Mercredi 10 février 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Désignation de rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, il nous appartient de désigner un rapporteur sur la proposition de loi visant à lutter contre le plastique, qui reprend certaines propositions du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la pollution plastique, que Mme Angèle Préville et M. Philippe Bolo nous avaient présenté voilà deux semaines. Ses quatre articles visent spécifiquement à limiter la pollution microplastique, prolongeant certaines dispositions introduites par la loi 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite AGEC.

Cette proposition de loi sera examinée par notre commission le 3 mars prochain, avant un passage en séance publique le 11 mars suivant.

La commission désigne Mme Martine Filleul rapporteure sur la proposition de loi n° 164 (2020-2021) visant à lutter contre le plastique, présentée par Mme Angèle Préville et plusieurs de ses collègues.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous propose maintenant de procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à la création d'une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d'époque, qui sera examinée par notre commission le 3 mars prochain, avant un passage en séance publique le 11 mars suivant.

La commission désigne Mme Évelyne Perrot rapporteure sur la proposition de loi n° 174 (2020-2021) visant à la création d'une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d'époque, présentée par M. Jean-Pierre Moga et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi relative à la sécurité globale - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - J'en viens à la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui, sous réserve de ce que décidera la Conférence des présidents qui se réunit cet après-midi, devrait être examinée en séance publique du mardi 16 au jeudi 18 mars prochain.

La proposition de loi comportait initialement deux articles sur la sécurité dans les transports et la sécurité routière. L'Assemblée nationale l'a enrichie et ce volet comprend désormais une petite dizaine d'articles portant notamment sur la sûreté dans les gares et dans les transports, la vidéoprotection, la sécurité ferroviaire, la sécurité routière ou encore la surveillance des drones.

Du fait de l'accroissement du nombre de dispositions concernant les transports et dans la continuité des travaux antérieurs menés par la commission, une saisine pour avis sur les dispositions du texte dans le domaine des transports nous a parue souhaitable. En effet, l'acte de partage établi en 2012 confie à notre commission compétence en matière de transport et de sécurité routière. Nos travaux s'inscriront en complément de ceux de la commission des lois, saisie au fond de ce texte.

La commission désigne M. Étienne Blanc rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 150 (2020-2021), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale.

M. Jean-François Longeot, président. - Par ailleurs, le président Larcher, que j'ai rencontré hier soir, m'a confirmé que l'examen au fond du projet de loi Climat, présenté aujourd'hui en conseil de ministres, échoirait bien à notre commission et non à une commission spéciale. Je remercie d'ailleurs Didier Mandelli pour le soutien qu'il m'a apporté pour que notre commission pilote l'examen de ce texte que nous examinerons mi-juin.

Projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin - Audition de M. Hubert du Mesnil, président de la société Tunnel euralpin Lyon-Turin

M. Jean-François Longeot, président. - Nous accueillons aujourd'hui M. Hubert du Mesnil, président de Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), qui est, depuis 2015, le promoteur public contrôlé par la France et l'Italie chargé de la réalisation des travaux définitifs de la section transfrontalière et qui en assurera l'exploitation.

Vous le savez, la liaison Lyon-Turin est l'un des mégaprojets européens d'infrastructures de transport. Cette liaison est composée d'un tunnel transfrontalier, de 57 kilomètres de long, et d'environ 150 kilomètres de lignes nouvelles.

Il s'agit d'un projet ancien, entériné en 1994. Depuis lors, quatre accords entre la France et l'Italie ont été signés sur ce sujet, la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) a précisé que « l'État confirme son engagement dans la réalisation de la liaison ferroviaire internationale fret et voyageurs Lyon-Turin » et une dizaine de kilomètres du tunnel de base ont été creusés. Pourriez-vous nous faire un point d'avancement sur le chantier ?

Le Lyon-Turin, qui a vocation à s'inscrire dans le corridor méditerranéen du réseau de transport transeuropéen de transport (RTE-T), vise trois objectifs.

Son ambition est d'abord d'assurer un report modal vers le rail, tant du fret que des voyageurs, et de réduire le temps de trajet entre Lyon et Turin. À cet égard, pourriez-vous revenir sur la ligne de la Maurienne, qui relie déjà la région Rhône-Alpes à la frontière italienne, et sur les raisons qui ont conduit à privilégier la réalisation d'une nouvelle ligne ?

Ce projet vise ensuite à sécuriser les transports dans les Alpes franco-italiennes, après les drames que nous avons connus dans les tunnels du Mont-Blanc en 1999, et de Fréjus en 2005.

Son objectif est enfin de réduire les émissions polluantes et les nuisances sonores sur ce trajet. Sur ce dernier point, pourriez-vous nous en dire plus sur l'estimation de l'impact environnemental du projet ?

Avant de vous laisser la parole, je souhaite vous interroger sur trois points.

D'abord, pourriez-vous nous éclairer sur le calendrier du projet ? L'objectif de mise en service en 2030 est-il maintenu ? La ministre italienne des transports a annoncé en décembre dernier que 2032 était une « hypothèse plus raisonnable ». Qu'en pensez-vous ? En outre, dans son rapport de juin dernier, la Cour des comptes européenne estimait que la liaison ne serait probablement pas prête d'ici là et elle estimait que le chantier connaissait un important retard, qu'elle chiffrait à quinze années.

Nous souhaitons ensuite bénéficier de votre éclairage sur le financement du projet. Le protocole additionnel de mars 2016 fixe le coût de la section transfrontalière à 8,3 milliards d'euros. Là aussi, la Cour des comptes européenne a pointé dans son rapport d'importants dérapages budgétaires, avec une augmentation des coûts de 85 %. Qu'en est-il, d'après vous ? Pouvez-vous rappeler les parts respectivement prises en charge par la France, l'Italie et l'Union européenne, tant pour le tunnel de base que pour les voies d'accès ? Sur ce dernier point en particulier, l'Union s'est dite prête à financer 55 % des voies d'accès ; comment cette nouvelle a-t-elle été accueillie côté français ?

Enfin, ma dernière question porte sur les critiques dont le projet a pu faire l'objet. Dans un référé datant de 2012, la Cour des comptes en formulait un certain nombre, à savoir la faible rentabilité socioéconomique du projet, la révision à la baisse des prévisions de trafic, les incertitudes en matière de financement et le pilotage insuffisant de l'opération. Comment avez-vous réagi face à ces observations ? Les difficultés soulevées voilà près de dix ans ont-elles été toutes réglées ?

M. Hubert du Mesnil, président de la société Tunnel euralpin Lyon-Turin. - Je suis engagé depuis longtemps sur ce projet, puisque j'ai participé, en 2001, à une étape importante, avec le ministre Jean-Claude Gayssot, quelque temps après l'accident du tunnel du Mont-Blanc. À cette occasion, la France et l'Europe ont pris conscience du problème majeur que représentait la circulation des poids lourds dans les traversées alpines.

Il y a eu une longue période d'études, de travaux de reconnaissance et d'explorations géologiques. Certains ont trouvé cette période trop longue ; pour ma part, je pense que nous avons a eu raison de prendre le temps d'étudier la constitution de cette montagne. Une partie des délais a été due aux difficultés italiennes et aux violentes oppositions s'étant manifestées dans la vallée de Suse, qui ont obligé à reprendre le projet. On s'interrogeait encore récemment sur l'attitude de nos amis italiens, mais nous sommes maintenant entrés dans une phase définitive, à savoir le creusement du tunnel principal lui-même. En effet, nous préparons les appels d'offres pour attribuer les marchés de réalisation du tunnel. Nous sommes donc dans une phase de réalisation massive, puisque ces appels d'offres pour la réalisation du tunnel représentent 4 milliards d'euros.

Par ailleurs, pourquoi une nouvelle ligne ? Cette ligne appartient au réseau européen. L'Union européenne veut réaliser, depuis longtemps, un réseau ferroviaire de grande capacité, à l'échelle européenne, pouvant traiter tant le fret que les voyageurs. Ce réseau est structuré autour de neuf corridors ; il s'agit en l'espèce du corridor sud, dit « Méditerranée », qui va du sud de l'Espagne à l'est de l'Europe. Il passe par Montpellier, remonte vers Lyon, traverse les Alpes puis continue vers l'Italie et vers l'est.

Il existe déjà une ligne allant de Lyon à Turin, via le tunnel de Fréjus, donc pourquoi en réaliser une deuxième ? Le tunnel de Fréjus date de 1871 ; cette ligne historique ne peut pas répondre aux objectifs actuels, ce sujet doit être clos de manière claire. Il y a deux raisons à cela.

D'une part, cette ligne n'est pas adaptée au fret, puisqu'elle ne permet pas un trafic de grande capacité et à grande vitesse. En effet, s'agissant d'une ligne de montagne, il faut couper le train en deux - il ne peut peser plus de 600 tonnes - et il faut prévoir deux, voire trois locomotives. C'est donc coûteux et inefficace.

D'autre part, il s'agit d'un tunnel monotube. Or la réglementation européenne exige deux tubes pour le transport de fret sur des trains de grande capacité, comme le tunnel sous la Manche. Du reste, le tunnel que nous construisons sous les Alpes est l'équivalent de ce tunnel : deux tubes indépendants à voie unique, permettant que les trains ne se croisent pas, avec des possibilités de passage d'un tunnel à l'autre en cas d'accident.

La ligne historique peut faire passer des trains, mais en très faible quantité. Le trafic annuel est aujourd'hui d'environ 3 millions de tonnes alors qu'il était de plus de 10 millions de tonnes il y a quelques années.

Sur l'impact environnemental, commençons par l'aspect négatif : chaque fois que l'on fait des travaux dans la montagne, on produit du dioxyde de carbone, donc le bilan commence par être négatif. Toutefois, il devient ensuite positif, puisque l'on supprime les camions pour les mettre sur les trains.

Aujourd'hui, 8 % du trafic passe par le rail, et 90 % par la route. En Suisse, plus de 60 % du trafic passe par le rail. Notre objectif est d'atteindre près de 50 %. On supprimera des camions, en faisant passer un million de camions sur les trains plutôt que sur la route.

Nous allons donc produire des nuisances environnementales au début, avec le chantier, puis nous redresserons la situation en supprimant des camions. On peut discuter du nombre d'années nécessaires pour que le bilan devienne positif ; je ne suis pas expert, je ne prends pas position. Je veux néanmoins limiter au maximum les nuisances environnementales liées au chantier puis faire en sorte, une fois le tunnel ouvert, de mettre le plus vite possible les camions sur les trains.

J'en viens au calendrier. L'objectif fixé par les financeurs - l'UE, à hauteur de 40 %, l'Italie et la France - est 2030. Il a été dit que l'on n'y arriverait pas. Je ne sais pas ; ce calendrier est tendu, mais nous essayons de le tenir. La crise sanitaire nous ralentit, sans nous bloquer. Nous gardons l'objectif de 2030, car il figure dans le contrat qui nous lie à l'Europe et aux deux États impliqués. Notre devoir est de faire tout notre possible pour le respecter.

Fin 2021, nous négocierons le nouveau contrat de financement avec l'UE ; nous rediscuterons donc du calendrier. Faudra-t-il garder 2030 ou décaler le programme de deux années ? Je laisse les responsables des trois entités prendre en considération nos difficultés ; elles ne sont pas énormes, mais elles sont réelles. Il y a toutefois un arbitrage entre le coût et le calendrier ; augmenter le nombre de tunneliers permet d'aller plus vite, mais coûte plus cher.

J'en viens au budget. Le coût, estimé à 8,3 milliards d'euros, est financé à 40 % par l'Europe, à 35 % par l'Italie et à 25 % par la France. Cette estimation est la même depuis que le projet a été lancé, elle n'a pas changé. En 2012, les États se sont mis d'accord sur le processus et la création du promoteur ; en 2015 : le projet a été lancé, avec cette estimation. Tiendrons-nous jusqu'au bout ? Je ne fais pas de pronostic, nous faisons tout pour maintenir le budget, mais il n'est pas vrai que le budget ait flambé.

