Mardi 3 juin 2025
- Présidence de M. Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Notre commission d'enquête a mené de son côté un travail important, qui arrive à son terme après 41 auditions plénières et 25 auditions rapporteur, afin d'analyser les missions des agences et des opérateurs, ainsi que la manière dont elles agissent avec leur tutelle d'une part, avec les destinataires de leurs actions d'autre part.
Notre objectif est d'évaluer si les modalités actuelles de gouvernance, de financement, de pilotage et d'évaluation de ces opérateurs sont cohérentes avec les exigences d'efficacité, d'efficience, de lisibilité et de responsabilité de l'action publique.
Le domaine qui est le vôtre, l'aménagement du territoire et les collectivités territoriales, a fait l'objet d'une attention particulière car nous avons vite constaté que certaines agences dont les missions sont spécialement orientées vers les collectivités, comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), n'étaient pas toujours bien connues d'elles malgré un effort important de communication. Bien souvent également, nous avons entendu regretter la disparition d'une ingénierie d'État au service des petites collectivités, comme l'ancienne assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat).
À cet égard, votre expérience de ministre, mais aussi d'élu local, sera particulièrement éclairante.
Je souhaiterais donc vous poser quelques questions, auxquelles mes collègues ne manqueront pas d'ajouter les leurs.
Premièrement, comment l'État veille-t-il, aujourd'hui, à ce que les missions confiées aux agences soient bien alignées avec les priorités stratégiques du Gouvernement, notamment en matière de cohésion territoriale ?
Deuxièmement, quels leviers utilisez-vous pour garantir une coordination efficace entre les agences relevant de votre champ ministériel et les services déconcentrés de l'État, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part ? Pensez-vous par exemple qu'il faut donner un rôle plus important au préfet face aux agences disposant de délégations territoriales, voire qu'il ait l'autorité sur ces délégations ?
Troisièmement, comment évaluez-vous l'impact concret de ces opérateurs sur le terrain ? Considérez-vous que, notamment par l'exercice de la tutelle, vous et votre administration disposez de tous les leviers pour exercer le rôle de contrôle, sans lequel la notion d'État stratège reste largement inopérante ?
Enfin, de manière plus transversale, pensez-vous que le cadre juridique et budgétaire actuel permet un pilotage suffisamment agile de ces structures, dans un contexte de forte contrainte sur les finances publiques ?
Avant de laisser la parole à Mme le rapporteur qui aura des premières questions à vous poser, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Rebsamen prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous commencer par répondre aux nombreuses questions que le président Barros vient de vous poser et que je partage, car elles couvrent un champ assez vaste ?
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'efforcerai d'être aussi précis que concis.
Vous m'interrogez tout d'abord sur la manière dont l'État veille à la cohésion territoriale des opérateurs. Le ministère que je dirige comprend actuellement onze directions d'administration centrale, ce qui est un nombre significatif. J'ajouterai, si vous me permettez cette remarque plus personnelle, que nous avons, en France, pour singularité que les intitulés ministériels changent fréquemment. Or, ces changements, décidés au moment de la formation des gouvernements, modifient la structure administrative, de sorte que certaines directions d'administration centrale changent de rattachement ministériel, voire se retrouvent avec des compétences partagées, ce qui n'est pas toujours évident.
Si je me permets cette digression, c'est pour souligner que ce sont précisément ces directions d'administration centrale qui veillent à la cohésion territoriale nécessaire entre les opérateurs.
Le ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation compte treize opérateurs, auxquels s'ajoutent quarante-trois établissements publics et les onze directions que j'ai déjà mentionnées. Nous partageons avec la ministre de la transition écologique la tutelle du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) qui est aujourd'hui répartie entre nos deux ministères, dans une forme de cotutelle.
Ces instances ont la responsabilité d'assurer une triple tutelle sur les opérateurs, à la fois stratégique, juridique et politique, cette dernière relevant du ministre. Un alignement est constamment recherché avec les priorités stratégiques définies par le Gouvernement. Des échanges réguliers ont lieu entre les directions d'administration centrale, mon cabinet et moi-même.
Dans les faits, cette relation se formalise en général à travers les contrats d'objectifs et de moyens, qui font l'objet d'un suivi en cours de procédure, afin d'évaluer leur mise en oeuvre et de les corriger si nécessaire. Les directions d'administration centrale jouent ici un rôle déterminant. En outre, depuis mon entrée en fonction, j'ai engagé, à titre personnel, des relations directes avec les responsables des opérateurs placés sous la tutelle du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Vous m'interrogez ensuite sur la relation entre les agences, les collectivités territoriales et les préfets. J'ai pour volonté claire - l'avenir nous dira si j'aurai eu le temps de la mettre en oeuvre - de redonner du pouvoir à l'administration territoriale de la République, c'est-à-dire au préfet, notamment au préfet de département. Je souhaite que les agences, dans la mesure du possible, car elles relèvent de statuts et de logiques différentes, puissent être placées sous l'autorité territoriale du préfet de département.
Il existe toutefois un opérateur spécifique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui ne relève pas directement de mon périmètre ministériel, et qui est en relation plutôt avec le préfet de région. Mais pour le reste, je souhaite qu'il y ait un lien d'autorité assuré par le préfet de département sur les agences intervenant dans son territoire. Cela aurait un impact concret sur le contrôle exercé. Il y aurait tout d'abord l'élaboration du contrat d'objectifs, de moyens et de performance, puis une vérification, en cours de période, de la bonne exécution de ces engagements.
