- Mardi 28 octobre 2025
- Mercredi 29 octobre 2025
- Désignation d'un membre du Bureau de la commission
- Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les marges de la grande distribution - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2005 et sa mise en oeuvre - Examen d'une motion au texte de la commission mixte paritaire
- Proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89 - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 28 octobre 2025
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment - Examen du rapport pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous allons examiner le rapport pour avis de notre collègue Hervé Reynaud sur la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment. Quatre articles ont été délégués au fond à la commission des lois. Nous accueillons Nathalie Goulet, auteur de ce texte.
Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi. - Il y a quelques mois, la commission d'enquête sur la criminalité organisée, dont notre collègue Hervé Reynaud était membre, rendait ses conclusions. Celles-ci suivaient d'excellents travaux sur le narcotrafic. Ce dernier n'est qu'une partie de la criminalité organisée, dont il est important d'examiner tous les aspects, tels que la contrefaçon ou les cartes prépayées. En bref, tout cela constitue une énorme fabrique d'argent sale, lequel est ensuite blanchi. Or l'ensemble des services constate que blanchir l'argent est devenu un métier détachable de la criminalité.
Parmi ces blanchisseurs, l'on retrouve une structure très connue : les entreprises éphémères, qui se constituent rapidement, utilisent des banques en ligne, ont un chiffre d'affaires qui monte rapidement etc. Et puis elles disparaissent... C'est l'outil principal notamment du carrousel de TVA, l'un des principaux vecteurs de blanchiment qui représente à lui seul un manque à gagner de 25 milliards d'euros, mais aussi des fraudes aux aides publiques, qui atteignent entre 20 milliards et 40 milliards d'euros. Ces entreprises éphémères sont donc le véritable cheval de Troie de la criminalité.
Face à cette situation, le Livre blanc des greffiers des tribunaux de commerce comporte des propositions, dont un renforcement du contrôle des greffes sur les pièces d'identité et une expérimentation sur les données cadastrales.
De ces travaux est née une proposition de loi d'une trentaine d'articles. Cependant, l'espoir de la voir inscrite à l'ordre du jour était mince. C'est la raison d'être du texte que vous examinez, qui ne comprend plus que neuf articles portant sur la sécurisation juridique des structures économiques, dont quatre sont délégués au fond à la commission des lois : les articles 2, 3, 8 et 9.
Je souscris pleinement aux modifications apportées par le rapporteur, qui améliore sensiblement le texte, tout en en conservant l'esprit : plus d'éléments pour contrôler les entités économiques, plus de pouvoir pour les greffes. Bien sûr, cela s'inscrira dans un ensemble plus grand avec, en particulier, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, que nous examinerons dans quelques semaines. J'espère que nous pourrons également travailler sur le blanchiment dans ce cadre.
Rien ne justifie que l'on renonce à quelque sorte de contrôle sur des entreprises au simple motif que l'on rallonge des délais. Vous savez très bien que l'ensemble des actes exécutés pour une entreprise en formation peuvent être repris par une autre. Mieux vaut donc contrôler ab initio que de laisser en l'état un Kbis devenu un permis de frauder pour bon nombre d'entreprises, notamment éphémères. Tel est, madame la présidente, l'esprit de cette proposition de loi.
Nathalie Goulet quitte la salle de la commission.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - La proposition de loi que nous examinons s'appuie sur les recommandations du rapport de la commission d'enquête sur le blanchiment, intitulé Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société.
Je ne peux que m'associer aux conclusions de notre collègue Nathalie Goulet quand elle estime que la lutte contre les réseaux de blanchiment doit être érigée au rang de priorité dans l'action des pouvoirs publics. De fait, l'efficacité de la lutte contre la criminalité organisée repose largement sur la capacité des autorités à « frapper au portefeuille », en démantelant les réseaux de blanchiment qui permettent aux criminels de réinjecter le produit de leur action dans l'économie réelle. Je rappelle que la Cour des comptes européenne évaluait récemment le blanchiment de capitaux à environ 38 milliards d'euros pour la France.
D'importants progrès ont été réalisés sur la période récente, souvent à l'initiative du Sénat, à commencer par la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui renforce assez radicalement notre dispositif anti-blanchiment. Je pense également à la loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, dont Muriel Jourda était la rapporteur. Nathalie Goulet a également été rapporteur de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire, reprenant d'autres recommandations de notre commission d'enquête. Peut-être des textes compartimentés seront-ils plus faciles à adopter qu'un seul texte trop volumineux.
D'importantes marges de progrès subsistent, soulignées par les travaux de la commission d'enquête, dont la régulation défaillante de secteurs particulièrement exposés aux risques liés à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Ainsi, diverses lacunes persistent, par exemple les cas de cession amiable d'une société, ou encore les difficultés à s'adapter aux méthodes évolutives des criminels, notamment par des détections rapides de l'usage de fausses identités. Or c'est au départ que l'on peut arrêter la lessiveuse ; une fois que le processus de blanchiment touche l'économie réelle, les perspectives de retracer les mouvements financiers sont faibles.
Dans ce contexte, la proposition de loi que nous examinons est bienvenue. Elle comprend neuf articles, dont quatre nous sont délégués au fond. Je partage la philosophie qui sous-tend ces dispositions, lesquelles partent de constats consensuels que la commission d'enquête a parfaitement documentés. Fort heureusement, la lutte contre le blanchiment fait partie de ces sujets qui nous rassemblent plus qu'ils ne nous divisent.
Je vous présenterai quatre amendements visant à sécuriser juridiquement les rédactions proposées, comme à l'article 9, à supprimer des éléments redondants avec le droit existant, s'agissant de l'article 8, ou à y substituer d'autres mécanismes plus efficaces, concernant les articles 2 et 3.
M. Olivier Bitz. - Je remercie le rapporteur et l'auteur du texte. Cela confirme le rôle du Sénat comme centre d'impulsion politique dans la lutte contre la criminalité organisée.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie à mon tour Nathalie Goulet et Hervé Reynaud. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souscrit aux éléments qui nous sont proposés. Bien souvent, une fois le rapport d'une commission d'enquête publié, se pose la question de la suite. En l'espèce, les travaux de la commission d'enquête sur le blanchiment, auxquels j'ai pris part, se révèlent fort utiles, cette proposition de loi étant l'expression de bon augure d'un droit de suite. Notre collègue Nathalie Goulet a agi vite, ce dont nous ne pouvons tirer que fierté et satisfaction.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je partage votre opinion, mon cher collège. Il en allait d'ailleurs de même pour la proposition de loi sur le narcotrafic. Il est bel et bon de produire des rapports, mais encore faut-il en tirer les conséquences.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - Vous me confortez dans la volonté d'avancer sur ce sujet. Cette proposition de loi, reformulée, marque une volonté pragmatique et opérationnelle. Mais de l'idée à la concrétisation législative, il était nécessaire de la recentrer et d'y apporter des précisions juridiques, compte tenu notamment des auditions menées la semaine dernière.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Selon l'usage, il me revient, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, de vous présenter le périmètre indicatif de la proposition de loi s'agissant des articles qui nous sont délégués. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives aux leviers d'action contre l'usage d'identités fictives ou de prête-noms à des fins de blanchiment, à la sécurisation du processus de cession amiable des sociétés commerciales face au risque de blanchiment et au rôle des greffiers des tribunaux de commerce dans le dispositif de lutte contre le blanchiment.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - Dans sa rédaction initiale, l'article 2 reprend la recommandation n° 6 de la commission d'enquête en prévoyant l'autorisation, pour le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, de créer un nouveau fichier recensant les identités fictives et les prête-noms impliqués dans des affaires de blanchiment. L'intuition de nos collègues est la bonne : tous les acteurs auditionnés nous ont confirmé leurs difficultés face à la prolifération de fausses identités. Malheureusement, il n'est guère difficile de créer un faux Iban ou d'en usurper un vrai...
Cependant, la création d'un fichier créerait probablement plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait. Tout d'abord, d'un point de vue opérationnel, le dispositif serait facilement contournable par la multiplication d'identités fictives à usage unique. Ensuite, il pourrait avoir des effets collatéraux sur les victimes d'usurpation d'identité, qui deviennent bien souvent des prête-noms malgré elles. Juridiquement enfin, les modalités de son alimentation apparaissaient trop imprécises, de même que les conséquences d'une potentielle inscription pour les personnes concernées.
Tout en poursuivant le même objectif, je vous propose donc, avec l'amendement COM-4, de nous appuyer sur un outil déjà existant : les appels à la vigilance de Tracfin. En effet, en application de l'article L. 561-26 du code de monétaire et financier, Tracfin peut déjà désigner aux personnes assujetties aux règles LCB-FT, dont les greffiers des tribunaux de commerce, les noms de personnes physiques particulièrement à risque. Nous pourrions ainsi étendre explicitement cette possibilité aux identités fictives qu'elles utilisent ou sont susceptibles d'utiliser. Cet enrichissement de l'information aiderait à cibler davantage les contrôles et accélérerait la détection des cas de fraude documentaire.
