- Mercredi 3 décembre 2025
- Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs à la transition énergétique et au climat - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs aux transports routiers - Examen du rapport pour avis
- « Pour l'efficacité de la Gemapi : des territoires solidaires » - Présentation du rapport d'information et échanges
Mercredi 3 décembre 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs à la transition énergétique et au climat - Examen du rapport pour avis
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat. - J'ai le plaisir de vous présenter ce matin les conclusions de mes travaux au titre du rapport pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat. Comme chaque année, cet avis s'articule autour de trois grands axes : le financement de la transition écologique, le développement des énergies renouvelables et la rénovation énergétique des bâtiments.
S'agissant d'abord du financement de la transition écologique, la deuxième édition de la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (Spafte) du Gouvernement livre un constat très clair : l'écart se creuse entre les besoins d'investissement et la trajectoire effectivement suivie. En 2024, 113 milliards d'euros ont été investis dans les actifs bas carbone. Pour atteindre nos objectifs pour 2030, les investissements devront doubler, alors même que les soutiens publics de l'État en faveur de la transition écologique, inscrits dans le budget vert, apparaissent, cette année encore, en stagnation. Dans un contexte où les finances publiques sont très contraintes, deux impératifs s'imposent : la cohérence et l'efficacité de la dépense.
Sur la cohérence d'abord, de nombreux acteurs ont souligné le caractère contradictoire du signal-prix. Comment justifier des milliards d'euros investis dans les énergies renouvelables électriques, la production de chaleur décarbonée ou les pompes à chaleur si, dans le même temps, la fiscalité appliquée aux consommations d'électricité et de gaz contribue à désinciter ce nécessaire mouvement de transition ? La réforme des accises sur l'énergie proposée par le rapporteur général de la commission des finances Jean-François Husson apparaît, de ce point de vue, plus que jamais nécessaire. J'ajoute qu'il serait utile d'envisager l'instauration d'un prix plancher du gaz, afin d'éviter un décrochage trop important avec le prix de l'électricité et de préserver la compétitivité des solutions bas carbone. Des réflexions existent pour mettre en place ce mécanisme, les différentes parties prenantes entendues ont toutefois insisté sur la nécessité de poursuivre la réflexion, pour créer un dispositif solide juridiquement. Je forme le voeu que ce projet aboutisse pour le prochain projet de loi de finances (PLF).
Sur l'efficacité ensuite, les auditions menées montrent que nombre de dispositifs ont enfin atteint un niveau de maturité satisfaisant, après parfois plusieurs années de réglages successifs. Il convient de préserver cette efficacité : le plus grand risque serait ainsi de renouer avec une politique du stop and go, qui fragilise les acteurs économiques et renchérit le coût de la transition. À ce titre, je regrette très vivement la disparition du fonds territorial climat du PLF pour 2026. Créé à l'initiative du Sénat dans le PLF pour 2025, ce fonds part du constat de l'absence d'un financement dédié pour le bloc communal, permettant, dans le cadre du plan climat-air-énergie territorial (PCAET), la réalisation des diagnostics de vulnérabilité sur l'adaptation, l'information de la population sur les enjeux de rénovation thermique ou encore la simple construction des dossiers techniques permettant l'accès au fonds vert. Le Sénat l'avait pourtant identifié comme un levier essentiel pour soutenir l'ingénierie, l'animation et les investissements nécessaires à l'élaboration et à la mise en oeuvre des PCAET par les collectivités.
Sa suppression dès la deuxième année apparaît prématurée : un exercice budgétaire ne permet en aucun cas d'en apprécier l'efficacité ni de stabiliser les dynamiques locales qu'il avait commencé à engager.
Je vous proposerai donc un amendement qui prévoit le maintien de ce fonds, en réaffectant 100 millions d'euros du fonds vert vers le fonds territorial climat. Je souligne par ailleurs qu'au regard de son importance pour la mise en oeuvre locale de la transition, une mission d'information de notre commission spécifiquement consacrée aux PCAET serait pleinement justifiée.
J'en viens maintenant au développement des énergies renouvelables. Nous travaillons, sur ce sujet, dans une situation institutionnelle particulièrement difficile : la troisième programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) n'est toujours pas publiée, et la proposition de loi de Daniel Gremillet portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie poursuit sa navette. Il est très complexe d'évaluer l'efficacité d'une politique sans disposer d'une stratégie stabilisée et d'objectifs officiels.
Le soutien public aux énergies renouvelables électriques connaît par ailleurs une très forte hausse. Le PLF pour 2026 fait passer ces dépenses de 4,3 milliards d'euros en 2025 à 7,2 milliards d'euros en 2026. Cette évolution est mécanique : plus les prix de marché de l'électricité baissent, plus le soutien augmente pour garantir aux producteurs la rémunération prévue par leurs contrats. Ce dispositif est coûteux, mais il a permis de réduire considérablement les coûts unitaires des filières, notamment dans le photovoltaïque où la baisse a été spectaculaire au cours de la dernière décennie.
L'an dernier, j'avais appelé à engager une réflexion sur l'efficience de ces dépenses, sans jamais remettre en cause le soutien aux énergies renouvelables. Je me félicite donc de l'article 69 du PLF pour 2026, qui déplafonne les primes négatives lorsque les prix de marché sont élevés et qui permet la renégociation des contrats les plus coûteux. C'est indispensable pour renforcer l'acceptabilité du dispositif.
Je souhaite aussi insister sur le cas du fonds chaleur. La chaleur représente 43 % de la consommation d'énergie finale, mais seulement un quart de cette chaleur est renouvelable, alors même que 60 % de notre consommation provient d'importations de gaz et de fioul. La décarbonation de la chaleur est donc un enjeu majeur pour la France, pour assurer la transition énergétique tout en renforçant la souveraineté énergétique nationale. Le fonds chaleur, qui soutient les projets de décarbonation de chaleur des collectivités territoriales et des entreprises, fait l'objet depuis la crise énergétique d'une forte demande : 1,6 milliard d'euros de projets pour 800 millions d'euros de crédits en 2025. L'an dernier, le Sénat s'était opposé à une réduction de 300 millions d'euros de ce fonds ; nous avions eu raison, car ce fonds est l'un des plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, avec un coût d'abattement trois fois inférieur à celui de la rénovation énergétique. Le maintien de son budget pour 2026 est donc une très bonne nouvelle.
J'en viens enfin à la rénovation énergétique des bâtiments, marquée de nouveau par des turbulences autour de MaPrimeRénov'. En 2024, la réforme avait créé deux piliers : d'un côté la rénovation d'ampleur, ciblée sur les passoires thermiques, et de l'autre la rénovation par geste, centrée sur les systèmes de chauffage.
L'année de transition a entraîné en 2024 une sous-consommation des crédits, en raison de l'évolution des critères d'éligibilité. Le Gouvernement avait déduit de cette sous-consommation que les crédits pouvaient être réduits. Nous ne partagions pas cette analyse, et nous avions alors alerté, dans cette commission, sur un risque d'insuffisance de crédits. L'histoire nous a donné raison ! En effet, en juin 2025, le dispositif a dû être suspendu faute de crédits suffisants. La stagnation des crédits prévue pour 2026 laisse craindre une nouvelle situation de tension.
Pourtant, la réforme commence à produire ses effets : on observe un basculement réel vers les rénovations d'ampleur. Nous serions autour de 100 000 rénovations globales en 2025 selon les chiffres provisoires qui nous ont été communiqués, contre 65 000 à 70 000 dans les années précédant la réforme, soit plus de 30 % de hausse. Mais nous restons très loin de l'objectif programmatique de 370 000 rénovations globales par an en 2030.
Ce projet de loi de finances entérine également un basculement du financement de MaPrimeRénov' du budget de l'État vers les certificats d'économies d'énergie (C2E), financés par les fournisseurs d'énergie. Je comprends la logique de cette débudgétisation, qui permet de réduire la charge pesant sur les finances publiques tout en préservant l'ambition de notre politique de rénovation énergétique. Mais ce choix appelle, à mes yeux, une vigilance accrue : le prix de marché des C2E est extrêmement volatil, et cette volatilité risque de fragiliser la trésorerie de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), responsable du déploiement de MaPrimeRénov'. Nous devons être particulièrement attentifs à ce point. Il me paraît indispensable qu'un mécanisme d'amortissement des fluctuations soit étudié, afin que le soutien à la rénovation énergétique ne dépende pas, demain, du cours des C2E.
En définitive, j'émettrai un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la transition énergétique et au climat du PLF pour 2026. Cet avis s'accompagne néanmoins de deux réserves fortes : la suppression du fonds territorial climat et la fragilité persistante du financement de la rénovation énergétique, qui ne permettent pas encore de garantir une trajectoire pleinement stable et crédible.
M. Ronan Dantec. - Je salue l'excellent rapport, très précis, de Fabien Genet. J'en partage l'essentiel des observations, mais pas totalement la conclusion : lorsqu'on présente un rapport aussi chirurgical sur un projet de budget, on émet normalement un avis défavorable. Notre logique aurait été de voter contre ; cependant, compte tenu des réserves qui ont été partagées et de la qualité du rapport en lui-même, nous choisissons, symboliquement, de nous abstenir.
Je ferai trois observations.
La première concerne la logique des C2E, qui se distingue de celle de MaPrimeRénov'. D'une part, contrairement à celle-ci, ils ne sont pas attribués sous condition de ressources - il faudra voir si cela évolue. D'autre part, les C2E vont aussi probablement favoriser les actes isolés, tels que l'installation de pompes à chaleur.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de mobiliser les C2E au service de la rénovation énergétique, mais je souscris aux propos de notre rapporteur concernant les stop and go permanents des gouvernements successifs : par cette mesure, nous déstabilisons à nouveau toute la filière, ses artisans et ses systèmes économiques.
Ma seconde observation concerne le sujet des énergies renouvelables.
L'électrification de la France est en retard. Sur ce point, je rejoins également notre rapporteur : le gaz ne peut être aussi peu coûteux par rapport à l'électricité. Le Sénat est allé dans le bon sens en réaugmentant l'accise sur le gaz ; il aurait fallu, logiquement, augmenter également l'accise sur les biocarburants - dont les producteurs engrangent des marges absolument hallucinantes et non justifiées - et le kérosène. Si nous allons au bout de cette logique, il faudrait augmenter l'accise un peu partout.
L'électrification de notre société doit connaître de nouveau une accélération. Dans le cas contraire, nous allons faire face à une situation de surproduction électrique, et ce, dans un contexte de développement rapide, à des prix moins élevés que les nôtres, du renouvelable en Europe, notamment du Sud, qui entraîne la fermeture progressive de marchés chez nous. Cela pourrait, à mon sens, faire l'objet d'un rapport de cette commission.
Nous devons réfléchir à la meilleure manière d'engager l'électrification à marche forcée de notre société, afin d'éviter l'effet ciseau que nous connaissons actuellement, et les faibles prix de l'électricité sur les marchés.
Ma troisième observation porte sur le maintien du fonds chaleur.
Le rapporteur l'a très bien dit : il faut absolument réussir, en séance, à convaincre le Gouvernement de le conserver.
Nous nous abstiendrons donc de donner notre avis sur ces crédits, en raison de l'excellente qualité du rapport, même si nous n'en partageons pas la conclusion.
M. Hervé Gillé. - Je partage l'analyse de Ronan Dantec tout en saluant la qualité du rapport : d'une part, les crédits présentés ne permettent pas de projeter une réelle politique d'adaptation au changement climatique à court, moyen et long terme ; d'autre part, il est aujourd'hui nécessaire de tisser des trajectoires véritablement lisibles.
Le fonds territorial climat, de par son approche originale, est absolument essentiel. Or nous rencontrons une vraie difficulté : préalablement, les crédits du fonds territorial climat étaient prélevés sur le fonds vert. Le fonds vert étant diminué, nous ne disposons pas de moyens vraiment ciblés afin d'abonder le fonds territorial climat qui accompagne, dans les territoires, l'ensemble des collectivités. Nous défendrons ce point.
Par ailleurs, je souligne les efforts pertinents accomplis sur les accises du gaz, au service d'une meilleure lisibilité de la PPE.
