Mardi 26 janvier 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de notre collègue Vincent Delahaye sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif au régime fiscal des dons et legs faits aux personnes publiques et aux organismes à but désintéressé.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La Principauté de Monaco, dont le territoire est totalement enclavé dans celui de la France, entretient des relations diplomatiques étroites avec notre pays. Celles-ci se matérialisent notamment par l'existence de deux conventions fiscales relativement anciennes, destinées à définir les modalités d'imposition des 10 000 Français qui résident à Monaco et des 400 Monégasques habitant en France.

La Principauté étant très attractive d'un point de vue fiscal, ces deux conventions se singularisent par leur objet, qui n'est pas tant d'éviter les doubles impositions que de lutter contre le transfert de bénéfices à Monaco et de dissuader les contribuables français d'établir leur domicile fiscal dans la Principauté afin d'échapper à l'impôt sur le revenu en France. Ainsi, les Français résidant à Monaco continuent de payer leurs impôts en France, à l'exception de ceux qui, en 1962, avaient déjà vécu pendant au moins cinq ans à Monaco.

Ces deux textes ne couvrent cependant pas l'intégralité des questions de nature fiscale auxquelles sont confrontés la France et Monaco dans leurs relations, laissant une relative latitude aux autorités compétentes des deux États pour régler certains cas par la pratique.

L'accord que nous examinons aujourd'hui a donc vocation à combler une absence de base conventionnelle, en encadrant une pratique relative aux dons et legs transfrontaliers. En effet, en droit français comme en droit monégasque, certaines personnes publiques et entités sont exonérées du paiement des droits de mutation à titre gratuit, à savoir les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière. Néanmoins, même si deux États exonèrent dans leur droit interne des entités similaires, cet avantage est limité aux organismes implantés sur le territoire national sauf si une convention fiscale assure un régime de réciprocité en la matière.

Or en l'absence de toute base conventionnelle, la France et Monaco exonèrent mutuellement de droits de mutation à titre gratuit les dons et legs consentis à des personnes publiques ou à des organismes non lucratifs situés dans l'autre État. Ces exonérations sont accordées sur la base de décisions ministérielles, si tant est que les entités bénéficiaires remplissent les conditions d'éligibilité dans le droit interne de l'autre État.

Cette pratique, constante depuis 1969, ne concerne qu'un nombre restreint de cas : depuis 2010, six organismes français ont bénéficié d'une exonération de droits monégasques, tandis qu'une seule demande d'exonération a été formulée auprès des services fiscaux français. C'est à l'occasion de cette dernière demande, qui portait sur un legs consenti par un Français au profit d'un hôpital monégasque, que les autorités françaises ont proposé à leurs homologues monégasques de formaliser davantage leurs relations fiscales dans ce domaine.

Initiées en 2016, les négociations se sont poursuivies en 2017 et 2018, pour aboutir à la signature d'un texte le 25 février 2019. L'accord ayant vocation à encadrer une pratique existante, le principe et l'étendue des exonérations à accorder faisaient déjà l'objet d'un consensus entre les deux parties ; par conséquent, selon les informations qui m'ont été communiquées, les échanges ont principalement porté sur le choix du support juridique idoine, ainsi que sur certains aspects rédactionnels.

En pratique, les stipulations contenues dans l'accord sont largement comparables à celles qui figurent dans les accords de même type conclus par la France. L'accord définit ainsi trois catégories de bénéficiaires des exonérations de droits de mutation à titre gratuit, à savoir les États parties, leurs collectivités locales ou territoriales et les établissements publics ou d'utilité publique ainsi que les organismes à but désintéressé opérant dans les domaines culturel, cultuel, éducatif, charitable, scientifique, médical, environnemental ou artistique et implantés dans l'un des États parties. Ce champ d'application, relativement large, est censé couvrir l'ensemble des entités éligibles à ces exonérations dans le droit interne de chaque État.

Toutefois, j'attire votre attention sur le fait qu'il ne suffit pas à une entité de correspondre à ces critères pour pouvoir bénéficier des dispositions de l'accord, dans la mesure où l'article 2 pose une condition de stricte réciprocité : un organisme ne sera éligible à une exonération de droits de mutation dans l'autre État que si ce dernier prévoit cette même exonération en faveur des organismes situés sur son territoire.

Je ne reviendrai pas sur les modalités d'entrée en vigueur, de modification et de dénonciation de l'accord, qui sont relativement classiques, si ce n'est pour relever que l'accord aura une portée rétroactive en matière de legs ; cette disposition s'explique par la décision qui a été prise, au début de la négociation, de geler toutes les demandes d'exonération dans l'attente du présent accord.

La perte de recettes résultant de la portée rétroactive de l'accord devrait être relativement circonscrite, puisque selon les informations qui m'ont été communiquées, seule une demande d'exonération est en attente d'examen en France, concernant un legs de 1,5 million d'euros en faveur d'un hôpital monégasque. En parallèle, quatre demandes d'exonération auraient été formulées auprès des services fiscaux monégasques pour des dons et legs en faveur d'organismes français d'un montant total d'environ 25 millions d'euros, correspondant à des droits de mutation de l'ordre de 4 millions d'euros.

Enfin, même s'il n'est pas possible d'évaluer l'éventuel effet incitatif que cet accord pourrait avoir sur les dons et legs qui seront consentis dans les années à venir, son impact fiscal devrait rester limité puisqu'il se substitue à une pratique courante.

Pour conclure, cet accord présente l'avantage de clarifier l'ensemble des procédures applicables en matière de dons et de legs transfrontaliers, de même que la liste des entités éligibles à une exonération, afin d'inscrire les décisions rendues en matière d'exonération dans un cadre juridique plus solide.

Je vous propose donc, chers collègues, d'adopter le présent projet de loi.

M. Éric Bocquet. - Quelle sera la portée de la rétroactivité de la mesure ? Combien de dons ou legs sont concernés, et pour quel montant ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Comme je l'ai indiqué, un don d'un montant de 1,5 million d'euros en faveur de l'hôpital Princesse-Grace est gelé depuis le début des négociations qui ont abouti à ce projet de loi. S'y ajoutent quatre dons en faveur d'entités françaises, pour un montant total de 25 millions d'euros. Je précise cependant que ces demandes n'ont pas encore été instruites par les services fiscaux français et monégasques et que par conséquent, rien ne garantit à ce stade leur éligibilité à une exonération des droits de mutation à titre gratuit.

M. Albéric de Montgolfier. - De fait, nous serons vraisemblablement bénéficiaires de cet accord. Est-il la simple transposition de ce qui se pratique dans le reste de l'Europe ? En effet, le réseau Transnational giving in Europe permet aux donateurs de bénéficier des avantages fiscaux prévus par leur pays de résidence même si le don bénéficie à un organisme étranger.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il s'agit en effet d'une transposition des dispositions du code général des impôts applicables aux dons et legs perçus par des organismes étrangers situés dans un pays de l'Union européenne. J'ajoute que l'accord est largement comparable, dans son contenu, aux dix-sept conventions fiscales comportant des stipulations relatives aux dons et legs que nous avons signées avec des pays tels que l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Portugal, la Suède, l'Italie, les États-Unis, le Sénégal, Côte d'Ivoire, la Bolivie ou le Cameroun.

M. Christian Bilhac. - N'y a-t-il pas un risque que certains organismes cultuels bénéficient de dons ou legs, contournant ainsi la future loi contre le séparatisme ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La condition de réciprocité est stricte : les deux pays doivent exonérer les mêmes catégories d'organismes dans leur droit interne pour que ces derniers soient éligibles à cet avantage fiscal. Cela limite grandement le risque que vous pointez.

Le projet de loi est adopté.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine - Examen d'une motion tendant à opposer la question préalable sur le texte n° 290 (2020-2021) adopté par la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent la motion n°  1 tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine adopté par la commission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous prie d'excuser l'absence de Jérôme Bascher, rapporteur de ce texte.

Sans surprise, notre commission ayant adopté le projet de loi autorisant l'approbation du nouvel accord de coopération entre la France et les États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, notre rapporteur, Jérôme Bascher, s'oppose à cette motion de nos collègues du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

Sans revenir sur l'ensemble des arguments soulevés par nos collègues, car nous aurons le débat en séance, il tenait à souligner deux points.

Premièrement, certaines objections soulevées par les auteurs de la motion vont bien au-delà du contenu de l'accord de coopération, voire de la coopération monétaire elle-même. Elles témoignent de préoccupations plus larges sur le développement économique de la zone qui, si elles sont légitimes, ne concernent pas à proprement parler ce projet de loi.

Deuxièmement, rejeter l'approbation de ce nouvel accord de coopération me paraît être un très mauvais signal envoyé à nos partenaires de l'Union monétaire ouest-africaine. Il ne semble pas souhaitable de défendre une position qui reviendrait dans les faits à rejeter les avancées et les modernisations apportées par le nouvel accord de coopération monétaire.

Pour l'ensemble de ces raisons, notre rapporteur Jérôme Bascher invite notre commission à donner un avis défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. Vincent Éblé. - Adopter la présente motion reviendrait à rejeter la réforme qui nous est proposée. Bien qu'elle soit incomplète, la refuser purement et simplement serait entériner le statu quo, dont nous ne pouvons nous satisfaire.

M. Pascal Savoldelli. - Ce texte n'est pas amendable. Dans le cas contraire, nous n'aurions peut-être pas déposé cette motion. Nous estimons pour notre part que cette réforme, menée sans consultation des parlements africains, est un rendez-vous manqué.

La commission émet un avis défavorable à la motion n°  1.

La réunion est close à 14 h 25.

Mercredi 27 janvier 2021

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Communication sur le compte rendu de la réunion du bureau de la commission et sur le programme de contrôle des rapporteurs spéciaux pour 2021

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vais procéder tout d'abord à une brève communication suite à la réunion du bureau de notre commission de mercredi dernier.

Cette réunion a tout d'abord été l'occasion d'examiner le programme législatif de la commission en ce début d'année. Je n'y reviendrai pas en détail, car tous les textes que nous devons examiner d'ici au mois de mars figurent dans le programme de travail que vous avez reçu cette semaine, et les rapporteurs ont été désignés.

Il reste deux textes qui relèvent de la compétence de notre commission, mais qui ne sont pas encore inscrits à l'ordre du jour et pour lesquels il faudra désigner des rapporteurs en temps utile : une proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles et un projet de loi autorisant l'approbation d'un avenant à une convention fiscale avec l'Argentine.

Le calendrier législatif est encore susceptible d'évoluer en fonction des priorités gouvernementales et du contexte sanitaire, économique et financier. Nous pouvons nous attendre au dépôt d'un projet de loi de finances rectificative, surtout si une mesure de confinement était de nouveau décidée prochainement.

Par ailleurs, notre commission pourrait être amenée à se saisir pour avis de projets de loi qui comporteraient des dispositions financières ou fiscales : je pense notamment au projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, mais il pourrait y en avoir d'autres.

La présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, qui fait traditionnellement l'objet d'une séance publique au début du mois de février, pourrait avoir lieu le 23 ou 24 mars, la Cour ayant décalé ses travaux en raison de la crise sanitaire. Au début du mois de mars se tiendra également un débat sur la dette publique, à la demande du groupe Les Républicains.

Le bureau a évoqué la possibilité d'organiser une table ronde sur ce thème : nous tâcherons de programmer cela, tout en tenant compte de l'avancement des travaux de la commission Arthuis, qui doit faire des propositions rapidement. Nous pouvons d'ores et déjà saisir l'occasion de l'audition du gouverneur de la Banque de France, ce matin, pour lui poser des questions sur sa perception de la question du remboursement de la dette. Nous pourrions ensuite tenir une table ronde sur la dette en février, avant le débat dans l'hémicycle au mois de mars. Ces étapes de travail pourraient se conclure par l'audition de la commission Arthuis, une fois ses conclusions rendues publiques.

La commission aura également à travailler, à compter de la mi-avril, sur le programme de stabilité et le projet de loi de règlement de l'année 2020. Le bureau a exprimé le souhait que la commission continue d'évaluer, au cas par cas et en fonction des enjeux qui s'y attachent, l'opportunité d'entendre les ministres sur leur exécution budgétaire, plutôt que d'y procéder de manière systématique, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale dans le cadre du « printemps de l'évaluation ». À cet égard, a été évoquée la possibilité d'auditionner les ministres dont les secteurs de responsabilité ont été les plus touchés par la crise et particulièrement destinataires d'aides publiques.

En fonction de l'actualité, nous pourrons également entendre d'autres personnalités, en lien avec la situation économique et financière ou les conséquences de la crise sanitaire, comme M. Coeuré, président du Comité de suivi de la mise en oeuvre et de l'évaluation des mesures de soutien votées dans le cadre des dernières lois de finances.

En ce qui concerne les auditions et travaux de contrôle, la commission devrait réaliser avant l'examen du prochain projet de loi de finances, des auditions pour suites à donner à plusieurs enquêtes demandées à la Cour des comptes, notamment celle sur l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, qui pourrait avoir lieu en mars, ainsi que celles portant sur le bilan de l'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur et la couverture mobile du territoire. Outre les auditions qui sont d'ores et déjà organisées, la commission pourrait conduire, en février ou en mars, des tables rondes, notamment sur deux thèmes : la mobilisation de l'épargne financière des ménages en faveur de l'économie et l'accès aux services bancaires.

S'agissant des travaux de contrôle, il vous est proposé de reconduire les groupes de travail et de suivi décidés par notre commission l'an passé, qui n'ont pu avoir que peu d'activité en raison de la crise sanitaire. Quatre groupes devraient ainsi être reconstitués, dont l'un, relatif à la fiscalité locale, serait transformé en groupe de suivi. Le groupe de travail sur les assiettes fiscales et les modalités de recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique, composé de dix-neuf membres à la représentation proportionnelle, pourrait se pencher, entre autres, sur les conséquences du confinement sur l'activité et la fiscalité des entreprises du e-commerce, ainsi que sur le sujet des GAFA. Un groupe de travail sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), constitué des dix-huit membres du bureau, serait également établi.

Par ailleurs, notre commission reconstituerait deux groupes de suivi, avec un représentant par groupe politique, en plus du président et du rapporteur général, soit dix membres au total : le premier porterait sur l'évolution de la fiscalité locale, et serait associé aux travaux que pourrait mener le rapporteur général sur les conséquences de la réforme de la taxe d'habitation ; le second s'intéresserait à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, et pourrait travailler sur le suivi de la mise en oeuvre de la loi relative à la lutte contre la fraude, ainsi que sur un premier bilan de la mise en oeuvre du dispositif mis en place à la suite des révélations des CumEx Files.

Le programme de contrôle des rapporteurs spéciaux vous a par ailleurs été distribué. Outre les travaux conduits par nos propres moyens, cinq nouvelles enquêtes ont été demandées à la Cour des comptes, pour être remises, de manière échelonnée, entre les mois de décembre 2021 et de mars 2022.

M. Michel Canevet. - Nos collègues rapporteurs spéciaux Hervé Maurey et Stéphane Sautarel ayant la charge de travailler sur les transports terrestres et maritimes, je tenais à leur demander s'il était possible, dans le cadre de leur mission de contrôle sur la SNCF, d'examiner les questions relatives au trafic transmanche, car plusieurs difficultés sont annoncées pour le ferroviaire et le transport maritime dans ce secteur.

M. Hervé Maurey. - Notre volonté est plutôt de réaliser un bilan et de dégager des perspectives sur la situation financière de la SNCF, ce qui ne recoupe pas le sujet que vous évoquez. Le transmanche est un champ en soi, qui mériterait une étude et une mission d'information : je ne suis donc pas certain que l'on parvienne à l'intégrer dans notre mission de contrôle.

Le programme de contrôle est adopté.

Projet de loi autorisant l'approbation de la décision (UE, Euratom) 2020\2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014\335\UE, Euratom - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de la décision relative au système des ressources propres (DRP) de l'Union européenne, rendue par le Conseil le 14 décembre 2020, qui établit les règles relatives au volet « recettes » du budget pluriannuel de l'Union européenne.

La DRP est négociée et adoptée de manière parallèle au cadre financier pluriannuel (CFP), lequel détermine le volet « dépenses » du budget européen. Ces deux instruments juridiques distincts sont adoptés selon des procédures législatives différentes. Alors que le Parlement européen doit approuver le règlement financier du CFP, il n'est que consulté sur la DRP.

En revanche, la DRP doit être ensuite ratifiée par l'ensemble des Parlements nationaux, selon leurs règles constitutionnelles. En France, l'article 53 de la Constitution prévoit que cette décision ne peut être approuvée qu'en vertu d'un projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous sommes aujourd'hui saisis de ce texte portant un article unique.

Le budget de l'Union européenne est actuellement financé par quatre catégories de ressources : les ressources propres traditionnelles, c'est-à-dire les droits de douane ; la ressource TVA, qui correspond à l'application d'un taux d'appel de 0,3 % à une assiette harmonisée entre tous les États membres ; la ressource sur le revenu national brut (RNB), soit une contribution fondée sur la part de chaque État membre dans le RNB de l'Union européenne - il s'agit de la ressource d'équilibre du budget européen, qui est augmentée quand les autres ne suffisent pas à financer la totalité des besoins en crédits - ; et enfin diverses recettes, telles que le produit des amendes.

S'agissant de l'établissement du cadre budgétaire de l'Union européenne, tel que proposé à compter de 2021, je ne reviendrai pas sur l'historique complet des négociations qui ont été initiées en 2018 par la Commission européenne, car notre commission a déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'en retracer le fil, notamment en examinant les rapports de nos collègues Patrice Joly et Jean-Marie Mizzon. Ces négociations se sont inscrites dans le contexte singulier du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. La suppression de la participation de ce contributeur net au budget européen a nourri de nombreux débats sur la question de la valeur ajoutée européenne, et le juste dimensionnement du budget européen. À cette question, opposant les États contributeurs nets aux États bénéficiaires nets, s'est ajoutée la réflexion de longue date sur la réforme globale du système des ressources propres de l'Union, appelant à leur diversification.

Alors qu'elle semblait au point mort, la négociation sur le CFP a finalement été bouleversée par les conséquences économiques de la crise sanitaire. En effet, cette dernière a frappé une économie européenne encore convalescente à la suite de la crise financière et de la crise des dettes souveraines, qui ont provoqué une divergence sans précédent des trajectoires des différents États membres. À titre d'exemple, alors que la richesse par habitant de l'Allemagne a augmenté de 12 % sur la période 2007 - 2019, celle de la Grèce était encore inférieure de 20 % au niveau atteint avant le déclenchement de la crise financière. Dans ce contexte, la crise sanitaire, loin de constituer un choc symétrique, a malheureusement touché plus durement les pays déjà fragilisés, au risque de provoquer une nouvelle divergence. Ainsi, les pays les plus touchés économiquement par l'épidémie, comme l'Espagne ou l'Italie, sont aussi ceux qui ont abordé la crise avec le moins de marges de manoeuvre budgétaires.

