Mercredi 15 octobre 2025

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition du général d'armée aérienne Fabien Mandon, chef d'état-major des Armées

M. Cédric Perrin, président. - Nous accueillons pour la première fois dans ses nouvelles fonctions le général d'armée aérienne Fabien Mandon, Chef d'état-major des Armées, que je remercie de s'être rendu disponible dans un contexte très particulier.

Mon Général, recevez, au nom de l'ensemble des membres de cette commission, tous nos voeux de succès dans la lourde tâche qui est la vôtre. Le 1er septembre dernier, vous avez adressé aux armées votre ordre du jour n°1. Nous partageons pleinement votre analyse et les objectifs que vous avez fixés à cette occasion. Nous vous apportons notre plein soutien dans votre engagement pour « assurer, quoiqu'il advienne, la protection des Français, de notre pays et de ses intérêts dans un environnement incertain et assurément violent ». Vous avez également indiqué que notre pays avait « l'armée la plus efficace d'Europe » et c'est sur ce point que nous voulons vous interroger aujourd'hui.

Le 1er août 2023, le Gouvernement a fait adopter, avec le soutien du Sénat, une nouvelle loi de programmation militaire (LPM), qui a porté l'effort de défense autour de 2 % du PIB. Cette hausse des moyens était nécessaire mais chacun a bien conscience qu'elle est devenue très insuffisante puisque les pays membres de l'OTAN ont décidé, au sommet de La Haye, de porter à 3,5 % du PIB leur effort de défense d'ici 2035 et même à 5 % concernant la défense au sens large.

Au-delà des crédits, ce sont les moyens de nos armées qui interrogent. Grâce à un effort constant depuis des décennies, notre pays dispose d'unités de premier ordre dans les airs, sur terre et dans les mers ; notre force de dissuasion suscite le respect et l'envie de nombreux de nos alliés, de même que l'excellence de nos industriels. Cependant, nous avons des faiblesses considérables. Permettez-moi d'en citer quelques-unes : des stocks de munitions encore très insuffisants tant pour les obus que les missiles et kits de guidage de toutes sortes ; des capacités d'artillerie très limitées avec moins d'une centaine de pièces de type Caesar et quelques unités seulement de feux de longue portée (LRU) ; une capacité de drones embryonnaire, en particulier pour les drones armés FPV et une capacité de lutte anti-drones qui demeure insuffisante, notamment pour protéger nos navires et nos sites sensibles - des chefs de corps « bidouillent » pour procurer quelques drones à leurs soldats afin qu'ils s'entraînent à les utiliser et à s'en protéger, cette situation est aussi grotesque qu'inacceptable ; enfin, autre faiblesse, notre autonomie réduite en matière de renseignement satellitaire, comme l'a illustré notre difficulté à prendre le relais des Etats-Unis pour aider l'Ukraine lorsque le président Trump a décidé de suspendre la transmission des informations l'hiver dernier.

Au-delà de ces déficiences, nos inquiétudes portent sur l'insuffisance des moyens disponibles pour financer les programmes prioritaires. Vous savez comme nous que la LPM ne prévoit pas les crédits pour financer le nouveau moteur T-REX du standard F5 du Rafale. Elle ne prévoit pas non plus les crédits indispensables pour lancer la fabrication du porte-avions nucléaire de nouvelle génération (PA-NG) alors même que la découpe des tôles et la fabrication des chaudières nucléaires ont commencé : quel regard vous portez sur ce programme majeur qu'est le PA-NG ?

Nous mesurons, mon Général, la difficulté de votre tâche. Nous ne doutons pas de votre engagement et de votre détermination, mais nous sommes préoccupés car nous voyons les nuages s'amonceler à l'Est de l'Europe et nous pensons que le rythme de notre préparation n'est pas suffisant.

Nous souhaitons donc avoir votre sentiment sur l'imminence des menaces compte tenu des incursions qui se multiplient dans le ciel des pays de l'OTAN, du nombre des sabotages qui s'accroît, des actions de déstabilisation qui se reproduisent de manière de plus en plus fréquente. Quel est le degré de préparation de notre pays à un affrontement de haute intensité ? Nous sommes convaincus que nos militaires sont prêts à défendre notre pays et plus généralement notre continent, mais en ont-ils les moyens ? Et si ce n'est pas le cas, combien de temps faudra-t-il pour accomplir cette remontée en puissance ?

Poser cette question dans le contexte budgétaire actuel, c'est aussi vous interroger sur vos priorités, à défaut d'avoir pu examiner les détails d'un budget qui n'a été déposé que ce matin, ce que nous aurons sans doute l'occasion de faire dans quelques temps, après avoir entendu la ministre des armées.

Voilà, mon général, quelques sujets essentiels que nous souhaiterions évoquer avec vous. Dans la période actuelle, compte tenu de l'instabilité que nous connaissons, nos armées ont une responsabilité encore accrue pour la permanence et la continuité de notre défense. Croyez bien que notre commission sera à vos côtés pour vous aider dans votre mission.

M. Fabien Mandon, Chef d'état-major des Armées. - Merci pour votre accueil. J'avoue être impressionné de venir devant vous pour la première fois, mais aussi très motivé de vous présenter l'état de nos forces armées et les défis qui sont devant nous ; j'espère sortir de cette audition avec de nouvelles idées pour consolider le chemin sur lequel je souhaite engager les armées. J'ai une idée claire du diagnostic, c'est la partie la plus facile, mais j'ai besoin de vous pour trouver des solutions, c'est la partie la plus complexe.

Le diagnostic n'est pas une surprise, parce que notre pays fait en permanence un travail d'anticipation. Nous savions que l'environnement se dégradait, nous l'avions constaté lors des travaux de revue nationale stratégique. Le Président de la République l'a dit le 13 juillet dernier dans son discours de l'hôtel de Brienne, annonçant en conséquence un effort supplémentaire pour la défense nationale. Mais depuis cet été, la situation s'est encore détériorée : ce que je vois, c'est que tout va de mal en pis.

On espérait voir Donald Trump convaincre Vladimir Poutine d'aller vers la table des négociations sur l'Ukraine ; or, les frappes russes se sont intensifiées et la prise de risque russe a considérablement augmenté vis-à-vis de nos sociétés, c'est une première. En Pologne, nos forces ont abattu des drones qui avaient franchi la frontière. Le lendemain, un missile israélien est tombé à Doha, au Qatar, un pays avec qui nous avons des liens de défense. Quelques jours après, des Mig russes passaient dans l'espace aérien estonien, puis des drones survolaient Copenhague - et sur notre territoire, des drones ont survolé des installations à Mourmelon... Le contexte, c'est aussi Gaza avec une situation particulièrement difficile humainement. En Afrique, les crises continuent - le week-end dernier, les armées étaient mobilisées sur un scénario de dégradation à Madagascar, où vivent 17 000 de nos compatriotes...

Nous anticipions des crises, elles se produisent mais à un rythme bien plus rapide que nous ne le pensions - et dans ce mouvement, les Russes me préoccupent le plus. Il n'y a aujourd'hui en Russie aucune retenue à l'usage de la force, nos sociétés sont vues comme fragiles et l'idée pour les Russes est qu'il n'y a plus aucun complexe à tenter sa chance s'il le faut, pour pousser leur avantage un peu plus loin. Et c'est ce qui en fait notre premier sujet, puisqu'il engage la sécurité même des Français.

La situation au Proche-Orient est le deuxième grand sujet d'inquiétude pour notre sécurité : il ne m'appartient pas de commenter les choix politiques des responsables, mais nous pouvons prédire des décennies d'instabilité dans la région ; les jeunes qui ont vécu les attaques israéliennes en réaction au 7 octobre ne vont rêver toute leur vie que de venger les leurs. Il y aura peut-être une victoire ponctuelle avec la disparition de quelques cadres du Hamas, mais la réalité, c'est qu'ils vont se multiplier et qu'on aura une insécurité permanente au Proche et Moyen-Orient.

L'Iran, aussi, va tenter de revenir dans le jeu, peut-être par des actions indirectes, ou peut-être par de nouveaux lancements de missiles. L'Iran fournit des systèmes de défense à la Russie, il développe ses liens énergétiques avec la Chine. Je ne sais pas jusqu'où ces pays vont s'aligner, mais je perçois que cette région du monde va rester une source de crise sur laquelle nous allons devoir intervenir.

La Chine, ensuite, qui est assurément une puissance économique et une puissance démographique, s'impose désormais au plan politique comme un nouveau pôle, avec une nouvelle vision. L'Indonésie a rejoint les BRICS cette année, cette organisation représente désormais un ensemble avec lequel il faut compter. À partir de quel moment la Chine va-t-elle considérer qu'elle peut utiliser son outil militaire ? Je suis frappé par l'analyse de mon homologue américain, et des militaires américains en général : pour eux, la Chine, la Russie, l'Iran et la Corée du Nord sont alignés. Je sais aussi que des Français vivant en Chine nous disaient il y a quelques années qu'on passerait bientôt du « made in China » au « made by China » : nous y sommes, c'est le cas pour les téléphones, mais aussi dans le domaine militaire. Les Chinois viennent de mettre au point des catapultes électromagnétiques pour lancer des avions : la France en achète aux États-Unis parce que leur fabrication est trop contraignante... Nous avons vu le défilé militaire à Pékin le 3 septembre dernier, la Chine s'affirme comme une puissance militaire qui conteste l'ordre établi par les sociétés occidentales. C'est une puissance militaire très crédible, elle a investi dans les secteurs clés du numérique, du spatial, dans des outils de puissance comme les porte-avions et les sous-marins. Sa maitrise technologique est de plus en plus importante - les Chinois ont l'outil militaire mais pas, pour le moment, la volonté de s'en servir : jusqu'à quand ?

L'Afrique, ensuite : ce qu'on observe à Madagascar me semble dans la continuité de ce qui s'est passé par exemple au Sahel. Nous assistons à un phénomène de génération, avec des jeunes qui rejettent un modèle ancien qu'ils jugent inadmissible - et ils y sont aidés par des acteurs qui les poussent dans ce sens sur les réseaux sociaux. Parallèlement à ce mouvement profond de rejet, il y a en Afrique sahélienne des groupes terroristes qui se développent et se structurent. Mes homologues de la région en sont tous préoccupés : nous avions anticipé une extension de ces mouvements jusqu'à l'Atlantique, elle se produit. Vous avez vu les massacres au Bénin, et les combats gagnent en intensité notamment par l'importation de techniques et de matériels utilisés dans la guerre en Ukraine : on voit des terroristes utiliser des drones contre les milices russes en Afrique, ce sont les mêmes qu'en Ukraine.