Je souhaite revenir sur notre débat d'hier soir en séance publique, au cours duquel nos amendements visant à instaurer un bonus sur les véhicules électriques d'occasion pour les personnes aux très faibles revenus ont été rejetés. Recevoir des votes défavorables à des propositions difficilement contestables, qui cherchent à alimenter le marché des véhicules électriques d'occasion pose vraiment question.
Enfin, les C2E et les quotas carbone devraient, à mon sens, faire l'objet d'une table ronde et de travaux parlementaires plus approfondis, même si nous soutenons la démarche engagée par le Gouvernement. Nous rencontrons aujourd'hui une grande difficulté dans la maîtrise de ces fonds : un ensemble de politiques publiques s'adossent aujourd'hui à ces C2E et à ces quotas carbone, mais il est difficile d'avoir de la visibilité sur leur opportunité et leur disponibilité, de même que sur l'évolution de leur cours. Cela entraîne une forme de fragilité de ces politiques publiques. Certes, nous pouvons décider du basculement du financement de la politique de rénovation énergétique vers les C2E, mais ils risquent de mettre en difficulté les opérateurs si, à un moment donné, leurs cours s'effondrent. Des tensions pourraient également survenir sur les C2E en raison de la multiplicité des mesures qui en dépendent.
Compte tenu des réserves que j'ai exposées, je propose également une abstention sur ces crédits.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Permettez-moi de revenir, en premier lieu, sur MaPrimeRénov' et les C2E.
Jusqu'à la fin de l'année 2023, lorsque des particuliers avaient besoin d'engager des travaux de rénovation énergétique, ils faisaient appel à un bureau d'études spécialisé afin d'effectuer l'analyse de leur logement avant travaux, puis faisaient exécuter les travaux. Les particuliers payaient leur part et l'entreprise percevait le solde du C2E une fois le bilan du logement effectué, à l'issue d'un contrôle. Cela fonctionnait bien.
Depuis le 1er janvier 2024, les dossiers de rénovation énergétique transitent par l'Anah. Or nous connaissons la complexité des dossiers qui sont exigés par l'Anah : s'il vous manque un papier, ou une virgule, le délai de traitement s'allonge d'autant. De plus, fait non négligeable, le particulier doit avancer la totalité du prix des travaux, puis demander, à l'issue des travaux, son remboursement, c'est-à-dire le versement du montant de la subvention dans le cadre des C2E.
Qui peut, aujourd'hui, avancer la totalité de travaux estimés à 30 000 ou 40 000 euros, puis attendre six mois à un an d'être remboursés à hauteur du montant de la subvention ? Avant le 1er janvier 2024, le particulier ne payait que sa part, l'entreprise touchant le reste du prix des travaux à l'issue du contrôle du C2E.
J'y vois là une volonté délibérée de ne pas utiliser ces crédits.
En deuxième lieu, je m'étonne que nous ne nous engagions pas dans le stockage du surplus de la production électrique, alors que l'Allemagne le pratique depuis plusieurs années. Nous parlons désormais de prix négatif de l'électricité : parce que nous produisons trop d'électricité par rapport aux besoins en consommation, nous payons actuellement des producteurs privés, qu'il s'agisse de gestionnaires de champs d'éoliennes ou de fermes photovoltaïques, afin qu'ils ne produisent pas. Une telle situation me paraît un peu scandaleuse.
Malgré l'augmentation de la prime sur les véhicules électriques, nous ne sommes pas près de consommer la totalité de la production française d'électricité ; il faut donc que nous défendions absolument la notion de stockage d'électricité, et ce au niveau national.
Le sujet ressurgira lorsque nous aborderons celui de la construction de prochains réacteurs pressurisés européens (EPR) : si nous en construisons six ou quatorze et qu'ils ne fonctionnent qu'à 30 % parce que les besoins en consommation sont trop faibles, ne risquons-nous pas une perte d'investissement ?
M. Jean-François Longeot, président. - Le dispositif C2E me paraît intéressant.
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. - Je commencerai par le dispositif MaPrimeRénov'. Lors des auditions que nous avons conduites, l'importance de l'accompagnement des porteurs de projet a effectivement été bien notée. Ces derniers temps, dans un certain nombre de territoires, l'Anah a manifesté une vraie volonté d'accompagner les territoires et de contractualiser avec des acteurs locaux - établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), maisons de l'habitat... - afin d'apporter une réponse circonstanciée à ceux qui veulent s'y retrouver dans la jungle des aides proposées par MaPrimeRénov'.
Cher collègue Jean-Pierre Corbisez, vous avez évoqué le sujet de l'avance des fonds : il existe tout de même un certain nombre de dispositifs destinés aux ménages les plus en difficulté. Des organismes peuvent être sollicités pour assurer cette avance.
Chers collègues Ronan Dantec et Hervé Gillé, je partage vos remarques sur l'électrification de la France. Les filières industrielles en subissent également les conséquences, notamment la filière automobile, compte tenu du coût des véhicules produits en France - tandis que des véhicules chinois, prêts à être vendus sur les marchés européens, attendent sur des aires de stockage -, des difficultés de nos filières européennes et de l'hypothèse d'une remise en cause dans les semaines à venir de certains objectifs que l'Union européenne s'était fixés...
Lors des auditions préparatoires, nous nous sommes intéressés au sujet des réseaux électriques, avant d'aborder le sujet du stockage, puisque la France fait face, pour s'adapter à la future électrification des usages, à un mur d'investissement dans ses réseaux électriques. Enedis, de même que Réseau de transport d'électricité (RTE), examinent déjà l'adaptation nécessaire de ces réseaux.
Sur un certain nombre de territoires, des projets d'énergies renouvelables sont déjà bloqués faute de capacité suffisante dans les postes sources ou dans les réseaux d'injections. Des tensions pourraient également apparaître sur des réseaux lors de la desserte, par exemple, d'industries électro-intensives. Nous avons fait remonter à nos interlocuteurs ce point de vigilance ; il mériterait à mon sens d'être aussi suivi par notre commission. Les préfets de région sont, par ailleurs, en train de se pencher sur ce sujet dans le cadre des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
Le stockage est en effet certainement l'une des pièces manquantes du puzzle de l'organisation des énergies renouvelables. Nos interlocuteurs, en particulier le Syndicat des énergies renouvelables (SER), nous ont rappelé la très forte progression des capacités de stockage et partagent la volonté de les faire croître. Conséquence de l'évolution du service public de l'énergie, ces acteurs ont désormais un intérêt à trouver un équilibre économique en stockant leur surplus de production. Des solutions apparaissent ainsi également dans les territoires.
Permettez-moi désormais d'aborder le sujet, très important, du fonds territorial climat. La poursuite de la planification écologique va engendrer, dans les années à venir, des besoins d'accompagnement. Dans ce contexte, la pédagogie et l'accompagnement des projets que permet le PCAET sont tout à fait bienvenus.
Certains souhaiteraient que le fonds soit encore mieux doté, au-delà des 100 millions d'euros que nous proposons. L'année dernière, la dotation du fonds territorial climat était de 200 millions d'euros, fléchés sur les 1,2 milliard d'euros de crédits du fonds vert. Cette année, les crédits du fonds vert reviennent à 600 millions d'euros. Il nous a donc semblé légitime, en proportion, de fixer ceux du fonds territorial à 100 millions.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Depuis la création du dispositif MonAccompagnateurRénov', nous avons assisté à une massification du recours à MaPrimeRénov, avec également - il faut le dire - un certain nombre de fraudes. Dans mon département, qui est l'unique délégataire des aides à la pierre, nous avons ainsi enregistré des fraudes d'un montant considérable.
Je reconnais l'excellence du rapport. Malheureusement, le budget qui nous est présenté cette année n'accompagne ni les collectivités locales - premières actrices en matière de transition écologique - ni les usagers, et il ne nous inscrit pas dans la trajectoire nécessaire pour atteindre nos ambitions.
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. - Le sujet des fraudes a été longuement évoqué avec l'Anah. Elles expliquent en partie le stop and go des politiques publiques : à la suite de la massification du recours au dispositif, des fraudes conséquentes ont été constatées. L'État a alors voulu améliorer le contrôle du dispositif et trouver des parades. Si nous en croyons les retours que nous recevons aujourd'hui, ces parades fonctionnent relativement bien ; nous pouvons donc espérer une limitation du nombre de fraudes.
Permettez-moi enfin de préciser qu'un avis favorable n'est pas forcément un avis enthousiaste ; il est simplement favorable. Quant au côté chirurgical de mon rapport, cher collègue Ronan Dantec, je ne suis pas chirurgien, mais ceux que je rencontre me disent qu'en dépit du diagnostic très sévère qu'ils portent, ils gardent espoir pour la survie du patient !
J'en viens maintenant à la présentation de l'amendement n° II-1389, qui vise à rétablir le fonds territorial climat, supprimé dans le PLF pour 2026. Je propose donc de réaffecter 100 millions d'euros du fonds vert vers le fonds territorial climat afin d'assurer la poursuite de son déploiement. Cette mesure permettrait de maintenir un soutien financier indispensable à la territorialisation de la transition écologique.
M. Ronan Dantec. - Je remercie le rapporteur pour sa défense enthousiaste du fonds territorial climat, que cette commission porte depuis pratiquement huit ans.
L'an dernier, Mme Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, s'était engagée pour que 200 millions d'euros lui soient alloués. Ce montant avait été abaissé à 100 millions d'euros, puis finalement rétabli à 200 millions d'euros. Nous pourrions peut-être viser le même compromis cette année. En effet, un fonds de 100 millions d'euros, compte tenu des coûts d'ingénierie qu'occasionne son fonctionnement, pourrait sembler négligeable et être supprimé par Bercy.
Je propose que nous affections 150 millions d'euros de crédits du fonds vert au fonds territorial climat. Cette somme, plus importante, nous permettra peut-être d'acter le rétablissement des crédits du fonds à 200 millions d'euros que nous avions obtenu l'année passée. Cela me paraît tactiquement préférable ; l'idéal étant que nous nous entendions sur cette stratégie en commission, afin d'éviter de longs débats en séance.
Plus généralement, le fonds vert me semble en danger de disparition. Au vu de la baisse qu'il subit, l'idée de le fusionner avec la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) pour créer un fonds unique avec des critères environnementaux est certainement sur la table. Sans vouloir m'exprimer à sa place, il me semble que Christine Lavarde n'est pas très loin de partager cette vision. Or, le fonds territorial climat est fondamentalement une dotation - elle a permis, en Loire-Atlantique, de financer notamment les études des petites intercommunalités pour les nouveaux PCAET - et il doit survivre à la fusion des trois fonds qui est, à mon avis, planifiée. Ceux-ci, une fois fusionnés, deviendront des fonds sur projet et non plus des fonds de dotation.
Par conséquent, nous avons intérêt à renforcer le fonds territorial climat afin qu'il ne disparaisse pas dans la charrette du fonds vert.
Nous devons obtenir en séance publique un engagement gouvernemental similaire à celui que nous avions obtenu l'an dernier de Mme Pannier-Runacher. Nous devons nous assurer que le Gouvernement continuera à défendre ce fonds dans la navette, au-delà du vote du Sénat.
Fixons à 150 millions d'euros les crédits du fonds territorial climat ! Nous intégrerions ainsi la baisse proportionnelle du fonds vert et conforterions un peu son existence. Si nous le maintenons à 100 millions d'euros, il sera à la limite de la disparition.
M. Hervé Gillé. - Un risque réel pèse sur le fonds vert, c'est une évidence. Son utilisation n'est toutefois pas toujours très lisible. Lorsqu'il manque un peu de DSIL ou de DETR, les préfets ont tendance à puiser dans ce fonds pour ajuster leur réponse aux demandes des collectivités.
Or nous n'obtenons de reporting sur les montants engagés et leur destination qu'a posteriori, lorsque nous réussissons à en obtenir... Dans mon département, j'ai dû réitérer trois fois ma demande auprès du préfet avant d'obtenir des précisions. Nous devrions exiger d'obtenir plus d'informations, car les utilisations du fonds vert sont très variables selon les départements et les préfets.
Si, comme nous le craignons, les dotations sont fusionnées, nous risquons de perdre encore plus de visibilité sur l'utilisation effective des crédits, qui seront à la main des préfets.