L'amendement COM-4 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 2 ainsi rédigé.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - L'article 3 tend à mettre en oeuvre la recommandation n° 11 de la commission d'enquête, laquelle porte sur la justification obligatoire de l'origine des fonds par l'acheteur dans le cadre de toute cession amiable d'une société commerciale. Toutes les personnes auditionnées nous ont confirmé que les cessions amiables de sociétés commerciales représentaient un facteur de vulnérabilité dans le dispositif de lutte contre le blanchiment. Il y a donc matière à légiférer.
Néanmoins, la solution proposée n'est que partiellement satisfaisante. En effet, elle créerait tout d'abord une charge administrative supplémentaire et systématique pour les acteurs économiques. Cette obligation conduirait ensuite à l'envoi massif de déclarations de soupçons d'un intérêt limité à Tracfin, au risque de saturer ses capacités d'investigation. Il me semble donc peu opportun de créer une nouvelle obligation.
À la place, je vous propose une nouvelle fois, avec l'amendement COM-5, de nous inspirer d'un outil existant : les mesures de vigilance complémentaire. Elles sont bien connues des personnes assujetties aux obligations LCB-FT qui, en présence de situations à risque, peuvent être contraintes d'effectuer des investigations supplémentaires.
En l'espèce, il est opportun de prévoir, pour les professionnels chargés de la rédaction de l'acte de cession, en particulier les notaires ou les greffiers des tribunaux de commerce, l'obligation de se renseigner auprès de l'acquéreur de l'origine des fonds lorsque le risque de blanchiment leur apparaît élevé. Cette approche par les risques, plus adaptée qu'une obligation déclarative systématique, a le mérite de s'appuyer sur un dispositif maîtrisé par les acteurs, gage d'efficacité. Bien évidemment, il s'agirait d'une obligation de vigilance complémentaire autonome, ne dispensant en rien du respect du cadre général de lutte contre le blanchiment.
L'amendement COM-5 st adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 3 ainsi rédigé.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - L'article 8 apporte trois modifications au code de commerce et au code monétaire et financier, dans un objectif de renforcement des prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce en matière de lutte contre le blanchiment.
Or deux d'entre elles sont déjà satisfaites. Je vous propose donc, au travers de mon amendement COM-6, de supprimer les dispositions relatives à l'information de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) des décisions de radiation d'offices du registre du commerce et des sociétés (RCS) prises en application du nouveau dispositif créé par la loi narcotrafic, ainsi qu'à la possibilité pour le greffier de rapporter la radiation en cas de régularisation. En effet, ces deux éléments figurent déjà à l'article L. 561-47 du code monétaire et financier.
Par ailleurs, l'article comprend la précision selon laquelle les contrôles des titres d'identité étrangers opérés par les greffiers dans le cadre d'une demande d'immatriculation au RCS visent à « prévenir les risques de fraude ». D'après nos auditions, cette mention renforcerait la légitimité du contrôle opéré par les greffiers. Je vous propose donc de ne pas nous y opposer, sous réserve d'une modification rédactionnelle précisant que la prévention de la fraude n'est pas la finalité exclusive de ces contrôles ; je pense notamment à la fiabilité de l'information publiée au RCS.
L'amendement COM-6 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 8 ainsi modifié.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - Enfin, l'article 9 prévoit la désignation, à titre expérimental, de trois greffes de tribunaux de commerce. Ceux-ci pourraient accéder, pour une durée de deux ans, aux données cadastrales des immeubles détenus par des personnes morales immatriculées dans leur ressort.
Comme vous le savez, le plan cadastral est librement accessible sur internet. En revanche, la matrice cadastrale, qui comprend les données nominatives, doit être demandée à l'administration fiscale ou à la mairie, modalité peu compatible avec l'exigence de célérité imposée aux greffiers dans leurs contrôles précédant une immatriculation au RCS. Dans les faits, faute de temps, ils ne font pas de contrôle a priori de l'existence ou de la concordance des adresses déclarées, se contentant d'un contrôle a posteriori si nécessaire.
Il n'est donc pas infondé d'envisager une expérimentation pour leur offrir un accès direct aux données cadastrales. À tout le moins, il est nécessaire de sécuriser les conditions de l'expérimentation, afin d'en discuter en séance sur une base saine.
Dans ce contexte, l'amendement COM-2 de notre collègue Marc Séné tend à intégrer à l'expérimentation une chambre commerciale d'un tribunal judiciaire des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Or il me semble préférable de nous en tenir à trois tribunaux de commerce désignés par décret et exerçant sous le même régime juridique, afin préserver la cohérence de l'expérimentation. Traditionnellement, nous laissons le soin au pouvoir réglementaire d'identifier les expérimentateurs les plus appropriés. Par cohérence, il semble également préférable de débuter une expérimentation dans des tribunaux de droit commun, le risque étant sinon de ne pouvoir en tirer que peu d'enseignements. Avis défavorable.
Mme Patricia Schillinger. - Cet amendement aurait pu être déposé par le prédécesseur de notre collègue Séné, André Reichardt, qui est très attaché au droit local alsacien-mosellan. Il n'a en tout cas pas été rédigé sur un coup de tête.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Puisque le choix des tribunaux expérimentateurs est renvoyé à la voie réglementaire, en définir certains dans la loi n'aurait pas de sens. En outre, il serait judicieux de retenir des tribunaux relevant du droit commun, et non exorbitants de celui-ci, car dans ce dernier cas, nous ne pourrions en tirer de conclusions utiles. Il appartiendrait donc aux Alsaciens-Mosellans de s'adresser directement au pouvoir réglementaire.
Mme Patricia Schillinger. - Nous n'avons pas de tribunal de commerce.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Précisément. Le système local alsacien-mosellan est rare. Une expérimentation selon le droit commun est donc plus judicieuse en l'espèce.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-2.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - La procédure de demande de la matrice cadastrale est lourde pour les greffiers, dont les contrôles peuvent exiger des vérifications à la fois rapides et massives. Mon amendement COM-7, sans remettre en cause l'expérimentation, a donc pour objet de procéder à plusieurs ajustements visant à sécuriser le dispositif : mention explicite des finalités du dispositif, conclusion d'une convention avec l'administration fiscale sur les modalités de mise en oeuvre et traçabilité des consultations.
Je vous propose, par ailleurs, une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2027, afin de laisser le temps de procéder aux aménagements techniques nécessaires.
L'amendement COM-7 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 9 ainsi modifié.
M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis. - Au travers de son amendement COM-1, notre collègue Nathalie Goulet propose que les associations exerçant une activité économique fassent l'objet d'une inscription au RCS. Certes, ces associations peuvent constituer une vulnérabilité du point de vue du risque LCB-FT, mais cet amendement appelle plusieurs réserves.
Tout d'abord, quelle en serait la finalité ? Le RCS rassemble les entités commerciales afin, notamment, de permettre la délivrance d'un Kbis nécessaire à leur activité. Les associations n'en ont pas besoin. Le risque serait donc de porter atteinte à la cohérence du fichier en y intégrant des milliers d'entités supplémentaires au statut différent.
Ensuite, nombre d'associations sont déjà assujetties à l'obligation de recourir à un commissaire aux comptes, lui-même soumis aux règles LCB-FT et, depuis 2024, de déclarer leurs bénéficiaires effectifs. Les mailles du filet sont donc déjà serrées.
Enfin, de manière générale, il est irréaliste de légiférer par un simple amendement dans un tel domaine, qui n'a fait l'objet ni d'auditions ni d'un examen par la commission d'enquête. La proposition de loi aux fins de sécurisation du secteur des associations exerçant une activité économique, récemment déposée, serait l'occasion de traiter le sujet en profondeur.
Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-1.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 17 h 35.
Mercredi 29 octobre 2025
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Désignation d'un membre du Bureau de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, avant d'entamer les points inscrits à l'ordre du jour de nos travaux, nous devons procéder à la désignation d'un des postes de secrétaire, laissé vacant par le départ de notre collègue André Reichardt.
En application de l'alinéa 7 de l'article 13 du Règlement du Sénat, je vous rappelle que « les groupes établissent la liste des candidats aux fonctions de secrétaire selon le principe de la représentation proportionnelle et compte tenu de leur représentation déjà acquise pour les autres postes du bureau ».
Le groupe Les Républicains a souhaité désigner comme secrétaire Mme Lauriane Josende. Je vous propose d'entériner cette désignation.
Mme Lauriane Josende est désignée secrétaire.
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les marges de la grande distribution - Désignation d'un rapporteur
Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a demandé, au titre du droit de tirage prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, la création d'une commission d'enquête sur les marges de la grande distribution.
