inférieure à ce que nous devrons rembourser : c'était le prix à payer pour la France pour que cet accord voie le jour. Soit les États auront à rembourser, soit il faudra créer des impôts européens qui pèseront sur les particuliers, les entreprises ou les banques. Donc il conviendrait de faire de la pédagogie sur cet accord, qui risque, in fine, de nous coûter cher.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette note d'optimisme !

M. Philippe Dallier. - Enfin, quelle sera la maturité de la dette à partir de 2028 ?

M. Vincent Segouin. - Je voulais poser la même question ! On contracte encore de la dette que l'on remboursera à partir de 2028. J'ai l'impression que l'on entre à nouveau dans un mécanisme de crédit, dans lequel on remboursera uniquement l'intérêt de la dette chaque année et où l'on devra faire un nouvel emprunt pour rembourser le capital. Cette méthode de gestion de la dette, jusque-là particulière à la dette française, deviendra-t-elle sa manière de gérer sa dette européenne ? Avant de souscrire un prêt, les ménages ou les entreprises commencent par se demander comment ils le rembourseront. Je suis surpris que l'on ne sache pas encore quelles recettes supplémentaires on mobilisera pour rembourser cet emprunt à l'échelle de l'Europe. Si ce remboursement doit être effectué au niveau des États, la France, comme l'a expliqué Philippe Dallier, sera clairement pénalisée en raison de l'écart entre le montant du remboursement et celui de la dette qu'elle a réellement contractée.

M. Michel Canevet. - Notre contribution à l'Union européenne augmente nettement, passant d'une vingtaine de milliards à 26,9 milliards pour le prélèvement sur recettes européen. Le changement de taux de retenue pour frais de perception de douane qui passe de 20 à 25 % est-il déjà intégré ? Cette hausse est-elle exceptionnelle ou pérenne ? De même, comment évoluera l'écart entre notre contribution et ce que l'on perçoit du budget européen ? Les élus des territoires ruraux et littoraux sont inquiets quant à la manière dont seront gérés les crédits destinés au monde rural et à la pêche. La gestion sera-t-elle décentralisée ? La tendance ne semble toutefois pas être celle-là ...

M. Stéphane Sautarel. - L'accord trouvé soulève bien des interrogations. Le plan de relance devra être remboursé. Je partage les remarques de mes collègues. De même, les rabais ont non seulement été maintenus, mais ils ont augmenté. À tel point que l'on peut s'interroger sur le bénéfice réel de cet accord pour notre pays : notre contribution au budget européen s'élèvera à 26,9 milliards d'euros, alors que les dépenses européennes réalisées en France se sont élevées à 15,1 milliards d'euros en 2019... On manque aussi de lisibilité sur la manière dont les programmes seront répartis. Des plans stratégiques nationaux devront être définis parallèlement à la renationalisation de la politique agricole commune, avec des risques de pénalités si les objectifs, comme le verdissement de la politique agricole commune (PAC) par exemple, n'étaient pas tenus. Nous devons donc faire preuve de vigilance. Les citoyens et contribuables doivent être mieux éclairés. Un effort de pédagogie s'impose pour bien faire comprendre le lien entre notre pays et l'Union européenne et l'effort de notre pays en faveur de l'Europe.

M. Jérôme Bascher. - Ne pensez-vous pas finalement que la France consent à un effort net supplémentaire parce qu'elle est la mauvaise élève de l'Union européenne en matière de finances publiques ? N'est-ce pas, somme toute, une manière d'acheter la bienveillance des autres États ?

M. Gérard Longuet. - Le Parlement est né de la nécessité de consentir aux impôts. Nous sommes étonnés de découvrir, mais c'est un bon rappel à l'ordre, que l'accord du Conseil européen du 21 juillet devra être ratifié par le Parlement européen. Cet accord risque-t-il d'être modifié à cette occasion ?

La France touchera peut-être 40 milliards d'euros. En général, qui paie, commande. Or, en l'occurrence, nous sommes gouvernés par une Commission que nous rembourserons ultérieurement. C'est un petit peu difficile à comprendre sur le plan politique. Je me suis réjoui, en raison de mes convictions européennes, qu'il y ait eu un accord, mais si l'on multiplie de tels accords, qui nous placent en situation d'être contrôlés pour gérer une somme que nous rembourserons, les convictions européennes, déjà contestées en France, risquent d'être affaiblies...

M. Rémi Féraud. - Notre rapporteur a bien montré que les incertitudes étaient nombreuses. On présente les milliards comme des additions, alors qu'il s'agit plutôt de transferts et de substitutions.... Les rabais ont été maintenus et ce système, qui ne profite pas à la France, bénéficie aux pays les plus riches de l'Union européenne. Quelle est la part de la hausse de notre contribution liée au maintien de ces rabais ?

Ensuite, ces 40 milliards font, si j'ai bien compris, partie du plan de relance français, alors que l'on a parfois eu le sentiment que le plan de relance français était présenté comme étant beaucoup plus important. Nous avions pourtant déjà été nombreux à estimer qu'un plan de 100 milliards d'euros n'était pas suffisant. Il est dommage que le plan de relance européen ne s'ajoute pas aux plans de relance nationaux. En tout cas, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas présenté les choses clairement.

M. Pascal Savoldelli. - Je partage ce qui vient d'être dit. On peut raisonnablement se poser la question du lien entre le budget européen et l'État de droit. En outre, si le versement des 40 milliards était retardé, cela entraînerait une vraie question démocratique. Cela vaut pour la France, comme pour tous les autres pays.

Je m'interroge aussi sur les déficits. On nous demande de respecter les règles budgétaires européennes communes. Pourquoi pas, mais le déficit budgétaire des pays de la zone euro avoisinera les 1 000 milliards d'euros à la fin de l'année, soit 8,9 % du PIB selon les calculs du Financial Times. C'est dix fois plus qu'en 2019 ! Ne faudrait-il pas, dès lors, modifier la procédure de déficit excessif ?

M. Claude Raynal, président. - L'accord doit maintenant être approuvé par le Parlement européen. Peut-on vraiment s'attendre à ce que l'enveloppe de 40 milliards soit débloquée rapidement ? Et je ne parle pas de la clause liée au respect de l'État de droit...

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - La somme de 40 milliards d'euros n'est qu'une estimation. Elle sera calculée selon une clé de répartition intégrant des critères dynamiques visant à tenir compte des effets économiques de la crise, et pour lesquels les données ne seront disponibles qu'en 2022. 70 % des sommes seront engagés avant 2023 et les paiements interviendront avant 2026. Ceux-ci seront conditionnés, car les États auront à mettre en place des programmes nationaux de réformes, qui devront être validés par la Commission et les autres États membres, en raison des suspicions des États frugaux, qui redoutent que les autres États ne procèdent à des dépenses inutiles. Les États devront atteindre des objectifs précis. Autant d'obstacles qui compliquent la délivrance de ces fonds.

Monsieur Dallier, la maturité de la dette est de trente ans. Les remboursements commenceront en 2028 et s'étaleront jusqu'en 2058.

Le changement de taux de retenue pour les frais de perception de douane est déjà intégré dans la contribution en 2021. La France reste une contributrice nette au budget européen, mais est, en même temps, le deuxième bénéficiaire des fonds européens derrière la Pologne. La PAC reste une politique importante. La France, conformément d'ailleurs aux résolutions que nous avions votées en ce sens au Sénat, avait insisté pour qu'elle ne soit pas oubliée dans le cadre de la révision du prochain CFP.

L'accord sur le CFP obtenu entre les États membres n'entrera en vigueur que s'il est approuvé par le Parlement européen qui ne dispose pas du droit d'amendement en l'espèce. Je partage vos doutes sur le calendrier... Le Parlement européen insiste sur le respect de l'État de droit, mais vu la position des Polonais et des Hongrois, il semble difficile de trouver une solution.

Les rabais ont été maintenus et même augmentés, et un nouveau rabais a de surcroît été introduit sur la ressource plastique. La hausse de la contribution française en raison de l'ensemble des modifications des règles de calcul des contributions nationales actées dans l'accord de juillet dernier sera de 700 millions d'euros en 2021.

Enfin, les règles budgétaires européennes sont appelées à être modifiées. La Commission a déjà initié une réflexion pour les simplifier et la crise rappelle la nécessité de progresser sur ce sujet.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour ce rapport qui montre qu'il reste encore de nombreuses inconnues sur le plan de relance européen.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 31 du projet de loi de finances pour 2021.

La réunion est close à 16 h 25.

Mercredi 28 octobre 2020

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et Programme « Sécurité civile » - Examen des rapports spéciaux

M. Claude Raynal, président. - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport spécial sur la mission « Sécurité ».

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial (programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité routière » de la mission « Sécurités »). - Je témoigne, comme chaque année, de notre solidarité à nos forces de l'ordre, qui sont particulièrement éprouvées par la crise sanitaire mais aussi, chacun le sait, par les événements dramatiques des derniers jours.

Depuis quatre ans, je dénonce le décalage budgétaire entre les annonces et les moyens, et le fait que des investissements nécessaires se trouvent empêchés ou reportés, de façon chaque année plus alarmante. Depuis 2011, les crédits de personnel ont progressé de 23 %, les effectifs de 5 %, alors que les crédits d'investissement et de fonctionnement ont baissé de 0,94 %.

Les crédits de la mission sont stables. Cela revient à dire que le problème est reconduit : les dépenses de personnel ne sont pas bien maîtrisées, ces dépenses dépassent le plan triennal de plus de 23 millions d'euros du fait essentiellement des mesures de revalorisation indiciaires, comme la Cour des comptes l'a souligné déjà l'an passé. Ces dépenses ne devraient pas diminuer dans les années à venir, à titre d'exemple, la revendication d'une gratuité des transports en Île-de-France pour les forces de l'ordre, à laquelle le ministre de l'intérieur a dit être ouvert, représenterait un surcoût annuel de 60 millions d'euros. Comme les années précédentes, et donc sans tenir compte du plan de relance, les crédits de la mission ne permettent guère d'investir pour la police et la gendarmerie nationales - ce qui en fait un budget largement sous-dimensionné, insuffisant. Ainsi, les crédits du programme gendarmerie ne comportent aucun achat d'arme - c'est seulement au titre du plan de relance, et pour 5 millions d'euros, que la gendarmerie pourra s'en procurer l'an prochain.