Avec les Américains, nous avons des relations militaires excellentes. Les Etats-Unis restent un partenaire majeur, mais il y a désormais une incertitude sur son soutien militaire. Dans leur esprit, les Etats-Unis risquent d'être engagés contre la Chine et ils ont donc besoin que les Européens sachent traiter leurs problèmes dans leur environnement ; raison pour laquelle ils encouragent le renforcement de la défense européenne. Les Américains souscrivent à la théorie de l'alignement entre la Chine, la Russie, l'Iran et la Corée du nord. Ils se disent qu'en cas de conflit avec la Chine, le pire serait que les Européens ne tiennent pas et que les Etats-Unis, alors, soient pris sur deux flancs : c'est leur scénario catastrophe, qui motive leur soutien à la défense européenne.

Au-delà de cette description, quels sont les grands facteurs à prendre en compte ?

Il y a, d'abord, la contestation de l'ordre international établi par nos sociétés : nos formats, nos démarches n'emportent plus l'adhésion systématique de pays qui ne nous voient plus comme un phare. Il devient donc moins facile de constituer des coalitions militaires : la France conserve une capacité d'entraînement en Europe, nous le voyons avec la coalition des volontaires - nous avons une crédibilité forte sur le continent européen - mais difficilement au-delà. Beaucoup de pays estiment que nous ne sommes pas capables de réguler les problèmes du monde et se détournent de nous et de nos outils de règlement des conflits. L'ONU est un bijou mais connait de grandes difficultés au plan militaire : Les opérations de maintien de la paix ne fonctionnent plus et les Nations unies ne sont plus l'organe de régulation qui rassemblait tout le monde.

En lieu et place du multilatéralisme, s'impose la loi du plus fort : c'est le cas avec Israël, avec la Russie - on n'a pas arrêté les Russes en 2008, en 2014, en 2022, pourquoi ne pousseraient-ils pas leur avantage en 2027, 2028 ou 2029 ? Pourtant, les Russes ne sont pas très forts à l'échelle des blocs qu'on peut constituer aujourd'hui. L'Europe est endormie, elle se réveille doucement mais elle ne veut pas jouer la carte de la puissance ; l'Europe d'aujourd'hui a la chance d'avoir grandi en paix, c'est le plus beau résultat qu'on puisse avoir, mais à force de vivre en paix, on a oublié l'intérêt de l'usage de la force. Et si aujourd'hui, pour un Russe, il est tout à fait naturel d'user de la force quand il y a un conflit, pour nous, la force est ce qu'il faut éviter à tout prix : nos sociétés ne veulent pas user de la force, elles lui préfèrent la diplomatie. Or, s'il faut avoir une diplomatie forte, il y a des moments où il n'y a que la force qui soit entendue.

Notre principal défi, c'est la force morale en Europe. Mon rôle est de protéger les Français, les intérêts de la France, mais je ne peux pas le faire si la Nation n'est pas prête à se défendre. Les armées sont un échantillon de la Nation et les jeunes qui nous rejoignent ont grandi dans cette culture de la paix ; ils sont entraînés, préparés au conflit, ils sont certainement, beaucoup plus conscients des risques que la plupart des Français, et du fait que la force est un des leviers de l'État. Mais nous ne sommes pas suffisamment prêts et nos adversaires nous considèrent encore comme faibles.

Mes priorités sont claires, j'en ai défini trois grandes. La première, c'est d'être prêt pour un test dans trois ou quatre ans. Nous sommes déjà testés par la Russie, sur de multiples plans, et elle pense que nous sommes faibles ; il faut, d'ici trois ou quatre ans, montrer que nous sommes prêts à nous défendre, que nous sommes solides, déterminés. Vladimir Poutine a déjà attaqué trois fois, il a chaque fois gagné du terrain, je ne vois pas pourquoi il s'arrêterait ; il a fait une erreur de calcul en Ukraine, il est tombé sur un mur, c'est cela que nous devons regarder - parce que le pire, c'est ce que Marc Bloch a appelé L'étrange défaite : on a tout vu venir, mais on n'a rien fait pour se préparer et le jour de l'attaque, on n'est pas prêt. Il faut se préparer, donc, mais rien ne servirait de vendre du rêve : l'armée française ne va pas tripler son volume en quelques années - et nous ne sommes pas seuls : la bonne échelle pour relever le défi, c'est l'Europe. Il faut voir qu'il y a 150 millions de Russes face à nous, qui ont un PIB très faible face au nôtre, nous avons tout pour réussir et nous devons nous unir.

C'est à l'Europe de relever le défi, idéalement avec l'appui des Etats-Unis : c'est ma deuxième priorité, il faut renforcer l'Europe de la défense, pas par dogmatisme, mais parce que nous avons à nous défendre ensemble. L'OTAN le permet, elle nous fixe la grammaire de l'intervention, les règles, ce qu'on appelle l'interopérabilité - c'est notre petit Bescherelle de militaires. Cependant, les Européens ne se coordonnent pas assez, il faut dire aussi qu'en France, nous avons une spécificité : nos partenaires se tournent vers l'OTAN et les Etats-Unis, alors que nous avons notre propre état-major intégré et nous sommes capables de nous engager sans l'OTAN. Et les Américains nous laissent du champ ! Nous l'avons vu pour la coalition des volontaires, les Américains se sont mis en retrait en nous disant qu'ils attendaient de voir ce que nous proposerions, et nous avons eu cet élan où 60 % des pays européens se sont engagés sur des actions concrètes : c'est parce que cette base est crédible que les Américains peuvent continuer à s'engager.

L'Europe de la défense passe par des actions très concrètes et pratiques, nous devons en discuter à l'échelle nationale et à celle, aussi, des territoires. Bien sûr, je préfèrerais qu'on me donne 7 % du PIB pour être prêt dans trois ans, mais je sais que cela n'arrivera pas ; donc ma première préoccupation pratique, c'est d'utiliser au mieux les deniers publics. Or, les Européens sont fragmentés : chaque pays veut acheter à ses entreprises et s'il y a quelques réussites d'initiatives communes, comme Airbus, les achats communs sont très minoritaires à l'échelle du continent. Nous arrivons par exemple à avoir 21 standards d'un même hélicoptère en Europe. C'est de l'argent jeté par les fenêtres mais c'est ce que les gouvernements encouragent dans chacun des pays européens. Nous sommes à un tournant : si nous continuons de la sorte, nos concitoyens auront beaucoup contribué mais ils n'auront pas la défense qu'ils pourraient avoir si nous nous entendions. Et pour changer, il faut donner du poids dans la décision à l'échelon opérationnel. On le voit dans un grand programme comme le SCAF : après 8 ans, les chefs des armées de l'air et de la marine sont d'accord sur le projet, mais les États parties ne parviennent pas à se mettre d'accord et nous nous orientons vers la fabrication de deux avions, c'est irrationnel, on est prêt à acheter plus cher un produit moins bon parce qu'on n'arrive pas à s'entendre entre Européens alors que ce qui devrait être notre priorité, c'est d'être prêts le jour de l'attaque.

Il y a donc un immense effort à faire sur l'Europe, pour savoir opérer ensemble et pour bien dépenser notre argent, le mettre au service d'une défense solide. Et pour cela, il faut utiliser les champions industriels européens, tout en défendant nos intérêts stratégiques : faire un blindage de portière, ce n'est pas stratégique pour la France, ce n'est pas comme savoir construire un sous-marin nucléaire lanceur d'engin (SNLE), ce n'est pas comme l'espace, le quantique. J'en ai parlé à mes homologues européens, ils ont tous la même réaction : ils considèrent que quand la France propose de faire l'Europe, c'est à condition d'acheter français - je crois que nous devons changer cette image en s'engageant plus concrètement.

Enfin, pour tenir, il faut la Nation, donc une réserve, c'est le sujet du soutien de l'arrière. On l'a vu en Ukraine au début de la guerre, il y a eu une phase initiale de désorganisation complète face au choc, puis les Ukrainiens ont tenu parce qu'ils se sont organisés pour soutenir un effort qui met une nation en mouvement. Nous faisons un travail en interministériel, avec le Secrétariat général à la Défense et la Sécurité nationale (SGDSN), il y a des exercices réguliers comme « Orion », c'est là qu'on réalise combien la mobilisation de la Nation derrière son armée est importante. Et donc je compte beaucoup sur l'augmentation de la réserve, c'est l'un des nombreux sujets sur lesquels j'ai besoin de vous.

Vous l'aurez compris, j'ai besoin de vous pour des raisons budgétaires, certes, mais bien au-delà. Le plus difficile me semble le changement culturel, celui qui consiste à accepter les risques. Nous devons, par exemple, déroger à des normes ; des chefs me disent qu'ils ne peuvent plus agir sans déroger à certaines règles. La dérogation est par exemple nécessaire pour les drones, puisque nos règlements les assimilent pour l'instant à des missiles : il faut adapter nos règles. Si on ne sait pas s'adapter, déroger quand il le faut, on n'avance pas. J'ai besoin de vous et j'ai confiance, je sais qu'il y a désormais un sentiment d'urgence, et que nous avons des jeunes extraordinaires, des savoir-faire extraordinaires : nous avons des faiblesses, mais aussi les moyens de les compenser.

M. Pascal Allizard. - Avec ma collègue Hélène Conway-Mouret, nous présenterons prochainement un rapport sur la BITDE, qui entre très largement en résonnance avec ce que vous dites sur l'échelle européenne.

Ma question concerne l'environnement international : les Philippines vous paraissent-elles un objectif pour la Chine ?

Mme Gisèle Jourda. - L'innovation ne repose pas seulement sur la technologie, mais aussi sur la capacité des organisations à se transformer et à s'adapter, nous le voyons avec l'intelligence artificielle ou le quantique. Comment envisagez-vous de conduire cette transformation organisationnelle, compte tenu des impacts et des effets de chaîne qui en résulteront ? Quel grand chantier souhaitez-vous ouvrir pour faire évoluer les structures, les modes de fonctionnement et les cultures internes, dans le but de renforcer l'efficacité, la réactivité et la cohésion des forces armées ?

M. Fabien Mandon. - Taïwan et les Philippines sont effectivement au coeur de l'actualité. Je ne sais pas où se situe l'objectif chinois, mais ce qui est clair, c'est que nous sommes dans une situation où Taïwan est distinct, puisque les Chinois considèrent l'île comme leur propre territoire, c'est une question de principe - et de temps. Le nouveau chef d'état-major des armées japonaises m'a dit que son aviation était mise en oeuvre quotidiennement sur alerte face à des engins chinois qui se rapprochent de leur espace aérien et mettent la pression ; les Chinois testent des missiles et conduisent une activité navale en permanence qui stresse et fatigue les pays voisins.