Il me semble aussi que d'autres propositions s'adossent au fonds vert, comme l'amendement de Christine Lavarde relatif au financement du fonds de lutte contre l'érosion côtière. Nous pouvons bien évidemment discuter de ces politiques, mais encore faut-il que le fonds vert ait une enveloppe suffisante pour répondre à tous les besoins !
La position de Ronan Dantec, qui préconise de rehausser le niveau du fonds territorial climat et de tenir un discours ferme sur les objectifs et la mise en oeuvre du fonds, me semble prudente.
M. Jean-Claude Anglars. - Je souhaite aussi aborder le sujet du fonds territorial climat et du fonds vert.
Je suis inquiet lorsque j'entends Ronan Dantec parler de « charrette » qui amènerait à la guillotine les fonds DETR, DSIL, etc. C'est exactement l'inverse que nous souhaitons.
Je souhaite rappeler que le fonds vert a été obtenu en 2023, à la suite d'une proposition portée par un certain nombre d'entre nous auprès du ministère de l'économie concernant des crédits qui n'étaient pas consommés. Nous proposions aussi une méthode précise, qui consistait à confier des enveloppes aux préfets afin qu'ils redistribuent aux collectivités, sous la forme d'un fonds dédié, les moyens d'agir en faveur de la réduction de l'artificialisation des sols.
J'attire l'attention de tous ceux qui seraient en faveur d'une fusion des fonds : nous perdrions de nouveau inévitablement la main sur la destination de leurs crédits. Je rejoins les propos de notre collègue Hervé Gillé sur le manque de reporting de la part des préfets ; il est essentiel que nous puissions contrôler et évaluer les dispositifs. Je suis par ailleurs complètement opposé à ce que des éléments soient retirés du fonds vert, surtout au moment où le montant qui lui est alloué diminue. Il faut le conserver.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Je suis membre de la commission DETR de mon département. Nous ne traitons que des dossiers dont la demande de subvention est supérieure à 100 000 euros. L'an dernier, nous avions voulu faire adopter un amendement pour abaisser ce seuil à 50 000 euros, un montant qui représente déjà, pour les communes rurales, un bel investissement.
Si tous ces fonds sont fusionnés au sein d'une même enveloppe, elle ne sera gérée que par le préfet de région. Même les préfets départementaux perdront l'accès aux crédits de ces fonds. Les commissions DETR seront supprimées et nous ne pourrons plus y défendre les communes rurales.
M. Didier Mandelli. - Je pense que ce fonds vert n'aurait jamais dû exister. À mon sens - je plaidais déjà pour cela avant d'être sénateur -, il faudrait une écoconditionnalité de toutes les aides, qu'elles soient attribuées au titre de la DETR, de la DSIL ou d'autres fonds. Il me paraît complètement incongru et décalé de mener aujourd'hui des projets de bâtiments, d'aménagements ou d'investissements qui ne respectent pas les objectifs de développement durable.
Une école que nous construisons aujourd'hui devrait être à haute qualité environnementale ; de même pour une salle de sport ou n'importe quel équipement public.
Ce fonds vert est, en réalité, un petit « hochet » à 1,2 milliard d'euros, ramené à 600 millions d'euros cette année. Nous discutons longuement de 50 millions d'euros alors que l'essentiel des dotations de l'État ne contribue pas à l'adaptation de nos territoires aux conséquences des changements climatiques.
Hervé Gillé a mentionné l'amendement - dont je me réjouis - de Christine Lavarde, qui alloue 20 millions d'euros à la création d'un fonds pour lutter contre l'érosion côtière : il s'agit d'un enjeu auquel le fonds vert peut répondre. Ce sont, certes, 20 millions d'euros retirés de ses crédits, mais ces millions sont utiles, parce qu'ils amorcent un fonds que nous réclamons depuis longtemps par voie d'amendement.
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin, elle se casse ! On peut toujours demander 200 millions d'euros pour le fonds vert, autant que l'on veut pour les collectivités locales... Nous n'avons de cesse d'essayer de compenser les conséquences de nos actions. Nous devrions plutôt agir en amont et militer pour l'écoconditionnalité des aides, quelles qu'elles soient, et à tous les niveaux.
Je suivrai, ainsi que mon groupe, la position du rapporteur. À trop demander, nous risquons de tout perdre : au vu du déroulement des débats depuis quelques jours, il me semble préférable de figer les choses pour tenter de préserver les acquis, même si la situation ne me satisfait pas.
M. Ronan Dantec. - La logique, sur le long terme, est effectivement celle de l'écoconditionnalité des aides et de la disparition du fonds vert, qui se contente de « saupoudrer ».
Toutefois, il n'en va pas de même du fonds territorial climat, et c'est pourquoi nous devons absolument le conforter. Celui-ci fait en réalité office de dotation de soutien aux PCAET. En l'abondant de 150 millions d'euros, nous nous inscrivons donc complètement dans la logique évoquée par M. Mandelli.
Par ailleurs, nous sommes obligés de procéder par vases communicants si nous voulons faire aboutir nos propositions. Nous pourrions aussi demander que le Gouvernement lève le gage, y compris sur les 20 millions d'euros du fonds d'érosion côtière proposé par Christine Lavarde, mais je ne suis pas sûr que nous l'obtenions.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Au-delà des questions de volume financier, il faudra prêter une attention particulière au taux de participation de l'État, c'est-à-dire au taux de subvention.
Je rappelle en effet qu'en avril dernier, le ministre Christophe Béchu avait baissé par arrêté les taux de participation de l'État en fonction des types d'investissements.
Ainsi, le taux de participation de l'État sur l'éclairage public à LED était passé de 25 % à 15 %. Cette diminution revenait à perdre une année de retour sur investissement, ce qui n'était pas encore trop pénalisant pour les collectivités. En revanche, le taux de participation sur les travaux d'économie d'énergie dans les bâtiments était passé de 35 % à 25 %, voire à 20 %. Pour la construction d'une école, par exemple, cela revenait à perdre 100 000 ou 200 000 euros, ce qui était nettement plus lourd à soutenir pour les collectifs.
Il faudra donc être très vigilants sur les taux de participation proposés dans le cadre de la DETR et des autres dispositifs.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Effectivement, ce fonds territorial climat a toutes ses raisons d'être, mais j'ai le sentiment qu'on habille Paul pour déshabiller Pierre...
Ce fonds devrait être alimenté par le budget général de l'État, surtout lorsque l'on sait que celui-ci encaisse 1,3 milliard d'euros de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui ne sont pas reversés aux collectivités. Le fonds Barnier, par ailleurs, a été budgétisé et est disponible. On pourrait presque y ajouter le « plafond mordant » des agences de l'eau...
Il manque surtout une volonté politique de la part de l'État.
M. Fabien Genet, rapporteur pour avis. - Nous partageons tous la même préoccupation sur le financement de la transition écologique.
Je souscris à vos remarques au sujet des « vases communicants » : lorsqu'il y a de moins en moins de liquide dans le vase, les choses se compliquent... Mais j'en ai tiré une conclusion différente. Constatant la baisse significative des crédits du fonds vert, j'ai eu peur de précipiter sa disparition en demandant que les crédits du fonds territorial climat soient maintenus à 200 millions d'euros ou que leur baisse soit limitée à 150 millions d'euros.
Sur ce sujet, j'ai une différence d'appréciation avec Didier Mandelli. Sur le terrain, le fonds vert est important, car ce sont des moyens supplémentaires pour les collectivités locales. Quant à la généralisation des écoconditionnalités, elle pourrait aussi freiner l'octroi de subventions pour un certain nombre de projets absolument nécessaires pour les territoires.
La délégation aux collectivités territoriales vient de présenter un rapport qui attire l'attention sur les surcoûts qu'engendre le respect de certains critères environnementaux dans la construction publique. Parfois, à vouloir fixer des objectifs trop ambitieux, on empêche certains projets importants de se réaliser.
Le Sénat a toujours été attentif au respect du principe de libre administration des collectivités territoriales, et, pour ma part, je plaide pour que ces fonds de soutien aux collectivités soient maintenus, avec le plus de souplesse possible.
En conclusion, il me paraît plus prudent de maintenir les crédits du fonds territorial climat à 100 millions d'euros. Si des amendements d'appel sont déposés en séance, nous en débattrons avec le Gouvernement, et il faudra tenter d'obtenir d'un ministre qui propose la disparition du fonds - Mme Pannier-Runacher avait proposé son maintien - l'engagement de le défendre, en l'éclairant de nos lanternes...
L'an dernier, 200 millions d'euros de crédits avaient en effet été rétablis, mais il serait intéressant de regarder plus précisément comment ils ont été décaissés, comme vous avez été nombreux à le suggérer. Cela pourrait faire l'objet d'une mission d'information, dont les conclusions nous aideraient à préparer le prochain exercice budgétaire.
M. Jean-François Longeot, président. - J'ai bien compris la démarche de Ronan Dantec, qui propose d'augmenter de 50 % les crédits du fonds territorial climat. Son initiative pourra être reprise par son groupe politique. Pour l'heure, je vous propose déjà d'adopter l'amendement du rapporteur, car il vaut mieux prévenir que guérir !
L'amendement n° II-1389 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la transition énergétique et au climat, sous réserve de l'adoption de son amendement.
Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs aux transports routiers - Examen du rapport pour avis
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - J'ai le plaisir de vous présenter ce matin les principales orientations de mon rapport pour avis sur les crédits relatifs au transport routier du projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
Avant toute chose, et dans la perspective de la future loi-cadre, j'aimerais aborder la question cruciale du modèle de financement des infrastructures de transports : ce sujet, désormais récurrent pour notre commission, prend une dimension vraiment particulière cette année puisqu'il a pour toile de fond les conclusions de la conférence Ambition France Transports qui ont été rendues en juillet dernier. Nous allons vivre, dans les semaines et mois à venir, des séquences intéressantes et importantes sur ces sujets.
Le rapport d'Ambition France Transports a en effet mis en exergue l'écart considérable entre, d'une part, la trajectoire actuelle d'investissement dans nos infrastructures de transport ferroviaire, fluvial et routier et, d'autre part, les besoins constatés pour résorber la dette grise - c'est-à-dire les investissements nécessaires, mais non engagés -, qui s'y est accumulée au fil de décennies de sous-investissement, et qui nous préoccupe fortement.
Sur la période 2026-2031, le besoin d'investissement supplémentaire s'établit à environ 2 milliards d'euros par an pour le transport ferroviaire et fluvial et à 1 milliard d'euros par an rien que pour le réseau routier national non concédé (RRNNC) - il nous faut donc avoir une attention particulière à ce sujet.
À partir de cet état des lieux détaillé, qui ne peut être que partagé par la commission, le rapport de la conférence identifie de nouvelles pistes de financement, au premier rang desquelles un renforcement du fléchage vers les transports des recettes issues de la fiscalité pesant sur ce secteur qui, pour l'heure, alimentent surtout le budget général de l'État.
La perspective de l'arrivée à échéance des concessions autoroutières, qui s'étalera de 2031 à 2036, doit également être intégrée à cette réflexion : d'une part, le produit des péages des futures concessions pourrait en effet contribuer à financer la route et les autres modes de transport et, d'autre part, le périmètre des futures concessions pourrait intégrer des portions du réseau routier non concédé - y compris décentralisé - afin de permettre une péréquation financière.
À plus court terme, la gestion de la fin des concessions nécessite une vigilance renforcée pour assurer le retour en bon état d'entretien des infrastructures concédées : cette phase critique va nécessiter un suivi attentif de la part du Parlement - et en particulier de notre commission.
Ces éléments liminaires étant posés, j'en viens aux lignes directrices du projet de budget qui nous est soumis s'agissant des infrastructures de transport. Malheureusement, le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) pour 2026 est très en deçà du cap fixé par la conférence Ambition France Transports : s'il est en légère hausse par rapport à 2025 - année blanche pour les transports, ce qui nous a fait perdre des marges d'intervention -, il reste très inférieur, de 850 millions d'euros, au budget de 2024. Cela confirme la rupture avec la dynamique positive qui avait été impulsée en 2023 à la suite de la présentation du plan d'avenir pour les transports. Les ressources de l'Afit France demeurent en outre incertaines, alors même que les dépenses qu'elle prend en charge s'inscrivent dans une perspective de long terme et nécessitent donc de la visibilité.
