Mercredi 13 juillet 2022

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Avenir du corps diplomatique - Examen du rapport d'information

M. Christian Cambon, président. - Nous allons tout d'abord procéder à l'examen du rapport sur la réforme du corps diplomatique - un sujet éminemment important.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Les diplomates ont cru un temps être épargnés par la réforme de l'encadrement supérieur de l'État. Il n'en a rien été, et vous connaissez l'émoi général dont nous avons tous reçu écho lors de nos rencontres avec eux. Le décret précisant les modalités d'application de la réforme aux corps diplomatiques, paru le 16 avril dernier, a suscité des tribunes inquiètes des personnels regroupés en collectifs, des prises de positions politiques au coeur de la campagne électorale présidentielle et la première grève des personnels du Quai d'Orsay depuis plusieurs décennies, massivement suivie, le 2 juin dernier.

Dans ce contexte, nous avons voulu analyser objectivement la réforme appliquée aux métiers diplomatiques, évaluer son impact sur les personnels et sur le rayonnement de la France. Sans surprise, nous avons constaté que cette réforme fait l'unanimité contre elle, et ce ne sont pas les anciens hauts responsables politiques entendus qui nous démentiront.

La réforme prévoit la fusion des corps de la catégorie A+, indépendamment de leur ministère de rattachement, au sein d'un seul corps interministériel : celui des administrateurs de l'État. Tous les fonctionnaires appartenant à ce nouveau corps unique auront donc vocation à servir au sein d'une succession de ministères, selon un parcours plus fluide qu'auparavant, que chaque agent devra construire en se portant candidat aux offres de postes à pourvoir, quand il le souhaitera. Outre les postes d'ambassadeurs, les postes de directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux ne sont plus l'apanage des personnels du Quai d'Orsay ! Tous les postes de niveau ministres plénipotentiaires et conseillers des affaires étrangères, c'est-à-dire les postes d'ambassadeurs, directeurs, chefs de service, sous-directeurs et consuls généraux, entrent dans le champ de la réforme, et ont désormais vocation à être pourvus par des administrateurs de l'État.

Cette réforme essentielle pour la diplomatie de la France a été décidée sans que le Parlement n'ait été invité à se prononcer. Elle a été menée par ordonnance du 2 juin 2021. Le projet de loi de ratification a bien été déposé à l'Assemblée nationale dans le délai imparti, mais n'a pas été inscrit à l'ordre du jour. Le 30 septembre 2021, le Sénat a exprimé ses profondes réserves à l'égard de la réforme de la haute fonction publique telle que menée par le Gouvernement, en rejetant une proposition de loi visant la ratification de l'ordonnance.

Le choix du Gouvernement de ne pas affronter le débat sur ce sujet ne rend la réforme ni plus compréhensible ni plus acceptable pour les personnels du Quai d'Orsay, qui ont démontré une capacité d'adaptation à l'épreuve des réformes successives : l'absorption de la coopération en 1998, de la diplomatie économique en 2012, mais aussi la création de 25 postes de présence diplomatique (PPD) à partir de 2015.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) s'est emparé des enjeux portés par la réforme : diversification des profils de recrutement avec ses académies de la diplomatie ; coopération interministérielle à partir de 2018, avec le programme de transformation Action publique 2022 (AP2022) qui réorganisait les personnels et les missions de l'État à l'étranger ; réduction des effectifs, avec une diminution de 50 % des effectifs en 30 ans et une réduction quatre fois plus importante que les effectifs de la fonction publique d'État au cours des quinze dernières années ; décloisonnement puisque le Quai d'Orsay est l'une des administrations les plus ouvertes et diversifiées, avec 52 % d'agents contractuels et 20 % de l'encadrement non issu du corps diplomatique.

Enfin, la rémunération des agents du Quai d'Orsay est moins favorable que celle de l'ensemble de la fonction publique et s'érode. Entre 2010 et 2021, les dépenses de personnel ont progressé de 16 % pour les personnels de l'État, contre moins de 12 % pour ceux du ministère. Enfin, l'écart entre la rémunération médiane au sein du ministère et celle du ministère le plus favorisé est de 19 % pour les chefs de service et 33 % pour les experts de haut niveau.

M. André Vallini, rapporteur. - Nous avons effectivement constaté que seules les administrations en charge de la conduite de la réforme lui étaient favorables, et ce malgré les aménagements obtenus par le MEAE.

Une partie de l'incompréhension, rappelons-le, tient à la quasi-concomitance de la réforme avec la mission de réflexion et de proposition sur l'organisation des carrières diplomatiques de Jérôme Bonnafont. Insistant sur la spécificité du métier de diplomate, celle-ci a abouti au premier semestre 2021, ce qui a renforcé l'impression des personnels qu'une voie tangente à la réforme générale était possible.

Cet espoir déçu, le précédent ministre, M. Le Drian, a néanmoins obtenu des aménagements notables à la réforme. Le concours d'Orient restera une voie d'accès directe et spécifique au Quai d'Orsay, ce dont nous nous sommes assurés dans le cadre de nos auditions. La revalorisation des parcours des secrétaires des affaires étrangères (SAE) est engagée. Un droit d'option pour les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires est affirmé. Il leur permet de ne pas être versés dans le corps des administrateurs d'État. Des restrictions d'accès des conseillers des affaires étrangères à un poste d'ambassadeur ont également été levées. Enfin, la rémunération indemnitaire du MEAE a été alignée, au 1er janvier 2022, sur la fourchette haute des pratiques antérieures des ministères.

Dans ces conditions, pourquoi de tels mécontentements et pourquoi la grève ? Force est de constater que cette gestion moderne et entrepreneuriale de l'État ne parvient pas à convaincre. Mais est-ce si étonnant ? Quel PDG nommerait son directeur des affaires financières au marketing, sa directrice de la logistique à la communication ? Qui peut envisager de faire d'un ambassadeur un directeur d'administration pénitentiaire, d'un consul général un inspecteur des impôts ; d'un directeur de maison de santé un ambassadeur dans un pays riche en matières premières stratégiques ?