Le problème central auquel nous sommes confrontés, c'est que l'État a perdu son existence politique dans les territoires, à cause non pas des préfets, mais de l'insuffisance des moyens accordés localement à l'autorité préfectorale. Les collectivités locales déplorent souvent l'absence d'un véritable responsable face à elles, en l'occurrence le préfet de département, qui soit reconnu comme le chef des services de l'État. En effet, pour l'instant, nombre de ces services ne lui rendent pas forcément compte, dans des domaines pourtant essentiels, comme l'éducation nationale ou la santé. L'objectif est donc de redonner du pouvoir au préfet de département pour que les collectivités locales disposent d'un interlocuteur avec qui elles pourront aborder tous les sujets, car il les maîtrisera, ce qui n'est pas encore le cas.
Pour vous citer des exemples, je trouve surprenant que l'architecte des Bâtiments de France (ABF) échappe à toute possibilité d'adaptation sollicitée par le préfet, que ce soit à la demande des collectivités locales ou, à défaut, sur requête de particuliers. C'est un sujet de réflexion que je porte actuellement, mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai bien noté votre souhait que la tutelle des agences passerait auprès des préfets de département. Est-ce à dire que, dans votre esprit, toutes les agences, notamment celles relevant de votre périmètre ministériel, doivent perdurer sous cette nouvelle autorité hiérarchique fonctionnelle ? Ou bien est-ce que vous en avez identifié certaines dont le périmètre devrait ou pourrait évoluer ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous avez entendu d'autres ministres avant moi et je ne reviendrai pas sur ce qu'ils vous ont déjà dit. Le Premier ministre nous a demandé d'engager, en premier lieu, une revue des missions du ministère, et donc des opérateurs qui lui sont rattachés. J'ai chargé mon secrétaire général, sous l'autorité de mon directeur de cabinet, de conduire une réflexion d'ensemble sur les onze directions d'administration centrale, afin d'identifier une stratégie plus performante, fondée notamment sur une approche par métiers. Ce travail d'analyse est en cours. Le rapport m'a été présenté, et je suis en train d'en prendre connaissance. Je rendrai compte de ses conclusions au Premier ministre, car la décision relèvera de son arbitrage.
J'aimerais maintenant, si vous le permettez, aborder un sujet plus général qui, je le crois, vous intéressera certainement : il s'agit de l'ingénierie territoriale, qui constitue, en réalité, le point de départ de mes réflexions.
Historiquement, deux formes principales d'ingénierie coexistaient. D'un côté, certaines collectivités territoriales, principalement les départements, assumaient une mission d'ingénierie au bénéfice des communes, sans pour autant exercer de tutelle. Cette mission s'adressait en particulier aux communes qui, du fait de leur taille limitée, y compris à l'échelle d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ne disposaient pas des ressources nécessaires pour la mettre en oeuvre elles-mêmes. De l'autre côté, lorsque les départements n'étaient pas en mesure d'assurer cette fonction, l'État prenait le relais, par l'intermédiaire du préfet de département.
Or, aujourd'hui, nombre de départements connaissent des difficultés, parfois sévères, même s'ils ne sont pas tous dans cette situation. Mais certains ne sont plus en capacité d'assumer cette mission d'ingénierie. La question qui se pose est donc la suivante : l'État est-il en capacité de reprendre l'ingénierie qu'il assumait autrefois, alors même qu'il en a perdu les moyens, ou ne les détient plus dans les mêmes proportions qu'auparavant ?
Certains opérateurs assurent aujourd'hui encore une fonction d'ingénierie. Cela tient souvent à leur histoire et à leur implantation territoriale. Ainsi, le Cerema rayonne surtout dans les territoires où il s'est implanté, et pas forcément sur l'ensemble du territoire national, dès lors qu'il est sollicité dans le cadre d'une mission d'ingénierie locale. Ses missions ont de ce fait évolué et ses effectifs ont fortement diminué au fil du temps.
En même temps, il faut citer l'ANCT, que tout le monde connaît, parfois même beaucoup mieux que le Gouvernement ou le ministre concerné, ce qui ne va pas sans poser certains problèmes. En effet, malgré l'excellent travail accompli par l'ANCT, ou peut-être à cause de cet excellent travail, les responsables de l'agence, qu'il s'agisse de son président, qui est un élu, ou de son directeur général, sont accueillis dans les préfectures avec un empressement et une considération que n'obtiennent pas nécessairement les ministres. Comment s'étonner ensuite que le Gouvernement ne soit pas reconnu dans les territoires et que les ministres y aient peu de notoriété, d'autant qu'ils n'ont guère eu le temps, dernièrement, d'effectuer ce travail de terrain ? L'ANCT assume aujourd'hui des missions d'ingénierie à la demande de l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce que vous dites confirme ce dont nous nous sommes entretenus à huis clos dans la réunion précédente. Il est rassurant de constater que nous partageons collectivement une même vision de l'organisation publique.
M. François Rebsamen, ministre. - Cela me rassure également, car je me demandais si ces questions que je me pose traduisaient une problématique plus profonde.
Ce qui est certain, c'est que des politiques publiques ont été initiées, qui sont aujourd'hui portées par l'ANCT. C'est le cas par exemple des programmes France Services, Villages d'avenir et Action coeur de ville. Ces politiques sont bien conduites, je le reconnais. Elles ne couvrent pas encore l'ensemble du territoire, mais elles pourraient, demain, s'y étendre pleinement.
Par ailleurs, il arrive que l'ANCT réponde à des demandes émanant des préfets. Dans ce contexte, lorsque l'ingénierie n'est pas disponible localement, l'agence fait appel à l'ingénierie privée, ce qui soulève une interrogation de fond. Ces prestations peuvent donner lieu à une facture assez élevée. Certes, l'ingénierie publique n'est pas gratuite non plus, mais faut-il vraiment que des préfets commandent une étude d'ingénierie privée pour identifier, sur leur territoire, les communes susceptibles de fermer des classes dans les prochaines années, pour un coût de 80 000 euros ? Cela mérite réflexion.
