Mardi 16 décembre 2025

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 14 h

Proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies C du Règlement, visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur - Examen des motions et des amendements de séance

M. Cédric Perrin, président- Nous avons deux motions et deux amendements à examiner. Nous allons commencer par la motion n°  2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Je propose qu'Olivier Cadic la présente.

M. Olivier Cadic. - Cette motion soutient que la résolution demandant au Gouvernement de bloquer l'accord UE-Mercosur est contraire à la Constitution et méconnaît les compétences exclusives de l'Union européenne.

Elle excède le rôle du Parlement en formulant une injonction diplomatique, alors que la politique étrangère relève de l'exécutif - il s'agit de l'article 52 de la Constitution - et que la politique commerciale est une compétence exclusive de l'Union européenne.

La proposition de résolution est en outre juridiquement inopérante, puisqu'aucune décision nationale isolée ne peut stopper un accord européen. Elle dépasse enfin le cadre des résolutions prévues à l'article 88-4 de la Constitution. Pour ces raisons, il nous semble qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération.

M. Pascal Allizard, rapporteur- La motion de notre collègue tend à soulever l'exception d'irrecevabilité. Elle avance cinq moyens qui nous paraissent tous infondés.

Le premier est que la présente proposition de résolution européenne porterait atteinte aux prérogatives constitutionnelles de l'exécutif en matière de politique étrangère. Si l'article 52 de la Constitution - cela vient d'être rappelé - prévoit que le Président de la République négocie et ratifie les traités, l'article 53 dispose toutefois que les traités de commerce, notamment, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Le Parlement est donc légitime à s'intéresser au contenu de tels accords.

Le second moyen soulevé est que ce texte méconnaîtrait la compétence exclusive de l'Union européenne en matière commerciale. La proposition de résolution européenne, évidemment, ne conteste pas cette compétence, mais rappelle que le mandat de négociation de la Commission portait sur un accord d'association, c'est-à-dire un accord mixte comprenant des stipulations commerciales et politiques, et que cet accord devait par conséquent faire l'objet d'un vote à l'unanimité au Conseil et d'une ratification par les parlements nationaux. En scindant l'accord en deux instruments juridiques distincts et en changeant de sa propre autorité la base légale de l'accord, devenu accord de partenariat, la Commission a entendu s'émanciper de ces règles de vote et de ratification, ce qui nous semble particulièrement grave.

Le troisième argument est que le présent projet serait dépourvu de portée juridique et donc inopérant. Le fait que la constitution d'une minorité de blocage soit difficilement atteignable sur ce texte n'empêche en aucun cas le Gouvernement français de s'y opposer au Conseil. Par ailleurs, rien n'empêche le Gouvernement de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, comme l'y invite justement la présente proposition de résolution européenne.

Quatrièmement, ce texte dépasserait le cadre constitutionnel des résolutions européennes. La proposition de résolution européenne n'enjoint pas au Gouvernement de voter contre l'accord, mais lui demande de le faire. Cette formulation, qui n'emporte aucune obligation juridique, est habituelle dans les propositions de résolution européenne.

Enfin, cette proposition de résolution européenne porterait atteinte à la cohérence institutionnelle de l'Union, un texte similaire ayant été rejeté par le bureau du Parlement européen au motif que la procédure n'était encore qu'au stade du Conseil. La décision du Bureau du Parlement européen est juridiquement contestable, l'alinéa 11 de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ne fixant pas de contraintes spécifiques pour la saisine de la Cour de justice par le Parlement européen.

Pour ces cinq raisons, nous considérons que la présente motion de notre collègue Olivier Cadic doit être rejetée et nous donnons donc un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à la motion n°  2 rectifiée tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à la proposition de résolution.

M. Olivier Cadic. - La motion n°  1 rectifiée tend à opposer la question préalable sur la proposition de résolution appelant la France à s'opposer à l'accord Union européenne-Mercosur, car une telle position affaiblirait gravement les intérêts stratégiques, économiques et agricoles français.

Dans un contexte de rivalité internationale, ne pas soutenir cet accord reviendrait à abandonner l'Amérique latine aux influences américaines et chinoises, sans bénéfice environnemental ni protection accrue pour nos filières. L'accord, au contraire, renforcerait l'influence européenne, ouvrirait des débouchés économiques majeurs, intégrerait des mécanismes de protection et permettrait de faire respecter des normes exigeantes.

La proposition de résolution, qui propose un blocage, nous semble par conséquent contre-productive et politiquement irresponsable.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice- Cette motion tend à opposer la question préalable, au motif que la présente proposition de résolution européenne serait « politiquement irresponsable, stratégiquement dangereuse et profondément contre-productive ». Nous sommes en profond désaccord avec cette analyse.

En l'état, l'accord UE-Mercosur est en effet inacceptable pour quatre raisons principales.

