Mercredi 14 mai 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Code de bonnes pratiques en matière d'intelligence artificielle à usage général - Examen de la proposition d'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons ce jour pour examiner deux dossiers.

Le premier concerne la proposition d'avis politique préparée par Catherine Morin-Desailly et Karine Daniel sur le code de bonnes pratiques en matière d'intelligence artificielle (IA) à usage général. Ce code découle du règlement sur l'intelligence artificielle et les négociations en cours se passent mal.

Or le sujet est important puisque, derrière ce code, se cachent des enjeux de transparence d'utilisation de données et de respect du droit d'auteur. Plusieurs parties prenantes ont vivement critiqué le processus de négociation en cours. Je remercie donc nos collègues Catherine Morin-Desailly et Karine Daniel de nous éclairer sur ce dossier pour nous permettre de rappeler certaines exigences à la Commission européenne.

Je vous présenterai ensuite la traditionnelle communication sur le bilan des positions européennes du Sénat au cours de la session passée, qui viendra alimenter notre contribution en vue du débat sur l'application des lois programmé le 11 juin prochain.

Je cède la parole à Catherine Morin-Desailly et Karine Daniel pour le premier point.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Monsieur le Président, chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner une proposition d'avis politique sur un sujet particulier qui découle du règlement sur l'intelligence artificielle : le code de bonnes pratiques et son corollaire, le modèle de résumé suffisamment détaillé. Ces deux documents sont extrêmement importants : en effet, en assurant la transparence sur les données utilisées, ils permettront ainsi d'assurer le respect du droit d'auteur.

Avant d'entrer dans le détail de ces documents et de vous expliquer pourquoi il est nécessaire que nous nous saisissions de ce sujet, laissez-moi vous rappeler rapidement quelques éléments de contexte.

Il y a quelques années, lors des négociations sur l'adoption de la directive sur les droits d'auteurs et les droits voisins, une disposition est apparue au cours du processus législatif : la « fouille de données », à savoir une dérogation laissée aux acteurs économiques qui permet de déconstruire un contenu pour en tirer les données. Cette « fouille » n'est possible que si deux conditions cumulatives sont remplies : l'accès doit être licite et le détenteur des droits ne doit pas avoir formulé d'opposition à cette fouille (on parle d'opt-out lorsqu'il s'y oppose).

Cette disposition, en apparence anodine, n'a fait l'objet à l'époque que de peu de contestations par les titulaires de droits : à ce moment, personne ne voit très bien à quoi cela correspond, ni ne se sent concerné par cette disposition, à l'exception peut-être de la commission de la culture du Sénat, qui s'était interrogée et avait émis quelques doutes au moment de la transposition.

La prise de conscience est intervenue, de façon soudaine, il y a deux ans, lorsque ChatGPT a fait irruption dans le paysage : tout le monde a alors compris que les contenus en ligne avaient tous été aspirés et utilisés.

Hasard bienheureux de calendrier, les négociations du règlement sur l'intelligence artificielle étaient en cours au même moment. Dès lors, certains colégislateurs se sont mobilisés pour inscrire dans le texte des obligations de transparence et pour constituer un cadre constructif et encourageant pour les auteurs, apportant des garanties positives ainsi qu'une reconnaissance du besoin de transparence.

Bien que figurant dans le règlement définitivement adopté, la protection du droit d'auteur nécessite au préalable la formalisation de deux documents pour pouvoir être pleinement effective :

- d'une part, un code de bonnes pratiques détaillant les règles du texte sur l'IA, qui permettra aux fournisseurs de démontrer qu'ils se conforment non seulement au texte, mais plus généralement à l'acquis communautaire en matière de droits d'auteur et de droits voisins ;

- d'autre part, un modèle de résumé des sources utilisées pour entraîner des modèles d'IA (dit template).

La négociation de ces deux documents relève, pour le premier, de groupes de travail chapeautés par le bureau européen de l'intelligence artificielle, qui se présente comme un centre d'expertise en matière d'IA, placé au sein de la Commission européenne et, pour le second, directement du bureau de l'IA.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - La première réunion de négociation du code de bonnes pratiques a eu lieu le 30 septembre 2024. Près de 1 000 participants, regroupant des fournisseurs de modèles d'IA à usage général, des organisations sectorielles, des représentants de la société civile, des titulaires de droits, des universitaires, des représentants des journalistes ou encore des experts indépendants, avaient répondu à un appel à participer à cette élaboration, conscients de l'enjeu autour de ce texte. Des groupes de travail ont été formés, avec pour objectif d'élaborer le premier code de bonnes pratiques pour les IA à usage général.

La première version du code a été publiée le 14 novembre 2024. Cette ébauche proposait que les fournisseurs d'IA détaillent les données utilisées et mettent en place une véritable politique de droit d'auteur, allant de l'entraînement à la production de contenus. Étaient également prévues la séparation des robots IA de ceux des moteurs de recherche et l'interdiction d'aspirer les sites de piratage. Enfin, cette première version demandait aux fournisseurs d'IA de codévelopper des standards « lisibles par les machines » avec les ayants droit et des tiers.

À partir des commentaires émis par les différentes parties a été publié le 19 décembre 2024 un deuxième projet du code de bonnes pratiques pour l'IA, qui précisait les mesures de conformité déroulées dans la première ébauche, à l'aide d'indicateurs de performance. En outre, le document se montrait plus ferme sur la responsabilité des fournisseurs de modèles d'IA, à l'égard des données d'entraînement acquises auprès de tiers et sur la génération de contenus protégés, en plus des mesures de réduction des risques.

Cette deuxième version a été discutée le 17 janvier. Il semblait alors qu'on était plutôt sur la bonne voie, du moins pour ce qui est de la protection du droit d'auteur, jusqu'à la publication, le 11 mars, de la troisième version, qui a fait l'unanimité contre elle.