J'appelle votre attention sur le fait que ce montant concerne le tunnel lui-même, dont nous sommes chargés. Au-delà, il y a les accès au tunnel, du côté italien et du côté français ; ce sont deux autres projets. L'objectif est d'aménager l'ensemble de l'itinéraire Lyon-Turin, mais cette estimation ne porte que sur le tunnel.

La société binationale franco-italienne TELT, totalement publique, contrôlée à 50-50 par les deux États, est chargée du tunnel. Toutefois, il faut une coordination sur l'ensemble de l'itinéraire, parce que, dans le tunnel, les trains de voyageurs circuleront à 220 kilomètres par heure et les trains de fret à 120 kilomètres par heure. Si le tunnel est terminé, mais que les accès ne sont pas aménagés, on ne pourra pas utiliser les capacités du tunnel.

Nous soutenons donc les projets d'aménagement des voies d'accès, qui font l'objet de discussions difficiles. Faut-il commencer par Lyon, par Chambéry ? Ce n'est pas de notre compétence, mais le projet des voies d'accès doit être bien conduit.

L'Union européenne est sur la même ligne, au point qu'elle a offert une contribution pour financer les voies d'accès. Nous espérons que cela accélérera l'aménagement de ces voies. C'est déjà réglé du côté italien ; du côté français, c'est plus compliqué, plus long, plus coûteux. La France souhaitait attendre la construction du tunnel pour aménager les accès, mais cela repousserait cet aménagement à une date trop lointaine. Cela n'a pas été accepté à l'échelon européen. Nous travaillons avec SNCF Réseau pour avoir plus rapidement un programme phasé d'aménagement. D'ailleurs, la Commission a fait savoir qu'elle souhaitait augmenter de 40 % à 50 % son financement, avec un bonus de 5 %, car notre société binationale est un bon élève. Cela porterait le financement européen à 55 %, ce qui est exceptionnel ; ce projet a donc une dimension européenne forte et il a cheminé grâce à la détermination forte de l'Union.

Je connais les critiques qui nous ont été adressées, notamment celles de la Cour des comptes. En l'occurrence, la notion de rentabilité a été évaluée par huit méthodes différentes ; selon que l'on s'appuie sur une année de crise ou sur une année de croissance, nous obtenons des résultats différents. Toutefois, si l'on raisonne sur le très long terme, si l'on accepte l'idée que cet ouvrage est fait pour durer cent ans, cela ne change plus grand-chose. Je ne prends pas position dans ce débat. Ces méthodes ont été discutées et les autorités nationales et européennes ont décidé qu'il fallait se lancer dans le projet ; nous le faisons le mieux possible.

La société du TELT est considérée comme un bon élève par Bruxelles. Cette société binationale est complètement publique. C'est une condition que j'avais mise pour participer au projet ; j'ai vécu de près la construction du tunnel sous la Manche et je voyais qu'il fallait une société publique. Cela dit, cette société binationale est une organisation originale et cela demande des efforts d'adaptation culturelle entre les équipes françaises et italiennes, mais, si l'on accepte les différences, cela donne des résultats très bons, car il y a un personnel de grande qualité des deux côtés.

Du reste, les entreprises qui interviennent dans les chantiers sont presque toujours multinationales. Les groupements attributaires comptent des Français, des Italiens et souvent des Suisses ; ils associent des équipes de nationalités différentes, souvent des frontaliers, et cela fonctionne bien.

Un autre sujet qui nous importe, en dehors de l'environnement, est l'intégrité ; nous avons un mécanisme strict de contrôle pour éviter toute intrusion de la mafia.

M. Rémy Pointereau. - Monsieur le président, je suis heureux de votre nomination à la présidence du TELT ; en tant qu'ancien président de Réseau ferré de France, vous connaissez parfaitement notre réseau ferroviaire.

Notre commission a créé une mission d'information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, dont ma collègue Nicole Bonnefoy et moi-même sommes rapporteurs. Nous avons entendu dans ce cadre des propos contradictoires sur l'avenir du fret ferroviaire ; certains y croient beaucoup et envisagent un doublement de la part du ferroviaire, passant de 9 % à 18 %, d'ici à 2030, quand d'autres estiment qu'il faut renoncer à cette chimère du report modal.

Le projet du Lyon-Turin est fort heureusement fondé sur la première hypothèse. Quelles sont les prévisions de trafic sur cette liaison ferroviaire et quels sont les leviers pour favoriser le report modal ? Je pense notamment aux aides à l'exploitation et à la qualité de service.

Par ailleurs, pouvons-nous espérer que le Lyon-Turin augmente suffisamment le trafic de la ligne à grande vitesse (LGV) Paris-Lyon pour que soit construite la ligne Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL), qui aménagerait le territoire et doublerait cette LGV ?

M. Hubert du Mesnil. - Je commence par votre question sur les prévisions de trafic et la question du report modal. Quand le projet a été lancé, la SNCF avait l'intention de développer un réseau de TGV européen. Quand les États ont repris en main le projet et quand l'Union européenne l'a inscrit dans son projet de réseau, la composante du fret est devenue dominante, même si le tunnel doit être mixte.

Ainsi, si l'on pense que le fret ferroviaire n'a pas d'avenir ni d'intérêt, il faut mettre fin au projet, qui ne peut pas se défendre si l'on a seulement la perspective du transport de voyageurs. Il y a d'autres projets de transport de voyageurs qui sont plus urgents en France, dont celui que vous mentionnez.

Ce projet n'a donc d'intérêt que si l'on croit que le report modal est possible et nécessaire. Est-il nécessaire ? Tout le monde voit bien son intérêt environnemental. Est-il possible et à quelles conditions ? Nous partons avec un handicap important, car nous sommes parmi les pays européens dont le fret ferroviaire est au plus bas. Si l'on pense que l'on ne peut pas faire mieux et qu'il faut se contenter du trafic autoroutier, il faut renoncer au projet.

Néanmoins, je ne crois pas que ce soit impossible. J'ai été très impressionné, dans les années 2000, par ce qui s'est passé en Suisse. La situation alpine de ce pays rend le trafic difficile, mais les Suisses ont refusé le laisser-aller du transport routier et ont fait ce qu'il fallait pour assurer le report modal, c'est-à-dire investir dans des infrastructures performantes de fret, avec deux grands tunnels nord-sud à travers les Alpes, déjà terminés, et réguler le trafic routier, c'est-à-dire faire payer. Ils l'ont fait avec un soutien populaire fort. Ils ont donc les mêmes difficultés que nous, mais ils ont construit leurs tunnels et, maintenant, plus des deux tiers du trafic passent par le rail. Ce qui a été fait en Suisse relève de la même logique, du même objectif - la lutte contre la pollution, le développement ferroviaire - et des mêmes difficultés que nous. Pourquoi ce qui est possible en Suisse ne le serait-il pas en France ?

Toutefois, cela ne suffit pas. Si nous pensons être aussi capables qu'eux, pour que le fret ferroviaire soit important, il faut d'autres conditions, notamment la qualité de service et l'existence de sillons. Une fois que le train a traversé les Alpes, il doit passer par Lyon puis remonter vers le nord. Les sillons réservés au trafic de marchandises doivent être de qualité. Il faut donc, pour le fret, les mêmes exigences de fiabilité et de sécurité que pour les trains de voyageurs. On le sait, quand il y a des travaux ou des mouvements sociaux, les trains de fret ne passent pas, il n'y a pas d'engagement de qualité de service. Le report modal n'aura lieu que s'il y a une volonté en ce sens et cette volonté est largement partagée.

D'autre part, un effort national est nécessaire, avec des moyens financiers, des investissements sur le réseau et des priorités en faveur du trafic de marchandises pour que ce trafic réponde aux mêmes exigences de qualité ici qu'ailleurs. En Suisse et en Italie du Nord, on est étonné de la façon dont le transport de marchandises est traité. Nous avons, en France, des TGV ultraperformants, mais notre système pour les trains de marchandises a des années de retard.

Il faut donc travailler sur tous ces registres, mais l'idée que le report modal n'est plus opportun me choque profondément.

Sur la question de la ligne Paris-Lyon, je serai moins capable de vous répondre. L'attention de Bruxelles porte sur le corridor sud - Espagne, sud de la France jusqu'à Lyon, puis traversée des Alpes. Le Paris-Lyon n'y appartient pas. Cela dit, le raccourcissement considérable de la durée des trajets devait augmenter le trafic vers Turin, puisque l'on gagnera deux heures.

Il faut réfléchir au sujet Paris-Lyon en tenant compte des perspectives de croissance du trafic italien. Je ne sais pas où en est le projet de doublement sur lequel j'avais travaillé à l'époque. Les progrès techniques et l'amélioration des outils de signalisation devraient permettre de densifier encore les lignes actuelles. Je ne peux dire comment évoluera le trafic TGV dans ce monde où tout change si vite, mais l'axe Paris-Lyon restera la flèche de notre réseau national.

Très peu de passagers empruntent aujourd'hui le Paris-Turin, car le trajet est trop long. Nous allons gagner deux heures entre Lyon et Turin et je pense, même si d'autres sont plus compétents que moi pour évoquer ces questions, que la proximité entre ces deux dernières villes devrait conduire à un développement du trafic, y compris avec Paris.

M. Stéphane Demilly. - Comme vous l'avez souligné, le projet Lyon-Turin soulève de nombreuses critiques, notamment quant à sa rentabilité. Les prévisions d'évolution du trafic de passagers et de marchandises font l'objet de désaccords, tout comme le coût écologique de la ligne. Au-delà de ces critiques, qu'en est-il des toutes dernières estimations pour assurer la rentabilité économique et environnementale du projet ?

Ce dernier, tout comme le merveilleux canal Seine-Nord Europe, a été retenu par la Commission européenne au titre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE). Il est donc financé à hauteur de 40 % par des fonds européens. Souhaitez-vous également bénéficier du plan de relance européen ?

Mme Martine Filleul. - En ce qui concerne le report modal, vous avez évoqué l'exemple suisse, mais vous êtes resté assez flou sur les perspectives. Disposez-vous aujourd'hui de chiffres stabilisés ?

Avec Michel Vaspart, nous nous sommes demandé, dans le cadre de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, si le tunnel, les aménagements qui pourraient se faire sur l'axe routier Lyon-Turin et le canal Seine-Nord Europe ne conduiraient pas à privilégier les flux vers les ports du Nord, au détriment des ports français, notamment celui de Marseille. M. Vaspart s'intéressait particulièrement à la présence chinoise dans les ports italiens et à la question des routes de la soie. Pouvez-vous nous faire part de vos sentiments ?

M. Étienne Blanc. - Il s'agit d'un dossier essentiel pour l'économie et l'ouverture internationale de la région Auvergne-Rhône-Alpes, sachant que notre histoire est tournée vers l'Italie du Nord.

L'Europe accepte aujourd'hui de financer le tunnel de base à hauteur de 50 %. Or la priorité de Bruxelles est le transport du fret, non celui des voyageurs, pour des questions non seulement environnementales et économiques, mais aussi d'ouverture vers l'Europe de l'Est. Toutefois, pour que le fret soit effectivement au coeur de cet investissement, il faut améliorer les voies d'accès au tunnel de base, soit par la création d'une ligne directe entre Lyon et Saint-Martin-La-Porte, soit par l'amélioration de la ligne Dijon-Modane, sur les bords du lac du Bourget et traversant Chambéry. Les élus de la région ont donné leur priorité à une liaison directe entre Lyon et Saint-Martin-La-Porte. Quelle est la position de TELT ?

Nous avons, avec l'Italie, et même avec l'Europe, une discussion sur les délais. Bruxelles envisage de prendre un acte d'exécution pour s'assurer qu'ils seront bien tenus. Quelles décisions, quels actes juridiques, financiers et diplomatiques précis attendez-vous pour que ce délai de 2030 soit respecté et lever ainsi les craintes de la ministre italienne des transports, laquelle s'attend à un report au-delà de 2032 ?