Sur les Philippines, on a vu de l'agressivité et on sent qu'il y a une tension, j'ai l'impression que les Etats-Unis l'ont bien compris et que c'est un point de fixation sur lequel se joue leur querelle avec la Chine. Je sais aussi qu'il y a quelques années encore, les Chinois ne maitrisaient pas la grammaire de la tension comme le faisaient les Russes : alors que les Russes traduisaient très précisément les tensions politiques sur le plan militaire, les Chinois se comportaient de manière brutale, créant un décalage entre actions militaires et volonté politique ; ce n'est plus le cas, les interactions sont beaucoup plus professionnelles et maîtrisées. Les îlots de la mer de Chine proches des Philippines, ensuite, sont un endroit de patrouille majeur pour les sous-marins chinois, il y aura forcément de la tension à ce sujet.

Sur l'innovation, notre capacité à nous adapter est cruciale. Avec plus de 200 000 soldats et des états-majors solides, les armées françaises peuvent tenir face à n'importe quel choc, c'est leur force. L'état-major des armées tiendra en temps de guerre - mais il est moins adapté à un monde actuel où les événements se déroulent à une vitesse incroyable : des drones passent la frontière en Pologne le jeudi, un missile israélien tombe au Qatar le vendredi, il faut aller beaucoup plus vite qu'on ne le fait aujourd'hui : il faut que les chefs s'impliquent davantage pour donner les directives immédiates plutôt que d'attendre les réponses de l'état-major. Je veux ainsi redonner plus d'agilité à nos états-majors, nos officiers et sous-officiers l'attendent, c'est un défi social qui va au-delà du fonctionnement : on ne fait plus rêver les jeunes officiers et les jeunes sous-officiers ; ils n'ont pas envie de nous remplacer - le modèle du chef qui, en temps de paix, travaille de 7h à 23h, cela ne les fait pas rêver. Il faut donc aussi transformer nos états-majors pour être plus adaptés à l'environnement et plus stimulant pour les jeunes officiers que nous avons besoin de fidéliser. Nous sommes face à deux défis : il faut s'adapter à un monde qui bouge vite et donner à nos cadres des perspectives qui les encouragent à rester, sans quoi nous risquons de les perdre. Ce défi n'est pas propre à la France.

Nous avons des outils pour cela, par exemple l'intelligence artificielle. Dans une étude, la Marine nationale a montré qu'en matière d'écoute, par exemple, les outils de l'IA permettaient de traiter bien plus d'informations : on ne va pas diminuer le nombre de postes, mais on traitera bien plus de signaux et on aura bien plus de moyens d'analyse.

M. Hugues Saury. - L'an dernier, le sous-chef « Plans » nous indiquait que dans la préparation à la haute intensité, son objectif était d'atteindre deux mois de stocks de combats, et ce, à l'horizon 2030. Deux mois, cela nous avait semblé extrêmement court, vu ce qui se passe en Ukraine, surtout quand nos industriels travaillent déjà à flux tendus. Nous avions donc proposé d'allonger ce référentiel à six mois. Comment définissez-vous la haute intensité et que pensez-vous d'un référentiel de six mois ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous partageons votre diagnostic qui nous invite et nous force à agir. Le 1er septembre dernier, vous avez déclaré que pour maîtriser notre destin, nous devions contribuer au renforcement de la défense en Europe en assurant un leadership fort.

Comment cela se traduit-il dans nos relations avec nos alliés ? Le rôle croissant de la Commission européenne dans la coordination de la défense du front Est du continent européen est contesté, en particulier par la France, l'Allemagne et l'Italie : qu'en est-il ?

La France ambitionne d'assumer le rôle de nation cadre au sein d'un corps d'armée multinational européen, ce qui nécessite trois piliers essentiels : une défense sol-air robuste, une capacité de feu dans la profondeur crédible et un commandement interarmées pleinement intégré. Disposons-nous des moyens capacitaires pour assumer dès aujourd'hui ce rôle de nation cadre dans un engagement de haute intensité ? Sinon, quelles sont nos marges de manoeuvre concrètes à court et moyen terme pour combler nos faiblesses sans fragiliser nos autres priorités opérationnelles ?

M. Fabien Mandon. - Premier point, sur nos stocks : ils sont trop faibles. Dans les années 2010, on a inventé le concept de la remontée en puissance en six mois, c'est dans le Livre blanc de cette période ; l'idée, c'est qu'il nous fallait six mois de réserve pour qu'en cas de choc, on tienne le temps que l'industrie remonte et prenne le relais. Avec l'Ukraine, nous avons été un peu testés, même si nous ne sommes pas en guerre ; nos stocks sont trop faibles, nous ne sommes pas au niveau de ce concept. Cela s'explique et j'assume tous les choix de mes prédécesseurs. Nous vivions dans un contexte de menaces terroristes et lorsque j'étais en escadron de combat, Vladimir Poutine, était élu « personnalité de l'année » par le Time magazine grâce à son rôle dans la lutte contre le terrorisme, il posait en couverture des magazines torse nu ou en chasseur dans la toundra sibérienne - la désinformation était déjà lancée, avec succès... Cela a duré pendant des années, et les budgets de la défense ont été réduits méthodiquement, donc les armées ont dû composer et baisser leur approvisionnement là où les matériels paraissaient moins prioritaires ; nous avons baissé nos stocks, ce qui nous fait défaut aujourd'hui face à des États puissants.

Je partage donc votre constat et votre volonté de remonter le niveau des stocks. Cela prend du temps, il faut lancer le mouvement : c'est mon objectif premier dans le réarmement, pour être prêt dans trois ou quatre ans je ne demande pas plus de chars ni plus d'avions ou de frégates, mais d'abord plus de munitions.

Sur le leadership fort et l'Europe, mon prédécesseur, Thierry Burkhard, avait lancé la coalition des volontaires, elle réunit plus de 30 pays de manière très régulière, nous les avons incités à proposer des actions concrètes de défense pour l'Europe. La semaine dernière, le Président de la République a demandé que nous réunissions à nouveau cette coalition pour aborder la question de la « flotte fantôme », ces navires qui, sous pavillon quelconque, transitent en transportant du pétrole qui sert principalement à alimenter le commerce russe. La France joue un rôle actif en la matière, en cinq jours 33 chefs d'état-major des armées ont répondu présents pour travailler sur ce sujet dès cette semaine : la capacité d'entraînement de la France est bien réelle, il y a des Européens, mais aussi des Canadiens, des Australiens, des Japonais, nous avons cette capacité parce que nos armées sont considérées comme très crédibles. Notre pays est engagé, il participe à la résolution des crises, même si nous avons nos limites et que certaines relations partenariales pourraient gagner en fluidité.

Sur la Commission européenne, je sortirais de mon cadre si je devais faire des commentaires. Cependant, en tant que militaire qui doit construire avec le ministre de la défense une loi de programmation qui garantit un modèle d'armée complet et cohérent, je ne peux pas souscrire à l'idée d'un « mur de drones ». Ce n'est d'ailleurs pas son rôle que de définir le besoin militaire. L'armée protège une population et lorsqu'un soldat tombe au combat, sa famille se tourne vers les chefs militaires, vers le ministre de la défense et le Président de la République : pour ces familles, ce n'est pas la commission européenne qui donne l'ordre d'aller à la guerre, ce n'est pas elle qui a la responsabilité de protéger les citoyens. Le besoin militaire aujourd'hui est de reconstituer nos stocks et non de dépenser tout notre argent dans un mur de drones qui serait saturé en un jour. Ce dossier me parait symptomatique d'une tendance à faire primer la communication sur l'action.

M. Olivier Cigolotti. - Avez-vous le sentiment que toute la classe politique soit bien consciente de la menace russe ? Vous dites avoir besoin de nous, mais une partie de la classe politique ne vous parait-elle pas vivre encore dans une forme d'insouciance trompeuse ?

Comment voyez-vous, ensuite, le calendrier du porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) ?

Mme Michelle Gréaume. - Je veux évoquer la question du Service de santé des armées (SSA). Toute notre organisation doit basculer d'un modèle d'opération extérieure, qui suppose peu de blessés graves et rapatriés rapidement, à un modèle de haute intensité, qui doit nous permettre d'assumer l'hypothèse de plus de pertes.

Dans notre rapport budgétaire, nous avons souligné l'an passé les difficultés de la composante hospitalière à recruter et à fidéliser des praticiens et des infirmiers. Avez-vous pu progresser sur ce point ? Où en est la collaboration avec les hôpitaux civils, sachant qu'ils seront absolument nécessaires en cas d'engagement majeur, compte tenu du nombre de blessés potentiels ?

M. Fabien Mandon. - Je ne m'engagerai pas sur le terrain politique de savoir si toute la classe politique est consciente de la menace russe. Le défi est là, celui de l'adhésion de la Nation tout entière à sa défense, alors que nous subissons de la désinformation et que le président russe mise sur la fragilité de notre cohésion : sa plus belle réussite serait d'arriver à fracturer le projet européen et à faire perdre cette solidarité entre nous, parce que séparés, les pays européens auront plus de mal à résister ; ce que je constate aussi, c'est que le président russe joue bien sa partie en utilisant les réseaux sociaux, les algorithmes, et en entretenant la peur - alors que la Russie pèse peu, comparée à l'Europe. On surjoue la puissance russe. Le principal enjeu, c'est notre cohésion, l'adhésion de la population à notre projet.

Le PA-NG est un grand programme, nous avons besoin de projeter par la mer une puissance aérienne. Je regrette que nous ne puissions pas le faire en permanence - je sais qu'on n'a pas les moyens de se payer un deuxième porte-avions, mais je pense que la permanence est plus importante que la taille du porte-avions.

Nous avons fait des progrès considérables sur le SSA, il était en situation difficile il y a quelques années. Aujourd'hui, la confiance est revenue, le directeur du service de santé fait un travail immense pour redonner le moral et garder nos cadres. Certains de mes homologues m'ont dit leurs difficultés à conserver leurs cadres médicaux : le problème est général, il fragilise les capacités à mener des opérations. Nous sommes toutefois dans la bonne voie, il faut continuer. Ensuite, il faut s'adapter aux défis de la haute intensité, la capacité de santé fera partie d'un effort dans le cadre de l'actualisation de la programmation militaire. Elle est décisive : je me souviens que lors d'un exercice mené aux États-Unis il y a quelques années, le combat avait dû cesser faute de soutien médical suffisant.