Selon les annonces du Gouvernement aux syndicats, le plan de relance fait augmenter de plus de 20 % les crédits de paiement en 2021 et permet en particulier un effort exceptionnel sur le parc immobilier et le parc de voitures. Le parc de voitures, nous le disons chaque année, est vieillissant depuis longtemps. Le Gouvernement annonce qu'un véhicule sur quatre sera renouvelé dans les deux ans, sachant qu'un véhicule est utilisé environ six ans ; cet effort, qui rappelle celui que Patrick Devedjian avait fait réaliser après la crise financière de 2008 pour aider nos constructeurs automobiles, concerne toutes les administrations de l'État. Quant au parc immobilier, dont nous déplorons aussi chaque année la vétusté, le Gouvernement annonce des appels à projets pour la gendarmerie et la police nationales, pour un montant qui pourrait aller jusqu'à 1,2 milliard d'euros et des projets qui ne seront pas connus avant quelques mois.

Le plan de relance change donc complètement l'appréciation que l'on peut avoir de cette mission. En elle-même, elle est décevante, l'augmentation programmée de 1,7 % des crédits étant bien trop faible pour faire face aux besoins. Cependant, les annonces du Gouvernement ont apparemment donné satisfaction aux syndicats de policiers, qui ont paru confiants. Nous ne pourrons donc nous faire un avis précis qu'après avoir pris connaissance de ces crédits exceptionnels et nous devrons tâcher de les pérenniser, pour éviter l'effet de stop and go qu'on a connu après d'autres programmes d'investissement où les moyens exceptionnels n'ont eu qu'un effet de rattrapage ponctuel, sans rien changer au problème de fond.

Concernant la sécurité routière, les chiffres 2019 de l'accidentalité s'inscrivent dans la dynamique positive de l'année 2018, avec 3 498 tués sur nos routes ; ce nombre encore trop élevé témoigne de l'amélioration de la sécurité sur nos routes puisqu'on comptait encore plus de 7 000 morts au début des années 2000.

Les crédits du programme 207 « Sécurité et éducation routières » diminuent de 3 % par rapport à 2020 pour s'établir à 41,18 millions d'euros. L'action principale de ce programme concerne le permis de conduire, qui absorbe la moitié des crédits. Cet examen important - il concerne chaque année un million et demi de nos concitoyens - a été fortement impacté par la crise sanitaire, la période de confinement a empêché plus de 400 000 examens de se tenir et l'impact sur le délai d'attente a été immédiat, passant de 42 à 70 jours. Cet indicateur n'est pas très bon, car il vise le délai entre le premier passage et le second passage, et non le délai global. Limitée dans son plafond d'emploi, la délégation à la sécurité routière s'efforce de ramener ce délai à sa cible de 42 jours pour l'an prochain, grâce à des heures supplémentaires pour les inspecteurs du permis de conduire, mais sa tâche est étroitement liée à l'évolution de la situation sanitaire et varie selon les régions.

S'agissant du compte d'affectation « Radars », l'estimation du produit total des amendes de la police de la circulation et du stationnement se situe à un niveau inédit de près de 2 milliards d'euros, dont la moitié environ de recettes de radars forfaitaires ou majorées. Comme nous l'a confié la déléguée à la sécurité routière lors de son audition, il s'agit d'une estimation optimiste : pour ne citer que les amendes forfaitaires radars, le montant du produit réalisé en 2020 devrait se situer à environ 600 millions d'euros contre 729 millions d'euros prévus. Cela tient à la fois à la dégradation du parc suite à au mouvement des gilets jaunes et à la baisse du trafic pendant et à la suite du confinement.

Or, ces recettes financent le dispositif de contrôle automatisé à hauteur de 335 millions d'euros en 2021, soit un montant stable par rapport à 2020. L'objectif est de déployer 4 700 radars d'ici la fin de l'année prochaine, tout en modernisant les équipements, avec 500 radars tourelles et urbains supplémentaires et un peu plus de 200 voitures à conduite dite externalisée - des conducteurs extérieurs aux forces de l'ordre, désignés après un appel d'offres, seront chargés d'effectuer des trajets précis et n'auront aucune action possible sur les matériels d'enregistrement des infractions, qu'ils embarqueront dans leur véhicule et qui seront automatisés. Enfin, les autres recettes seront redistribuées aux collectivités territoriales et à l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) pour contribuer à l'entretien du réseau routier, et à l'État au titre de son désendettement.

Au total, et s'agissant notamment de la police et de la gendarmerie, le plan de relance, en apportant des moyens exceptionnels, permet au Gouvernement d'annoncer des investissements qui correspondent à ceux que nous demandons depuis des années, en particulier pour le parc immobilier et le parc automobile des forces de l'ordre. L'impact du plan de relance sur cette mission est tel que je vous propose de réserver notre vote, le temps de nous assurer que les crédits sont bien fléchés et qu'ils correspondent bien aux annonces gouvernementales. Je n'ai, à l'heure actuelle, nulle certitude : les orientations m'ont bien été confirmées, mais les actes administratifs n'ont pas encore été pris ; l'inscription d'un milliard et demi d'euros supplémentaires, comme annoncé, nous ferait voter ces crédits, nous attendrons donc d'être certains qu'ils le soient - d'ici là, je vous propose donc de reporter notre vote.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial (programme « Sécurité civile »). - En 2021, le programme 161 « Sécurité civile » est doté de 415 millions d'euros en autorisations d'engagement et 520 millions d'euros en crédits de paiement.

Les crédits sont donc stables, mais en apparence seulement, pour deux raisons. D'une part, leur ventilation par titre connaît des évolutions. Les dépenses de fonctionnement diminuent de 15 millions d'euros, et les dépenses d'investissement augmentent d'autant. Ces dernières atteignent ainsi leur plus haut niveau depuis 2015, soit 105 millions d'euros. Elles permettront de poursuivre la commande des avions Dash, deux d'entre eux devant être livrés en 2021. D'autre part, si on ajoute les crédits affectés à la sécurité civile et portés par le plan de relance, la dotation du programme « Sécurité civile » augmente d'environ 37,5 millions d'euros.

En effet, la mission « Plan de relance » prévoit des dépenses complémentaires, mais pas forcément supplémentaires. Une bonne partie de ces dépenses était en effet prévue bien avant la crise sanitaire, comme le maintien en condition opérationnelle (MCO) des avions de la sécurité civile. Ce MCO sera ainsi pris en charge pour à 75 % par le programme « Compétitivité » du plan de relance et 25% par le programme « Sécurité civile ».

Ce procédé quelque peu artificiel laisse songeur. Le financement de l'État en faveur de la sécurité civile devient de moins en moins lisible, puisqu'il repose désormais sur dix programmes, pilotés par six ministères différents : le programme 161 ne représentera plus que 43 % de l'effort financier de l'État pour la sécurité civile en 2021, contre la moitié ces dernières années.

La sécurité civile repose aussi - et surtout - sur un financement local, à travers le budget des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Leurs dépenses ont augmenté en 2019 et dépassent les 5 milliards d'euros. Les SDIS devraient également faire face à des charges supplémentaires dès 2020, avec le financement de la revalorisation de la prime de feu, soit 80 millions d'euros en année pleine. Les solutions pour alléger leurs charges doivent être recherchées. Il est ainsi satisfaisant que le Gouvernement ait répondu à leurs attentes en supprimant la surcotisation versée à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS pour 2021). Cette mesure leur fera économiser environ 40 millions d'euros.

Le soutien budgétaire de l'État, modeste comme chaque année, financera la poursuite du projet NexSIS 18-112, qui consiste à unifier les systèmes d'information des SDIS. Outre les perspectives de mutualisations et d'économies qu'il permet, NexSIS doit aussi renforcer l'interopérabilité entre les systèmes d'information du ministère de l'intérieur et du SAMU. La crise de la Covid-19 a révélé des marges de progression dans ce domaine. Les acteurs de sécurité civile demandent la mise en place d'un numéro unique pour les appels d'urgence, adossée à une généralisation des plateformes communes de traitement des appels. Le Président de la République l'avait souhaité dès 2017. Trois ans plus tard, il serait vivement souhaitable que le 112 devienne ce numéro unique, comme c'est déjà le cas dans douze autres États européens.

Nous n'avons pas fini d'entendre parler du 112, puisque ce PLF 2021 prévoit également le lancement du projet de « 112 inversé ». Il s'agit d'un projet en faveur duquel je m'étais déjà prononcé, depuis plusieurs années, à la suite de mon rapport d'information sur le Système d'alerte et d'information des populations (SAIP) de 2017 : mettre en place un vecteur d'alerte sur téléphone mobile via la technologie de diffusion de SMS géolocalisés (ou Cell Broadcast). Un an après l'incendie de Lubrizol à Rouen, le ministre Gérald Darmanin a en effet annoncé le déploiement de ce nouveau système d'alerte par téléphone. Non seulement indispensable, la mise en place d'un tel système a même été rendue obligatoire par la directive européenne de 2018, que la France doit transposer d'ici 2022 ; 50 millions d'euros sont donc budgétisés pour le « 112 inversé », dont 37 millions d'euros sont inscrits sur la mission « Plan de relance ». Là encore, il faut espérer que le ministère de l'intérieur et la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises suivent de près l'exécution de ce projet.

Le programme 161 finance également les moyens aériens de la sécurité civile, qui jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les feux de forêt. Cette année, la préparation de la saison des feux a suscité beaucoup d'inquiétudes. En février, les 7 avions Tracker, qui étaient jusqu'alors immobilisés à cause d'une défaillance technique, ont soudainement été retirés du service. La mise en oeuvre du guet aérien armé (le GAAr), n'a pu s'appuyer que sur quatre avions Dash et dans une moindre mesure les Canadair CL-415. La dernière saison estivale s'est heureusement révélée d'une moindre intensité qu'en 2019. Le ministère de l'intérieur a également loué deux hélicoptères bombardiers d'eau, pour un coût de 2,4 millions d'euros. Ce dispositif ayant rencontré un certain succès, il sera reconduit en 2021, avec 6 millions d'euros imputés sur le programme 161.