Je peux également évoquer deux autres opérateurs qui me viennent naturellement à l'esprit.
Il y a d'abord l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui est dotée de crédits d'État. Le dispositif MaPrimeRénov' mobilise ainsi cette année 2,3 milliards à 2,5 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les certificats d'économie d'énergie et les crédits de l'Anah, pour un budget total d'environ 4,3 milliards d'euros. Ne pourrait-on pas envisager une décentralisation partielle des crédits destinés à la politique du logement, en direction des collectivités territoriales qui ont d'ores et déjà assumé la compétence des aides à la pierre, que ce soit au niveau un, deux ou trois. Il y aurait là une piste pour renforcer l'efficacité de l'action locale, sans remettre en cause pour autant le dispositif MaPrimeRénov', qui, par ailleurs, suscite certaines questions. J'y reviendrai si nécessaire.
Ensuite, il y a l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) qui constitue un opérateur un peu à part. Elle fonctionne, en réalité, avec peu de crédits d'État, ceux-ci ne représentant pas davantage que 10 % à 12 % de son budget, pour des programmations qui s'étendent aujourd'hui jusqu'à l'horizon 2031-2032. Doit-on envisager de relancer une politique plus ouverte sur les territoires, ce qui permettrait à l'Anru de redorer son image, qui, à certains égards, s'est ternie, l'agence apparaissant trop centrée - même si j'y suis favorable - sur la politique de la ville dans les quartiers prioritaires, alors que les difficultés sont tout aussi réelles dans des endroits situés hors de ces périmètres ? L'expertise de l'Anru pourrait-elle être mobilisée dans ces territoires ? C'est précisément l'objet de notre réflexion autour d'un possible troisième programme national de renouvellement urbain.
Telles sont mes réflexions concernant ces quatre opérateurs que je considère comme essentiels pour mon ministère et pour la politique d'aménagement du territoire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je voudrais rebondir sur vos propos concernant les aides à la pierre qui pourraient être transférées aux collectivités locales. Existe-t-il, au sein des financements versés par votre ministère ou par les structures relevant de votre pôle ministériel, d'autres crédits pour lesquels il vous semble qu'il serait plus efficace d'en déléguer la gestion directement aux collectivités locales ?
M. François Rebsamen, ministre. - Pour l'instant, j'observe ce qui se passe du côté des collectivités locales. Ces dernières expriment, en principe, un souhait de décentralisation accrue. Toutefois, dans les faits, ce désir n'est pas toujours si affirmé. Lorsqu'on leur accorde une certaine liberté, ce sont souvent les administrations locales elles-mêmes qui réclament des garanties.
Dans le cadre de la simplification, je me suis interrogé sur la nécessité qu'il pouvait y avoir à imposer, partout sur le territoire, un conseil de développement identique. Si une collectivité n'en souhaite pas, pourquoi le lui imposer ?
D'autres sujets relèvent également du principe de libre administration. La loi a institué les conseils citoyens dans les quartiers de la politique de la ville. Pourtant, de nombreuses communes avaient déjà mis en place des conseils de quartier, mais qui ne portaient pas le nom de « conseil citoyen ». Dès lors, certains préfets, dans un excès de prudence, ont réagi en déclarant : « Si ce n'est pas un conseil citoyen, tel que défini par la loi, je ne peux pas le reconnaître, et vous ne bénéficierez pas des crédits du contrat de ville. » J'ai vu cette situation se reproduire dans bien des territoires.
Un autre exemple est celui des centres communaux d'action sociale (CCAS). Pourquoi obliger toutes les communes à se doter d'un CCAS, si l'on entend aller vers plus de décentralisation ? Pourquoi ne pas leur laisser le libre choix d'en créer un ou non ? Aussitôt, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS) s'est manifestée : « Comment pouvez-vous envisager de retirer aux communes leur compétence sociale ? » Il m'a donc fallu rappeler que le bloc communal dispose d'une clause de compétence générale, et que, par conséquent, les communes exercent la compétence sociale comme elles l'entendent.
Ce que ces exemples révèlent, c'est que lorsque l'on envisage de transférer davantage de responsabilités aux collectivités sur certains sujets, plus sensibles, au nom de la décentralisation, elles ne sont pas forcément preneuses.
Pour vous répondre, madame la rapporteure, sur les crédits des aides à la pierre que vous évoquiez, il convient de rappeler ceci : si certaines grandes collectivités ne sont pas encore passées au niveau trois dans l'état actuel du droit, c'est en grande partie parce que l'Anah assure encore l'ingénierie technique liée à ces crédits. Or si l'on transfère les crédits, on ne transfère pas, en revanche, le personnel chargé de l'instruction des dossiers, ce qui crée une difficulté. En effet, les collectivités redoutent d'avoir à recruter pour assumer cette mission, dans un contexte où les dépenses de fonctionnement, et plus particulièrement celles liées au personnel, font l'objet d'un contrôle étroit.
Voilà des exemples de freins qui peuvent se présenter lorsque l'on tente d'engager des démarches de décentralisation. Il s'agit de sujets spécifiques, certes, mais ils méritent une véritable réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous dites que c'est l'Anah qui assure l'ingénierie. Toutefois, en examinant l'organigramme de cette agence, on constate que les effectifs réellement dédiés à l'ingénierie y sont très réduits. La majorité des agents sont des personnels administratifs. Ceux qui assurent des missions d'ingénierie sont, en réalité, cofinancés par l'Anah et par les collectivités territoriales, et travaillent principalement dans les Agences locales de l'énergie et du climat (Alec).