Les critiques émises à l'encontre de cette version proviennent autant des représentants des fournisseurs d'IA que des défenseurs d'une approche protectrice et régulée de l'IA ou des représentants des acteurs culturels ou journalistiques. À la suite de la publication de cette version, l'ONG Reporters sans Frontières (RSF) a ainsi annoncé quitter les négociations, tandis que des organisations d'ayants-droits ont demandé la suppression de la mention du copyright dans le code. Des parlementaires européens eux-mêmes, tous négociateurs du texte, ont fait part de leurs inquiétudes sur son contenu, qui ne respecterait pas l'intention de l'accord de trilogue.

En parallèle, le bureau de l'IA travaille depuis quelques mois sur le canevas d'un modèle suffisamment détaillé, qui doit lister les contenus utilisés pour entrainer les modèles, sans vraiment associer les parties prenantes : une approche leur a été transmise en janvier, mais aucun « brouillon » de modèle. C'est quand même un comble de manquer autant de transparence sur l'élaboration d'un document dont l'objectif est, justement, d'assurer la transparence !

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Maintenant que nous vous avons présenté le contexte de ce code, voyons les principales propositions qu'il contient ainsi que les critiques émises par les différentes parties prenantes.

Si l'on reprend la formulation retenue dans le règlement sur l'IA, les fournisseurs d'IA doivent mettre en place une politique visant à se conformer au droit de l'Union européenne en matière de droit d'auteur et de droits voisins, notamment en identifiant et en respectant toute réservation de droits, et renvoyer pour cela à l'élaboration d'un code de bonnes pratiques sur lequel les fournisseurs de modèles d'IA à usage général pourront s'appuyer. Or, cette démarche ambitieuse se traduit dans la troisième version du code par un allègement des exigences en matière de protection du droit d'auteur. Ainsi, un fournisseur d'IA ne serait tenu qu'à un « effort raisonnable » pour atténuer le risque qu'un modèle mémorise des contenus protégés par le droit d'auteur.

Se pose aussi la question de la réserve de droits : comment est-elle prise en compte par les modèles ? Le code suggèrerait que combiner l'adoption de mesures techniques de contrôle d'accès avec des « efforts raisonnables » pour exclure une liste limitée de sites de piratage suffirait à garantir la condition « d'accès licite » aux contenus protégés. Or, la question de l'accès licite n'est pas neutre, c'est même l'une des deux conditions posées par la directive sur le droit d'auteur pour permettre la fouille de données à des fins scientifiques, elle doit donc être préservée et en conformité avec la directive sur le droit d'auteur.

Enfin, la troisième version du code a revu à la baisse les exigences en matière de transparence sur les méthodes employées pour le respect des mécanismes de réserve de droits. Le code ne reconnaît en outre que le fichier robots.txt pour déterminer l'existence, ou non, d'une réserve de droit, ce qui est, d'une part, insuffisant et, d'autre part, réducteur, car d'autres méthodes de réserve de droits existent et sont au moins aussi robustes.

Outre les aspects relatifs au droit d'auteur, la dernière version du code est trop silencieuse sur la fiabilité des données moissonnées et, par conséquent, sur la fiabilité de l'information. Ainsi, ne figurent dans la troisième version du code ni la mention du droit à l'information, ni des mesures concrètes pour protéger le journalisme, ni des dispositions suffisantes relatives aux risques d'altération de la fiabilité de l'information, aux fausses nouvelles ou à la prolifération de faux sites d'information automatisés, qui prolifèrent actuellement.

À ce propos, pas plus tard que la semaine dernière, plusieurs éditeurs de presse, parmi lesquels Libération, La Dépêche du Midi, Sud-Ouest, La Montagne..., ainsi que l'Alliance de la Presse d'Information Générale (Apig) ont obtenu une première victoire contre un site généré par intelligence artificielle, dit News Day FR, qui devra être bloqué par les opérateurs Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom pour une durée de dix-huit mois, pour atteinte au droit d'auteur et aux droits voisins : le site générait automatiquement des contenus grâce à l'IA à partir des articles des éditeurs.

S'agissant du modèle de résumé suffisamment détaillé, pour le peu qui a été rendu public, il n'est justement, et contrairement à son nom, pas très détaillé.

Selon l'approche présentée le 17 janvier, les résumés contiendraient trois parties : en premier lieu, des informations générales sur l'entité qui entraîne l'IA, l'ampleur de l'entraînement et les sources ; en deuxième lieu, une liste des sources de données ; en troisième lieu, les traitements destinés à respecter la réservation de droits (opt-out) et à retirer des contenus indésirables. Concernant les contenus aspirés, la Commission européenne déclare vouloir connaître la liste du « top 10 % » des sites consultés par type de données (texte, image...). Mais quid du reste ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Ne nous y trompons pas : ces enjeux sont, à l'évidence, très importants et je ne citerai que les principaux, essentiels à mes yeux : le respect d'un secteur économique et social vital en France, le secteur culturel ; le respect d'une information fiable et absolument nécessaire à nos démocraties ; le respect des auteurs, des créateurs, des journalistes, au sens large et pour chaque secteur culturel, avec ses spécificités, impliquant leur droit de décider de l'utilisation qui est faite de leurs oeuvres et de voir leur choix respecté.

Or ce code de bonnes pratiques reste en-deçà de la législation européenne déjà adoptée et sur laquelle nous avions clairement indiqué nos exigences dans notre avis politique du 13 mars dernier relatif à l'application stricte du cadre réglementaire numérique de l'Union européenne et appelant au renforcement des conditions d'une réelle souveraineté numérique européenne.

Pour évaluer ce code de bonnes pratiques, nous avons travaillé vite. Tout d'abord pour être en conformité avec le calendrier des négociations : la version finale du code était initialement prévue pour le 2 mai, puis elle a été décalée à fin mai. Aujourd'hui, le texte piétine tellement que les dernières annonces laissent envisager un document final cet été, avant le mois d'août !