Je conclus sur un motif de satisfaction : comme je le recommandais dans mon rapport d'information sur la lutte contre les feux de forêt, le Gouvernement va utiliser dès cette année la possibilité de cofinancement de l'Union européenne pour acquérir des avions amphibies. Ainsi, deux nouveaux Canadair devraient être livrés en 2025 et seront intégrés à la réserve européenne de sécurité civile. La France sera néanmoins en pleine propriété de ces Canadair, qui pourront alors être engagés à des fins nationales. Cette perspective apporte ainsi une réponse au problème du vieillissement de nos douze Canadair. Il nous appartient toutefois de poursuivre notre attention sur nos moyens aériens, et de veiller à ce que nous soyons toujours en mesure de faire face à la multiplication des crises à venir.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (Programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités »). - Je vous remercie de ces informations précises et éclairantes. Nous serons très vigilants à ce que le coût croissant de nos forces de sécurité ne se traduise pas par une diminution de fait de leurs capacités d'action, et que les moyens budgétaires soient en adéquation avec les missions confiées à nos forces de l'ordre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La mission « Plan de relance » est essentielle dans ce projet de loi de finances, y compris pour les forces de l'ordre. Nous aurons à vérifier de près si les moyens exceptionnels relèvent effectivement d'un plan de relance, ou bien s'ils ne font que combler des retards et remplacer des crédits « classiques »... Nous n'avons pas les éléments précis pour en juger, il nous faut un peu de temps pour faire cet exercice d'évaluation, entre ce qui relève de la relance et le seul rattrapage. Sur le verdissement du parc automobile, je crois que nous devons nous assurer qu'il se fasse en respectant bien les contraintes opérationnelles, dans notre contexte sécuritaire. Une question sur les radars : le PLF prévoit que les recettes des radars reviendraient à leur niveau de 2017, c'est-à-dire avant le « mouvement des gilets jaunes ». Cette estimation vous paraît-elle optimiste ? Le vandalisme continue-t-il de peser sur les recettes ?

Qu'en est-il, ensuite, des dépenses sur la sécurité civile prévues par le plan de relance ? J'entends que certaines dépenses étaient prévues avant la crise sanitaire. Ne s'agit-il pas de crédits budgétaires ordinaires qui auraient dû se trouver dans le programme « Sécurité civile » ? Les avions de la sécurité civile sont très utilisés pour combattre les feux. Le rapporteur peut-il nous préciser si des moyens supplémentaires sont prévus en la matière ? De plus en plus de régions sont touchées par les feux de forêts, du fait, notamment, du réchauffement climatique. Je le constate en tous cas dans le Grand Est, où le nombre de foyers augmentent, des moyens nouveaux doivent être mobilisés pour y faire face.

M. Claude Raynal, président. - Je vous rejoins tout à fait sur ce point : il faut s'assurer que le plan de relance ne fasse pas que boucher les trous, pour ainsi dire, de l'ordinaire. J'avais compris que la relance serait industrielle, productive, mais si elle consiste à acheter des véhicules allemands ou tchèques, on voit mal l'intérêt profond pour notre pays, surtout si c'est pour retomber aussitôt dans les travers que nous dénonçons régulièrement...

M. Antoine Lefèvre. - Je crois également préférable de reporter notre vote, jusqu'à être certains que la bonne nouvelle budgétaire soit bien réelle. C'est important en particulier pour le programme immobilier, tant la vétusté de certains bâtiments peut démotiver nos forces de l'ordre et leur donner le sentiment qu'elles ne sont pas reconnues.

Une question sur les heures supplémentaires, qu'on chiffrait à 24 millions fin 2018 : où en est-on ? Quels crédits pour les payer ?

La formation, ensuite, est essentielle quand on sait combien nos forces de sécurité doivent faire face à de nouvelles formes de violences, en particulier dans les manifestations publiques. Pourtant, la durée de formation est passée de douze à huit mois : est-ce à dire qu'on fait mieux, avec moins de temps ?

Des moyens de lutte contre les incendies de forêt peuvent être mutualisés à l'échelle européenne, nous dites-vous, mais il faut faire davantage parce que les épisodes de sécheresse et de canicule se développent, sur l'ensemble du territoire. Je ne suis pas convaincu que la location soit une bonne solution. Une acquisition de matériels dédiés serait préférable, avec une meilleure répartition sur le territoire de ces équipements. Ensuite, les SDIS recevront 7 millions d'euros de plus de l'État, c'est une bonne chose, mais n'oublions pas qu'ils ont reçu 3 millions d'euros de moins l'an passé - au total, la tendance est-elle toujours à la baisse à plus long terme ?

M. Roger Karoutchi. - Vous nous dites et vous écrivez dans votre rapport, que les effectifs des forces de sécurité ont progressé de 5 % depuis 2011 : où sont donc les effectifs supplémentaires ? Sur le terrain, partout on me dit que les effectifs baissent et qu'on n'obtient pas ce qu'on demande. Depuis huit ans, on nous répète que des effectifs supplémentaires arrivent, en particulier parce qu'on les forme plus vite - mais dans mon département, on ne les voit guère arriver. Pourquoi, d'ailleurs, est-il quasiment impossible de savoir précisément quels sont les effectifs dont on dispose dans le département ? Entre les effectifs stabilisés, les brigades plus ou moins territorialisées, personne n'y comprend plus rien.

M. Éric Jeansannetas. - Nous suivrons notre rapporteur dans sa proposition de reporter notre vote, et nous ne voyons pas bien, nous non plus, en quoi tel ou tel rattrapage relèverait de la « relance » - en quoi, par exemple, l'achat de pistolets taser participerait d'un plan de relance... Même chose, du reste, pour la rénovation thermique des bâtiments, qui relève plutôt d'une mise aux normes, quand on connaît la vétusté de certains d'entre eux. Attention, donc, au stop and go.

Le bleu budgétaire fait de l'aide aux victimes une priorité de premier plan : comment cela se traduit-il ?

Ne pensez-vous pas, ensuite, qu'il manque une action forte pour la formation de nos forces de sécurité, alors qu'elles sont de plus en plus sollicitées ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Où en est-on du versement des primes annoncées par le Gouvernement ? Le plan de relance procédera, pour la sélection des investissements, par des appels à projets : une répartition équitable entre les territoires est-elle prévue, ou bien l'appel à projets sera-t-il le seul filtre ?

M. Albéric de Montgolfier. - Le Gouvernement a annoncé un renforcement des polices municipales : est-ce que cela signifie qu'il change la doctrine d'emploi de la police nationale, et que des moyens nouveaux sont prévus pour les polices municipales ?

Où en est-on, ensuite, sur le périmètre d'action de la préfecture de police de Paris, en particulier sur sa capacité d'intervention en périphérie de la capitale : y a-t-il une nouvelle doctrine, avec des conséquences financières ?

M. Michel Canevet. - L'effort immobilier vise-t-il seulement les bâtiments dont l'État est propriétaire, ou bien aussi ceux qui appartiennent à des tiers, souvent des collectivités territoriales ? Ces propriétaires peuvent-ils être aidés eux aussi ?

Où en est-on, ensuite, des crédits des reports d'heures supplémentaires pour les forces mobiles ?

Quels sont les moyens prévus pour entretenir la flotte des hélicoptères qui interviennent dans la sécurité civile ? Ces hélicoptères sont-ils bien utilisés ? Des projets de réorganisation sont-ils en préparation ?

Enfin, quels sont les moyens de communication en cas de crise aiguë, si les réseaux ordinaires venaient à être rompus : dispose-t-on de réseaux de sécurité ?

M. Marc Laménie. - Si, comme vous nous le dites, les effectifs progressent dans leur ensemble, beaucoup de petites brigades sont en sous-effectifs et ne parviennent pas à recruter. La réserve gendarmerie opérationnelle est sous utilisée, faute de moyens financiers.

Nous avons constaté, ensuite, que la crise sanitaire a eu un impact sur les violences faites aux femmes et aux enfants dans le cadre domestique, entraînant plus d'interventions à caractère social pour nos forces de sécurité : sait-on combien cet effort représente en moyens humains ?

M. Dominique de Legge. - L'État mobilise peu de moyens pour la sécurité civile, comparé aux efforts des départements, alors même que les pompiers interviennent de plus en plus pour des faits qui sont liés à des carences de l'État en matière de sécurité civile et sanitaire. Sait-on quel est l'impact de la crise de la Covid-19 sur les SDIS ?

M. Jean-Claude Requier. - J'ai une remarque sur la répartition des amendes et je soutiens la position du rapporteur spécial sur la réforme du compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » ainsi que sur la suppression des enchevêtrements croisés. Depuis 2019 le CAS se voit encore prélever 26 millions d'euros pour abonder le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés, alors que les amendes sont censées financer des actions liées au transport routier : le principe que l'argent des amendes aille à la route, est-il si difficile à faire respecter ?

M. Didier Rambaud. - Le financement des SDIS relève principalement des départements, mais ils sont placés sous le commandement opérationnel des préfets : nous sommes bien loin du principe de « qui paie décide ». Chaque année, nous évoquons des pistes d'allègements de charges pour les SDIS, mais cela n'est pas si évident. Dans mon département, on ne voit pas bien quelles économies on pourrait encore faire...

M. Patrice Joly. - Des moyens pour la rénovation du parc immobilier de la gendarmerie pourront-ils être mobilisés pour des collectivités territoriales dont les services assurent des missions régaliennes de l'État ?

On annonce que des chauffeurs extérieurs aux forces de l'ordre circuleront avec des radars embarqués. Où seront stockées et par qui seront gérées les données qu'ils auront ainsi enregistrées ? N'y a-t-il pas des risques d'utilisations détournées de ces données ? Pourquoi ce recours à cette externalisation - connaissez-vous au moins l'économie réalisée ? N'y a-t-il pas là un premier pas, vers des services de plus en plus externalisés ?

M. Vincent Segouin. - Le thème de l'insécurité prend toujours plus de place dans l'opinion, le ministre de l'intérieur fait de grandes déclarations, mais le projet de budget ne fait progresser les crédits que de 1,7 %, pour 1 500 postes nouveaux : n'est-on pas dans l'effet d'annonce ?

Je comprends que le 112 pourrait devenir le numéro unique, mais cela signifie-t-il qu'il sera à la fois le numéro du SAMU, des forces de police et des sapeurs-pompiers ?