Les aménagements de la réforme ne sont pas à la hauteur des attentes de la diplomatie française. Celle-ci s'est adaptée à la pandémie mondiale en temps réel, ramenant 370 000 compatriotes bloqués à l'étranger. Le Quai d'Orsay a organisé la périlleuse évacuation de 2 805 personnes d'Afghanistan en août 2021. Il négocie, en pleine présidence française de l'Union européenne, la stratégie indopacifique de l'Union européenne et oeuvre en même temps au rétablissement du joint comprehensive plan of action (JCPOA). Il fait face au quotidien aux défis et aux dangers d'un monde de plus en plus instable et caractérisé par des crises protéiformes : guerre en Ukraine, coup d'État en Birmanie, menaces de mort au Pakistan, etc.

Jean-Pierre Grand et moi-même - au nom de nous tous et toutes, je pense - voulons réaffirmer ce matin notre haute estime envers tous les personnels du ministère.

Face à ces vocations se déployant dans des conditions extrêmement difficiles, l'inclusion des personnels diplomatiques dans la grande fusion interministérielle des corps de l'État est une très mauvaise nouvelle. Se formant de poste en poste au prix de sacrifices personnels importants, les agents du corps diplomatique voient leur système de rotation entre les postes en France et à l'étranger perturbé par la concurrence des candidatures de tous les administrateurs d'État. Là où il pouvait y avoir 10 à 15 candidats du MEAE pour un poste jusqu'à présent, il pourra désormais y en avoir 80 en provenance de tous les ministères. Certains diplomates ont ainsi le sentiment que l'institution a rompu le contrat qu'ils avaient conclu ensemble lors de leur réussite au concours d'entrée.

Les agents du Quai d'Orsay ressentent cette concurrence accrue comme illégitime pour les trois raisons suivantes : il est très difficile d'entrer dans un corps du MEAE, toutes catégories confondues ; à catégorie similaire, les responsabilités qui sont confiées aux diplomates sont particulièrement lourdes ; alors que les personnels du MEAE acceptent des postes dans des pays difficiles ou en guerre, espérant ensuite alterner avec des affectations dans des pays moins austères, la concurrence interministérielle les privera de cette possibilité, au profit d'administrateurs de l'État non aguerris à l'expatriation.

Sommes-nous certains, dans ces conditions, de pouvoir compter sur des personnels du même excellent niveau pour embrasser des carrières rendues incertaines par cette concurrence interministérielle ? Sans diplomates professionnels, quel est l'avenir de l'appareil diplomatique français ?

Le risque est avéré de passer d'une diplomatie professionnelle à une diplomatie au service de la carrière de certains administrateurs de l'État.

La qualité professionnelle et l'investissement personnel des agents de toutes les catégories garantissent la performance de l'appareil diplomatique. Sans ces personnels, avec des administrateurs de l'État de passage dans les métiers diplomatiques, c'en sera fini !

Sélectionnés actuellement sur des critères exigeants, les diplomates français ont des compétences solides en droit international et en histoire des relations internationales. La sédimentation des expériences leur permet de se forger une culture et un ensemble de compétences qui les rendent performants. Pour résumer, contrairement aux autres fonctionnaires, un diplomate administre peu et ne régule pas : il n'écrit pas de décret, ni d'arrêté, ni de règle. Il gère l'urgence, la crise, négocie avec des pays étrangers. Enfin, il représente et incarne la France à l'étranger.

Avec une seule expatriation, dans un parcours construit en France, le risque de connaître un échec élevé est avéré, avec la difficulté pour la direction des ressources humaines du MEAE, si elle garde bien la main sur ces sujets, d'identifier dans l'urgence des relèves pour les agents qui décrocheront.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Nous vous proposons, puisque le Parlement n'a pas le pouvoir de modifier le décret du 16 avril 2022, de l'aménager.

Il nous faut garantir la carrière des secrétaires des affaires étrangères. Ils entrent au MEAE par le concours dédié et y font une carrière remarquable. Nombre d'entre eux, d'un niveau excellent, passaient avec succès le concours de conseillers des affaires étrangères, rejoignaient ensuite le corps des cadres A+, concerné par la réforme de l'encadrement supérieur, et poursuivaient leur carrière au MEAE. Il est indispensable que cette possibilité continue de leur être offerte pour leur garantir un parcours professionnel cohérent avec leur vocation et leurs souhaits, mais aussi pour que le MEAE ne perde pas à l'avenir les meilleurs et plus motivés de ses agents.

Notre première recommandation prévoit que les SAE accédant au rang d'encadrement supérieur de l'État puissent sanctuariser leur appartenance au MEAE, en étant assimilés, pour la gestion de leur carrière de cadre supérieur, aux personnels recrutés par la voie d'Orient qui sont assurés de pouvoir faire carrière au sein du MEAE, sous réserve d'une mobilité de quelques années au sein des autres ministères.

La deuxième recommandation concerne la modification de la commission d'aptitude chargée de se prononcer en cas de primo-nomination d'un chef de mission diplomatique pour s'assurer que la moitié au moins des personnes la composant est issue des rangs du MEAE, ou a exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins cinq ans.

La troisième recommandation vise le renforcement de l'expérience des chefs de mission diplomatique. Ne devraient être nommées que des personnes ayant exercé pendant au moins trois ans des fonctions de numéro deux de mission diplomatique. Une exception pour 20 % des postes d'ambassadeurs pourrait être prévue.

La quatrième recommandation est d'exclure dans les 25 PPD la nomination de chef de mission diplomatique n'ayant pas exercé, pendant au moins cinq ans, des fonctions de numéro deux de mission diplomatique.