Notre commission doit se prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution au regard des conditions fixées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par le Règlement.
Je vous propose d'être désignée rapporteur sur la recevabilité de cette proposition de résolution.
La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution n° 69 (2025-2026) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les marges de la grande distribution, présentée par Mme Antoinette Guhl et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2005 et sa mise en oeuvre - Examen d'une motion au texte de la commission mixte paritaire
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au texte de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2005 et sa mise en oeuvre, déposée par Robert Wienie Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste-Kanaky.
EXAMEN DE LA MOTION
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au texte de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2005 et sa mise en oeuvre.
Proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont, auteure de la proposition de loi. - Cette proposition de loi porte sur un sujet important, celui des inéligibilités. Elle propose de créer un registre relatif à quatre types d'inéligibilité : l'inéligibilité pénale, prononcée par le juge pénal dans le cadre d'une peine complémentaire et qui est inscrite au casier judiciaire ; l'inéligibilité prononcée par le juge administratif, qui est notifiée aux services du ministère de l'intérieur ; l'inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel en tant que juge électoral - on note une hausse croissante du nombre de contentieux concernant les comptes de campagne - ; et l'inéligibilité liée à l'absence de capacité juridique pour les personnes placées sous tutelle ou sous curatelle. Le texte ne vise pas ici l'inéligibilité fonctionnelle, qui doit être traitée à part.
Environ 80 000 personnes par an sont déclarées inéligibles , la majeure partie d'entre elles étant placées sous tutelle ou sous curatelle. En 2024, 16 000 peines complémentaires d'inéligibilité ont été prononcées par le juge pénal.
L'objet de ce texte est de centraliser toutes ces informations éparses pour faciliter le contrôle des inéligibilités par les services qui enregistrent les candidatures aux différentes élections. Pour les prochaines élections municipales, le ministère de l'intérieur estime à 900 000 le nombre de candidats. Or les services préfectoraux indiquent qu'il est impossible d'obtenir, pour l'intégralité des candidats, le bulletin n° 2 dans le délai séparant le dépôt de la candidature de la délivrance du récépissé.
Je vous rappelle qu'une élection législative partielle a été annulée il y a quelques mois dans la deuxième circonscription du Jura entre le premier et le second tour, car l'un des candidats était sous curatelle renforcée. Sans compter les coûts supplémentaires engendrés par l'organisation d'une nouvelle élection, nos concitoyens ne sauraient comprendre cette faille administrative. C'est un mauvais coup porté à la confiance dans la vie démocratique. Voilà pourquoi il convient de renforcer la sincérité du scrutin.
Permettez-moi en conclusion de remercier le rapporteur pour la qualité de notre collaboration.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Je remercie Sophie Briante Guillemont d'avoir bien voulu nous présenter la proposition de loi qu'elle a déposée au début du mois de septembre dernier. Je tiens également à la remercier pour la qualité de nos échanges tout au long de nos travaux. Les amendements que je vous présenterai tout à l'heure ont ainsi reçu son approbation, conformément à la règle en vigueur pour l'examen des textes inscrits à l'espace réservé d'un groupe politique ; ils contribueront à assurer la pleine effectivité du dispositif qu'elle a élaboré.
Notre collègue a bien rappelé le contexte de cette proposition de loi, notamment le caractère difficilement acceptable, sur le plan démocratique, des annulations d'élections par le juge électoral pour des motifs d'inéligibilité qui auraient dû être identifiés lors du dépôt des candidatures. Il peut en effet sembler difficilement compréhensible aux yeux des citoyens qu'une personne qui a été déclarée inéligible par le juge pénal, ou bien qui l'est en conséquence d'une décision du juge des tutelles, puisse se porter candidate à une élection.
Mais, en pratique, il n'existe aujourd'hui pas d'instrument de contrôle systématique et automatique permettant de vérifier, dans les délais contraints d'enregistrement incombant aux préfectures, à savoir quatre jours pour remettre le récépissé définitif de candidature, qu'aucun candidat ne se trouve dans une situation d'inéligibilité.
Si le contrôle de l'éligibilité des candidats paraît fiable et maîtrisé - les services préfectoraux vérifient les documents fournis par les candidats -, il en va différemment du contrôle de l'absence d'inéligibilité, qui se heurte à des obstacles de nature essentiellement matérielle, mais également juridique ; j'y reviendrai ultérieurement. La logique à l'oeuvre à ce titre est celle du primat donné à la liberté de candidature, si bien que le contrôle est confié, pour l'essentiel, au juge des élections qui l'exerce donc a posteriori.
L'auteure de la proposition de loi a rappelé les quatre principaux motifs d'inéligibilité : celle résultant d'une condamnation pénale ; celle qui est prononcée par le juge électoral ; celle qui est liée à l'absence de capacité juridique ; et, enfin, l'inéligibilité fonctionnelle, qui, à la différence des trois autres motifs, est subjective et relative, et doit donc être traitée à part.
Dans l'ensemble, le contrôle a priori de l'absence d'inéligibilité demeure aujourd'hui restreint, en dépit de l'existence de quelques outils.
En ce qui concerne les inéligibilités judiciaires, le casier judiciaire national n'est pas équipé pour assurer une transmission automatisée des bulletins n° 2 (B2), qui mentionnent la peine d'inéligibilité, aux préfectures. Celles-ci sont donc obligées de les demander expressément et pour chaque candidat. Ainsi, sur plus de 900 000 candidatures aux élections municipales de 2020, seules 62 000 ont fait l'objet d'une demande de délivrance du B2 pour ne détecter, en fin de compte, qu'une seule inéligibilité. Le système actuel paraît donc très lourd et inadapté aux volumes à traiter, au regard à la fois du nombre de candidats et de la tendance à la hausse du nombre de peines complémentaires d'inéligibilité depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, avec environ 16 000 condamnations en 2024.
L'administration tente, dans une certaine mesure, d'apporter des améliorations : la nouvelle application « B2 + », qui sera déployée par le ministère de la justice d'ici à la fin de l'année, devrait permettre aux préfectures d'obtenir plus facilement le B2. Toutefois, le contrôle ne sera ni systématique ni intégral ; les préfectures devront continuer à faire des requêtes distinctes, candidat par candidat.
C'est notamment cette situation qui a conduit la Cour des comptes à recommander, dans un rapport publié l'automne dernier, la mise en oeuvre d'un « répertoire » des personnes inéligibles construit à partir du casier judiciaire national, auquel auraient accès les autorités chargées d'examiner la recevabilité des candidatures aux élections.
Par ailleurs, il n'existe pas davantage de système d'information centralisé répertoriant les décisions de placement sous tutelle ou curatelle : le registre des mesures de protection des majeurs protégés, prévu par la loi du 8 avril 2024 dite loi « Bien vieillir », n'a en effet pas encore vu le jour.
Dans ce contexte, la proposition de Sophie Briante Guillemont de créer un fichier national des personnes inéligibles présente un intérêt évident, en tout premier lieu pour les services chargés d'enregistrer les candidatures : leur mission de contrôle de l'absence d'inéligibilité serait en effet grandement facilité s'ils disposaient d'une base unique centralisant les données provenant de l'ensemble des juridictions à l'origine des décisions d'inéligibilité.
Je partage donc entièrement l'objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi, et vous proposerai simplement des modifications visant à assurer l'efficacité, l'opérationnalité et la lisibilité du dispositif.
Comme l'a rappelé l'auteure du texte, le futur fichier aurait pour objet de recenser l'identité de l'ensemble des personnes ayant été déclarées inéligibles en conséquence d'une condamnation pénale ; d'une décision du juge électoral ; d'une décision du juge judiciaire prononçant une mesure de protection juridique d'une personne majeure à l'origine de la perte du droit d'éligibilité.
Ce périmètre apparaît pertinent dans la mesure où il se concentre sur les inéligibilités objectives dont l'absence peut être contrôlée de façon absolue. Je propose donc de le conserver.
S'agissant de la liste des informations qui figureraient dans le fichier pour chaque personne inéligible, il me semble qu'elle peut être modifiée sur deux points.
D'une part, certaines données - la nationalité, le domicile et le motif d'inéligibilité - sont sans lien avec la finalité du traitement. C'est pourquoi je propose de les supprimer, conformément aux principes de minimisation et de proportionnalité des données posés par le règlement général sur la protection des données (RGPD), ainsi que par la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
D'autre part, la liste actuelle ne permet pas de garantir l'identification univoque de la personne concernée : il convient de rajouter l'ensemble des prénoms ainsi que le lieu de naissance.
Comme je le soulignais, on ne peut qu'approuver le principe de la création d'une base de données relatives aux personnes inéligibles. Pour autant, la question des modalités techniques et budgétaires de sa mise en oeuvre se pose indéniablement.