M. Hubert du Mesnil. - Je ne me sens pas capable de décider quelle est la courbe du trafic qui justifie l'existence du tunnel. Après la crise financière de 2008 et la baisse de trafic qu'elle a induite, on a pensé que le projet ne se justifiait plus. Mais deux ou trois ans plus tard, le trafic était reparti à la hausse. Nous connaissons de nouveau une période difficile. Je suis totalement incapable de la moindre prévision. Il faut faire des études, certes, mais ce n'est pas à elles de dicter ce qui relève avant tout d'une décision politique.

Cet axe aura d'abord pour rôle de faciliter les liens entre les deux régions économiques Auvergne-Rhône-Alpes et Piémont, qui ont déjà beaucoup de raisons de multiplier leurs échanges - personnes et marchandises. Si l'on élargit notre vision, cet itinéraire permet de relier l'Espagne, le sud de la France, le nord de l'Italie et le nord de l'Europe. Il s'agit d'enjeux économiques déjà considérables.

Ce qui est certain, c'est que notre projet permet de faire passer un million de camions, soit une part significative des poids lourds qui traversent aujourd'hui les Alpes par les trois axes Mont-Blanc, Fréjus et Vintimille. Cela ne sera possible que si ces camions trouvent, de part et d'autre, des itinéraires et des réseaux suffisamment prioritaires pour passer.

Ce projet s'inscrit bien dans le Green Deal européen et les choix stratégiques pour accélérer les politiques de lutte contre le changement climatique et la transition écologique. C'est aussi la raison pour laquelle la Commission insiste pour lever tous les doutes sur la réalisation de notre projet, dans les délais.

Nous bénéficions du plan de relance français à hauteur de 200 millions d'euros et nous nous inscrivons également dans la politique européenne de relance économique.

Madame Filleul, je ne pense pas que ce projet soit défavorable aux ports français. Je ne vois pas pourquoi le port de Marseille, qui dispose de capacités absolument remarquables, serait pénalisé par rapport aux ports italiens. Certes, avant la crise, les Italiens ont fait les yeux doux à la Chine. À l'époque, on attendait de la Chine financements et soutien aux grands trafics internationaux. J'ai toujours été très réservé sur ces questions : ma mission n'était pas d'accueillir plus facilement le trafic chinois. Nous avons déjà beaucoup à faire dans nos territoires.

Il est possible d'améliorer les voies d'accès, notamment l'axe Dijon-Modane. J'ai beaucoup de sympathie pour cet itinéraire magnifique, le long du lac du Bourget, mais ce n'est plus le corridor Méditerranée. Notre sujet est d'aller à Lyon, puis de descendre vers l'Espagne. Je ne me prononce pas sur l'intérêt d'améliorer la desserte de Dijon, je dis simplement que cela ne résout pas le gros problème lyonnais - traversée de la ville, gare de la Part-Dieu... Nous n'échapperons pas à un important effort d'investissement pour traiter le noeud lyonnais.

Dans le langage bruxellois, l'acte d'exécution permet à l'Europe d'intervenir dans un rôle de coordinateur des travaux. La France a tendance à dire que chacun doit rester chez soi dès qu'il est question des accès français, mais nos amis italiens souhaitent évoquer ces questions, car l'itinéraire est unique. Le rôle de Bruxelles est donc important.

Au total, la France ne finance que 25 % du coût du tunnel. À côté de la question de la rentabilité économique, on peut se demander si la France n'a pas intérêt, en ne payant que 25 % de cet ouvrage, à développer un équipement de transport ferroviaire fret de grande dimension.

Toujours est-il qu'il s'agit d'une volonté européenne durable, qui remonte à plus de trente ans. Les majorités et les gouvernements se sont succédé, mais l'Europe est toujours restée sur la même ligne.

M. Jacques Fernique. - Les Suisses ont montré de façon éclairante la nécessité de mener une politique globale. Ils ne se sont pas contentés de lancer la construction de leur ensemble de tunnels de base. Ils ont fixé, en 1992, le nombre maximal de poids lourds autorisés pour les traversées transalpines et se sont donné les moyens de faire bouger le curseur modal avant la mise en service des tunnels en amenant le ferroviaire à 60 %. Pour ce faire, ils ont non seulement mis en place la redevance poids lourd liée à la prestation, l'éco-redevance, mais aussi utilisé à plein régime la ligne ferroviaire historique.

En France, j'ai le sentiment que nous commettons une erreur de priorisation. Une fois le tunnel de base achevé, ne risque-t-on pas de se retrouver avec une cathédrale dans le désert, faute d'avoir suffisamment fait bouger le curseur modal ?

M. Philippe Tabarot. - Avec le tunnel de Tende, plus petit, ma région connaît également les questions environnementales, de coût, de probité et de dialogue qui se posent entre Français et Italiens. Votre projet accuse d'ailleurs un retard de quinze ans, tout comme le nôtre.

J'aimerais revenir sur les changements politiques que vous subissez, notamment du côté italien - il me semble que la ministre des transports n'est plus en poste et qu'il n'y a toujours pas de gouvernement... En France, ce projet avait été porté à l'origine par les écologistes, ce qui est plutôt logique au regard de l'effort engagé sur le fret ferroviaire. Or j'ai du mal à comprendre l'opposition du nouveau maire de Lyon. Comme certains de mes collègues, je me demande si un projet né dans les années 1990 est toujours d'actualité aujourd'hui, notamment au regard des évolutions énormes que nous avons connues, ces dernières années, en termes de mobilité.

Nous avons obtenu, avec le président Muselier, la prolongation de ce fameux corridor européen sud entre Gênes et Marseille. Or, à chaque fois que je me suis rendu à Bruxelles pour discuter de ces questions, j'ai eu l'impression que l'Europe souhaitait davantage ce projet que la France et l'Italie. J'ai même pu croire que l'Europe leur forçait la main en expliquant qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible. Pouvez-vous nous rassurer sur ces différentes interrogations ?

M. Hubert du Mesnil. - Certaines évolutions politiques conduisent à des changements, à des questionnements, voire à des critiques. Je suis très troublé par la position des partis ou des mouvements écologiques. D'abord favorables au projet, en ce qu'il donnait priorité au report modal et au respect de la convention alpine, ils s'y opposent aujourd'hui. Report modal et protection de l'environnement sont pourtant les principales raisons d'être du tunnel. Et ces raisons sont aujourd'hui combattues par ceux-là mêmes qui les défendent, estimant que la voie actuelle suffit.

Nous n'arrivons pas à aborder ces questions de manière objective. La question de savoir combien de trains peuvent passer sur la ligne est rationnelle et appelle une réponse rationnelle, hors idéologie ou sensibilité. Il s'agit d'une analyse objective qui peut être vérifiée, expertisée. Or nous n'y arrivons pas et nous restons sur un malentendu fondamental. Nous en sommes là. Je ne sais pas si nous parviendrons à concilier nos positions, alors même que nous devrions partager la même ligne de préoccupations environnementales.

La politique italienne est assez subtile. En Italie du Nord, la volonté est très largement partagée dans les milieux économiques et politiques. Seul le Mouvement 5 étoiles s'y oppose, relayant ainsi les contestations très fortes de la vallée. Je pense que nos amis italiens ont commis une erreur en n'associant pas les territoires au lancement du projet, contrairement à ce que nous avons fait en France. Le tracé, réalisé de manière très technocratique, s'est heurté à un rejet total des élus et des habitants de la vallée, où circulait déjà une autoroute. Il n'y a pas eu de vrai débat public comme nous en connaissons. Le Mouvement 5 étoiles est resté dans cette opposition, mais sa collaboration au gouvernement Conte n'a pas freiné l'avancée du projet. Un point d'équilibre politique a été trouvé et il semble que la classe politique italienne y soit aujourd'hui globalement favorable.

Si la France a toujours avancé, on ne peut pas dire non plus qu'elle ait fait preuve d'une volonté farouche ni d'un très grand dynamisme pour aboutir. De fait, le projet a toujours été poussé par les présidents de la République successifs pour des raisons de rapprochement stratégique des régions européennes et de politique franco-italienne.

Je ne me place pas sur le terrain politique. Nos autorités publiques me fixent des objectifs que je m'efforce de remplir. Mon travail consiste à fournir aux deux États les éléments les plus précis possible pour que les politiques prennent les décisions. Ensuite, nous faisons le travail qui nous est demandé. Nous avons réussi à tenir ce cap, avec mon collègue italien directeur général, quelles que soient les péripéties politiques.

Fondamentalement, vous avez raison de dire que ce projet a tenu parce que l'Europe croit à ce réseau ferroviaire européen à grande dimension et à grande capacité. Elle croit que ce projet doit se faire pour permettre au corridor sud de fonctionner. Cette volonté a d'ailleurs permis de bousculer certaines résistances culturelles franco-françaises : nos concitoyens sont tous passionnés par le transport de voyageurs, mais bien peu par celui des marchandises. Lorsque je travaillais à Réseau ferré de France et que je voulais accorder une certaine priorité aux trains de marchandises pour leur permettre de rouler, on m'expliquait que je n'étais qu'un technocrate éloigné des problèmes des gens. Le président Huchon m'expliquait notamment que mes trains de marchandises qui ne pouvaient pas contourner Paris ne l'intéressaient pas, parce que son problème principal était d'assurer le trafic des RER. Je comprends bien la position d'un président de région, mais si les trains de marchandises ne peuvent ni traverser ni contourner Paris, il n'y aura tout simplement pas de trains de marchandises en France. Il est donc essentiel de trouver des compromis.

M. Joël Bigot. - Vous nous avez indiqué que l'Europe soutenait ce projet, ce qui constitue la condition de sa réussite, et prévoyait même d'augmenter son financement. Vous avez également souligné que neuf sillons étaient concernés en Europe, ce qui procédait d'une volonté politique de développer le fret ferroviaire.

Il semblerait, comme l'a souligné M. Fernique, que nos infrastructures ne permettent pas aujourd'hui de desservir l'accès à ce tunnel. Quand pensez-vous que la fluidité du trafic pourra être assurée côté français sur cette infrastructure très importante pour l'aménagement même du territoire européen ?

M. Olivier Jacquin. - Dans ce projet véritablement politique, la rationalité économique stricte peut être questionnée. Or vous ne m'avez pas rassuré sur un des points de fragilité énorme du projet, à savoir l'accès français au tunnel. Vous avez dit, de manière quelque peu ombrée, que votre objectif était de faire entrer un million de camions dans le tunnel. Or la réalisation de cet objectif environnemental que nous devons soutenir, a fortiori maintenant que le tunnel est quasiment achevé, nécessitera l'existence de réseaux de qualité en amont et en aval. Et c'est là qu'est la fragilité.

Je ne peux qu'inviter notre commission à recevoir une délégation suisse pour nous exposer le système mis en place. Comme l'a rappelé Jacques Fernique, les Suisses ont de la visibilité et des ressources affectées. Le directeur général adjoint du ministère suisse m'avait fait une remarque amusée, expliquant que des ressources affectées et une programmation sur quinze ans permettaient d'éviter beaucoup de bêtises, notamment de nombreux allers et retours inutiles.

On a évoqué l'ampleur des rénovations, qui pourraient s'étendre jusqu'à Dijon. Les camions auront-ils alors l'obligation d'emprunter des réseaux combinés dans des conditions acceptables ? Certains questionnent globalement le fret ferroviaire, mais il a ses champs de pertinence, notamment pour les longues distances. Demain, un camion venant d'Amsterdam pour aller en Italie sera-t-il obligé d'emprunter une autoroute ferroviaire qui passera par le Lyon-Turin ?

M. Didier Mandelli. - J'ai eu la chance, lorsque j'étais rapporteur de la loi d'orientation des mobilités, de découvrir ce chantier. Je rappelle que c'est l'un des plus grands chantiers du siècle par sa durée, par les volumes et par le nombre d'entreprises et de personnels engagés. N'oublions pas qu'il s'agit d'une prouesse technologique assez exceptionnelle, qui traduit le niveau technique de nos entreprises, de nos ingénieurs et de nos techniciens. Je crois que nous pouvons en être fiers. On a parfois tendance à oublier l'ampleur de cette belle réalisation et le niveau d'engagement des personnels concernés. Je souhaiterais que la commission puisse visiter ce chantier.