Au sein de votre pôle ministériel, il est d'ailleurs intéressant de relever que les missions d'ingénierie, à coût moindre, reposent davantage sur des agents cofinancés au sein des collectivités que sur des agents affectés aux structures des opérateurs. Ne conviendrait-il pas de renforcer ce modèle, de le consolider, et, peut-être, de l'étendre à d'autres domaines de l'action publique ? Je pense à ceux que vous avez évoqués, notamment les missions du Cerema ou encore de l'Anah.
C'est du moins ce qui ressort de travaux conduits en interne par le ministère de la transition écologique (MTE). Les écarts sont considérables, tant en termes de coût budgétaire que d'effectifs, entre deux logiques : celle du fonctionnariat classique et celle des agents cofinancés dans les collectivités.
M. François Rebsamen, ministre. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que vous venez de dire, car je souscris à vos propos.
Je rappellerai toutefois que lorsque l'État modifie ses politiques ou en crée de nouvelles, les moyens ne suivent pas toujours immédiatement. Ainsi, le nombre d'équivalents temps plein à l'Anah est resté stable pendant quinze ans, autour de 115 ETP. Il a bondi à partir de 2020 pour atteindre aujourd'hui 287 ETP. Cette progression notable est liée à l'apparition de nouvelles politiques, notamment le lancement du dispositif MaPrimeRénov'.
J'aimerais à présent évoquer ma vision de ce que pourrait être un renforcement de la capacité d'ingénierie au sein de l'administration territoriale, sous l'autorité du préfet de département. Si l'on souhaite poursuivre dans l'esprit d'une ingénierie publique territoriale, comme nous l'avons évoqué en début d'audition, on pourrait envisager une déconcentration partielle du Cerema, qui peine à justifier sa propre mission.
Dans le cadre de la revue des missions que j'ai demandée, cette piste a été soulevée. Elle n'est pas simple à mettre en oeuvre, car le Cerema dispose d'une expertise de haut niveau, reconnue tant par l'État que par les collectivités - personne ne le conteste. Mais on pourrait envisager d'affecter de petites équipes auprès des préfets de département, afin de redonner de l'allant aux administrations locales.
Aujourd'hui, les directions départementales des territoires (DDT) ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) exercent principalement des missions de contrôle et de gestion des crédits, notamment vis-à-vis des opérateurs. Cela peut engendrer une frustration chez les agents, qui sont mal perçus parce qu'ils ne font que du contrôle. Et lorsque les lois s'amplifient, notamment celles qui renforcent - à juste titre - la lutte contre le dérèglement climatique, ce sont eux qui se retrouvent à porter l'aspect désagréable de la contrainte, alors qu'ils ne font qu'appliquer la loi. Autrement dit, le fait de ne jamais pouvoir proposer, accompagner ou construire les place dans une posture ingrate.
C'est pourquoi l'on pourrait prendre - ce n'est qu'un exemple - 500 agents du Cerema pour constituer de petites équipes de cinq personnes par département, dans les territoires où celui-ci n'a plus la capacité d'assurer une mission d'ingénierie. Cela renforcerait le pouvoir du préfet de département.
M. Hervé Reynaud. - Monsieur le ministre, nous arrivons à la dernière séquence de nos travaux au sein de cette commission d'enquête. Après de nombreuses auditions, un constat s'impose : certaines agences ont peut-être, à un moment donné, justifié leur existence, mais aujourd'hui, leurs périmètres d'intervention se chevauchent, des doublons apparaissent, et certaines se sont progressivement autonomisées par rapport à la puissance publique.
Tout au long de nos échanges, la question de la déconcentration a été très présente. Elle résonne fortement pour les sénatrices et sénateurs que nous sommes. Vous avez évoqué, dans votre champ de compétences, en tant que ministre chargé de la décentralisation, la nécessité d'un nouvel âge de la décentralisation, que les territoires appellent de leurs voeux.
Cette dynamique donne une raison d'être aux élus locaux et compte beaucoup pour leur engagement. Elle leur redonne aussi la capacité d'apporter un certain nombre d'aides et de faire vivre une solidarité territoriale dans leurs territoires, en particulier à l'échelon des départements, que vous avez cités.
J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet, d'autant que nous n'avons pas encore évoqué d'autres types d'agences, telles que les agences de l'eau ou les agences régionales de santé (ARS) - nous avons tous en mémoire la crise du covid. L'on peut se demander si, en ramenant la prise de décision à l'échelle départementale et en rendant des moyens et des compétences aux élus locaux, certains aspects liés à une trop grande concentration ou à un manque de décentralisation n'auraient pas pu être corrigés.
M. François Rebsamen, ministre. - Je souscris entièrement à vos propos. Il reste à savoir comment avancer ensemble, concrètement.
Vous avez mentionné deux agences importantes qui agissent aux échelons régional et départemental dans les domaines de l'eau et de la santé. Les préfets ne sauraient rester à l'écart. Si l'on veut qu'ils soient les véritables interlocuteurs des collectivités, ils doivent être associés à ces politiques et les collectivités aussi.
M. Cédric Vial. - Ma première question concerne l'ingénierie territoriale, qui peut intervenir à deux niveaux, comme vous l'avez rappelé, assurée à la fois par l'État territorial et par les collectivités, notamment les départements. Vous avez également souligné le changement de nature que cela a induit dans la relation entre l'État et les collectivités, lorsque l'État s'est retiré de cette mission. Les plus anciens d'entre nous ont en mémoire le dispositif Atésat et, pour ma part, j'ai connu cette situation en tant qu'élu local.
Ce retrait a profondément modifié la nature du lien entre les collectivités et l'État. Autrefois, ce dernier accompagnait les collectivités, or il est progressivement passé à une posture de contrôle. Ce basculement a transformé les relations sans pour autant faire gagner en temps. Au contraire, la personne qui accompagnait auparavant la collectivité dans le montage du projet était aussi celle qui instruisait la demande de subvention. Le travail était ainsi fait d'un seul tenant, alors qu'aujourd'hui, on a créé des doublons.