Face à ce constat, nous vous avons soumis il y a quinze jours, avec mon collègue Jean-Marc Délia, trois amendements visant à rehausser le niveau des ressources affectées à l'Afit France l'année prochaine au titre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) et des recettes issues du marché carbone européen. Cette fiscalité assise sur les transports n'a pas vocation à avoir une fonction de rendement budgétaire : il est essentiel qu'elle serve davantage à financer la transition écologique du secteur ainsi que nos politiques climatiques.
J'en viens à la question plus spécifique de l'état des infrastructures routières, sur lequel j'émets un signal d'alerte.
Tandis que le réseau routier national concédé présente un très bon état général, l'état du RRNNC est préoccupant : seule la moitié de ses chaussées sont en bon état et un tiers de ses ouvrages d'art présente un défaut voire une structure altérée. Ces infrastructures continuent en outre à se dégrader et leur dette grise, évaluée à 2,4 milliards d'euros, à s'aggraver.
Face à une telle spirale de dégradation, la quasi-stabilité des moyens alloués à la régénération du RRNNC par le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 est pour le moins inquiétante. Environ 700 millions d'euros sont prévus l'année prochaine pour la régénération de ce réseau, soit la moitié à peine de l'effort annuel préconisé par la conférence Ambition France Transports.
Je vous proposerai donc un amendement visant à allouer 100 millions d'euros supplémentaires l'année prochaine à la régénération de ce réseau, afin d'entamer un rehaussement de la trajectoire d'investissement le concernant. Je vous proposerai également un amendement visant à allouer une enveloppe de 50 millions d'euros à l'entretien des ouvrages d'art de l'État.
S'agissant du réseau routier décentralisé, la situation n'est guère plus rassurante. Les collectivités territoriales sont confrontées à un effet ciseaux entre, d'une part, une baisse de leurs ressources dans un contexte budgétaire contraint et, d'autre part, la hausse de leurs dépenses incompressibles, en particulier s'agissant des départements. La route pèse pourtant très lourdement dans les budgets locaux et on peut craindre, dans ce contexte, une baisse sensible des budgets routiers dès l'année prochaine. Il est urgent qu'un audit national soit réalisé afin d'évaluer de manière fiable et précise l'état du réseau routier décentralisé et les besoins d'investissement associés. Des ressources devront également être identifiées pour sécuriser les investissements en faveur des infrastructures routières locales, qui servent trop souvent de variable d'ajustement budgétaire.
S'agissant des ouvrages d'art, nous disposons d'une vision plus précise de l'état du réseau décentralisé : près de 30 % des ponts communaux et de 10 % des ponts départementaux présentent des désordres structuraux significatifs ou majeurs. Dans ce contexte, il est crucial que le programme national Ponts (PNP), qui permet de soutenir le diagnostic et l'entretien des ouvrages d'art communaux, soit inscrit dans la durée. Or, au rythme actuel de consommation des crédits, l'enveloppe du volet « travaux » du PNP (PNP Travaux) sera totalement épuisée en février prochain. Je vous ai donc soumis un amendement, il y a quinze jours, visant à allouer à ce programme la fraction d'un douzième de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance aujourd'hui redistribuée aux communes. Afin de maximiser nos chances de voir des moyens pérennes inscrits dans le PLF en faveur du PNP, je vous soumettrai également un amendement de crédit.
J'en arrive au sujet du modèle de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), qui doit être considérablement renforcé pour permettre le choc d'offre de transports collectifs rendu nécessaire par nos objectifs de décarbonation.
Dans un contexte où plus d'une AOM locale sur trois, hors Île-de-France, prélève déjà le versement mobilité (VM) à son taux plafond, il est impératif de donner aux AOM de nouvelles marges de manoeuvre financières. C'est le sens de l'amendement que nous vous avons soumis il y a quinze jours avec mon collègue Jean-Marc Délia, prévoyant d'abaisser à 5,5 % le taux de TVA sur les transports du quotidien.
Il me semble également essentiel d'exploiter les capacités de financement d'un panel de contribuables plus large que les seuls usagers et entreprise : je vous ai donc soumis il y a deux semaines un amendement visant à instaurer une taxe additionnelle à la taxe de séjour au profit des AOM, notamment sur les territoires hyper touristiques. Malheureusement, cet amendement n'a pas été adopté en séance publique. Cette piste me semble pourtant très intéressante et elle s'inscrit dans la droite ligne des conclusions de la conférence Ambition France Transports. Nous pourrions peut-être rouvrir ce débat à l'occasion de l'examen de la future loi-cadre sur les transports.
S'agissant des AOM en zones peu denses, la question du financement des mobilités est devenue un véritable serpent de mer depuis la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. Certes, l'instauration d'un versement mobilité régional et rural (VMRR) en 2025, dont une fraction de 10 % sera affectée aux AOM en zones peu denses, constitue une première avancée. Il me semble toutefois qu'elle est loin de purger le problème dans son intégralité : l'instauration du VMRR, de même que le choix du taux et du périmètre d'application, est à la discrétion des régions et le taux maximal du VMRR est, en tout état de cause, limité à 0,15 %.
Compte tenu de ces conditions et du fait que les régions se sont mobilisées de manière très différenciée, je vous soumettrai un amendement visant à assouplir les conditions pour lever le VM, en permettant de prendre en compte un panel de solutions de mobilités plus large que les seuls services réguliers de transports de personnes qui sont, comme chacun sait, rarement adaptés aux zones rurales. Il s'agit d'une solution simple et immédiate, qui répondra aux difficultés de nombreuses AOM situées dans des zones où la dépendance à la voiture est encore plus forte. Ce sujet, à mon profond regret, n'a pas été pris en considération.
S'agissant du VMRR, il serait utile que nous puissions disposer dès les prochains mois d'un premier bilan de sa mise en oeuvre, pour évaluer les montants effectivement alloués aux zones peu denses et les investissements qui pourraient en découler.
Pour terminer, je souhaite aborder la problématique de la décarbonation du parc automobile et du développement des mobilités actives.
S'agissant du verdissement du parc de véhicules, je souscris au renforcement du malus automobile prévu par le présent PLF, qui poursuit notamment la trajectoire de hausse du malus CO2 jusqu'en 2028.
Néanmoins, dans l'objectif d'encourager la sobriété du parc automobile, il serait pertinent que les dispositifs de bonus-malus ne prennent pas seulement en compte le poids et les émissions des véhicules, mais aussi le rapport poids-puissance qu'ils présentent. Nous constatons, à l'heure actuelle, une dérive : des véhicules de plus en plus lourds et de plus en plus puissants arrivent sur le marché. Or plus le véhicule est lourd, plus il est énergivore - cela est vrai aussi de sa puissance. Des véhicules frisent désormais les 200 chevaux, et atteignent les 250 dans le cas de moteurs hybrides. Est-ce bien raisonnable ? Je sais les débats que cela suscitera, mais tenais néanmoins à vous sensibiliser sur le sujet.
Nous pourrions, par exemple, inciter à l'achat de véhicules intermédiaires, légers, à mi-chemin entre le vélo et la petite voiture, présentant une empreinte écologique faible et une efficacité énergétique accrue. Le succès commercial récent du modèle Ami, produit par Citroën, démontre que ce type de véhicule - peu onéreux - peut constituer une solution de déplacement tout à fait adaptée aux besoins de nombreux Français, notamment pour les jeunes et les ménages modestes en milieu urbain - et même rural, où il est de plus en plus utilisé. D'autres constructeurs se sont lancés à leur tour sur ce créneau.
S'agissant plus spécifiquement des aides à l'acquisition de véhicules propres, le PLF pour 2026 prend acte de la débudgétisation du bonus écologique et du leasing social, qui sont désormais financés via les certificats d'économies d'énergie (C2E). Si je ne suis pas hostile, sur le principe, à ce que cet outil contribue au financement de la décarbonation du secteur, il ne doit pas pour autant se substituer à l'élaboration d'une véritable stratégie d'investissement pluriannuelle ni conduire à un affaiblissement du contrôle démocratique en la matière.
À ce titre, je m'inquiète du peu de visibilité dont nous disposons quant au montant et à la consommation des enveloppes correspondant aux programmes C2E, qui se sont d'ailleurs démultipliées ces dernières années. Une réflexion serait également opportune sur le périmètre d'intervention des C2E dont le financement repose, in fine, sur les ménages : les C2E ne disposent pas d'une enveloppe illimitée et l'intégration de dispositifs au budget conséquent, comme le leasing social, se fait nécessairement au détriment d'autres dépenses. Notre commission pourrait se pencher sur ce sujet qui entre pleinement dans le champ de ses compétences.
Bien qu'aucun crédit budgétaire ne soit donc plus prévu par le PLF sur ce sujet, je vous soumettrai un amendement de crédits pour allouer 20 millions d'euros supplémentaires au leasing social l'année prochaine, afin d'y rendre éligibles les véhicules d'occasion. Le marché du véhicule électrique d'occasion est en train de monter en puissance : il faut capitaliser sur cette dynamique pour mieux démocratiser l'accès au véhicule électrique, via les aides à l'acquisition, au profit des ménages modestes.
Je terminerai en abordant le développement des mobilités actives, secteur qui connaît depuis deux ans des stop and go budgétaires et réglementaires qui se révèlent particulièrement préjudiciables. La part modale du vélo demeure deux fois inférieure à la moyenne européenne : le potentiel de report modal vers cette solution de mobilité est donc largement sous-exploité dans notre pays.
Or, la réalisation d'aménagements cyclables sécurisés est le levier le plus efficace pour encourager la pratique du vélo. La mission d'inspection sur les violences routières et le partage de la voirie, lancée à la suite du décès tragique d'un cycliste à Paris en octobre 2024, a d'ailleurs appelé à ne surtout pas réduire les efforts financiers de l'État sur ce sujet. Malheureusement, à rebours de ces recommandations, le PLF pour 2026 témoigne d'un désengagement de l'État en matière de politiques cyclables, comme cela avait été le cas dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2025 : pour l'année prochaine, seuls 31 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement (AE) et 73 millions d'euros en crédits de paiement (CP), alors qu'une enveloppe annuelle de 250 millions d'euros avait été promise lors du lancement initial du plan vélo et marche 2023-2027. Certes, une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros a été prévue cette année via le fonds vert, mais il est en pratique très difficile de réaliser un suivi de l'utilisation effective de cette enveloppe.
Ces éléments sont d'autant plus dommageables que la filière vélo commençait à peine à se structurer et que le vélo aura un rôle important à jouer dans le cadre du déploiement des services express régionaux métropolitains (Serm). Pour relier efficacement les zones rurales, périurbaines et urbaines, les Serm vont nécessiter la mise en place d'un système inter et multimodal comprenant notamment des systèmes de rabattement cyclable.
Je vous soumettrai donc un amendement visant à allouer 50 millions d'euros supplémentaires au plan Vélo et marche 2023-2027 l'année prochaine, afin de soutenir les AOM locales dans la réalisation d'itinéraires de rabattement cyclable vers des modes de transports collectifs ou partagés. Cela permettra de renforcer la portée des plans de mobilité des intercommunalités, en articulation avec les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Cet élément est bien compris par les parties prenantes et sera, je pense, bien perçu politiquement.
Enfin, je vous proposerai un amendement visant à rétablir le bonus vélo, via une enveloppe de 10 millions d'euros : cette mesure permettait, depuis 2017, de soutenir l'acquisition d'un vélo via une aide de 150 à 2 000 euros. Sa suppression par le Gouvernement en février dernier envoie un très mauvais signal et risque de ralentir - voire d'inverser - la dynamique positive en faveur du développement de la pratique du vélo qui avait été impulsée. Mon amendement vise à remédier à cette situation.
Pour terminer, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits du PLF pour 2026 relatifs aux transports routiers.
M. Stéphane Demilly. - Je remercie le rapporteur pour l'exposé de son rapport pour avis. Mon intervention portera sur la décarbonation du parc automobile. Vous avez omis d'évoquer un sujet, pourtant important, celui des biocarburants. J'estime que le biocarburant, lorsqu'il est produit intelligemment, est un plus environnemental, économique et stratégique en matière d'indépendance énergétique.
Vous le savez, monsieur le rapporteur, les hausses de taxation initialement prévues sur le superéthanol E85 et le B100 - respectivement de 380 % et de 400 % - ont été proposées sans véritable dialogue avec les acteurs concernés ni d'évaluation de leur impact. J'ai fait annuler cette mise à mort du biocarburant par un amendement qui a été voté à l'article 5.