Enfin, sur l'initiative de notre président de commission, notre cinquième recommandation est d'étendre le dispositif prévu par l'article 13 de la constitution prévoyant la consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République pour les grands ambassadeurs en Europe, à Pékin, Washington ou au Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple. Notre commission se prononce, au titre de cette procédure, sur la nomination du directeur de l'Agence française de développement ; elle serait légitime à le faire aussi pour les grands ambassadeurs.

M. André Vallini, rapporteur. - Enfin, notre dernier train de trois recommandations porte sur le droit d'option. Nous souhaitons que l'appareil diplomatique ne soit pas privé des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ayant choisi le corps unifié mis en extinction. Il conviendra pour cela, et c'est notre sixième recommandation, d'examiner chaque année, dans le cadre du débat budgétaire, la carrière de ces personnels versés dans le corps unifié mis en extinction.

Notre septième recommandation est de faire en sorte que ce corps ne soit pas considéré comme un « mouroir », et qu'il bénéficie de quotas pour les postes d'encadrement du MEAE, se réduisant au fur et à mesure de son extinction.

Notre huitième et dernière recommandation est d'étendre sur trois ans la durée du droit d'option pour laisser aux personnels concernés le temps d'apprécier les modalités de mise en oeuvre de la réforme et les effets des assises de la diplomatie - ou leur équivalent - que la nouvelle ministre, Catherine Colonna, a prévu d'organiser à la suite de la grève du 2 juin 2022.

Cette réforme ne doit pas avoir d'effets irréversibles sur la qualité de notre outil diplomatique. En attendant une nouvelle réforme qui viendrait l'annuler, les recommandations formulées visent à définir les conditions d'existence d'un corps diplomatique ouvert et professionnel, compétent, efficace, il l'est déjà, et attractif.

Les personnels du MEAE doivent pouvoir continuer de rayonner, notamment au niveau européen, au sein de la diplomatie européenne qu'ils contribuent, par leur professionnalisme et leur expérience, à nourrir. Pour que la diplomatie européenne soit efficiente, elle devra s'appuyer sur des corps diplomatiques nationaux professionnels et efficaces. Réduire l'excellence et l'expérience professionnelle des diplomates français, alors que cette diplomatie européenne s'affirme dans la crise ukrainienne comme dans la définition d'une boussole stratégique et d'une stratégie indopacifique européenne, c'est prendre le risque de marginaliser les positions françaises en son sein.

Nous voulons répondre ici à la petite musique entendue chez certains de nos interlocuteurs, à savoir que l'avenir serait la diplomatie européenne... C'est un leurre : tant que l'Europe n'a pas de compétence diplomatique, la diplomatie européenne est faite par les diplomaties nationales, et la diplomatie française est la meilleure de toutes !

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Le métier de diplomate est une vocation. Il s'apprend de postes en postes, de rang hiérarchique en rang hiérarchique occupé, de crise en crise, de négociations internationales en négociations internationales, par sédimentation des expériences.

Être chef de mission diplomatique s'apprend et se transmet. Personne ne peut sous-estimer l'importance de la mémoire du Quai d'Orsay et de ses personnels dans la gestion des nouvelles crises qui secouent sans cesse le monde en ce début de siècle. Nous le disons avec force, dans ce contexte mouvant, aucun ambassadeur n'est à l'abri d'une crise soudaine, qu'il devra gérer seul, parfois à des milliers de kilomètres de la France. Il nous faut des personnes solides et expérimentées !

M. Christian Cambon, président. - Cette affaire est selon moi d'une extrême gravité. J'observe d'ailleurs que Mme Amélie de Montchalin, qui a porté cette réforme, n'a pas été réélue. Il se dit qu'elle serait peut-être la première bénéficiaire, puisque des bruits insistants courent sur sa nomination comme ambassadeur dans un très grand pays européen, alors qu'elle n'a jamais servi en poste diplomatique...

Je me suis pour ma part joint à la manifestation des diplomates devant le Quai d'Orsay et j'estime que notre commission, qui apparaît dans le monde diplomatique comme le principal défenseur du corps, doit très fortement marquer sa position.

Les rapporteurs ont réalisé un excellent travail ; ils ont reçu les plus hautes personnalités, et les avis sont unanimes contre cette réforme.

Nous avons tous pu mesurer le niveau de compétences de nos diplomates. Ces postes ne peuvent pas être attribués à n'importe qui, ils exigent énormément de connaissances. Il s'agit d'un métier très spécifique, dans lequel on ne s'engage pas le nez au vent.

M. Le Drian lui-même était hostile à cette réforme faussement moderne : s'il y avait une diplomatie européenne efficace, on le saurait depuis longtemps.

J'invite nos collègues de la majorité présidentielle à peser de tout leur poids pour revenir sur cette réforme, reposant sur une perception complètement fausse du métier de diplomate.

Au début de la crise du covid, 370 000 Français ont été rapatriés : c'est l'un des nombreux tours de force de notre corps diplomatique. L'ambassadeur de France au Pérou a même réussi, pour la première fois dans l'histoire de ce pays, à faire atterrir un avion civil sur une base militaire.

De plus, l'exécutif doit pouvoir s'appuyer sur le vaste travail d'analyse mené dans l'ombre par nos diplomates. À cet égard, la négation des compétences spécifiques du corps diplomatique est proprement calamiteuse. Elle aura des conséquences sur les carrières, en désespérant les uns et en donnant de fausses espérances à d'autres. Ce métier est d'une richesse et d'une complexité telles qu'il exige des compétences particulières. Ainsi, dans toutes les résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU), l'on retrouve la patte française : nos diplomates doivent peser chaque mot, dans plusieurs langues, et défendre leurs différents dossiers nonobstant les baisses de moyens.