M. Jean-Pierre Grand. - Pouvez-vous nous brosser un tableau précis des difficultés persistantes de recrutement et de fidélisation dans l'armée d'actifs, d'une part, et dans la réserve, d'autre part ? Les objectifs fixés en loi de finances et en loi de programmation sont-ils atteints ? Les mesures récentes de renforcement de l'attractivité des armées produisent-elles des effets tangibles ? Ou bien, faut-il les renforcer ?

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Vous dites que vous ne pouvez pas protéger les Français si la Nation n'est pas prête à se défendre. Or, après l'Allemagne et la Belgique, la France envisage d'instaurer un service militaire volontaire qui remplacerait le Service national universel arrêté le 27 juin 1997. Comment voyez-vous un tel service : quels en seraient les objectifs, la place dans les opérations, la durée, le recrutement et le coût ?

Au printemps dernier, le Haut-Commissariat au plan en évaluait le coût à 1,7 milliard d'euros, sans compter les hébergements et les nouvelles structures d'accueil que cela mettrait obligatoirement sur la table. Le débat est ouvert, qu'en pensez-vous ?

M. Fabien Mandon. - Nous n'avons pas de difficulté de recrutement, nos campagnes de recrutement remplissent leurs objectifs. La difficulté, c'est la fidélisation. Nous sommes comme tous les employeurs : les jeunes, même s'ils se plaisent dans leur emploi, veulent tenter leur chance ailleurs. Et dans les armées, il y a beaucoup de départs non prévus, de gens que nous avons formés. Cela nous impose de régénérer en permanence des compétences. En s'engageant dans les armées, les jeunes se sentent utiles, et je ne crois pas que nos difficultés de fidélisation tiennent à leur inquiétude face aux crises ; elles tiennent bien davantage aux conditions de logement, aux difficultés pour l'emploi des conjoints - je vous renvoie à un rapport très intéressant du Haut Comité de l'évaluation militaire sur les conjoints, sur leur niveau de qualification et d'emploi. Nous travaillons sur ces sujets, il y a des avancées, comme la grille des officiers : elle était très attendue, la remise à niveau des rémunérations a été faite en 2023 pour les militaires du rang, en 2024 pour les sous-officiers et cette année pour les officiers.

Sur la question d'un éventuel service, nous travaillons pour la résilience de la Nation et nous avons observé des modèles intéressants dans les pays nordiques qui développent une année de césure. La durée est en débat, il ne faudrait pas qu'elle soit trop courte, quelques semaines ne suffisent pas à un apprentissage en matière de défense, on le voit par exemple avec les Ukrainiens qui viennent se former chez nous. Je suis personnellement favorable à une année de césure qui pourrait être valorisée dans un parcours professionnel ou général - probablement pas pour tous les parcours, mais pour un grand nombre, avec une valorisation spécifique dans Parcoursup. Dans les pays nordiques, il y a un contrat entre l'État et les jeunes, un échange entre du temps et une mission utile : c'est un vrai sujet.

Mme Catherine Dumas. - La désinformation fait partie des enjeux de défense et de résilience nationale, nous y avons travaillé au sein de cette commission, et proposé la mutualisation des moyens entre ministères : où en sommes-nous sur ce point ?

M. Christian Cambon. - Vous étiez auprès du Président de la République lorsqu'il a émis cette idée qui paraissait décoiffante, d'étendre la protection de la dissuasion nucléaire à d'autres pays européens. Cette idée a fait mouche, puisque lors de la dernière assemblée parlementaire de l'OTAN, nos collègues allemands et polonais nous ont longuement interrogés sur ce que nous entendions par là et si nous étions décidés à aller plus loin.

Quelle est votre doctrine sur ce sujet ? Comment, pratiquement, une telle extension de la protection du bouclier nucléaire pourrait-elle se mettre en place ?

Mme Vivette Lopez. - Quels sont les enjeux de la défense nationale dans les outre-mer ? Vous nous parlez de la Chine, des Etats-Unis, de la Corée du nord, mais qu'en est-il de l'Inde ?

M. Fabien Mandon. - Concernant la lutte contre la désinformation, la mutualisation des moyens est en cours, sous l'égide du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, en lien avec le SGDSN. Il faut considérer deux aspects : la gestion du temps long, avec la récurrence d'actions de désinformation lors des élections et des événements majeurs de la vie de notre Nation - les directeurs de cabinet des ministères travaillent sur le sujet, pour voir comment gérer cette désinformation collectivement, prévenir et réagir aux attaques ; il y a, ensuite, le temps court, l'action immédiate à conduire quand on est attaqué - et ici, il me semble que nous ne sommes pas encore à la hauteur : la rapidité est déterminante en la matière. Un travail est conduit sur le sujet au sein de l'État, en interministériel.

Je n'ai pas de doctrine personnelle sur la dissuasion étendue, en dehors de celle du président de la République. Il y a un intérêt manifeste des pays européens qui se sentent menacés. Une anecdote : il y a quatre ans, le ministre des Armées polonais m'avait dit que la Pologne serait bientôt la première puissance de défense en Europe ; il ne prenait donc nullement en compte l'arme nucléaire ; les choses ont changé depuis, chacun réalise à nouveau que la France est une puissance nucléaire. Désormais chacun voit bien que cette dissuasion, c'est le socle de notre protection : il faut donc en parler, cela intéresse nos partenaires. Nous n'avons pas la même conception de la bombe que les Américains, par exemple. Notre façon de concevoir la dissuasion nucléaire est très spécifique, nos partenaires la connaissent mal et c'est pourquoi il est intéressant d'en parler, mais c'est le domaine réservé du Président de la République.

L'actualité outre-mer donne pleinement raison à l'objectif de la LPM consistant à y renforcer notre défense nationale. On l'a vu très concrètement avec les événements en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte lors de la gestion du cyclone Chido, en Guyane pour protéger notre capacité de lancement spatial, ou encore aux Antilles, avec la lutte contre les narcotrafics. Les Outre-mer sont une partie essentielle dans le dispositif de défense. Il faut faciliter l'accès à tout ce qui est naval et aérien, adapter les structures en parallèle de la modernisation de nos équipements.

M. Roger Karoutchi. - Au début du XXe siècle, on parlait de la « Nation en armes » ; après la Deuxième Guerre mondiale, de « l'armée de la Nation » ; dans les années 1980, simplement de « l'armée » ; et dans les années 2000, de « l'armée professionnelle » : ne portons-nous pas tous, collectivement, la responsabilité d'une évolution qui a, en réalité, désengagé la Nation de l'armée et de sa défense ?

Ensuite, n'y a-t-il pas une réflexion à avoir sur une ONU qui est devenue une organisation d'États antidémocratiques, antilibéraux, soit tout le contraire de ce qu'elle était en 1945 ? Et est-ce que l'Occident est bien conscient de ce qu'il est devenu lui-même ?

M. Jean-Luc Ruelle. - Nous sommes tous d'accord pour renforcer l'effort d'armement au niveau européen, mais comment y parvenir ? Nous savons, en particulier, que le Programme pour l'industrie européenne de la défense (EDIP) n'est pas la bonne solution. Le terme « coalition » a été évoqué : est-ce un modèle pour mieux coordonner les efforts d'armement entre les pays européens ? Quelles dispositions urgentes faudrait-il prendre pour améliorer l'agilité et la flexibilité des grands opérateurs industriels de l'armement et de la DGA ?

M. Fabien Mandon. - Je vous rejoins sur l'idée qu'une armée professionnelle nous isolait : nous devons rester l'armée de la Nation - et notre armée, je le constate dans mes déplacements, dans l'information que l'on me donne, est un échantillon fidèle de notre nation, c'est précieux et il faut continuer dans ce sens, l'armée n'est pas une forme de chevalerie séparée de la Nation. Le chef de l'État a demandé une étude sur un service militaire, pour en préciser les modalités, en particulier financières. Nous avons besoin de masse, c'est l'enjeu de la réserve, et potentiellement d'un service militaire - je pense que nous devons avancer dans cette direction.

Je ne me prononcerai pas sur l'ONU.

Le besoin de coopération, voire de coalition entre pays européens, le changement de comportement de nos grands opérateurs, pose des questions complexes et larges, qui font l'objet de travaux. Je crois qu'il faut partir du besoin : c'est à nous, militaires, de dire que nous avons besoin d'un même outil et que l'étiquette nous importe peu, finalement, tant que la souveraineté est respectée, c'est-à-dire tant qu'on ne risque pas demain de perdre l'outil parce que sa fabrication serait interrompue par une puissance qui ne partage pas nos intérêts. Je crois beaucoup à la souveraineté nationale et, sur certains aspects, à une solidarité entre nous, Européens, parce que nous serons dans la même barque. Il faut créer un réflexe européen, en partant du besoin et en s'interrogeant sur la possibilité de le satisfaire ensemble. Les outils de l'Union européenne sont positifs, ils incitent à travailler ensemble.

Ensuite, il y a des cultures à faire évoluer, vous avez raison, il y a un défi de transformation, en France nous avons un réflexe national très ancré ; or il faut aller vite, et la meilleure façon de faire vite et bien, c'est de partir du terrain, nous sommes d'accord sur ce point avec le Délégué général pour l'Armement (DGA), Emmanuel Chiva : il faut laisser au terrain des marges pour définir les besoins dans une équipe qui intègre la DGA pour la partie négociation avec les entreprises. Je sais que ma réponse est incomplète, il faudrait parler aussi des industriels, de leur capacité à être financés, de la place de la défense dans l'esprit public et de l'engagement citoyen autrement que sous l'uniforme, c'est un ensemble très vaste.

M. Cédric Perrin, président. - Voilà bientôt dix ans qu'au sein de cette commission, nous parlons de la transformation de la DGA - je ne désespère pas d'y arriver un jour.

M. Patrice Joly. - La Russie est dépendante de la Chine sur les plans militaire, financier et politique ; la Chine a besoin de débouchés pour maintenir sa croissance dans le contexte actuel et, par conséquent, sa stabilité politique. Ce besoin de débouchés n'est-il pas une garantie pour l'Europe dans le conflit sur son flanc Est ?

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Vous rappelez que la Russie constitue notre menace numéro un, nous avons conscience qu'elle ne s'arrêtera pas. Cependant, le président Trump a surpris récemment en déclarant que l'Ukraine pourrait regagner ses territoires et peut-être aller au-delà : quel crédit accordez-vous à ces propos ? Est-ce que ses services de renseignement lui auraient dit que la Russie serait plus fragile qu'on ne l'imagine ?