Face au risque de fragmentation de l'Union, la réponse européenne a d'abord revêtu des formes traditionnelles : mobilisation des budgets nationaux, renforcement des instruments européens de prêts et mise en place par la BCE d'un programme d'achats d'actifs d'urgence. Si cela a ramené le calme sur les marchés financiers, cette première réponse paraît insuffisante : sur le plan juridique, la contestation de la politique de la BCE par la Cour constitutionnelle allemande a rappelé le danger de se reposer exclusivement sur la politique monétaire ; sur le plan budgétaire, la crainte d'une future remontée des taux souverains a conduit les pays européens aux finances publiques les plus fragiles à limiter fortement l'ampleur de leurs mesures de soutien direct aux entreprises, par contraste avec les pays plus solides, comme l'Allemagne.

C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron et Angela Merkel ont présenté en mai dernier une proposition commune visant à créer un fonds de relance européen, sur la base de laquelle les États membres sont parvenus à trouver un compromis en juillet dernier.

S'agissant du CFP dit « socle », il a été fixé à 1 074 milliards d'euros par les États membres, puis relevé de 15 milliards d'euros dans la négociation avec le Parlement européen. En outre, l'accord de juillet acte la mise en place d'un instrument de relance - le Next Generation EU -, doté de 750 milliards d'euros, dont 390 milliards d'euros pour des subventions.

Au coeur de cet instrument de relance figure la « facilité pour la reprise et la résilience », qui correspond à une capacité de prêts aux États membres de 360 milliards d'euros, et à un volume de subventions de 312,5 milliards d'euros. Pour en bénéficier, les États membres devront élaborer des plans nationaux pour la reprise et la résilience, établissant leur programme de réforme et d'investissement pour les années 2021-2023, qui seront évalués par la Commission européenne et approuvés par le Conseil à la majorité qualifiée. Les crédits versés au titre de cette facilité permettront donc de financer notre plan de relance. Dans cette perspective, la principale innovation du paquet budgétaire européen tient à l'autorisation exceptionnelle d'emprunt portée par la décision sur les ressources propres.

En effet, l'article 5 de la décision habilite la Commission à emprunter des fonds sur les marchés de capitaux à hauteur de 750 milliards d'euros d'ici à 2026, dont 360 milliards d'euros pour fournir des prêts et 390 milliards d'euros pour des dépenses. Cet emprunt doit être réalisé à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire. Le remboursement du capital ne devrait débuter qu'en 2028 et s'achever en 2058 au plus tard.

La DRP encadre strictement à la fois le montant, la finalité et la temporalité de l'emprunt. L'instrument de relance européen conserve un caractère temporaire, empêchant tout risque de glisser vers un mécanisme fédéral. La nécessité de modifier la DRP constitue un verrou politique puissant contre une évolution à bas bruit vers un mécanisme permanent. En effet, cette révision supposerait d'obtenir l'unanimité au Conseil et l'approbation de chacun des États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Un retour devant les Parlements nationaux serait donc indispensable.

En complément, cette autorisation exceptionnelle d'emprunt est assortie d'un relèvement temporaire de 0,6 % du RNB des plafonds de crédits d'engagement et de paiement pour garantir que l'Union puisse faire face à ses obligations en toutes circonstances. Cette hausse des plafonds s'ajoute à celle, permanente, de 0,2 % du RNB afin de tenir compte de la contraction de celui-ci en raison de la crise économique et du départ du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Si les crédits autorisés, inscrits au budget, ne sont pas suffisants pour remplir ses obligations résultant de l'emprunt ou si un pays n'honore pas ses engagements, l'article 9 autorise la Commission, en dernier ressort, à faire contribuer les États membres jusqu'à un montant maximum correspondant à leur part du plafond des ressources propres temporairement relevé, soit 0,6 % du RNB. Pour la France, cela représente une contribution maximale de l'ordre de 15 milliards d'euros.

D'après la direction du budget, le remboursement du capital à la charge de la France, à compter de 2028, devrait s'élever à 2,5 milliards d'euros, en l'absence de nouvelles ressources propres, pesant sur le déficit public à hauteur de 0,1 % du PIB.

Outre l'instrument de relance européen, l'article 2 de la décision introduit deux évolutions dans le système des ressources propres. D'une part, il prévoit une simplification du mode de calcul de la ressource TVA, afin de répondre aux critiques de longue date du caractère complexe de cette ressource et de la charge administrative afférente ; d'autre part, il introduit une nouvelle contribution fondée sur le recyclage des déchets plastique. Cette contribution, qui constitue en réalité une modulation de la contribution nationale selon le taux de recyclage, est accompagnée d'un nouveau mécanisme compensatoire, de type « rabais », au bénéfice des États membres dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne de l'Union européenne.

Au-delà de la question de l'introduction d'un nouveau rabais contribuant à nuire à la lisibilité du système des ressources propres, il est permis de s'interroger sur la crédibilité de cette nouvelle ressource, dans la mesure où une majorité d'États membres bénéficient de réductions forfaitaires.

La ressource propre fondée sur les droits de douane reste inchangée, à l'exception du taux de retenue pour les États membres, au titre des frais de collecte, qui est augmenté de 20 à 25 %. Alors même que la Commission européenne, soutenue par la France, avait proposé une réduction de ce taux afin de mieux refléter le coût réel de la collecte, la négociation a cependant retenu une hausse de celui-ci, s'apparentant ainsi au renforcement d'un rabais pour les États membres qui sont de grands importateurs.

Alors que l'on désespère souvent de la lenteur du processus de décision européen et de la difficulté à avancer à vingt-sept, ne boudons pas cette fois notre plaisir : il s'agit d'une avancée majeure dans le fonctionnement de l'Union européenne, qui concrétise une ambition ancienne de la France que l'on pourrait faire remonter aux premiers projets d'eurobonds, un temps soutenus lors de la précédente crise financière.

J'y vois deux ruptures majeures. Pour la première fois, l'Union européenne devrait s'endetter pour financer solidairement des dépenses, et non de simples prêts, à une échelle suffisamment importante pour entrer dans une logique de stabilisation macroéconomique.

Contrairement à ce qui avait été observé lors des précédentes crises, la réponse économique commune de l'Union européenne face au choc sanitaire serait ainsi d'un ordre de grandeur comparable à celle observée aux États-Unis : personne ne l'aurait imaginé il y a encore quelques mois.

S'agissant de la France, les financements européens au titre de la facilité devraient atteindre 39,4 milliards d'euros courants - 1,6 % du PIB de 2019 -, permettant le financement d'une part significative de notre plan de relance, soit 46 %.

Le taux de préfinancement de 13 % finalement retenu permettrait un premier versement de l'ordre de 5,2 milliards d'euros d'ici à la fin du premier semestre. Une première tranche pourrait ensuite être débloquée d'ici la fin de l'année, sur la base des dépenses éligibles engagées depuis le 1er février 2020, ce qui permettrait d'atteindre la cible de 17,3 milliards d'euros fixée par la loi de finances. Reste maintenant à savoir si, dans le contexte de rebond épidémique, le plan de relance français pourra réellement être mis en oeuvre...

La deuxième rupture tient à la logique de solidarité qui gouverne la répartition des subventions de la facilité pour la reprise et la résilience. Ces dernières sont allouées selon une clef de répartition mixte : une part fixe de 70 % tient compte du taux de chômage, du PIB par habitant et de la population d'avant-crise ; une part variable de 30 % dépendra de la perte de PIB observée en 2020 et en 2021.

Mais les remboursements ne sont pas proportionnés aux montants perçus par chaque État membre : en l'absence de nouvelles ressources propres, ils dépendent de leur quote-part dans le RNB de l'Union européenne. Dès lors, l'instrument de relance devrait se traduire par des transferts interétatiques d'une ampleur inédite au profit des pays dont la richesse par habitant est éloignée de la moyenne européenne ou qui ont été fragilisés par les crises successives, soit principalement les pays de l'Est et du Sud. Pour la Grèce, cela représenterait une aide atteignant 7,4 % du PIB - soit trois fois l'aide moyenne perçue par les États européens dans le cadre du plan Marshall !

Cette ambition politique, notamment portée par la France, s'accompagne toutefois d'une première concession : si notre pays figure parmi les États membres où la chute du PIB devrait être la plus forte en 2020, il sera contributeur net en l'absence de nouvelles ressources propres. Au titre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui rassemble 80 % du total des subventions, la France devrait ainsi rembourser, entre 2028 et 2058, environ 20 milliards d'euros de plus que les financements reçus entre 2021 et 2026, soit 0,8 % du PIB étalé sur 30 ans. Cette contribution nette reste néanmoins plus de deux fois inférieure à celle consentie par l'Allemagne. Surtout, cette contribution devrait être contrebalancée par les effets macroéconomiques liés à la relance européenne coordonnée. En première approximation, avec un taux de prélèvements obligatoires de l'ordre de 45 %, un surcroît d'activité cumulé de l'ordre de 2 % du PIB serait suffisant pour compenser la contribution nette attendue de la France, ce qui correspond à l'estimation la plus pessimiste aujourd'hui disponible. Cela souligne une nouvelle fois les limites de l'approche comptable du « juste retour ».

La deuxième concession de la France réside dans cette occasion manquée de mettre fin aux rabais, que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années. Certes, certains ont disparu : c'est le cas du rabais sur le rabais, c'est-à-dire la réduction accordée dans le financement du chèque britannique, et du rabais TVA que constituait le taux réduit d'appel. Toutefois, le niveau de rabais dont bénéficiaient les États membres en 2020 a servi de base pour la négociation, puis ce montant a été relevé. Ce renforcement des réductions forfaitaires accordées à l'Allemagne, au Danemark, à l'Autriche, aux Pays-Bas et à la Suède, participe d'un alignement par le haut des compensations pour ces contributeurs nets. Cependant, l'accord obtenu sur le rabais a constitué une concession importante pour parvenir à un accord sur le plan de relance, car ces États membres sont en effet parmi les principaux contributeurs nets à l'instrument de relance.

En outre, si la part de la France dans le financement de l'ensemble des rabais augmente en raison du Brexit, son montant diminue bien, passant ainsi de près de 2 milliards d'euros par an en moyenne à 1,6 milliard d'euros à partir de 2021.

Une fois ces concessions évoquées, il faut maintenant appeler à la plus grande vigilance : rien n'est acquis et le succès du plan de relance européen reste à construire. En effet, son ambition n'est pas seulement de soutenir la demande en sortie de crise dans une logique keynésienne, mais aussi de stimuler la croissance potentielle européenne par l'investissement et les réformes, en particulier dans les pays fragilisés qui, pour la première fois, bénéficieront de subventions de grande ampleur pour accélérer leur rattrapage économique.

De ce point de vue, la bonne utilisation des fonds européens dans le cadre des plans nationaux pour la reprise et la résilience sera cruciale.

Or la gouvernance retenue est le résultat d'un compromis fragile entre les pays dits « frugaux » d'Europe centrale et du Nord, qui souhaitaient lier le déblocage des fonds à une conditionnalité stricte sur le plan de la nature des investissements et des réformes structurelles, et les pays du Sud de l'Europe, qui plaidaient pour un contrôle aussi peu invasif que possible, compte tenu des mauvais souvenirs laissés par la Troïka dans le cadre de la crise européenne des dettes souveraines.

Tout se jouera donc dans la mise en oeuvre de ce compromis, et il faudra que la Commission prenne ses responsabilités pour bloquer les financements si certains États membres dérapent, comme l'y autorisent les textes européens.

Enfin, seule l'introduction de nouvelles ressources propres permettra de soulager les budgets nationaux qui, à défaut, se retrouveront en première ligne pour rembourser le plan de relance.

Au terme d'une négociation difficile, le Conseil et le Parlement se sont accordés sur une feuille de route, présentant un calendrier de discussion de plusieurs pistes pouvant constituer de nouvelles ressources propres. Parmi elles, on trouve un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, une redevance numérique, une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission, une taxe sur les transactions financières et une contribution financière liée au secteur des entreprises, ou une nouvelle assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis).

Mais ne soyons pas naïfs : les désaccords persistants entre les États membres sur ce sujet ne rendront pas les discussions aisées. À ce titre, le calendrier défini par la feuille de route constitue plus une obligation de moyens que de résultats. Toutefois, la perspective d'assumer uniquement par les contributions nationales le remboursement du plan de relance pourrait constituer une incitation inédite au déblocage des discussions.

Le rendement de ces ressources reste difficile à évaluer aujourd'hui, en l'absence d'informations sur le calibrage qui sera retenu par la Commission européenne.

Néanmoins, les auditions que j'ai menées m'ont conforté dans l'idée que la ressource fondée sur le système d'échange des quotas d'émissions était la piste la plus pertinente à l'heure actuelle. En effet, le système d'échange existe déjà, ce qui devrait permettre une mise en oeuvre plus consensuelle. Cette ressource pourrait générer des recettes très élevées. Enfin, elle serait cohérente avec les politiques environnementales européennes et l'objectif de neutralité carbone à l'horizon de l'année 2050.

De façon complémentaire, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières se justifie également à plusieurs titres. En effet, cette ressource deviendra indispensable dès lors que le différentiel de prix s'accentuera entre l'Union européenne et les pays tiers. En outre, elle s'inscrit dans l'esprit du Pacte vert pour l'Europe et pourra constituer un levier d'action de la politique commerciale de l'Union européenne. Enfin, elle ne se substituera pas à des recettes aujourd'hui perçues par les budgets nationaux.

Parmi les pistes de nouvelles ressources envisagées, figure aussi la création d'une taxe européenne sur les services numériques. Vous le savez, une première proposition en la matière en mai 2018 s'est soldée par un échec, faute d'unanimité des États membres, ce qui nous a conduits à introduire une taxe à l'échelon national en 2019. Face à la difficulté de parvenir à un accord international au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission européenne a lancé une nouvelle consultation pour aboutir à une potentielle nouvelle proposition, sans doute au printemps.

Permettez-moi d'être prudent à ce sujet, pour au moins deux raisons. D'abord, comme le dit le proverbe, « chat échaudé craint l'eau froide » : deux ans plus tard, même si l'approche de certains pays a évolué, rien n'indique que cela suffise à recueillir l'unanimité de tous les États membres. Cette initiative pourrait surtout être un moyen pour la Commission européenne d'adresser une pression sur la nouvelle administration américaine, afin d'obtenir un accord à l'OCDE, échelon le plus adapté. Ensuite - et surtout ! -, quand bien même la taxation européenne des GAFA serait adoptée, elle conduirait à la suppression de notre taxe nationale, ce qui s'apparenterait davantage à un transfert de fiscalité qu'à une nouvelle ressource.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je vous propose d'adopter l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de la DRP adoptée par le Conseil le 14 décembre dernier. Cette adoption n'est toutefois pas un blanc-seing. Il nous faudra être particulièrement vigilants dans l'exécution du plan de relance européen, dont le suivi est assuré par la Commission européenne, ainsi que dans l'adoption des nouvelles ressources propres. Cela sera notamment permis par les travaux de contrôle de notre collègue Jean-Marie Mizzon.

M. Philippe Dallier. - Je dois bien admettre que j'ai du mal à me réjouir de la situation autant que le souhaiterait notre rapporteur général. Le schéma que vous présentez est intéressant, mais j'aurais aimé que la commission nous fournisse un même tableau, non pas en pourcentage de PIB, mais avec les montants en euros, pour que l'on comprenne bien ce dont bénéficieront les uns, et ce que payeront les autres. La France recevra 40 milliards d'euros de subventions environ, et remboursera pour 60 milliards d'euros : jamais aucun emprunt ne nous aura coûté aussi cher !

L'accord a été arraché au prix de nouvelles concessions vis-à-vis des États dits « frugaux ». On aurait pu espérer, avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, qu'il en soit fini de la politique des rabais. Le rabais ne nous coûtera plus que 1,6 milliard d'euros - au lieu de 2 milliards -, alors qu'on aurait pu ne rien avoir à débourser ! On est donc plus proches des 70 milliards d'euros à rembourser : tout cela nous coûtera 30 milliards. Sachons-le !

M. Éric Bocquet. - Sur les 40 milliards d'euros prévus pour la France, 5 milliards seraient versés au premier semestre : est-ce bien cela ? Mais comment expliquer une telle lenteur dans un contexte d'urgence ? Concernant la taxe sur les transactions financières, il faut recueillir l'unanimité, or seuls onze États sont d'accord pour le moment. Une telle taxe, même avec un taux faible de 0,1 %, pourrait pourtant rapporter entre 50 et 60 milliards d'euros à l'échelle européenne ! Il y a encore des résistances très fortes, où en sont donc les discussions ?

M. Vincent Segouin. - J'ai le sentiment que l'on exporte notre modèle français de la dette immaîtrisable à l'échelon européen. Il me semble en outre que l'on nous cache beaucoup de choses : un remboursement est prévu en 2028, mais pourquoi si tard, alors que nous sommes dans le feu de la relance ? Il faut que nous remboursions les effets de l'épidémie, non pas dans dix ans, mais tout de suite, car j'ai bien peur que certains États ne s'en rappellent plus et que des organisations politiques nationalistes, au moment du remboursement, critiquent l'Union européenne, justement pour la raison que les emprunts souscrits pour faire face à la crise sanitaire auront été oubliés !

Avons-nous besoin réellement de l'Union européenne pour financer notre plan de relance ?

Je suis convaincu qu'il aurait fallu négocier les nouvelles ressources propres, en même temps que l'on souscrit ces emprunts : c'est le moment ou jamais d'entrer en négociation, par exemple sur la taxe carbone ou la taxe numérique. Pourquoi une clause de revoyure, alors que l'on sait pertinemment qu'elle n'aura aucun effet, parce que nous ne serons plus dans le même contexte et que les emprunts auront été faits ?

M. Roger Karoutchi. - J'ai été député européen, et je n'ai jamais cru au risque fédéral, auquel nous exposerait prétendument ce projet. Il y a beaucoup plus de réflexes nationalistes que fédéralistes en Europe. En revanche, je partage les observations de Philippe Dallier et de Vincent Segouin : tout cela va nous coûter cher ! Vous nous direz que les subventions que nous recevons redresseront le système et nous permettront de disposer de ressources dans les années à venir... Mais ce remboursement se fera à un coût considérable, non pas en raison du taux d'intérêt, mais de la solidarité avec les autres États membres.

Je ne veux pas dire que la France est l'homme malade de l'Europe, mais nous ne sommes pas dans une situation formidable vis-à-vis de la dette ou du déficit. Voir la France être aussi solidaire a quelque chose de sympathique et de généreux, mais c'est risqué. En comparaison, l'Estonie se porte plutôt bien : dans la configuration actuelle, elle sera bénéficiaire, tandis que la France sera contributeur net.