Vous avez déjà partiellement répondu sur ce sujet, mais j'aimerais savoir comment, selon vous, on pourrait revenir à un État qui accompagne et dans quel type de politique. De plus, ne pensez-vous pas qu'il faudrait également envisager une décentralisation, ou une redécentralisation, partielle de l'ingénierie ? Pourquoi ne pas transférer une part de cette mission au département ou à la région, en fonction des spécificités territoriales ? Avez-vous défini une ligne claire à ce sujet ? Je pense, par exemple, au montage de projets qui pourrait être confié aux collectivités ; en revanche, pour ce qui concerne les grandes infrastructures ou les réseaux, le rôle de l'État pourrait rester central.
Ma seconde question concerne les agences de l'eau. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet. Il me semble qu'il existe une volonté partagée par un certain nombre d'entre nous de retrouver davantage de légitimité. En effet, nous avons le sentiment que ces agences se sont, au fil du temps, autonomisées. Elles prennent des décisions sans que la légitimité démocratique soit toujours clairement assurée et elles ne rendent pas nécessairement compte de ce qu'elles font. Dans cette perspective, seriez-vous favorable à une décentralisation, et non pas à une simple déconcentration, de la politique de l'eau ? Autrement dit, ne conviendrait-il pas de transférer cette compétence aux départements, qui pourraient ainsi retrouver du pouvoir fiscal ? On pourrait inscrire cela dans une loi nationale, une loi-cadre, qui garantirait le maintien des agences de bassin à une échelle supradépartementale, pour assurer la coordination entre les départements. Ceux-ci deviendraient les véritables opérateurs des politiques locales de l'eau, plutôt que de confier cela à des représentants d'associations qui n'exercent pas d'action directe sur les sujets qu'ils sont pourtant chargés de suivre.
M. Christophe Chaillou. - Monsieur le ministre, je crois que nous avons bien reconnu, à travers vos différentes interventions, votre expérience d'élu de terrain. Vos remarques et vos réflexes traduisent la connaissance des réalités que vous avez acquise à l'échelon local et national. Nous partageons assez largement plusieurs des constats que vous avez formulés.
Toutefois, c'est le ministre que nous souhaitons entendre dans le cadre de cette audition. D'autres ministres sont venus avant vous en affirmant, d'entrée de jeu, vouloir réaliser 3 milliards d'euros d'économies, supprimer tel ou tel opérateur, etc. Aussi, permettez-moi de vous poser cette question directe, même si je sais que le sujet appelle la prudence : avez-vous des préconisations, ou du moins des priorités d'action, à formuler à partir des constats que vous venez de poser ?
Vous avez évoqué quatre agences. Concernant l'Anru, vous avez parlé d'une nécessaire réflexion ; s'agissant de l'ANCT, vous avez pointé certaines ambiguïtés, notamment en matière de positionnement, et nous sommes nombreux à souscrire à vos propos ; vous avez également ouvert des pistes de réflexion sur l'Anah et le Cerema.
Mais, en tant que ministre, quelle vision proposez-vous ? Quelles recommandations concrètes pourrions-nous retenir dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête ?
M. François Rebsamen, ministre. - Ce sont des questions difficiles que vous me posez. J'aurais presque envie de vous répondre : « donnez-moi les réponses ! » Mais je ne le ferai pas.
Comment éviter les doublons, car l'enjeu est celui de l'efficacité de la dépense publique ? Faut-il maintenir l'ANCT là où elle existe, alors qu'elle s'est implantée là où on lui a demandé d'intervenir - il faut dire les choses telles qu'elles sont ? Je tiens d'ailleurs à saluer le travail accompli. Quand on voit le développement des dispositifs France Services ou Villages d'avenir, on doit constater que cela fonctionne. Avec la ministre Françoise Gatel, nous avons eu l'occasion de beaucoup circuler en milieu rural et nous avons pu voir ce qui a été fait.
Mais la première question que je me pose, c'est de savoir pourquoi les agences sont presque toujours présidées par des élus. Est-ce indispensable ? Je m'adresse ici aux élus que vous êtes, et je suis moi-même élu, mais la question mérite d'être posée.
Les agences sont de nature très différente. Vous le savez parfaitement pour avoir travaillé sur ces sujets. Le Cerema, par exemple, est presque indépendant. Ce n'est pas une agence que l'État peut diriger d'un claquement de doigt.
Dès lors, pourquoi ne pas envisager de mettre à disposition des préfets de département les équipes de l'ANCT ? Cela me paraît une piste réaliste. Pourrait-on décentraliser l'Anah et selon quelles modalités ? S'agissant de l'Anru, je ne vois pas, à ce stade, d'autre voie que celle que j'ai déjà évoquée. Enfin, pour ce qui est du Cerema, ses effectifs comptent de nombreux métiers supports, au-delà des ingénieurs, dont la qualité est unanimement reconnue. Le nombre d'emplois hors plafond, le nombre de directeurs adjoints ou la composition des équipes sont des données qui offrent un éclairage utile sur le fonctionnement des agences. Par exemple - certains diront que je regarde par le petit bout de la lorgnette - il y a plus d'équipes chargées de la communication dans certaines agences que dans le ministère, ce qui est pour le moins surprenant ! Il faudrait commencer par regrouper tout cela.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'aménagement du territoire. Il faudrait le recréer au niveau d'une matrice nationale. Pour l'instant, l'aménagement du territoire se fait au coup de coeur, pour ainsi dire, alors qu'il faudrait déterminer ce qu'est l'aménagement global du territoire, quelles sont les grandes infrastructures dont on a besoin, comment travailler sur les canaux et les dessertes, la Saône, le Rhône ou le site de Fos-sur-Mer. Dans quelle mesure cela aura un impact sur les départements ou les communes voisines ? Telles sont les questions qu'il faudrait poser. Au lieu de cela, la France est tachetée comme une peau de léopard : des interventions se font ici ou là, sans qu'on ait toujours les crédits nécessaires et dans un manque de cohérence. Il faudrait retrouver de la cohérence, mais pour cela il faut du temps, et bien plus que six mois. Cela pourrait être un beau sujet de campagne dans le cadre d'une élection majeure dans notre pays. J'espère que cela se fera.