Si cette réforme aboutit, notre diplomatie se trouvera déclassée, et notre pays avec elle. Loin de fermer des ambassades, l'Allemagne en crée de nouvelles et renforce ses équipes. De même, la Turquie, la Chine et la Grande-Bretagne réinvestissent fortement dans leur diplomatie, et pour cause, nous avons plus que jamais besoin des diplomates, notamment en Afrique. Or les entretiens que j'ai menés m'ont permis de constater une profonde démobilisation dans leurs rangs.

Nous ne pouvons pas nous associer à cette réforme. Il faut le dire, non avec violence, mais avec clarté, d'autant que notre commission semble la seule à pouvoir s'exprimer ainsi.

Peut-être le Président de la République va-t-il se lancer à la recherche d'un compromis. Dans cette perspective, je propose qu'un certain nombre de nominations soient soumises à l'avis consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est une disposition inspirée des États-Unis : l'ambassadeur des États-Unis en France reçoit systématiquement l'aval du Congrès. Seraient concernés les ambassadeurs des pays du G20 - à tout le moins ceux des pays du G7 - et ceux des organisations internationales, où les nominations de complaisance sont les plus fréquentes, tous gouvernements confondus. Les commissions parlementaires devraient a minima auditionner les candidats aux postes d'ambassadeur qui ne sont pas issus de la carrière.

J'y insiste, à l'instar des rapporteurs, je n'ai pas vu l'ombre du début du quart d'une raison permettant de justifier une telle réforme. Vous le savez, le poids du Sénat s'est considérablement accru depuis les dernières élections législatives. Les équilibres politiques sont même appelés à s'inverser en commission mixte paritaire (CMP). Le rôle du Parlement sera, lorsque c'est nécessaire, de manifester son désaccord pour que les réformes soient revues.

M. Joël Guerriau. - Peut-on nous rappeler combien de membres compte le corps diplomatique et quel est le temps de formation nécessaire pour y entrer ? Si les évolutions envisagées entrent en vigueur, comment pourra-t-on garantir la bonne formation des nouveaux entrants ? Enfin, dispose-t-on de travaux de benchmarking sur ce sujet, en particulier à l'échelle européenne ?

Mme Michelle Gréaume. - Cette réforme menace toute l'architecture de la diplomatie française et, avec elle, l'image de la France dans le monde. Elle nous expose au risque de nominations de complaisance et de recours aux cabinets privés. Certes, on peut réfléchir à une évolution du corps diplomatique, de ses missions, de ses moyens et des formations dispensées. Mais, en parallèle - les syndicats l'ont souligné -, il faut à tout prix préserver les assises de notre diplomatie.

M. Christian Cambon, président. - Au sein de la fonction publique d'État, le corps diplomatique est, de longue date, l'un des plus ouverts qui soient. En 1981, Bernard Vernier-Palliez est ainsi devenu ambassadeur de France aux États-Unis après avoir été président-directeur général de Renault, fonctions dans lesquelles il avait développé un sens aigu des relations internationales. Aujourd'hui, au sein de la diplomatie française, 20 % de l'encadrement est choisi hors du corps diplomatique. J'ajoute que ce dernier a particulièrement souffert : il a perdu quatre fois plus de postes que les autres corps au cours des dix dernières années.

M. François Patriat. - Je ne doute pas de l'excellence de notre diplomatie ; mais, à trop encenser, on oublie parfois de se poser les vraies questions. Lorsque, en 1982, François Mitterrand a nommé Gilles Martinet ambassadeur de France en Italie, le monde politique a crié au scandale au motif que l'intéressé n'était pas issu du corps diplomatique. Or il s'est révélé d'une compétence exceptionnelle. Il ne s'agissait en aucun cas d'un copinage.

Il est parfois nécessaire de dépasser les corporatismes et les logiques endogames. Le monde de la diplomatie doit évoluer. Il faut fluidifier les relations entre les différents corps, car les compétences économiques, géostratégiques et environnementales, ô combien nécessaires aujourd'hui, ne sont pas forcément celles que l'on enseigne à l'école de la diplomatie.

Il ne me semble pas judicieux de soumettre les nominations évoquées à l'avis des commissions parlementaires.

Enfin, je ne crois absolument pas que cette réforme ait coûté sa réélection à Mme de Montchalin, dont personne ne peut contester la compétence. En témoignent notamment les baromètres de l'action publique, consultables aujourd'hui auprès de chaque préfecture.

Gardons-nous de caricaturer cette réforme, animée d'un esprit d'ouverture. De même, on ne saurait affirmer sans excès que tous nos diplomates en poste sont excellents.

Soit nous nous abstiendrons, soit nous voterons contre l'adoption de ce rapport.

M. Christian Cambon, président. - Le dispositif actuel permet tout à fait de nommer des Gilles Martinet. Cette réforme déstabilise tout un corps sans aucun motif valable.

M. Pierre Laurent. - M. le président Cambon insiste avec raison sur l'importance de ce dossier et sur la gravité de la situation.

Tout d'abord, nous nous trouvons une fois de plus face à un problème de méthode. Alors qu'elle suscite un rejet massif, cette réforme a été adoptée par voie d'ordonnance. Dès lors, la première question est la suivante : quand le Parlement sera-t-il appelé à débattre du projet de loi de ratification, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale sans être inscrit à l'ordre du jour ? Le Sénat ne cesse de dénoncer la multiplication des ordonnances et la longueur excessive des procédures de ratification. L'enjeu est d'autant plus grand que, désormais, le débat parlementaire est susceptible de peser fortement sur l'avenir d'une telle réforme. Nos collègues députés et nous-mêmes devons rester mobiliser.

Ensuite, j'observe qu'au titre de la transformation de la fonction publique, Mme de Montchalin avait pour mission de détruire tous les grands corps. Nous assistons à une véritable mise en pièces de la haute fonction publique nationale. Désormais, elle devrait être à la discrétion du pouvoir présidentiel, alors que les ambassadeurs ne sauraient être de simples exécutants : leur professionnalisme, leur culture et leurs compétences propres ont vocation à façonner la décision politique. J'ajoute que leur respect de la représentation parlementaire, dans sa diversité, est absolument exemplaire. Nous avons tous l'occasion de le constater lors de nos déplacements.