Nous avons pu rencontrer un certain nombre de parties prenantes, toutes unies dans leur diversité pour le respect de leurs droits, de leur métier, de leur éthique.

L'avis politique que nous vous présentons aujourd'hui a pour objectif d'appeler la Commission européenne à donner au code de bonnes pratiques l'ambition qu'il mérite et à refuser d'avaliser toute proposition de code qui ne serait pas conforme au règlement sur l'intelligence artificielle et, plus généralement, aux valeurs européennes.

Pour cela, nous vous proposons de porter plusieurs propositions qui découlent simplement des dispositions du règlement sur l'intelligence artificielle : d'abord, l'obligation de ne récolter et n'utiliser les données pour entraîner les modèles que si les auteurs l'ont explicitement autorisé. Ensuite, nous demandons à la Commission européenne de rassembler l'ensemble des parties prenantes, afin de renouer et de poursuivre le dialogue et sans opter pour des exigences a minima qui seraient préjudiciables à la protection des droits fondamentaux et à la démocratie. Nous rappelons aussi que tout allègement des exigences en matière de transparence est de nature à affaiblir la portée de la réglementation européenne sur l'IA et, au-delà, de tout le cadre européen sur le numérique. Nous soulignons que l'exigence d'évaluation et d'atténuation des risques systémiques, auxquels appartiennent les risques pour les droits fondamentaux et la démocratie, n'est pas optionnelle.

Nous dénonçons l'affaiblissement du dispositif d'évaluation envisagé. Enfin, nous alertons la Commission européenne, d'une part, sur l'importance de la transparence, qui permet l'exercice du droit à un recours effectif, droit reconnu et protégé, notamment, par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'Homme et, d'autre part, sur le risque d'insécurité juridique et sur le danger pour la démocratie que ferait courir l'adoption d'un code de bonnes pratiques non conforme au règlement adopté par les colégislateurs européens.

Nous vous proposons également de contester le choix du protocole d'exclusion des robots, dit robot.txt, pour déterminer les contenus ne pouvant être utilisés pour l'entraînement des données et de rappeler que, l'intelligence artificielle s'appuyant sur un raisonnement probabiliste, l'obtention de données de qualité est un prérequis pour l'entrainement des modèles. Enfin, nous demandons à la Commission européenne de ne céder ni au chantage des entreprises de la tech, qui menacent de ne pas signer le code, ni aux pressions d'États tiers ne se retrouvant pas dans le modèle européen.

S'agissant du modèle de résumé suffisamment détaillé, nous vous proposons d'exprimer nos regrets quant à la méthode employée et d'inciter le bureau de l'intelligence artificielle de la Commission européenne à prendre en compte la diversité et les spécificités structurelles des industries culturelles. Nous estimons aussi que l'approche par échantillons de données n'est pas une approche suffisante, si elle ne retient que 10 % des sites consultés par type de données, car cela ne permet pas aux parties ayant des intérêts légitimes d'exercer ou de faire respecter les droits que leur confèrent les textes européens.

En outre, nous vous proposons de rejeter la dérogation accordée aux petites et moyennes entreprises d'abaisser l'échantillonnage à 5 % car cela ne figure nullement dans le texte des colégislateurs !

Enfin, nous demandons que le modèle contienne au moins, pour assurer la plus grande transparence en la matière, la liste des URL consultées et la date de la collecte des données. Cela ne constituerait nullement une violation du secret des affaires, comme on l'entend trop souvent de la part des fournisseurs d'IA car, à la différence des modèles algorithmiques, les données ne bénéficient pas de la protection de ce secret.

Comme le dit la professeure Alexandra Bensamoun, que nous avons auditionnée, nous voulons « les ingrédients mais pas la recette ».

Voilà, mes chers collègues, les éléments que nous souhaitions vous proposer, pour marquer l'engagement continu de notre commission et du Sénat, auquel fait écho une mission d'information de la commission de la culture, en faveur du respect des ambitions initiales européennes pour le respect des droits d'auteur et des métiers de la création et du journalisme, pilier de la démocratie. Il n'y a pas tant de pays dans le monde, tant de régions du monde, qui peuvent s'enorgueillir de bénéficier d'une presse libre, critique, indépendante. Nous devons nous donner les moyens de pérenniser notre presse, dans la continuité du règlement sur la liberté des médias. Or ce pillage des données affaiblit et assèche ce secteur, conduisant à la disparition de certains titres et portant atteinte à la libre information, et donc à la démocratie.

Par cet avis politique que nous vous proposons d'adopter, nous rappelons tout simplement la Commission européenne à ses devoirs essentiels en la matière : respecter l'esprit et la lettre du règlement sur l'intelligence artificielle ; affirmer avec force notre attachement à la défense du droit d'auteur, des industries culturelles et de l'information, de la liberté des médias et des droits des journalistes. C'est une idée de l'Europe que nous défendons tous ensemble, ce sont des valeurs, de la création et de l'esprit, et j'espère que nous partageons cette idée qu'elle doit être défendue dans le monde actuel. Je vous remercie.

M. Ronan Le Gleut. - Je tiens à féliciter les rapporteures pour la qualité de leur travail très détaillé sur un sujet complexe, et j'approuve totalement le projet d'avis politique.

Je m'interroge néanmoins sur un point. Les acteurs de l'IA mènent une bataille de l'innovation, tandis que l'Europe a du retard, comparé aux acteurs américains ou chinois. En régulant, ne prend-on pas le risque que nos acteurs européens soient freinés dans leurs innovations par un surplus de réglementation qui les toucherait uniquement ? Quelle est la dimension extraterritoriale de cette mesure ? On ne pourra pas rattraper le retard pris si seuls les acteurs européens sont entravés.