M. Victorin Lurel. - Je souhaiterais un focus sur les Outre-mer territoire par territoire, concernant les effectifs ainsi que les équipements et moyens de la police et de la gendarmerie. J'aimerais aussi un focus sur les installations de radars. Bien sûr la mortalité est forte mais nous avons plusieurs fois signalé que la densité particulièrement élevée des radars routiers en Guadeloupe faisait craindre un traitement différencié, au point de menacer l'équilibre entre la sécurité et la liberté : où en est-on ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Pour répondre aux questions sur la contribution du plan de relance à la sécurité civile, il y a en effet une répartition des dépenses ordinaires du programme 161 sur ce même programme et sur le programme du plan de relance. Par exemple, trois-quarts des dépenses pour le marché de MCO sont imputés sur le plan de relance. Cela représente plus de 33 millions d'euros. Le ministère de l'intérieur le justifie en expliquant que le marché du MCO a un impact économique majeur pour Sabena, la société titulaire du marché depuis 2015. Mais on imagine bien qu'avec ou sans ce plan de relance, le MCO aurait été réalisé, toujours dans le cadre du même marché. D'autres crédits du plan de relance serviront également pour les restes à payer de l'acquisition d'hélicoptères. Il s'agit bien d'une mesure de relance, puisqu'elle s'inscrit dans le plan de soutien à la filière aéronautique, présenté en juin dernier. Mais cette mesure n'est pas nouvelle, l'essentiel des dépenses de cette commande a déjà été voté dans le troisième projet de loi de finances rectificative, sur les dépenses du programme 161. On aura donc une commande qui sera exécutée sur deux programmes différents, ce qui est peu lisible.

Je partage vos inquiétudes sur les moyens de lutte contre les incendies de forêts, qui sont de plus en plus nombreux et importants avec le réchauffement climatique. J'avais écrit un rapport dans lequel j'évoquais ce risque, qui s'étend au centre et au nord de notre territoire. Des moyens complémentaires me paraissaient nécessaires, puisque notre flotte d'avions est vieillissante, et les avions Tracker ont tous été retirés.

Antoine Lefèvre m'interroge sur la mutualisation au niveau européen, le réchauffement climatique et le déplacement des risques, et sur les locations d'hélicoptères.

En ce qui concerne la flotte d'avions, plus particulièrement les Dash, j'avais recommandé dans mon rapport de revoir les emplacements sur le territoire national des pélicandromes, qui sont les stations d'avitaillement pour ces avions, obligés de se poser pour être ravitaillés en eau - contrairement aux Canadair, qui vont écoper directement sur des plans d'eau. Il est ainsi prévu qu'un pélicandrome mobile soit installé sur l'aéroport d'Albert-Picardie pour la zone Nord. Les locations d'hélicoptères sont une solution de sauvegarde, liée à l'immobilisation des avions Tracker. Une commande d'hélicoptères bombardiers d'eau doit être faite avec l'Allemagne. Ces appareils seraient installés dans le nord de la France et leur acquisition serait cofinancée par l'Union européenne.

Vous avez évoqué la baisse des aides de l'État, qui transitaient par la dotation d'aide à l'investissement des SDIS. Elle a en effet fondu comme neige au soleil puisqu'elle a été réduite à 7 millions d'euros, et est exclusivement consacrée au développement du système NexSIS. Mais les SDIS pourront bénéficier du fléchage de certains crédits du plan de relance, notamment via la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

Michel Canevet m'interroge sur le MCO : la maintenance est-elle faite dans des conditions satisfaisantes ? Oui, je l'ai constaté il y a deux ans sur la base de Nîmes. Le problème est que notre flotte aéronautique est vieillissante, ce qui allonge les durées d'immobilisation : alors qu'un avion récent n'est immobilisé qu'une semaine dans l'année, un avion vieillissant nécessite une immobilisation d'un mois par an. Comme notre flotte est assez restreinte, cela pose la question de la disponibilité. Cela dit, pour les hélicoptères Dragon, le taux de disponibilité est de 95 %.

Toutefois, le parc est passé de 38 à 34 hélicoptères. Deux hélicoptères ont été commandés, mais ils auraient vocation à être surnuméraires. Les perspectives de mutualisation des hélicoptères font l'objet de discussions entre les différents ministères. Ce n'est pas si simple, d'après ce que nous a expliqué le directeur général de la sécurité civile, que nous avons entendu hier, car les missions diffèrent entre elles, depuis le transport de personnel jusqu'aux missions de secours en mer ou en montagne. Certains engins ont des spécificités particulières, et leurs équipages aussi : un pilote qui fait du secours à personnes en milieu périlleux, en montagne par exemple, ne fait pas la même chose qu'un autre qui pilote un avion pour du transport de personnes.

Vous m'interrogez aussi sur la continuité du service, et notamment des moyens de communication, en cas de crise majeure. Il y a des réseaux sécurisés. Le Cell Broadcast est une technologie qui permettrait de prévenir la population des difficultés qu'il peut y avoir sur tel ou tel territoire, avec des SMS géolocalisés. L'ancien système SAIP qui avait été développé par le ministère pouvait être complètement encombré par les réseaux en cas d'attentat ou d'événement majeur. La technologie du Cell Broadcast élimine cette problématique.

Dominique de Legge s'inquiète de la faiblesse des moyens consacré par l'État à la sécurité civile, par rapport aux SDIS. Il est vrai que ceux-ci dépensent plus de 5 milliards d'euros, ce qui est sans commune mesure par rapport au budget du programme 161... Il est difficile de vous répondre sur l'impact exact de la crise pour les SDIS, du fait de carences de l'État. Je sais en tous cas qu'il y a eu moins d'activités opérationnelles du fait du confinement, qui a considérablement réduit le nombre d'accidents de la route et celui des interventions de secours à personne.

Vincent Segouin m'interroge sur le numéro 112 et les plateformes communes que nous appelons de nos voeux. Les services du SAMU étaient complètement débordés d'appels, alors que les centres d'appel des SDIS étaient même moins sollicités que d'habitude. Les éventuels surcoûts constatés sont peut-être liés à du transport sanitaire réalisé par les SDIS et les hélicoptères de la Sécurité civile.

Didier Rambaud évoque les voies d'allégement des charges du SDIS. Tous les SDIS ont déjà bien exploré les pistes d'économies qu'ils pouvaient faire. Des plateformes communes d'appel permettraient sans doute de mieux mutualiser des moyens avec le SAMU et de réaliser des économies. Cela ne dépend pas uniquement des SDIS. Vous avez bien relevé la dichotomie liée au fait que le directeur du SDIS a deux patrons : le préfet pour la responsabilité opérationnelle, et le conseil d'administration du SDIS pour la responsabilité administrative et financière. Pour installer des plateformes communes avec un numéro unique, il faut une volonté partagée entre le préfet, l'ARS et le conseil d'administration du SDIS. Une autre piste d'économie, qui ne dépend pas uniquement, non plus, du conseil d'administration du SDIS, concerne les charges engagées par le SDIS pour faire du transport sanitaire, ce qui ne relève pas de sa compétence mais pallie la défaillance des ambulanciers privés. Les charges correspondantes sont importantes et ne sont pas indemnisées au coût réel. Le projet NexSIS va également contribuer à alléger certaines charges. Selon les prévisions, son coût de gestion serait de 193 millions d'euros sur dix ans, contre 587 millions d'euros en l'absence de la mutualisation permise par ce projet.

Pour revenir au numéro unique sur lequel Vincent Segouin m'a interrogé, le président de la République a repris hier matin, devant la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, un engagement datant de 2017, et a indiqué qu'une doctrine commune devait être définie entre les services publics chargés des urgences préhospitalières, avec comme pilier la création du 112 comme numéro unique d'appel d'urgence. Deux modèles organisationnels avaient été proposés. Le premier reposerait sur un numéro unique de santé, pour les soins urgents comme non urgents, le 113, et un numéro unique secours-sécurité, le 112. Le deuxième modèle, qui emporterait plutôt l'adhésion des acteurs de la sécurité civile, ferait coexister un numéro unique, le 112, avec la fusion du 15, du 18, du 112, du 17 et d'un numéro 116-117 pour les soins non urgents - ce dernier étant déjà en expérimentation. Ce second modèle offrirait un système simplifié, lisible, avec une prise en charge plus rapide et homogène des appelants. Il qualifierait plus rapidement la nature des appels et permettait d'y apporter une réponse plus adaptée. Pour les opérateurs concernés, il favoriserait aussi leur recentrage sur les cas d'urgence et améliorerait la coordination des interventions des services d'urgence. Certaines situations, et notamment des accidents de la circulation, peuvent mobiliser simultanément les forces de police, le SAMU et les pompiers. Cela permettrait aussi de contrer la sur-sollicitation croissante des services d'urgence et des SDIS.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour la qualité de vos réponses.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Effectivement, le plan de relance modifie totalement la mission « Sécurités ». Notre collègue Éric Jeansannetas a parlé, à juste titre, de tour de passe-passe budgétaire : le ministre de l'intérieur obtient des crédits que le ministre des comptes publics avait refusés il y a quelques mois pour la mission « Sécurités ». Ainsi, des crédits d'équipement de la gendarmerie, pour des tasers par exemple, ne figurent pas dans la mission « Sécurités », parce qu'ils sont dans le plan de relance.

Le rapporteur général a signalé qu'il y avait aussi des contraintes dans le plan de relance, et notamment en matière de verdissement du parc automobile. Il y aura ainsi 700 bornes supplémentaires pour les véhicules électriques. Les véhicules électriques ne seront pas, évidemment, destinés aux unités opérationnelles de la police ou à la gendarmerie, mais à des fonctions de liaison ou d'administration. Nous verrons comment ils seront répartis entre les différentes administrations, tout en veillant à l'aspect opérationnel. Par le passé, le gain qu'avait trouvé l'État à privilégier de petits véhicules s'est trouvé remis en cause au moment où il a fallu, au contraire, pouvoir stocker beaucoup de matériel dans les coffres à cause de la lutte antiterroriste. Ce problème a été relevé par la Cour des comptes et par les forces de l'ordre elles-mêmes. On espère un effet d'aubaine dans le plan de relance.

Le rapporteur général a soulevé la question du vandalisme sur les radars. J'ai évoqué le nouveau radar qu'on appelle radar-tourelle, situé très en hauteur, et à usages multiples, puisqu'il peut prendre vingt véhicules à la fois sur une autoroute. Pour l'atteindre, il faudrait vraiment abattre le mât ! Sur certaines portions de route, il y aura cinq mâts : quatre fictifs et un opérationnel. Et les services de l'État iront de temps en temps déplacer le radar opérationnel qui sera dans un mât pour le mettre dans un autre. Nous n'en sommes cette année qu'à 500 acquisitions sur un objectif de 1 200 radars tourelles et même 6 000 cabines en tout si l'on compte les mâts fictifs.