M. Fabien Mandon. - Les débouchés européens pour la Chine nous feront-ils éviter un conflit ? Mon impression, c'est qu'il n'y a pas d'alignement total entre la Russie et la Chine. Les Russes n'ont pas envie d'être sous domination chinoise. Le pouvoir russe sait que son voisin est un compétiteur puissant, on le voit par exemple en Arctique, où les Russes sont très présents : ils ne voient pas du tout d'un bon oeil l'arrivée des Chinois, ils n'ont aucune envie de partage. Je crois qu'ils vont essayer de se maintenir à distance tant qu'ils le peuvent, même si le rouleau compresseur chinois avance tous les jours un peu plus. Quoiqu'il en soit, les liens économiques sont certainement des moyens d'éviter d'en arriver au pire.

Les Ukrainiens sont admirables et sont dans une course où ils essayent de remplacer l'humain par des drones pour se battre à un niveau à peu près égal à celui des Russes, mais malheureusement, même s'ils sont vaillants, même si on les aide, ils reculent tous les jours.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour la franchise de vos propos, nous aurons l'occasion de continuer à débattre lors de l'examen de la loi de finances.

Je suis convaincu que les militaires, et le chef d'état-major en particulier, ont un grand rôle à jouer pour informer l'opinion publique de la situation dans laquelle nous sommes. Nous sommes conscients de cette situation, ici dans notre commission, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de tous nos collègues parlementaires : à nous, aussi, de les sensibiliser.

Cette audition n'a pas fait l'objet d'une captation vidéo.

Audition du général d'armée aérienne Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

M. Cédric Perrin, président. - Après avoir entendu le chef d'état-major des armées (Cema), nous recevons le général d'armée aérienne Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.

Mon général, c'est votre deuxième audition plénière devant notre commission. Vous connaissez donc l'exercice, que je souhaite le plus franc et direct.

Le projet de loi de finances pour 2026 a été déposé hier devant le Parlement, mais compte tenu des délais, il a été convenu d'un commun accord avec le Cema que les questions d'ordre strictement budgétaire attendront l'audition de la ministre des armées de mercredi prochain à 16 heures 30.

Néanmoins, nous saisissons l'occasion d'échanger avec vous sur la très riche actualité de l'armée de l'air et de l'espace. Vos missions opérationnelles récentes s'étendent sur les deux hémisphères avec, au nord, la surveillance de l'espace aérien balte, à l'est, le déploiement en Pologne de trois Rafale prêts à décoller « au coup de sifflet » et, au sud, par exemple, l'évacuation en urgence de Madagascar du Président Andry Rajoelina.

À ces opérations, il faut naturellement ajouter l'ensemble des activités d'entraînement et d'exercices en coalition - je pense à l'opération annuelle Pégase 2025 dans le Grand Nord, ou, la semaine dernière, l'exercice Volfa 2025 auquel a assisté une délégation de notre commission composée de Philippe Paul, vice-président, Mireille Jouve et Alain Cazabonne.

Votre armée est donc directement engagée face aux menaces dites hybrides, lesquelles sont bien réelles et tangibles, avec un mixte d'incursions de chasseurs bombardiers et de drones russes dans l'espace aérien de l'Otan. Cette frontière orientale peut paraître lointaine, mais contrairement à ce qui peut être dit sur le fait que notre territoire n'est pas menacé, notre armée de l'air et de l'espace est au contact direct de la Russie. Sur ce point, je serais très intéressé par votre analyse des règles d'engagement en cas d'incursion délibérée d'aéronefs militaires russes en Pologne ou dans les États baltes. Que pensez-vous des nouvelles consignes de l'Otan en la matière ? À quoi nous exposons-nous si un avion russe était abattu, comme c'est arrivé avec la Turquie ? La multiplication des incidents ne risque-t-elle pas de conduire, tôt ou tard, à un accident dans le meilleur des cas, voire à une séquence de combat ?

Par ailleurs, cela rejoint un de mes sujets d'intérêt que vous connaissez bien, à savoir la question des drones et de la lutte anti-drone (LAD). Sur le premier point, quels enseignements pouvons-nous tirer des deux échecs d'une part du drone Patroller, qui devait échoir à l'armée de Terre, et d'autre part de l'Eurodrone ? Tous deux sont mentionnés dans la loi de programmation militaire (LPM) : est-il temps de revoir ces programmes, et plus particulièrement l'Eurodrone qui vous concerne plus directement ; si nous devons tirer un trait dessus, par quoi le remplacer ?

La LPM alloue 5 milliards d'euros à la défense sol-air, notamment pour porter le nombre de batteries du système Mamba - système sol-air moyenne portée « SAMP-T NG » - de huit à douze. Nous avons observé à l'occasion du salon du Bourget l'extension de vos actions vers l'espace et la très haute altitude (THA). Mais là où la réponse ne paraît pas optimale, c'est sans doute pour les couches basses et la LAD. Quelles réponses pouvez-vous apporter à la lumière de votre expérience des jeux Olympiques et paralympiques (JOP) de 2024 et des menaces récentes sur des aéroports européens au Danemark, en Belgique et en Allemagne ? Sommes-nous prêts ? Sinon, comment nous mettre à niveau dans les meilleurs délais ? Je rappelle que notre commission avait adopté un rapport alertant sur les nécessités urgentes et spécifiques de la LAD lors des JOP.

Ces quelques sujets qui nous tiennent à coeur n'excluent pas les nombreux autres points d'attention qui seront soulevés par les rapporteurs pour avis du budget de la défense et par les membres de la commission. Nous mesurons l'ampleur des défis à venir qui se posent à vous.

D'abord la modernisation de votre outil de combat, qu'il s'agisse des bases aériennes avec le retour de la fonction de dissuasion à Luxeuil, la rénovation à mi-vie des Mirage 2000 D, l'évolution du parc de Rafale vers le standard F4 et le lancement du standard F5. Mes collègues parleront peut-être de l'agrandissement de la base aérienne 367 en Guyane.

Le format de la flotte de chasse avait beaucoup inquiété votre prédécesseur. Le Premier ministre, alors ministre des armées, avait avoué un besoin d'une trentaine d'appareils supplémentaires. Avec le retrait prochain du parc de la vingtaine de Mirage 2000-5 et les prochaines commandes de Rafale, le compte y est-il ?

Plus largement, face à l'élévation du niveau géopolitique de conflictualité, mais aussi de l'élévation du niveau technologique de nos compétiteurs, notamment de la Chine qui s'est impliquée dans le conflit indo-pakistanais, quels sont, selon vous, les retours d'expérience et les axes majeurs de modernisation et d'innovation à prioriser ?

Général Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. - Je suis très honoré de venir échanger avec vous. Cette audition sera un peu particulière, le projet de loi de finances venant à peine d'être déposé, ce qui exclut les questions budgétaires. Je vous exposerai donc les défis auxquels nous sommes confrontés et les transformations que nous devons mener d'ici trois ou quatre ans pour y faire face.

Ce que nous avons accompli ces trois dernières années est très éclairant sur notre capacité de transformation d'ici trois ans, dans la perspective d'un engagement majeur.

Lorsque nous regardons dans le rétroviseur, nous constatons que nous atteignons des résultats qui semblaient hors de portée il y a trois ans. Qu'il s'agisse du soutien aux forces de sécurité intérieure en Nouvelle-Calédonie ou de la réponse au cyclone Chido à Mayotte, nos flottes n'avaient, il y a trois ans, ni le volume ni la maturité opérationnelle pour réussir des ponts aériens de cette ampleur.

S'agissant de l'espace, nous avons réussi une opération de signalement stratégique coordonnée avec les États-Unis, qui n'avaient jamais fait cela avec personne d'autre auparavant : voler en patrouille sur l'axe géostationnaire pour perturber les satellites de nos compétiteurs.

Nous sommes en train de saisir des opportunités dans la très haute altitude : neutraliser un ballon à plus de 20 km d'altitude n'avait jamais été fait. Même chose pour la projection de Rafale en Pologne il y a quinze jours « au coup de sifflet » pour opérer sur un terrain allié avec une très faible empreinte logistique au sol. De même, réunir dans le cadre de la coalition des volontaires - donc hors cadre Otan ou Union européenne - pas moins de 23 de mes homologues pour planifier des garanties de sécurité au-dessus de l'Ukraine, cela n'avait jamais été fait.

Je vous propose de regarder un court film retraçant ce bilan.

Un film est diffusé.

Je ne veux pas m'éterniser sur ces succès. Ce que montre cette rétrospective, c'est ce qu'il faut pour gagner, aujourd'hui comme dans trois ans, une guerre qui pourrait se présenter.

C'est aussi la leçon que nous envoient les Ukrainiens, qui révolutionnent leur industrie avec des résultats incroyables : en quelques mois, ils ont su développer un missile de croisière sol-sol qui porte à plus de 1 000 km. Ce programme Flamingo doit nous interpeller, nous et nos industriels.

Cet exemple capacitaire nous invite à combattre l'immobilisme, le relativisme, le défaitisme, comme le dit le Cema, que vous venez d'écouter. Près de trois ans après le début de la guerre en Ukraine, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'en être là où nous en sommes.

Il n'y a pas de fatalité, mais l'histoire doit nous servir : trois ans avant la déroute de 1940, la commission de la défense nationale du Sénat constatait que la Luftwaffe était capable de survoler le ciel français en toute impunité. Certains, comme Jean Monnet, conseiller du Gouvernement, se démenaient pour obtenir le soutien de l'industrie américaine, seule capable de fournir les avions qui nous manquaient ; d'autres au sommet de l'État et des armées se complaisaient dans l'immobilisme - nous n'avons pas les moyens d'acheter - ; le relativisme - les Allemands n'attaqueront pas avant 1941 - ; le défaitisme - même si nous avons des avions, nous n'avons pas de pilotes.

Le tableau comparatif des menaces et des vulnérabilités nous interdit de nous mentir, mais en quelques mois, nous pouvons transformer durablement les choses. Le constat est clair : celui de la brutalisation des relations internationales, notamment lorsque l'Azerbaïdjan enterre l'utopie selon laquelle la force ne règle rien, en réglant le conflit du Haut-Karabakh en dix jours.