Arrêtons ce dénigrement. Le constat global, c'est l'excellence de notre diplomatie et, plus largement, de notre haute fonction publique. Notre devoir est d'empêcher ce qui ressemble à s'y méprendre à un coup de force.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle à notre collègue François Patriat que la nomination du directeur général de l'Agence française de développement (AFD) est soumise à l'avis consultatif des deux commissions parlementaires. L'exécutif pourrait tout à fait s'appuyer sur l'avis éclairé des assemblées pour d'autres postes. Il ne s'agit bien sûr pas de contester des nominations qui vont de soi.

M. Gilbert Roger. - Qu'il s'agisse de la diplomatie ou du corps préfectoral, on constate clairement la volonté de déstabiliser notre haute fonction publique. Certaines nominations de personnes sans expérience dans leur domaine peuvent se révéler tout à fait folkloriques...

Parallèlement, en vertu des règles en vigueur, le Président de la République peut bel et bien nommer à la tête d'ambassades des personnes étrangères au corps diplomatique. Rappelons cette réalité, puis engageons les discussions avec le Gouvernement : nous disposerons, j'en suis sûr, de marges de manoeuvre.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Dès lors que la réforme n'est pas acceptée, le bon sens serait que celui qui l'a imaginée la modifie au point de la dénaturer. On peut demander qu'il la retire, mais je n'y crois pas.

M. Christian Cambon, président. - Rappelons qu'elle a été imposée sans concertation avec le Parlement.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Un ancien ministre des affaires étrangères disait lui-même qu'il faudrait abroger ce décret. Nous sommes pragmatiques, nous ne voulons pas attaquer l'exécutif de front, nous voulons que cela avance, nous allons devoir avancer avec diplomatie ! Nos positions apparaissent clairement dans le rapport.

M. Christian Cambon, président. - Peut-être devrions-nous demander que cette réforme soit revisitée en liaison avec les commissions des affaires étrangères du Parlement. Il serait utile que le Gouvernement entende notre appel.

M. Jean-Marc Todeschini. - Notre président est lui-même passionné par le sujet, au point qu'il faudrait lui retirer les piles ! Nous n'avons pas attendu ce rapport, nous avons fait une tribune. Cette réforme est avant tout idéologique, elle est issue directement du Président de la République. Il a nommé Amélie de Montchalin pour la mener à bien ; celle-ci est sans doute brillante, mais elle l'a été pour affaiblir le service public. En outre, le corps diplomatique n'est pas très visible pour nos compatriotes, c'est évident.

Le Président de la République a déjà fait une tentative de nommer des proches, il a été mis en échec par des votes au Quai d'Orsay. Il est pourtant possible aujourd'hui de nommer des diplomates non issus du corps, deux recteurs sont d'ailleurs ambassadeurs, en Autriche et en Hongrie. Mais aujourd'hui, nous assistons à la mise en oeuvre d'une idéologie systématique de destruction des corps de hauts fonctionnaires, comme s'ils étaient interchangeables, ce qui n'est pas le cas. Il s'agit de nommer n'importe qui.

Certes, des ambassadeurs ne sont sans doute pas à leur place, mais c'est aussi le cas de sénateurs, voire de présidents de commission !

En tout état de cause, nous avons affaire à un idéologue, et la lutte va être compliquée. En effet, il faut exiger que ce sujet vienne devant le Parlement.

Messieurs les rapporteurs, avez-vous rencontré la nouvelle ministre ?

M. André Vallini, rapporteur. - Non, nous le lui avons demandé, elle n'a pas répondu. Beaucoup de diplomates de haut niveau sont très opposés à la réforme, c'est le cas de M. Christian Masset, l'ancien secrétaire général du ministère des affaires étrangères, un des plus grands diplomates actuels. Il peut le dire parce qu'il est en fin de carrière.

M. Jean-Marc Todeschini. - Je forme le voeu que le Sénat - et pas seulement les groupes LR du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui seront dominants dans les commissions mixtes paritaires - puisse débattre avec les ministres concernés, dans le cadre d'un véritable débat politique au moment où ces derniers viendront pour la première fois devant notre assemblée.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - Le Gouvernement a fait une ouverture large vers le Sénat. Ce décret pourrait faire l'objet d'un débat franc devant cette commission, cela pourrait faire avancer les choses. Ce serait dans la continuité de la déclaration du Premier ministre devant le Sénat.

M. Christian Cambon, président. - Je vous demande d'observer un embargo sur la teneur de ce rapport jusqu'à la conférence de presse prévue le 19 juillet.

M. Pierre Laurent. - Nous devons demander une remise à plat, puisqu'on ne peut pas parler d'abrogation, à l'occasion du dépôt de la loi de ratification. Nous ne pouvons pas nous placer tout de suite dans la phase d'après.

M. Christian Cambon, président. - Donnons mandat à nos rapporteurs pour choisir la meilleure formule en première recommandation.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne M. Gilbert Bouchet rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.

La commission désigne M. Guillaume Gontard rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux

La commission désigne M. Christian Cambon rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Royaume de Suède.

- Présidence de M. Christian Cambon, président et de M. Pascal Allizard, vice-président -

Adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN - Audition de Mme Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord

M. Christian Cambon, président. - Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui l'ambassadrice Muriel Domenach, représentante permanente de la France au conseil de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), pour évoquer l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance.