M. Hubert du Mesnil. - Je suis très sensible à votre témoignage. Je vous confirme que je serais très heureux de recevoir une délégation de votre commission.

Nous constatons que les personnes qui viennent voir le chantier n'ont pas la même appréciation du projet, d'abord parce qu'ils voient que cela commence à ressembler à un tunnel, que l'ouvrage est assez beau esthétiquement et que des entreprises françaises, italiennes et suisses réalisent des prouesses techniques absolument remarquables. Il s'agit vraiment d'un projet d'échelle mondiale. Les entreprises et les personnels font un travail qui n'est pas toujours facile. En outre, malgré la crise sanitaire, le chantier n'a pratiquement pas été arrêté : des dispositions extrêmement rigoureuses ont été prises, qui ont permis au chantier de se dérouler sans accident. Il faut saluer l'intelligence des entreprises ainsi que le travail de recherche et d'innovation.

Pour ce qui concerne le calendrier des accès, le projet est prêt du côté italien. Son financement va être assuré par le plan de relance italien, très largement soutenu par l'Europe. Il est prévu que, dans un premier temps, la ligne existante soit aménagée jusqu'à Turin, qui est proche de Suse. Ce ne sera donc pas difficile à réaliser.

Côté français, les choses ont été relancées il y a un peu plus de deux ans. SNCF Réseau réalise actuellement un travail pour reprendre le projet que nous avions préparé à Réseau ferré de France. Ce projet d'accès était abondant, puisqu'il prévoyait deux lignes nouvelles de Lyon jusqu'à Saint-Jean-de-Maurienne, l'une pour le fret et l'autre pour les voyageurs. Ce projet a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Il a été attaqué devant le Conseil d'État, qui l'a approuvé. Comme il est trop coûteux, le ministère a décidé de créer une commission de travail, présidée par le préfet, qui consiste à reprendre le projet qui a fait l'objet de la DUP et à le simplifier pour que la continuité du trafic soit assurée au moment de l'ouverture du tunnel, donc à l'horizon de 2030, et que l'on procède par étapes, une première étape permettant d'assurer un écoulement normal du trafic en 2030 dans le corridor qui va vers Lyon.

Deux scénarios, correspondant à deux itinéraires possibles, ont été approfondis. Le choix entre ces deux scénarios sera effectué l'année prochaine dans le cadre de la DUP. L'obstacle très important de la DUP ayant été franchi, le calendrier peut être compatible avec l'horizon de 2030-2032. Le choix entre les deux scénarios n'est pas facile. L'un accorde une priorité nette au fret et n'améliore pas beaucoup la situation pour les voyageurs dans un premier temps. Il y a un arbitrage à faire. Quoi qu'il en soit, la situation s'est plutôt bien rétablie. Quand le scénario sera choisi, nous pourrons aller de l'avant.

Il est vrai qu'il vaudrait mieux, pour un projet aussi long, que les financements soient assurés. Tel n'est pas vraiment le cas. L'Italie est le seul pays à assurer un financement pluriannuel du projet, le gouvernement Monti ayant fait voter un budget pluriannuel correspondant à 80 % de la part de l'Italie et à 35 % du coût total.

En France, nous sommes dépendants d'un vote annuel. Le financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) doit être renouvelé chaque année, même si nous avons l'engagement politique de l'État, qui nous autorise à signer les marchés.

Un travail a été réalisé voilà trois ou quatre ans pour proposer des financements d'une autre nature, notamment l'appel à l'eurovignette et un montage financier reposant sur un emprunt, qui n'a pas été accepté. La discussion n'est pas définitivement close, le respect des critères d'endettement étant en train d'être reconsidéré. Il est sans doute un peu dommage de ne pas recourir à l'emprunt pour financer un projet qui va durer plus de cinquante ans... En tout état de cause, le sujet reste ouvert.

Pour l'instant, l'Afitf nous accorde les crédits chaque année. Jusqu'à ces derniers temps, ces crédits étaient relativement modestes, mais les sommes seront nettement plus importantes en 2021, 2022 et 2023. L'Afitf devra gérer cette difficulté. Nous n'avons pas d'inquiétude particulière, mais on ne peut pas dire qu'il y ait un financement structuré, pluriannuel et assuré. On fonctionne un peu au coup par coup.

La situation n'est pas bien meilleure sur le plan européen : le financement était assuré jusqu'en 2021 et a été prolongé en 2022. La discussion va s'engager pour les prochaines années, mais il est désormais question de ramener à trois ans le contrat que nous pensions avoir pour sept ans. Autrement dit, nous n'aurons pas non plus de la part de Bruxelles un montant assuré avec les clés de financement que j'ai mentionnées. Je n'ai pas de doute sur la volonté d'aller jusqu'au bout, mais il faut périodiquement remettre le sujet sur la table et, chaque fois, discuter les conditions et les modalités. C'est probablement une faiblesse.

Concernant la régulation, je rappelle que MM. Destot et Bouvard avaient travaillé ensemble sur une proposition de montage, avec un emprunt qui était gagé en particulier par des recettes venant des axes autoroutiers, comme l'a fait la Suisse. Le sujet est sensible. Les deux parlementaires avaient démontré qu'il était possible d'opérer un prélèvement de coût assez modéré sur un très grand nombre de camions sur un territoire très large, comprenant Vintimille. Bruxelles avait plutôt vu cela d'un bon oeil. Je pense que le sujet n'est pas définitivement abandonné, mais, pour l'instant, il ne fait pas l'objet de propositions élaborées. Il faut vraiment jouer sur les deux pistes.

Faut-il interdire le trafic de camions ? Il faut en tout cas le réguler. On peut déjà contraindre le trafic en interdisant toute une catégorie de camions - ceux qui transportent des marchandises dangereuses, ceux qui ne respectent pas les normes environnementales... - et grâce à la tarification.

La volonté de l'Europe est de supprimer la possibilité qu'un camion traverse l'Europe entière, depuis la Lituanie jusqu'au Portugal. Une partie du trafic intraeuropéen devrait passer sur le train.

M. Hervé Gillé. - On a du mal aujourd'hui à visualiser la stratégie logistique qui devrait se mettre en place pour essayer d'optimiser les flux vers cet ouvrage. On a le sentiment que c'est la logique du marché qui va s'appliquer et qu'il n'y a pas d'anticipation. Pourriez-vous nous donner des éléments d'appréciation à ce sujet ?

On peut penser que, demain, certaines liaisons aériennes pourraient être supprimées pour transférer le trafic sur la liaison ferroviaire. Le débat est-il d'ores et déjà ouvert pour anticiper au mieux ce transfert ?

Il est toujours difficile d'objectiver ce que l'on appelle « l'impact environnemental » de ce type de projets. Une évaluation environnementale de qualité du tunnel, projet emblématique aux niveaux européen comme mondial, permettrait d'apporter des clés de méthode et d'enrichir le débat politique. Qu'en pensez-vous ?

M. Hubert du Mesnil. - Je répondrai à vos questions avec beaucoup de modestie...

Les flux de marchandises évoluent, parce que le marché évolue. La crise obligera sans doute elle aussi à évoluer. L'emballement de l'économie a entraîné une mobilité très forte et une logistique débridée, avec une fuite en avant de tous les moyens pour obtenir les coûts les moins chers possible. On a vu à quoi cela pouvait nous mener sur le plan environnemental. J'espère que, la crise aidant, la logistique internationale sera mieux régulée et que l'emballement va pouvoir se calmer.

Il faut combiner la liberté du marché de la logistique avec une offre d'infrastructures de qualité et une régulation économique : il n'est pas normal que des déplacements ne coûtent rien. Je pense aux bateaux transportant des conteneurs de Chine à des prix défiant toute concurrence. Il faut donner aux choses leur véritable valeur. Un transport qui produit de la pollution, comme peut le faire un camion, doit la payer d'une manière ou d'une autre.

La crise vient de nous montrer que le laisser-faire ne conduisait pas forcément à l'optimisation. Les autorités compétentes, aux niveaux national, européen comme international, doivent prendre le sujet en main. Il y a certainement encore beaucoup de choses à faire si l'on veut redresser la situation et ne pas s'enfoncer dans la crise.

Nous avons bien avancé sur le sujet de l'impact environnemental : les normes sont de plus en plus nombreuses, une surveillance administrative est mise en place... Nous avons ainsi 141 points de contrôle, où l'on mesure en permanence, en collaboration avec des organismes publics et sous le contrôle des ministères, la qualité de l'eau et de l'air, l'intensité du bruit, le nombre de poussières, etc. Au-delà des beaux discours, la question de l'environnement passe par des aspects techniques très concrets et des considérations scientifiques.

L'impact environnemental passe d'abord par une maîtrise du chantier. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès, mais on peut encore en faire beaucoup. Je n'en donnerai qu'un exemple : celui des matériaux qui sortent du tunnel. Notre objectif est que plus de la moitié de ces matériaux soient réutilisés, pour faire du béton, des remblais, du réaménagement paysager, pour boucher les carrières... Or, aujourd'hui, il n'est pas possible de faire passer les matériaux de part et d'autre de la frontière italienne, parce que les réglementations française et italienne ne sont pas compatibles. L'Europe ne peut-elle pas oeuvrer à une vision circulaire globale intégrée et à une harmonisation des règles pour que l'on puisse optimiser la gestion de nos matériaux comme on optimisera les transports de marchandises ?

Sur ce sujet, la raison peut l'emporter, surtout si l'intérêt pour tous de progresser sur l'environnement est bien perçu. Je suis en train de mobiliser les ministères compétents pour essayer de trouver une solution à ce problème - j'aurais ainsi contribué à l'Europe à ma modeste manière... J'espère que nous y parviendrons.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci, monsieur le président, pour la clarté de vos propos et pour cet échange particulièrement intéressant.

M. Hubert du Mesnil. - Je renouvelle l'invitation pour ceux d'entre vous qui le veulent dès que les circonstances le permettront.

La réunion est close à 11 h 05.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de Mme Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France. Pour ma part, c'est la première fois que je vous reçois depuis mon élection à la présidence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Lors de vos deux dernières auditions devant notre commission, en février 2019 et en mai 2020, nous avions pu aborder l'avenir du Grand Paris, le projet de liaison Charles-de-Gaulle Express, la loi d'orientation des mobilités (LOM), la gestion de la crise sanitaire et votre vision de l'après-crise en Île-de-France.

Votre audition d'aujourd'hui nous permettra de poursuivre ces échanges et de traiter d'autres enjeux essentiels pour votre région.

Je pense d'abord à la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui comporte plusieurs articles relatifs à la sûreté dans les gares et les transports, visant à adapter les compétences et conditions d'intervention des services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF (SUGE, service de la sûreté générale pour la SNCF, et GPSR, le groupe de protection et de sécurité des réseaux pour la RATP), à faciliter la transmission aux forces de l'ordre des images réalisées en vue de la protection des véhicules et des emprises immobilières des transports publics de voyageurs, à renforcer les enquêtes administratives sur les personnels concourant à l'exploitation des services de transport ou encore à pérenniser l'expérimentation du port de caméras mobiles par les agents de la SNCF et de la RATP.

Nous portons une attention constante à ces sujets qui, je le sais, vous sont également chers. Nous avions eu l'occasion d'y travailler en 2016 dans le cadre d'une mission d'information commune avec la commission des lois sur la sécurité dans les transports face à la menace terroriste, dont nos collègues Alain Fouché et François Bonhomme étaient rapporteurs. Les propositions formulées dans ce cadre avaient ensuite nourri les travaux de notre commission sur la loi dite « Savary », sur la loi pour un nouveau pacte ferroviaire en 2018, dont Gérard Cornu était rapporteur, et plus récemment, en 2019, la loi d'orientation des mobilités, dont Didier Mandelli était rapporteur.