Autre point sur lequel je rejoins Vincent Segouin : dire que les remboursements ne se feront pas avant une dizaine d'années, c'est prendre un énorme risque politique par rapport aux opinions publiques. Dans dix ans, quand le choc de l'épidémie aura disparu et que les gens auront oublié la covid-19, je vous laisse imaginer les réactions ultranationalistes. Il me paraît donc extrêmement dangereux d'avoir prévu un système de remboursement qui commence tard et qui dure longtemps. Certains ont évoqué le risque d'une Europe fédérale, je crains pour ma part davantage le risque d'une Europe déstructurée.

M. Patrice Joly. - Je n'ai pas peur d'une plus grande intégration européenne, compte tenu du contexte géopolitique et des risques qui pèsent sur le monde. Je ne nie pas non plus les risques nationalistes liés au fait que l'Europe n'ait pas été suffisamment solidaire au cours des dernières décennies et qu'elle se soit engouffrée dans un libéralisme débridé. Il est important de changer l'Europe, c'est une occasion qui nous est peut-être offerte avec ce paquet budgétaire. C'est la première fois qu'un emprunt est réalisé à l'échelle de l'Union européenne pour 750 milliards d'euros. S'agit-il d'un signe politique suffisant ? Bien évidemment, non. Les évaluations pour un tel emprunt datent de quelques mois et je crains que les sommes empruntées ne soient pas à la hauteur, d'autant que nous sommes loin du rebond économique envisagé à l'époque. Ces 750 milliards d'euros sont à rapprocher des 1 900 milliards de dollars du plan de relance des États-Unis annoncé par Joe Biden.

Avec 390 milliards en contributions et 360 milliards en prêts, on est très loin de ce qui avait été évoqué à l'époque : 500 milliards en subventions et 250 milliards au titre des prêts. Pour la France, cela donne 40 milliards auxquels s'ajoutent d'autres financements - je pense au dispositif REACT-EU.

On a évoqué la question du remboursement de ce prêt. Sans ressources propres, la facture risque d'être lourde. Le compromis fiscal sur ce point est fragile à plusieurs titres, notamment politique, en raison du risque de voir des gouvernements souverainistes gagner les élections. Chaque État membre ayant un droit de veto, il sera impossible d'avancer sans unanimité. Un autre point de fragilité est le calendrier de mise en oeuvre. Les taxes qui ont véritablement un rendement ne pourront au mieux être mises en oeuvre qu'à compter du 1er janvier 2026. Je pense, en particulier, à la taxe sur les transactions financières, évaluée à environ 50 milliards d'euros, et à la taxe sur les sociétés. La taxe sur les plastiques non recyclés devrait, quant à elle, s'appliquer dès cette année. Son rendement se situe entre 3 et 5 milliards d'euros, mais cette fiscalité a vocation à disparaître puisque son objet est de conduire à une modification des comportements.

Derrière tout cela, il y a un enjeu de justice fiscale. Sans ressources propres, la charge de la dette pèsera toujours plus sur les ménages, car les entreprises pourront se soustraire à l'effort. Reste la question de l'appréciation des plans nationaux, qui seront soumis à l'Union européenne. Quelle sera la grille d'analyse ? Quelles seront les contreparties en matière d'adaptation et d'ajustement des régimes fiscaux ?

Parce qu'il y a un signe politique et parce qu'il y a urgence, le groupe socialiste, écologiste et républicain votera ce projet de loi.

M. Jean-François Rapin. - Ce texte de loi, qui tient en un article unique, ne manquera pas de déclencher des discussions très fortes. Elles nous ramèneront les uns et les autres à notre vision de l'Europe, sans stigmatisation aucune des anti-européens. Il n'y a pas non plus de doux angélisme de ceux qui auraient l'intention de soutenir ce texte, d'autant que le rapporteur général nous appelle à faire preuve d'une vigilance accrue. Je partage l'analyse de Roger Karoutchi : le fédéralisme n'est pas ici un problème. Les ressources propres ne sont pas une nouveauté. Les taxes douanières existaient déjà, même si elles se sont étiolées au fil du temps. Certes, on crée de nouvelles ressources propres, mais toujours avec les garanties apportées par les traités européens. Les États membres auront donc leur mot à dire.

La première ressource propre, qui existe déjà, est la taxe sur les plastiques. On aura ensuite deux autres vagues de ressources propres, détaillées par le rapporteur général. N'oublions pas qu'au sein de l'Union européenne, tout euro rapporté par une ressource propre est un euro de moins de contribution nationale. On a tout intérêt, si ce texte est approuvé, à ce que les ressources propres fonctionnent, d'autant qu'il s'agit de ressources que l'on va chercher ailleurs et qui ne pèseront pas sur les États membres - taxe carbone ou taxe sur les GAFA.

Oui, nous sommes sur le fil du rasoir. Oui, la situation est très grave. L'Europe prend deux coups violents : le Brexit et la crise sanitaire. Jusqu'à maintenant, je n'avais pas entendu de cris d'orfraie sur la qualité du plan de relance européen, notamment lorsque nous avons examiné les différentes propositions concernant le CFP. C'est un peu tard. Ce plan de relance est aussi celui du marché unique : si nous ne faisons pas jouer la solidarité aujourd'hui, il sera trop tard pour pleurer demain lorsque les plus fragiles des États membres vont s'écrouler. On cite souvent l'Allemagne comme un exemple budgétaire. Or Angela Merkel a très bien compris que si ses voisins s'écroulaient, l'Allemagne s'écroulerait aussi. Autre argument intéressant, celui de la crise politique que vit l'Italie. La presse internationale s'en fait l'écho, une des dernières cartes économiques de l'Italie est le plan de relance européen. Si elle échoue, elle connaîtra une situation similaire à celle de la Grèce. Ne perdons donc pas de vue cette dimension internationale.

Enfin, la façon dont les crédits du plan de relance irrigueront nos régions et nos territoires a son importance. Les Hauts-de-France devront gérer en direct 228 millions d'euros, plus 90 millions d'euros gérés par l'État. Ce n'est pas anodin dans les circonstances à venir. Certes, les décisions ne sont pas faciles à prendre, mais il faut à un moment mouiller sa chemise. Même si les débats seront difficiles, je soutiendrai ce texte.

M. Claude Raynal, président. - Nous ne pouvons qu'être sensibles à l'avis du président de la commission des affaires européennes.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je ne suis pas inquiète quant au remboursement, car l'échéance est lointaine. Mes inquiétudes sont plus proches. Quelles réformes structurelles nous seront-elles demandées pour 2023 ? L'Europe exige des réformes qui touchent au plus près du quotidien des Français : il faut donc assumer démocratiquement les engagements que l'on prend au nom de la France. Je suis inquiète quand j'entends des ministres mettre l'accent sur la nécessité d'un certain nombre de réformes, dont celle des retraites, qui ont produit des débats peu apaisés dans notre pays. Je crains que cela n'engage au-delà du mandat actuel.

Certes, la mutualisation de la dette est une bonne nouvelle : nous avons tous été rassurés que l'Union européenne tienne la promesse d'une solidarité entre États. Néanmoins, l'Europe reste dans une logique qui n'est pas forcément partagée par les peuples, avec les effets délétères que l'on connaît.

J'éprouve également quelques craintes sur les ressources propres. Certaines d'entre elles semblent peu crédibles. Le rapporteur général l'a souligné : l'engagement n'est pas d'y arriver, mais d'y travailler. Comment les Français accepteront-ils ce type d'engagement, très ferme pour ce qui est des réformes structurelles, mais moins ferme pour ce qui est des ressources propres ? Lors du traité de Maastricht, le volet social devait aussi être pris en compte : on attend toujours ! Moi qui suis profondément européenne, je perçois le fossé grandissant à cause des promesses non tenues.

Mme Christine Lavarde. - Philippe Dallier a suggéré que l'on actualise le coût complet pour la France du dispositif. Je propose que l'on établisse également un coût net en actualisant la croissance du PIB. Les montants complémentaires entreront-ils dans la définition de la dette maastrichtienne ? Dans quelle mesure ? Jusqu'à quand ?

M. Claude Raynal, président. - Vincent Segouin s'interroge : en sommes-nous vraiment là et avons-nous besoin de l'Europe pour 40 milliards ? De mon point de vue, non, puisque cette année l'endettement de la France est passé de 100 à 120 % du PIB...

En revanche, comme l'a souligné Philippe Dallier, s'agit-il de la même dette et du même emprunt ? La réponse est non. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette dette nous coûte beaucoup plus cher. L'idée est d'aider les autres pays européens pour leur permettre aussi d'importer français. Il n'y a rien de philanthropique dans cette affaire ! Autre question, mais il s'agit plutôt d'une boutade : la taxe GAFA est-elle un transfert de fiscalité ? J'appelle en tout cas de mes voeux une vraie taxe GAFA au niveau de l'Union européenne et je souhaite qu'elle fonctionne : les montants en jeu ne seraient alors plus les mêmes !

M. Charles Guené. - Les différentiels exigés des pays peuvent être lus comme l'hommage du vice à la vertu. On pourrait ajouter une ligne supplémentaire au tableau réclamé par Philippe Dallier et Christine Lavarde pour tenir compte de l'effet des réformes qui sont exigées de la France.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est bon que nous ayons des débats. Loin de nous l'idée de vouloir contourner certains sujets. Je savais qu'en disant que j'étais plutôt satisfait, certains se sentiraient piqués. Nous avons voté les plans de relance nationaux en connaissance de cause, sans avoir le détail des financements européens. Mais si l'Europe n'avait pas répondu présente, avec le risque d'effondrement et de repli sur soi que cela comporte, les commentaires auraient été tout autres !

Philippe Dallier obtiendra satisfaction car certains des éléments demandés figureront bien dans le rapport. J'ai essayé de trouver un équilibre tout en définissant de manière pédagogique la ligne qui est celle de notre pays depuis l'origine en tant que membre fondateur.

Sur la question des contributeurs nets, il en va de l'Europe comme des intercommunalités : chacun essaie toujours de tirer au mieux son épingle du jeu !

J'ai expliqué très clairement quel serait le niveau d'engagement de la France. Certains d'entre vous ont évoqué l'Allemagne. Il ne vous a pas échappé que cette dernière contribuera bien davantage que la France. Or si l'Allemagne fait ce choix depuis longtemps, ce n'est pas pour rien ! Il me paraît judicieux que la France la suive. Éric Bocquet a parlé d'une course de lenteur. Je ne crois pas que ça soit le cas : il faut simplement du temps pour que les différents Parlements, à l'échelle de chaque pays, ratifient l'accord. L'engagement des crédits sur trois ans me paraît également logique.

En ce qui concerne les futures ressources propres, je pourrais teinter mes propos de davantage d'optimisme si j'écoutais certaines des personnes que j'ai auditionnées. Un ministre m'a dit lundi que la taxe sur le numérique risquait d'aboutir avant la contribution carbone aux frontières. J'éprouve toujours quelques doutes, donc je maintiendrai ma priorité sur cette dernière taxe.

Est-ce que l'on exporte la dette ? L'Allemagne n'est pas complètement dupe. Il faut éviter de mélanger les sujets. Les Français sont pour le moment plus préoccupés par la crise sanitaire que par l'économie et l'emploi. Où en serons-nous de l'épidémie dans 45 jours ? Je l'ignore, mais le son de cloche sera différent en cas d'amélioration !

Cette dette est isolée et n'est pas financée par de nouveaux impôts sur les ménages. Au contraire, les Parlements essaient de trouver des ressources propres innovantes, et qui ne pèseront pas trop sur tel ou tel secteur. On voit bien qu'il va y avoir des enjeux au niveau international, notamment en termes de rétorsion. Il existe néanmoins une réelle ambition, de nature à redonner un nouveau souffle à l'Europe. Il faut essayer d'être lucide et rigoureux : les travaux que conduira Jean-Marie Mizzon me paraissent d'une importance majeure, d'autant qu'il vient d'un territoire frontalier.

En réponse à Sophie Taillé-Polian, les engagements français seront bien formalisés dans le cadre du plan national soumis au Parlement d'ici au mois d'avril. Il faut que les choses soient bien posées et qu'elles emportent notre adhésion. Il importe de corriger l'espèce de facilité qu'ont les États de « rouler la dette » !

Roger Karoutchi parle d'expérience : je ne pense pas qu'il y ait de risque fédéral, mais notre vigilance collective doit prévaloir dans les négociations. Les pays européens ont fait le pari de se faire confiance. Certes, il y a encore trop de rabais, mais les parlementaires ont obtenu 15 milliards de plus que prévu, avec un fléchage concret sur un certain nombre de dispositifs. Comme dans toutes négociations, il a fallu céder sur certains sujets.

Enfin, la dette sera bien européenne et non française. Nous en avons eu confirmation par Eurostat.

Le fait de ne rembourser qu'à partir de 2028 est un point qui me gêne aussi, mais il faut se mettre d'accord sur les ressources propres. Je forme le voeu que la situation se redresse suffisamment pour autoriser un remboursement anticipé. Les plus pessimistes prédisent tout de même un bilan positif pour la France, y compris dans le scénario le moins favorable de reprise de croissance. C'est un élément qu'il faut entendre, même s'il ne s'agit que de projections.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 10 h 30.

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de
la Banque de France

M. Claude Raynal, président. - Nous accueillons à présent M. François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, pour ce qu'il convient de qualifier de rendez-vous traditionnel de notre commission en début d'année. Je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, reconstituée en octobre dernier après les élections sénatoriales.

Ce rendez-vous traditionnel intervient toutefois après une année 2020 exceptionnelle. L'an dernier, rien ne semblait devoir mettre un terme à l'optimisme des marchés financiers. La crise sanitaire sans précédent que nous connaissons, requérant des mesures de restriction inédites, a affecté durablement l'activité économique. C'est pourquoi nous sommes heureux de vous accueillir et de vous entendre sur la situation économique actuelle. Les différents scénarios que vous anticipez seront pour nous des éléments d'information très importants. De surcroît, un débat très nourri sur la dette s'est installé. Nous aimerions tout particulièrement vous entendre sur ce sujet. Selon vous, la dette de la Banque centrale européenne (BCE) revêt-elle des caractéristiques spécifiques ?

Par ailleurs, face à l'inscription de la crise dans le temps long, des questions se posent quant à la temporalité et aux modalités de la réponse apportée. Ainsi, la semaine dernière, juste avant que le ministre délégué aux comptes publics ne vienne devant notre commission, il alertait dans un article de presse sur la fin rapide du « quoi qu'il en coûte », en la liant naturellement à la fin de la pandémie, mais en instillant tout de même l'idée que tout ceci ne pouvait pas durer éternellement. Au même moment, le conseil des Gouverneurs actait la prolongation des facilités monétaires accordées depuis le début de la crise. Il s'agit d'un point majeur d'interrogation - et sans doute de débat - au sein de notre commission : de la réussite de la stratégie de sortie dépendra l'ampleur des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

M. Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France. - Merci de me recevoir ce matin, pour ce qui est devenu, en effet, presque un rite, mais qui se tient cette année dans des circonstances très exceptionnelles. Je formule tous mes voeux notre cher pays, rudement éprouvé par la crise sanitaire depuis bientôt un an.

Je souhaite, comme vous, que 2021 soit une année meilleure, même si elle commence avec beaucoup d'incertitudes. Les vaccins, tôt ou tard, devraient freiner l'épidémie. Je voudrais en introduction évoquer la conjoncture économique et la situation des entreprises, avant d'aborder le débat sur la dette publique. Je dirai ensuite quelques mots sur l'engagement de la Banque de France dans les territoires.

Notre enquête mensuelle de conjoncture, menée auprès de 8 500 entreprises sur tout le territoire, s'est avérée, depuis mars dernier, la meilleure vigie pour éclairer la brume économique liée à la crise. La dernière, réalisée entre le 21 décembre et le 7 janvier dernier, situe l'économie française, en décembre, à 7 % en dessous de son niveau d'avant-crise. La prévision est identique pour janvier, après - 11 % en novembre. L'ouverture des commerces non essentiels représente l'essentiel de ce gain significatif de 4 % d'activité. La perte d'activité est aujourd'hui quatre fois moins lourde qu'au printemps, ou elle a atteint - 31 % en avril. Nous avons appris à travailler en nous protégeant, sauf pour les services à la personne, qui restent malheureusement les plus touchés.

Cette photographie reste compatible avec notre prévision d'ensemble publiée mi-décembre, qui évalue la récession à - 9 % en 2020. Ce chiffre est désormais quasi-définitif, ce qui signifie que la chute d'activité aura été moins profonde qu'attendu, même s'il s'agit d'une récession très lourde. Nous prévoyons un rebond de + 5 % en 2021, comme en 2022.

Nous avions fait déjà, mi-décembre, l'hypothèse, prudente, de restrictions maintenues au premier trimestre, pour lequel nous prévoyons un niveau d'activité inférieur de 7 % à celui de l'an passé, et levées progressivement d'ici le plein effet des vaccins au second semestre, où nous anticipons un niveau de - 3 %, comme en septembre 2020. Ceci reste bien sûr entouré d'incertitudes, notamment sur les règles sanitaires futures, et, si nécessaire, nous ajusterons notre prévision dans notre prochaine publication, prévue mi-mars.

La situation des entreprises préoccupe légitimement votre commission. Face à la crise de la covid, les pouvoirs publics ont rapidement et efficacement déployé un pont de financement pour les aider, et notamment les très petites entreprises (TPE) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) et, à travers elles, l'ensemble de leurs salariés et des ménages.

Quelle est la taille de l'effort budgétaire français par rapport à celui de nos principaux voisins européens ? La meilleure évaluation est celle qu'a faite le système européen des banques centrales, afin d'appréhender la réalité des dépenses effectuées. Sans prétendre chiffrer ces efforts à la virgule près, je crois que les banques centrales en ont évalué l'ordre de grandeur avec précision et, surtout, indépendance. Le soutien budgétaire effectif est, en France, au moins comparable à celui de nos voisins européens, et supérieur à celui de l'Allemagne - je parle bien des dépenses effectivement réalisées, pas des annonces.

Les prêts garantis par l'État (PGE), avec 130 milliards d'euros accordés, sont un incontestable succès français. Bien sûr, ils conduisent à une augmentation de l'endettement des entreprises. D'après les analyses de la Banque de France, fin novembre, l'endettement brut cumulé des entreprises avait augmenté de 13 % par rapport à fin 2019, soit une hausse de 215 milliards d'euros. Cela dit - et c'est moins connu - cette hausse est presque compensée par une augmentation significative, de 197 milliards d'euros, de leur trésorerie. Bien sûr, ces chiffres agrégés ne reflètent pas nécessairement les situations individuelles.

Pour éviter que cet endettement ne fragilise les entreprises, il faudra passer d'une action générale en liquidité, qui était la priorité de l'an dernier, à une phase sélective en solvabilité, c'est-à-dire en fonds propres, concentrée sur les entreprises économiquement viables mais financièrement fragilisées par la crise. Le dispositif public de quasi-fonds propres est là, avec des montants suffisants, permettant d'atteindre 20 milliards d'euros de soutien en fonds propres.