À ce titre, le texte prévoit de confier la gestion du nouveau fichier au ministère de l'intérieur, tandis que son alimentation incomberait à d'autres juridictions. Le texte précise également la liste des personnes ou services autorisés à consulter le nouveau fichier.
Il me semble toutefois que l'ensemble de ces dispositions relatives aux modalités de gestion, d'alimentation et de consultation, relèvent davantage du règlement que de la loi. En particulier, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la détermination de l'autorité administrative compétente au sein de l'État pour exercer une attribution relève du pouvoir réglementaire. En l'espèce, il reviendra donc au Gouvernement de décider si la gestion du fichier doit être confiée au ministère de l'intérieur, au ministère de la justice, ou encore à l'Insee. C'est pourquoi je vous proposerai de resserrer les dispositions de la proposition de loi sur celles qui relèvent du champ strict de la loi.
Les auditions que nous avons menées ont mis en évidence la nécessité de développements informatiques conséquents ainsi que de moyens budgétaires supplémentaires pour mettre en place un tel fichier. Il serait hautement irréaliste de penser que le fichier pourrait être opérationnel dès les prochaines élections municipales, par exemple, ce qui n'a, du reste, jamais été l'intention de l'auteure de la proposition de loi. Il me semble néanmoins souhaitable de donner un horizon temporel à la mise en oeuvre de ce nouvel outil. Je vous propose de retenir la date du 31 décembre 2029, en vous rappelant que le répertoire électoral unique a vu le jour près de trois ans après la loi qui a prévu sa création.
Ces modifications me paraissent de nature à renforcer l'efficacité et l'opérationnalité du dispositif.
Je voudrais également aborder à ce sujet une question importante, celle de la portée des obligations législatives faites aux préfets s'agissant du contrôle a priori de l'éligibilité. Il s'agit de rendre obligatoire la consultation du fichier ainsi créé par les préfectures afin qu'elles ne puissent pas s'exonérer de leur obligation de contrôle.
Enfin, dans une optique de lisibilité du droit, je proposerai pour finir deux modifications de forme.
S'agissant du choix d'insertion dans le code électoral retenu par le texte, la création d'un nouveau chapitre spécifique à cette nouvelle base ne semble pas nécessaire : les dispositions pourraient plutôt être regroupées au sein d'un nouvel article L. 45-2 du code électoral.
S'agissant du nom choisi pour ce nouvel outil, il paraît préférable de parler de « répertoire » national des personnes inéligibles, plutôt que de « fichier », par cohérence avec l'appellation déjà retenue en matière électoralepour le répertoire électoral unique et le répertoire national des élus.
En conséquence, je vous propose d'adopter cette proposition de loi avec les modifications que je vous ai présentées.
M. Pierre-Alain Roiron. - Nous soutenons pleinement cette proposition de loi, qui répond à un besoin, comme l'a expliqué l'auteure de cette proposition de loi et comme l'illustre l'annulation de l'élection législative dans le Jura.
L'article unique apporte des garanties nécessaires à la création de ce fichier, qui constitue une réponse adaptée aux problèmes rencontrés par les services préfectoraux.
Néanmoins, il s'agit là d'un chantier d'envergure : la coordination entre le ministère de l'intérieur, celui de la justice, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ainsi que les autorités chargées de l'autorité juridique des majeurs représente un certain défi.
Vous nous proposez, Monsieur le rapporteur, de différer la mise en oeuvre du dispositif en 2029. Pourquoi ne pas avoir retenu 2028, avec l'organisation des élections régionales et départementales ?
Enfin, quid de la mise à jour permanente de ce fichier, afin d'éviter de graves erreurs ou des privations de droits ? La fiabilité du dispositif reposera sur un flux parfaitement continu et automatisé.
Si les moyens humains et techniques de coordination sont au rendez-vous, ce fichier pourra devenir un outil structurant, au service de la sécurité juridique et de la confiance démocratique.
Mme Olivia Richard. - Je remercie l'auteure de la proposition de loi et le rapporteur pour leur travail.
Vous avez évoqué, Monsieur le rapporteur, des défis budgétaires. Avez-vous une idée du budget nécessaire à la mise en oeuvre d'un tel dispositif ?
Ma deuxième interrogation a trait au caractère pragmatique de la jurisprudence électorale. Concernant les scrutins de liste, il arrive que des personnes inéligibles figurent en fin de liste. Le juge électoral estime alors que la sincérité du scrutin n'avait pas été altérée, si bien que t l'inéligibilité de ces candidats n'entraîne pas l'annulation de l'élection. Avec ce nouveau répertoire, comment cela se passera-t-il ? Si les services refusent l'enregistrement de la liste au motif que l'un des candidats est inéligible, de quel laps de temps disposeront les candidats pour compléter leur liste ?
Enfin, quel est l'impact de ce dispositif pour l'élection des conseillers des Français de l'étranger, qui est organisée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ?
Une décision de 2004 du Conseil constitutionnel prévoit que ne sont applicables pour les sénateurs des Français de l'étranger que les dispositions auxquelles il est fait directement référence. Est-ce à dire que ce répertoire ne les concernerait pas ? Or le même impératif de confiance dans la vie démocratique devrait s'appliquer.
M. Olivier Bitz, rapporteur. - La création, mais également la gestion du répertoire, Monsieur Roiron, constitue effectivement un défi. La gestion devra être précisée par décret ; il importe qu'il soit tenu à jour.
Concernant le budget nécessaire pour développer un tel dispositif, le ministère de la justice a évoqué une fourchette comprise entre 4 et 5 millions d'euros. Vous connaissez le contexte financier contraint actuel.
On ne change rien à l'état du droit, Madame Richard. La liste des candidats doit comprendre des personnes éligibles. Un candidat qui déposerait une liste comprenant une personne inéligible se verrait donc opposer un refus. Charge à lui de redéposer une liste conforme dans le délai imparti. Nous voulons sécuriser le dispositif pour éviter une annulation a posteriori. Nous ne saurions nous satisfaire du pragmatisme du juge concernant l'inéligibilité d'un candidat inscrit en fin de liste. Nous souhaitons limiter a priori les candidatures de personnes inéligibles.
Concernant les élections des conseillers des Français de l'étranger, il est possible que des amendements soient déposés en vue de la séance publique. Nous menons une réflexion sur la manière dont les consulats pourraient être associés à ce dispositif. N'oublions pas que ce texte n'a pas vocation à régler tous les problèmes. Des ressortissants européens candidats à des élections municipales peuvent aussi être frappés d'une incapacité dans leur pays d'origine. Or le nouveau fichier ne pourra pas en avoir connaissance.
M. Pierre-Alain Roiron. - Pourriez-vous répondre à ma question concernant la possibilité d'une mise en application en 2028 ?
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Le ministère de la justice estime qu'une mise en oeuvre en 2029 représente déjà un délai extrêmement court au regard des développements informatiques qui en découlent.
Le Gouvernement devra désigner une administration pilote pour créer ce répertoire, trouver les crédits et s'ensuivra une phase de développements informatiques. C'est pourquoi il nous semble raisonnable de proposer l'échéance du 31 décembre 2029.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Pour répondre à l'interrogationd'Olivia Richard, le texte initial précise que les conseillers des Français de l'étranger sont aussi concernés par le fichier. Il importe donc que les services consulaires y aient accès au moment du dépôt des candidatures.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la création d'un répertoire national des personnes inéligibles ; aux modalités de gestion et de consultation de ce fichier ; et aux informations devant alimenter ce fichier.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Olivier Bitz, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à renommer « répertoire » la nouvelle base de données et à regrouper l'ensemble des dispositions au sein d'un seul nouvel article L. 45-2 du code électoral. Il tend également à supprimer certaines mentions superfétatoires et à garantir l'identification univoque des personnes concernées. Il prévoit d'instaurer l'obligation de consultation du nouveau répertoire par les autorités concernées et à supprimer du texte les dispositions relevant du domaine réglementaire. Enfin, il fixe une date limite d'entrée en vigueur du 31 décembre 2029.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'appellation « répertoire » ne saurait nous exonérer des procédures liées à la création d'un fichier !
M. Olivier Bitz, rapporteur. - Évidemment. Nous avons consulté la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) dans le cadre de nos travaux, qui ne voit pas d'opposition de principe à la création de ce répertoire. Le décret en Conseil d'État sera pris après avis de la Cnil pour respecter les conditions de mise en oeuvre.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Intitulé de la proposition de loi
M. Olivier Bitz, rapporteur. - L'amendement COM-2 modifie, en cohérence avec l'adoption de l'amendement précédent, l'intitulé de la proposition de loi.
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89 - Examen du rapport et du texte de la commission
' Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous terminons nos travaux par l'examen du rapport sur la proposition de loi constitutionnelle (PPLC) visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues.