Ajoutez à cela le bilan de l'été en Ukraine, où 20 000 drones ou missiles russes ont été tirés, soit dix fois plus que l'été dernier. Jeudi dernier, mon homologue ukrainien m'a fait part de chiffres étourdissants : depuis le 1er janvier 2025, l'Ukraine a fait face à 280 attaques aériennes, dont 60 combinées, c'est-à-dire comprenant des missiles de croisière, des missiles aérobalistiques et des drones. En 2025, l'Ukraine a été ciblée par 2 000 missiles, dont 500 arérobalistiques. En 2025, les Russes ont augmenté leur format de 200 chasseurs Su-30, 37 et 57, soit des chasseurs modernes, passant de 226 à 434 - le format français est de 200 chasseurs. Et je ne parle pas des bombardiers stratégiques.

Les combats indo-pakistanais ont opposé deux puissances nucléaires avec 125 chasseurs impliqués qui nous font, au passage, redécouvrir l'attrition.

Nous constatons un effondrement du cadre normatif international ; le feu vient aussi de l'intérieur, lorsqu'une démocratie frappe un État souverain, le Qatar. La même nuit, des drones russes entrent en Pologne et sont abattus par des chasseurs de l'Otan. C'est à se demander avec quelles nouvelles on va se réveiller le lendemain matin !

À peine sortis du chaos à Mayotte, il nous fallait intervenir à La Réunion. Cela nous rappelle que nous devrons apprendre à remplir nos missions dans un monde à plus deux, plus trois, plus quatre degrés de réchauffement climatique.

La menace pèse sur différents milieux et champs de conflictualité. L'hybridité est à nos portes : il y a encore une dizaine de jours, des bateaux de la ghost fleet (flotte fantôme) russe sont soupçonnés d'être responsables de décollages de drones au Danemark et de se rendre au large des côtes françaises. C'est typique de l'hybridité : faisceau d'indices convergents, présomption très forte, mais finalement, attribution impossible. Malgré tout, il faut agir.

L'hybridité, c'est le ciblage des intervalles : cognitif pour le décideur géographique ou temporel. J'y ajoute l'intervalle entre nos chaînes d'alerte, soit entre les postures permanentes de sûreté (PPS) de la marine et de l'air - heureusement, nous sommes très bien coordonnés.

Cela appelle de la lucidité et des efforts pour répondre à quatre types de défis : ceux de l'arrière, de l'avant, de la verticalité et des défis transverses.

Commençons par les trois défis de l'arrière, relatifs à la résilience et à la résistance de notre système de combat : ressources humaines, défense sol-air et maintien en conditions opérationnelles (MCO).

Rien n'est possible sans les aviateurs. Nous serons 41 000 en 2026. Le sujet sous-jacent, c'est le moral des troupes. Aujourd'hui, il est bon, car porté par les engagements et les succès en opération. À nous de rester attractifs, d'entretenir et de développer nos liens avec la société et la jeunesse. La dynamique de recrutement est bonne depuis 2022. Notre objectif pour 2026 est de 3 600 recrues.

Le coeur de notre système de combat est notre outil de formation ; il est à repenser dans une logique de haute intensité, en particulier s'agissant du personnel navigant. Nos cursus sont longs, parfois trop normés ; or celui qui forme le plus rapidement gagnera la guerre. Là encore, l'histoire doit nous servir : la première école de pilotage sur la base aérienne d'Ambérieu au début de la Grande Guerre formait 37 pilotes de chasse par an - exactement le nombre de pilotes que nous formons aujourd'hui. En temps de guerre, ce nombre est devenu spectaculaire : plus de 2 000 pilotes en 1918. Nous devons nous libérer des carcans que nous nous imposons par l'habitude du temps de paix.

Deuxième priorité : la protection de nos espaces aériens et de ses approches, de nos bases militaires et des sites sensibles contre les menaces venant de toutes les couches d'altitude, sur tout le spectre de la technologie, de l'ultrasophistiqué au rudimentaire, et de l'étatique à l'hybride.

Les nombreux chantiers se classent en trois axes. Le premier est la protection de l'espace aérien national par la PPS aérienne, mission permanente qui nécessite que le soutien commun et le soutien spécialisé soient au plus près de la décision de l'action pour la meilleure réactivité possible.

Le deuxième est la protection par la dispersion de nos moyens de façon programmée, comme en Suède, en Pologne ou en Croatie, ou de manière inopinée, comme lorsque nous avons fait décoller un beau matin de printemps 30 Mirage 2000 de Nancy pour les redéployer ailleurs en France - les pilotes, en arrivant, ne le savaient pas.

Troisième chantier, la défense sol-air multicouche et intégrée : LAD, missiles à courte, moyenne et longue portée et composante aérienne, avec l'aviation de chasse et les hélicoptères. Elle doit être intégrée grâce à un commandement et contrôle des opérations, appelé C2, qui doit connecter tous les moyens. Une cible à 18 systèmes : SAMP-T NG bicouches constitués d'Aster et de Vertical launch-Mica (Missile d'interception, de combat et d'autodéfense) à horizon 2035. C'est aussi la protection à deux dimensions de nos bases, projetées ou non.

Nous avons bien avancé pendant les JOP en intégrant des moyens des forces de sécurité intérieure, des moyens étrangers ou des autres armées avec un bon résultat : plus de 400 interceptions de vols de drones illégaux.

Nous devons cependant accélérer sur tout le spectre de la LAD : détection, identification, neutralisation, aussi bien cinétique qu'électromagnétique. Nous avons un peu stressé le modèle il y a quinze jours avec l'exercice Basex, fondé sur un scénario d'attaque saturante ; le résultat est perfectible.

Concernant la LAD depuis les airs, il n'est pas soutenable d'utiliser des Mica à plus de 1 million d'euros pour abattre un drone à quelques milliers de dollars. Nous devons développer nos capacités de tir à bas coût ou adapter nos conduites de tirs canons.

Troisième défi de l'arrière : passer d'un MCO de contrat à un MCO de combat, c'est-à-dire remettre les impératifs opérationnels et la gestion du risque au coeur du processus décisionnel. C'est le sujet des réparations de combat : dites-moi quel est le risque que je cours à voler avec un tel écart à la norme et je prends la décision de voler ou non.

C'est dans cet esprit qu'avec la troisième édition de l'exercice Orion, nous avons réuni les acteurs du MCO étatique et industriel autour de scénarios concrets de haute intensité. En termes de partage d'expertise et d'acculturation, cela a été un succès total.

Je passe aux défis de l'avant et sa finalité ultime : la frappe dans la profondeur et la mission permanente de la composante nucléaire aéroportée. En ligne de mire : les ruptures technologiques à horizon 2035 du Rafale au standard F5 et du missile nucléaire de quatrième génération.

Mais la frappe dans la profondeur ne se limite pas aux raids nucléaires pour lesquels nous savons percer fort et loin, mais de façon ponctuelle. Il faut plus de capacités conventionnelles pour épauler notre dissuasion efficacement. Nous devons pouvoir imposer notre supériorité aérienne et ne pas nous enfermer dans un scénario à l'Ukrainienne. Pour cela, il faut contrer les dispositifs de déni d'accès et supprimer rapidement les défenses aériennes ennemies : c'est la Sead (Suppression of Enemy Air Defences)

Les raids successifs de l'US Air Force et de l'aviation israélienne en Iran ont montré que les systèmes de déni d'accès n'étaient pas infranchissables, mais aussi ce que la neutralisation offrait en termes d'ascendant militaire et politique.

Le déni d'accès n'est pas une fatalité. Des solutions à court terme sont à l'étude dans l'attente du développement d'un missile antiradar et d'une capacité aérobalistique - je parle bien des deux.

Il faut aussi penser à la saturation de la défense ennemie avec des armements à bas coût et des moyens de guerre électromagnétique comme le brouillage offensif. La Sead est un impératif, car c'est le dénominateur commun des défis de l'avant et une lacune pour notre armée de l'air.

Je passe aux défis de l'axe vertical, du continuum de la troisième dimension, en commençant par la très haute altitude. L'enjeu est double : supériorité opérationnelle et souveraineté. D'une part, nous devons tirer parti de la « longe spatiale », de la permanence et de la survivabilité des systèmes qui croisent au-dessus de nos têtes entre 20 et 100 km d'altitude ; d'autre part, contre la prolifération des menaces, nous devons être capables de les détecter, de les identifier et de les intercepter.

En termes capacitaires, nous tenons le cap et le calendrier : tirs de nos chasseurs contre un ballon du Centre national d'études spatiales (Cnes) à plus de 20 km ; radar transhorizon Nostradamus - un des maillons du dispositif d'alerte avancée que nous souhaitons souverain ; expérimentation en fin d'année en Guyane d'un ballon manoeuvrant permettant de transporter une charge utile pour une multitude d'applications, notamment un relais satellitaire de télécommunications et une bulle d'hyperconnectivité d'une dizaine, voire d'une centaine de kilomètres.

Passons à l'étage du dessus : l'espace. Notre modèle actuel repose sur une capacité trop réduite, une mise en service selon un tempo inadapté au conflit de haute intensité qui ciblera forcément tous nos moyens spatiaux.

Il faut donc accélérer - c'est le mot d'ordre -, muscler notre langage stratégique et s'assumer en tant que puissance spatiale. Face au catalogue des intentions et des actes hostiles, le temps n'est plus aux politesses de la défense active, mais aux capacités d'action offensives dans, depuis ou vers l'espace. Nous avons du retard dans la réactivité de nos lancements et dans l'occupation de nos orbites basses ou LEO (low earth orbit). Or le pivot vers les orbites basses est stratégique pour nos armées : connectivité, massification, résilience des moyens et souplesse d'emploi.

C'est aussi un enjeu de souveraineté face à l'offensive Starlink. Une première brique serait l'emploi de services OneWeb, qualifié de trésor stratégique. Cette contractualisation est un véritable gap filler dans l'attente du programme Iris² à horizon 2030 qui sera développé pour 10 milliards d'euros par un consortium de primes et de start-up pour un véritable NewSpace européen.

Quelques ordres de grandeur : OneWeb d'Eutelsat, c'est un peu plus de 600 satellites ; Iris², plus de 300 satellites interconnectés. Pendant ce temps, en Chine, deux mégaconstellations sont en cours de déploiement en orbite basse : l'une, étatique et militaire, Guowang, et l'autre, privée et duale, Qianfan. La première vise 13 000 satellites et la deuxième 12 000 : les Chinois sont en train de saturer l'espace, en particulier les orbites basses.