Mme Amel Gacquerre. - Est-ce que ce code va imposer des obligations supplémentaires aux entreprises pour son application ? Je comprends qu'il s'agit d'une mise en oeuvre du règlement sur l'intelligence artificielle, mais est-ce que cela va nécessiter des moyens supplémentaires pour nos différents acteurs, notamment nos entreprises ?

Mme Marta de Cidrac. - Je vous remercie pour votre rapport. Je comprends que vous craigniez un affaiblissement de l'acte démocratique, notamment l'expression de nos journaux et du travail des journalistes. Il me semble que les difficultés de la presse précèdent l'IA, donc est-ce que l'intelligence artificielle ne serait pas simplement un accélérateur de cet affaiblissement ? Ces métiers ne devraient-ils pas se réinventer ?

En outre, plutôt que de prôner des bonnes pratiques, dont je doute qu'elles soient suivies par les entités extra européennes, ne faudrait-il pas bâtir une sorte de contrat entre tous les acteurs de l'IA, les fournisseurs et les sources dont se servent les IA, pour qu'il y ait des vecteurs rémunérés et une sorte de transition des métiers de l'information ?

M. Didier Marie. - Je vous remercie. Je trouve que l'alinéa 51 résume parfaitement bien l'avis politique : « Demande à la Commission européenne de ne pas reculer face aux géants de la tech et aux fournisseurs d'IA qui exercent un chantage à la signature du code de bonnes pratiques ; exige une application stricte des règlements votés, sans céder aux pressions d'États tiers ; souligne que c'est le projet européen, fondé sur la démocratie et les droits de l'homme, qui est en jeu ». Il marque l'importance que l'on doit accorder à la façon dont l'Union européenne appréhende ce sujet. Quelle est la dimension prescriptive voire coercitive de ce code ? Si la Commission ne prend pas en compte tout ou partie de nos remarques, aurons-nous d'autres moyens d'action ?

M. André Reichardt. - Cette absence totale de transparence est pour moi insupportable, ce n'est pas de cette façon que l'on peut avancer au sein de l'Union européenne, surtout sur un sujet aussi important. Le terme d'avis politique se justifie pleinement ici. Au-delà du fond, éminemment technique, cet avis politique permettra de montrer qu'on ne veut vraiment plus de cette Europe-là, telle qu'elle fonctionne.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Le code s'appliquerait à tous, quelle que soit la nationalité du fournisseur. Et de mon point de vue, le retard européen en matière d'innovation ne tient pas tant à un excès de régulation qu'à un déficit d'investissements dans la recherche dans les secteurs concernés. C'est flagrant quand on observe les fléchages des capacités d'investissement dans l'innovation, différents selon les pays. On a effectivement pris du retard sur les États-Unis.

Il faut néanmoins considérer le contexte tel qu'il est et ne pas survaloriser les recettes de l'innovation dans la tech par rapport à la valeur économique existante du fait de la création et de la part économique du secteur de la culture, de l'audiovisuel, du journalisme. On a l'impression aujourd'hui qu'on cherche à survaloriser le secteur de la tech, mais cela ne doit pas passer par la dévalorisation de la culture et de la création. Tout comme les bénéfices du secteur de la tech ne doivent pas se faire au détriment des autres secteurs : si on pille les données, on donne l'impression que le contenu est gratuit et n'a pas de valeur.

S'agissant de l'idée de donner une licence globale, certes on donne une valeur, mais identique pour tous, ce qui est problématique. La nature même de la culture et de l'art est de produire des contenus différenciés. Une licence globale, en lissant la valeur des contenus, irait contre cette différenciation.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - J'ai l'impression de revenir à la période de la discussion sur la création de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Il n'y avait à l'époque aucune offre légale sur internet, et on s'est rendu compte que si tout était piraté, on dévalorisait complètement la création. On a donc légiféré fermement, on a créé de la valeur sur internet.

Il faut un équilibre entre innovation et régulation, l'un ne va pas sans l'autre. Le règlement sur l'intelligence artificielle a été voté à la quasi-unanimité du Parlement européen, après un trilogue fructueux. C'est un texte d'équilibre qui peut faire référence, à l'instar du règlement général sur les protections des données (RGPD), à une époque où l'on convient tous qu'on a besoin d'une IA de confiance pour permettre le développement de l'économie qui est liée.

Oui, l'Europe est en retard, mais au risque d'être caricaturale et brutale, c'est parce que cela fait trente ans qu'on ne fait rien en matière de politique industrielle ! Je l'ai dit de nombreuses fois devant notre commission, et encore récemment dans le rapport que nous avons rédigé avec Florence Blatrix Contat sur la souveraineté numérique de l'Union européenne. Il y a deux ans, dans notre rapport sur la boussole numérique, on signalait déjà qu'il n'y avait ni plan, ni mécanisme de financement incitatif visant à associer recherche et soutien aux PME pour constituer des masses critiques suffisantes pour le développement de la souveraineté technologique européenne. C'est la même chose pour l'IA : si on ne change pas de paradigme, si on ne met pas en place rapidement des programmes transnationaux, si on ne crée pas de nouveaux outils, si on n'investit pas ensemble sur quelques projets phares, on sera complètement dépassés. Mais ce n'est pas en régulant qu'on empêche l'innovation, c'est un faux débat alimenté par les GAFAM. Une nouvelle hégémonie est en train de se mettre en place, par l'IA, entre acteurs américains et chinois, en aspirant toutes les données des européens, tous les contenus que l'on sait produire, affaiblissant par conséquent toutes nos entreprises qui se voient dépourvues de leur contenu et de leur valeur ajoutée, en privant de rémunération la matière grise qui est à l'origine de la production. On risque aussi d'appauvrir l'information, en renvoyant de fait les citoyens vers des sites d'informations entraînés sur des données moissonnées sur des sites non fiables, mettant à terre tout un secteur fondamental.