En cohérence avec ce travail, notre commission s'est saisie pour avis du volet relatif à la sûreté et à la sécurité dans les transports de la proposition de loi relative à la sécurité globale et a désigné, ce matin, Étienne Blanc, rapporteur pour avis.

Quel regard portez-vous sur les mesures inscrites dans cette proposition de loi ? Avez-vous des propositions complémentaires à nous faire dans l'objectif de renforcer encore davantage la sécurité dans les transports publics de voyageurs ? Que vous évoquent les réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ?

Deuxième sujet sur lequel nous souhaiterions vous entendre : l'ouverture à la concurrence des transports en Île-de-France avec d'abord le réseau Optile pour la couronne parisienne, et bientôt les services de transport ferroviaire. Le 10 décembre dernier, Île-de-France Mobilités (IDFM), que vous présidez, a adopté son calendrier pour les lignes opérées par la SNCF sur le réseau francilien, avec un début programmé pour 2023. Comment se déroule le processus à ce stade ? Avez-vous identifié des freins qui nécessiteraient une intervention du législateur ou de l'État ?

Autre sujet connexe, l'évolution du modèle de financement des transports. La crise sanitaire a entraîné un manque à gagner important pour Île-de-France Mobilités, du fait de la baisse du versement mobilité et des recettes passagers. En outre, alors que la prochaine génération de contrat de plan État-région (CPER) pour 2021-2027 se profile, il faut définir de nouvelles priorités et il y aura des arbitrages à réaliser.

L'État a compensé une partie des pertes accusées au plus fort de la crise, mais est-ce suffisant ? Pourriez-vous faire le point sur les besoins financiers nécessaires au maintien et au développement des mobilités structurantes en Île-de-France ?

Quelles sont vos priorités pour les mobilités en Île-de-France ? Au-delà des mobilités actives, avec un ambitieux plan Vélo que vous mettez en oeuvre, quels sont vos projets pour les mobilités partagées et les infrastructures de transport dans votre région ?

Mes collègues vous interrogeront sans doute sur le Charles-de-Gaulle Express, projet que nous suivons depuis son lancement. Le calendrier de mise en service a été décalé de deux ans, à fin 2025, et ce service ne sera donc pas disponible pour les jeux Olympiques et Paralympiques, ce que l'on ne peut que regretter.

Récemment, le tribunal administratif de Montreuil a annulé partiellement un arrêté interpréfectoral du 11 février 2019 portant autorisation environnementale, à la demande de la commune de Mitry-Mory. L'État a fait appel de ce jugement avec les exploitants. Alors que l'acceptabilité du projet semblait acquise, notamment compte tenu des engagements pris pour maintenir et rénover le RER B, cette décision est un nouveau coup dur. Alors, comment voyez-vous la suite pour le CDG Express ?

J'en profite pour vous interroger sur un point d'actualité, à savoir la commande des 146 nouveaux trains du RER B, pour laquelle Alstom a décidé de retirer l'offre de Bombardier. Quels recours entendez-vous engager contre cette décision pour imposer à Alstom l'exécution du contrat ?

Ensuite, je souhaiterais avoir votre regard sur l'aménagement du Grand Paris et de la région d'Île-de-France. Lors de votre audition en 2019, dans le contexte des « gilets jaunes », vous aviez rappelé que le phénomène de désertification touche également votre région, pourtant très dynamique au plan macroéconomique global.

La crise sanitaire a encore accru le fossé entre les territoires et mis en lumière des problématiques qui avaient été reléguées au second plan ; je pense notamment à l'accès territorial aux soins, qui devient un serpent de mer. Notre commission a fait de nombreuses propositions pour réguler l'offre de soins et résorber les déserts médicaux, mais elles n'ont pas été reprises par l'État à ce jour. Quelles sont vos priorités d'action aujourd'hui pour lutter contre la désertification en Île-de-France ?

Comment garantir un équilibre territorial en région Île-de-France, entre centre et périphéries, territoires dynamiques et territoires en difficulté, entre quartiers prioritaires et territoires ruraux ?

Enfin, avant de conclure, un mot sur la qualité de l'air, qui, je le rappelle, entraîne environ 47 000 décès par an en France selon l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) et un coût global à environ 100 milliards d'euros par an selon un rapport de notre assemblée. La Cour des comptes a rendu en juillet dernier un nouveau rapport à la demande de la commission des finances du Sénat dans lequel elle regrette des niveaux encore préoccupants de polluants dans l'air malgré une diminution sensible depuis les années 1990. Elle doute de l'atteinte des objectifs fixés pour les oxydes de soufre, les particules fines et les ammoniacs à l'horizon de 2030. Elle appelle à une articulation accrue entre l'État et les collectivités tant sur le plan de la conception des politiques publiques que des financements et note que les mesures nécessaires pour améliorer la qualité de l'air ne pourront être acceptées que si elles font l'objet d'un débat public suffisamment documenté. Pouvez-vous nous rappeler les actions que vous menez sur ce dossier ? Avez-vous des propositions à nous faire en la matière ? Je vous remercie.

Mme Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France. - Vos questions sont nombreuses et les sujets vastes !

Les transports publics constituent beaucoup plus qu'un moyen de déplacement dans une métropole, ils contribuent à la qualité de vie, au développement économique et participent à la transition écologique. Toutefois, leur situation est préoccupante, la crise sanitaire ayant bouleversé leur modèle économique. Ils souffrent aussi d'un sous-investissement chronique pendant des décennies. Île-de-France Mobilités dispose d'un budget de 10,8 milliards d'euros et nous travaillons en liaison avec l'État pour compenser ce manque d'investissement : la région rénove les matériels et développe de nouvelles offres ou de nouvelles lignes, tandis que l'État intervient par le biais du Grand Paris Express ou du CPER, auxquels participent aussi les départements et la Ville de Paris.

La crise sanitaire a conduit à une forte limitation des déplacements compte tenu du télétravail, la crainte de prendre les transports en commun s'est installée et le nombre de touristes a baissé de 80 %, soit 40 millions de touristes de moins. Le nombre de voyageurs a baissé de 50 % et pendant le confinement de mars 2020, la fréquentation était à 10 % ! En 2020, nous avions estimé que la perte de recettes s'élèverait à 2,6 milliards d'euros, soit 25 % de nos recettes, ce qui correspond à la situation de la plupart des autres autorités organisatrices de transport (AOT) en France et dans le monde.

Pour y faire face, nous nous sommes mis d'accord avec l'État sur un plan de renflouement de 2,6 milliards d'euros, avec des subventions directes pour compenser les pertes de recettes au titre du versement mobilité, c'est-à-dire des cotisations des entreprises, tandis que, pour les pertes de recettes liées à la chute du nombre de passagers, un système d'avances remboursables, et non de prêts, a été prévu, car la réglementation européenne nous interdit de nous endetter au-delà de quinze ans, si nous voulons continuer à bénéficier des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI).

Nous nous sommes fixé comme objectif de renouveler intégralement le matériel roulant d'ici à 2032 - RER B et toutes les rames de métro, ferré et sur roues. D'ici à la fin de l'année 2021, 700 rames neuves ou rénovées auront déjà été livrées. Notre plan est donc très ambitieux pour un réseau de transport décarboné, fiable, vidéoprotégé, bref conforme à l'image que l'on veut donner de la capitale de la France, ce qui est nécessaire si nous voulons améliorer la qualité de l'air et réussir la transition écologique. Nous voulons maintenir notre plan d'investissement et l'État a accepté de nous renflouer, avec une avance remboursable de 1,6 milliard d'euros, que nous commencerons à rembourser progressivement à partir de 2023, et surtout à partir de 2028, date à laquelle nous aurons fini d'acheter tout le matériel roulant neuf pour les RER B et les métros mais aussi pour le Grand Paris Express, que nous allons opérer lorsqu'il sera achevé.

Nous espérions que l'année 2021 serait l'année du retour à la normale ; ce n'est pas le cas. Nous avons dû voter en décembre dernier un budget en déficit de 1 milliard d'euros, ou, plus précisément, qui inscrit un plan de renflouement de l'État de 1 milliard d'euros, car nous n'avons pas le droit de voter un budget en déficit. Certains de nos voisins, comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, en sont déjà à leur deuxième plan de renflouement. Il est prévu que nous ferons le point à l'été, après les élections et lorsque nous aurons plus de visibilité sur la pandémie. Nous estimons que le manque à combler s'élèvera à 1 milliard d'euros, voire plus si un nouveau confinement devait intervenir, affectant les recettes du versement mobilité. La situation est donc instable, mais nous maintenons le cap : investissements massifs, circulation des trains maintenue au maximum pour garantir la plus grande distanciation sociale possible, même si l'offre de transports a été réduite après 18 heures.

J'en profite pour aborder la question de la gratuité des transports en IDF. Les recettes voyageurs d'IDF Mobilités s'élèvent à 4 milliards d'euros, dont une partie est prise en charge par les employeurs mais ceux-ci n'auraient plus rien à rembourser si les transports étaient gratuits ! Cette piste ne semble donc guère envisageable, d'autant plus que le versement mobilité est déjà très élevé en Île-de-France - il atteint 3 % de la masse salariale, pour un montant de 4 milliards d'euros -, et que les entreprises se plaignent du poids des impôts de production. Les entreprises payent déjà beaucoup et il s'agit d'une vraie cotisation sur les salaires, il faut le dire.

Comment financer la gratuité ? Il faudrait doubler le versement mobilité en Île-de-France, ce qui est totalement impossible et impensable, surtout en cette période post-Covid où les entreprises sont en très grande difficulté et où l'emploi doit être notre priorité absolue. À ce stade, je ne vois pas de mode de financement crédible à hauteur de 4 milliards d'euros. Si l'on créait une taxe sur les ménages, cela représenterait 500 euros d'impôts par an et par ménage. Le problème, c'est qu'on ferait payer les cyclistes, les piétons, les retraités qui ne prennent pas les transports ou très peu... J'ajoute que la gratuité, dans une région très touristique comme la nôtre, représente un effet d'aubaine pour les touristes. Au lieu de faire financer une partie du fonctionnement des transports par les visiteurs étrangers, on ferait payer les contribuables français.

La gratuité est illusoire en Île-de-France parce que les montants de recettes à trouver sont trop importants. Nous ne sommes pas ici dans un réseau de bus qui coûte 1 million d'euros et qui peut être financé intégralement par les entreprises, comme c'est le cas à Niort. Notre réseau coûte 10,8 milliards d'euros par an, et les entreprises payent déjà 4 milliards.

Autre problème, ceux qui prônent la gratuité le font soi-disant pour des motifs écologiques. L'illusion écologique, c'est de dire que si les transports étaient gratuits les Franciliens lâcheraient leur voiture et prendraient davantage les transports en commun, ce qui entraînerait une moindre pollution de l'air. Nous avons fait réaliser une étude indépendante il y a un peu plus de dix-huit mois quand ce sujet est venu sur la table, porté par les communistes franciliens. Cette étude a montré que seuls 2 % des automobilistes franciliens arrêteraient de prendre leur voiture si les transports en commun étaient gratuits. En effet, si on prend sa voiture, ce n'est pas parce que le transport est cher. Le pass Navigo en Île-de-France après le remboursement des employeurs coûte 37,60 euros par mois, soit un peu plus d'un euro par jour pour un pass Navigo totalement dézoné, qui permet de traverser l'Île-de-France et de faire autant de trajets que l'on veut.

Le problème vient de l'offre : ceux qui prennent leur voiture le font parce qu'il n'y a pas de transports en commun pour leurs déplacements ou parce que les transports en commun sont vétustes, pas assez ponctuels, pas assez sûrs. Pour diminuer la place de la voiture dans les déplacements en Île-de-France, il faut proposer une offre qui soit, à la fois, plus étendue - plus de lignes, plus de trains - et meilleure, ce qui suppose beaucoup d'investissements.