Vous nous avez interrogés sur les primes et la problématique des effectifs. La masse salariale a augmenté de 23 % sur dix ans, et les effectifs de 5 %. On a essayé d'adapter le rythme de travail de nos policiers - vous savez qu'au cours des dernières années il y a eu des vagues de suicides. Des annonces faites à plusieurs reprises n'ont jamais pu se concrétiser. Mais on savait que le changement de rythme dans la police allait nécessiter un surplus d'effectifs supérieur aux augmentations d'effectifs annoncées année après année. Même si l'on respecte le plan de 10 000 recrutements sur le quinquennat, le changement de rythme, de conditions et d'horaires de travail, essentiellement dans la police nationale, fera qu'on aboutira à une diminution du nombre d'ETP effectivement disponibles.

En six ans, j'en suis à mon sixième ministre de l'intérieur - sans compter l'intérim effectué par Édouard Philippe lorsqu'il était Premier ministre - et à mon troisième directeur général de la police nationale. Le deuxième directeur général était celui qui devait mettre en place ce qu'on a appelé la vacation forte, c'est-à-dire un système qui devait permettre aux policiers de prendre un week-end sur deux de congés. Mais cette vacation forte n'a jamais pu être appliquée dans les départements à forte tension comme ceux de l'Île-de-France ou les Bouches-du-Rhône, en raison justement de son coût en effectifs. Un nouveau système est donc en expérimentation depuis quatre ans, pour améliorer le temps de travail des policiers. Il permettrait de faire des vacations longues, avec un temps de repos important. Mais une vacation longue dure douze heures et, en Île-de-France, si l'on compte le temps de transport, cela revient à quatorze ou quinze heures d'activité, ce qui n'est guère applicable. Voilà donc quatre ans que la police nationale essaye de trouver un rythme qui améliore les conditions de travail, avec des prises de week-ends ou de mercredis, sans trouver de solution dans les zones de forte tension.

On essaie donc de résoudre le problème par des primes : primes de nuit, heures supplémentaires, primes renforçant l'attractivité du statut d'officier de police judiciaire (OPJ), prime de transports en commun, ou gratuité des transports en commun, qui existe dans la gendarmerie mais pas dans la police nationale - mais si on instaure la gratuité dans la police nationale, pourquoi ne pas la concéder aux personnels de santé, à ceux de l'éducation nationale ? Des primes de nuit ont été débloquées cette année, selon une convention qui date de 2016. Cette compensation par des primes explique le dérapage du titre II par rapport au plan triennal, que j'ai souligné à plusieurs reprises, année après année. Pour les heures supplémentaires, un plafond a été instauré : au bout d'un certain nombre d'heures, on oblige le fonctionnaire à les récupérer. Une deuxième dotation a été donnée cette année après celle de l'an dernier, qui était prévue pour arrêter l'expansion du stock d'heures supplémentaires. Le stock est stabilisé, et c'est un problème qui devrait être progressivement résolu.

Le temps de formation a été réduit, et un effort sera fait dans le plan de relance pour moderniser les écoles de la police et de la gendarmerie.

Vous avez évoqué les violences faites aux femmes. La ministre délégué est très sensible à ce sujet et fait en sorte qu'il y ait un accueil, un suivi, et une véritable mobilisation des forces de l'ordre sur cette priorité, qui est la seconde du ministère, après la drogue.

Sylvie Vermeillet a parlé des appels à projets. Beaucoup ont été déposés, de nature variable : l'hôtel de police de Nice, par exemple, devrait être adapté, pour 125 millions d'euros. La réponse sera donnée courant décembre.

Albéric de Montgolfier a évoqué la police municipale, comme plusieurs d'entre vous, et m'interroge sur le périmètre de la Préfecture de police de Paris, avec la hausse de la criminalité. Je suis élu à Paris depuis un certain temps, et j'ai connu un certain nombre de préfets de police. Voilà des décennies que les élus parisiens se demandent s'il faut une police municipale. Presque toutes les formations politiques sont désormais quasiment convaincues de cette nécessité. Un projet de loi sera débattu sur la question. Le Préfet de police est le seul haut fonctionnaire que je n'ai pas pu joindre à l'heure actuelle. Il ne semble guère intéressé par le budget, et nous a fait savoir que ce n'était pas tout à fait de sa compétence. Je ne l'ai pas encore rencontré depuis qu'il a pris ses fonctions, il y a pourtant déjà quelque temps. Nous avons du mal à comprendre ce fonctionnement de la Police nationale, avec la Préfecture de police qui une sorte d'État dans l'État, et qui est de plus en plus une administration plutôt qu'une force opérationnelle. Le périmètre de la Préfecture de police est un vaste sujet, qui concerne aussi tous les départements de la zone de police.

Le parc immobilier est une question très sensible, notamment pour la gendarmerie. Les communes ont fait des efforts pour les brigades. Le général Rodriguez est assez optimiste sur la performance de ses services pour obtenir des crédits dans le plan de relance.

Jean-Claude Requier souhaiterait réduire la complexité du CAS et a évoqué le débat entre 80 et 90 kilomètres par heure. Je n'entrerai pas dans ce débat, mais vous avez raison de souligner l'enchevêtrement financier du CAS, qui est effectivement une usine à gaz.

Quant au coût des radars embarqués, pour l'instant moins de 100 véhicules sont conduits par des sociétés privées sur un parc de 450 véhicules. À la suite de cette expérimentation, deux autres régions vont basculer dans ce système, et le but est d'arriver fin 2021 à 223 voitures à conduite externalisée. Le chauffeur n'a aucune possibilité de choisir une cible ou un itinéraire, et il est suivi par GPS. Autrement dit, il n'utilise absolument pas le matériel embarqué : c'est, en quelque sorte, un livreur. Pour l'instant le coût estimé est de 1,30 euro par kilomètre parcouru.

Il faut libérer nos forces de l'ordre de ce qu'on appelle les tâches indues. Nous avons satisfaction sur les procurations, pour les élections de 2021. Aussi, le fonctionnaire qui prend un citoyen en état d'ivresse doit l'amener à l'hôpital et le ramener : cela ne doit plus faire partie des tâches de la police.

Victorin Lurel a posé une question concernant l'outre-mer. Je l'avais posée à la déléguée à la sécurité routière, qui m'a parlé d'une part de l'accidentologie particulière de son département et, d'autre part, a démenti le nombre de radars. Je lui ferai parvenir avec précision les éléments dont je pourrais disposer sur les radars déployés en Guadeloupe.

M. Claude Raynal, président. - Merci. Jean Pierre Vogel et vous-même, vous proposez que la commission réserve son vote sur les crédits de la mission « Sécurités ». Vous proposez par ailleurs l'adoption des crédits du CAS « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

Le vote des crédits de la mission « Sécurités » est réservé.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Engagements financiers de l'État », compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce» et comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux » - Examen du rapport spécial

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État ». - Je vais faire une présentation dans le désordre, pour être congruent avec la politique budgétaire du Gouvernement.

Je commence par le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », pour lequel aucun crédit n'est prévu, et ce depuis des années. Je vous proposerai de l'adopter.

Je passe au compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce », qui ne soulève pas de problème particulier. J'en rappelle simplement le mécanisme. Au moment où la Grèce avait des difficultés à emprunter, l'Eurosystème, et en l'occurrence la Banque de France, ont acheté des titres grecs. Ceux-ci rapportent des intérêts, que le Gouvernement français reverse à la Grèce. Je vous proposerai également d'adopter les crédits de ce CAS.

J'en viens au compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État et organismes gérant des services publics » - nous finirons par la dette, vous l'avez bien compris. Ce compte a été très mobilisé en 2020, contrairement à ce qu'on observe d'habitude. Cela donne des multiplications par 20 de certaines lignes. Il s'agit, en vérité, de faire de l'avance de trésorerie ou des avances de plus long-terme à des organismes qui n'ont pas le droit de s'endetter. Évidemment, 2020 a été particulièrement difficile et, en 2021, il restera des reliquats. Ainsi, les avances pour le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », que suit notre collègue M. Capo-Canellas, ont été renforcées de 1,2 milliard d'euros en 2020 ! Il y a aussi eu une nouvelle avance de 50 millions d'euros pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, que nous avons votée dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Il y a aussi des aides au secteur agricole Nos collègues sénateurs français de l'étranger s'étaient battus sur ce point. Ces actions ont contribué à dégrader le solde du compte, puisqu'il y a un décalage temporel entre les avances de trésorerie et leur remboursement. Les crédits ouverts au titre des avances pouvant être accordées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » ont été multipliés par quinze entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi finances pour 2021.

Le problème est que certaines de ses avances peuvent paraître contraires à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances : elles sont attribuées pour de longue durée, de manière répétée pour certains organismes ou pour couvrir des besoins qui ne sont pas simplement de la trésorerie. On peut alors se demander s'il ne faudrait pas plutôt, pour les organismes bénéficiaires, une vraie budgétisation sur d'autres programmes, et non une avance d'une année sur l'autre. Il y a donc là une sorte de tour de passe-passe, via un compte de concours financiers. Nous devons respecter l'esprit de la LOLF. Je vous proposerai donc de réserver notre position sur ce compte, en attendant l'examen des crédits présentés par M. Vincent Capo-Canellas sur le budget annexe contrôle et exploitation aériens.

Le quatrième point que je voulais évoquer concerne le programme 336 « Dotation du Mécanisme européen de stabilité » de la mission « Engagements financiers de l'État ». D'habitude, ce programme est financé par des crédits non répartis ou par une ouverture en loi de finances rectificative. Cette année, enfin, le Gouvernement le dote dès le projet de loi de finances, de 79 millions d'euros. Au moins, le « quoi qu'il en coûte » aura accru la sincérité budgétaire de certaines lignes.

Le programme 145 « Épargne » concerne les primes des comptes et des plans épargne-logement, pour dire les choses simplement. Il est doté de 62 millions d'euros. Y sont aussi rattachées les dépenses fiscales liées aux livrets règlementés, comme le Livret A. Les crédits octroyés ne me posent aucun problème.

Le programme 114 « Appels en garantie de l'État » passe, lui, de
94 millions d'euros en loi de finances initiale à 2,5 milliards d'euros : petite hausse ! Les crédits sont multipliés par 26 ! Cette hausse est largement liée aux prêts garantis par l'État (PGE). C'est donc l'un des programmes qui portent aussi les plans de relance ou de soutien de l'économie de l'année 2020.

J'en viens à présent à la dette, qui n'est autre chose que la somme de nos déficits. Or, en 2019, la France continuait à creuser son déficit, même si on nous parlait d'un effet temporaire, lié au crédit d'impôt compétitivité-emploi. Notre dette se stabilisait toutefois, car nous avions un peu de croissance et des taux favorables, mais ne diminuait pas, contrairement à celle d'autres pays. Comme l'avait dit Albéric de Montgolfier, et comme Jean-François Husson nous l'expliquera de nouveau, nous avions gardé un niveau de dette très élevé.