Les biocarburants issus de productions agricoles françaises jouent un rôle conséquent dans la transition énergétique. Leur filière mobilise 120 000 agriculteurs et 30 000 salariés, tout en participant efficacement - cela a été démontré à maintes reprises par l'Ademe (l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, dite Agence de la transition écologique) - à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La hausse de taxation envisagée diminuerait donc l'impact de l'incitation environnementale et inviterait surtout les automobilistes, comme les transporteurs, à revenir vers des carburants fossiles importés et nettement plus émetteurs. Les transporteurs ont pourtant investi ces dernières années dans des flottes captives compatibles avec des carburants renouvelables ; cela remettrait donc en cause les efforts de transition qu'ils ont engagés. Cette hausse risquerait également de désarmer nos filières face à des importations à bas coût et d'encourager indirectement des pratiques agricoles et industrielles peu compatibles avec les objectifs climatiques que nous portons au niveau européen.
Quelle est votre opinion sur cette hausse de taxation envisagée pour le superéthanol E85 et le B100 ?
M. Jacques Fernique. - Je remercie le rapporteur pour son travail et pour ces éléments de diagnostic et de perspective. J'avoue mon incompréhension quant à l'avis qu'il nous propose de rendre. Nous exposer tout ce qu'il faudrait faire évoluer pour que le PLF pour 2026 soit utile à la décarbonation et à la transition de nos mobilités et terminer en se déclarant favorable aux crédits proposés par le Gouvernement : quel formidable oxymore !
Premièrement, les éléments nécessaires pour nous inscrire dans la trajectoire de l'entretien et de la régénération du réseau routier en abondant de 700 millions supplémentaires les ressources de l'Afit France, tel que la conférence Ambition France Transport l'a préconisé, font défaut. Le PLF n'inclut pas non plus les financements nécessaires aux AOM afin qu'elles réussissent leur choc d'offre de transports collectifs. Les votes, hier encore, de la majorité sénatoriale en séance publique ne sont pas prometteurs de ce point de vue.
Quant au programme national ponts, il y a vraiment péril en la demeure, et le Sénat s'est suffisamment engagé sur ces enjeux pour ne pas laisser faire : 30 % des ponts communaux, 10 % des ponts départementaux et 7 % des ponts nationaux non concédés sont en mauvais état - et il ne s'agit que des plus dégradés. Les crédits prévus par le PLF seront épuisés dès la fin du mois de février. Par ailleurs, si nous n'agissons pas pour les autres ponts, ils se retrouveront tous en classe 4 d'ici à une dizaine d'années.
En outre, la trajectoire financière du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) s'apparente à terme à une mort programmée ; or nous avons besoin de disposer d'une forte expertise publique en la matière. Si le PNP s'arrêtait, cette expertise disparaîtrait assez rapidement.
Deuxièmement, les aides à l'électromobilité dépendent de la « panacée » des C2E ; nous avons néanmoins besoin d'un pilotage public. À ce sujet, la prime à la conversion manque cruellement. Les dispositifs qui ont été imaginés sont en panne avant même d'avoir démarré. En outre, le dispositif d'aide à l'électromobilité ne prévoit pas de possibilités de leasing suffisamment poussées. L'amendement sur l'électrique d'occasion est, à ce titre, bienvenu.
Enfin, l'élan du plan vélo et marche 2023-2027 a été brisé pour des raisons budgétaires. Nous en observons aujourd'hui les conséquences : la réussite de l'ambition des Serm est compromise. Les amendements sur ce sujet sont donc bienvenus.
Il est également essentiel d'observer le retard que nous prenons, par exemple, sur l'Allemagne. Un vélo électrique sur deux y est acquis par leasing social, avec des réductions des prix de 30 % à 40 %, via un mécanisme de conversion salariale. En France, seulement 2 000 vélos ont été acquis grâce à ce dispositif. Cette filière est en difficulté depuis deux ans du fait d'une baisse importante de ses ventes - notamment celles de vélos à assistance électrique. Favorisons les flottes d'entreprise et le leasing social, afin de préserver l'essor de cette filière !
Aussi, nous voterons tous les amendements proposés, en espérant qu'ils seront adoptés en séance publique. En revanche, nous sommes défavorables à l'adoption des crédits relatifs aux transports routiers.
M. Ronan Dantec. - J'aimerais revenir sur les propos de M. Demilly.
Tout d'abord, les biocarburants sont, en effet, exonérés d'accises, mails ils bénéficient de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert), qui, certes, évoluera. Ne livrons pas une vision quelque peu biaisée de la situation, il existe deux systèmes de soutien aux biocarburants à l'heure actuelle.
Lors d'une table ronde avec les services de l'État, il y a quelques jours, j'ai appris que la marge dégagée sur la production de biocarburants a été estimée à environ 40 %, ce qui revient à bénéficier d'une niche fiscale. Il n'y a donc aucune raison que les biocarburants ne participent pas, par l'accise, aux ressources de l'État.
Par ailleurs, la filière des biocarburants n'évoluera plus beaucoup. Elle produit, depuis 2014, à peu près les mêmes quantités : 3 % à 4 % des besoins en carburants en France pour 3 % de la surface agricole utile. Il n'y a aucune raison, pour une filière mature dont la marge est aussi importante, de maintenir un tel cadeau fiscal pour le groupe Avril, d'autant plus dans un contexte de restriction budgétaire et de chasse aux niches fiscales indues par la majorité sénatoriale.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Merci, monsieur le rapporteur, pour l'excellence de vos propos.
Vous avez proposé d'allouer 50 millions d'euros supplémentaires au PNP. Cette somme est-elle destinée au PNP, c'est-à-dire aux collectivités locales, ou à la rénovation des ponts et des ouvrages d'art de l'État ?
M. Alexandre Basquin. - Le constat que vous faites est fondé, mais particulièrement amer d'autant que, à l'instar de l'exercice précédent, les budgets sont particulièrement contraints. Cela démontre le manque de moyens dévolus au transport de manière globale et plus particulièrement au transport routier.
Ainsi, nous rétropédalons, si je puis dire, sur le plan vélo et marche 2023-2027 ; les moyens attribués aux AOM sont insuffisants ; un manque d'investissements dû à la réduction des moyens accordés aux collectivités locales ; et les crédits alloués au réseau national ne répondent que pour moitié aux efforts qui devraient être consentis annuellement.
Bref, une fois de plus, les crédits relatifs au transport routier baissent en raison d'une politique de diminution des déficits publics.
Les amendements proposés vont dans le bon sens, mais ils sont loin d'être suffisants pour pallier le manque de moyens. Par conséquent, nous voterons les amendements, mais ne serons pas favorables à l'adoption des crédits.
M. Jean Bacci. - Je remercie le rapporteur pour son travail. Je formulerai quelques remarques.
Premièrement, je rejoins les propos de M. Demilly au sujet de la taxation des biocarburants. Même si la production de biocarburants ne concerne que 3 % de la surface utile agricole, ils permettent souvent à l'agriculteur de rentabiliser son activité.
Deuxièmement, on taxe de plus en plus les véhicules lourds, alors qu'ils sont sécuritaires et confortables. On veut privilégier les véhicules légers, mais les modèles de voiture tels que l'Ami de Citroën, ou la Spring de Dacia sont à la limite de la dangerosité au vu des crash-tests !
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Mon collègue Jean-Marc Delia et moi-même avons considérablement renforcé les moyens affectés à l'Afit France. Au regard de l'évaluation des moyens financiers nécessaires, une rallonge de 750 millions d'euros est tout de même proposée, ce qui n'est pas rien. C'est la raison pour laquelle j'ai donné un avis favorable au projet de budget. Je vous dis les choses telles qu'elles sont : je pense que nous sommes dans un cheminement constructif, objectif et nécessaire avec le ministre des transports.
Ensuite, le sujet des biocarburants est très sensible. Le Sénat ne prévoit pas, actuellement, d'augmentation de la fiscalité. Cependant, une évolution à la hausse de l'accise - si celle-ci est progressive, acceptable et prend en compte les modèles économiques existants des acteurs de ce marché mature - me paraît justifiée et logique, et j'y suis plutôt favorable.
Monsieur Bacci, les véhicules lourds et puissants sont certes plus sécuritaires et confortables, mais qui est en mesure de les acquérir ? L'Ami correspond à une catégorie de véhicules urbains qui ne dépassent pas 45 kilomètres par heure. Ils rejoignent en quelque sorte les véhicules sans permis ; ces véhicules respectent les normes correspondant à leur puissance et sont soumis à des règles de circulation particulières.
J'alerte simplement sur la dérive croissante vers des véhicules de plus en plus lourds et de plus en plus puissants. Il sera nécessaire de s'intéresser à cette question à un moment donné dans la mesure où le système de bonus-malus écologique ne porte, actuellement, que sur le poids des véhicules. À l'inverse, les véhicules de 250 chevaux sont aussi des bombes en puissance en termes d'accidentologie. Regardez quels types de véhicules sont utilisés par les vendeurs de stupéfiants ! Des véhicules hyperpuissants qu'ils conduisent de manière hyper dangereuse.
Monsieur Corbisez, un amendement concerne bien les ouvrages d'État, tandis que l'autre vise à réaffecter des moyens au PNP à destination des communes.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1416 vise à allouer 50 millions d'euros supplémentaires au programme 203 « Infrastructures et services de transports », au profit d'une nouvelle action dédiée au PNP. En effet, au rythme actuel de consommation des crédits, l'enveloppe de 55 millions d'euros dédiée au PNP sera bientôt totalement épuisée.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Le budget initial était de 50 millions d'euros. Vous proposez de le porter à 100 millions d'euros ?
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Les 55 millions d'euros de crédits qui bénéficiaient au PNP Travaux seront épuisés au mois de février prochain et aucun nouveau crédit n'est prévu par le PLF 2026. Il s'agit donc de prévoir une nouvelle enveloppe, à hauteur de 50 millions d'euros.
L'amendement n° II-1416 est adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1417 a pour objet d'allouer 100 millions d'euros supplémentaires à la régénération du RRNNC en 2026. Ce réseau est dans un état très préoccupant, qui s'aggrave d'année en année.
La conférence Ambition France Transports préconise de porter à 1,4 milliard d'euros les efforts en faveur de la régénération du RRNNC, soit 700 milliards d'euros supplémentaires chaque année. Notre amendement constitue un premier pas vers la résorption de la dette grise du RRNNC, ou permettra du moins d'éviter qu'elle ne s'aggrave davantage.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Je m'abstiendrai sur cet amendement.
Permettez-moi de le rappeler : notre commission a mené, en 2018, à la suite de l'effondrement du pont de Gênes, une mission d'information sur la sécurité des ponts, qui a rendu son rapport l'année suivante. Nous étions alors très inquiets à l'idée de placer les collectivités locales devant une nouvelle responsabilité : prévoir un financement dédié à la rénovation de leurs ouvrages d'art. Auparavant, jamais un maire n'avait imaginé se retrouver un jour dans l'obligation de rénover un ouvrage d'art ; certaines communes ignoraient même qu'elles étaient propriétaires d'un tel ouvrage.
Alors que le programme national ponts recense toutes les communes concernées par un ouvrage d'art problématique, on ne peut accepter de ne doter le PNP que de 50 millions d'euros ! Quitte à proposer un financement supplémentaire, pourquoi ne pas l'affecter directement au programme national ponts en faveur des collectivités locales ?...
Dans ma circonscription, le Cerema m'a indiqué que je devrais attendre dix ans minimum avant d'envisager qu'un ouvrage d'art en mauvais état soit rénové. Or nous proposons de donner de l'argent à l'État pour qu'il entretienne ses routes nationales ! Il y a des limites ! Doublons plutôt les 50 millions d'euros affectés au PNP.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - Monsieur Corbisez, j'entends votre argument ; vous pourrez déposer un amendement en ce sens en séance publique. Cela dit, la dette grise du réseau ferroviaire et du réseau routier doit aussi être prise en considération à l'échelle nationale. Si nous ne le faisons pas maintenant, y compris dans le cadre du programme national, nous le paierons de toute façon demain.
Je partage votre avis au sujet du PNP. Nous essayons de trouver une voie pour que notre amendement puisse être accepté par le Gouvernement et la commission des finances.