Je formule à cet égard deux souhaits. D'abord, il vaudrait mieux expérimenter plusieurs instruments en parallèle : non seulement des prêts participatifs, mais aussi des obligations subordonnées, ou d'autres solutions. Et leur distribution devrait être assurée non seulement par les banques, mais aussi par les assurances et les fonds. Ce n'est pas toujours la tradition française que d'expérimenter plusieurs dispositifs publics en parallèle, mais cela servirait mieux l'intérêt des TPE et PME. Mon deuxième souhait est que ces distributeurs financiers soient aussi co-investisseurs privés et prennent une part, certes minoritaire, du risque. Si nous en restions à 100 % de risque public, nous manquerions probablement la nécessaire sélectivité, nécessaire pour éviter des sinistres budgétaires, mais surtout pour garantir la productivité future : il faut aider les entreprises qui ont une perspective de viabilité économique.

Monsieur le Président, vous avez abordé indirectement l'hypothèse d'une annulation de la dette publique. C'est une illusion séduisante, mais ce n'est pas une solution. Un prêteur, privé ou public, qui ne serait plus remboursé, ne prêtera plus. De manière plus spécifique, l'annulation de la dette publique détenue par la BCE et la Banque de France reviendrait à financer directement les États, ce qui est exclu par le traité fondateur de l'euro, qui ne constitue pas une règle européenne de plus mais un pacte de confiance, par lequel la France a engagé sa parole, non seulement vis-à-vis des autres États de l'euro, mais aussi vis-à-vis des citoyens français et de leur confiance dans la monnaie. En l'absence de consensus pour modifier ces traités, vouloir annuler les dettes signifierait quitter l'euro ; il faut le dire. En outre, cela ne produirait aucun gain net pour la collectivité nationale. L'économiste Olivier Blanchard, qui ne passe pas pour être un orthodoxe étroit, le dit ce matin dans la presse, en termes moins choisis que les miens.

Dès lors, quel est le chemin vers le désendettement ? Sur la photographie de départ, dans notre scénario central, notre dette publique atteindrait, d'ici 2022, 120 % du PIB. Le sac à dos des jeunes pèse ainsi, aujourd'hui, deux fois plus lourd qu'il y a vingt ans, et six fois plus lourd qu'il y a quarante ans. Soyons clairs : le supplément de dette publique que nous aurons accumulé en cette période de crise est totalement justifié, car il correspond à des mesures nécessaires pour contrer les effets de la covid. Le problème de la France est plutôt le niveau de dette, avoisinant les 100 % du PIB, avec lequel elle est entrée dans cette crise.

Dans des conditions économiques qui seront revenues à la normale - il ne s'agit pas de resserrer le déficit budgétaire avant qu'on ne soit solidement sortis de cette crise - il faut d'abord que le déficit public revienne autour de 3 % du PIB, pour que le ratio entre la dette et le PIB se stabilise : il s'agit de ce que les spécialistes appellent le solde stabilisant. Il se trouve que nous bénéficions de l'effet favorable du différentiel entre le taux de croissance et le taux d'intérêt. Dans ma génération, on apprenait dans les manuels qu'en moyenne, sur longue période, le taux de croissance était égal au taux d'intérêt. Cela n'est plus vrai, et le taux d'intérêt est inférieur au taux de croissance, en raison d'un excès mondial d'épargne. Cela dit, tant que le déficit public dépasse les 3 %, cet effet favorable ne suffit pas à compenser l'accumulation des déficits. En Allemagne ou au Pays-Bas, la situation de départ est meilleure, en raison d'une moindre accumulation des déficits.

Après la sortie de crise, à partir de 2023, pour commencer à réduire la dette, nous aurons besoin de combiner trois ingrédients : le temps, en nous donnant par exemple une perspective décennale ; la croissance, aidée par les réformes ; et une meilleure maîtrise de nos coûts publics, dépenses comme baisses d'impôts. Dans la durée, nous devrions donc tendre vers une stabilisation en volume des dépenses publiques primaires, c'est-à-dire hors charge de la dette.

La dette publique baisserait alors, significativement, de 20 points de PIB en dix ans. À titre indicatif, un objectif de croissance des dépenses de 0,5 % en volume permettrait une baisse moindre, mais significative, de dix points de PIB en dix ans. Pour mémoire, depuis dix ans, la croissance des dépenses publiques en volume a été en moyenne de 1,1 %. Tendre vers une stabilisation en volume est une ambition exigeante mais accessible. Il s'agit avant tout de l'efficacité de la dépense publique : nous avons le même modèle social que nos voisins européens, mais il nous coûte plus cher, puisque notre ratio de dépenses publiques est beaucoup plus élevé, atteignant 55 % du PIB en 2019, contre 45 % ailleurs. Pour être efficace, cet objectif de dépenses devrait s'accompagner d'une stabilisation des taux d'imposition et de cotisations sociales. Nous avons fait beaucoup de baisses d'impôt dans le passé, sans avoir toujours les moyens de les financer. En outre, la stabilité fiscale serait un facteur de prévisibilité pour les ménages et les entreprises. À l'inverse, si nous en restions au rythme de dépenses des dix dernières années, cela suffirait à peine à stabiliser le ratio de dette publique, ce qui nous fragiliserait beaucoup face aux prêteurs internationaux, a fortiori en cas de nouveau choc.

Je terminerai par l'engagement durable de la Banque de France dans les territoires, qui correspond à l'ambition d'efficacité de la dépense publique. Elle a, en effet, affiché des résultats convaincants en la matière ces cinq dernières années.

Mercredi dernier, nous avons annoncé la fermeture de treize de nos caisses de tri des billets d'ici la fin de l'année prochaine. Ce n'est pas la première adaptation de notre réseau fiduciaire : nous avons dû déjà passer de 210 caisses en 1980 à 72 en 2012, et à 37 actuellement. C'est une décision nécessaire, car en l'absence d'adaptation, notre réseau de caisses se serait retrouvé en sous-activité, de l'ordre de 40 % en 2022. Comme partout ailleurs, l'usage des espèces pour les transactions décline chez nos concitoyens : entre 2012 et 2019, le nombre de billets utilisés dans les paiements de proximité a déjà diminué de près de 20 % et, sur la seule année 2020, le nombre de billets reçus à nos guichets a baissé de près de 25 %.

Mais je tiens à donner ici trois garanties. La première s'adresse à nos collaborateurs, que nous accompagnerons vers d'autres activités : il n'y aura aucun départ contraint pour les 134 salariés concernés. La seconde garantie porte sur nos missions : nous maintiendrons 23 caisses en 2022 - entre une et trois par région -, car nous entendons rester au coeur de la filière fiduciaire et garantir aux Français la liberté de choix de leurs moyens de paiement. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces. Même si leur usage décline, elles sont particulièrement adaptées aux besoins des populations financièrement fragiles. La troisième garantie, essentielle, porte sur notre présence dans tout le territoire : nous ne quittons aucune ville à l'occasion de cette adaptation, et nous resterons durablement présents dans chaque département, avec 106 implantations permanentes pour nos activités de soutien aux entreprises et aux particuliers.

Ces services à l'économie et à la société sont plus que jamais au coeur de nos missions, dans la crise actuelle. Vous pouvez compter sur la Banque de France et sur la médiation du crédit - plus de 14 000 dossiers ont été traités en 2020, soit 14 fois plus qu'en 2019, pour près de 80 000 emplois préservés -, sur l'accompagnement des TPE-PME - plus de 10 000 saisines ont été enregistrées en 2020 - et des ménages en difficulté, dans chaque département.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Au regard de l'endettement des entreprises, qui constitue le principal risque identifié, que pensez-vous du décalage d'un an supplémentaire du début du remboursement des PGE ? Quelles sont vos estimations du taux de sinistralité de ces prêts ?

La situation des banques soulève également des interrogations, car la part de crédits non performants pourrait augmenter en raison de la crise, dans un contexte d'érosion de leur rentabilité, sensiblement inférieure aux banques américaines. La Commission européenne doit présenter au printemps prochain ses propositions pour mettre en oeuvre les dernières dispositions des accords de Bâle III. Dans ce contexte, n'y a-t-il pas un risque pour la capacité des banques européennes à soutenir la relance de l'économie ? Est-il besoin de revoir les modalités de cet accord en raison de la crise sanitaire ?

Depuis le début de la crise, le Sénat s'est intéressé aux conséquences pour les assureurs, en termes de sinistralité. En attendant la mise en place d'un éventuel régime de prise en charge des pertes d'exploitation pour l'avenir - nous l'appelons de nos voeux, bien que Bruno Le Maire semble pour sa part désormais l'écarter -, nous avons adopté dans le projet de loi de finances une contribution exceptionnelle sur les primes d'assurance-dommage. En tant que régulateur, quel regard portez-vous sur le secteur des assurances : a-t-il réellement pâti de la crise, comme il l'indique, ou bien est-il résilient ?

Où en sont les travaux pour répondre aux carences identifiées dans l'accès aux espèces, et quelles garanties peut-on donner aux territoires pour assurer une couverture de qualité ?

Enfin, lors de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte, j'avais proposé de compléter le cadre juridique des cryptoactifs. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'y étaient alors opposés, préférant recourir à une ordonnance. Or cette dernière a été prise en décembre dernier, reprenant plusieurs de mes propositions. Le bitcoin a atteint des sommets en fin d'année 2020, voyant sa valeur multipliée par trois en deux mois. Surtout, Blackrock, premier gestionnaire d'actifs au monde, a annoncé qu'il pourrait désormais investir dans le bitcoin, reliant ainsi directement les cryptoactifs à la sphère financière. Pourtant, les institutions financières semblent à la peine pour appréhender ce phénomène, conçu en dehors des cadres traditionnels. Comment surmonter ce décalage ?

M. Claude Raynal, président. - Je constate que l'on ne parle plus du Brexit aujourd'hui. Il a certes eu lieu, mais le mandat de négociation sur l'accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni a renvoyé à un traitement spécifique la question des marchés financiers. Qu'en est-il ? Quel accord pourrait être trouvé ?

S'agissant de la revue stratégique que conduit actuellement la Banque centrale européenne, des évolutions sont-elles envisagées dans la façon dont elle conduit son mandat ?

Enfin, sur le crédit immobilier, je souhaiterais avoir des précisions sur la décision du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), rendue en décembre dernier. La crise a-t-elle un impact sur le crédit immobilier ? Quelle réponse comptez-vous y apporter ?

M. François Villeroy de Galhau. - Sur la question de l'endettement des entreprises et des PGE, je pense que la capacité de prolongation d'un an est une bonne chose, car on sentait bien monter l'inquiétude vis-à-vis d'un prétendu mur de remboursement au printemps prochain. Je rappelle que cette prolongation s'accompagne de possibilités d'amortissement, avec un étalement des paiements jusqu'à quatre ans, qui permettent de rembourser un PGE au fur et à mesure que la situation économique s'améliore.

La Banque de France estime - il ne s'agit que d'une prévision ! - que le taux de sinistralité se situe entre 4,5 % et 6 % du total des PGE. Les prêts concernés pourraient se traduire par des pertes couvertes par l'État à hauteur de 90 %.

S'agissant de la solvabilité et du renforcement ciblé des fonds propres, j'ai appelé à ce qu'il y ait plusieurs dispositifs qui puissent être mis en oeuvre en parallèle, car plusieurs financeurs interviennent en réalité - banques, assureurs et fonds -, et parce que les entreprises se trouvent dans des situations différentes. Il nous semble que le montant de 20 milliards d'euros, correspondant à ce que prévoit la loi de finances pour 2021, est adapté. Les dispositifs de type mécanismes de marché, les subventions définitives et le soutien fiscal - la capacité de réévaluation des bilans de franchise de plus-value constitue à ce titre une mesure intelligente - contribuent à renforcer les fonds propres des entreprises. Il conviendrait néanmoins que le dispositif de renforcement des fonds propres des entreprises prévu par la loi de finances pour 2021 soit mis en place assez rapidement, alors que nous allons entrer dans le temps de la reconstruction. Derrière la question des fonds propres, il y a l'investissement, dont on peut craindre qu'il soit une victime cachée de la crise, même s'il résiste relativement bien jusqu'à présent.

Je ne peux que relever la résilience du secteur bancaire en 2020 face à la crise. Il y certes eu un recul du résultat, compte tenu de la montée des provisions et de la charge du risque, mais la solvabilité a encore augmenté l'an passé. Les établissements on fait eux-mêmes des efforts, et la règlementation a été renforcée. Bien que nous soyons confrontés à une crise sanitaire qui entraîne une crise économique et sociale très grave, nous n'avons pas subi, cette fois-ci, de crise bancaire et financière, à la différence de 2010. Cela tient en bonne partie au renforcement des règles de sécurité, c'est-à-dire aux accords de Bâle III et, du côté des assureurs, à la directive européenne Solvabilité II. La France et l'Union européenne auraient donc tort de renoncer à ces instruments. Je précise d'ailleurs que les accords de Bâle III n'ont en rien empêché l'augmentation du crédit aux entreprises, de l'ordre de plus 20 % pour les TPE-PME. Il est donc nécessaire de procéder à leur transposition.

Cette dernière doit néanmoins être équitable, c'est-à-dire qu'il faut veiller à ce que les accords soient transposés partout, notamment des deux côtés de l'Atlantique. Elle doit être raisonnable, en évitant les surcharges indues ou excessives, et définitive, puisqu'il s'agit d'une stabilisation et d'un arrêt à la réglementation, seule l'évaluation du dispositif étant susceptible d'évoluer.

Je constate que le secteur français des assurances a été particulièrement résilient, son ratio de solvabilité - autour de 240 % - étant bien supérieur à ce qui est d'ordinaire nécessaire. Néanmoins, il est normal que le secteur souffre de la crise, compte tenu notamment de l'augmentation globale de la sinistralité et des taux bas. En dépit des difficultés, le secteur assurantiel doit continuer à remplir sa mission au service de l'économie et des entreprises.

La Banque de France tient au fiduciaire. S'agissant du réseau des distributeurs automatiques de billets (DAB), elle entretient un dialogue nourri avec les banques et les transporteurs de fonds. Sur le long terme, la situation du réseau est plutôt satisfaisante : de 1994 à aujourd'hui, le nombre de DAB est passé en France de 24 000 à 50 000, correspondant ainsi à un des taux les plus élevés d'Europe, rapporté à la population. Mais ces dernières années, la tendance s'est inversée, le parc de DAB a commencé à s'éroder. Le véritable problème tient à la disparition des DAB dans les communes. Sur l'année 2019, un déséquipement net de seize communes, à l'échelle nationale, a été enregistré. Il faut donc recourir à des formules supplémentaires pour favoriser l'accès des citoyens aux espèces : cashback, distributeurs financés par les communes, etc.

Les cryptoactifs ne remplissent aucune des fonctions traditionnelles d'une monnaie : il ne s'agit ni d'une réserve de valeur, ni d'une unité de compte, ni d'un moyen de paiement. Il y a derrière le bitcoin une technologie prometteuse, la blockchain, mais pour le reste, c'est un instrument purement spéculatif. Les risques sont élevés dans le domaine des cryptoactifs, appelant à une réglementation forte, qui les réserve à des investisseurs avisés. De ce point de vue, en France, les renforcements récents de l'ordonnance sont bienvenus, et je me réjouis de la présentation par la Commission européenne, en octobre dernier, du projet de directive market in crypto-assets (MICA).

M. Éric Bocquet. - Les critères budgétaires et financiers fixés par l'Union européenne - déficit annuel inférieur à 3 % du PIB et dette inférieure à 60 % du PIB - sont-ils encore opérants ? Une révision ne serait-elle pas souhaitable ?

Je constate que la dette préoccupe nos concitoyens, alors qu'elle ne semble pas du tout inquiéter nos créanciers. L'Agence France Trésor a levé un peu plus de 5 milliards d'euros le 25 janvier dernier, à des taux négatifs et à des durées variant de trois à six mois. Comment expliquer ce contraste entre la quiétude des créanciers et l'inquiétude des citoyens ?

Anthony Requin, président de l'Agence France Trésor, a déclaré, il y a quelques jours que « la demande par rapport à l'offre est assez importante. La France a un très bon crédit auprès des investisseurs. La dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu'elle fait payer. Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme, et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité : c'est le taux d'intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c'est la signature de l'État [...] La France a levé, le 19 janvier, 7 milliards d'euros sur cinquante ans, à un taux historiquement bas ».

La BCE a outrepassé ses propres règles, même si, selon les précautions de langage, on dit qu'elle a pris des mesures non conventionnelles, qu'elle a opté pour une politique accommodante et qu'elle a pratiqué de l'assouplissement quantitatif. Pour ma part, je pense que l'annulation de la dette française détenue par la BCE donnerait beaucoup d'oxygène à la France, ainsi qu'aux autres pays se trouvant dans une situation analogue.

Pensez-vous qu'il existe un risque de bulle financière - les liquidités injectées ont en effet fait gonfler les marchés -, considérant ce paradoxe par lequel la sphère financière se porte bien, alors que l'économie réelle se trouve dans une situation alarmante ?

Enfin, ne pourrait-on pas mobiliser l'épargne des Français, alors qu'un afflux supplémentaire équivalent à 100 milliards d'euros a été enregistré ? Cela nous permettrait sans doute de nous extraire de la tutelle des marchés privés qui nous financent.

M. Jérôme Bascher. - Où en sont les crédits interentreprises ? En septembre, la menace semblait assez claire, mais elle paraît avoir légèrement diminué.

Pouvez-vous nous dire quelle quantité de la dette française est détenue par la Banque de France, ainsi que sa maturité moyenne ? De plus, que détient-elle comme dette souveraine étrangère ?

M. Philippe Dallier. - Vous espérez un retour à une activité équivalente à celle précédant la crise au troisième trimestre 2022. Cette estimation me semble quelque peu optimiste...

J'insiste sur notre capacité à mesurer les effets de la crise. En 2020, il y a eu moins de dépôts de bilan qu'en 2019. Pour les entreprises qui ont bénéficié d'un PGE, vous vous attendiez à un taux de chute de 4,5 % à 6 %. Qu'est-ce que cela donne en nombre d'entreprises ? Votre prévision est-elle bien réaliste ? Que pensez-vous d'une règle d'or pour parvenir à la réduction de la dette à 100 % du PIB ?

M. Michel Canevet. - Outre le maintien des dépenses en volume au niveau actuel, des réformes structurelles devront être menées pour que la compétitivité de notre pays soit assurée. Quelles sont les propositions que vous pouvez formuler en la matière ?

Dans les décisions de restructuration des réseaux de la Banque de France que vous prenez, il conviendrait que vous preniez en compte l'aménagement du territoire : l'enjeu est d'éviter de concentrer toutes les activités des grandes institutions financières dans les seules métropoles qui se portent bien.