Le pourcentage du PIB est une chose, mais il faut aussi penser aux milliards d'euros en jeu, car le marché international de la dette s'évalue à cette aune. La dette de l'Allemagne, notée AAA, se monte à 2 000 milliards d'euros. Nous, nous en sommes à 2 400 milliards d'euros, notés AA. La dette des Pays-Bas, notée AAA, représente à l'inverse moins de 400 milliards d'euros : ce ne sont pas les mêmes échelles.

Paradoxalement, plus notre dette augmente, moins elle nous coûte cher ! On dirait qu'on a retrouvé la recette de l'argent magique... Entre 2011 et 2020, alors que la dette s'est gonflée de 30 points de PIB, la charge de la dette, elle, est passée de 46 à 35 milliards d'euros. Cela s'explique en observant la courbe des taux et notamment le taux de référence, celui de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans. En 2011, le taux était d'environ 3,30 % ; aujourd'hui, il tourne autour de - 0,11 %. Nous avons donc gagné 340 points de base. Si l'on multiplie par les quelque 260 milliards d'euros que nous allons emprunter en 2020 et en 2021, on comprend comment nous faisons des économies... Il faut se demander quand cette capacité à amortir notre dette à des taux inférieurs à ceux de leur émission prendra fin. C'est en 2015 que les taux sont passés en dessous de 1 %, si on prend pour hypothèse une légère remontée des taux, c'est vers 2025 qu'il faut fixer la fin du bonneteau : jusqu'en 2025, eu égard aux stocks, nous allons continuer à voir baisser la charge d'intérêt. Mais il y aura un moment de vérité. Les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), eux, sont carrément à taux négatif : émettre à court terme nous rapporte de l'argent. Quand vous émettez, on vous donne de l'argent ! C'est extraordinaire ; j'ai essayé, mais cela ne fonctionne pas : je dois avoir moins de crédit que la France... Comment allons-nous nous financer dans les années à venir ? En tous cas, nous en avons au moins jusqu'en 2025. En 2027, cela ne fonctionnera plus : ce ne sera pas le moment d'être candidat à la présidentielle...

L'Agence France Trésor effectue une simulation de l'effet d'une hausse des taux de 100 points de base - qui n'a rien d'impossible. La première année, cela nous coûterait un peu plus de 2,5 milliards d'euros ; en 2025 ans, le coût serait de 15 milliards d'euros et, en 2030, il approcherait les 30 milliards d'euros. Aujourd'hui, nous sommes bien accrochés à l'Allemagne, et nous avons gardé un spread de taux d'intérêt de 30 points de base. Il y a bien eu au mois de mars une petite alerte, qui a accru ce spread de 50 points de base. Il peut encore s'accroître, car nous n'avons pas la bonne trajectoire de déficit et de dette.

Les agences de notation que nous avons entendues considèrent la France comme un pays solide et sérieux, qui rembourse ce qu'il doit. Les aspects institutionnels sont très importants pour elles. La stabilité démocratique et institutionnelle font partie des éléments qui nourrissent la confiance qu'on peut avoir dans un pays : 20 % de la note est fondée sur ce critère.

Cependant, le problème est que nous sommes l'un des rares pays à avoir continué d'aggraver notre déficit public et notre dette même en période de croissance. Avoir eu la mauvaise trajectoire de déficit public auparavant, pendant les années de vaches un peu plus grasses, crée un problème de confiance sur notre capacité à retrouver une trajectoire assainie pour nos finances publiques. Or la soutenabilité de la dette dépend de sa crédibilité. Et notre comportement passé nous fait manquer aujourd'hui de crédibilité en termes de réduction des déficits... C'est pourquoi les agences de notation inscrivent en facteur de vulnérabilité notre volonté politique et notre capacité réelle à améliorer la soutenabilité des finances publiques.

M. Claude Raynal, président. - Merci de ce rappel.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souhaite revenir sur les éléments du besoin de financement de l'État. Comment l'Agence France Trésor (AFT) s'est-elle adaptée à une hausse aussi forte du besoin de financement de l'État ? Quelles sont les conséquences du plan de relance sur le besoin de financement de l'État ? Quelles sont les conséquences des dispositifs de garantie octroyés par l'État, notamment sur les crédits budgétaires de la mission ? Les prévisions du Gouvernement paraissent-elles optimistes ou pessimistes, ou sur une trajectoire intermédiaire ?

M. Éric Bocquet. - Vous avez souligné un paradoxe. Déjà, hier, vous aviez désigné la France comme l'homme malade de l'Europe. Ce sont les mots employés par Margaret Thatcher dans les années 1970 à propos du Royaume-Uni. L'Histoire se répète... Nous sommes peut-être un homme malade, avec des taux de prélèvements obligatoires stratosphériques, nous dit-on, une fiscalité délirante, un déficit qu'on ne maîtrise plus, etc. Mais on constate que, sur les marchés financiers mondiaux, les titres de dette française s'arrachent comme des petits pains. Et 50 % de nos financeurs sont des non-résidents, hors zone euro. On s'intéresse donc de près à la dette française. Comment expliquer que l'on accorde un prêt à un homme malade, et même à des taux négatifs ? Ce paradoxe m'interpelle.

La Banque centrale européenne (BCE) s'est affranchie de ses propres règles depuis quelque temps. Fin 2020, elle détenait 20 % de la dette des États. Cette proportion va monter à 30 % d'ici la fin d'année, ce qui est complètement contraire aux traités et à ses propres règles. Ce sont des mesures non conventionnelles, et nous n'avions pas d'autre choix. Peut-on imaginer que la BCE annule les créances qu'elle détient ? Aucun fardeau ne pèserait sur personne ni sur aucune génération. La BCE n'est pas une banque commerciale, son passif n'est exigible par personne. Elle peut avoir des fonds propres négatifs, elle ne peut pas faire faillite... Ne pouvons-nous pas imaginer, avec audace, dans la situation exceptionnelle que nous traversons, que la BCE poursuive dans cette voie pour outrepasser ses règles initiales et finance directement les États ?

Enfin, le niveau de l'épargne a explosé avec la pandémie. On parle de 100 milliards d'euros en fin d'année. L'État ne pourrait-il pas recourir à des emprunts directs auprès des ménages, comme le fait le Japon ? La dette japonaise est détenue à 90 % par le peuple japonais. Cela changerait la donne en nous dégageant de la tutelle des marchés financiers, qui nous imposent leur loi : c'est bien celui qui paye qui dit ce qu'il faut faire ! L'argent dégagé pourrait peut-être aller à des investissements utiles, sur les infrastructures ou la transition écologique par exemple.

M. Sébastien Meurant. - Merci pour ces rappels fondamentaux. La question est bien la soutenabilité de la dette : on ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire. Peut-être que ce moment se rapproche... La création de dettes sans fin de la France et son incapacité à respecter ses engagements internationaux, vis-à-vis de l'euro et de nos partenaires, pose problème. Le programme 344 concerne le fonds de soutien aux prêts financiers structurés, autrement appelés emprunts toxiques, qui ont fait beaucoup de mal et continuent à faire beaucoup de mal aux collectivités territoriales et aux hôpitaux. Pouvez-vous détailler son contenu ? Comment le versement, en une seule fois, des aides aux collectivités territoriales, ou peut-être aux hôpitaux, a-t-il été effectué ?

M. Vincent Segouin. - J'ai envie de dire, en écoutant votre rapport, que tout va bien : tout va très bien, madame la marquise, et nous pouvons continuer comme cela pendant longtemps ! Jusqu'à 2025, la charge de la dette n'augmentera pas. Et l'inversion des taux directeurs, ce n'est pas pour tout de suite. La dette contractée aujourd'hui sera-t-elle remboursée un jour ? Risquons-nous de vivre une dévaluation de l'euro ? Et, en ce cas, quel sera le comportement de l'Allemagne ?

M. Marc Laménie. - Ce sujet n'est certes pas médiatique, mais il est particulièrement important : c'est la troisième mission du budget de l'État en termes de masse financière... Dans notre endettement annuel, quelles sont les parts des intérêts et du capital ? Outre la BCE et l'AFT, quel est le rôle de la Banque de France ?

Mme Christine Lavarde. - Vous entendez tous comme moi le Gouvernement nous indiquer qu'il investit pour l'avenir, notamment dans des infrastructures vertes. Cela se traduit-il dans la structure de notre endettement par une part croissante d'emprunts verts ? Nous avions eu à la commission des finances une table ronde très intéressante, il y a quelques mois, sur ce thème. Sommes-nous passés des paroles aux actes ?

M. Patrice Joly. - Quand on parle d'endettement, on a toujours l'impression qu'il y aurait d'un côté les rigoureux et de l'autre les laxistes. J'ose espérer que nous sommes tous sérieux, notamment s'agissant du désendettement sur le court, le moyen et le long terme. Qui détient la dette aujourd'hui ? Quelles sont les problématiques en matière de souveraineté ? Combien cela rapporte-t-il à la France, en termes de différentiel de coût, que la BCE détienne de la dette française ? Quid de la mobilisation de l'épargne française en lien avec le verdissement de nos politiques ? Une partie du plan de relance doit-être mise en oeuvre à travers la relance des territoires : ne pourrait-il y avoir des Rural Bonds ?

M. Michel Canévet. - La BCE détient une grande partie de la dette française. Cette tendance va-t-elle croître ? Cela signifie-t-il que nous n'aurons jamais à la rembourser ? L'hypothèse d'un non-remboursement n'encourage-t-elle pas la politique d'endettement conduite depuis très longtemps par l'ensemble des gouvernements ? Quel est le niveau des engagements pour les garanties d'État ? L'État a repris la dette d'autres entités, comme les hôpitaux et la SNCF. Sur quelle ligne budgétaire cela s'inscrit-il ?

M. Victorin Lurel. - Je suis d'accord avec Éric Bocquet. Certes, la question du remboursement de la dette clive politiquement. Mais c'est une vraie question que la commission des finances devrait approfondir. La solution évoquée par Éric Bocquet et par beaucoup de grands économistes n'est pas sans intérêt : n'est-ce pas ce que la FED pratique avec le Trésor américain ? Idem pour la Banque d'Angleterre. Le Japon atteint 230 % de son PIB en termes d'endettement, pourtant le pays ne s'est pas effondré. Une action de la Banque centrale européenne est-elle possible ? Une dette peut-elle être perpétuelle ? Il y a bien eu dans l'histoire des dettes sur un siècle ! Il ne faut pas avoir de tabou et nous devons rester pragmatiques : comment retrouver des marges ? Notre commission ne pourrait-elle pas être à l'origine d'un rapport d'information sur les nouvelles pratiques des banques centrales ? Depuis l'instauration des politiques non conventionnelles, il n'existe plus de bases théoriques pour les pratiques bancaires actuelles. On fait du Quantitative Easing et autres, mais personne ne peut le justifier véritablement. Nous avançons donc au radar, même si cela fonctionne mieux pour le moment qu'après la crise de 2008.