Il faut donc être ferme tout en ayant une politique industrielle dédiée. Ce n'est pas le moment de faiblir.

Mme Marta de Cidrac. - Je vous remercie pour vos réponses. Je comprends l'analogie avec HADOPI, néanmoins il me semble qu'il ne faut pas oublier que l'IA est la capacité de restituer dans un temps record des données qui existent ailleurs. Parle-t-on vraiment de la même chose ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Oui, c'est la même chose, on vit la même rupture qu'avec la musique à l'époque d'HADOPI. Le piratage de données est une forme de piratage, car il va permettre d'entraîner des modèles d'IA pour ensuite pouvoir recréer et proposer des contenus. L'IA n'est qu'un outil au service des fournisseurs, leur permettant de gagner de l'argent.

Mme Marta de Cidrac. - Mais ne peut-on pas réfléchir à un vecteur rémunéré ?

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Nous préconisons justement que le droit d'auteur et les droits voisins, qui existent dans notre législation, s'appliquent à l'IA. Pour prendre un exemple très connu, récemment, énormément d'images ont été générées sur la base des dessins des Studios Ghibli. Le Président de la République lui-même a réalisé une image selon le style d'Hayao Miyazaki. Or, ce dernier s'opposait complètement à une telle utilisation. Il s'agit donc d'une forme de pillage.

Si la presse est payante, c'est pour rémunérer le travail des journalistes. La seule exception qu'on pourrait accepter concerne les oeuvres tombées dans le domaine public. Mais il faut garder à l'esprit que passer un contenu dans l'IA, dans la boîte noire qu'elle constitue, ne permet pas de s'exonérer du droit existant et donc de la rémunération de celles et ceux qui contribuent à alimenter en données.

M. Didier Marie. - Peut-on revenir sur la portée du code de bonnes pratiques ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le règlement sur l'intelligence artificielle dispose que « Les fournisseurs de modèles d'IA à usage général peuvent s'appuyer sur des codes de bonne pratique au sens de l'article 56 pour démontrer qu'ils respectent les obligations énoncées au paragraphe 1 du présent article, jusqu'à la publication d'une norme harmonisée. Le respect des normes européennes harmonisées confère au fournisseur une présomption de conformité dans la mesure où lesdites normes couvrent ces obligations. Les fournisseurs de modèles d'IA à usage général qui n'adhèrent pas à un code de bonnes pratiques approuvé ou ne respectent pas une norme européenne harmonisée démontrent qu'ils disposent d'autres moyens appropriés de mise en conformité et les soumettent à l'appréciation de la Commission ».

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Ce code de bonnes pratiques est vu comme un élément fédérateur, puisque toute entité ne le signant pas devra démontrer que ses méthodes respectent les dispositions du règlement.

M. Jean-François Rapin, président. - Je propose que nous passions au vote.

L'avis politique est adopté à l'unanimité.

Bilan des positions européennes du Sénat en 2023-2024 - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Mes chers collègues, je vais effectuer un rapide bilan de notre travail au cours de la session parlementaire 2023-2024. Une présentation exhaustive de ce bilan est établie dans le rapport écrit qui vous a été transmis.

Lors de la session 2023-2024, l'activité de notre commission a été importante : nous avons tenu 48 réunions de commission pour un nombre total d'heures de réunions comparable à celui de la session 2022-2023 (73 h 30 contre 74 h 10 en 2022-2023).

Ce travail a d'abord été un travail d'échange et d'influence auprès des institutions de l'Union européenne et de nos partenaires des autres États membres. Il s'agit d'une tâche essentielle pour influencer les négociateurs des textes européens afin qu'ils prennent en compte les positions européennes du Sénat.

Dans ce cadre, nous avons eu la chance d'entendre plusieurs commissaires européens et personnalités européennes de haut niveau. Je pense à l'audition du 9 novembre 2023 au cours de laquelle le commissaire Oliver Varhelyi, qui était alors en charge de l'élargissement, avait fait un point détaillé de la situation de chaque pays candidat à l'adhésion, ou encore à celle de M. Charles Fries, secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure, le 28 février 2024, qui avait dessiné les grands enjeux de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de l'Europe de la défense.

Par ailleurs, 18 déplacements de rapporteurs des commissions du Sénat, dont 9 pour notre commission, à Bruxelles ou à Strasbourg, ont permis à nos collègues d'échanger avec les services de la Commission européenne, les rapporteurs du Parlement européen et la représentation permanente française auprès de l'Union européenne.

Nous avons également poursuivi ce travail d'influence par la représentation du Sénat dans les réunions parlementaires qui rythment l'agenda des présidences de l'Union européenne : je veux citer, par exemple, les réunions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) de Madrid de Bruxelles ou encore la réunion avec nos homologues allemands et polonais en format Weimar à Stuttgart et Strasbourg (19-20 septembre 2024).

Notre commission a également entendu 18 communications, qui ont permis de nous éclairer sur l'activité de nos délégations à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE), mais aussi sur l'actualité européenne.

À titre d'exemple, je veux rappeler la communication d'André Reichardt sur la situation en Moldavie (14 décembre 2023), celle de nos collègues Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde sur la révision à mi-parcours du pacte de stabilité et de croissance (25 janvier 2024), ou encore, celle de nos collègues Amel Gacquerre, Daniel Gremillet et Michaël Weber sur le retrait de l'Union européenne du traité sur la charte de l'énergie (8 février 2024).

Notre commission a aussi effectué l'examen systématique de l'ensemble des textes européens qui lui ont été soumis. Au cours de la session 2023-2024, nous avons été saisis de 943 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution. La commission des affaires européennes en a examiné de plus près 328, soit en procédure écrite, soit directement lors de ses réunions, ce qui correspond à une augmentation de 15,9 % en un an.