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. - L'objet de cette proposition de loi constitutionnelle est de faire en sorte que le texte de la Constitution soit suivi à la lettre et qu'il ne soit possible de procéder à une révision constitutionnelle qu'en recourant à son article 89, figurant au titre XVI, précisément intitulé « De la révision ».
Or, certains considèrent aujourd'hui qu'il est possible de recourir à l'article 11 de la Constitution pour réviser la Constitution. C'est notamment le cas du Rassemblement national (RN).
Certes, en 1962, dans des conditions très particulières, le général de Gaulle, a recouru à l'article 11 pour transformer la Constitution en modifiant le mode d'élection du Président de la République, afin qu'il soit élu au suffrage universel direct. Pour le général de Gaulle, qui venait d'être victime de l'attentat du Petit-Clamart, il s'agissait d'assurer la pérennité du système politique afin de donner à ses successeurs, qui ne disposeraient pas de la même légitimité historique, une plus grande légitimité. Le général de Gaulle avait donc eu recours à cette solution pour aller vite. Il s'est d'ailleurs heurté à l'opposition de toutes les autres autorités. Il a ensuite à nouveau appelé les Français à se prononcer par référendum sur la régionalisation et la disparition du Sénat tel qu'on le connaissait, mais le peuple souverain a refusé cette évolution, ce qui semblait avoir définitivement fermé cette voie procédurale.
Toutefois, le Rassemblement national a déposé, en janvier 2024, une proposition de loi constitutionnelle afin de recourir à l'article 11 selon des modalités complètement différentes de celles que je viens de vous exposer.
En effet, le RN affirme qu'il s'agit d'un référendum sur l'immigration, un thème qui sera probablement encore au centre des débats de l'élection présidentielle. Toutefois, il a, à la vérité, l'intention de modifier dix-huit articles de la Constitution et d'en ajouter sept. Si ce référendum était approuvé par les Français, nous changerions de pays : la Constitution s'en trouverait donc profondément modifiée, avec une inversion de la hiérarchie des normes, le droit français étant alors considéré comme supérieur au droit européen ou international. Ce parti politique prend pour exemples la Russie ou la Hongrie arguant d'une évolution positive de leur régime pour s'abstraire des règles de l'État de droit. Au-delà de la préférence nationale, c'est toute la Cinquième République qui serait transformée.
La proposition de loi constitutionnelle que je vous présente ne se limite pas à contrer le projet du Rassemblement national. Dans le monde actuel, les tentations illibérales ou autoritaires sont de plus en plus présentes. La tentation de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution pourrait à vrai dire concerner tout président 'quel que soit son bord politique.
Il doit rester difficile de modifier la Constitution parce que ce texte fondamental est au sommet de la hiérarchie des normes. C'est pour cette raison qu'interviennent dans les débats l'Assemblée nationale et le Sénat. Le recours à l'article 11 pour modifier la Constitution conduirait à court-circuiter le Parlement, alors que les assemblées doivent être parties prenantes à toute évolution de la Constitution. Toute révision doit faire l'objet d'un débat démocratique. Ainsi, c'est le Sénat qui aurait le plus à perdre, car son « veto constitutionnel » se trouverait remis en cause.
Avec cette proposition de loi constitutionnelle, il ne s'agit pas d'empêcher un parti politique de gouverner. Si le RN devait accéder au pouvoir, ce que je ne souhaite pas, il pourrait mettre en place son programme. Mais je conteste qu'il gouverne en remettant en cause le fonctionnement même de nos institutions. C'est pourquoi je vous propose de légiférer pour éviter que les règles relatives à la révision de la Constitution qui prévalent aujourd'hui ne puissent être remises en cause.
M. Dany Wattebled. - Dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, vous parlez uniquement de l'extrême droite. Et pourquoi pas l'extrême gauche ? J'aimerais que l'on évoque aussi La France insoumise (LFI).
M. Éric Kerrouche. - Je pense que mon propos a été assez clair. En l'espèce, le RN a déposé une proposition de loi constitutionnelle en janvier 2024. C'est cette raison qui m'a conduit à déposer le texte qui vous est présenté. Mais, je le répète, la règle doit être la même pour tous.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'objet de la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Kerrouche et plusieurs collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est annoncé avec clarté dans son intitulé : « protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89. » Cet intitulé nous renvoie donc à la vieille querelle liée au recours par le général de Gaulle, en 1962, à l'article 11 pour réviser la Constitution, comme l'a rappelé M. Kerrouche.
Je ne m'étendrai donc pas outre mesure sur le contexte juridique et historique, me bornant à quelques rappels.
La Constitution comporte un article spécialement dédié à sa révision, l'article 89. Il prévoit que l'initiative de la révision appartient au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux parlementaires. Pour que le texte de révision soit adopté, il faut ensuite qu'il soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Pour entrer en vigueur, le texte doit enfin faire l'objet d'une approbation. Deux cas de figure se présentent alors.
S'il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République a la possibilité de le faire approuver par référendum ou par le Congrès, qui se prononce à la majorité des trois cinquièmes - c'est de loin le cas le plus fréquent.
S'il s'agit d'une proposition de loi, comme c'est ici le cas, elle ne peut entrer en vigueur que si le Président de la République décide de la soumettre au référendum. Il faut bien garder cet élément à l'esprit lorsqu'on légifère sur un texte comme celui-ci, mais j'y reviendrai.
Toutefois, en 1962, le général de Gaulle a eu recours à un autre article de la Constitution, l'article 11, pour faire adopter une loi révisant la Constitution. Il s'agissait de modifier le mode d'élection du Président de la République, de façon qu'il soit désormais élu au suffrage universel direct, une réforme qui fut donc au coeur de la conception institutionnelle du général de Gaulle.
L'article 11 de la Constitution concerne le référendum législatif. Il permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au référendum « tout projet de loi » portant sur une série de matières limitativement énumérées, parmi lesquelles figure « l'organisation des pouvoirs publics ».
Le général de Gaulle s'était appuyé sur l'ambiguïté de cette formulation pour utiliser cette procédure à des fins de révision constitutionnelle. La régularité de cette manoeuvre avait d'emblée fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État. Perçue comme une stratégie de contournement du Parlement, elle avait suscité une forte opposition des deux assemblées, aussi bien au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, qui vota la censure contre le gouvernement Pompidou.
Néanmoins, le projet fut soumis au référendum et fut adopté par le peuple. Le Conseil constitutionnel ayant jugé qu'il n'était pas compétent pour contrôler des lois référendaires, le texte a pu entrer en vigueur. Ainsi, depuis 1965, le Président de la République est effectivement élu au suffrage universel direct.
Depuis, la Constitution n'a plus jamais été révisée via la procédure de l'article 11. La seule autre tentative en ce sens, à nouveau par le général de Gaulle en 1969, s'est soldée par un échec.
Par la suite, 23 révisions constitutionnelles ont eu lieu, toutes par la voie de l'article 89, et toutes, sauf une, au moyen d'une approbation par le Congrès.
Dans ces conditions, pourquoi et de quoi « protéger la Constitution » ? La réponse à cette question nous est donnée par l'exposé des motifs des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.
Il s'agit de s'opposer au projet, publiquement affiché par le Rassemblement national, de recourir à nouveau à l'article 11 pour réviser la Constitution dans l'hypothèse où son candidat remporterait l'élection présidentielle. Cette révision concernerait l'inscription d'un principe dit « de priorité nationale » ainsi que d'autres mesures liées à son programme en matière d'immigration et de droit des étrangers.
C'est donc sur la base de ces éléments que j'ai engagé mes travaux de rapporteure.
J'ai auditionné plusieurs constitutionnalistes ainsi que des spécialistes d'histoire du droit et d'histoire politique. J'ai également entendu M. Pierre-Yves Bocquet, auteur d'un essai qui nous alerte sur les risques associés au projet de révision constitutionnelle du RN, et dont le travail a inspiré les auteurs de la PPLC.
M. Kerrouche ainsi que plusieurs collègues ont participé à une partie de ces auditions. Comme moi, je pense qu'ils ont pu constater que le texte que nous examinons a le mérite de soulever un certain nombre de questions importantes sur nos équilibres institutionnels.
Au fil de ces travaux, je me suis posé, au fond, deux questions. D'abord, une question juridique : le dispositif proposé permet-il d'atteindre l'effet recherché par ses auteurs ? Ensuite, une question politique : est-il opportun pour le Sénat d'adopter ce texte dans le contexte politique actuel ?
À mon sens, il faut répondre par la négative à ces deux questions.
Commençons par la première, la question juridique.
L'ensemble des constitutionnalistes que j'ai auditionnés s'accordent sur un point. La proposition de loi constitutionnelle se borne à consacrer dans le texte des articles 11 et 89, ce qui est déjà l'interprétation de l'écrasante majorité de la doctrine, et ce depuis 1962.