Je suis l'auteur d'un rapport avec ma collègue Nathalie Goulet sur les accords monétaires internationaux. Le montant des réserves des trois banques centrales africaines - la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) et la Banque Centre des Comores (BCC) - est tel qu'il n'y a pas lieu de doter ce compte en crédits pour couvrir un risque d'appel en garantie. Or chaque année les banques centrales dépensent entre 10 et 20 milliards d'euros auprès du Trésor. Où sont enregistrées en comptabilité les rémunérations de ces dépôts ? C'est un accord monétaire qui n'a de monétaire que le nom : il s'agit en réalité d'un accord budgétaire.

M. Philippe Dominati. - L'importance de la dette n'est pas préoccupante, à condition qu'il y ait des marges de manoeuvre. Or le taux des prélèvements obligatoires est très important dans notre pays. Il serait intéressant de comparer les marges de manoeuvre plutôt que l'importance de la dette.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons souhaité auditionner le Gouverneur de la Banque de France, ce qui n'a pas été possible puisqu'il est soumis à une obligation de réserve avant la conférence des gouverneurs de toutes les banques européennes.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - L'AFT, qui emploie une quarantaine de salariés, est l'une des meilleures au monde. Elle gère par exemple la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Face à la crise économique et à l'augmentation sans précédent du besoin de financement de l'État, l'AFT s'est adaptée au fur et à mesure et a su reprendre des marges de manoeuvre avec des BTF, du court-terme, ce qui a bien fonctionné au moment de la crise. Elle a également rehaussé ses appels au marché, toutes les semaines pour les BTF et toutes les deux semaines pour les OAT. C'est passé sous le radar, mais nous avons été confrontés à une petite crise de liquidité de la dette française, sur le marché obligataire. Les OAT sont très recherchées, ce qui nous permet d'émettre à des taux plus faibles et la liquidité de notre dette est dans 99 % des cas un de nos meilleurs atouts. Mais en mars, les investisseurs étaient à la recherche de liquidité, ils ont donc d'abord vendu leurs actifs les plus liquides, donc de la dette française. Heureusement, cela n'a duré que très peu de temps et les conditions d'émission assurées par l'AFT sont rapidement redevenues très favorables.

Notre rapporteur général m'interroge sur les PGE. Lors de la mise en place des PGE, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance avait évoqué une sinistralité nette évaluée à 3 %. Il faut la rapporter aux 120 milliards d'euros décaissés, sur les 360 milliards annoncés pour les PGE. Le calcul est vite fait, cela représente environ 3,6 milliards d'euros. L'essentiel aurait lieu en 2021, surtout au second semestre, puis en 2022. Plus de 1,26 milliard sont aujourd'hui provisionnés : l'estimation est raisonnable.

Éric Bocquet pose la question de la dette française, détenue pour moitié par les non-résidents et pour moitié par les résidents, dont 20 % par l'Eurosystème. Sur la totalité de notre dette, 50 % seraient achetés par les banques centrales, de toute zone géographique. La dette française n'est donc pas majoritairement détenue pas des fonds spéculatifs, ce qui est rassurant. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas utiles : ce qui compte, c'est la diversification des investisseurs, qui achètent et qui vendent, pour assurer la liquidité de la dette et faire baisser les taux d'intérêt. La dette permanente existe : tous les ans, nous émettons 260 milliards d'euros, en grande partie pour amortir nos titres arrivés à échéance. Ces 260 milliards d'euros, c'est bien sûr avant le reconfinement du mois de novembre ! Notre besoin de financement de l'État, déjà record à 345 milliards d'euros, pourrait encore augmenter !

Nous remboursons tous les ans 140 milliards de dette passée et nous réempruntons pour les rembourser. Pourrions-nous tout simplement annuler la dette ? En théorie oui, mais il faudrait, en zone euro, changer les traités et que tous les autres pays l'acceptent. En cas d'asymétrie, de décision unilatérale, les taux d'intérêt exploseraient, ce qui conduirait à une dévaluation de la monnaie. Une telle annulation n'est pas souhaitable, car nous perdrions toute crédibilité budgétaire : qui voudrait acheter notre dette ?

La dette japonaise s'élève certes à 230 % du PIB, mais elle est détenue à 90 % par les Japonais. Néanmoins, les taux d'intérêt sont proches de zéro et la croissance difficile à stimuler. Nous préférons l'emprunt Giscard ou l'emprunt Balladur, qui rapportaient plus !

Sébastien Meurant m'a interrogé sur les prêts structurés : plus de 85 % des dossiers ont été traités. La Société de financement local (Sfil), rachetée par la Caisse des dépôts et consignations, s'est largement chargée du sujet de manière exceptionnelle.

Marc Laménie me demande quel est le lien entre l'AFT et la Banque de France : la Banque de France achète, dans le cadre des programmes de rachat mis en place par la Banque centrale européenne, de la dette française. L'AFT doit également s'assurer que le compte de l'État à la Banque de France est toujours créditeur en fin de journée. Il s'agit donc de liens classiques.

Les Green Bonds fonctionnent très bien. Anthony Requin était venu, sur invitation de Vincent Éblé et d'Albéric de Montgolfier, nous parler de la dette verte. Les Green Bonds sont un phénomène particulier : l'encours de l'OAT verte française a atteint 27 milliards d'euros en 2020. Elle est très demandée, même si les banques ne croient pas tellement en nos dépenses écologiques en termes d'investissement : Jean-François Husson ou Christine Lavarde pourraient vous l'expliquer mieux que moi. On ne peut donc pas émettre plus de dette qu'il n'y a de dépenses « vertes » éligibles. Il existe donc un problème d'émission de dette verte : tout le monde en veut, mais il n'y en a pas assez. Il y a donc une prime sur la dette verte. Quant aux rural bonds, il faudrait savoir ce que cela recouvre : qui rembourse et quoi ? Il faudrait également mettre en place un processus de certification !

Par ailleurs, plus vous segmentez votre dette, plus la prime de risque est importante et plus les taux d'intérêt sont élevés. Voilà pourquoi il est important de centraliser la dette à l'Agence France Trésor. Dans ce contexte, il est également utile que la Cades soit adossée à l'Agence France Trésor. D'autres dettes seront-elles reprises ? Peut-être, c'est d'ailleurs souhaitable.

Pour les politiques d'assouplissement monétaire et de rachat de la Banque centrale européenne, François Villeroy de Galhau ne pouvant pas être auditionné pour cause de réserve, nous en saurons plus ultérieurement. Je ne suis pas la madame Irma ni la madame Soleil de la finance ! Mais le consensus veut que ces programmes continuent encore pour un moment.

Victorin Lurel soulève une question de comptabilité : il me semble que la réponse à son interrogation figure sur un compte de commerce.

M. Claude Raynal, président. - Nous entendrons ultérieurement le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, si possible en fin d'année. Il sera intéressant de l'interroger après la deuxième vague qui amènera des mesures nouvelles.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », du compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce » et du compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », et de réserver son vote sur le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Investissements d'avenir » (et article 55) - Examen du rapport spécial

M. Jean Bizet, rapporteur spécial de la mission « Investissements d'avenir ». - Le budget 2021 pour les investissements d'avenir est caractérisé par deux éléments saillants : la poursuite du programme des investissements d'avenir (PIA) 3 dans le contexte de crise sanitaire et le lancement d'un PIA 4 en soutien au plan de relance.

Je vais être relativement bref concernant le PIA 3 ; vous le savez, ce programme d'investissements d'avenir succède aux PIA 1 et 2, qui représentaient respectivement 35 milliards d'euros et 12 milliards d'euros. Lancés au lendemain de la grande crise financière de 2009 et inspirés par le rapport « Juppé-Rocard », ces investissements d'avenir visent à mobiliser massivement l'investissement public en faveur de projets ciblés, principalement dans les domaines de la recherche, du numérique, de l'industrie et du développement durable.

La mission « Investissements d'avenir » est un peu particulière dans la mesure où nous ne votons que sur des crédits de paiement. Le PIA 3 a été doté de 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement en 2017, et depuis, chaque année, nous votons une ouverture de crédits de paiement.

Les crédits de paiement demandés pour 2021 s'élèvent à 1,91 milliard d'euros, soit un montant conforme à la programmation triennale.

Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur le fait que l'année 2020 a été caractérisée par de nombreux redéploiements de crédits, qui ont un impact sur le budget 2021.

En effet, le PIA a été un outil très largement plébiscité dans le contexte de la crise sanitaire, en raison de sa souplesse. Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) a ainsi mobilisé plus de 1,5 milliard d'euros afin d'adapter les modalités de sélection et de financement des lauréats du PIA, de lancer des dispositifs destinés à soutenir les entreprises en difficulté et de renforcer les moyens dévolus à la recherche dans le secteur de la santé.

Les PIA ont permis d'apporter des réponses concrètes, ciblées et rapides aux défis posés par la crise sanitaire ; la capacité de réaction du SGPI et des opérateurs mérite donc d'être saluée.

En 2021, certaines de ces initiatives devraient se poursuivre. Je pense notamment à la création d'une enveloppe d'investissement dédiée à la souveraineté technologique, intitulée « French Tech Souveraineté » et dotée de 100 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021.

La crise a en effet souligné l'importance de renforcer l'autonomie de notre pays sur des technologies d'avenir, ce qui m'amène à mon second point, à savoir le lancement d'un quatrième programme d'investissements d'avenir.

Je tiens à rappeler, en préambule, qu'il avait été décidé de lancer ce programme avant l'émergence de la Covid-19. Il va de soi cependant que la crise que nous traversons a permis l'émergence de nouvelles priorités.

Doté de 20 milliards d'euros, ce nouveau programme a été élaboré à la lumière des recommandations rendues par le Comité de surveillance des investissements d'avenir, qui a rendu en décembre dernier un rapport d'évaluation sur les investissements d'avenir.