Sur la base des textes européens reçus par notre commission, 11 résolutions européennes ont été adressées par le Sénat au Gouvernement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Dans un peu plus de 54 % des cas, soit 6 résolutions, ces positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité par les négociateurs européens.

Les 6 résolutions qui ont été le mieux suivies d'effet étaient relatives au programme de travail de la Commission européenne pour 2024, à l'action européenne contre les pénuries de médicaments, à la révision à mi-mandat du pacte de stabilité et de croissance, à la mobilisation de la Facilité européenne pour la paix pour l'Arménie, aux nouvelles techniques génomiques (NTG) et à la résilience des sols.

Ainsi, sur la révision du pacte de stabilité et de croissance, la réforme européenne intervenue, qui est en vigueur depuis le 30 avril dernier, a confirmé dans les grandes lignes l'équilibre défendu par nos collègues Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde, qui vise à conjuguer soutenabilité budgétaire et préservation de la capacité d'investissement.

Concernant l'Arménie, comme nous le demandions avec le président Retailleau et comme l'avait défendu notre collègue Valérie Boyer dans son rapport, la Facilité européenne pour la paix a été sollicitée, à hauteur de 10 millions d'euros, le 22 juillet 2024, pour renforcer les capacités logistiques des forces armées arméniennes et contribuer à une meilleure protection des civils.

Contre la pénurie de médicaments, je salue le travail de nos collègues Cathy Apourceau-Poly, Pascale Gruny et Bernard Jomier. Malgré des nuances, je relève que la position du Sénat est globalement en phase avec le « paquet pharmaceutique », tant sur l'urgence d'une action européenne que sur l'instauration d'une liste européenne de médicaments critiques, ou encore sur la possibilité de passer des marchés conjoints et de constituer des stocks. En pratique, le Conseil doit adopter un mandat de négociation sur ce paquet le 21 mai. De plus, l'acte européen sur les médicaments critiques, présenté par la Commission le 11 mars dernier, doit compléter ses dispositions par des mesures de soutien à l'accroissement de la production de médicaments critiques dans l'Union européenne.

J'en viens maintenant aux 5 résolutions européennes qui n'ont que partiellement été suivies d'effets. Il s'agit des résolutions européennes relatives à la lutte contre la corruption, à la PAC, à la cybersécurité, à la lutte contre les retards de paiement et au Mécanisme européen de protection civile.

Dans la plupart des cas, cette faible reprise était attendue en raison de nos divergences d'appréciation avec la Commission européenne. Je pense en particulier à notre résolution européenne sur la lutte contre la corruption dans l'Union européenne, co-rédigée avec Claude Kern et Didier Marie, qui a pris acte de l'absence de volonté des institutions européennes d'adopter des règles éthiques ambitieuses et qui a présenté un véritable « contre-projet ».

Autre exemple, la résolution portée par nos collègues Audrey Linkenheld, Catherine Morin-Desailly et Cyril Pellevat, a fait évoluer le texte dit « cybersolidarité » dans le bon sens. Elle a contribué aussi à supprimer la notion inexacte de « cyberbouclier » et à obtenir la prise en compte des impératifs de sécurité nationale qui avaient été mis au second plan.

Concernant la PAC, il faut constater, à la suite de l'adoption de nos nombreuses résolutions, que l'évolution est plus lente mais également positive de la part de la Commission européenne pour replacer la PAC parmi les priorités stratégiques européennes et pour défendre, de manière désormais assumée, la souveraineté alimentaire de l'Union européenne. La vision pour l'agriculture et l'alimentation présentée par la Commission européenne le 19 février dernier affirme ainsi que « la sécurité, la sûreté et la souveraineté alimentaires européennes ne sont pas négociables ». Nos positions répétées portent donc leurs fruits et je remercie nos collègues actifs sur ce sujet, en particulier Karine Daniel et Daniel Gremillet.

Nous avons aussi nourri le dialogue politique informel direct institué avec la Commission européenne par nos avis politiques. J'insiste sur l'importance de nos avis politiques qui sont adoptés rapidement et parviennent sans délai aux négociateurs européens. En 2023, les parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé 402 avis à la Commission européenne (contre 355 en 2022), dont 380 avis politiques et 22 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité.

Pour sa part, au cours de la session parlementaire 2023-2024, le Sénat a adopté 9 avis politiques. En nombre d'avis transmis, selon la Commission européenne, le Sénat est la 10ème assemblée parlementaire de l'Union européenne (sur 39) la plus active à cet égard. Je ne reviendrai pas sur le détail de ces avis car ils avaient le même objet et le même contenu que les résolutions européennes que nous avons adoptées.

Je veux rappeler en revanche que la Commission européenne a répondu systématiquement à nos avis politiques. Elle a cependant du mal à respecter son engagement de principe consistant à nous répondre dans un délai de trois mois. En pratique, son délai de réponse reste insuffisant, 44 % de ses réponses seulement ayant été envoyées au Sénat dans les délais.

Dans son dernier rapport annuel sur les relations avec les parlements nationaux, la Commission européenne a aussi relevé plusieurs innovations dans les contributions de ces derniers.

Elle indique ainsi que le Sénat a été la première chambre à transmettre un avis politique au niveau des trilogues. Il s'agissait de l'avis sur la proposition de cadre normatif européen sur l'intelligence artificielle, qui avait été adopté sur le rapport de nos collègues André Gattolin, Catherine Morin-Desailly, Cyril Pellevat et Elsa Schalck. Une autre chambre, en l'espèce le Bundesrat allemand, a choisi d'envoyer plusieurs avis successifs sur le projet d'acte sur la liberté des médias, afin de réagir aux négociations en cours.

Il faut également souligner que l'Eduskunta de Finlande a adopté des avis politiques sur des actes délégués et des actes d'exécution. C'est une innovation intéressante car, en principe, nos assemblées parlementaires ne sont pas sollicitées pour examiner ces normes secondaires mais très importantes.