L'amendement n° II-1417 est adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1418 a pour objet d'allouer 50 millions d'euros supplémentaires à l'entretien et à la réparation des ouvrages d'art de l'État, dont le tiers présente aujourd'hui un défaut ou une altération de la structure.
L'amendement n° II-1418 est adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1419 prévoit d'allouer 50 millions d'euros supplémentaires au plan vélo et marche 2023-2027 dès l'année prochaine, après l'année blanche de 2025. Le PLF pour 2026 prévoit des niveaux de crédits très modestes pour le vélo : 31 millions d'euros d'AE et 73 millions d'euros en CP, loin de l'enveloppe de 250 millions par an qui avait été promise.
Cet amendement vise à éviter un désengagement de l'État sur le sujet. Il s'inscrit en outre dans une logique d'appui à l'intermodalité au sein des intercommunalités.
L'amendement n° II-1419 est adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1420 vise à rétablir le bonus vélo, qui avait été supprimé par le Gouvernement en février 2025. Ce dispositif permettait de soutenir l'achat d'un vélo, notamment électrique, grâce à une subvention pouvant aller de 150 à 2 000 euros. Sa suppression est un mauvais signal et risque d'enrayer la dynamique positive qui avait été impulsée au profit du vélo depuis 2017. Nous proposons de le rétablir grâce à une enveloppe de 10 millions d'euros.
L'amendement n° II-1420 est adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1421 vise à allouer 20 millions d'euros supplémentaires au leasing social l'année prochaine, afin d'y rendre éligibles les véhicules d'occasion. Il convient de tirer parti de la montée progressive en puissance du marché du véhicule d'occasion pour soutenir l'accès à la mobilité électrique des ménages les plus modestes.
Dans un contexte d'arrivée de véhicules électriques d'occasion sur le marché, cet amendement constituera un signal important adressé aux ménages modestes, qui ne peuvent acquérir un véhicule électrique neuf. Un « coup de pouce » leur est ainsi accordé sous conditions de ressources.
L'amendement n° II-1421 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports routiers, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
M. Jean-François Longeot, président. - Avant de clore nos échanges du jour sur le PLF 2026, je tenais à vous informer qu'un amendement de première partie déposé il y a quinze jours au nom de notre commission par le rapporteur sur les transports routiers, M. Hervé Gillé, a été rectifié pour être rendu identique à un amendement du Gouvernement.
Il s'agit de l'amendement n° I-1059 rectifié bis qui vise à flécher vers l'Afit France, au profit du PNP, la fraction d'un douzième du produit de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance (Teild) qui bénéficie aujourd'hui au bloc communal pour l'exercice de la compétence voirie.
Le Gouvernement a déposé lundi un amendement suivant le même objectif, qui différait néanmoins sur la forme, et qui a recueilli un avis favorable de la commission des finances. Nous avons donc procédé à la rectification de l'amendement de la commission pour le rendre identique à celui du Gouvernement, qui a toutes les chances d'être adopté en séance publique.
En conséquence, l'amendement n° I-1060 de la commission a été retiré. Cet amendement, qui visait à rehausser en conséquence le plafond d'affectation à l'Afit France du produit de la Teild, est en effet satisfait par l'amendement I-1059 rectifié bis de la commission.
« Pour l'efficacité de la Gemapi : des territoires solidaires » - Présentation du rapport d'information et échanges
M. Jean-François Longeot, président. - Nous arrivons au dernier point de notre ordre du jour consacré à la présentation du rapport d'information de nos collègues Rémy Pointereau, Hervé Gillé et Jean-Yves Roux sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la fameuse « Gemapi », au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Dans le prolongement de notre mission, nous entendons déposer, courant décembre, une proposition de loi qui traduira plusieurs de nos orientations. Nous avons hâte de pouvoir débattre avec vous ce matin pour entendre vos avis et suggestions.
Permettez-moi tout d'abord de vous communiquer quelques éléments de contexte : notre mission, que l'on pourrait qualifier de « mission fleuve », a été nourrie par plus de trente-cinq auditions et quatre déplacements en Gironde, dans le Lot-et-Garonne, le Cher et les Alpes-de-Haute-Provence. Nous avons reçu plusieurs dizaines de contributions écrites témoignant de l'inquiétude que suscite l'exercice de la compétence Gemapi parmi les élus locaux.
Comme vous le savez, la Gemapi, créée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « Maptam », est née d'un mariage quelque peu forcé entre la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, le bloc de compétences de la prévention des inondations ayant été introduit par voie d'amendement. C'est la raison pour laquelle la Gemapi n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, alors que le bloc de compétences de la prévention des inondations soulève pourtant de lourds enjeux en matière de responsabilité.
Nous l'avons constaté à de nombreuses reprises ces derniers mois : les difficultés de mise en oeuvre de la compétence Gemapi tiennent autant à son périmètre, dont la définition reste débattue, qu'à la forte hétérogénéité territoriale en matière de risque d'inondation. Au-delà du contenu de la compétence, c'est bien la complexité de son exercice qui nous a frappés. Nos interlocuteurs ont décrit des surcoûts de l'ordre de 5 % liés aux exigences réglementaires. J'y ai d'ailleurs découvert, en tant que premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, chargé de la simplification, un vaste champ à explorer.
Ces surcoûts s'expliquent notamment par de nombreuses études techniques préalables exigées avant de pouvoir mettre en oeuvre les programmes de travaux. Ces études coûtent cher, très cher ! S'y ajoutent des délais d'instruction souvent excessifs, voire des contradictions entre services de l'État, en l'absence d'un système de déclaration unique. Nous avons pu constater à quel point les élus locaux étaient pris en étau entre des normes rigides, des expertises coûteuses et des financements inutiles.
Avant de revenir sur la situation des digues domaniales - sujet très concret, mais très onéreux, puisque la rénovation d'un kilomètre de digues peut coûter jusqu'à 1 million d'euros, je vais céder la parole à mon collègue Hervé Gillé, qui abordera notamment le transfert des digues domaniales.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous pouvons dresser trois grands constats à propos de la Gemapi : nous devons simplifier pour agir plus vite, car les délais de mise en oeuvre peuvent actuellement être considérables ; nous devons promouvoir les solidarités entre les territoires ; enfin, nous devons clarifier la gouvernance.
La complexité des procédures liées à la Gemapi freine en effet sa mise en oeuvre, ses autorités gestionnaires faisant face à une série d'obstacles concrets et à des procédures très lourdes.
Au cours de notre mission, les élus de Val de Garonne Agglomération nous ont par exemple expliqué que, lors de la crue décennale de 2021, plusieurs digues de l'agglomération situées sur un territoire à risque important d'inondation (TRI) avaient rompu. Le recours à la procédure classique, impliquant une étude géotechnique, un avis préalable et une procédure d'autorisation, aurait laissé des centaines d'habitants et d'exploitants agricoles sans protection pendant de longs mois. Face à l'urgence, une procédure de marché public en urgence impérieuse a été nécessaire et les études géotechniques ont été menées a posteriori pour valider les réparations, ce qui montre bien les limites des procédures ordinaires.
En Gironde, les élus de la communauté de communes de Montesquieu ont fait état de délais d'instruction souvent dépassés et ont regretté la saturation des bureaux d'études agréés, qui doivent obligatoirement être consultés pour les études géotechniques. La labellisation des programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) reste trop souvent fastidieuse, les cabinets extérieurs n'arrivant pas à répondre à la demande.
Les collectivités locales pourraient bénéficier d'un accompagnement dans l'élaboration de chaque cahier des charges, ce qui souligne l'intérêt d'opérateurs tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
Dès lors, dans la continuité de la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, adoptée par le Sénat le 6 mars 2025, nous réitérons plusieurs pistes afin de simplifier les procédures.
Nous suggérons ainsi de créer un guichet unique sous l'autorité d'un préfet coordonnateur de bassin pour instruire les demandes d'autorisation, de financement et d'accompagnement des actions inscrites dans les « Papi ». Nous proposons aussi, de manière plus innovante, la création d'un agrément technique qui pourrait être délivré par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) sur les modèles des agréments pour les digues et les barrages, afin d'alléger les procédures administratives pour les structures gemapiennes. Certains syndicats et établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) sont montés en compétence, et, dans ce cas, il n'est pas forcément nécessaire de passer sous les fourches caudines de l'État ; il serait possible d'agréer des EPTB qui sont d'ores et déjà labellisés afin d'agir plus rapidement et plus efficacement.
J'en viens à la nécessité de corriger les inégalités territoriales, alors que la solidarité entre les territoires d'amont et d'aval reste balbutiante. Nous sommes très favorables à l'instauration d'un fonds de solidarité pour la Gemapi, qui avait d'ailleurs été préconisée par le rapport de la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, présenté par Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin. Nous le répétons ici : l'augmentation du plafond de la taxe Gemapi proposée par le Gouvernement dans le cadre du PLF pour 2026 n'est qu'un pis-aller. Loin de répondre aux disparités territoriales, cette mesure risquerait même de les aggraver. La promotion d'une véritable solidarité entre l'amont et l'aval des bassins est donc un préalable indispensable.
Je rappelle que les enjeux peuvent être très variables, et que les problèmes doivent parfois être pris en charge sur un grand linéaire, à l'échelle d'une ou de plusieurs intercommunalités. La Garonne, par exemple, prend sa source dans les Pyrénées espagnoles et s'étend jusqu'à Villeneuve-d'Ornon. Dans le cas de grands fleuves tels que la Loire, il est plus difficile de convaincre les intercommunalités de puiser dans leurs ressources afin de participer à la solidarité amont-aval, tandis que des crédits pourraient être affectés directement à l'ensemble du linéaire via un fonds de solidarité.
Ce mécanisme aurait vocation à être déployé idéalement à l'échelle des EPTB ou, en leur absence, à l'échelle des agences de l'eau, permettant ainsi d'attribuer des financements selon des critères objectifs qui tiendraient compte du potentiel fiscal des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et de leur exposition au risque, du linéaire des digues ou encore du montant des travaux inscrits dans le cadre des Papi.
Un débat pourrait s'engager, lors de l'examen de la proposition de loi que nous comptons déposer, sur la bonne place du curseur entre impératif de solidarité et acceptabilité politique.
Enfin, au-delà des questions de financement, des ajustements institutionnels nous paraissent souhaitables pour rendre la gouvernance plus transparente et plus fluide. Les auditions que nous avons menées ont révélé un manque de transparence dans certains budgets intercommunaux. Les recettes et dépenses relatives à la Gemapi sont souvent noyées parmi d'autres compétences. Pourtant, l'article 1530 bis du code général des impôts prévoyait initialement un budget annexe obligatoire garantissant la traçabilité des flux. Sa suppression a fragilisé la lisibilité financière. Il nous semble dès lors souhaitable de rétablir le budget annexe « Gemapi » afin d'identifier clairement les dépenses liées à cette compétence et celles relevant d'autres politiques. Cela permettrait une transparence réelle sur les moyens mobilisés, les financements et les programmes d'action.
Par ailleurs, il paraît important d'améliorer la circulation de l'information entre l'EPCI et le syndicat mixte délégataire de la compétence en matière de Gemapi. Nous préconisons que les membres des syndicats chargés de la Gemapi soient obligatoirement des conseillers communautaires, ce qui n'est pas toujours le cas. Nous constatons souvent une rupture, dans le cas de délégations à des syndicats mixtes, entre les membres investis dans les travaux du syndicat et l'intercommunalité, avec à la clé des difficultés lors du vote des budgets.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Les travaux que nous avons menés au sein de la délégation aux collectivités territoriales ont largement confirmé les diagnostics établis avec notre collègue Jean-François Rapin dans le cadre de la mission conjointe relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, que nous avions présentée devant votre commission. Les capacités d'action des élus locaux restent entravées, malgré leurs efforts pour s'approprier la compétence Gemapi.
Hervé Gillé en a fait état : la multiplication des études préalables exigées avant de procéder aux travaux sur les ouvrages de prévention des inondations pénalise les territoires faiblement dotés en ingénierie. La proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, déposée à la suite du rapport de la mission conjointe et adoptée à l'unanimité en mars 2025, avançait plusieurs pistes pour simplifier les procédures. Au sein de la délégation, nous reprenons à notre compte ces propositions et insistons sur l'importance de permettre aux autorités gemapiennes de se substituer aux propriétaires riverains pour les actions de gestion courante des cours d'eau, notamment l'effacement des embâcles.