Ces deux pays ont été invités à rejoindre l'OTAN lors du sommet de Madrid qui s'est tenu du 28 au 30 juin dernier, après avoir manifesté leur volonté d'y adhérer en mai dernier. Les pays membres ont signé les protocoles d'adhésion le 5 juillet, ouvrant la voie à une ratification rapide par chaque État. Le Sénat ayant été saisi en premier du projet de loi de ratification de ces deux adhésions, notre commission examinera ce texte le mercredi 20 juillet, avant une discussion en séance publique le 21 juillet.

L'adhésion de ces deux pays était presque inimaginable il y a moins d'un an. Elle mettra fin à une neutralité militaire que ces États avaient adoptée pour des raisons différentes, mais qui ne leur paraît plus tenable aujourd'hui face à un même événement : l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Tant la Suède que la Finlande estiment en effet que ce développement constitue un bouleversement stratégique majeur, et que leur sécurité serait désormais mieux assurée au sein de l'Alliance qu'en dehors.

Nous aimerions aborder ce matin avec vous cette double adhésion et ses conséquences pour l'Alliance.

S'agissant de l'adhésion elle-même, vous évoquerez sans doute les négociations qui ont eu lieu en amont, notamment entre la Turquie, dont la position a changé, et les deux pays candidats. Nous avons quelque inquiétude à cet égard. Par ailleurs, à quelle échéance peut-on s'attendre à ce que le processus d'adhésion soit bouclé ?

Ensuite, peut-on la replacer dans le cadre du nouveau concept stratégique adopté lors du sommet de Madrid, qui comprend un certain nombre d'innovations s'agissant de la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN ?

Par ailleurs, quelle nouvelle contribution ces deux pays pourront-ils apporter à l'Alliance en termes militaires, sachant que de multiples mécanismes de coopération existent déjà de longue date entre eux et l'OTAN ? Est-il également envisagé de déployer de nouvelles positions militaires de l'Alliance dans ces deux pays ? Rappelons qu'à la suite de l'invasion russe, l'OTAN a déjà activé ses plans de défense et déployé des éléments de sa force de réaction à la suite de l'agression russe. L'Alliance a ainsi mis en place quatre groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Hongrie, Slovaquie et Roumanie, avec la France comme nation-cadre, ceci en plus des groupements déjà déployés dans les pays baltes et en Pologne.

Le président Poutine a indiqué qu'un déploiement supplémentaire en Suède et en Finlande entraînerait automatiquement une réaction de la part de la Russie ; on ignore de quel ordre.

Le deuxième aspect important que nous souhaiterions aborder est celui de la manière dont notre pays envisage ces deux candidatures, ainsi que la suite du processus d'adhésion. Notre position sur la Suède et la Finlande aura-t-elle également des conséquences sur la manière dont nous considérons les autres candidatures déjà déclarées, à savoir celles de l'Ukraine, de la Géorgie et de la Bosnie-Herzégovine ?

Que penser, enfin, de l'invitation faite au Japon, à la Corée du Sud et à la Nouvelle-Zélande, représentés pour la première fois lors d'un sommet de l'OTAN le 28 juin dernier à Madrid, en lien avec la mention de la Chine dans le nouveau concept stratégique ? Cette évolution correspond-elle à la vision de l'Alliance promue par la France ?

Mme Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OTAN. - J'ai signé les protocoles d'adhésion de la Finlande et de la Suède le 5 juillet. Nous avons connu un moment historique que nous ne pensions pas vivre. Nous nous étions entretenus avec les représentations nationales de Finlande et de Suède en 2021, mais ce débat n'était pas mûr et personne ne faisait pression en ce sens. Ces États étaient déjà les partenaires les plus proches de l'Alliance, dans le cadre du partenariat pour la paix depuis 1994, et avaient participé aux opérations au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Ils sont partenaires renforcés depuis 2014.

C'est bien la guerre en Ukraine et l'agression russe qui ont marqué une rupture vers l'adhésion. Le président finlandais a été reçu ici même, ses voeux de Nouvel An avaient frappé les observateurs tant ils annonçaient une évolution de la position de la Finlande, donc de la Suède. Le pays dont on s'attendait le moins qu'il le fasse, celui qui a toujours revendiqué le dialogue avec la Russie, a pris l'initiative.

Dès le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le 25 février, l'OTAN a activé le mécanisme d'interactions renforcé, qui permet l'échange d'informations classifiées, et l'accès des alliés aux territoires et aux eaux territoriales suédois et finlandais. Ces pays réunissant les critères - ils sont démocratiques, leurs forces armées sont interopérables, ils apportent une contribution nette à la sécurité de l'Europe -, le processus d'adhésion a été très rapide. Dès le dépôt de leur candidature, mi-mai, nous avons préparé un calendrier accéléré en vue de leur participation comme invités au sommet de Madrid du 28 au 30 juin, ce qui signifiait que le protocole était signé. Celui-ci n'avait pu être finalisé avant Madrid, car M. Erdogan avait exprimé des objections, ce qui a suscité un flottement. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, s'est investi dans une mission de bons offices et a organisé une réunion trilatérale entre la Turquie, la Suède et la Finlande, qui a permis de signer un mémorandum levant l'objection turque. La signature des protocoles a pris place le 5 juin.

La Suède et la Finlande sont donc déjà invitées à nos réunions et nous sommes engagés dans le processus de ratification.

Vu de l'OTAN, dix des alliés ont déjà ratifié le protocole d'adhésion, parmi lesquels l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les Pays-Bas. Les États-Unis le feront d'ici à août. Le calendrier de la plupart de nos alliés prévoit des ratifications avant septembre. Restent des points d'interrogation pour la Grèce, en raison d'élections anticipées, la Hongrie et la Turquie, car la Grande assemblée ne reprend ses travaux que début octobre. Nos partenaires suédois et finlandais attendent donc une ratification susceptible de les appuyer dans la perspective du processus turc, lequel s'annonce difficile.