En réalité, il faut de l'argent pour avoir des transports plus propres et décarboner l'Île-de-France. Se priver de ressources serait une aberration anti-écologique. On ne peut pas comparer l'Île-de-France à une ville qui n'a ni métro ni RER. Je tenais à le dire, car vous allez être saisis de ces sujets. J'ajoute qu'il serait très injuste de faire financer la gratuité par des taxes sur des personnes qui ne prennent pas les transports en commun. Le principe de la redevance pour service rendu, de l'utilisateur-payeur, est le principe le plus juste. Enfin, je crains que les usagers ne dégradent les transports publics si ceux-ci sont totalement gratuits.

La situation financière des transports n'est donc pas totalement stabilisée, mais relativement sous contrôle.

J'en viens à la sécurité, qui est un enjeu très fort dans les transports en commun. Il existe aujourd'hui un ressenti d'accroissement de l'insécurité, qui ne se traduit pas dans les chiffres de la délinquance recueillis par la préfecture de police. Comme le nombre de personnes transportées a diminué de moitié, le nombre d'actes par voyageur augmente. Une bonne partie de la délinquance qui se déroulait dans les transports en commun touchait surtout les touristes : en effet, ces deniers portent plus difficilement plainte, ont souvent de l'argent liquide sur eux, ne parlent pas notre langue, sont perdus... Les réseaux mafieux de pickpockets, qui sont souvent internationaux et emploient de nombreux mineurs isolés, se focalisaient donc largement sur les touristes, notamment asiatiques ou américains. Comme il n'y a plus de touristes, la délinquance se reporte sur les usagers du quotidien.

Sur la sécurité, Île-de-France Mobilités a fait un double choix. D'abord, mailler totalement en vidéoprotection l'ensemble du réseau. Le réseau de surface, les bus, les gares et maintenant les gares routières sont vidéoprotégés. Ensuite, assurer une présence humaine en plus de la vidéoprotection massive. Nous avons recruté 1 000 personnes supplémentaires grâce à des financements d'Île-de-France Mobilités sur les réseaux RATP, SNCF et Optile. Il peut s'agir de personnels sous statut, mais il est aujourd'hui difficile de recruter et de former de tels personnels rapidement. Nous avons également recruté des médiateurs et de la sécurité privée, notamment des équipes cynophiles pour détecter les explosifs afin d'aller plus vite dans la levée de doute en cas de colis suspects.

Le numéro d'appel d'urgence 3117, qui était un numéro SNCF, a été étendu à l'ensemble du réseau RATP ; il s'adresse aussi aux femmes victimes de violences, un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Île-de-France Mobilités est en train de financer, à hauteur de 8 millions d'euros, la préfecture de police afin de disposer rapidement d'un centre régional de coordination opérationnelle de sécurité, c'est-à-dire d'un centre unique comprenant la SNCF, la RATP, la police et la gendarmerie et couvrant tout le réseau de l'Île-de-France.

Nous avons aussi un partenariat tout à fait innovant avec la gendarmerie nationale qui nous permet de disposer de 1 000 patrouilles de réservistes de gendarmerie dans les bus de la grande couronne.

J'ai souhaité que les forces de sécurité dans les transports puissent être équipées de caméras-piétons pour apaiser les relations entre elles et la population, mais aussi leur permettre d'avoir des preuves quand elles se font agresser et que les vidéos sont uniquement à charge.

Je regrette que les agents de sécurité privée qui patrouillent dans les transports n'aient pas de pouvoir d'éviction dans les bus et les gares pour interdire ces lieux à des personnes qui causeraient des troubles manifestes. Ils doivent faire appel à un policier de la police nationale ou à un agent assermenté.

Autre sujet complexe, celui des abords de la gare. Les délinquants évacués d'une gare s'agglutinent sur le parvis, qui relève de la compétence de la police municipale ou nationale, et non plus de celle des agents de sécurité des opérateurs de transports. Nous rencontrons également des problèmes avec les réseaux de pickpockets mineurs ou soi-disant mineurs, notamment étrangers. Je plaide depuis longtemps pour l'élargissement de l'interdiction de paraître qui peut être prononcée lorsqu'un pickpocket ou un harceleur est condamné.

L'élargissement de l'interdiction de paraître à tout le réseau francilien serait, paraît-il, inconstitutionnel, car il constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir. Le juge n'a le droit de prononcer cette interdiction que ligne par ligne, ce qui n'est pas très efficace... Nous aimerions que l'interdiction de paraître soit élargie au moins à l'ensemble du réseau de métro, ce qui laissera le réseau de surface pour se déplacer. Avec les pickpockets et les harceleurs, nous avons vraiment une délinquance de multirécidivistes : un pickpocket par an, ce sont des milliers d'actes, et donc des milliers de personnes importunées. Les interdictions de paraître ont permis, par exemple, de pacifier complètement les matchs de foot. Ces sanctions me paraissent proportionnées et très utiles : si l'on reconnaît la personne, on peut la faire sortir du réseau avant qu'elle ne commette un acte réprimé.

Sur le réseau de transport, la règle de la comparution devant un officier de police judiciaire (OPJ) dans l'heure de la personne qui a commis un délit nous pose problème. Cette obligation mobilise énormément de monde. Il peut se produire que l'on n'arrive pas à faire comparaître une personne dans l'heure, par exemple à cause des embouteillages. Nous sommes favorables à la comparution devant un OPJ par smartphone, mais cette solution est juridiquement assez compliquée.

De la même façon, nous pensons que les pré-plaintes pour les femmes victimes de violences devraient être expérimentées. Notre étude sur les femmes victimes de violences dans les transports montre que 80 % des cas de harcèlement de femmes dans les transports sont commis en semaine, le soir, c'est-à-dire entre 18 heures et 20 heures, quand les femmes rentrent du bureau. C'est le pire moment pour aller porter plainte, puisqu'elles sont en train de rentrer chez elles, où une autre vie commence, avec des obligations familiales... Elles ne portent pas plainte ; or les vidéoprotections ne sont gardées que 72 heures, ce qui pose un problème de preuve. Un dispositif de pré-plainte sur internet permettrait de suspendre la destruction des vidéos.

Avec la CNIL, nous avons deux dossiers. Le premier devrait être réglé assez facilement et le second pose des problèmes fondamentaux, éthiques.

Il s'agit, d'abord, de l'assouplissement des conditions d'expérimentation du traitement des images vidéo par une intelligence artificielle, sans reconnaissance biométrique. Nous avons innové pendant la crise sanitaire en mettant très vite en place avec la RATP une expérimentation de comptage des masques dans les transports en commun - une start-up nous avait proposé de faire un algorithme à cette fin. Cela nous a beaucoup aidés, car nous avons vu quelles lignes posaient problème : nous avons distribué des masques dans les quartiers populaires. Nous avons été obligés de suspendre cette expérimentation à cause de la CNIL, alors même qu'il y avait aucune reconnaissance biométrique, parce que nous n'avions pas les autorisations.

Deuxième sujet : nous avons besoin d'un cadre légal sur la question de la reconnaissance faciale. J'ai proposé la création d'un comité d'éthique ; il serait intéressant que le Sénat puisse aussi se saisir de cette question. Mon objectif n'est pas de généraliser la reconnaissance faciale tous azimuts. Aujourd'hui, le réseau de transport est complètement fermé : des valideurs de tickets sont installés dans quasiment toutes les grandes gares, avec des caméras. Nous sommes en Vigipirate rouge, et il est assez rageant de se dire que passent certainement devant ces caméras des personnes recherchées pour des actes très graves et que nous n'avons pas la possibilité légale et juridique de les reconnaître.

Beaucoup de pays recourent déjà à cette mesure. Je ne voudrais pas qu'il faille un drame pour réussir à débloquer ce dossier, comme cela a été d'ailleurs le cas pour le fichier des délinquants sexuels. Il est tout même paradoxal que l'on soit davantage protégé dans un avion de 300 places que dans un train de 1 000 places... Est-ce parce que les assureurs des avions sont privés et que le train est assuré par l'État lui-même ?

Sur la qualité de l'air, il nous faut davantage de transports en commun neufs, rénovés et décarbonés. J'ai acté en arrivant à la présidence d'Île-de-France Mobilités la fin définitive de l'achat des bus diesel. Il n'y aura plus de bus diesel en circulation dans l'aire urbaine en 2025 et dans l'ensemble des territoires ruraux en 2029. À la fin de cette année, 27 % du parc de bus sera composé de véhicules propres, contre 6 % en 2015, pour un investissement de 4 milliards d'euros. Le renouvellement des bus et nos investissements dans les bus propres ont permis à Île-de-France Mobilités de réduire les émissions de sa flotte de bus d'un tiers pour les émissions de dioxyde d'azote et de 5 % pour les émissions de CO2.

S'agissant du réseau ferré, nous n'avons plus qu'une seule ligne non électrique, la ligne P en Seine-et-Marne. J'ai pris l'engagement de l'électrifier : ce sera fait en 2022 pour la branche Paris-Provins et je souhaite inscrire dans le prochain CPER la ligne Paris-La Ferté-Milon. Nous aurons ensuite un réseau ferré totalement électrique, donc totalement décarboné.

Sur la pollution de l'air dans le métro et dans les gares RER souterraines, là aussi, le renouvellement des métros va permettre de changer la donne : nous allons généraliser les freinages électrostatiques. Par ailleurs, nous avons investi 200 millions d'euros dans des systèmes d'évacuation de l'air pollué et de renouvellement de l'air et 150 millions dans des extracteurs. Nous sommes en train d'innover avec des appels à projets de dépollution de l'air dans le métro, avec des filtrages par ionisation positive qui permettent de capturer 20 à 30 % des particules fines dans l'air ambiant de la station, mais aussi avec du captage à la source des particules issues du freinage derrière la roue, grâce à un dispositif d'aspiration situé derrière les freins.

Bien évidemment, en matière de pollution de l'air, il ne faut pas oublier d'évoquer la route. Île-de-France Mobilités serait extrêmement heureuse dans le cadre de la loi « 4D » de se voir confier la compétence des routes d'intérêt régional, c'est-à-dire le périphérique, l'A86, l'A104, et les autoroutes pénétrantes dans Paris au-delà des péages.

Nous voulons mettre fin à l'autosolisme : en Île-de-France, il y a en moyenne 1,1 passager par voiture. Nous voulons développer le covoiturage et les liaisons de bus à grande vitesse avec des parkings-relais. Ce système marche très bien sur l'A10 dans l'Essonne, il est en train d'être mis en place sur l'A12 dans les Yvelines et bientôt sur la N118. Dans le car, on peut télétravailler, envoyer des messages... Avant, on prenait sa voiture parce qu'on pouvait y téléphoner, écouter la radio ; aujourd'hui, on peut tout écouter avec un casque dans un car. Le temps de transport en commun est vécu comme un temps non plus subi, mais choisi. Pour cela, il faut utiliser les bandes d'arrêt d'urgence. La congestion de l'Île-de-France est telle que si l'on met en place ce système en supprimant des voies on va vers la thrombose !

Malheureusement, faute d'investissements routiers, la seule solution que l'État nous propose pour l'instant est de supprimer des voies sur des autoroutes pénétrantes dans Paris ou sur le périphérique. Une étude vient d'être faite par la mairie de Paris sur l'acceptabilité de la suppression d'une voie sur le périphérique : la population y est complètement opposée. Dans une période où de nombreux Français ont repris leur voiture parce qu'ils se méfient des transports en commun, il est compliqué de supprimer des voies. Je préférerais qu'on attende la réalisation du Grand Paris Express pour s'attaquer à la place de la voiture.

Par ailleurs, il faut que nous allions vers le changement de motorisation des véhicules, et donc vers l'installation de bornes de recharge pour véhicules électriques - c'est un frein important à l'acquisition de tels véhicules. Nous devons prévoir des aides au remplacement de véhicules polluants. Nous lançons aussi, en partenariat avec Renault, l'idée qu'il faut remplacer les véhicules thermiques en développant les filières industrielles de rétrofit. La région a mis en place des primes de 2 500 euros pour le rétrofit des véhicules thermiques, des primes au remplacement des véhicules polluants des artisans et des commerçants et la carte grise gratuite pour les acheteurs de véhicules propres.