Il paraît également nécessaire de garantir aux autorités gemapiennes un droit d'accès aux emprises, y compris en phase d'études. Aujourd'hui, des propriétaires privés peuvent refuser l'accès aux ouvrages, paralysant les diagnostics. Des élus d'intercommunalités faiblement peuplées nous ont fait part de leur désarroi. Nous recommandons le développement des conventions partenariales entre le Cerema et les autorités gemapiennes, qui ont fait leurs preuves en plusieurs circonstances. Nous estimons que le Cerema, qui dispose d'un savoir-faire reconnu, pourrait jouer un rôle de véritable tiers de confiance technique, à condition que ses moyens le permettent.
Plutôt que de chercher à définir un cadre juridique pour la gestion de la Gemapi, illusoire au regard de la diversité des situations locales, nous proposons d'encourager la solidarité à l'échelle des bassins versants, en conservant un certain niveau de souplesse. Des mécanismes de péréquation sont indispensables entre l'amont et l'aval, et vice-versa, pour corriger les inégalités de capacité contributive et mieux prendre en compte la nature des risques. Trop souvent, des territoires situés au versant des bassins - c'est le cas des Alpes-de-Haute-Provence, peu peuplées, exposées aux inondations, mais aussi aux crues torrentielles -peinent à financer les ouvrages qui bénéficient aux territoires urbanisés situés en aval, et qui disposent de capacités contributives bien supérieures. L'architecture de la taxe Gemapi perpétue de facto les disparités qui existent au sein d'un même bassin versant, puisqu'elle ne peut excéder 40 euros par foyer au sein de la population retenue pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Permettez-moi d'illustrer mon propos : la communauté de communes des lacs et gorges du Verdon compte 11 000 habitants et perçoit 900 000 euros de recettes de taxe Gemapi, en accord avec le plafond de 40 euros par foyer. Or elle doit financer 15 millions d'euros de travaux d'entretien des gorges du Verdon ! Dans les Alpes-Maritimes, voisines du Var, l'enjeu est également très important. Les petites intercommunalités sont donc pénalisées. La peine est double pour les autorités gemapiennes de montagne qui doivent de plus s'adapter à un cadre juridique inadapté, répondant plutôt à une approche fluviale. Dès lors, nous réitérons la troisième recommandation du rapport de la mission conjointe de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances relative aux inondations, qui préconisait l'instauration d'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi à l'échelle des bassins versants. La proposition de loi que nous avons pour ambition de déposer visera à donner une traduction concrète à cette préconisation.
Permettez-moi enfin d'évoquer un sujet qui a cristallisé l'inquiétude de nombreux élus locaux, celui des assurances. Notre collègue Jean-François Rapin et moi-même avions alerté, dans le cadre de la mission conjointe de nos deux commissions, sur le décalage croissant entre la surprime « Cat-Nat » et les montants effectivement alloués au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), ou fonds Barnier. Or force est de constater que le rehaussement de la surprime de 12 % à 20 %, prévu au 1er janvier 2025, ne s'est pas traduit par une augmentation dudit fonds Barnier dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, ce que nous ne pouvons que regretter.
Nous avons pu constater, lors de nos déplacements et auditions, la détresse des autorités gemapiennes confrontées à des difficultés croissantes pour assurer leurs ouvrages. Le précédent gouvernement avait certes annoncé, en avril 2025, lors du colloque sur l'assurabilité des territoires, la création d'une cellule d'accompagnement ad hoc, CollectivAssur. Cette mesure permettra-t-elle de répondre efficacement aux difficultés des gestionnaires d'ouvrages ? C'est une question que nous nous posons.
Outre qu'il conviendrait sans doute de faciliter le recours au médiateur du crédit en élargissant son accès aux collectivités pour qu'elles puissent dialoguer avec les assureurs, il nous semble nécessaire de prévoir des conditions d'assurance plus équitables pour les communes, ce qui supposerait des conditions d'assurance plus avantageuses pour les gestionnaires, justifiant de la mise en oeuvre ou de l'approbation d'un programme de prévention des risques, au travers, par exemple, d'une réduction de la franchise d'assurance.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Je conclurai notre intervention en revenant tout d'abord sur l'enjeu très épineux du transfert de la gestion des digues domaniales. Le caractère précipité de ce transfert et l'évaluation très incomplète du patrimoine transféré font peser une charge non compensée sur les EPCI. Le coût des travaux de réhabilitation des digues n'a pas seulement été sous-estimé ; il n'a souvent même pas été évalué. Aucun état des lieux n'a été réalisé préalablement au transfert.
À la suite de la publication de notre rapport, nous avons réalisé une étude d'options au sein de la délégation aux collectivités territoriales afin de proposer une première estimation des besoins de financement liés à la rénovation du parc de digues, dans la perspective du dépôt de notre proposition de loi.
Il en ressort un reste à charge grandissant : l'écart entre les recettes et les dépenses nécessaires à la rénovation du parc de digues est susceptible de tripler d'ici à 2035, sous l'effet d'une plus forte hausse des dépenses que des recettes. On peut estimer que la remise à niveau du parc nécessitera de mobiliser près de 14 milliards d'euros d'ici à 2035, avec un besoin additionnel de 3 à 4 milliards d'euros non compensé pour les autorités gemapiennes.
L'étude d'options conclut par ailleurs qu'une surtaxe de seulement 0,5 euro par habitant permettrait de dégager environ 25 millions d'euros par an, soit en moyenne 600 000 euros par EPTB, permettant de financer leurs frais de fonctionnement et de renforcer la coordination et la solidarité à l'échelle du bassin.
À titre d'exemple, la Loire est gérée à la fois par l'établissement public Loire - en charge d'Orléans, de Blois, de Tours et d'Angers -, dont la capacité contributive est forte, et par des EPCI. Dans mon seul département du Cher, trois EPCI ont chacun la charge d'environ 20 kilomètres de digue, correspondant à des besoins de financement de près de 20 millions d'euros. Or la capacité contributive de chacun de ces EPCI n'est que de 200 000 à 300 000 euros, pour 10 000 à 15 000 habitants.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que regretter l'écart massif d'au moins 150 millions d'euros entre les prélèvements « Cat-Nat » sur les contrats d'assurance et les financements qui sont alloués au fonds Barnier. Alors que ces financements devraient atteindre selon les estimations plus de 470 millions d'euros, consacrés uniquement aux catastrophes naturelles, près de 230 millions d'euros alimentent d'autres lignes budgétaires ou le budget général de l'État.
Face à l'ensemble des défis auxquels sont confrontés les élus locaux dans l'exercice de la Gemapi, nous entendons faire oeuvre utile au travers de la proposition de loi que nous déposerons, je l'espère, avant la fin du mois de décembre. Nous sommes naturellement intéressés par toute disposition complémentaire que vous souhaiteriez voir apparaître dans ce texte et dont nous pourrions débattre ce matin.
M. Ronan Dantec. - Je partage pleinement vos conclusions.
Nous rencontrons en effet des problèmes de mutualisation. L'amont paie pour l'aval, dont la capacité contributive est généralement plus élevée en raison de la concentration de grandes villes, qui devraient contribuer à leur propre protection. Nous devons aussi simplifier et permettre aux autorités gemapiennes de se rendre sur le terrain.
J'ajoute un point que vous n'avez pas mentionné : les digues maritimes relèvent également de la Gemapi, et certains petits EPCI exposés à des risques de submersion extrêmement importants doivent prendre en charge des travaux qui dépassent largement leur capacité contributive. Il convient de ne pas les oublier.
Par ailleurs, ne faudrait-il pas prévoir une gouvernance plus cohérente entre les agences de l'eau, gestionnaires de tous les prélèvements sur l'eau, et la Gemapi ? Pourriez-vous nous apporter un complément d'information sur la manière dont la Gemapi s'intègre au sein de la gouvernance globale de l'eau en France ?
Enfin, même si je partage évidemment la logique du fonds Barnier, je veux aussi souligner que la digue n'est pas toujours la meilleure solution. Il est parfois moins coûteux de prévoir des terrains d'expansion, qui peuvent être inondés en cas de besoin.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Grâce au rapport d'information conjoint de la commission de l'aménagement du territoire et de la commission des finances de Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin, mon département du Pas-de-Calais dispose désormais, en préfecture d'Arras, d'un haut fonctionnaire chargé de la problématique des ruissellements et des inondations Gemapi.
Il arrive en effet que la capacité contributive de certaines communes situées en amont soit drastiquement inférieure à celle de communes situées en aval, dans les zones plus urbaines. Or si nous négligeons d'agir en amont, l'aval se retrouve noyé. J'ai souvenir, lors d'une inondation à Draguignan, de l'évacuation de pensionnaires de la prison en Zodiac. La notion de mise en commun de la Gemapi au sein d'un EPTB est donc importante, à condition que ce dernier s'en tienne strictement au périmètre.
Permettez-moi d'illustrer mon propos : dans le département du Nord, une grande usine qui fabrique une célèbre boisson gazeuse américaine vient puiser l'eau de qualité dont elle a besoin dans le marais de l'Audomarois. Or l'installation de quatre usines de fabrication de batteries, dont deux usines de restructuration de batteries usagées, très consommatrices d'eau, a été annoncée dans le Dunkerquois. La préfecture a estimé que leur consommation d'eau cumulée atteindrait 10 à 14 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires par an.
Les élus du Pas-de-Calais siégeant à l'EPTB s'interrogent sur les conséquences d'un tel prélèvement d'eau dans le marais de l'Audomarois, notamment en été, aussi bien au niveau de la faune et de la flore que de la sécheresse des argiles présentes dans la zone, qui peut avoir des conséquences graves sur le bâti situé au-dessus. Dans cet exemple précis, nous craignons que l'EPTB excède ses compétences et nous souhaitons éviter que l'on « serve Paul pour assécher Jacques »...
Il est certain que lorsqu'un bassin versant s'étend sur un département voisin, ceux-ci doivent être associés ; nous sommes donc très favorables à cette disposition, à condition qu'elle soit cantonnée à la compétence Gemapi et qu'elle ne vienne pas contrecarrer l'évolution de la faune et de la flore dans des secteurs tels que l'Audomarois.
M. Jean Bacci. - Les règles et procédures doivent être simplifiées avant d'être gelées. L'exemple des inondations de Draguignan, en 2010, est, à ce titre, instructif. Le Var et l'Argens ont débordé et occasionné de très importants dégâts à l'embouchure, près de Roquebrune, dans la plaine agricole.
Un Papi de première intention, prévoyant 110 millions d'euros de travaux intégralement financés, a été élaboré dans les deux années suivantes. La liaison amont-aval a été assurée et l'agence de l'eau nous a apporté plus de la moitié du financement. Les choses se sont déroulées de façon presque idyllique ! Les travaux ont commencé en amont, puis vers le centre, et les inondations ont cessé.
Mais il en va des inondations comme des incendies : lorsqu'il n'y a plus de catastrophe, on en oublie le risque ! Les travaux validés par les services de l'État, la Dreal en particulier, n'ont pas été intégralement réalisés, en raison de dispositions qui protégeaient ici la petite fleur, ici le couple de crapauds. Dix ans après, lorsque je suis entré au Sénat, seule la moitié des travaux avait été réalisée ; nous avions en revanche perdu toutes les autres subventions.
M. Jean-François Longeot, président. - Cela relève du bon sens.
M. Clément Pernot. - Je peux en témoigner en tant qu'ancien président d'une communauté de communes : la Gemapi préoccupe vivement les élus locaux.
Cette fameuse compétence Gemapi a été transférée aux présidents des communautés de communes par les parlementaires. J'ai constaté avec étonnement que bon nombre de mes collègues avaient à leur tour choisi de déléguer cette compétence encombrante à d'autres structures. Ce n'est pas la bonne solution, car les élus du territoire perdent alors la maîtrise d'un sujet essentiel, qui peut avoir des conséquences gravissimes : les inondations et la qualité de l'eau.