M. Erdogan a ainsi indiqué que la Turquie attendait des témoignages de solidarité envers elle de la part de ses alliés. Elle demande ainsi des extraditions de militants depuis la Suède et la Finlande et la modernisation par les États-Unis de certains de ses F16. En effet, elle a été suspendue du programme F35 après avoir acheté des batteries antiaériennes russes et ne bénéficie donc pas d'avions de cinquième génération, alors que, en Méditerranée orientale, la Grèce bénéficiera de Rafale. La Turquie demande donc la cession de quarante F16 et la modernisation de quatre-vingts autres. Ces demandes sont à l'examen auprès du Congrès des États-Unis.

Il y aura donc une conversation difficile avec la Turquie ; en évitant autant que possible la confrontation, nous, démocraties européennes, avons intérêt à faire poids du côté de la Suède et de la Finlande.

Quant aux apports de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, ils se résument en trois points. D'abord, l'interopérabilité des forces suédoises et finlandaises avec celles des alliés est déjà très élevée. Par exemple, la semaine dernière, l'armée de l'air française a conduit des exercices avec les forces aériennes finlandaises.

Ensuite, la Suède et la Finlande ont des forces armées, des budgets et des industries de défense conséquents. La Finlande bénéficie d'un dispositif dit « de résilience ». Elle dispose de 280 000 personnels et d'une capacité de mobilisation allant jusqu'à 870 000 réservistes, ce qui en fait l'une des armées européennes les plus importantes. Son budget de défense la place au quinzième rang parmi les alliés de l'OTAN, pour une population réduite, et devrait augmenter à 2 % du PIB dès 2022.

La Suède a une armée plus réduite, qu'elle a prévu de renforcer, en élevant son budget de défense à 2 % du PIB d'ici à 2028. Elle se trouve actuellement au treizième rang parmi les alliés de l'OTAN et elle dispose d'une industrie de défense importante.

Sur le plan stratégique, ces deux pays apportent la profondeur stratégique dont nous avons besoin pour renforcer la posture de défense et de dissuasion de l'OTAN sur le flanc oriental, comme le prévoit le concept stratégique adopté à Madrid. Dans ce contexte, la France est présente en Estonie aux côtés des Britanniques, elle a endossé un rôle de nation-cadre en Roumanie et le Président de la République a annoncé qu'elle se tenait prête à augmenter son dispositif jusqu'à l'équivalent du niveau brigade, en cas de besoin. Elle dispose en outre de capacités de défense aérienne, notamment autour du port de Constanza, en Roumanie. Nous veillons à ne pas fixer inutilement les forces dont nous avons besoin. Si une présence sur le flanc oriental est nécessaire, la profondeur stratégique est un enjeu encore plus important, de sorte que l'adhésion de la Finlande et de la Suède est indispensable pour améliorer la défense des pays baltes et plus largement celle du front oriental.

Enfin, ces deux États sont des partenaires engagés en faveur de la défense européenne. Ils ont contribué à la task force Takuba et ont marqué leur intention de favoriser le renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne dans leur lettre d'adhésion.

Quant à la Russie, le risque qu'elle les déstabilise reste limité, notamment en raison de l'engagement des forces de la région militaire nord dans les combats en Ukraine, où elles ont connu des pertes importantes.

De plus, la Suède et la Finlande ont d'ores et déjà reçu des réassurances en matière de sécurité de la part des Alliés, dont la France.

Enfin, la rhétorique du pouvoir russe semble avoir évolué : alors que le ministre des affaires étrangères russe s'était initialement montré menaçant, le président Poutine est revenu, le 29 juin dernier, à un discours bien plus apaisé, laissant entendre que si les deux pays voulaient rejoindre l'OTAN, ils n'avaient qu'à le faire.

La position de la France à l'OTAN a consisté à soutenir ces deux démocraties européennes qui contribuent à la sécurité de l'Europe et sont des membres actifs de l'Union européenne, dont la Suède prendra la présidence à l'issue du mandat tchèque.

M. Gilbert Roger. - Je suis favorable à l'entrée de ces deux pays dans l'OTAN. Il n'est sans doute pas très diplomatique de parler de « chantage turc ». Toutefois, une communauté kurde importante se trouve en Finlande et en Suède. Quelle contrepartie exigera donc Erdogan ? De plus, a-t-on des informations sur ce que les États-Unis donneront à la Turquie, en particulier en ce qui concerne les F16 ?

M. Pierre Laurent. - Nous nous opposerons à la ratification, car nous considérons qu'elle est trop rapide et qu'il faudrait d'abord ouvrir un débat politique approfondi sur la nature globale du document stratégique de l'OTAN adopté à Madrid, car l'enjeu n'est pas seulement celui de l'adhésion de la Suède et de la Finlande.

Cette demande d'adhésion est motivée par un désir de protection qui s'est accru en très peu de temps, dans l'opinion publique, en Finlande et en Suède. Toutefois, si elle se réalisait, l'adhésion ferait de la frontière russo-finlandaise le front oriental de la confrontation entre l'OTAN et la Russie, avec des conséquences inconnues à ce jour. Le document stratégique de l'OTAN mentionne qu'il faut intensifier la présence de l'OTAN dans les pays géographiquement limitrophes. Derrière l'adhésion de la Finlande et de la Suède, se profile donc l'installation de bases de l'OTAN tout le long de la frontière avec la Russie. Pourriez-vous préciser la nature du projet en la matière ?

Concernant la Turquie, vous avez mentionné les extraditions des démocrates kurdes. Erdogan propose de les enfermer à vie, comme des milliers d'autres le sont déjà dans les prisons turques. Qu'en est-il également de la possibilité d'une nouvelle offensive turque dans le nord de la Syrie ? Ce point fait-il partie des marchandages en cours avec Erdogan dans le cadre des discussions à l'OTAN ?