Je n'évoque que très rapidement l'écosystème vélo : nous sommes très engagés dans le RER vélo, un réseau de 700 kilomètres de voies cyclables qui permettra d'entrer dans Paris le long des routes départementales et nationales et en traversées de ville. Nous avons mis en place des aides de 500 euros à l'achat de vélos électriques et avons créé 7 000 places de parking vélo sécurisées.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces réponses. En tant que parlementaires, nous devons réfléchir à des solutions aux problèmes de sécurité que vous avez évoqués.

M. Rémy Pointereau. - Avec ma collègue Nicole Bonnefoy, nous sommes chargés d'une mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux. La Convention citoyenne pour le climat a formulé un ensemble de propositions sur ce sujet, parmi lesquelles figure l'idée de mettre en place une contribution des véhicules de transport de marchandises qui roulent sur les routes françaises.

Le projet de loi qui a été présenté ce matin en conseil des ministres prévoit d'ouvrir la possibilité aux régions d'instituer une telle contribution. Quel regard portez-vous sur cette mesure ? Ne craignez-vous pas un effet de distorsion ou de compétition entre les régions ? Que répondez-vous également aux fédérations de transporteurs routiers, dont les marges sont très faibles et pour lesquels la concurrence est féroce ?

Ma deuxième question porte sur la logistique urbaine, et plus particulièrement sur la problématique du fameux « dernier kilomètre ». Alors que les livraisons aux particuliers se sont multipliées ces dernières années et plus encore sous l'effet des confinements, notamment « grâce » à Amazon, comment endiguer la multiplication des véhicules utilitaires légers en zone urbaine ou, du moins, répondre aux défis qui sont posés par la logistique urbaine ?

M. Olivier Jacquin. - L'équation des transports est particulièrement complexe en ce moment. L'effondrement du modèle financier inquiète. Vous avez peu parlé du Grand Paris Express et des financements qu'il nécessitera demain pour fonctionner. Vous n'avez pas non plus évoqué l'endettement d'Île-de-France Mobilités, dont l'encours de dette augmente indépendamment de la crise sanitaire. Il y a véritablement une impasse financière. Mais tout est relatif : le PIB de votre région est de près de 650 milliards d'euros. J'ai eu un échange avec Philippe Duron, qui a été missionné par Jean-Baptiste Djebbari pour travailler sur le financement des systèmes de transport. Des solutions nouvelles peuvent être envisagées. Je pense aussi au rapport Durovray, que vous n'avez pas cité, et qui comprend des idées assez intéressantes.

Mme Valérie Pécresse. - J'aurais pu citer de nombreux rapports !

M. Olivier Jacquin. - Le rapport Durovray n'évoque pas le péage urbain, qui est une solution utilisée dans bien des pays pour répondre aux problématiques de congestion. Péage ne veut pas dire forcément payer ; les incitations peuvent être positives. Cela nous permet d'évoquer les questions de tarification incitative. Ne faudrait-il pas réfléchir aux contours d'Île-de-France Mobilités ? Que gagne-t-on à avoir un syndicat isolé de la région Île-de-France ? Pouvez-vous nous dire un mot du Grand Paris Express ? Quid de la possibilité de prélever une taxe sur les plus-values immobilières privées, et pas seulement sur les parkings et bureaux ? Je défends cette position ici depuis des années.

Mme Valérie Pécresse. - Vous avez raison !

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Mon collègue a déjà posé une question sur le Grand Paris Express, je n'insisterai pas.

Le RER vert sera un RER de pistes cyclables, mis en place avec les départements et les villes. Comment la région pourra-t-elle instituer un dispositif qui concernera, dans les investissements, d'autres collectivités ? Nous réfléchissons à un tel système dans l'ouest de la France avec des villes beaucoup plus petites, mais se pose à chaque fois le problème de l'articulation entre les différentes collectivités.

M. Philippe Tabarot. - Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter de la manière dont vous avez obtenu du Gouvernement les compensations financières que vous avez évoquées face à la baisse importante des recettes de votre région pendant la pandémie ! Le Gouvernement n'a pas été aussi généreux avec d'autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM)...

Nous avons commencé à travailler sur les questions de sécurité - Étienne Blanc va être amené à rapporter pour avis le volet des transports dans le cadre de la proposition de loi sur la sécurité globale. Sous réserve de l'accord du président et de notre rapporteur, nous préparons des amendements sur des thèmes que vous avez abordés : éviction des personnes nuisibles, OPJ à contacter par le biais des nouvelles technologies...

Quelle est votre position sur ce qu'on appelle non plus l'écotaxe, mais la contribution poids lourds ? Le terme « écotaxe » n'a pas une très bonne connotation dans notre pays depuis quelques années...

Concernant l'ouverture à la concurrence, j'aimerais savoir si vous vous engagez dans cette voie parce que la loi vous y oblige ou si vous y allez avec le même état d'esprit que certaines régions. Je pense à l'Alsace, qui se sert de l'ouverture à la concurrence pour rouvrir des lignes qui ont été fermées ou redynamiser des lignes moribondes. L'excellente région Sud souhaite, quant à elle, améliorer la qualité du service pour les usagers et, bien sûr, diminuer le coût pour la collectivité.

M. Étienne Blanc. - Première question, vous l'avez dit, la sécurité est une priorité pour les Franciliens et pour les usagers des transports. Comment classez-vous les différentes priorités ? Car il y a la régularité, la propreté, la sécurité...

Il faut rappeler politiquement que si la gratuité est une question importante, la sécurité l'est aussi ; elle est même parfois prioritaire sur d'autres sujets plus médiatisés.

Si l'on se penche sur les questions de sécurité, on constate des lourdeurs administratives et judiciaires. Par exemple, lorsqu'une infraction est commise, les agents chargés de la surveillance d'une gare ou d'un train ne peuvent effectuer qu'un relevé d'identité, mais pas un contrôle d'identité. Si une personne refuse de donner son identité, il faut l'emmener devant un officier de police judiciaire. Je ne connais pas particulièrement l'ensemble du réseau francilien, mais j'imagine que certaines stations de métro ou de bus sont assez éloignées du lieu où se trouve l'officier de police... Auriez-vous quelques suggestions pour améliorer la fluidité et faciliter les procédures en la matière ?

M. Didier Mandelli. - Je suis heureux de vous retrouver, madame la présidente. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, dans le cadre de la LOM, avec la RATP pour prendre en compte la spécificité de la région d'Île-de-France, très dense et concentrée, qui nécessite beaucoup d'aménagement en termes d'infrastructures.

Je voudrais revenir sur la notion de la gratuité, en lien avec la mission d'information que nous avons menée il y a un an et qui a rendu un rapport assez équilibré. Nous avions conclu que la gratuité en Île-de-France serait une énorme erreur parce que le réseau est très utilisé - presque saturé - à certains moments et sur certaines lignes. Par ailleurs, un argument complémentaire milite en défaveur de la gratuité : la santé publique. Nous avions relevé que les personnes qui aujourd'hui font de la marche ou du vélo entre deux stations seraient tentées de prendre les transports en commun.

Une question sur la prime rétrofit, que je trouve vraiment judicieuse. Dans le cadre de la LOM, avec le ministère, nous avions fait en sorte d'accélérer le processus d'agrément de ces procédures. L'aide que vous accordez aux particuliers existe-t-elle pour les transporteurs, pour les petits véhicules par exemple ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Sur ce sujet, je vous rappelle le titre exact du rapport dont vient de parler Didier Mandelli et qui est évocateur : « La gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? »

Mme Valérie Pécresse. - Et aviez-vous tranché ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Ce choix est évidemment le résultat de priorités politiques et il oblige à opérer des arbitrages - nous l'avons bien vu dans le cas de Dunkerque -, mais il est vrai que la gratuité pose des problèmes pour un réseau saturé et des difficultés en termes de report modal.

Je reviens à la question posée par le président Longeot sur l'attitude d'Alstom : est-ce que cette position entraînera un retard dans la commande des matériels ? Avez-vous des alternatives ?

Mme Valérie Pécresse. - Sur la gratuité, je vais résumer : elle est envisageable, quand le réseau est neuf et vide ! Ce n'est évidemment pas le cas en Île-de-France, où une telle mesure serait en fait contre-productive.

Quelques mots sur le RER B. Je rappelle qu'Alstom a racheté son principal concurrent, Bombardier, avec l'accord de la Commission européenne. J'ai soutenu ce rapprochement, parce qu'il me semblait important de créer un géant ferroviaire français face aux offensives des entreprises étrangères, notamment chinoises. D'ailleurs, j'étais également intéressée par le rapprochement avec Siemens, même si les conditions étaient différentes et les complémentarités moins grandes - les risques sociaux étaient aussi plus élevés.

Au moment de l'annonce du rapprochement avec Bombardier, j'ai contacté le président d'Alstom pour savoir si cela remettait en cause l'appel d'offres sur le RER B, qui est extrêmement important pour la région.

Je rappelle que cette ligne qui relie Roissy et Saclay est utilisée par 900 000 personnes par jour ; c'est la deuxième ligne la plus utilisée dans la région, l'une des plus utilisées en Europe. Les besoins de régénération de cette ligne sont colossaux ; d'ailleurs, l'appel d'offres atteignait 2,5 milliards d'euros.

Je rappelle aussi que nous avions reçu deux offres : l'une d'Alstom, l'autre d'un consortium regroupant Bombardier et CAF, une entreprise espagnole qui a une usine en Occitanie à Bagnères-de-Bigorre.

J'avais reçu des assurances sur le fait que la fusion n'aurait aucune conséquence sur l'appel d'offres. Pourtant, après le rapprochement et à quelques semaines de la clôture de l'appel d'offres, Alstom a déclaré que l'offre de Bombardier et de CAF lui paraissait anormalement basse et pas soutenable financièrement. Un expert a été mandaté par la RATP et la SNCF ; il n'a pas conclu dans le sens des déclarations d'Alstom. Il faut savoir que l'offre de Bombardier et de CAF était sensiblement moins chère que celle d'Alstom, même si je ne suis pas autorisée à révéler les chiffres.

Il y avait donc clairement un imbroglio. Alstom a déposé des recours successifs pour empêcher la signature du contrat. La justice s'en est saisie et a fait une petite remarque de forme. Finalement, les offres modifiées ont été validées par la justice le 4 janvier et la RATP a pu notifier à Alstom le rejet de son offre. Là encore, Alstom a attaqué dans le but évident de gagner du temps, puisque l'entreprise devenait effectivement propriétaire de Bombardier le 29 janvier. C'est ce jour-là qu'Alstom a annoncé le retrait de l'offre de Bombardier !

Nous avons bien sûr été sidérés par ces manoeuvres, d'autant que l'offre de Bombardier avait été formulée conjointement avec CAF. Légalement, Alstom ne pouvait donc pas retirer cette offre, si bien que la RATP et la SNCF ont décidé de notifier le marché en bonne et due forme - j'étais d'accord avec cette décision. Qui plus est, Alstom s'était désisté de ses recours.

Nous avons la volonté très forte de voir ce contrat exécuté. Nous en sommes là et les deux cocontractants doivent se revoir pour fixer les conditions d'exécution du marché. Dans ce dossier, les délais sont essentiels au regard de l'importance de cette ligne et de ses besoins de régénération. J'avais d'ailleurs décidé, quand j'ai été élue, d'avancer l'appel d'offres de trois ans. Il me paraît incompréhensible et même impossible pour une entreprise qui en rachète une autre de ne pas respecter les engagements pris par cette dernière.

En ce qui concerne l'autorisation environnementale de CDG Express, je vous rappelle que cette ligne n'est pas financée par la région, mais par un groupement ADP/SNCF.