Nous avons un rendez-vous majeur en novembre : l'inauguration du bâtiment du commandement de l'espace sur la base aérienne à vocation spatiale de Toulouse, et j'espère vous y voir nombreux. Cela m'amène aux défis transverses : la mission de commandement et de contrôle (C2), car cette inauguration pose les premières briques de notre C2 spatial. Pour l'alimenter, nous renouvellerons en 2026 notre parc de radars : livraison des deux derniers des quinze radars de classe GM 400 au premier semestre, du troisième avion léger de surveillance et de reconnaissance en 2030, et début du renouvellement de la composante de détection aéroportée avec le programme GlobalEye.

L'objectif que nous poursuivons est la convergence des C2 Air, C2 dissuasion conventionnelle, C2 spatial et C2 territorial.

La réponse aux défis posés par les menaces à toutes les altitudes, depuis le mini-drone jusqu'au satellite butineur et au missile hypersonique, passe par l'exploitation combinée des informations recueillies depuis le sol, l'air et l'espace. Cela permet d'orchestrer au bon tempo la boucle qui relie capteurs et effecteurs, avec, en toile de fond, notre capacité à industrialiser le ciblage. Nous savons faire des dossiers de ciblage, mais il faut les faire beaucoup plus vite.

Autre défi transverse : la transformation numérique. Nous devons réussir le virage de l'intelligence artificielle (IA) de combat. Le premier qui occupera le terrain avec un C2 centré sur la donnée définira les règles du jeu. Pour l'armée de l'air, cela signifie faire des bases aériennes des hubs de la data, acculturer les aviateurs et développer les cas d'usage. Par exemple, nous testons un logiciel pour optimiser l'équation que représentent les 10 000 mutations par an de nos 23 700 sous-officiers, afin d'optimiser les trois variables : besoins de l'armée de l'air, compétences et aspirations des personnels.

Du côté de nos flottes, l'avenir est aux architectures ouvertes. Le Mirage 2000D est un avion des années 1980 avec un système des années 1990 ; pourtant, il est en train de devenir notre banc d'essai pour l'IA embarquée. Nos aviateurs développeurs nous ont fait prendre conscience de l'immense plus-value d'un système ouvert et donc optimisable selon nos besoins opérationnels. Mais c'est l'exception et non la règle : les autres appareils sont équipés de systèmes propriétaires beaucoup plus fermés.

Le défi est donc d'imposer aux industriels des modèles d'architecture ouverte. Pour maintenir des systèmes de combat à la page, nous avons besoin de deux choses : pouvoir accéder librement à la donnée générée par nos systèmes et implémenter rapidement des évolutions logicielles, notamment à base d'IA, en fonction de notre besoin opérationnel.

C'est pour cela que nous avons modifié notre expression de besoin pour le Rafale standard F5. Nous tous, acteurs du développement capacitaire, devons donc entamer un dialogue clair, ferme et pédagogique avec les industriels. Les États-Unis ont fait ce travail : la Constitution a été modifiée pour que la donnée générée par les plateformes du département de la défense appartienne à l'État ; les industriels sont tenus de respecter une architecture de référence gouvernementale s'ils veulent répondre aux appels d'offres.

Il y a un tournant majeur à prendre et une opportunité à saisir : les États-Unis sont prêts à partager ce travail colossal de construction d'une architecture gouvernementale de référence. Il y va de notre interopérabilité, mais aussi de notre supériorité aérienne, car la Chine a largement dépassé le concept. C'est aussi un risque pour les industriels : s'ils ne comprennent pas qu'ils doivent s'engager dans cette voie, ils risquent de ne plus parvenir à exporter.

Pour conclure : si la guerre commence ce soir, il faudra innover avec l'existant, en se concentrant sur le MCO et les munitions ; si elle commence dans trois ans, la victoire dépendra de la façon dont nous aurons su amorcer les changements sur la défense sol-air et notamment la LAD, la Sead, la THA, l'espace, le C2 et les architectures numériques.

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons prévu 16 milliards d'euros dans la LPM pour les munitions. Qu'avons-nous commandé depuis ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Nous venons d'effectuer un déplacement en Guyane et au Guyana, où il y a une attente forte de coopération avec la France, et où nous avons eu l'honneur d'ouvrir un poste diplomatique. Nous avons eu l'occasion d'utiliser la base aérienne 367 à Cayenne. Les enjeux sont importants dans cette région du globe, où nos aviateurs relèvent de multiples défis : lutte contre le narcotrafic et les pêches illégales en mer, soutien aux forces de sécurité dans leur lutte contre l'orpaillage illégal, sans oublier l'espace avec le centre spatial guyanais et les lanceurs, Titan Ariane 6 ou Véga.

Pourrons-nous faire évoluer les infrastructures sur la base 367 ? Comment répondrons-nous aux fortes attentes de coopération en termes de détection radar exprimées par nos interlocuteurs guyaniens ? Quelles leçons opérationnelles tirez-vous de l'incident sur le Rafale utilisé par les forces indiennes ?

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Quel bilan tirez-vous de l'opération « Escadrille air jeunesse » (EAJ) dont vous aviez parlé l'an passé et que vous souhaitiez doubler ? Il est essentiel que notre jeunesse soit motivée et prête à se former à des métiers exigeants et hautement techniques.

Général Jérôme Bellanger. - Les récents évènements sont inédits : des drones et des aéronefs russes ont violé l'espace aérien. Les drones ont été en partie abattus par des avions polonais et de l'Otan. Le droit international assimile les drones à des aéronefs. Il s'agissait de drones Shahed. La police du ciel de l'Otan intervient pour les méthodes classiques d'interception, mais cela se corse quand il s'agit de neutraliser, car alors, l'État est souverain. La Pologne a autorisé l'Otan à le faire. L'Otan cherche donc à aligner les règles d'engagement de tous les pays de l'Otan pour gagner en réactivité pour ne plus avoir à demander l'autorisation au cas par cas.

Nos règles ont énormément évolué depuis le 11 septembre 2001, puisque l'autorité politique a délégué à l'autorité militaire le droit d'abattre un avion qui menacerait un site sensible. Les Allemands ont accepté le 8 octobre qu'on abatte un drone s'il survole un site sensible - c'est inédit.

Concernant la LAD et le Patroller, il est très difficile de transformer un avion habité en drone pour des questions de normes et de navigabilité. Ceux qui construisent des drones depuis le début sont donc meilleurs. Cela a été le problème pour le Patroller.

Le programme Eurodrone est dans une phase de revue assez critique : j'échange avec mes homologues. C'est malheureusement le drone d'hier qu'on aura peut-être demain, puisqu'il a cinq ans de retard. Je dis à mes homologues : voyons ensemble les spécifications d'un drone moins gros et moins coûteux, se rapprochant des drones utilisés par les Russes et les Ukrainiens. Nous sommes moins allants que nos partenaires sur le sujet.

Concernant la LAD pour protéger nos bases aériennes, nous avons énormément progressé avec les JOP, mais pas assez capitalisé dessus. La LAD nécessite une organisation très réactive entre l'état-major et les forces au sol - c'est le rôle du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Elle nécessite un C2 qui implique que nous formions nos personnels à la conduite de ces opérations et de fusionner tous les capteurs. Nous avons expérimenté un système pendant les JOP que nous voulons déployer sur tous les sites sensibles grâce à un visuel qui fusionne tous les capteurs. Elle nécessite enfin des équipements, et c'est là que le bât blesse. Ces équipements existent sur étagère ; les Ukrainiens, en particulier, ont innové et nous pourrions leur acheter des équipements. Nous avons des équipements - Basalt, Parade (protection déployable modulaire anti-drones), drones bloqueurs - qui sont efficaces si on les combine avec de la défense passive et de la détection acoustique, mais qui sont en nombre insuffisant.

Notre base en Guyane monte en puissance, avec l'arrivée du Caracal - il y en aura quatre à terme, ce qui change la donne. Les enjeux sont l'extension de notre capacité d'accueil et la modernisation de nos capacités de détection radar. Nous voudrions aussi en faire une zone d'expérimentation pour la haute altitude ; en fin d'année, nous ferons un test avec un ballon ; le progrès des infrastructures est programmé pour 2030-2031.

L'incident indien avec le Rafale est intéressant : les Indiens ont perdu la guerre informationnelle. Un Rafale a certes été abattu, mais dans des circonstances très particulières.

Dans le conflit indo-pakistanais, plus de 120 avions ont été engagés - du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Trois ou quatre avions indiens, dont des Soukhoï, ont été abattus, mais ce n'est rien par rapport à l'engagement qu'il y a eu.

Les EAJ sont un vrai succès. Nous avons augmenté le nombre de jeunes accueillis dans la perspective d'un doublement à 2 800 à horizon 2030. C'est un très bon tremplin vers ce qui est envisagé, à savoir un service national. Tous les jeunes que je rencontre ont volé, appris la Marseillaise, et sont très fiers d'arborer leur combinaison de vol.

C'est notre devoir de participer à la cohésion nationale à travers l'accueil de la jeunesse dans l'armée de l'air. Mais industrialiser les EAJ nécessiterait beaucoup d'encadrement et du financement ; d'où l'importance de la réserve.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Quelle vision avez-vous du système de combat aérien du futur (Scaf) ? Allons-nous enfin aboutir ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Le 7 octobre derniers, la Direction générale de l'armement (DGA) a lancé le pacte Espace, qui a pour ambition de renforcer la coopération dans le domaine spatial afin de fournir une réponse adaptée, réactive et souveraine aux besoins opérationnels des forces armées. Pouvez-vous expliquer plus concrètement les attentes spécifiques de l'armée de l'air et de l'espace tant dans le domaine capacitaire que stratégique ?

Général Jérôme Bellanger. - On a trop tendance à limiter le Scaf au NGF (New Generation Fighter), c'est-à-dire au successeur du Rafale. Mais c'est tout sauf cela. Nous voulons changer l'état d'esprit : c'est la manière de construire le cloud, la connectivité entre les différentes plateformes -certes cet avion-- mais aussi les drones, les remote carriers, les CCA (Collaborative Combat Aircrafts) - c'est-à-dire des aéronefs de combat collaboratifs non habités, qui feront de la masse pour saturer les défenses adverses.

Si nous ne parvenons pas à imposer à nos industriels cette architecture de référence gouvernementale, ils développeront leurs propres architectures, qui ne discutera pas avec celle des avions de sixième génération américain, britannique, italien ou japonais. Je veux inverser la tendance. Pensons cloud et connectivité, puis nous construirons nos plateformes.

Dézoomons : je suis d'accord avec mes homologues allemand et espagnol sur nos besoins opérationnels. Les industriels, quant à eux, ont beaucoup de mal à se mettre d'accord, car cela implique le partage d'un savoir-faire. Vous avez donc assisté dans la presse à un tir libre entre Airbus et Dassault, qui ont énormément de difficultés à se parler.