M. Thierry Cozic. - Vous avez déclaré que la dette liée au covid-19 est justifiée, et que le problème consiste en ce que nous sommes entrés dans cette crise avec une dette trop élevée. Quand nous en sortirons, il faudra nous désendetter.

Un certain nombre d'économistes nous alertent sur les risques de l'austérité. Laurence Boone fait valoir qu'il faut que nous soyons certains que les gouvernements ne réduiront pas la dépense publique dans les années suivant la récession. Par le passé, le retour précipité aux règles budgétaires des traités européens et les cures d'austérité ont entraîné la zone euro dans une nouvelle récession, aggravant alors les écarts au sein de l'union monétaire, et le spectre de la colère sociale de nos concitoyens n'est pas très éloigné...

Au printemps dernier, les institutions européennes ont décidé de suspendre les règles budgétaires sans vraiment susciter de débat. Elles appellent les États à poursuivre l'usage de leur outil fiscal avec un haut niveau de dépenses publiques et des taxes faible, afin d'aider les économies à se redresser. Dans ce contexte, les politiques d'austérité, que l'on peut raisonnablement craindre, vous paraissent-elle être une solution pour l'avenir ?

Vous m'avez adressé un courrier, il y a quelques jours, m'informant de la fermeture de l'agence de la Banque de France au Mans, en faisant le constat d'une baisse générale de l'usage des espèces dans les transactions, de près de 20 % entre 2012 et 2019. Nos populations rurales ne sont pas toutes mondialisées, le e-commerce et la digitalisation des services sont de nature à complexifier les échanges. Pouvez-vous donc nous certifier que les territoires seront accompagnés de manière personnalisée et efficiente dans ces décisions de fermeture ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - S'agissant du montant des PGE, je m'interroge sur le niveau allemand, qui semble être très au-dessus des autres pays, singulièrement de la France. Quelle explication apportez-vous à ce phénomène ?

Je ne peux que souscrire à votre propos sur le fait qu'un certain nombre de baisses d'impôts étaient légèrement au-dessus de nos moyens, d'autant qu'elles n'ont fait qu'augmenter les inégalités. La diminution de la dépense publique pour revenir à des niveaux normaux du PIB, avec ce ratio qui nous préoccupe tous, est aussi en question. Comment, dans ce cadre, financer la réduction des inégalités et l'accord de Paris sur le climat, auquel Ursula von der Leyen a ajouté un objectif sur la biodiversité ? Peut-être faudrait-il réorienter la politique européenne monétaire, qui aujourd'hui déverse beaucoup d'argent sur les marchés, argent qui n'arrive jamais jusqu'à l'économie réelle ? Un Quantitative Easing vert constitue l'un des outils que nous pourrions utiliser pour y parvenir.

M. Didier Rambaud. - Je comprends bien les inquiétudes qui émergent sur la question du remboursement de la dette publique, mais l'annuler serait une idée idiote !

Vous nous avez donné un certain nombre de pistes sur les conditions de remboursement de cette dette, comme la maîtrise des dépenses publiques, mais, paradoxalement, vous n'avez pas parlé de l'inflation. Historiquement, la diminution du poids de la dette publique vient plus souvent de l'inflation que de la croissance réelle. Faudrait-il donc se réjouir d'un retour de l'inflation pour nous aider à diminuer cette dette ?

Je rejoins l'interrogation d'Éric Bocquet sur l'épargne des Français, qui n'a jamais été aussi importante. Quelles sont les pistes possibles pour la mobiliser davantage ?

Mme Christine Lavarde. - La Banque de France a-t-elle mené des études pour évaluer l'intérêt de la politique de monnaie hélicoptère par rapport à celle du Quantitative Easing, actuellement pratiqué par la BCE ?

M. François Villeroy de Galhau. - Il est bon que l'on ne parle plus du Brexit, car il y a désormais un accord sur les échanges de biens. Ce dernier, cependant, ne couvre pas les services financiers, qui relèvent donc de discussions bilatérales et du seul régime d'équivalence, décidé du côté européen. Au sein de l'Union européenne, un rapatriement des activités sur l'épargne européenne s'étant effectuée au Royaume-Uni est nécessaire. Il y a eu, pour la place de Paris plus de 170 milliards d'euros d'actifs rapatriés, et 2 500 emplois directs.

Nous conclurons la revue stratégique d'ici l'automne prochain. Plusieurs sujets sont encore à l'ordre du jour, dont la clarification de l'objectif d'inflation et l'amélioration de notre communication, laquelle est très importante pour des raisons démocratiques et économiques.

Au niveau national, nous allons lancer le dispositif « La Banque de France à votre écoute » auprès des forces économiques et de l'ensemble de nos concitoyens, car la politique monétaire doit pouvoir relever du débat public. Dans les échanges qui précèdent la conclusion de la revue stratégique, nous serions heureux de tenir, avec votre commission, une session spécifique.

La Banque de France a un mandat hiérarchisé : priorité est donnée à l'inflation, avec la cible de 2 %. Mais en pratique, je ne vois pas une différence significative avec un l'exercice d'un mandat double, car l'inflation et l'emploi étant trop bas, les deux sont liés, et soutenir l'activité dans la perspective des 2 % c'est aussi contribuer de façon efficace à la lutte contre le chômage. Ainsi, entre 2013 et 2019, la politique monétaire a permis la création de deux à trois millions d'emplois dans la zone euro, sur un total de onze millions.

La question la plus nouvelle est celle de l'environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Je plaide vigoureusement pour que la revue stratégique marque un changement en ce sens. Ces enjeux ont déjà un effet par rapport à notre mandat de stabilité des prix, et la protection de l'environnement figure de toute façon parmi nos objectifs complémentaires. Je pense qu'il y a lieu d'obliger les institutions financières à intégrer les risques climatiques dans leur gestion. La Banque de France, qui est pionnière sur ces questions, a pris la tête du Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS - réseau des banques centrales et superviseurs pour verdir le système financier), qui compte aujourd'hui plus de 80 adhérents, dont la Réserve fédérale américaine. En outre, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) publiera les premiers tests de résistance climatiques au mois d'avril prochain.

L'ambition soutenant la percée que nous devrions accomplir en matière d'environnement doit être large : il conviendrait non pas de se focaliser sur les seules obligations vertes, mais d'intégrer le changement climatique dans toute notre analyse, notre modernisation économique, notre politique de collatérale de garantie et nos politiques d'achat.

Nous allons publier, cette semaine, la recommandation traduisant la décision du Haut conseil de stabilité financière (HCSF) du 17 décembre dernier. La recommandation prise en décembre 2019 s'est révélée efficace, par rapport à notre objectif visant à arrêter, dans l'intérêt même des ménages et de la stabilité financière, une dérive continue des conditions d'octroi qui n'est plus soutenable. En effet, depuis 2015, la durée des crédits s'allonge continuellement, et le taux d'effort augmente, la poursuite de cette tendance étant de nature à augmenter le risque de surendettement. L'inflexion, qui a fait de premiers progrès en 2020, doit se poursuivre à l'avenir. La recommandation s'avère de surcroît équilibrée.

Nous en avons, le 17 décembre dernier, ajusté et réglé certains paramètres, portant sur le taux d'effort et sur la prise en compte du différé initial d'installation et de remboursement. En contrepartie, nous tenions à renforcer tant le caractère contraignant de la recommandation - elle sera appliquée par tous les établissements bancaires - que la priorité donnée aux primo-accédants et autres accédants. Dès lors, sur une flexibilité que nous portons à 20 % de la production totale, 30 % au moins devront désormais être réservés par les banques aux primo-accédants.

À l'été, le HCSF prendra les dispositions juridiques nécessaires pour que la recommandation devienne une norme. Cette décision a été largement saluée : comptez d'autant plus sur la Banque de France et l'ACPR pour en garantir le respect dans toutes ses composantes, avec l'équilibre que j'ai décrit. Je crois que nous aurons ainsi préservé le modèle français de crédits immobiliers.

Monsieur Bocquet, les conditions économiques ont changé, notamment les taux d'intérêt et les taux de croissance, par rapport à ce qui avait été décidé dans les années 1990. Mais il ne faut pas perdre de vue la philosophie essentielle : un certain nombre de règles de précaution sont nécessaires sur la dette, pour éviter de fragiliser l'avenir. Plus nous voulons être capables de réagir dans l'urgence, plus il est nécessaire de donner une perspective pluriannuelle de confiance.

Il est vrai que la France a un très bon crédit ; historiquement, elle fait partie des rares pays qui n'ont jamais annulé leur dette, depuis deux siècles, ce qui peut expliquer la confiance des créanciers. Par ailleurs, je tiens à préciser que la soi-disant quiétude de ces derniers peut être un facteur volatile dans l'avenir. Je reconnais qu'il y a eu des cas de rupture brutale de la confiance des créanciers, comme en Grèce ou en Argentine. L'Italie a connu, en 2011-2012 et en 2018, deux alertes fortes sur ses niveaux de taux d'intérêt, qui ont affecté très défavorablement la croissance du pays. Je pense que l'on ne peut pas parier l'avenir de l'économie française sur l'idée que la confiance des créanciers, et donc de bas niveaux de taux d'intérêt, sont acquis à tout moment.

Je ne suis pas d'accord sur le fait que la BCE aurait outrepassé ses règles. Celles-ci prévoient simplement qu'il n'y a pas de financement monétaire des États ou des déficits. La BCE et la Banque de France n'ont pas le droit d'intervenir directement sur le marché primaire - s'il n'y a pas d'investisseurs privés, il n'y a donc pas de placement de la dette -, et ne peuvent racheter qu'une proportion limitée des lignes émises. L'argent mis en circulation par la BCE au titre de son pouvoir de création monétaire est non pas donné, mais toujours prêté. La BCE ne peut pas créer durablement de la richesse et de la croissance : seuls notre travail et la production le peuvent.

Sur le risque de bulle financière, nous avons publié le 7 janvier dernier notre évaluation des risques systémiques. J'appelle particulièrement votre attention sur le risque lié aux fonds de court terme, très dominants aux États-Unis, mais progressant en Europe, qui n'ont pas fait l'objet du même effort de régulation à la suite de la crise financière, et sur le risque d'une surévaluation éventuelle des marchés financiers.

Selon notre ordre de grandeur, le surplus d'épargne des Français, par rapport à l'épargne normale, est aujourd'hui d'un peu plus de 80 milliards d'euros et devrait se situer autour de 110 milliards à 120 milliards d'euros à la fin de l'année 2020, ce qui représente entre 4 % et 5 % du PIB. Cette épargne est déjà présente dans l'économie, sur des dépôts bancaires, des livrets A ou des contrats d'assurance vie, et recyclée pour des prêts aux entreprises, par exemple. Ce n'est donc pas de l'argent qui dort !

Je reste prudent sur la question de savoir si l'on peut faire de l'épargne une affectation plus directe à la reconstruction, et notamment aux entreprises, car il s'agit là d'un investissement risqué. Je pense qu'il convient de mettre directement l'épargne des ménages en face de l'investissement en entreprises pour partie, mais seulement pour les investisseurs les plus avisés et qui peuvent le mieux supporter un risque éventuel de perte, sans quoi on remettrait au centre la nécessité d'une garantie publique... L'épargne représente une réserve de croissance pour l'avenir, qui ne sera utilisée par nos concitoyens que lorsque la confiance sera revenue.

Je rejoins votre appréciation, monsieur Bascher, sur le sujet des crédits interentreprises. Il nous semble qu'il y a des risques, bien qu'il n'y ait pas d'alerte massive ou de durcissement. Le Médiateur national du crédit, Frédéric Visnovsky, co-préside d'ailleurs un comité de crise de suivi des délais de paiement.

Sur la totalité de la dette souveraine française, 600 milliards d'euros sont détenus par l'eurosystème, dont l'essentiel par la Banque de France, ce qui représente environ le quart de la dette publique française. Cela tient aux caractéristiques d'achat des titres souverains par les banques centrales nationales. A priori, la Banque de France ne détient pas de dette souveraine étrangère dans le cadre de la politique monétaire. En revanche, elle peut en détenir dans le cadre de ses réserves de change et de ses politiques de placement.

Le retour de notre activité à 100 % au troisième trimestre 2022 ne constitue qu'une prévision, monsieur Dallier. Nous avons d'ailleurs publié deux autres scénarios, dont un plus sévère. La troisième vague ayant encore changé les choses, nous restons prudents, mais ce que nous savons aujourd'hui reste compatible avec nos prévisions.

Vous avez posé la question de la règle d'or, qui rejoint d'ailleurs celle de l'adaptation des règles européennes. Aujourd'hui, la priorité est de lutter contre la crise et de le faire sans compter. Néanmoins, je formule le souhait que l'on vise une règle plus simple et mieux respectée par tous. Par exemple, vous savez que la règle européenne repose sur la notion de déficit structurel, soit un effort d'au moins 0,35 % par an d'amélioration du solde structurel. Techniquement, c'est un débat inextricable entre économistes. Mieux vaut donc se référer à la norme de dépenses, qui me paraît beaucoup plus simple.

Monsieur Canevet a posé la question de la perspective sur la dette. Je crois y avoir assez répondu. Je vous rejoins totalement sur les réformes structurelles. Dans le grand débat qui se focalise actuellement sur la politique monétaire et la politique budgétaire, nous oublions la troisième composante de la croissance, à savoir les réformes structurelles. De ce point de vue, je dirai un peu de bien du plan de relance français, qui a pour vertu d'être aussi d'un plan de transformation sur les trois « plus » : il est plus écologique - c'est la transformation verte -, il est plus numérique et il est plus qualifié - c'est la bataille des compétences. J'insiste sur ce troisième « plus », dont on parle moins, mais qui est le plus important. La France a su créer entre 2016 et 2019 1 million net d'emplois. C'était une superbe performance. Nous étions en retard sur les compétences, nous commençons à faire enfin des progrès sur la formation professionnelle et sur l'apprentissage.

Je partage votre souci en ce qui concerne l'aménagement du territoire. Mais il faut trouver la bonne façon d'y répondre. La Banque de France s'engage durablement à maintenir au moins une succursale par département. Par ailleurs, dès que nous pouvons délocaliser des activités parisiennes, nous le faisons.

Monsieur Cozic, je ne crois pas être en contradiction avec les propos de Laurence Boone. Je n'ai pas parlé d'austérité ni de baisse des dépenses publiques. Aujourd'hui, le soutien budgétaire est indispensable. Néanmoins, la France est le pays qui parle le plus d'austérité en Europe, mais c'est aussi le pays qui en est le plus loin historiquement ! On peut également faire des progrès en termes de performance et d'efficacité. Croire aux services publics, c'est aussi croire qu'ils peuvent être plus efficaces. En revanche, il y a un temps pour tout. Aujourd'hui, le temps n'est pas au resserrement de la politique budgétaire, même si la question se posera à l'avenir.

Je suis totalement d'accord avec vous sur l'importance des espèces. Penser que le billet n'a pas d'avenir est une vue quasi idéologique. Je ne crois pas à la société cashless dont on nous parle tant. Il y a les populations rurales, il y a les populations âgées, il y a les populations défavorisées : il faut que les Français aient le choix du moyen de paiement, cela fait partie de la confiance dans la monnaie. Simplement, pour préserver la filière billets, il faut qu'elle reste compétitive. Nous devons donc adapter notre réseau.

Madame Taillé-Polian a posé la question du niveau des PGE. Les Allemands ont été les rois de l'effet d'annonce. Ils ont annoncé 500 milliards d'euros d'enveloppes de prêts garantis quand la France en annonçait 300 milliards d'euros. Mais ce qui compte, c'est ce qui a été effectivement dépensé, soit 10 % de cette enveloppe en Allemagne, c'est-à-dire 2,5 fois moins qu'en France.

Didier Rambaud m'a interrogé sur l'inflation. Je n'en ai effectivement pas parlé, car elle joue assez peu sur l'évolution de la dette dans la durée. En effet, la remontée de l'inflation, a fortiori si elle est maîtrisée - ce qui est le travail de la Banque centrale -, se traduit par une remontée à peu près équivalente des taux. En revanche, une inflation qui augmenterait sans contrôle serait très inquiétante pour les prêteurs et se paierait plus que proportionnellement sur la montée des taux d'intérêt.

Enfin, sur la monnaie hélicoptère, nous sommes convaincus de l'efficacité des mesures non conventionnelles. On estime que sur les cinq années 2015-2019, soit avant 2020 et le renforcement des mesures, la politique monétaire non conventionnelle, dont le Quantitative Easing, a eu un effet sur l'inflation d'environ 0,4 % par an et un effet sur la croissance de 0,5 % par an. Je ne crois pas que la monnaie hélicoptère ferait mieux. En revanche, elle soulève un certain nombre de problèmes juridiques, car il s'agit d'une monnaie sans contrepartie. Voilà pourquoi l'annulation de dette n'est pas une solution.

Imaginons un instant que la Banque de France décide d'annuler les 600 milliards d'euros de dette. Certes, la France aurait gagné 600 milliards d'euros, mais elle constaterait aussitôt une perte équivalente au bilan de la Banque de France. Or, comme la Banque de France appartient à tous les Français, ce que nous aurions gagné dans la poche gauche, nous l'aurions perdu dans la poche droite !

Au fond, l'intuition de la monnaie hélicoptère, selon laquelle il faut aller au-delà de l'argent prêté et viser certaines entreprises ou certains ménages, avec des transferts durables, c'est de la politique budgétaire. La politique monétaire ne peut qu'y contribuer indirectement grâce aux taux très bas qu'elle permet. Nous assumons le fait que, dans notre mandat de lutte contre l'inflation, nous aidons les États, mais ce n'est pas notre objectif premier.

M. Bernard Delcros. - Je souhaitais vous interroger sur les perspectives d'évolution de l'inflation, notamment en sortie de crise, mais vous avez déjà en partie répondu.

M. Claude Nougein. - Je souhaiterais revenir rapidement sur les PGE. L'objectif de 300 milliards d'euros a-t-il été atteint ? Il faudra amortir et rembourser ces emprunts. Or, j'ai entendu avec stupéfaction le ministre des finances, M. Bruno Le Maire, indiquer que le taux, qui devait être d'environ 3 %, allait, grâce à lui, passer à 2,5 %. Mais actuellement, quand une entreprise normale, qui n'a pas fait appel au PGE, emprunte sur quatre ans, le taux va de 0,50 % pour un très bon dossier à 1 % pour un mauvais. Je suppose donc que les PGE doivent concerner de très mauvais dossiers ! Je ne comprends pas que les banques prennent des taux aussi importants, alors que l'État - c'est-à-dire nous - garantit 90 % du risque. Les banquiers veulent-ils faire un profit abusif ? C'est le ministre qui a annoncé ce taux, pas eux. Sur quatre ou cinq ans, même pour un dossier moyen, il serait normal que le taux soit d'environ 1 %. Nous parlons de chiffres considérables. Pouvez-vous exercer une influence à la fois sur le ministre des finances et sur les banques pour ramener le taux d'amortissement et les taux d'emprunt à un niveau raisonnable, c'est-à-dire autour de 1 % ?