Enfin, en 2023-2024, notre commission des affaires européennes a été saisie par la Commission européenne de 58 textes au titre du contrôle de subsidiarité que les traités confient aux parlements nationaux. Comme vous le savez, ce contrôle nous est confié à la fois par l'article 88-6 de notre Constitution et par l'article 5 du traité sur l'Union européenne (TUE).

Sur cette base, notre commission a adopté 2 avis motivés. Le premier concernait la proposition de directive sur la lutte contre les abus sexuels sur les enfants, qui a fait l'objet d'un examen attentif de notre collègue André Reichardt, et le second, la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense, ce thème de l'industrie européenne de la défense ayant fait l'objet d'un suivi continu de la part de nos collègues Dominique de Legge, Gisèle Jourda et François Bonneau.

Je rappelle que si les parlements nationaux adoptent des avis motivés réunissant un tiers des voix qui leur sont attribuées, ou un quart des voix dans le cas des textes sur l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, un « carton jaune » peut être adressé à la Commission européenne, ce qui doit l'amener à réexaminer son texte, voire à le retirer.

Malheureusement, un certain nombre de parlements ne s'impliquent pas dans la procédure. Les causes sont connues : on peut citer le nombre important de projets de textes européens à examiner, le manque d'expertise dans certains parlements, le choix politique de ne pas « fâcher » la Commission européenne ou encore, la brièveté de la procédure, puisque les avis motivés doivent être adoptés dans un délai de huit semaines.

Pourtant, mes chers collègues, l'action européenne du Sénat et, plus généralement, des parlements nationaux de l'Union européenne, est plus que jamais nécessaire à l'équilibre démocratique de l'Union européenne. D'une part, en raison des défis géopolitiques et économiques auxquels est confrontée l'Union européenne. D'autre part, parce que le fonctionnement institutionnel et démocratique de l'Union européenne doit être amélioré pour la rapprocher de nos concitoyens. Le rapport sur la « dérive normative » de l'Union européenne, que nous avons rédigé avec Didier Marie et Catherine Morin-Desailly, a dressé à un constat préoccupant sur ce fonctionnement mais a aussi conforté le Sénat en tant que force de proposition.

En effet, nos demandes de plus grande transparence et de meilleure association des parlements nationaux rencontrent de plus en plus d'écho. Nos demandes d'une analyse d'impact pour chaque réforme importante, d'instauration d'un « carton vert », c'est-à-dire d'un droit d'initiative des parlements nationaux pour proposer des textes européens, et d'un l'assouplissement des délais et des seuils du contrôle de subsidiarité, sont désormais reprises par la COSAC et soutenues par le Parlement européen.

Certes, malgré nos amendements lors de la dernière réunion de la Conférence des Présidents des parlements de l'Union européenne, qui s'est tenue lundi dernier à Budapest, cette dernière n'est pas encore tout à fait alignée sur les positions que je viens d'évoquer. Je veux néanmoins souligner que, sur notre proposition, elle a intégré dans ses conclusions la nécessité de prendre en considération les spécificités des régions ultrapériphériques (RUP) dans l'ensemble des politiques européennes.

Plus généralement, il y a vraiment un changement d'état d'esprit dans nos rencontres interparlementaires. Ainsi, à la Conférence de Budapest, l'importance du rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne a été affirmée par l'ensemble des participants, dont la Présidente du Parlement européen, Mme Roberta Metsola.

En effet, comme l'a rappelé précédemment André Reichardt, l'Union européenne a aujourd'hui l'obligation de mieux écouter la voix de nos concitoyens. Et cette voix, nous la portons humblement.

Mes chers collègues, je vous remercie donc pour votre travail et pour votre engagement. Comme vous le voyez, ils portent leurs fruits. À nous de continuer à nous mobiliser pour faire entendre la voix de nos concitoyens et des élus locaux auprès de l'Union européenne.

M. Didier Marie. - Je veux remercier le président Jean-François Rapin pour ce rapport annuel, qui effectue un bilan attentif de nos travaux. En écoutant la présentation du rapport, j'ai bien noté que le Bundesrat allemand avait décidé de transmettre plusieurs avis politiques successifs sur un projet de texte européen, ce qui est, pour nous, une piste de réflexion intéressante. Certains dossiers à venir, tels que les négociations du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) ou l'élargissement, pourraient justifier de suivre cet exemple.

Je voudrais aussi demander au rapporteur s'il peut nous indiquer si la Commission européenne répond systématiquement aux résolutions européennes du Sénat et aux avis politiques de notre commission, et de quelle manière.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, je rappelle que nos collègues Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde sont à l'oeuvre et mènent un travail d'auditions.

Les réponses de la Commission européenne à nos travaux ne concernent que les avis politiques transmis par notre commission, ces réponses devant en principe intervenir dans un délai de trois mois. Ces réponses prennent la forme d'un courrier signé par le représentant compétent du collège des commissaires. Elles sont publiées sur le site du Sénat, aux côtés de nos avis politiques.

En revanche, la Commission européenne ne répond pas aux résolutions européennes du Sénat, ces dernières étant destinées au Gouvernement. C'est alors le ministre en charge des affaires européennes ou le Secrétaire général aux affaires européennes qui y répondent lors d'une audition. En outre, le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) rédige des fiches de suivi.

Mme Pascale Gruny. - Je veux remercier à mon tour le Président Rapin car ce bilan est précieux. Il permet en effet d'évaluer la portée et les résultats de nos travaux européens. Je voudrais en revanche constater avec regret que nous faisons face à l'absence, désormais généralisée, de traduction en français des projets de textes de la Commission européenne lorsque celle-ci les présente. Ce n'est pas acceptable.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Le multilinguisme et la place de la langue française dans les institutions de l'Union européenne sont un sujet de préoccupation majeur, qui a fait l'objet d'observations dans notre rapport sur la « dérive normative » de l'Union européenne et dans notre avis politique sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2025. J'ai aussi évoqué cette difficulté lors de mes interventions au cours de la réunion, déjà évoquée, de la Conférence des Présidents des parlements de l'Union européenne.