Le projet n'est pas arrêté. Une rencontre ministérielle est prévue le mois prochain, puis une rencontre présidentielle en décembre. Début 2026, nous statuerons sur la reconfiguration du projet.

Nous avons créé, en complément au pacte Espace de la DGA, un cercle de confiance Espace (CCE), pour créer un climat de confiance avec les acteurs du NewSpace - nos start-up, pépites qui foisonnent d'idées - et les orienter sur nos besoins opérationnels afin de leur faciliter le travail. Nous avons déjà organisé, en lien avec la DGA, deux ou trois réunions de ce cercle de confiance, qui regroupe une quarantaine de start-up. Notre objectif est d'accélérer, notamment sur les lancements réactifs et les petits satellites. Une start-up s'apprête ainsi à lancer un satellite pour s'approcher d'un satellite géostationnaire de météorologie, comprendre pourquoi il ne répond plus, et le réparer, ou le désorbiter s'il n'est pas réparable. C'est le même état d'esprit que pour le pacte Espace de la DGA.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces ». - En janvier, un rapport de l'Institut français des relations internationales (Ifri) a suscité l'émoi sur la question des munitions, en affirmant qu'en cas de conflit de haute intensité air-air, notre aviation ne tiendrait pas plus de trois jours. Je cite : « le modèle de force français est construit autour de la dissuasion et de la défense aérienne du territoire métropolitain. Il atteint ses limites pour peser efficacement en coalition dans un conflit de haute intensité, en particulier en raison d'impasses sur la furtivité et la neutralisation des défenses sol-air adverses, et du volume insuffisant des flottes, des équipements de mission et des munitions. » Qu'en pensez-vous ? Quelles réponses apportez-vous sur les munitions, les formats de flotte et la neutralisation des défenses sol-air adverses ? Comment envisagez-vous un combat de haute intensité aux frontières orientales de l'Europe ?

La très haute altitude (THA) s'impose comme un nouvel espace stratégique, central pour l'observation, les télécommunications et la neutralisation. En 2025, des projets ont accéléré : le drone solaire à très haute autonomie Zéphyr, le dirigeable stratosphérique Stratobus, conçu pour le repérage dans des zones contestées, le ballon manoeuvrant BalMan destiné à des missions de surveillance, de connectivité et de secours. Quelle place ces projets auront-ils dans les conflits de demain ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces ». - Vous avez beaucoup insisté sur la nécessaire souveraineté européenne : pouvez-vous nous dire un mot de la constellation Galileo et de son éventuelle montée en puissance ?

Trois industriels - Thales, Leonardo et Airbus -se regroupent pour travailler sur un satellite intégré proche de celui de MBDA. Avez-vous fait état de vos besoins auprès de ce consortium ? Quelles potentialités identifiez-vous dans ce rapprochement industriel ?

Au Salon du Bourget, le président de la République a annoncé une stratégie spatiale nationale pour la fin du mois d'octobre et la tenue d'un Sommet de l'Espace début 2026. Quels seront les grands axes de cette stratégie ?

Général Jérôme Bellanger. - Le rapport de l'Ifri est assez juste. Le chiffre de trois jours constitue une moyenne, mais cela dépend de l'intensité des combats. Une chose est sûre : notre stock de munitions est insuffisant. Nous devons donc accélérer la production et demander à nos industriels d'améliorer la réactivité de leur chaîne de production. Bien sûr, pour eux, cela a un coût...

Nous devons aussi réfléchir en Européens. Demain, nous devrons avoir le même type d'armement. Nous devons penser ensemble les architectures de référence, afin de faire des économies d'échelle.

Nous devons aussi développer des munitions à bas coût. Je parlais tout à l'heure de l'inutilité d'abattre un Shahed avec un Mica. Il existe des solutions sur étagère, des roquettes laser qu'on pourrait très bien installer sous des Mirage 2000 ou sous des Rafale. Il suffit de franchir le pas et d'accepter d'installer autre chose que des missiles « made in France » sous nos avions.

Nous élaborons une stratégie sur la très haute altitude, car à ce stade, c'est un Far West que nous devons absolument investir. Voyez l'épisode Chido à Mayotte : le ministre des armées de l'époque s'était plaint de devoir faire appel à Starlink pour avoir de la communication satellitaire. Si demain vous mettez des ballons avec des relais Satcom largués depuis un A400, vous aurez de la Satcom là où vous le souhaitez. Nous allons tester les premiers ballons à la fin de l'année, et apprendre à les piloter autour de 25 kilomètres d'altitude, là où les vents sont pratiquement nuls - en deçà et au-delà, c'est quasiment impossible. Le plus difficile, c'est de faire du stationnaire. Nous devrons ensuite augmenter la taille de ces ballons pour permettre le transport de charges utiles plus importantes, notamment des satellites Satcom. J'y crois beaucoup, qu'il s'agisse de relais, d'observation, voire de neutralisation.

S'agissant de la neutralisation, l'essai réalisé sur Rafale-Mirage 2000 pour abattre un ballon situé à une altitude de 20 kilomètres, voire au-delà, a été réussi. Nous ferons un nouveau test, avec un autre type de missile, en janvier. Sachez qu'il y a, sur nos plots de posture permanente de sûreté aérienne (PPSA), des missiles modifiés qui peuvent éventuellement neutraliser des ballons détectés un peu plus haut.

M. Cédric Perrin, président. - Quelle est l'altitude de vol maximale du Rafale ?

Général Jérôme Bellanger. - L'altitude maximale est de 50 000 pieds - environ 15 kilomètres. Mais nous sommes montés avec le Mirage 2000 - pas avec le Rafale - un peu plus haut ; le missile a fait le reste du chemin.

Nous n'avons pas été consultés par le consortium Leonardo-Thales-Airbus. Pourquoi ont-ils créé ce consortium ? Parce que leur carnet de commandes n'est pas très rempli et qu'ils ont besoin de survivre. Cela ne se fera pas sans difficulté, car des compromis devront être réalisés entre ces trois entreprises. Nous ne sommes pas passés d'un coup du OldSpace au NewSpace : nous avons des entreprises qui fabriquent de très gros satellites, très résilients et extrêmement performants - les satellites CSO sont ce qui se fait de mieux en Europe en matière d'observation ! -, mais la demande s'oriente désormais vers des satellites beaucoup plus petits, avec revisite. Pour l'instant, nous jonglons un peu entre les deux, car nous avons une expertise industrielle à conforter. Mais c'est très coûteux et nous sommes plus intéressés par du moins performant, mais avec plus de revisite et de résilience.

Avec la constellation Galileo, nous disposerons, à terme, de moyens de navigation souverains et pourrons sortir du tout-GPS (Global Positioning System). Nous suivons ce dossier de près.

Notre stratégie spatiale est presque finalisée et devrait être annoncée par le Président de la République à l'occasion de l'inauguration du Commandement de l'Espace. Malheureusement, la politique spatiale française est morcelée entre quatre ministères et, au niveau industriel, nous avons aussi des difficultés entre le OldSpace et le NewSpace, car nous n'avons pas encore fait notre révolution - d'où la création du cercle de confiance, du pacte Espace, etc.

C'est au sein du ministère des armées que nous avons le plus avancé, notamment sur les opérations. À Toulouse, AsterX est une véritable réussite de coopération internationale. Pour nous, le point clé est le fameux C2 spatial, qui devrait être opérationnel d'ici à la fin de l'année. Il nous permettra de mener des opérations aériennes, de voir et d'agir dans l'espace. Ce C2, qui n'existe pas encore, est en train d'être créé de manière incrémentale - et les Américains nous aident beaucoup.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - La revue nationale stratégique (RNS) actualisée en 2025 évoque l'adaptation des dispositifs destinés aux jeunes pour structurer un continuum de l'engagement tout au long de la vie, citant notamment les escadrilles air jeunesse (EAJ). Ce dispositif, qui fonctionne bien, rencontre toutefois un sérieux problème d'échelle, car il ne concerne qu'environ 2 000 jeunes sur une cohorte de quelques centaines de milliers. Comment faire mieux ?

Mme Carlotti, co-rapporteure, aurait aimé vous interroger sur le recrutement. Vous êtes à la tête d'une armée qui connaît moins des difficultés de recrutement que les autres. Est-ce une position plus favorable pour accroître les efforts en matière de recrutement et d'organisation des réserves ? Au printemps dernier, la presse faisait état de signaux encourageants sur l'attractivité des réserves. Disposez-vous de chiffres consolidés ? Quels profils recrutez-vous ? Quels objectifs vous fixez-vous ?

Général Jérôme Bellanger. - Il existe des dispositifs similaires à nos escadrilles régionales dans les deux autres armées. L'objectif est de sensibiliser la jeunesse et de l'accueillir dans une logique de cohésion nationale. Une Journée défense et citoyenneté (JDC) « nouvelle génération » va être mise en place, sur un jour. Pourquoi ? Parce que cela ne fonctionnait pas : les jeunes ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient là ; il y avait peu d'activités. Nous allons faire tout l'inverse : ils arriveront le matin, chanterons la Marseillaise, monteront le drapeau tricolore, feront un peu de sport et se verront présenter les valeurs des armées. Il y aura ensuite, non pas le SNU, mais a priori un service national - le Président l'évoquera - pour proposer à cette jeunesse des activités au sein de l'armée.

Nous atteindrons 7 200 réservistes à la fin de l'année, pour une cible de 11 500 en 2030 - le Président a annoncé l'objectif d'un réserviste pour deux militaires d'active à l'horizon 2035. Mais l'armée de l'air et de l'espace a aussi besoin d'une réserve très technique et bien formée : direction des vols, instruction, etc. S'y ajoute bien entendu la réserve constituée par les anciens militaires, qui, pendant cinq ans, peuvent être rappelés dans les forces.

M. Cédric Perrin, président. - Merci beaucoup pour cette très intéressante audition qui nous a permis d'entrer dans le détail du capacitaire. Nous aurons l'occasion d'y revenir, dans le cadre du prochain débat budgétaire, avec quelques augmentations budgétaires significatives annoncées - plus de 4 milliards d'euros pour le P146, 218 millions d'euros pour le P144, notamment. Merci d'être venu à la rencontre des élus.

Cette audition n'a pas fait l'objet d'une captation vidéo.

Proposition de loi visant à élever à titre posthume Alfred Dreyfus au grade de général de brigade - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Rachid Temal rapporteur sur la proposition de loi n° 675 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade.

La réunion est close à 12h30.