En ce qui concerne les agences de l'eau, on ne peut pas les laisser gérer seules les évolutions de taxes. C'est le rôle des élus ou de l'État, mais pas celui d'un opérateur. Ce serait franchir un cap, même si je ne vous donne là qu'un avis personnel.
Alors, comment faire autrement ? Il faut récupérer cette compétence. Est-elle du ressort du département ? Il est indispensable de conserver une vision à l'échelle du bassin, pour la gestion de l'eau. Le territoire départemental ne saurait se soustraire à cette responsabilité ; les élus doivent impérativement en garder la maîtrise. On ne peut pas laisser aux seuls agents, fussent-ils parfaitement compétents, la charge de gérer certaines évolutions de la fiscalité locale, d'autant que cette fiscalité est aussi nationale, dans la mesure où elle concerne tous les acteurs implantés sur le territoire du bassin de l'agence de l'eau.
S'agissant des ARS, la situation est comparable : les préfets ignorent parfois jusqu'à l'installation d'un robot dans tel ou tel hôpital. Ils ne sont même pas informés. Il arrive même que des établissements hospitaliers se livrent une véritable bataille pour déterminer qui en bénéficiera, sans que le préfet de département n'en ait connaissance.
La posture de contrôle exercée par l'État reste, bien entendu, indispensable. Il est normal que l'État fasse appliquer la loi sur l'ensemble du territoire : cette mission lui est confiée. Mais il faut également lui assigner une autre mission tout aussi essentielle : celle d'accompagner les collectivités, d'être à leurs côtés et face à elles. Quand je dis « face », je veux dire que l'État doit venir avec les compétences qui lui permettront de dialoguer à égalité avec les collectivités en leur disant : « Voilà ce que je veux ; et vous, que voulez-vous en retour ? » Il faut reconnaître que cela ne se passe pas ainsi aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons abordé un grand nombre de questions qui ont occupé nos travaux en début d'après-midi, comme elles nous mobilisent depuis quatre mois. Il est vrai que nous aurions souhaité vous entendre plus spécifiquement sur les réorganisations. Cela dit, je comprends que ces éléments figurent dans la revue de politiques publiques que vous avez transmise au Premier ministre. Quoi qu'il en soit, nous nous rejoignons sur un certain nombre de points que vous avez évoqués en filigrane.
Nous nous interrogeons comme vous sur les enjeux de gouvernance. Les agences de l'eau offrent un exemple particulièrement éclairant. Nous mesurons que le sujet ne s'inscrit pas dans une maille géographique déterminée, ne relevant ni du préfet de département ni du préfet de région, car les bassins hydrographiques échappent aux limites administratives. Pourtant, il faudrait redonner la main à ceux qui ont une légitimité démocratique pour traiter ces questions.
Dans d'autres secteurs, la situation est sans doute plus facile, car elle correspond à la déclinaison territoriale de politiques nationales. Vous avez évoqué l'ANCT comme si elle devait perdurer en l'état. Mais, en tant que ministre, considérez-vous que les orientations que vous nous avez exposées pourraient se poursuivre sans l'existence de l'ANCT ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous voulez que j'en dise plus que je ne le peux ! Les arbitrages n'ont pas été rendus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez le droit d'exprimer un avis devant cette commission d'enquête.
M. François Rebsamen, ministre. - Je ne me suis pas limité jusque-là à des réflexions communes : j'essaie d'indiquer mon sentiment.
Par exemple, j'ai reçu depuis longtemps des alertes sur les agences de l'eau. L'une d'elles couvre le secteur Rhône-Méditerranée-Corse. D'après ce qu'il m'a été expliqué, ce périmètre permet de donner des crédits à la Corse. Ce n'est pas une justification ! Quel est le lien avec les bassins ? Je ne le trouve pas.
Cela m'a amené à réfléchir à ces structures, mais aussi à la nécessité de redonner du pouvoir à ceux qui le méritent, c'est-à-dire aux élus, car ce sont eux qui gèrent la fiscalité. De fait, l'augmentation du prix du mètre cube d'eau du fait des taxes mises en place par les agences de l'eau leur sera reprochée, quand bien même ils auraient affirmé s'y opposer. Il n'est pas possible de continuer ainsi.
S'agissant de l'ANCT, j'attends de voir les arbitrages que rendra le Premier ministre. Je suis sensible à ce que vous avez dit, mais je n'irai pas plus loin dans mon propos.
M. Christian Bilhac. - Même si les limites des départements ne sont pas celles des bassins - ce constat revient comme un leitmotiv -, les présidents des conseils départementaux ne sont pas aussi bêtes que ce qu'on a l'air de croire à Paris. Par exemple, ceux du Tarn et de l'Hérault se sont mis autour de la table il y a plusieurs années pour coordonner les travaux d'amélioration des axes routiers depuis le port de Sète. Les départements ont une vision qui dépasse les frontières de leur territoire.
Le rôle de l'État est d'attribuer les crédits : il peut imposer une péréquation entre départements.
M. François Rebsamen, ministre. - Absolument.
M. Christian Bilhac. - Par conséquent, le transfert des crédits des agences de l'eau à ces collectivités ne poserait aucun problème : il s'agit d'une question de volonté. En effet, le domaine d'intervention de ces agences est vaste : renouvellement des réseaux, désimperméabilisation des cours d'école, requalification de certains cours d'eau... Le rural a beaucoup de réseaux et peu d'habitats, et l'urbain connaît le problème inverse.