M. Gérard Longuet. - À quelles conditions la Banque de France imagine-t-elle qu'une reprise de l'inflation soit possible dans une économie mondialisée ? On observe une pression constante à la baisse des prix de production, et le seul effet inflationniste porte actuellement sur les actifs mobiliers.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci pour les éléments que vous nous avez donnés sur la réalité des aides aux entreprises, notamment sous forme de prêts. Le ministre des comptes publics a indiqué il y a quelques jours qu'il fallait sortir du « quoi qu'il en coûte », sous réserve de la conjoncture sanitaire. Vous nous suggérez de revenir à 3 % de déficit, de stabiliser la dépense, deux objectifs louables. Pourriez-vous nous fournir des modèles de ces scénarios ? Nous avons besoin de pouvoir montrer que notre dette peut entrer dans un cycle vertueux. Et visualiser l'effet du niveau de la dépense publique sur la dette, à cet égard, aide beaucoup.

Vous avez parlé de soutenir l'économie, tout en insistant sur la sélectivité des aides. Il y a un débat sur les entreprises zombies. Il faut éviter de trop soutenir celles qui auraient connu des défaillances. Faut-il être plus sélectif dans les secteurs qui vont très mal ? Enfin, vous avez évoqué la compétitivité. Il semble que nous ayons un problème de déficit avec nos voisins européens. Est-ce dû à la surimposition des entreprises ? Nous avons entamé une réduction des impôts de production. Faut-il aller plus loin dans cette voie ? Si oui, comment le financer ?

M. Hervé Maurey. - Je ne reviendrai pas sur le verdissement de la politique monétaire, puisque vous avez déjà abordé ce sujet. Le Gouvernement a annoncé qu'il n'était pas question d'augmenter les impôts. Comment rembourser la dette sans augmenter les impôts ? Je n'ai pas la réponse, mais vous l'avez certainement !

Plusieurs entreprises se sont vues proposer des PGE par leur banque, alors qu'elles n'en avaient pas sollicité et n'en avaient pas besoin. Plusieurs banques m'ont confirmé qu'elles étaient allées au-devant de clients solvables pour ne prendre aucun risque. N'a-t-on pas trop privilégié la solvabilité par rapport à l'utilité de ces prêts ? Le phénomène que je rapporte, et qui est réel, est-il marginal ou important ?

Vous avez évoqué l'accès à la monnaie. Pendant le premier confinement, certains citoyens n'avaient plus aucun accès à la monnaie, parce que les DAB n'étaient pas alimentés, ou que les bureaux de poste étaient fermés. Dans mon département, un certain nombre de maires ont dû prêter personnellement des moyens de paiement à quelques administrés qui, sans cela, ne pouvaient même pas aller faire leurs courses. Comment éviter cela ? Certaines collectivités aimeraient que des DAB soient ouverts sur leur territoire, parce que c'est un facteur d'attractivité pour les commerces locaux. Les établissements bancaires ne souhaitent pas les ouvrir tant qu'il n'y a pas un certain seuil de mouvements, pour des questions de rentabilité. Depuis une dizaine d'années, j'ai eu l'occasion d'attirer l'attention, notamment des responsables de la Poste, sur le fait qu'on pouvait peut-être imaginer que la collectivité participe au financement du déficit. On me répond toujours qu'on va tenter des expérimentations. La Poste est en train d'envisager de mettre enfin en place une expérimentation dans mon département. Tant mieux : c'est un enjeu important, car il en va de l'attractivité de certains centres-bourgs.

M. Victorin Lurel. - Je souhaite revenir sur l'inflation sous-jacente. Quelle est sa tendance début 2021, en excluant les éléments volatils ? Quel est le montant des achats d'actifs pour 2020 ? Au 31 décembre 2019, je crois que la Banque de France détenait 611 milliards d'euros. Quel est le montant cumulé aujourd'hui ?

Sur les cryptomonnaies, j'ai entendu votre réponse. Où en est-on de l'émission d'une monnaie digitale de banque centrale de détail et de gros ? Le Libra de Facebook est un instrument de paiement de détail et aurait pour vocation de faciliter les paiements transfrontaliers. Qu'en pensez-vous ? J'ai fait partie de ceux qui ont commenté vos recommandations en matière d'épargne réglementée. Quelles sont vos recommandations aujourd'hui au Gouvernement ? J'avais l'impression d'une attaque contre l'épargne populaire, notamment sur le livret A, le livret de développement durable et, peut-être, l'épargne logement, par la remise en cause du régime de ces placements.

M. François Villeroy de Galhau. - À court et moyen termes, l'inflation devrait rester faible. La BCE et la Banque de France prévoient une inflation de l'ordre de 1 % d'ici fin 2022, et légèrement supérieure à 1,4 % en 2023 pour la zone euro. La politique monétaire accommodante doit donc être maintenue. Au-delà de cet horizon, les économistes sont divisés : certains estiment que l'augmentation des coûts de production tenant aux normes sanitaires et environnementales, une démondialisation partielle, la démographie et l'effet des politiques monétaires pourraient conduire à une accélération de l'inflation. La plupart des économistes jugent toutefois que l'inflation devrait rester faible. Bien que je sois plutôt de cet avis, la Banque de France ne peut s'engager à poursuivre une politique monétaire accommodante sur une perspective de long terme.

Monsieur Nougein, le taux qui a été indiqué par le ministre est un plafond. Des taux inférieurs à 2,5 % jusqu'à six ans sans garantie sont objectivement favorables par rapport aux références de marché. Les taux que vous avez évoqués correspondent à des emprunts à plus court terme avec des garanties du dirigeant. Les PGE ne sont pas destinés à permettre aux banques de réaliser des profits abusifs ; elles ont même enregistré des pertes. Quoi qu'il en soit, les PGE sont un succès français, tant du point de vue des volumes que des taux. De plus, 94 % des PGE ont été consentis à des TPE et PME, pour un total s'élevant à 75 % des montants.

Nous pouvons fournir des projections, monsieur Capo-Canellas. En matière de dette, j'estime qu'il serait sage d'appliquer un principe de précaution : l'expérience prouve que nous ne sommes jamais à l'abri d'un choc supplémentaire. Or le drame français est qu'en période normale nous nous contentons dans le meilleur des cas de stabiliser nos comptes publics, alors qu'il faudrait retrouver un degré de liberté nous permettant de faire face à d'éventuelles crises.

Je ne dispose pas d'éléments chiffrés sur les entreprises zombie. L'économie américaine traverse mieux ce choc que l'économie européenne, alors même que les États-Unis ont moins bien géré l'aspect sanitaire. Au-delà du stimulus budgétaire, qui a joué un rôle, l'économie américaine s'est mieux adaptée. Aujourd'hui il faut être à la fois keynésien et schumpétérien, c'est-à-dire qu'il faut soutenir l'économie tout en profitant de cette crise pour transformer notre économie.

Le débat relatif à la surimposition des entreprises paraît déconnecté du montant des baisses d'impôt qui leur sont consenties. La stabilité fiscale est aussi une condition d'efficacité des baisses d'impôt qui sont intervenues - et qui, parfois, ne sont même pas connues des dirigeants d'entreprises. Tel est mon sentiment personnel sur ce sujet, qui ne relève pas de la compétence de la Banque de France.

Monsieur Maurey, pour rembourser la dette sans augmenter les impôts, il faut déjà ne pas les baisser ! Nous avons besoin de temps, de croissance et de dépenses publiques efficaces. Le mélange entre ces trois éléments relève de la décision politique.

Le PGE a certainement permis des effets d'aubaine, mais je ne crois pas qu'il y ait eu d'effet d'éviction. Le taux de refus se situe entre 2 % et 3 %, soit un niveau extrêmement faible.

Je n'ai pas eu connaissance de difficultés d'accès à la monnaie pendant le premier confinement. Je rends d'ailleurs hommage aux personnels de la Banque de France qui ont effectué les activités de tri durant cette période. En tout état de cause, si l'on vous fait part de difficultés de cet ordre, n'hésitez pas à saisir votre directeur départemental de la Banque de France. Par ailleurs, je ne peux que soutenir l'idée d'une expérimentation avec La Poste.

J'en viens aux questions de Monsieur Lurel. L'inflation sous-jacente est faible. L'inflation totale en zone euro est de - 0,3 % ; elle est légèrement positive si on la corrige des facteurs exceptionnels, mais elle reste insuffisante.

S'agissant des achats d'actifs, Eurosystème détenait environ 2 600 milliards d'euros d'actifs fin 2019, et 3 660 milliards fin 2020, soit une forte augmentation.

Nous préférons parler de monnaie numérique plutôt que de monnaie digitale. Une étude est en cours ; dans le cadre de l'Eurosystème, nous déciderons mi-2021 d'un éventuel test. En tout état de cause, il peut y avoir de bonnes raisons d'instaurer une monnaie numérique publique de Banque centrale : nous ne pouvons pas laisser le champ libre à une monnaie privée.

Il y a un an, lorsque le taux de rémunération du livret A avait baissé à 0,5 % compte tenu de la baisse de l'inflation et des taux, j'avais indiqué qu'il s'agissait d'un plancher, et cela sera respecté. Le livret d'épargne populaire est quant à lui protégé de l'inflation puisqu'il est à 1 % ; il faut le développer, car il ne bénéficie qu'à la moitié des 15 millions de Français qui pourraient en profiter. La Banque de France a indiqué que le taux de rémunération moyen de certains plans épargne logement antérieurs à 2011 était supérieur à 4 % à vie. Cela peut nous amener à nous interroger, mais il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de prendre une décision.

La réunion est close à 13 h 05.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances
et de la relance, sur la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance
de l'économie

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons cet après-midi M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, afin d'évoquer la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance de notre économie.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre venue. La dernière fois que notre commission vous a entendu, c'était en septembre 2020 pour la présentation du plan de relance et du projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à avoir regretté votre absence tout au long de nos débats budgétaires de l'automne en séance publique, et surtout lors de l'évocation de la mission « Plan de relance ». Aussi sommes-nous particulièrement impatients de vous entendre sur la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance de l'économie.

Cette audition est essentielle dans le contexte actuel, alors que l'on évoque un possible nouveau confinement - je reste très prudent - et que les perspectives de croissance s'affaiblissent de nouveau.

Quel premier bilan tirez-vous des mesures de soutien mises en oeuvre depuis mars 2020 ? Ont-elles, selon vous, atteint tous les résultats attendus et surtout, doivent-elles encore être complétées, compte tenu de la situation extrêmement difficile que connaissent certains secteurs de l'économie ? Nous avons bien repéré ce qu'était une courbe en K, avec des entreprises qui ont retrouvé quasiment leur niveau d'avant la crise et d'autres qui sont en très grande difficulté. Récemment, le ministre des comptes publics évoquait la sortie du « quoi qu'il en coûte », mais de manière plus nuancée que les titres de la presse... Comment envisagez-vous la sortie de ce soutien à l'économie, qui devra un jour se produire ?

Comment les mesures de relance, particulièrement nécessaires, vont-elles concrètement se mettre en oeuvre ? Le rythme d'engagement des projets est essentiel, mais comment relancer l'économie et retrouver de la confiance dans le contexte actuel de couvre-feu et peut-être, bientôt, de reconfinement ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Je suis très heureux de vous retrouver pour évoquer les mesures de soutien et de relance de notre économie, dans cette période de crise sanitaire persistante, et de crise économique la plus importante que la France ait eu à connaître depuis 1929 et depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup l'oublient, mais nous n'avons pas connu des chiffres de récession aussi graves depuis des décennies, ce qui explique notre niveau d'endettement et les mesures exceptionnelles.

Les chiffres sanitaires restent préoccupants. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous devrons prendre des décisions dans les prochains jours. Rien n'est arrêté, nous suivons l'évolution de l'épidémie au jour le jour pour prendre les meilleures décisions le moment venu, en fonction de la situation sanitaire et de la nécessité de protéger les Français contre les conséquences de la crise économique.

Depuis le premier jour de cette crise, notre stratégie se traduit par beaucoup de lisibilité et beaucoup de constance. La lisibilité repose sur notre choix, comme dans d'autres pays européens, de protéger tous les salariés et toutes nos entreprises, depuis le premier jour de cette crise. Ce choix n'était pas évident à faire, mais nous avons établi un bilan des coûts et des avantages de cette stratégie.

Le coût de cette stratégie, c'est de la dépense d'argent public, mais à un coût modéré, étant donné le niveau des taux d'intérêt. L'énorme avantage, c'est que nous préservons des compétences que la France a mis des années à acquérir et nous évitons un tsunami de faillites. En 2020, nous avons eu moins de faillites qu'en 2019 alors que nous étions confrontés à la plus grave crise économique depuis 1929 : 35 000 faillites en 2020, contre 50 000 en 2019. Tel est notre choix stratégique : qu'est-il plus coûteux de faire ? Avoir des millions de chômeurs supplémentaires et des dizaines de milliers d'entreprises en faillite qui nous auraient fait perdre des compétences extrêmement difficiles à acquérir, des technologies difficiles à protéger, ou, au contraire, emprunter de l'argent public pour protéger nos salariés et nos entreprises ? Nous avons fait le second choix. C'est plus juste, mais aussi plus efficace économiquement, car nous rebondirons plus rapidement ensuite.

Malgré les jours difficiles dans lesquels nous sommes et la lassitude des Français, que je comprends, malgré l'épuisement lié à ces restrictions sanitaires - le couvre-feu à 18 heures n'est pas anodin - je suis convaincu que, durant la seconde partie de l'année 2021, une fois que, je l'espère, la crise sanitaire sera derrière nous, et que la vaccination aura produit tous ses effets, la France montrera des capacités de rebond économique exceptionnelles. Oui, le moment que nous traversons est particulièrement difficile. J'ai toujours indiqué, depuis la fin de l'année dernière, que ces premiers mois de 2021 seraient durs.

Mais nous avons devant nous, d'ici à la fin de l'année, la perspective d'un vrai redressement économique. Notre responsabilité est à la fois de protéger les secteurs qui sont les plus touchés par la crise et, dans le même temps, de préparer ce rebond de l'économie française en engageant immédiatement les mesures de relance que nous avons déjà définies et qui ont été adoptées au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Ces deux volets de protection et de relance sont d'autant plus indispensables que l'économie française aujourd'hui, ce n'est pas une, mais deux économies. Vous avez une économie très durement touchée par la crise, avec des secteurs fermés comme les restaurants et les bars, avec des hôtels qui tournent avec 10 à 30 % de remplissage, et avec le secteur événementiel, le sport, la culture qui sont sinistrés et qui souffrent terriblement. Ils souffrent encore plus de l'absence de perspectives, parce que nous ne pouvons pas donner de calendrier - ce ne serait pas raisonnable. Il nous faudra aider cette économie-là en priorité. Aussi longtemps que la crise durera, nous serons là et assurerons des mesures de protection.

On parle moins d'une deuxième économie qui marche bien : c'est le secteur du luxe qui commence à rebondir, l'agroalimentaire, le bâtiment, les travaux publics qui ont embauché 20 000 personnes supplémentaires en 2020. Plus de 485 000 apprentis ont été embauchés dans ces secteurs en 2020, soit le meilleur chiffre depuis des années.

La réalité, en France, ce sont donc deux économies très différentes : l'une très durement touchée par la crise sanitaire, l'autre qui a déjà commencé à rebondir et qui doit être également accompagnée pour rebondir encore plus fort et créer les emplois dont nous avons besoin.

Depuis le premier jour, le volet de protection repose sur quatre piliers que nous adaptons au fur et à mesure.

Le premier, c'est le fonds de solidarité, qui n'a cessé d'évoluer. Au départ fonds universel protégeant tous les secteurs, il s'est concentré sur les secteurs les plus touchés : l'hôtellerie, les cafés, la restauration, le tourisme. Nous l'avons aussi élargi vers les entreprises de taille plus importante. Chacun voit bien qu'un groupe de restaurateurs à Lyon ou à Paris, qui avait trois ou quatre établissements, pouvait tenir les premiers mois de la crise grâce à sa trésorerie ; mais au fur et à mesure que la crise économique s'installe dans la durée et que les mesures de restrictions sanitaires se prolongent, il a aussi besoin de soutien. Ainsi, j'ai annoncé hier que nous allions débloquer un prêt garanti par l'État (PGE) de près d'un demi-milliard d'euros pour Accor Invest. En avril 2020, le groupe n'avait pas besoin de cet argent, car il avait des perspectives de reprise ; mais maintenant que la crise se prolonge, même des groupes comme Accor ont besoin du soutien de l'État. Le fonds de solidarité a donc évolué. Il représentait 13 milliards d'euros de dépenses en 2020 pour près de 2 millions d'entreprises, principalement des TPE et des PME. C'est dire si ce fonds de solidarité a été, et reste, l'un des piliers absolument essentiels de la réponse à la crise.

Le deuxième volet de la protection, c'est l'activité partielle avec 28 milliards d'euros dépensés en 2020 qui ont concerné jusqu'à 8 millions de salariés. Lors de la précédente crise, nous n'avions pas adopté ces dispositifs d'indemnisation du chômage partiel. Alors que la France avait été un peu moins touchée que son voisin allemand, elle avait eu plus de chômeurs parce qu'elle ne disposait pas de ce filet de sécurité. Nous avons tiré toutes les leçons de la crise de 2008-2009, en mettant en place le dispositif d'activité partielle le plus généreux et le plus protecteur d'Europe, ce qui nous a évité des vagues entières de licenciements au cours des derniers mois.

Le troisième pilier, également essentiel, c'est le PGE. Plus de 135 milliards d'euros ont été décaissés pour 650 000 entreprises. Il continue à faire l'objet de sollicitations de la part des secteurs les plus touchés. Je remercie les banques françaises qui ont fait preuve de sens des responsabilités. La durée totale de six ans qui comprend l'amortissement complet du PGE ne s'entend plus comme une année plus cinq avec le début du remboursement du capital au bout d'un an, mais deux années plus quatre. Toute entreprise a désormais le droit, quelle que soit sa taille, d'effectuer son premier remboursement un an plus tard que prévu. Par exemple, une PME ayant emprunté 150 000 euros en avril 2020 et qui aurait dû commencer à rembourser son capital à partir d'avril 2021 pourra, de droit, le rembourser à partir d'avril 2022.