On sait également que c'est la position du Conseil d'État, qui l'a rappelée à plusieurs reprises. L'ancien président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, l'a également déclarée publiquement. Certes, sa parole n'engage pas l'institution, mais elle témoigne bien du consensus doctrinal qui existe sur la question. À l'aune de cette interprétation, la proposition de loi constitutionnelle ne produit donc pas d'effet juridique particulier.
Mais je veux en venir à un point décisif de l'analyse juridique du texte. Aussi explicite que soit la rédaction proposée, elle n'est pas de nature à empêcher un Président de la République de recourir à l'article 11 pour faire adopter des dispositions constitutionnelles.
Ce que je m'apprête à vous exposer peut sembler n'être qu'un détail formel, mais c'est en réalité un élément essentiel pour appréhender notre question. Si vous vous rendez sur Légifrance pour rechercher la loi de 1962 sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, vous pourrez constater qu'il ne s'agit que d'une loi ordinaire : pas d'une « loi constitutionnelle », comme tous les textes adoptés sur le fondement de l'article 89.
Aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, on doit constater que ce n'était à l'époque rien de plus qu'une loi ordinaire : une loi ordinaire, dont les dispositions modifient des articles de la Constitution, en l'espèce les articles 6 et 7.
Sa contrariété à la hiérarchie des normes a beau sembler évidente, le fait est qu'elle n'a pas fait l'objet d'un quelconque contrôle juridictionnel. Je rappelle en effet que le Conseil constitutionnel est incompétent en matière de lois référendaires. Par conséquent, elle a pu valablement entrer en vigueur.
La proposition de loi constitutionnelle qui nous est présentée est sans incidence sur le contrôle des actes du Président de la République. Par conséquent, elle ne permet pas, par elle-même, de prévenir une réitération de la manoeuvre de 1962. Dans son exposé des motifs, la PPLC est présentée comme un « rempart institutionnel ». Mais elle ne serait en réalité, pour reprendre un terme bien connu de la doctrine constitutionnelle, qu'une « barrière de papier ».
On pourrait se dire malgré tout : « c'est mieux que rien », ou encore « cela va mieux en le disant ». Je ne partage pas ce point de vue, et ce pour plusieurs raisons.
Eu égard au sujet et aux objectifs de cette proposition de loi constitutionnelle, nous ne pouvons pas, à mon sens, nous limiter à une analyse purement juridique. En matière institutionnelle, l'appréciation d'une initiative est indissociable du message politique qui la sous-tend.
Elle est également, à mes yeux, indissociable du contexte politique dans lequel elle intervient. J'en viens donc à la seconde question que j'évoquais, la question proprement politique.
L'un des principaux griefs que l'on peut faire à cette initiative, c'est qu'elle sera immanquablement interprétée comme dirigée contre un parti politique particulier : en l'occurrence, le Rassemblement national.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et c'est un problème ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Cela me paraît tout à fait problématique.
À mon sens, il est impératif de préserver la Constitution, notre pacte fondamental, de toute appropriation partisane. C'est d'autant plus fondamental dans le contexte que nous connaissons, alors qu'une part croissante de nos concitoyens perd confiance dans les institutions.
Sur ce sujet, un peu de recul historique s'impose. Entre la Révolution de 1789 et 1958, notre pays a connu quinze Constitutions différentes. Pendant plus de 150 ans, la France était le pays de l'instabilité constitutionnelle. Et ce pour une raison simple : les forces en présence entretenaient toutes un rapport partisan à la Constitution. Le triomphe d'un camp était toujours susceptible de provoquer un changement de régime.
C'est à cette aune que l'on doit considérer la rupture opérée par la Cinquième République et la Constitution de 1958. Pour la première fois, celle-ci s'est véritablement imposée comme la chose de tous, et non plus celle des partis. Elle l'a montré avec les alternances, les cohabitations, les majorités relatives, et encore aujourd'hui dans la situation que nous connaissons.
Sur ces sujets, il nous faut faire preuve de beaucoup de précaution.
Je ne suis pas favorable au fait de donner le sentiment que l'on révise la Constitution pour nous protéger d'une échéance électorale dont nous redouterions l'issue. Le fait de viser directement un parti, comme le fait cette PPLC, me paraît donc contestable dans son principe. C'est d'ailleurs aussi probablement, à mon sens, contre-productif d'un point de vue politique.
Il existe deux autres raisons, là encore d'ordre politique, qui me conduisent à vous proposer de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. Elles tiennent, d'une part, à la procédure, et d'autre part, à la temporalité de ce texte.
Je l'ai évoqué, les propositions de loi constitutionnelle sont régies par une procédure rigide. Quand bien même le texte serait adopté par les deux assemblées en termes identiques, il faudrait ensuite que le Président de la République décide de le soumettre au référendum. Autant dire que les chances d'aboutir sont compromises. Peut-on vraiment croire, en effet, que le Président de la République, dans le contexte actuel et dans la position dans laquelle il se trouve, puisse prendre une telle décision ?
Alors que les Français n'ont pas été appelés à se prononcer par référendum depuis vingt ans, avec le traité constitutionnel européen, alors que le Président Macron s'était engagé lors de ses voeux à consulter de nouveau le peuple, peut-on imaginer que c'est au travers de ce texte qu'il renouerait avec la pratique du référendum ?
Le débat autour de ce texte nous amène, on l'a vu, à nous poser des questions d'équilibre institutionnel qui sont au fondement de notre régime politique. Il y va du rapport entre le Président de la République, en tant que gardien de la Constitution, et le Parlement, en tant que part essentielle du pouvoir constituant. L'esprit de la Cinquième République veut que de telles questions soient tranchées devant les Français lors de l'élection présidentielle, et non à l'occasion d'une proposition de loi.
Pour l'ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous propose donc de ne pas adopter ce texte.
Conformément au gentlemen's agreement en vigueur s'agissant des espaces réservés, ce sera donc le texte initial qui sera discuté en séance.
Mme Corinne Narassiguin. - Votre conclusion est intéressante : vous dites qu'il ne faut pas faire de politique avec les questions institutionnelles. Or vous justifiez vous-même votre proposition de ne pas adopter ce texte par des motifs politiques !
Une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Rassemblement national en janvier 2024 a mis en lumière certaines faiblesses dans notre Constitution. Si un texte issu d'un autre parti politique avait fait de même, nous aurions eu la même attitude : celle de souligner la nécessité de sécuriser l'esprit de la Constitution de la Cinquième République et ses modalités de révision. Seul l'article 89 doit permettre des révisions constitutionnelles. Les référendums organisés au titre de l'article 11 doivent porter sur des questions très précises et non servir de chevaux de Troie pour modifier la Constitution à l'insu de nos concitoyens, à l'issue d'un débat focalisé sur la question de l'immigration qui occulterait la véritable question posée.
Quel rôle voulons-nous garantir au Parlement, en particulier au Sénat, dans le processus de révision constitutionnelle ?
La proposition du RN montre que ce dernier a bien identifié la faiblesse de la Constitution. En effet, non seulement elle prévoit des modifications importantes de la Constitution via une utilisation de l'article 11 contraire à la règle, mais elle contient également une proposition de verrouiller les modifications constitutionnelles à l'avenir, qui ne pourraient plus passer que par la voie référendaire. Cela doit nous interpeller, et même nous inquiéter.
Aucun parti n'est à l'abri d'une dérive illibérale lorsqu'il accède au pouvoir. Nous le voyons dans d'autres pays. Il ne s'agit pas d'entrer dans une campagne électorale contre un parti donné.
Une révision de la Cinquième République doit se faire dans un cadre indiscutable sur le plan de la légitimité institutionnelle. Modifier la Constitution doit être une démarche complexe, assortie d'un débat transparent, ouvert, qui prend du temps. Il ne faut pas qu'il soit possible de modifier la Constitution en quelques semaines, au moyen de questions susceptibles d'engendrer des réponses émotionnelles et non rationnelles.
Vous partez d'une analyse avec laquelle nous pouvons être d'accord, pour aboutir à une conclusion contraire à vos propres arguments. En effet, en définitive, c'est vous qui faites de la politique avec votre conclusion !
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - La Constitution est effectivement notre pacte fondamental, que nous ne devons pas pouvoir modifier aisément. Mais ne dénaturez pas mon propos. Ce que je dis, c'est que la Constitution est l'outil par excellence de règlement du pouvoir politique. Certes, notre interprétation de son rôle institutionnel est nécessairement politique, mais elle n'est en aucun cas partisane. La Constitution est la chose de tous.
Au cours de l'instruction du texte, je me suis attachée à analyser la portée de la clarification juridique proposée. Mais en réalité, comme je l'ai montré, le texte n'apporte aucune sécurisation !
Seul l'article 89 permet de réviser la Constitution. Le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel, la doctrine : tous s'accordent sur ce point.