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je me réjouis que les trente États membres de l'OTAN soient parvenus à un accord à Madrid pour permettre à la Suède et à la Finlande de les rejoindre. Cette addition de deux pays neutres de l'Union européenne est à saluer, même si l'on aurait pu s'épargner la défiance de la Turquie, qui tourne maintenant au chantage.

L'adhésion de ces deux pays envoie un signal nouveau sur l'échiquier de la sécurité européenne. Quel devenir envisager pour la stratégie de l'Alliance atlantique, particulièrement au carrefour stratégique que constitue la Méditerranée ? Les tensions en mer Égée, déclenchées par la Turquie, sont très inquiétantes, de même que les potentielles intentions de Poutine qui, loin de se concentrer sur le Donbass, semble vouloir étouffer économiquement l'Ukraine en contrôlant une partie de la Méditerranée.

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, si elle est ratifiée, ouvrira-t-elle une nouvelle stratégie d'alliance, dirigée davantage vers le Nord que vers le Sud ? Comment la France oeuvrera-t-elle pour que la position stratégique de l'OTAN en Méditerranée perdure ?

M. Philippe Folliot. - Il n'y aura pas de ratification, car il faut l'unanimité. D'un point de vue politique, le signal n'en sera pas moins désastreux à certains égards. Dans quelle mesure prend-on cela en compte ?

En outre, quid de cet élargissement de l'OTAN par rapport au concept stratégique et aux perspectives concernant le Japon et la Corée ? L'Alliance est-elle appelée à changer complètement de nature, passant d'un cadre euro-atlantique à une alliance des démocraties à l'échelle mondiale, avec toutes les conséquences que cela pourra entraîner ? Quelles perspectives envisager, notamment au regard de l'alliance Aukus qui a été mise en place il y a quelques mois ?

M. Hugues Saury. - Je suis favorable à cette adhésion, mais je m'interroge sur les conséquences qu'elle aura sur l'Europe de la défense. À plusieurs reprises, le Président de la République a qualifié l'OTAN d'organisation « en état de mort cérébrale ». Il me semble que l'agression russe a entraîné un retour à la vie de l'Alliance. Toutefois, ce nouveau dynamisme que confirme cette double adhésion ne condamne-t-il pas, en dernier ressort, le développement d'une Europe de la défense ?

- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -

M. Jacques Le Nay. - Quid de la posture de l'OTAN concernant l'enclave de Kaliningrad ?

M. Guillaume Gontard. - Je comprends la volonté finlandaise et suédoise de rejoindre l'OTAN, mais je m'interroge sur la rapidité de cette ratification et sur les conséquences qu'elle pourrait avoir quant à l'escalade des tensions, en particulier avec la Russie.

De plus, je partage les interrogations de mes collègues : n'est-ce pas là une condamnation de l'Europe de la défense ? Il faudrait sans doute revoir cette question géopolitique, car la place de l'Europe me paraît importante.

Un point nous inquiète particulièrement : il semblerait que M. Erdogan ait obtenu, en échange de la levée de son veto, que la Finlande et la Suède s'engagent à lutter contre ce qu'il appelle « le terrorisme » avec détermination et résolution, et qu'elles traitent notamment de manière rapide la demande d'extradition portant sur trente-trois individus. Ce point très précis laisse entendre qu'il y aurait une coopération renforcée pour réprimer la minorité kurde partout où cela est possible, ce qui nous semble très inquiétant. Avez-vous des précisions sur ce sujet ?

Mme Nicole Duranton. - Alors que Vladimir Poutine semble avoir mis en pause ses menaces de représailles en cas d'adhésion suédo-finlandaise à l'OTAN, le principal obstacle intervient désormais à l'intérieur de l'Alliance atlantique. Des consultations ont eu lieu, mercredi dernier, au sein du Conseil atlantique pour tenter de lever l'opposition de la Turquie au lancement du processus. Comment l'action de la Russie peut-elle remettre en cause ces adhésions et quelles conséquences celles-ci peuvent-elles avoir sur la protection de l'Union européenne contre d'éventuelles tentatives d'agression russes ?

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, en matière d'achats d'armements stratégiques, ne profitera-t-elle pas d'abord aux États-Unis ? Dans quelle mesure pourra-t-elle bénéficier aux fournisseurs d'armement européens ?

M. Mickaël Vallet. - D'un point de vue strictement franco-français, quel intérêt représente l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN ?

Pour nuancer quelque peu l'enthousiasme général, ne faudrait-il pas s'interroger sur les risques qu'implique la fin de la finlandisation et de la zone tampon ? Il n'est pas neutre pour l'Alliance atlantique que s'établisse une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie. Qu'avons-nous à y perdre et comment compenser d'éventuels inconvénients ?

Mes collègues ont déjà évoqué le paradoxe qu'il y a à approfondir l'Alliance atlantique, d'un côté, et à développer, de l'autre, l'idée d'une défense européenne. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, pour l'instant, l'OTAN ne semble pas prévoir de déployer des forces supplémentaires en Suède et en Finlande. Quelle visibilité avons-nous en la matière et jusqu'à quand cette position vaudra-t-elle ?

M. Joël Guerriau. - Le budget de l'OTAN représente près de 2,5 milliards d'euros. La contribution qu'apporteront la Finlande et la Suède s'ajoutera-t-elle à ces 2,5 milliards d'euros ou bien y sera-t-elle intégrée, de sorte que la participation française, qui avoisine les 12 %, pourra être réduite ?

De plus, est-ce leur contribution à l'OTAN qui conduit la Finlande et la Suède à augmenter leur budget de défense jusqu'à 2 % du PIB ?

Enfin, quelles conséquences leur contribution aura-t-elle sur les efforts que nous menons pour la création d'un fonds de défense européen ?

M. Pascal Allizard, président. - Madame l'ambassadrice, nous suspendons ici la captation de cette réunion pour vous permettre d'aborder dans vos réponses certains points nécessitant le huis clos.

La réunion est close à 10 h 55.