Ce PIA 4 est structuré en deux volets, qui répondent à des finalités distinctes : un premier volet, dit « dirigé » doté de 12,5 milliards d'euros, vise à financer des investissements exceptionnels - j'insiste sur ce caractère exceptionnel, les PIA n'ayant pas vocation à être des investissements ordinaires pour des ministères dépensiers ; un second volet, dit « structurel », bénéficiant de 7,5 milliards d'euros, doit garantir, grâce à des dotations en capital, un financement pérenne aux écosystèmes d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation mis en place par le PIA.

Je ne m'étendrai pas sur les modalités de budgétisation et de gouvernance de ce PIA, qui sont sensiblement identiques à celles du PIA 3 et dérogent tout autant aux grands principes budgétaires. Le pilotage des crédits est assuré par le SGPI. La gestion des fonds est confiée à quatre opérateurs : Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et l'Agence nationale de la recherche. Une convention lie l'État à ces opérateurs. Le contrôle est assuré par le Parlement.

Des aménagements sont néanmoins apportés à cette gouvernance par l'article 55 rattaché à la mission, qui met en oeuvre plusieurs des recommandations du Comité de surveillance. Il s'agit notamment de la création d'un Conseil interministériel de l'innovation pour décider des priorités de la politique d'innovation, du renforcement du rôle du Comité de surveillance des investissements d'avenir et de la formalisation d'une doctrine d'investissement pour ces investissements d'avenir. Ces évolutions sont bienvenues. Elles contribueront à renforcer la cohérence et l'efficacité de cet instrument.

Je voudrais enfin m'attacher à relever plusieurs pierres d'achoppement dans ce quatrième programme.

Le lancement d'un nouveau programme semble augurer d'une pérennisation des investissements d'avenir, et l'on pourrait craindre, à terme, une « banalisation de l'exceptionnel ». La prorogation de ces dispositifs dérogatoires aux règles budgétaires n'est pas problématique en tant que telle si le Parlement est en mesure de suivre et de contrôler l'emploi des crédits qui sont votés. Or il me semble que la maquette budgétaire qui nous est présentée va aggraver le déficit de lisibilité dont souffrent les PIA, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, la liste des secteurs stratégiques qui bénéficieront d'un soutien dans le cadre du volet dirigé du PIA n'est pas encore arrêtée. Nous sommes donc appelés à voter des crédits sans savoir à quels secteurs ou filières ils seront destinés. Si je comprends pleinement la logique qui sous-tend cette démarche, j'attends du Gouvernement une présentation détaillée, dans les mois qui viennent, des stratégies d'accélération qui seront retenues. Seraient notamment concernés l'hydrogène « vert », la ville du futur, le numérique, l'agroalimentaire et la mobilité, mais pour l'instant seule la stratégie relative à l'hydrogène « vert » a été dévoilée.

Je regrette, en parallèle, que deux programmes d'investissements d'avenir coexistent au sein de la mission. Le suivi des montants inscrits dans le PIA 3 se révélait déjà particulièrement complexe, avec la double comptabilité induite par le circuit de la dépense, la dispersion des crédits, l'ampleur des redéploiements en cours de gestion. Avec ce nouveau PIA 4, qui financera les mêmes structures que le PIA 3, notre tâche risque de devenir encore plus ardue.

Pour terminer, je souhaiterais évoquer l'articulation entre les PIA et le plan de relance. En effet, le PIA 4 doit abonder le plan de relance à hauteur de 11 milliards d'euros sur trois ans. À mes yeux, une clarification s'impose : les PIA ne constituent pas un outil de relance, mais d'investissement à long terme afin de renforcer la croissance potentielle. En pratique, le décaissement des crédits du PIA peut être particulièrement long : trois ans après le lancement du PIA 3, si 4,7 milliards d'euros de crédits de paiement ont été consommés, seuls 750 millions d'euros ont été décaissés.

Il me semble donc très ambitieux de considérer que les 11 milliards d'euros du PIA 4 pourront irriguer à très court terme le tissu économique français. Je ferai un parallèle avec le plan de relance européen, qui fait l'objet de tractation au niveau du Conseil. On mesure la qualité d'un plan, quel qu'il soit, à l'ampleur de sa ligne budgétaire, mais aussi au travers de sa réactivité !

En dépit de ces réserves, je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission.

L'article 55, rattaché à la mission « Investissements d'avenir » énonce une doctrine d'investissement pour les PIA et étend au quatrième programme d'investissements d'avenir les règles de gouvernance déjà applicables pour les programmes précédents, tout en procédant à plusieurs aménagements.

Parmi ces aménagements figurent le renouvellement du rôle du Comité de surveillance des investissements d'avenir, le renforcement des obligations d'information à l'égard du Parlement, ainsi que la possibilité de prolonger de cinq ans la durée des conventions conclues entre l'État et les opérateurs afin d'assurer la fin progressive des actions lancées lors des PIA 1 et 2.

Enfin, cet article supprime le « jaune budgétaire » relatif au Grand plan d'investissement (GPI), puisque le plan de relance succède au label du GPI dans le contexte de la crise sanitaire et reprend les mêmes priorités thématiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai bien compris qu'en dehors de l'hydrogène nous n'avons pas encore d'éléments précis sur le choix des thématiques d'avenir. Par ailleurs, ces investissements d'avenir ont le mérite de s'inscrire dans le temps long, mais il reste beaucoup de flou dans leur mise en oeuvre et notamment dans les instruments financiers qui seront mobilisés. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur ces points ?

M. Claude Raynal, président. - Le premier programme d'investissements d'avenir ressemblait bigrement au plan de relance en ce sens qu'il s'agissait également de mesures ne pouvant passer par un projet de loi de finances et relevant de l'investissement de très long terme.

Mme Christine Lavarde. - Ma première remarque porte sur les transferts de crédits entre programmes. Il y a dans les investissements d'avenir une idée de long terme. Modifier la raquette au moindre élément conjoncturel - ici l'épidémie de Covid-19 - ne contrevient-il pas à l'esprit et à la philosophie du programme ?

Ma deuxième question est plus précise : j'essaie de consolider les coûts de fermeture de Fessenheim. L'année dernière, des crédits ont été inscrits dans l'opération « territoires d'industrie » pour permettre la reconversion du site. Or le ministère de la transition écologique, que j'ai interrogé, a évoqué un autre projet. Je souhaite m'assurer qu'il n'existe pas deux opérations PIA pour le site de Fessenheim. Si oui, pour quels montants ?

M. Michel Canevet. - Les priorités de ce PIA tiennent-elles compte de l'évolution du contexte environnemental, qu'il s'agisse de la pandémie ou des attentes en faveur d'une économie plus verte ? La lourdeur des procédures ne retarde-t-elle pas la mise en oeuvre des différents programmes ?

M. Albéric de Montgolfier. - Je me réjouis que l'on revienne à l'essentiel, c'est-à-dire aux programmes d'avenir. Je me suis régulièrement exprimé sur un dévoiement du PIA qui permettait le financement d'opérations relevant normalement du budget de l'État. Je pense en particulier au Grand Palais. En trouvons-nous d'ores et déjà une traduction dans le PIA ?

M. Victorin Lurel. - On ne comprend pas, dans l'exécution du PIA 3, l'écart entre les crédits engagés et ceux effectivement décaissés. Il y a du flou, car il y a trop de choses. J'ai le sentiment qu'il existe un problème de pilotage. Ce PIA 4, malgré les efforts et les retours d'expérience, ne tire pas toutes les leçons de l'accélération de la consommation des crédits. En examinant les différents programmes, on s'aperçoit qu'il n'est pas si simple de dépenser. Par ailleurs, il n'y a là aucune simplification de la gouvernance : malgré les quatre opérateurs, l'essentiel échappe au Parlement. De nombreuses agences commencent à se plaindre du recours à la procédure des appels à projets, en particulier l'Agence nationale de la recherche (ANR). Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette mission.

M. Jean Bizet, rapporteur spécial. - En ce qui concerne les thématiques du PIA 4, au-delà de l'hydrogène vert, des projets sur la ville du futur, le numérique, l'agriculture, l'intelligence artificielle semblent se dessiner également. Ce sera pour moi l'occasion d'interpeller le secrétaire général pour l'investissement, M. Boudy, afin de mettre l'accent sur l'intelligence artificielle embarquée, qui sera demain un élément fondamental.

Les trois premiers PIA représentent 57 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien ! En ce qui concerne les outils de financement, le PIA 4 privilégiera principalement les subventions et les fonds propres. Le recours aux dotations non consommables a été abandonné dès le lancement du PIA 3 en raison des faibles taux. Quant au plan de relance, 11 milliards d'euros y sont consacrés. Certes, je relève de la souplesse, mais aussi de la rigidité et une lenteur dans le décaissement.

Pour répondre à Christine Lavarde, je ne dispose pour l'instant d'aucune information concernant Fessenheim. Il existe des crédits pour la construction d'un autre réacteur. Je tâcherai d'obtenir des précisions sur ce sujet important. Une des fragilités des PIA est la territorialisation : cela fonctionne moyennement. Nous l'avons souligné dans le cadre du comité de pilotage.

Oui, le contexte épidémiologique joue un rôle puisque la recherche médicale et les industries de santé font partie des secteurs qui pourraient faire l'objet d'une stratégie d'accélération, dans le cadre du programme 424 « Financement des investissements stratégiques ». La lenteur est due au circuit de la dépense, mais c'est aussi un gage de sécurisation. Le PIA comprend deux mesures : les investissements stratégiques ainsi que le financement pérenne des écosystèmes de recherche et d'innovation. Ce dernier volet pourrait relever du budget de la recherche et de l'enseignement supérieur.

En ce qui concerne le financement du Grand Palais, Christine Lavarde et moi ne nous sommes pas privés de dire ce que nous en pensions. À ce stade, le PIA 4 n'affiche plus aucun crédit en ce sens. Idem en ce qui concerne le sport de haut niveau. Nos états d'âme et nos critiques ont été suivis d'effets !

Certes, comme l'a souligné Victorin Lurel, le décaissement est faible : 750 millions d'euros, alors qu'il était question au départ de plusieurs milliards. Par ailleurs, sur les 57 millions inscrits dans les PIA 1, 2 et 3, à peine la moitié sont aujourd'hui contractualisés. Mais j'insiste : ces opérations se font sur un temps long. Les crédits sont décaissés au fur et à mesure de la maturité des projets de recherche. Il existe un comité de pilotage, qui peut sans doute faire des progrès.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Investissements d'avenir » et de l'article rattaché 55.

La réunion est close à 12 h 20.