De plus, c'est le professeur Denis Baranger qui, lors de son audition, a appelé mon attention sur le fait que, sur un plan formel, c'est une loi ordinaire qui a entraîné la modification constitutionnelle proposée par le général de Gaulle. Personne ne pourrait empêcher un futur président de faire de même'. Le texte de cette PPLC ne prévient nullement ce risque.
D'un point de vue politique, dans le contexte actuel, le fait de proposer une révision constitutionnelle assortie d'un tel affichage partisan n'est absolument pas opportun.
Vous présumez par ailleurs que le peuple français dira forcément « oui » au référendum et que la voix populaire sera instrumentalisée. Mais le général de Gaulle lui-même s'est heurté au peuple français en 1969 ! Sachons raison garder : le remède peut être pire que le mal.
Mme Agnès Canayer. - Je me rallie à la position de la rapporteure dont les arguments juridiques et politiques et la grande maîtrise du sujet nous conduisent à rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.
La Constitution de 1958 s'appuie sur un équilibre subtil, qui fait sa force. Elle est rigide dans sa forme et souple sur son fond ; c'est pourquoi elle a su s'adapter à de nombreuses évolutions structurelles. Son article 3 dispose ainsi que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Entre démocratie directe et démocratie représentative, la Constitution a trouvé un équilibre, dont la procédure prévue à l'article 11 fait partie. Il me paraîtrait extrêmement dangereux de rompre cet équilibre au détriment de l'expression du pouvoir populaire.
M. Olivier Bitz. - Madame la rapporteure, je ne peux pas souscrire à vos propos. En réalité, la PPLC ne politise pas la Constitution. Elle fait l'inverse. La procédure rigide qui encadre la révision de cette dernière la place précisément au-delà du jeu politique. La proposition qui est faite consiste précisément à mettre les révisions constitutionnelles en dehors du jeu politique du moment et à s'assurer que le texte fondamental recueille le plus large assentiment possible dans la société française comme au Parlement.
Vous dites que nous n'aurions pas besoin d'un texte parce que la doctrine serait unanime sur le sujet. Pourtant, les révisions constitutionnelles précédentes ont bien eu lieu.
En réalité, ce sujet relève moins de la théorie juridique que de l'effectivité du contrôle. Le simple fait d'ajouter une disposition visant à limiter le recours à l'article 89 a des limites, si l'on se réfère aux théories de l'interprétation, de Carl Schmitt à Michel Troper. En définitive, la question qui se pose est de savoir qui décide. Le texte ne permet pas de répondre à cette question, puisque, dans les mêmes circonstances, le Président de la République pourrait recourir au référendum.
Si l'on veut vraiment poser un verrou et faire en sorte que la Constitution soit respectée, il faut prévoir des modalités de contrôle effectives de la proposition de révision constitutionnelle. Dans cette hypothèse, le plus opportun serait de réfléchir à un contrôle a priori du Conseil constitutionnel, avant toute opération référendaire : le Conseil vérifierait alors que la proposition faite dans le cadre de l'article 11 respecte bien notre loi fondamentale. Un contrôle a posteriori est en revanche exclu, dans la mesure où le Conseil constitutionnel se refuse à contrôler la constitutionnalité d'un texte ayant reçu l'onction populaire.
En réponse à Mme Canayer, je souligne que notre Constitution ne prévoit pas que l'article 11 puisse servir à réviser la Constitution - toute la doctrine s'accorde sur ce point. Aussi, on ne toucherait pas à notre équilibre institutionnel en en excluant le recours. On ne peut pas considérer qu'une expression, même populaire, contraire à la Constitution puisse être valide en tant que telle, puisque la consultation du peuple ne peut être envisagée que dans le cadre prévu par la Constitution.
Cela étant dit, que penser de la proposition de loi constitutionnelle de M. Kerrouche ? Pour ma part, et même si son issue est incertaine, je voterai en faveur de ce texte en séance publique, et ce pour une seule et bonne raison : il permet au Sénat, conformément à une position constante de celui-ci, de réaffirmer qu'il considère qu'il n'existe qu'une seule voie pour réviser la Constitution, celle que prévoit l'article 89.
Même si j'estime qu'il aurait avant tout fallu assurer l'effectivité des dispositions en vigueur dans notre Constitution, je considère que l'examen de ce texte nous donne l'occasion de rappeler la philosophie qui est celle de notre assemblée à ce sujet depuis de longues années.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - 'Nos débats montrent bien que le sujet ouvert par la PPLC nous conduit inévitablement à évoquer une fois de plus les places et les rôles du Président de la République, du Parlement ou encore du Conseil constitutionnel dans l'équilibre institutionnel de la Cinquième République. Comme je l'ai déjà évoqué, ce n'est à mon sens ni le bon lieu ni le bon moment pour examiner sérieusement des questions aussi sensibles.
On nous reproche la politisation du débat. Mais ce n'est pas moi qui ai fait de cette PPLC un outil partisan, ce sont ses auteurs ! Je vous renvoie à l'exposé des motifs, mes chers collègues. Un tel texte risque de nous faire tomber dans une logique de confrontation ami-ennemi. Les historiens du droit expliquent bien, de surcroît, que toutes les instrumentalisations partisanes de la Constitution ont pu être retournées contre leurs promoteurs.
S'agissant du contrôle du Conseil constitutionnel, il y a là encore beaucoup à dire. Je pense naturellement à la jurisprudence « Hauchemaille » et son champ d'application incertain. je pense aussi au comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, qui, en 2007, avait réfléchi à la mise en place d'un contrôle a priori en cas d'instauration d'un référendum d'initiative parlementaire, et qui avait finalement décidé de ne pas le recommander. Il y a là, je le reconnais, un sujet qui mérite véritablement débat. Je rappelle que lorsque le Sénat avait examiné la révision constitutionnelle de 2008, il avait été envisagé de prévoir un contrôle a priori du Conseil constitutionnel sur les projets de référendum, au même titre que pour les propositions de référendums d'initiative partagée, et que cette solution avait expressément été écartée.
M. Patrick Kanner. - Je vous remercie, madame la rapporteure, de ces explications très détaillées.
Sur la forme, vous considérez que, dans la mesure où cette proposition de loi constitutionnelle a peu de chances de prospérer, 'il serait plus opportun de ne pas l'adopter. C'est pourtant le cas d'un certain nombre d'initiatives que nous adoptons. Permettez-moi de préférer une autre option, celle qui consiste à défendre nos convictions, à faire de la politique, au meilleur sens du terme, et à tenter de vous convaincre que nos initiatives, et celle-ci en particulier, peuvent être utiles au débat parlementaire.
Sur le fond, nous ne partons pas de rien. Dans l'exposé des motifs, nous insistons essentiellement sur une proposition de loi constitutionnelle déposée par les députés du RN, que nous jugeons extrêmement dangereuse pour notre démocratie. Il ne s'agit pas d'un fantasme, mais d'un fait : le RNs'inscrit dans une logique illibérale en défendant un texte qui, si ce parti politique arrivait au pouvoir, pourrait aller jusqu'à son terme.
Il ne s'agit pas pour autant de stigmatiser un tel plutôt qu'un autre, mais de s'opposer à toute possibilité, pour un parti politique susceptible d'accéder au pouvoir, de modifier notre Constitution en profondeur sans aucun garde-fou. Notre proposition de loi constitutionnelle vise en conséquence à sécuriser un dispositif, celui de l'article 89, sur lequel nous sommes tous d'accord. Il ne nous semble donc pas superfétatoire de faire adopter ce texte...
Le groupe socialiste soutiendra évidemment cette proposition de loi constitutionnelle, qui figurera au premier point de l'espace réservé à notre groupe le 6 novembre prochain.
M. Éric Kerrouche. - Si tout le monde s'accorde sur le fait que toute procédure de révision de la Constitution doit se faire sur le fondement de l'article 89, dans ce cas - et ce n'est pas indifférent -, pourquoi certains annoncent leur intention de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution ?
Vous nous dites, madame la rapporteure, que nous faisons de la politique avec ce texte. Non ! Nous ne faisons qu'apporter une réponse à un texte déposé par le Rassemblement national à l'Assemblée nationale et nous réagissons simplement face au danger qu'il représente. Ce qui m'étonne dans votre raisonnement, c'est que nous n'envisagez jamais les risques institutionnels et constitutionnels que l'adoption de ce texte implique, aussi bien pour les Français que pour notre assemblée. Par ailleurs, je ne préjuge pas ce que pourrait être la réponse du peuple français à la question qui lui serait posée ; je préjuge en revanche la malhonnêteté qui pourrait être celle de ladite question.