M. François Rebsamen, ministre. - L'exemple que vous citez est pertinent : les collectivités locales sont capables de s'entendre.
Il faut mener une réflexion sur la pertinence du bassin comme échelle géographique. Vous apportez vous-même la solution : les préfets pourraient coordonner les élus qui décideraient de réfléchir ensemble sur la ressource, car ces derniers ont peu de poids dans les agences de l'eau. J'ai pu le constater moi-même. Pourquoi ne pas leur faire plus confiance ?
Si les politiques de l'eau ne se faisaient pas à l'échelle du bassin, il est clair que ce serait à l'État de prendre les choses en main. En effet, les élus ont parfois du mal à s'entendre, en dehors de toute appartenance politique et même au sein d'un parti.
M. Cédric Vial. - Pour en revenir à ma question sur l'ingénierie, avez-vous une vision claire des missions qui pourraient être décentralisées, notamment en matière d'accompagnement des communes ? À l'inverse, quelles missions des agences ou missions extérieures à celles-ci devraient rester du ressort du pouvoir central ou même réintégrer les services de l'État ?
M. François Rebsamen, ministre. - Ce n'est pas simple. Le paysage français ne nous facilite pas la tâche, car chaque territoire est non pas unique, mais particulier. Vos pistes rejoignent toutefois mes réflexions.
Là où les départements qui assumaient une fonction d'ingénierie ne l'assument plus, l'État doit prendre la relève grâce à de nouveaux outils, par exemple une agence locale placée sous ses ordres. Il pourrait le faire, grâce à des agents qui lui seraient confiés.
L'État pourrait aussi confier aux collectivités des compétences dont elles disposaient auparavant en matière d'aménagement du territoire. Pour le moment, c'est compliqué. Les départements aimeraient qu'il en soit ainsi, mais ils n'ont plus assez de moyens pour que cela soit possible, aussi, il faut agir autrement. Il ne faudrait pas non plus mettre une collectivité sous la tutelle d'une autre parce que cela pourrait favoriser une forme de clientélisme. Il ne faut pas ignorer ce risque. Néanmoins, on ne peut pas laisser les territoires dépourvus d'une réflexion globale sur l'aménagement. J'y insiste : en me rendant dans des espaces ruraux de ma région, j'ai été assez surpris de voir que les conseils départementaux étaient à l'os, supportant des charges sociales importantes sans avoir les recettes correspondantes.
Un autre outil d'ingénierie existe, utilisé en général par les régions et les départements : la contractualisation avec les collectivités d'une échelle inférieure. Je pense aux contrats de territoire, par exemple pour les EPCI qui n'ont pas les moyens de réfléchir à l'aménagement.
Je ne veux pas indiquer d'arbitrages parce que ce n'est pas mon rôle. Le Premier ministre et moi en débattrons. Il n'empêche qu'il faudra qu'ils soient rendus assez rapidement afin de pouvoir agir d'ici à la fin de l'année.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre réflexion sur l'absence de vision concernant l'aménagement du territoire est intéressante. J'ai cru percevoir des larmes de regret s'agissant de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar). Vous semblerait-il pertinent de recréer cette structure ?
Au-delà de la Datar, nous nous interrogeons sur la conception et la mise en oeuvre des politiques de la ville. En regardant les organigrammes des administrations centrales, il semble que ces questions aient complètement disparu. Ainsi, l'ANCT, qui est historiquement la concaténation de la Datar, du secrétariat général du comité interministériel des villes et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), est absente des politiques Villages d'avenir ou Petites Villes de demain.
Estimez-vous, si nous devions les redéployer, que les politiques publiques d'aménagement auraient leur place à l'échelle de l'administration centrale ? Si oui, à quel endroit ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous essayez de m'arracher des réponses ! Personnellement, je regrette clairement la fin de la Datar. Nous manquons d'un organisme central capable de produire des réflexions.
Je viens justement de confier à Dominique Faure une mission sur les moyens de concevoir la politique d'aménagement du territoire. Elle rendra un rapport avant la fin de l'année. Il est indispensable de réfléchir de façon globale, car - vous avez raison, messieurs, mesdames les sénateurs - les politiques actuellement menées ne visent que des problèmes de petite taille. Or la France est confrontée également à des problèmes à une échelle plus large : industrie, développement économique...
Prenons une carte des maisons France Services - heureusement, ce dispositif est peut-être le plus réussi en la matière - et des Villages d'avenir : elle montrera que des actions sont menées dans les espaces ruraux. Toutefois, même si je suis très content des actions de l'ANCT, celles-ci ne suffisent pas à constituer une politique d'aménagement du territoire. Je suis désolé d'avoir à le dire !
Je regrette d'ailleurs que les villes soient mal perçues, en ce moment. Elles ont perdu leur attrait alors même que les pratiques nouvelles s'y développent. Même si je suis un défenseur du monde rural, je défends aussi la ville : l'énergie est en ville, l'authenticité dans le monde rural. Il faut avoir ce constat en tête pour avancer.
Mme Catherine Di Folco. - Nous sommes sur la même longueur d'onde.
M. Hervé Reynaud. - En tant qu'élu de la Loire, je crois en la contractualisation. J'ai été ravi d'entendre ce terme ! Même s'il faut des garde-fous, comment expliquer aux élus et donc à la population que certaines décisions sont prises par des personnes qu'on ne voit jamais et qui n'ont pas de légitimité démocratique ? Cette situation problématique suscite une défiance.
Je suis content de constater que nous sommes d'accord sur certains points, d'où l'intérêt d'avoir un parcours d'élu local.