Mme Pascale Gruny. - Je veux aussi exprimer mon incompréhension après avoir appris que l'Union européenne finançait un projet de « Coran européen », alors même que cette même Union européenne avait refusé de faire référence à ses racines chrétiennes lors des débats sur le traité constitutionnel. Il y a aussi beaucoup d'argent européen en jeu, puisque le projet est financé à hauteur de 9 millions d'euros par l'Union européenne. Serait-il possible d'envisager de préparer une réaction de notre commission ?

Mme Valérie Boyer. - Ce projet de « Coran européen » remonte à 2019. Le projet idéologique sous-jacent est de diffuser la thèse selon laquelle il n'y aurait pas d'Europe sans l'islam. Il s'agit tout simplement de révisionnisme historique. Et ce projet s'intègre dans une stratégie d'entrisme plus large des Frères musulmans auprès des institutions de l'Union européenne. Il participe aussi de la promotion du voile islamique. Il y a quelques années déjà, l'Union européenne avait publié des affiches avec une jeune fille voilée proclamant que la liberté était « dans le hijab ». C'est assez scandaleux car le voile n'est pas un signe religieux. C'est un signe d'infériorisation et de discrimination des femmes.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Mes chères collègues, je ne suis pas opposé à un travail de notre commission sur ce sujet, mais il faut réfléchir sur le bon format à adopter. Je vous rappelle que, lorsque les affiches évoquées par Valérie Boyer avaient été diffusées, j'avais écrit une lettre à la Présidente de la Commission européenne, en accord avec le Président du Sénat, pour lui faire part de l'étonnement du Sénat français et pour lui demander des explications. J'avais ensuite reçu une réponse écrite laconique de la Commission européenne, qui expliquait que la diffusion de ces affiches résultait d'une « erreur administrative », ce qui n'était pas crédible, et j'avais reçu une personne de la représentation de la Commission européenne à Paris, qui avait eu bien du mal à se justifier.

Mme Gisèle Jourda. - Je souhaite à mon tour remercier le rapporteur en prenant acte que les travaux européens sur la résilience des sols prévoient un objectif de sols sains à horizon 2050 et un objectif intermédiaire à horizon 2030. Je veux à cet égard rappeler que ces travaux résultent en partie des réflexions que nous avons menées conjointement avec notre collègue Cyril Pellevat.

Je constate par ailleurs que les enjeux géostratégiques sur l'espace sont importants pour l'Union européenne et que nous devrions nous pencher dessus sans attendre.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Je veux rappeler que l'espace a fait l'objet d'un rapport récent de la délégation à la prospective et que le Sénat a adopté, le 21 janvier dernier, une résolution européenne sur la gestion du trafic spatial, à notre initiative.

S'il n'y a plus d'observations sur le rapport, puis-je considérer que vous en acceptez la publication ?

Les membres de la commission le confirment.

Il en est ainsi décidé.

Questions diverses

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant, si vous en êtes d'accord, procéder à plusieurs nominations. Tout d'abord, je veux vous informer de la constitution d'une mission d'information sur les négociations commerciales internationales, qui regroupera des membres des commissions des affaires européennes, des affaires étrangères et de la défense et des affaires économiques. Nous avons convenu avec mes homologues présidents de commission, que chaque commission désignerait deux rapporteurs, en tenant compte, autant que possible, des équilibres politiques.

Pour notre commission, seront donc rapporteurs nos collègues François Bonneau et Didier Marie. La commission des affaires étrangères et de la défense a désigné nos collègues Jean-Luc Ruelle et Hélène Conway-Mouret. Enfin, nos collègues Evelyne Renaud-Garabédian et Yannick Jadot ont été désignés rapporteurs par la commission des affaires économiques.

Je vous indique également qu'il a paru pertinent d'assurer le suivi des mesures de « simplification » annoncées par la Commission européenne sur la directive sur le « reporting » de durabilité des entreprises (CSRD) et sur le devoir de vigilance européen (CS3D). Je vous propose que ce suivi soit assuré par nos collègues Jacques Fernique, Christine Lavarde et Didier Marie. Ils avaient en effet été les rapporteurs de la réforme relative au devoir de vigilance.

Dans la même logique, je propose que nos collègues François Bonneau, Gisèle Jourda et Dominique de Legge examinent le nouveau programme SAFE (Security Action for Europe) présenté par la Commission européenne pour permettre aux États membres d'effectuer des achats communs supplémentaires dans le domaine de la défense, qui serait doté d'un budget de 150 milliards d'euros.

Je vous indique également qu'une note subsidiarité va être rapidement transmise aux membres du groupe de travail subsidiarité de notre commission et qu'une réunion de ce groupe se tiendra mercredi prochain à 14 heures.

Nous avons également plusieurs déplacements en perspective. Demain, je me rendrai avec plusieurs de nos collègues à Bruxelles, pour rencontrer plusieurs équipes de commissaires européens et évoquer avec eux des sujets d'actualité importants tels que la souveraineté numérique européenne, la simplification des normes ou encore, le commerce.

Le 22 mai prochain, nous entendrons en audition le commissaire européen au budget, M. Piotr Serafin. Je rejoindrai ensuite une délégation de notre commission et de la délégation aux outre-mer, afin d'évoquer les enjeux européens des outre-mer avec la Commission européenne et des parlementaires européens.

Je saisis l'occasion pour vous indiquer, dès maintenant, que deux autres commissaires européens devraient être auditionnés d'ici l'été : le commissaire Maros Sefcovic, en charge du commerce et des relations interinstitutionnelles, ainsi que la commissaire Marta Kos, en charge de l'élargissement.

La réunion est close à 15 heures