Depuis le XIXème siècle, les acteurs politiques entretiennent un rapport particulier avec le référendum. En l'espèce, le texte déposé par le RN n'a d'autre but que de ranimer l'adhésion à une logique plébiscitaire. Il s'inscrit dans une démarche émotionnelle, à l'image de ce qui a conduit au Brexit, et tente de jouer sur les peurs. Le Rassemblement national souhaite un référendum sur l'immigration ; au travers de notre proposition de loi constitutionnelle, ce n'est pas le sujet de l'immigration que nous abordons, mais celui de nos institutions.
Je m'étonne également de l'argument juridique que vous avez avancé : dès lors que c'est une simple loi ordinaire qui a conduit à la promulgation de la loi de 1962 sur l'élection du Président de la République, on ne pourrait rien faire. Cela voudrait dire qu'en excluant explicitement le recours à l'article 11 pour réviser la Constitution, on ne pourrait pas pour autant contraindre les acteurs politiques à s'y conformer. Un tel argument me semble quelque peu léger, dès lors qu'une nouvelle obligation constitutionnelle pèserait sur le Président de la République...
Mon texte n'est pas destiné à lutter contre un parti politique en particulier, mais à combattre une tentation qui continue de se développer, celle de l'illibéralisme. Il faut cesser d'invoquer les équilibres institutionnels de la Cinquième République : ceux-ci sont susceptibles d'être modifiés à tout moment. Pour défendre la Cinquième République telle que nous la connaissons, il me semble que nous avons tout intérêt à voter cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Sur la forme, monsieur Kanner, vous avez raison : la question que votre groupe soulève avec ce texte mérite d'être posée et suscite un débat juridique et politique important. En revanche, je maintiens qu'on voit mal comment un tel texte qui sera inévitablement interprété comme une limitation du référendum pourrait trouver une issue heureuse, quand bien même le Président de la République souhaiterait prendre le risque de le soumettre au peuple français dans un temps record d'ici aux prochaines présidentielles. Car encore une fois, selon les termes de l'article 89, une approbation par référendum est indispensable pour que cette initiative soit adoptée.
En tout état de cause, ce sont bien des lois ordinaires qui ont été soumises au référendum en 1962 et en 1969. C'est une façon de faire à laquelle tout acteur politique pourrait indubitablement encore recourir aujourd'hui. Dans un tel cas de figure, aucune approbation parlementaire n'est nécessaire, et aucun contrôle du Conseil constitutionnel n'est possible.
Vous vous demandez également pourquoi nous nous refusons à préserver le rôle du Sénat dans le processus de révision de la Constitution. Les messages que nous adressons à la population revêtent une importance capitale dans un contexte où nos institutions n'ont jamais été aussi critiquées et où les élus, a fortiori nationaux, n'ont jamais été autant pointés du doigt : si nous vous écoutions, nous risquerions de donner l'impression que nous ne cherchons qu'à nous protéger nous-mêmes et que nous tentons d'empêcher le peuple de s'exprimer comme il le souhaiterait. Ce serait une très mauvaise chose !
Enfin, vous dénoncez la dimension plébiscitaire du référendum. Vous redoutez notamment que le peuple puisse se faire manipuler. Pour ma part, j'estime que, au-delà de la discussion parlementaire, qui permet, il est vrai, d'échanger des arguments sérieux, étayés et profonds, le peuple français est assez raisonnable et intelligent pour qu'un débat digne de ce nom ait lieu.
M. Francis Szpiner. - Je suis sans doute un mauvais sénateur, parce que je suis un vieux gaulliste. Je rappelle que le général de Gaulle avait été accusé de forfaiture et que c'est sur cette sur cette « forfaiture » que s'est construite la Cinquième République !
Quelle est l'architecture du référendum dans la Constitution ? Cette question mérite assurément d'être posée. L'on pourrait, par exemple, prévoir un taux minimum de participation, mais à l'issue d'un véritable débat sur l'avenir de nos institutions.
Or le fait, avec la ratification du traité de Lisbonne, de ne pas avoir tenu compte de la réponse du peuple sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, a pourri la vie politique française et a encore des conséquences aujourd'hui. Ainsi, monsieur Kerrouche, votre mépris du peuple me fait peur. Les citoyens voteraient mal : ils ont voté le Brexit, quel scandale ! Avec un tel discours, vous êtes le meilleur pourvoyeur de votes au Rassemblement national, car vous opposez le peuple aux élus, créant les conditions d'un divorce catastrophique.
Sur un plan technique et juridique, Olivier Bitz a parfaitement raison : votre texte ne servira à rien sans un contrôle préalable de la question référendaire.
L'architecture de la Cinquième République est un débat sérieux, qui doit trouver sa place dans le cadre d'une élection présidentielle. Or aujourd'hui, vous donnez le sentiment de vouloir museler le peuple, puisque celui-ci soutiendrait le RN. C'est politiquement catastrophique. Je suivrai la rapporteure.
Mme Isabelle Florennes. - Les membres du groupe Union Centriste comprennent l'argumentation de notre collègue Éric Kerrouche sur la progression d'une tentation illibérale, y compris dans des pays qui ne sont pas si éloignés du nôtre. Mais ce n'est pas le sujet. J'ai été membre d'une autre assemblée, il y a quelques années : la famille centriste demande depuis longtemps un véritable débat sur nos institutions, les modes de scrutin et l'équilibre de la Cinquième République. On nous oppose que ce ne serait pas une préoccupation des Français, mais c'est faux ! Ils demandent à y participer.
Cette proposition de loi constitutionnelle, dont nous comprenons en partie l'exposé des motifs, n'y répond pas. Nous participerons au débat, même si nous sommes défavorables au texte. La question devrait être posée à l'occasion de la prochaine élection présidentielle : j'espère que nous serons alors réunis pour nous accorder sur certains grands principes.
Mme Mélanie Vogel. - Cette proposition de loi constitutionnelle aurait été élaborée dans la peur du peuple et de l'adhésion des Français au projet du Rassemblement national ? Mais en ce cas, monsieur Szpiner, il ne faudrait aucune limitation à l'article 11 de la Constitution. Or je ne connais pas de Constitution démocratique qui ne limite pas l'exercice référendaire. La portée de cet argument est donc limitée.
Nous pouvons rejoindre Mme la rapporteure sur certains points : même si c'est l'article 89 de la Constitution qui détermine les conditions de sa révision, il est avéré que le texte a déjà été modifié au moyen de son article 11, ce qui est regrettable. Mais depuis lors, rien n'a été fait pour que cela ne se reproduise pas. Proposition du Rassemblement national ou non, il serait donc logique de combler cette faille. Tout au plus, la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise démontre-t-elle que le risque de se saisir de cette faiblesse existe bien.
On oppose aux auteurs de ce texte qu'ils politisent l'exercice parce qu'ils agissent en fonction d'un risque factuel. Il faudrait donc qu'il n'y ait pas de risque pour qu'il soit légitime d'agir pour résoudre un problème identifié depuis des décennies ?...
Les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires voteront pour cette proposition de loi constitutionnelle, et l'auraient fait même sans l'initiative du Rassemblement national.
Je vous invite à observer la manière dont, en Hongrie et en Pologne notamment, les protections démocratiques inscrites dans des Constitutions plus solides que la nôtre ont été détricotées. Des modifications constitutionnelles, adoptées par référendum, ont permis à Orban ou à Kaczynski de ne plus être contrôlés par les contre-pouvoirs. Cela leur a d'ailleurs probablement pris plus de temps qu'il en faudrait au Rassemblement national pour faire de même, compte tenu de ce qu'est la Constitution de la Cinquième République. Que direz-vous, alors même que nous aurons eu l'occasion de remédier à cette situation avec cette proposition de loi constitutionnelle ?
Quant à l'argument sur la nécessité d'un référendum pour réviser la Constitution au moyen d'une proposition de loi, je rappelle qu'il y a un an et demi, une proposition de loi constitutionnelle qui avait été déposée pour consacrer la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse avait permis de dégager un consensus et ouvert la voie à l'adoption d'un projet de loi constitutionnelle par le Congrès.
M. Louis Vogel. - Souvenons-nous des mots de Montesquieu : « il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante. » Il faut débattre de l'équilibre général de notre Constitution, et non d'un point de détail. Il est donc malvenu d'en discuter à ce moment.
M. Éric Kerrouche. - Je tiens à réagir aux propos de M. Szpiner, qui m'a pris à partie.
'Dans quel pays est-il aisé de changer la Constitution ? Aucun. L'exemple du Royaume-Uni n'est pas pertinent, puisque ce pays n'a pas de Constitution écrite. En outre, on ne saurait me reprocher un quelconque mépris du peuple, monsieur Szpiner. Je suis un partisan du référendum d'initiative citoyenne en matière législative.
Nous disons en revanche qu'il est normal que la révision de la Constitution fasse l'objet de limitations. C'est de cela que nous parlons, et rien d'autre. Cessons donc de caricaturer les positions de chacun.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.
La réunion est close à 11 h 40.