Pour autant, nous avions obtenu deux engagements importants pour nous :

- d'une part, assouplir le calendrier de réalisation : initialement, l'État voulait terminer les travaux pour les Jeux olympiques mais il ne nous paraissait pas acceptable de faire passer ce projet avant les trains du quotidien.

- d'autre part, dégager une enveloppe de 500 millions d'euros de travaux pour fiabiliser le faisceau nord de notre réseau ferroviaire - ces travaux qui concernent les lignes B, D et K sont donc financés par le groupement qui réalise le CDG Express. Est alors intervenue la décision du tribunal administratif de Montreuil qui s'est appuyée, étonnamment, sur l'absence d'intérêt majeur du projet. L'État a fait appel de cette décision. Le problème, c'est que cette décision bloque de facto l'enveloppe de 500 millions d'euros, alors que ce projet n'est pas seulement majeur, il est capital ! Ainsi, ceux qui ont déposé ce recours ont aussi bloqué, par effet boomerang, les travaux qu'ils appelaient par ailleurs de leurs voeux...

Nous considérons que les deux projets - le CDG Express et la régénération du faisceau nord - sont d'un intérêt majeur et, plutôt que d'attendre la décision de la cour administrative d'appel, nous allons demander à l'État de les « désimbriquer ». Mais il faut au moins un an pour le faire, car de nouvelles autorisations environnementales sont nécessaires.

Cet exemple nous montre clairement que les procédures judiciaires ne sont vraiment pas la meilleure méthode pour faire avancer des dossiers...

En ce qui concerne l'écotaxe poids lourds, qu'on appelle maintenant contribution poids lourds, j'y ai toujours été favorable. Quand j'étais ministre en charge du budget, j'ai d'ailleurs signé avec Jean-Louis Borloo le contrat Écomouv qui instaurait une écotaxe sur tout le territoire - chacun connaît la suite de l'histoire... Je suis favorable par principe à cette idée, car je crois que le bilan carbone doit être compté dans le prix des produits. C'est en particulier important, si nous voulons retrouver notre compétitivité et relocaliser des installations industrielles dans notre pays - la fiscalité écologique est un outil pour mener une telle politique.

Toutefois, je vois aussi les effets pervers d'une telle fiscalité. C'est pourquoi je considère qu'elle ne devrait être destinée qu'aux poids lourds en transit. L'Île-de-France est au centre du noeud routier français et nous avons le triste privilège d'être traversés en permanence par de multiples camions qui polluent, détruisent les routes, tout en ne payant rien. Cependant, limiter cette taxe aux camions en transit serait contraire, me dit-on, aux normes européennes. Dans ces conditions, je reste favorable à une telle mesure, mais je suis prête à prendre des engagements pour que son montant soit entièrement réinvesti en travaux d'amélioration des routes franciliennes et pour soutenir le changement de motorisation des véhicules, ce qui inclut les travaux d'installation de bornes de recharge, qu'elles soient hydrogènes ou électriques. Pour mettre en place cette taxe, il faut donc une négociation avec les transporteurs et que nous nous mettions d'accord avec les acteurs du secteur pour bâtir ensemble un nouvel écosystème. Il ne s'agit évidemment pas de mettre à mal tout un secteur économique, déjà très touché par crise et qui fonctionne de toute façon avec des marges très faibles. Cette écotaxe pourrait les aider à réaliser leur transition écologique.

La logistique urbaine constitue une importante source de préoccupation pour la région. L'utilisation de la voiture a reculé de 5 % en dix ans, tandis que la population d'Île-de-France croissait de 50 000 habitants par an. Nous devons travailler sur le dernier kilomètre. Je ne suis pas hostile aux zones à faibles émissions, mais il faudra veiller aux conséquences sociales d'un tel dispositif pour ceux qui habitent et travaillent loin et qui, souvent, possèdent d'anciens véhicules. Il convient de réconcilier écologie et politique sociale. Nous avons, à cet effet, mis en place des aides au renouvellement des véhicules pour les artisans et les commerçants - 5 000 aides ont été versées cette année. Il nous faut imaginer l'avenir à l'horizon de 2030-2040. Nous pensons, à cet égard, également au transport fluvial, auquel nous croyons.

M. Jacquin m'a interrogée sur le modèle financier de notre politique de transport. Peut-être suis-je optimiste, mais je ne crois pas que la crise sanitaire affecte durablement les transports et le tourisme en Île-de-France, même s'il faudra du temps pour retrouver la fréquentation d'avant-crise. Les classes moyennes se développent partout dans le monde et on continuera à visiter Paris et la France. J'estime notre modèle de financement solide. La confiance des usagers dans les transports en commun n'est pas perdue, notamment parce que nous appliquons des normes sanitaires parmi les plus strictes du monde. Notre endettement, dont nous maintenons la durée maximale à quinze ans, est sous contrôle. En 2028, nous aurons réalisé les investissements les plus importants et pourrons rembourser l'avance de l'État. Je vous rappelle, en outre, que nous nous endettons à des taux quasiment négatifs : les marchés considèrent IDFM comme sûr.

Le projet du Grand Paris Express comprend 170 kilomètres de voies supplémentaires et une soixantaine de gares à entretenir. Achevé, il coûtera 1 milliard d'euros en exploitation, soit une augmentation des coûts d'exploitation inférieure à 10 % au regard des 10,8 milliards d'euros dépensés chaque année. Nous devrons néanmoins nous montrer créatifs pour trouver de nouvelles recettes. Le rapport remis par Gilles Carrez sur le financement de la Société du Grand Paris proposait des pistes intéressantes mais certaines, comme la taxation des touristes et du secteur de l'hôtellerie, ne peuvent plus guère être utilisées. Avec 650 milliards de produit intérieur brut (PIB) par an, la région d'Île-de-France doit être en mesure de financer ses transports, même si l'État devra également fournir de nouvelles recettes. Le pass Navigo ne pourra suffire à financer l'exploitation du Grand Paris Express !

Je suis très intéressée par les péages positifs qui existent en Scandinavie, mais hostile à tout dispositif conduisant à une fracture sociale, à une ségrégation aux portes de Paris. Je serais heureuse de travailler avec le Sénat sur les dispositifs incitant les automobilistes à se déplacer hors des heures de pointe. Cela me semble plus efficace qu'une énième taxation.

Mon souhait est-il qu'IDFM soit attaché à la seule région ? Absolument pas. Ce syndicat rassemble la ville de Paris, sept départements, les intercommunalités rurales, les usagers, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et la région : il s'agit d'une instance de débat et de concertation. Il me semble important que les différents financeurs bénéficient d'un droit de regard sur la politique des transports. Il conviendrait, en revanche, de travailler sur les compétences d'IDFM, notamment sur les routes, dont la convergence avec les transports en commun apparaît évidente. La route est un chemin ; il s'agit de savoir ce qu'on souhaite y faire circuler : des véhicules propres, silencieux, en covoiturage et des vélos. Les voies comme le périphérique, l'A86, l'A104 peuvent être des espaces multimodaux.

Je suis favorable au projet du Grand Paris Express, qui bénéficie d'un financement dédié, à condition de ne pas sacrifier les travaux de rénovation des transports du quotidien.

Monsieur de Nicolaÿ, nous avons eu beaucoup de chance s'agissant du RER V : un collectif de cyclistes a travaillé en amont sur un tracé. Leur projet a ensuite mobilisé les villes et les départements. La région, qui finance les routes et notamment les contournements des villes, a évidemment repris la balle au bond.

S'agissant de la mise en concurrence, monsieur Tabarot, il faut reconnaître que le législateur nous a beaucoup freinés. Il faudra attendre 2039 pour le RER et la RATP, alors que nous étions prêts à aller plus vite. Nous avons beaucoup de demandes pour les transports en commun, dont il est indispensable d'améliorer la qualité de service. Nous avons d'ores et déjà mis en concurrence les transports scolaires, obtenant à cette occasion une réduction des prix. Nous avons également lancé le processus pour les bus en grande couronne, avec succès. Pourquoi faut-il attendre trois ans pour mettre en concurrence les bus de la RATP ? Voilà un mystère de la loi française... Dans les marchés déjà ouverts, la mise en concurrence n'a pas conduit à un grand soir, mais plutôt à une stabilité. Reste le sujet des petites compagnies de bus que nous ne souhaitons pas voir disparaître et que nous incitons, à cet effet, au regroupement. À l'occasion de la mise en concurrence, les périmètres des lignes de bus ont été revus et le nombre de contrats est passé de cent-vingt à quarante. Nous avons repris les dépôts de bus et étalé, à la demande de l'Autorité de la concurrence, le calendrier des appels d'offres.

La mise en concurrence arrive prochainement pour la RATP ; ce sera un sujet majeur. Le cadre législatif prévoit heureusement une reprise intégrale du personnel et l'engagement social constituera l'un des trois critères d'analyse des offres. Néanmoins, le projet de décret d'application de la LOM imposait trop de barrières s'agissant du temps de travail : il s'alignait sur les 31 heures de travail hebdomadaires de la RATP. Le décret ne doit pas reprendre le statut de la RATP, sauf à dissuader les opérateurs alternatifs de déposer une offre. En Allemagne, la mise en concurrence lancée en 1994 a conduit à une augmentation de 50 % de la fréquentation des transports en raison de l'amélioration de la qualité de l'offre.

Monsieur Blanc m'a interrogée sur la sécurité dans les transports. Notre première priorité porte sur la régularité et la ponctualité, qui nécessitent une solidification du réseau. Certaines caténaires avaient plus de quatre-vingts ans ! Pour décongestionner le trafic et l'accélérer, nous avons multiplié les trains à étage. La propreté et le confort apparaissent également essentiels, car certains usagers effectuent quotidiennement de très longs trajets. La sécurité représente donc notre troisième objectif. De nombreuses lignes sont très sûres et, avec des millions de passagers transportés, il y a peu d'insécurité sur le réseau aux heures de pointe.

Trois problèmes demeurent en matière de sécurité. D'abord, certains territoires sont peu sûrs, notamment le soir, la nuit et pendant les heures creuses. Dans le nord-est de Paris sévissent de nombreux traqueurs et nous avons renforcé les patrouilles de police. Ensuite, les pickpockets sont de plus en plus jeunes et violents, parfois sur fond d'usage de stupéfiants. Enfin, le harcèlement des femmes, en particulier dans des transports congestionnés, a longtemps été sous-estimé et passé sous silence. Nous avons lancé des campagnes d'information et mis en place le numéro d'urgence 3117.

Je partage votre analyse, monsieur Blanc, sur les contrôles d'identité, utiles à la lutte contre la fraude et la délinquance. J'ai étudié les mesures mises en oeuvre par Rudolph Giuliani à New-York dans les années 2000, en partenariat avec la police. Quand un délinquant ou un fraudeur était interpellé, il était retenu trois heures dans un commissariat mobile. Il faut les ennuyer pour les dissuader de sévir dans les transports ! Quoi qu'il en soit, les contrôles d'identité ne peuvent suffire. Je connais un sénateur de Seine-et-Marne dont l'identité a été usurpée par un fraudeur multirécidiviste et qui se voyait régulièrement réclamer le paiement d'amendes...

Enfin, monsieur Mandelli a évoqué la prime rétrofit. Il s'agit, de la part de la région, d'un acte militant et volontariste pour créer une filière industrielle. Le dispositif est encore balbutiant et coûteux, mais nous espérons le développer. Renault, avec ses usines de Flins et de Choisy-le-Roi, souhaite ainsi faire de la région d'Île-de-France le plus grand site mondial du rétrofit. Déjà, nous versons une prime de 2 500 euros aux particuliers, qui a vocation à devenir plus significative.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie beaucoup de la qualité de vos réponses et de votre disponibilité. Vous avez donné à la commission des pistes à explorer tout à fait intéressantes.

Mme Valérie Pécresse. - Je tenais beaucoup à cette audition, car je me souviens du travail remarquable que vous avez mené sur la LOM. Je sais pouvoir compter sur le Sénat.

La réunion est close à 19 heures 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.