Certes, cela renforce le poids des échéances qui ne se calculent plus sur cinq ans, mais sur quatre ans. Je suis prêt à regarder, pour certains secteurs plus touchés par la crise et pour lesquels les montants des prêts sont les plus importants, si un échéancier plus étendu serait possible. J'engagerai les discussions avec la Commission européenne en ce sens. Par exemple, des PME de l'aéronautique ont parfois engagé des PGE de plusieurs millions d'euros. Elles s'inquiètent de l'arrivée des échéances, car elles avaient misé sur une reprise du trafic aérien dans les prochains mois. Or la persistance de la crise sanitaire et la mutation du virus éloignent encore davantage le retour à la normale du trafic aérien. Il me paraît donc légitime de tenir compte de cette réalité sanitaire pour étudier avec la Commission européenne les cas des sous-traitants aéronautiques les plus touchés, et je m'y suis engagé à Toulouse. Car derrière ces entreprises, ce sont des compétences hors normes qui sont en jeu : des ouvriers qualifiés, des ingénieurs, des savoir-faire que nous avons mis des années à acquérir. Rien ne serait pire que de voir ces sous-traitants fermer faute de bol d'air financier supplémentaire.

Enfin, dernier instrument de cette protection, les exonérations de charges ont représenté 4 milliards d'euros en 2020.

La force et l'efficacité de la réponse économique française à la crise, c'est la simplicité de ces dispositifs et leur adaptation au fur et à mesure, pour qu'ils répondent aux besoins des entreprises. C'est aussi la certitude, pour les entreprises, que nous maintiendrons ces dispositifs aussi longtemps que cela sera nécessaire. Cette stratégie a été efficace.

Ces dispositifs ont également permis de protéger le pouvoir d'achat des ménages. Nous avons prévu une récession en 2020 d'environ 11 %, mais que nous pourrons probablement réviser dans un sens plus favorable grâce aux capacités de redressement de l'économie française au troisième trimestre et au mois de décembre, même si cette récession reste très violente. Avec la stabilité du pouvoir d'achat des Français, c'est bien la preuve que ces dispositifs ont été efficaces.

Je n'oublie pas, car nous regardons tout cela chaque jour avec la plus grande attention, que, derrière ces chiffres de stabilité du pouvoir d'achat et les 100 milliards d'euros d'épargne mis de côté par les Français en 2020, se cachent des situations très différentes. Des millions de nos compatriotes, plus fragiles et moins qualifiés, ont perdu leur emploi ou sont dans des situations extraordinairement difficiles. Je pense aux jeunes étudiants, aux femmes seules, aux personnes très peu qualifiées. S'il y a besoin, le moment venu, de mesures de soutien complémentaire pour répondre à ces situations individuelles très différentes et à ces premières victimes qui sont souvent celles qu'on entend le moins, nous le ferons.

Ces mesures seront donc maintenues. Elles ont un coût sur les finances publiques, avec un niveau de dette qui approche les 120 % de notre richesse nationale. Les Français n'ont pas d'inquiétude à avoir sur le financement de notre dette. En 2020, nous avons levé 290 milliards d'euros de dettes à moyen et long terme, pour un taux moyen de - 0,14 %. Nous empruntons à taux négatifs. La dernière levée de dettes que nous avons faite sur les marchés pour les obligations du Trésor à dix ans était à un taux de - 0,33 %. La semaine dernière, nous avons fait une levée de dette sur une maturité exceptionnelle à 50 ans, pour 7 milliards d'euros. Nous avons eu un livre d'ordres de 75 milliards d'euros, plus de dix fois notre besoin de financement, et le taux était de 0,59 %. Les ménages français aimeraient pouvoir emprunter pour leur logement à 0,59 % sur 50 ans ! Nous n'avons donc pas de difficultés de financement. Les taux restent très bas, et négatifs pour les échéances à dix ans. Le taux moyen de - 0,14 % est inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019, qui s'établissait à + 0,11 %.

Le spread, l'écart de taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne, est le plus bas de ces dernières années. Si nous avons des taux aussi bas et une signature aussi crédible, c'est que la France s'engage sans aucune ambiguïté à rembourser sa dette. Rien ne serait plus dommageable à la qualité de la signature française que de laisser entendre que nous pourrions ne pas le faire. Nous la rembourserons le moment venu, après la crise sanitaire, par une croissance qui sera de retour, je l'espère, d'ici à la fin de l'année 2021, avec une capacité de rebond très puissante de l'économie française, mais aussi par la maîtrise des finances publiques qui devra être d'actualité lorsque les circonstances économiques nous le permettront. Enfin, nous la rembourserons par un certain nombre de mesures structurelles qui doivent rendre notre modèle social plus soutenable financièrement, notamment notre système de retraites.

Ce choix de protection est un choix collectif, fait par tous les États européens. La solidité et la crédibilité des décisions prises reposent aussi sur le fait qu'elles ont été prises en coordination étroite avec les autres partenaires européens, en particulier l'Allemagne.

Nous devons préparer le rebond de l'économie française avec la relance. Nous n'avons pas attendu le début de l'année 2021 pour engager celle-ci. Depuis fin 2020, nous avons engagé 10 milliards d'euros de crédits sur les 100 milliards d'euros du plan de relance ; 9 milliards d'euros ont été décaissés, dont quasiment la moitié pour la SNCF, pas simplement pour le plaisir de la recapitaliser, mais pour qu'elle puisse financer son plan fret, financer les rénovations de lignes et moderniser cet équipement d'un grand service public auquel nous sommes tous très attachés. Parmi ces décaissements, il y a aussi le plan de soutien aux jeunes, les mesures de soutien à l'apprentissage qui ont montré leur efficacité avec un demi-million d'apprentis embauchés en 2020, la rénovation des logements privés avec MaPrimeRenov qui démarre très fortement, et la transformation de notre industrie, avec en particulier le plan de digitalisation des PME, qui est absolument indispensable pour rattraper notre retard. Pour ce plan, nous avions prévu 280 millions d'euros grâce à un crédit d'impôt. Nous aurons sans doute 800 millions d'euros de crédits décaissés, tellement l'appel a été suivi de propositions des PME, en attente de ce type de dispositif.

Cette relance est clé pour transformer notre modèle économique, réussir la décarbonation et ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur en France. C'est un enjeu absolument stratégique. La France s'est trop reposée sur ses lauriers ; elle avait trois ou quatre grandes filières industrielles grâce auxquelles elle avait un excédent commercial sur ces seules filières, mais un déficit commercial global. Elle n'a pas su renouveler ses filières et ses chaînes de valeur. Cette erreur stratégique a été commise depuis des années. Tant mieux d'avoir une filière du luxe qui se porte très bien, c'est un motif de fierté nationale ; c'est très bien d'avoir une industrie agroalimentaire puissante, l'ancien ministre de l'agriculture que je suis s'en félicite. C'est très bien d'avoir une filière viticole très puissante et une filière aéronautique qui fait partie, avec Boeing, des filières aéronautiques les plus avancées et les plus pertinentes du globe. Simplement, quand vous avez un virus qui empêche les avions de voler, votre filiale aéronautique est en grande difficulté ; quand vous avez des sanctions américaines sur le vin, votre filière viticole est en grande difficulté. Au bout du compte, il ne vous reste quasiment plus que la filière de luxe pour apporter des excédents commerciaux à la France. Il est irresponsable de faire reposer la croissance française et nos capacités d'excédent commercial uniquement sur des filières qui ont toutes dix à trente ans d'existence. Il faut savoir renouveler nos filières et les valoriser, parce qu'elles sont exceptionnelles et qu'elles sont un motif de fierté. Il faut ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur. Je pense évidemment à tout le domaine de la santé, des biotechnologies et de l'immunothérapie. C'est peut-être l'une des leçons que nous pouvons tirer de l'expérience récente en France. Je pense au calcul quantique, à l'hydrogène, aux batteries électriques. Toutes ces filières et ces chaînes de valeur nous permettront de reconstituer des capacités de création de richesse dans notre pays. C'est maintenant qu'il faut investir, si nous voulons qu'à la sortie de la crise nous puissions avoir une économie plus compétitive et plus décarbonée, et tel est notre objectif grâce au plan de relance.

Certains me disent que 100 milliards d'euros, c'est insuffisant et qu'il faudrait rajouter un deuxième plan de relance de 100 milliards d'euros. Essayons déjà de décaisser le maximum de ces 100 milliards d'euros du plan de relance dès 2021. C'est un défi considérable. Vous êtes pour beaucoup des élus locaux, comme je le suis moi-même. Entre l'annonce du crédit et le moment où il bénéficie réellement à l'entreprise qui en a besoin, il faut que le dossier soit instruit, qu'il y ait un appel d'offres, que l'argent arrive jusqu'à l'intermédiaire - par exemple, la banque publique d'investissement - et puis qu'il parvienne jusqu'à l'entreprise. Cela peut prendre beaucoup de temps, et parfois trop.

Mon obsession et ma priorité, c'est la bonne exécution du plan de relance, adopté par le Parlement. J'y consacre beaucoup de temps, chaque semaine, avec mes équipes. L'essentiel est d'abord de décaisser ces 100 milliards d'euros le plus rapidement possible. Si nous voyons que les conditions continuent de se dégrader, qu'il peut y avoir besoin ici ou là des mesures complémentaires pour les personnes les plus touchées par la crise, nous sommes ouverts à toutes les propositions. Mais lorsqu'on gère une crise aussi importante que celle-là, il faut avoir des priorités. J'ai comme objectif d'avoir décaissé au minimum 40 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2021.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'apprécie votre prestation et votre volontarisme. Je fais partie de ceux qui, comme beaucoup, ont soutenu le Gouvernement lorsqu'il a fallu adopter en urgence des mesures de soutien à l'économie. Je ne veux pas doucher votre optimisme et parfois même votre enthousiasme. Je comprends que, dans des situations difficiles, il y a aussi des positions à tenir, notamment pour garantir la confiance de l'opinion, des acteurs économiques et de l'Europe. Je crois néanmoins que nous avons collectivement un devoir de lucidité sur la situation, et de vérité à l'endroit des Français.

La lucidité, c'est veiller à ce que l'enthousiasme ne soit pas trop débordant. À vous entendre, ce serait de l'argent facile. L'argent ne coûte pas cher puisqu'on emprunte même à des taux négatifs, sur 50 ans avec des taux exceptionnels. Mais il ne faudrait pas que ce soit des taux variables... Avant la crise sanitaire, le monde était différent.

C'est pourquoi nous devons affirmer notre volonté dans cette crise sanitaire planétaire. On pensait qu'il y aurait un épisode, mais nous en sommes déjà à trois ; et lorsqu'on voit les difficultés de la vaccination... Il faut tracer des perspectives sur les efforts à réaliser collectivement, n'oublions pas que les recettes publiques sont notamment issues des contributions acquittées par les acteurs économiques. Vous avez dit très subtilement qu'il faudrait envisager des réformes, notamment sur les retraites. Effectivement, il y a un temps pour tout. Il est encore trop tôt pour avancer précisément sur ces sujets, mais nous serons attendus collectivement et nous aurons un devoir de vérité sur les efforts qui devront être réalisés. Le retour à la normale s'accompagnera d'un effort exceptionnel, que cela plaise ou non, notamment de celles et ceux qui seront le plus en capacité de le faire, sans freiner le développement économique. Je ne veux pas berner les Français, et je suppose que vous non plus.

Les chiffres sont une chose mais nous avons aussi besoin d'échanger directement sur l'état d'esprit des Français, dont vous mesurez à la fois le doute et le souhait de sortir du tunnel, avec une véritable perspective. Or le climat actuel est un peu complexe pour trouver cette lumière au bout du tunnel...

Vous avez donné des précisions sur les PGE. Des informations claires doivent être données aux entreprises lorsqu'elles vont passer de cinq à quatre années de remboursement. Il faut leur demander où elles en sont, combien elles décaissent, combien cela coûte, et éviter de « mettre la poussière sous le tapis ». Plus cela dure, plus le montant est important. Il faut faire attention que ce ne soit pas dans deux ou trois ans. Ce matin, le gouverneur de la Banque de France estimait qu'entre 4,5 % et 6 % des entreprises pourraient connaître des désillusions. Envisagez-vous de convertir certains PGE en subventions ?

Sur le fonds de solidarité, le Sénat a déposé une proposition de loi tendant à instaurer une couverture assurantielle pour indemniser les pertes d'exploitation des entreprises consécutives à des évènements exceptionnels tels qu'une crise sanitaire majeure. Vous aviez d'abord été enthousiaste, puis j'ai cru comprendre que vous y avez finalement renoncé. Je vous invite à reconsidérer votre position, car c'est une forme de mépris de ce qu'attendent les entreprises et des options proposées par le Parlement.

Lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF), le Gouvernement nous avait assuré qu'un accord sur les prêts participatifs serait trouvé avec la Commission européenne d'ici à la fin décembre. À ce stade, ce n'est toujours pas le cas. Où en sont les discussions ? Quels sont les points restant à trancher ?

Le PLF pour 2021 prévoyait que 14,5 milliards d'euros soient engagés dès 2020 au titre du plan de relance. Le 21 janvier dernier, vous avez finalement fait état de 11 milliards d'euros engagés, et tout à l'heure de 10 milliards d'euros. Sur quels dispositifs les prévisions n'ont pas été confirmées ?

Je terminerai par la territorialisation, sujet important. Vous produisez un tableau de bord. Le Gouvernement, depuis début janvier, commence à signer des accords régionaux de relance, notamment avec les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie. Qu'en est-il dans les autres régions ? Ces contrats devront être coordonnés avec la nouvelle génération des contrats de plan État-région (CPER) ainsi qu'avec les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) conclus avec les intercommunalités et les départements. Quelle est la part du plan de relance de 100 milliards d'euros qui est définie et décidée par l'État et par ses opérateurs ? Quelle est la part qui va l'être en coopération avec les collectivités territoriales, puisque, dans ces accords, il y aura des cofinancements ? Quel est le financement additionnel que vous attendez des collectivités ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Sur l'état d'esprit des Français, ce n'est pas mon rôle de juger les Français. Mais je veux simplement faire part de ma très grande admiration devant le sens des responsabilités dont fait preuve l'immense majorité des Français et devant leur capacité à résister à des temps extraordinairement difficiles. On dit très souvent que les Français sont un peuple indiscipliné, et chacun y va de ses remarques sur nos compatriotes. La réalité, c'est qu'ils respectent, dans leur immense majorité, des règles sanitaires contraignantes. Ils font preuve de responsabilité et de beaucoup de solidarité les uns envers les autres. Je le vois notamment dans le secteur économique, entre donneurs d'ordres et sous-traitants. Dans le secteur financier, si les banques n'avaient pas été là pour les PGE, nous n'aurions pas pu résister à cette crise. Je veux vraiment, avec beaucoup de gravité, saluer la manière dont les Français traversent cette épreuve ; cela force l'admiration.

Quelles sont les perspectives ? Nous travaillons sur des scénarios différents, car c'est ma responsabilité de ministre des finances. Personne n'a de certitude. Ma première responsabilité, c'est de garantir qu'il y aura financièrement ce qu'il faut pour soutenir les Français, les salariés et les entreprises, comme l'a souhaité le Président de la République. C'est aussi étudier plusieurs options, et il y a au moins trois grands scénarios.

Le premier, c'est celui où la situation sanitaire ne nous oblige pas à prendre des mesures sanitaires complémentaires - c'est le scénario du statu quo. Nous arrivons à traverser cette période sans mesures de restrictions sanitaires supplémentaires qui pèsent sur l'économie. Dans ce cas-là, nous avons une croissance qui pourrait atteindre 6 % en 2021 et une vraie capacité de rebond de l'économie française. Soyons clairs, ce scénario n'est plus le plus probable, et il s'éloigne à mesure que la situation sanitaire reste préoccupante.

Le deuxième scénario, c'est celui où la situation sanitaire nous obligerait à prendre de nouvelles restrictions sanitaires qui pèseront nécessairement sur l'économie, plus ou moins en fonction de la dureté des mesures prises. Dans ce cas, nous aurons une croissance qui ne pourra pas atteindre 6 % en 2021. C'est la situation de tous les pays européens, sans exception. L'Allemagne a déjà indiqué que sa croissance serait sans doute très inférieure à ce qui avait été annoncé, de l'ordre de 3 %, en raison des mesures de confinement strictes et longues décidées par la chancelière Angela Merkel, car elles ont un impact fort sur les finances publiques et la croissance.

Le troisième scénario - dont j'ose espérer que c'est un pur scénario qui ne se réalisera pas - c'est qu'une nouvelle forme de virus arriverait au milieu de l'année et nous obligerait à rester dans des conditions sanitaires difficiles jusqu'à la fin de l'année 2021. Ce n'est pas le scénario le plus probable, mais c'est ma responsabilité d'envisager l'intégralité des scénarios, leur impact sur les finances publiques et sur la croissance française. Quel que soit le scénario qui se réalisera, les mesures de soutien économique resteront à disposition des salariés et des entreprises. C'est bien parce que je veux me préparer à tous les cas de figure que je présente en toute transparence l'intégralité des scénarios sur lesquels nous travaillons.

À mes yeux, le scénario de référence reste celui d'une amélioration de la situation au milieu de l'année 2021 qui permettra un rebond puissant de l'économie française dans la dernière partie de l'année 2021. Au cours des derniers mois, l'économie française a montré sa capacité à rebondir fortement, car les fondamentaux sont sains.

J'en viens à la question de la conversion des prêts garantis par l'État en subventions. Nous adaptons les dispositifs à la réalité de la situation économique. Pour les entreprises les plus en difficulté qui ont des perspectives de redressement plus lointaines, je n'exclus pas que nous puissions, au cas par cas et avec l'accord de la Commission européenne, transformer certains prêts garantis par l'État en subventions.

De la même façon, nous devons étudier la possibilité d'étaler davantage le remboursement des prêts consentis au secteur aéronautique, car les sommes empruntées sont importantes et le transport aérien ne se redresse pas. Je rappelle que nous avons obtenu un différé d'un an supplémentaire pour le remboursement du capital et des taux d'intérêt particulièrement attractifs.

Enfin, il faut soutenir la capacité d'investissement des entreprises. C'est l'un des enjeux stratégiques de la reprise, de la relance et donc de la création d'emplois. Je présenterai prochainement un dispositif de prêt participatif s'adressant à des entreprises qui souhaitent investir des quasi fonds propres dans des conditions financières les plus avantageuses possibles et avec un différé de remboursement de quatre ans.

S'agissant des frais fixes, nous avons mis en place en novembre dernier un crédit d'impôt permettant de rembourser la moitié des frais de loyer. Ce dispositif ne peut pas s'inscrire dans la durée, car cela reviendrait à transférer les charges des entreprises sur les bailleurs. Nous avons donc prévu la possibilité de prendre en compte dans le soutien de l'État jusqu'à 70 % des charges fixes des entreprises des secteurs les plus touchés par la crise et dont le chiffre d'affaires est d'au moins 1 million d'euros, et ce jusqu'à 3 millions d'euros. Nous négocions toutefois avec la Commission européenne afin de relever ce plafond, car il sera peut-être insuffisant si la crise dure, notamment pour des chaînes hôtelières ou de restauration.