M. François Rebsamen, ministre. - Ça aide !
M. Sébastien Fagnen. - Nous sommes heureux d'apprendre qu'une mission a été confiée à Dominique Faure pour définir une politique d'aménagement du territoire nationale. En effet, la prestation ne fait pas la vision. Quelles prérogatives ont été confiées à Mme Faure ? À quelles problématiques doit-elle répondre ?
Serait-il possible que l'État rompe avec la politique de guichet que sont les appels à projets permanents ? Cette logique, dont souffrent nos collectivités territoriales et leurs élus, grève la vision à long terme dont nous devons disposer pour aménager correctement le territoire national et faire face aux enjeux que vous avez évoqués, auxquels j'ajouterai la réduction des inégalités sociospatiales. Celle-ci doit être agrégée aux réflexions de l'ancienne ministre Dominique Faure.
M. Michaël Weber. - Vous vous êtes dit un homme de la ville. Même si je suis plutôt un rural, je crois en la solidarité : l'aggravation de la fracture entre ces deux espaces ne serait bonne pour personne et sans doute pas pour nos concitoyens.
Je regrette les années 1960 et 1970, durant lesquelles la Datar permettait de porter une ambition par ses anticipations. Les élus aménageaient le territoire à partir de ces projections. Je vois bien tout ce qui est mis en oeuvre actuellement, notamment dans les territoires ruraux : programme Petites Villes de demain, maisons France Services... Personne n'a vraiment le sentiment que ces réponses soient efficaces pour le citoyen et sans doute pour l'élu lui-même. Elles le sont peut-être : ayant longtemps été président de la commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT) de Moselle, je connais des maisons France Services qui fonctionnent très bien et je me rends compte de leurs efforts.
Comment rendre ces politiques non seulement réellement efficaces, mais aussi visibles ? Comment mettre fin au sentiment d'abandon et à l'impression de fracture entre les espaces ruraux et urbains ? Comment susciter à nouveau l'espoir dans ces territoires ? On développe en permanence de multiples outils dont on ne perçoit peut-être plus tout à fait la cohérence.
M. François Rebsamen, ministre. - Oui à la contractualisation, non aux appels à projets : le message est unanime. J'ai eu de nombreuses réunions avec l'ensemble des associations d'élus depuis quelque temps et toutes vont clairement en ce sens. Elles en ont assez des appels à projets, sources de complexification et de perte de temps, d'autant qu'ils coûtent cher sans forcément aboutir.
Peut-être aurons-nous bientôt l'occasion de tirer le bilan des contrats qui ont été conclus. Avant une grande élection, il serait positif de savoir où nous en sommes ! Il fut un temps où il existait de vrais contrats de plan, contrairement aux plans actuels faits de contrats qui ont pu s'user, faute de crédits et en raison d'engagements non suivis d'effet, la parole n'étant pas tenue. Mon constat est très dur, mais les élus locaux connaissent cette vérité.
Tirer le bilan de la contractualisation devrait nous amener à réfléchir à une nouvelle conception globale de l'aménagement du territoire. Celle-ci doit mettre la France en débat, en s'appuyant, quelle que soit la formule retenue et avant la mise en place de conseils de développement, sur les élus. Nous savons comment faire pour consulter la population.
Pour répondre plus précisément à votre question, je pense qu'il est possible de renouer le lien entre les territoires ruraux, rurbains et la ville, même si l'espace rural profond est une réalité particulière. Les politiques menées par l'ANCT le permettent, qu'il s'agisse des Villages d'avenir ou des 3 000 maisons France Services à moins de vingt minutes de trajet... Toutefois, pour recréer un vrai lien, il faut développer le transport entre le monde rural et la ville. Cela nécessite une réflexion globale, qui peut se mener par territoire.
De fait, la priorité des priorités est-elle d'ouvrir une nouvelle ligne à grande vitesse qui permettra de ne gagner que trois minutes dans un endroit qui n'en a pas forcément besoin ? Je ne cite pas de lieu, mais je pense clairement à un exemple. Ne faudrait-il pas plutôt développer un nouveau réseau de transport autour des chefs-lieux - il ne s'agit pas forcément des grandes métropoles, mais de capitales départementales ou régionales -, permettant à tout citoyen du monde rurbain et rural d'accéder à la ville de manière propre et rapide ?
J'y insiste : pour permettre à tout le monde d'accéder aux services publics - certains annoncent déjà qu'ils mèneront une nouvelle politique de logement ou de peuplement... -, il faut réfléchir aux transports. Je suis sincèrement persuadé qu'une bonne partie de la crise des « gilets jaunes » s'explique par ce sujet. Les villes ont une énergie vitale et le monde rural une authenticité dont il nous faut prendre conscience, car la ruralité nous apporte beaucoup pour des raisons historiques.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre disponibilité et, surtout, pour vos paroles claires, franches et concrètes, sources d'enseignements et de confirmations. La mise en relation entre le terrain et les services centraux est le sujet sur lequel nous travaillons, sous le prisme de la réorganisation que nous appelons tous de nos voeux. Cette dernière permettra de déployer les services publics et de rendre visible l'État sur tous les territoires.
Nous n'avons pas parlé des douze mesures clés pour simplifier l'action des collectivités ni du Roquelaure, au centre des discussions des responsables de service. En effet, au-delà de l'échelle nationale de notre commission d'enquête, la simplification à l'échelle de la secrétaire de mairie ou de la directrice générale des services est un vrai sujet : marchés publics, appels à projets... Le guichet unique est un sujet qui résonne très fortement. Il faut sortir d'une organisation qui ressemble à la « maison qui rend fou » ! Les agents sont nombreux à compter sur nous pour faire en sorte que leur métier soit ainsi plus attractif, notamment d'un point de vue salarial.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.