Par la suite, les élus locaux ont obtenu la possibilité de prélever une taxe Gemapi. À l'échelle de notre territoire, qui ne rencontre pas de souci majeur d'inondations, nous ne l'avons pas prélevée. Mais un beau jour, nous avons été convoqués par le préfet, qui nous a pour ainsi dire « fait la leçon » et presque adressé des injonctions, car, après analyses, la qualité de nos petits ruisseaux n'était apparemment pas aussi exemplaire que nous le pensions. La situation a été difficile à gérer : nous parlons souvent de dette « grise » ; dans ce cas-là, il s'agissait d'une dette « super grise », car rien n'avait été fait préalablement au transfert de la compétence...
Dans une optique d'optimisation de la Gemapi, il me semble donc que le schéma retenu a tout son sens. L'autorité la plus à même de gérer ces sujets, car la mieux dotée en intelligence, en compétence et en efficacité est bien le département - après tout, combien d'entre eux portent le nom d'une rivière ou d'un fleuve ?
Je n'ai, certes, pas consulté l'Assemblée des départements de France (ADF) avant de tenir ce propos - je ne peux donc affirmer qu'elle y souscrit -, mais mon expérience d'ancien président de département et de président de communauté de communes me porte à connaître la force de l'appui qu'un président de département peut apporter à une communauté de communes, en associant à la compétence Gemapi son pouvoir politique et sa capacité contributive. De plus, les départements sont la collectivité des solidarités ; les plus à même de l'orchestrer.
Je souscrirai pleinement à vos propositions.
M. Jean-François Longeot, président. - Les départements sont, en sus, membres des EPTB ; c'est le cas du Jura et du Doubs, membre de l'EPTB Saône et Doubs.
M. Franck Dhersin. - Permettez-moi d'engager un bref débat entre le Nord et le Pas-de-Calais, à la suite de l'intervention de Jean-Pierre Corbisez. En Flandre maritime, nous n'avons pas de nappes phréatiques. Ne pouvant trouver d'eau chez nous, nous la puisons là où elle est abondante, c'est-à-dire précisément dans l'Audomarois voisin.
Les usines de batterie consomment en effet beaucoup d'eau, mais elles ne sont pas les seules. Pour qu'une usine obtienne l'autorisation de s'installer, il faut d'abord un terrain et suffisamment d'électricité. Dunkerque n'a pas d'eau potable, mais dispose de nombreux terrains industriels et d'une électricité abondante avec six réacteurs de 900 mégawatts. Des réacteurs qui, je le souligne, profitent aussi beaucoup au Pas-de-Calais. En somme, nous partageons l'eau et l'électricité en bonne intelligence.
S'agissant de la Gemapi, l'eau ne connaît pas de frontières. Lorsque de grosses inondations sont survenues dans le bassin de l'Aa, des travaux importants ont été menés dans le Nord afin que l'eau puisse s'évacuer à Gravelines, voire à Dunkerque où le boulevard Simone-Veil, proche du centre-ville de l'agglomération, peut accueillir plusieurs centaines de milliers de mètres cubes d'eau. Si nous parlons d'eau, parlons-en de manière générale, et pas uniquement lorsqu'un territoire en a besoin, ou lorsqu'il y a des inondations.
M. Jean-Claude Anglars. - Puisque vous êtes à la recherche de propositions, permettez-moi d'abonder dans le sens de la remarque de Clément Pernot s'agissant de la situation des départements.
Lorsque la compétence Gemapi a été transférée aux communautés de communes, j'en présidais une. Il était alors, si je puis dire, de bon ton de confier les prérogatives des communes vers les communautés de communes, en considérant que le travail des syndicats n'était pas bon.
Les écueils du dispositif Gemapi ont été évoqués. À titre expérimental, nous pourrions en effet proposer que les départements orchestrent la solidarité entre les territoires, en prêtant toutefois attention à leurs spécificités, car les réalités peuvent être bien différentes à Dunkerque et dans un territoire de montagne, par exemple. Les départements participaient déjà aux syndicats mixtes « de rivière », qui géraient alors un certain nombre de compétences. Cette mesure me paraîtrait donc fondée et intelligente.
Par ailleurs, la loi sur l'eau empêche parfois d'intervenir sur les rivières et ses abords, et constitue également un frein. Allez-vous mener une expertise afin d'identifier les changements susceptibles de lui être apportés ?
En effet, face à des situations extrêmement graves - je vous parle en tant qu'ancien président des pompiers du département -, il est nécessaire de prendre des mesures qui outrepassent l'intérêt de la petite fleur ou de la grenouille au bénéfice d'un intérêt supérieur.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Monsieur Dantec, un Papi - s'il est bien conçu -établit une référence pour les systèmes d'endiguement et définit les zones protégées, les zones non protégées et les zones d'expansion tolérées. Son premier rôle est ainsi de définir la limite de l'action qui est conduite en prenant en compte les coûts que nous avons évoqués : un kilomètre de digues représente un coût de 1 million d'euros.
L'État, en effet, n'a pas conduit les actions nécessaires, puis a transféré la compétence aux groupements de collectivités, qui ont parfois reçu la charge de situations inacceptables, comme dans le cas des digues domaniales. Des négociations de soultes ont été menées entre les collectivités locales et l'État avec, pour tout vous dire, plus ou moins de bonheur. C'est pourquoi, en amont du dépôt d'un Papi, un calcul est réalisé afin de déterminer la limite de notre action en matière de protection, ainsi qu'un périmètre d'expansion en cas d'inondation.
Les Papi sont ainsi de véritables outils, qu'il nous faut qualifier et simplifier. Je suis moi-même référent Papi : compte tenu des études pré-opérationnelles et des changements de cahier des charges, sept années nous ont été nécessaires pour aboutir à un projet dans le sud de la Garonne. Les délais sont d'autant plus longs lorsque certains territoires nécessitent des actions spécifiques. Mais certains plans d'action sont communs à tous les territoires. Ainsi, financer des batardeaux pour l'ensemble des maisons doit être le premier réflexe de protection : il s'agit d'un geste simple et efficace qui peut même être cofinancé par les assurances, car elles peuvent y trouver un intérêt économique, plutôt que de puiser uniquement dans le fonds Barnier.
Par ailleurs, mon cher collègue Jean Bacci, il est vrai que nous constatons des disparités entre les agences de l'eau dans l'accompagnement des territoires, qu'il s'agisse du cofinancement des études préalables au dépôt du Papi, ou de la rapidité des interventions. Vous avez évoqué le cas de Draguignan ; la première intervention répondait néanmoins à une urgence. Elle a ensuite été conditionnée avec, en effet, un cahier des charges très lourd. Réajustons ces cahiers des charges si nous voulons être efficaces, car, dans certains territoires, il est tout simplement impossible d'agir.
Dans le Marmandais, en Lot-et-Garonne, l'ensemble de la charge des digues d'État a été transféré à Val de Garonne Agglomération. Or les recettes de la taxe Gemapi ne suffisent absolument pas à financer l'ensemble du système d'endiguement. Il s'agit pourtant du plus grand casier d'inondation du bassin Adour-Garonne ! Par conséquent, sans solidarité amont-aval, impossible d'assurer une protection contre une inondation de masse.
Ensuite, le partage des eaux est un sujet qui dépasse la Gemapi. La question des usages - et en particulier des usages partagés - va prendre une importance croissante. L'articulation entre la politique de bassin et les collectivités territoriales doit être revue et renforcée pour plus d'efficacité - peut-être en faisant intervenir les départements.
Certaines collectivités territoriales, responsables de la gestion de grands fleuves, sont déjà des actrices dynamiques des EPTB, et sont donc les plus aptes à mener la politique Gemapi. Cela suppose, dans ce cas, des évolutions statutaires des EPTB afin de clarifier leurs prérogatives. Je suis convaincu que les EPTB sont de bons outils pour accompagner ces politiques, à condition que les collectivités s'y retrouvent.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Je plaide moi aussi pour que nous revisitions la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 ; mais certains considèrent que cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Vingt ans après la promulgation de cette loi, c'est pourtant nécessaire, car les conditions ont changé.
Nous constatons, en effet, de grandes disparités entre les agences de l'eau, certaines ayant plus de moyens que d'autres. Nous avions envisagé la possibilité que celles-ci, dans les zones où l'EPTB fait défaut, puissent prendre le relais de la compétence Gemapi. Leur vision transversale du bassin, de l'amont à l'aval, pourrait faciliter la mutualisation des ressources. Encore faut-il que les agences aient la possibilité et les moyens de le faire.
C'est pourquoi nous avions déposé un amendement sur la première partie du projet de loi de finances pour 2026, défendu par Hervé Gillé, dont l'objet était d'instituer un prélèvement de quelques centimes d'euros par mètre cube, collecté par les agences de l'eau, qui aurait pu contribuer au financement d'actions en matière de Gemapi. Il a été retoqué à une voix près.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il s'agissait d'une participation de deux centimes d'euro par mètre cube. L'assiette étant très large, le dispositif produisait néanmoins des résultats.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. - S'agissant de la compétence Gemapi, nous avons examiné l'idée que le département gère l'ensemble des problématiques qui y sont liées.
Toutefois, compte tenu de la situation financière de nos départements, je ne suis pas certain que ceux-ci accepteront de prendre cette compétence si nous ne leur donnons pas par ailleurs les moyens de la gérer.
Quoi qu'il en soit, il serait bon, même si le département peut déjà être associé à la gouvernance des EPTB, qu'il ait une assise plus forte sur la gestion de la Gemapi.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Permettez-moi d'ajouter un élément au sujet de la compétence Gemapi.
Lors de notre déplacement dans le Pas-de-Calais, dans le cadre du rapport que nous avons rédigé et de la proposition de loi que nous avons votée à l'unanimité, Xavier Bertrand nous avait assuré que, si la région Hauts-de-France recevait la compétence Gemapi, elle serait en mesure de l'assumer. En effet, elle pourrait obtenir des financements de l'Union européenne.
Il y a, certes, des arguments favorables et défavorables. Néanmoins, si nous déléguions la compétence Gemapi au département des Alpes-de-Haute-Provence, par exemple, il est permis de se demander comment le département la financerait ! Avec tous les fleuves et toutes les rivières que nous comptons, sans solidarité, nous n'y arriverions pas.
Si la compétence est transférée, cela doit s'accompagner des moyens y afférents. L'idée d'instaurer un prélèvement de deux centimes d'euro par mètre cube permettait d'accompagner cette compétence, en alimentant le budget des agences de l'eau, selon un critère bien déterminé, afin de nous aider à assurer la prévention des inondations.
M. Clément Pernot. - Les problèmes de financement ne doivent pas nous éloigner de la vraie problématique, celle de l'efficacité. En effet, les communautés de communes et les intercommunalités ne sont pas plus riches que les départements, tant s'en faut. Or, la seule ressource associée à la Gemapi, sauf erreur de ma part, est la taxe Gemapi, dont le prélèvement est facultatif.
Ceci étant, il va sans dire qu'un financement cohérent avec la charge de travail relative à la compétence Gemapi devra, le cas échéant, être alloué aux collectivités territoriales. C'est un enjeu majeur pour notre pays. Nous devons l'assumer et aider les territoires qui en auront la charge.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Donnons du sens à notre démarche ! J'insiste : prélever deux centimes d'euro par mètre cube permettrait de générer, sur une assiette très large, un produit non négligeable permettant d'alimenter la solidarité amont-aval, tout en prenant en compte le cycle de l'eau. Cette mesure placerait tous les usagers à égalité ; ce n'est pas le cas de la taxe Gemapi. Nous allons donc retravailler sur cette proposition, qui a échoué - et c'est dommage - à une voix près.
M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie les trois rapporteurs pour le travail important qu'ils ont réalisé, et l'ensemble de mes collègues pour leur participation au débat. J'ai cru un temps que nous allions passer de la Gemapi à un nouvel acte de décentralisation ! Il me semble que nous n'en étions pas loin.
Nous devons réfléchir à la meilleure échelle de délégation de la compétence Gemapi - communauté de communes, département ou région -, tout en restant à l'écoute des problématiques spécifiques de certaines collectivités.
Un certain nombre de réflexions me semblent encore nécessaires avant de déposer une proposition de loi pour laquelle, j'en suis certain, les contributions seront nombreuses. J'espère, en tout cas, que la présidente de Régions de France et le président de l'ADF nous ont écoutés et qu'ils nous feront part de leurs remarques !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 00.