Nous conservons donc les dispositifs existants, et nous ne cessons de les compléter et de les adapter afin de répondre le mieux possible à la situation des entreprises sur le terrain.

J'en viens à la question de la sous-consommation des crédits du plan de relance en 2020. Nous avions indiqué que nous consommerions 10 % du plan de relance en 2020, c'est-à-dire 10 milliards d'euros : 9,6 milliards ont précisément été consommés.

S'agissant des collectivités locales, le moindre décaissement observé en 2020 s'explique par une moindre baisse des recettes. L'État a eu la même bonne surprise du fait du fort rebond et des mesures prises pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages.

Les résultats de la prime à la conversion sont effectivement un peu inférieurs à ce que nous avions prévu, mais le bonus écologique fonctionne bien : nous avons multiplié par trois les ventes de véhicules électriques en 2020 en parts de marché. Alors qu'ils représentaient un peu moins de 1,9 % du marché, cette proportion a bondi à 6 % et la tendance reste la même. C'est pourquoi je mettrai toute ma détermination à lever les obstacles techniques au déploiement de 100 000 bornes électriques en 2021 sur le réseau routier français.

Enfin, nous continuerons à travailler main dans la main avec les régions pour le déploiement du plan de relance, et toutes les aides complémentaires sont bien sûr toujours les bienvenues.

M. Roger Karoutchi. - En juin dernier, on nous disait qu'il y aurait en 2021 un rebond de 9 % du PIB. Le virus n'a pas disparu. Ne faudrait-il pas faire preuve de davantage de modération dans les prévisions ? Si les laboratoires affirment que les vaccins seront efficaces contre les variants anglais et sud-africain, ils ne prennent aucun engagement quant aux variants brésilien et californien. C'est pourquoi je crains que le stop and go ne perdure en 2021. Travaillez-vous sur d'autres scénarios de long terme ?

Malgré l'action de votre ministère, on a compté 7,5 % de chômeurs supplémentaires en 2020. Disposez-vous d'une projection sur le nombre de chômeurs à la fin de l'année 2021 ? Le coût de l'activité partielle pour 2021 a-t-il été évalué ?

M. Albéric de Montgolfier. - Vous avez souligné qu'il n'y a jamais eu aussi peu de faillites, mais le PGE n'aura-t-il pas pour effet de reporter les faillites sur les prochaines années ?

M. Sébastien Meurant. - En Allemagne, dont la situation avant la crise était très différente de la nôtre, la chute du PIB sera moitié moindre que dans notre pays. Nous nous félicitons aujourd'hui de nous endetter à de faibles taux, mais une augmentation des taux pourrait nous placer dans une situation intenable.

Nous avons fait des choix politiques radicaux de fermeture de certaines entreprises. Certains secteurs sont menacés de disparaître, alors que d'autres pays ont fait de tout autres choix. Dans mon département, certains hôpitaux sont fermés. Vue du terrain, la réponse de l'État paraît incompréhensible.

Dans mon département, une petite entreprise reconnue comme stratégique par l'État est au bord de la faillite du fait de l'interdiction de voyager. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour les petites structures qui sont passées entre les mailles du filet ?

M. Pascal Savoldelli. - Nous avions une dette dangereuse, alarmante, qui mettait en cause la solvabilité tant de l'État que des débiteurs privés. Aujourd'hui, la dette est faramineuse, mais elle devient solvable. Ce retournement suscite la perplexité.

Si nous devions être reconfinés, quelles seraient, à votre avis, les activités économiques essentielles ? Quels sont les secteurs qui doivent être ciblés dans le plan de réindustrialisation ? La santé, l'électronique et le textile me semblent être des secteurs prioritaires.

Dans un courrier, vous m'indiquiez que vous ne jugiez pas opportun que les entreprises durement touchées par la crise reviennent dès à présent sur le versement d'acomptes sur les dividendes. Je ne vous demanderai pas la liste des entreprises concernées, mais je souhaiterais connaître votre appréciation de leur nombre.

M. Thierry Cozic. - Si le plan de relance mobilise d'importants moyens afin de répondre à l'impératif de transformation et de modernisation du tissu productif à l'horizon de 2030, il néglige l'enjeu de relance à court terme de l'économie française. Les crédits de la mission « Plan de relance » portent majoritairement sur des actions à l'horizon 2022-2023, voire plus lointain, à rebours de l'impératif de relance rapide. Le stimulus budgétaire de court terme est donc plus faible qu'annoncé.

De plus, le plan de relance est calibré pour les grosses collectivités qui disposent de l'arsenal administratif nécessaire pour traiter rapidement les dossiers. En revanche, les petites communes, qui ont pourtant été un maillon important dans la gestion de la crise, rencontrent des difficultés à monter les dossiers faute d'ingénierie et d'accompagnement suffisant. Comment rassurer ces petites communes quant à la volonté de l'État de les accompagner ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - Nous observons un déséquilibre majeur dans votre action entre l'aide et le soutien apportés à l'économie pour permettre son rebond ultérieur et la transition écologique et la lutte contre la pauvreté. Alors que l'épargne s'accumule, la paupérisation s'accélère. Face à des besoins de plus en plus importants, les mesures qui ont été prises en faveur des familles les plus en difficulté étaient trop faibles et à trop court terme. Des mesures complémentaires sont indispensables.

Les micro-entrepreneurs dont l'activité ne fait pas l'objet d'une mesure de fermeture administrative vont être touchés par l'arrêt des aides du fonds de solidarité. Par ailleurs, le Premier ministre s'était engagé à ce que 1 % des crédits du plan de relance soit fléché vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Or manifestement, il n'y a pas de fléchage. Il faut certes décaisser et financer les projets qui sont prêts, mais il faut aussi veiller à ce que ces crédits soient répartis de manière à ne pas aggraver les inégalités.

Vous avez indiqué que le remboursement de la dette interviendrait grâce à une baisse des dépenses publiques, notamment par le biais de réformes structurelles telles que celle des retraites. Quel est votre agenda ? N'y a-t-il pas d'autres voies à explorer, notamment fiscales, qui garantiraient davantage de justice ? Pourrons-nous enfin voter une taxe sur les Gafam ?

M. Michel Canevet. - Face à cette crise, la réponse du Gouvernement a été massive et il faut s'en féliciter. Pour autant, l'argent n'est pas facile, et après cette crise, des réformes structurelles devront être menées, ce qui impliquera des efforts de la part de nos concitoyens.

Je souhaite attirer votre attention sur la situation des opérateurs de trafic de passagers maritimes. Je plaide pour un remboursement de la part des charges salariales, de façon à restaurer les conditions de leur compétitivité sur le long terme.

Vous avez évoqué les conditions dans lesquelles la France emprunte actuellement. Je suppose qu'il s'agit d'emprunts à taux variables. Il faudra que nous soyons vigilants, car la charge des intérêts de la dette pourrait augmenter.

Enfin, concernant les filières de valeur qu'il nous faut relancer, j'estime que le numérique doit être une priorité à l'échelon européen. Il est important que l'Europe ait ses champions pour que nous ne soyons pas totalement dépendants des puissances étrangères.

M. Rémi Féraud. - J'espère que le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR) sera l'occasion de dresser un état des lieux des actions engagées, car il nous est parfois difficile d'avoir une lecture claire des différents crédits et missions.

Lors de la discussion des crédits de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », le Sénat avait introduit des crédits supplémentaires en faveur de la culture, des outre-mer et des jeunes. Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de les réintroduire, notamment en ce qui concerne les jeunes ? Cela permettrait aussi de soutenir la consommation.

Quelle est la méthode retenue pour sélectionner les projets qui bénéficieront du plan d'investissements d'avenir ? Comment s'opère le choix des secteurs bénéficiaires ? Quel est le rôle du haut-commissaire au plan ?

M. Charles Guené. - Nous bénéficions de très bons taux parce que la France n'a jamais failli à sa parole, mais aussi parce que l'on suppose que nous allons réindustrialiser notre pays et effectuer des réformes structurelles. Il faut que nous en soyons conscients.

S'agissant de l'aide aux entreprises, vous avez évoqué la simplicité des mesures et leur maintien aussi longtemps qu'il le faudra. Je souhaite vous faire part de l'angoisse des chefs d'entreprise qui ne pourront accéder aux aides du fait des conditions, notamment de chiffres d'affaires, auxquelles elles sont soumises. Pouvez-vous donner des garanties à ces chefs d'entreprise ?

M. Stéphane Sautarel. - En matière de protection, il y a encore des trous dans la raquette, du fait notamment d'effets de seuil, de l'insuffisante prise en compte de l'amont des filières, ou de la saisonnalité de certaines activités, en particulier dans les territoires de montagne. Des ajustements sont nécessaires, en concertation avec le terrain.

Une entreprise de mon département travaille sur les thérapies par le microbiote. Après avoir été encouragée dans un premier temps, elle n'a finalement pas été retenue dans le cadre du premier appel à projets pour la résilience de l'économie. Par ailleurs, dans le cadre des contrats de relance signés entre l'État et les régions, il faudra veiller à ce que les gros investissements structurants ne se fassent pas au détriment d'une attention plus fine portée aux territoires. J'espère que cela pourra être corrigé dans les CPER.

M. Philippe Dallier. - Je salue votre volontarisme, mais je vous trouve trop rassurant sur la dette. L'Agence France Trésor devra tout de même placer 300 milliards d'euros dans l'année. Comment convaincre les Français qu'il va falloir faire des réformes structurelles ? Le gouverneur de la Banque de France indiquait ce matin qu'il espérait que le niveau de la dette, de 120 % du PIB, reviendrait à 100 % dans dix ans. C'est ce qui nous sépare de la dernière crise !

Nous rencontrons des difficultés pour modéliser les effets de la crise. Le gouverneur de la Banque de France estime le taux de chute des entreprises bénéficiaires de PGE à 4 et 6 %. Cela me semble faible. Qu'en pensez-vous ?

M. Vincent Segouin. - Les TPE ont souscrit des PGE à hauteur de 25 % de leur chiffre d'affaires. Or leur seuil de rentabilité se situe entre 3 et 4 %, et elles devront rembourser en quatre ans. Je ne comprends pas la règle de calcul.

Quand nous avions une croissance en rythme normal à 1,5 %, nous étions incapables de rembourser le capital de la dette. Vous indiquez aujourd'hui que nous y parviendrons. Sur quelles prévisions de croissance fondez-vous cette conviction, sachant que nous devrons également rembourser la dette européenne ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Les territoires de montagne sont particulièrement touchés par la décision regrettable de fermeture des remontées mécaniques.

Certaines entreprises qui souhaitent investir pour préparer le rebond n'ont pas obtenu de réponse, ou ont reçu une réponse négative aux demandes de financement qu'elles ont déposées. J'apprécierais que des instructions soient données aux services déconcentrés de l'État pour que les entrepreneurs obtiennent des explications quant aux raisons de ces refus éventuels.

S'agissant des collectivités territoriales, des trous dans la raquette demeurent. Les collectivités locales qui ont des activités de remontées mécaniques ne bénéficient pas d'accompagnement financier de l'État pour compenser les pertes. Cela altère la capacité d'autofinancement, et donc de rebond de ces collectivités locales pour accompagner le plan de relance. Je souhaiterais que l'on puisse améliorer la méthode de travail afin d'éviter que, par effet domino, des faillites n'entraînent d'autres faillites dans les territoires visés par cette décision gouvernementale particulièrement dure en matière de protection sanitaire.

M. Bruno Le Maire, ministre. - S'agissant des questions relatives à des dossiers particuliers, n'hésitez pas à m'écrire pour m'alerter lorsque vous estimez qu'ils méritent d'être réévalués. Stéphane Sautarel a cité le cas de l'entreprise Biose, dont le projet a été redéposé. Près de 900 projets de relocalisation dans les secteurs stratégiques ont été déposés. Nous en retiendrons 200. La sélection est donc importante, mais je réévaluerai volontiers les dossiers.

Monsieur Karoutchi, nous travaillons sur un certain nombre de scénarios. Le scénario de référence prévoit une amélioration de la situation économique à partir de la moitié de l'année 2021 et un fort rebond dans la dernière partie de l'année 2021. Je travaille aussi sur d'autres scénarios, dont j'espère qu'ils resteront purement spéculatifs, mais je reconnais que le virus nous a appris l'humilité. Il ne serait pas responsable du point de vue financier de s'enfermer dans une option unique.

En ce qui concerne le chômage, la situation est moins dégradée que prévu. Après avoir détruit plus de 700 000 emplois, l'économie française a montré qu'elle pouvait en recréer près de 500 000 grâce à des capacités de rebond exceptionnelles. Nous devons encore les améliorer, notamment en développant de nouveaux secteurs d'activité, mais les fondamentaux sont bons : nous avons amélioré la compétitivité de l'économie française, réduit la fiscalité qui pesait sur les ménages et les entreprises, amélioré le fonctionnement du marché du travail, réinvesti dans l'industrie, formé à de nouvelles compétences. Lorsque nous sommes entrés en crise, nous avions l'un des meilleurs taux de croissance de la zone euro, et un chômage qui avait baissé de près de 2 points.

La réindustrialisation est un enjeu absolument critique. Cette crise doit être une opportunité de transformer notre économie pour en faire une économie décarbonée et diversifiée de nature à contribuer à réduire les inégalités. L'inverse serait un échec historique.

Je partage totalement votre remarque sur les biotechnologies, M. Savoldelli : dans le plan de relance, notamment dans le plan d'investissements d'avenir, nous avons consacré des crédits importants aux biotechnologies, en particulier à l'immunothérapie, aux technologies de santé de pointe et à la digitalisation de la santé, car cela nous permettra de réduire les dépenses et de les rendre plus efficaces. La santé est un des champs industriels d'avenir pour le pays, et il reste encore beaucoup à faire.

Vous avez également cité l'électronique. Je suis favorable à la mise en place d'un programme d'intérêt commun européen sur les microprocesseurs les plus pointus possible. Nous devons continuer à investir dans cette filière industrielle performante.

J'en viens à la méthode qui préside au choix des filières : les critères ne sont pas fixés par des politiques, mais par des industriels, des scientifiques et des chercheurs. Tout vient de la base. M. Potier, président-directeur général d'Air liquide, et le Conseil national de l'industrie ont fait des propositions qui ont été validées par le Parlement.

Plusieurs conditions doivent être réunies. La première est l'existence d'un marché. C'est par exemple le cas des avions à hydrogène, des microprocesseurs, des biotechnologies, de l'oncologie de pointe adaptée à l'ADN de chaque personne, de la physique quantique. Le Président de la République a d'ailleurs annoncé que nous investirions près de 2 milliards d'euros dans cette filière.

La deuxième condition est de disposer des industries de base pour développer ces technologies. Pour reprendre l'exemple de l'hydrogène, les industriels français McPhy et Air liquide ont déjà la compétence pour franchir l'étape suivante, à savoir l'électrolyse qui permettra de fabriquer une énergie totalement décarbonée. Nous disposons également déjà d'un outil industriel dans le domaine des biotechnologies de la santé et de la microélectronique. Située à Crolles, STMicroelectronics est l'une des entreprises les plus performantes de la planète.

La troisième condition est de disposer des compétences et des formations. Nous allons ouvrir des filières de formation dans tous ces secteurs, car, au-delà de la question des coûts, il s'agit du premier obstacle à la réindustrialisation.

Enfin, la dernière condition est de bénéficier d'un soutien européen, car le milliard d'euros est l'unité de compte des stratégies de création de nouvelles chaînes de valeur. Le développement de l'hydrogène, des biotechnologies, des batteries électriques ou du calcul quantique nécessite une approche européenne, en l'occurrence principalement franco-allemande.

Nous devons aujourd'hui basculer d'une économie qui, depuis trente ou quarante ans, repose sur les mêmes chaînes de valeur à une nouvelle économie plus décarbonée, technologiquement plus avancée, ouvrant de nouvelles chaînes de valeur pour la France et garantissant à nos enfants et à nos petits-enfants non seulement des emplois, mais un niveau de vie suffisamment élevé.

Les jeunes de moins de 26 ans bénéficient des aides à l'embauche en CDI. Nous avons également mis en place des aides exceptionnelles pour les jeunes précaires, renforcé les dispositifs d'insertion et d'accompagnement comme la garantie jeunes, dont le nombre de bénéficiaires a été doublé, et les aides financières spécifiques telles que les deux repas par jour à 1 euro. Toutefois, nous sommes ouverts à l'étude d'autres dispositifs. M. Guerini a récemment proposé la création d'un capital jeune de 10 000 euros qui serait remboursé uniquement lorsque le bénéficiaire aurait un emploi qui lui permettrait de le faire dans de bonnes conditions. Cette idée mérite d'être étudiée.

Madame Taillé-Polian, le comité interministériel de la ville qui se tiendra vendredi prochain fera un suivi de l'engagement relatif aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nadia Hai est pleinement mobilisée sur ce sujet, notamment avec Mme Borne. Au travers du plan de relance, nous apportons des réponses très concrètes.

J'en viens à vos questions sur la dette. Je puis vous assurer que l'Agence France Trésor ne rencontre aucune difficulté à lever de la dette sur les marchés. Si tel n'était pas le cas, cela se traduirait par un spread beaucoup plus élevé avec l'Allemagne et par des taux d'intérêt très différents de ceux auxquels nous empruntons.

Par ailleurs, je rappelle que nous empruntons toujours à taux fixe. En cas de hausse des taux d'intérêt, le coût de la dette n'augmenterait donc que progressivement. J'estime qu'il est important de dire la vérité aux Français, sans jouer avec leurs peurs.

Bien entendu, ce raisonnement vaut tant que le ministre des finances français garantit aux marchés le remboursement de cette dette, même dans des délais longs. La crédibilité de la signature française tient aux mesures que nous prenons pour relancer la croissance et réduire les dépenses publiques ainsi qu'aux réformes structurelles, telles que la réforme des retraites, que nous ferons le moment venu.

Enfin, à ceux qui prédisent qu'on ne remboursera pas la dette, je rappelle que celle-ci est détenue à 25 % par des épargnants français, qui, dans ce cas, perdraient leur épargne.

Monsieur Savoldelli, les dividendes des entreprises du CAC 40 ont baissé de près de 50 % en 2020 ; les versements ont donc eux aussi diminué. Par ailleurs, les entreprises qui ont bénéficié des aides, notamment de prêts garantis par l'État et d'exonérations de charges, s'étaient engagées à ne pas verser de dividendes et à ne pas procéder à des rachats d'actions. Cet engagement a été tenu.

Enfin, le plan de relance comprend des dispositifs en faveur de la filière textile, qui a repris des couleurs depuis quelques années après avoir été abandonnée. Il me tient à coeur de renforcer cette filière.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions, monsieur le ministre.

La réunion est close à 18 h 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.