La première est que ses stipulations en matière de lutte contre la déforestation et, plus généralement, de développement durable sont très insuffisantes. Elles ne sont pas assorties de sanctions commerciales ou, si elles le sont, la mise en oeuvre de ces sanctions serait juridiquement et politiquement complexe.

Deuxièmement, l'absence de clauses miroirs dans l'accord, qui seraient un moyen d'élever le niveau d'exigence vis-à-vis de nos partenaires, est source de distorsion de concurrence au détriment des agriculteurs européens.

Troisièmement, le mécanisme de rééquilibrage obtenu par le Mercosur est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de certaines réglementations européennes, notamment environnementales.

Quatrièmement, la scission de l'accord par la Commission européenne pour permettre une mise en oeuvre de ses dispositions commerciales, malgré un éventuel désaccord des Parlements nationaux, constitue un véritable déni de démocratie.

Ainsi, nous ne pouvons qu'être défavorables à cette motion.

La commission émet un avis défavorable à la motion n°  1 rectifiée tendant à opposer la question préalable à la proposition de résolution.

M. Olivier Cadic. - Le premier amendement propose de supprimer l'alinéa 50, qui appelle le Gouvernement à s'opposer à l'accord Union européenne-Mercosur, car une telle position affaiblirait la stratégie commerciale et géopolitique de la France et de l'Union européenne. Dans un contexte de compétition mondiale, l'Amérique latine est une région clé où la France a intérêt à renforcer sa présence plutôt qu'à se retirer. L'accord offrirait un levier majeur pour soutenir nos entreprises, accéder à un marché stratégique et promouvoir des normes environnementales et sociales exigeantes. Supprimer cet alinéa revient à privilégier une diplomatie économique offensive et une France influente sur la scène internationale.

L'amendement suivant est un amendement de repli qui propose de réécrire l'alinéa 50 afin d'en atténuer la portée injonctive. Il vise à éviter que la résolution ne demande explicitement au Gouvernement de bloquer l'accord de partenariat avec le Mercosur, ce qui excéderait le rôle d'une résolution européenne et engagerait inutilement la parole diplomatique de la France. L'amendement substitue à cette logique de blocage une formulation équilibrée, invitant simplement l'exécutif à veiller à la défense des intérêts français, notamment agricoles, environnementaux et sanitaires, tout en préservant la capacité d'influence de la France dans une région stratégique et dans la politique commerciale européenne.

M. Pascal Allizard, rapporteur-  L'amendement n°  3 rectifié, comme vient de le dire M. Olivier Cadic, vise à supprimer l'alinéa 50 de la proposition de résolution européenne.

Certes, dans un contexte de remise en cause des alliances historiques telles que nous le connaissons actuellement, l'Union européenne doit s'attacher à multiplier les partenariats avec les pays et les zones géographiques affinitaires. Pour autant, cet agenda d'ouverture ne doit pas être mené à n'importe quel prix.

Pour toutes les raisons rappelées dans le présent projet de résolution européenne, le contenu de l'accord UE-Mercosur n'est pas acceptable en l'état, et la France doit s'y opposer. C'est pourquoi nous donnons un avis défavorable à cet amendement.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice- L'amendement de repli n° 5 rectifié vise à réécrire l'alinéa 50 de la proposition de résolution, qui demande au Gouvernement de s'opposer à la signature et à la conclusion des accords UE-Mercosur, en demandant simplement au Gouvernement de veiller à la prise en compte des intérêts français lors de la signature et de la conclusion de ces accords.

Nous sommes défavorables à cet amendement. En effet, au stade de la signature et de la conclusion des accords, les intérêts français ne peuvent plus être défendus. Il s'agit uniquement d'avaliser des accords dont le contenu a été arrêté en décembre 2024. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n°  3 rectifié et 5 rectifié.

La réunion est close à 14 h 15

Mardi 16 décembre 2025

Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, de Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 17 h 15.

La nouvelle donne du commerce international - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie Dominique Estrosi Sassone d'avoir initié le travail de nos trois commissions sur ce sujet structurant. Nous étions convenus, avec Cédric Perrin, de l'importance de disposer d'éclairages sur ce thème, notamment après la crise de l'Accord économique et commercial global (AECG-Ceta).

L'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) sur le Mercosur, que nous venons d'adopter en séance, montre combien il est nécessaire que les Parlements nationaux soient davantage et mieux associés au processus de négociation des accords commerciaux internationaux, ce qui suppose également une bonne compréhension des enjeux d'ensemble.

Je veux enfin saluer le travail des six rapporteurs. Nous avions déjà expérimenté ce type de travail, associant trois commissions et treize rapporteurs, dans le cadre du paquet Fit for 55. Cet exercice est délicat, mais il permet toujours d'aboutir à des résultats intéressants.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Permettez-moi tout d'abord de présenter les excuses de Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui participe à l'accueil d'une délégation étrangère au Sénat.

Je m'associe aux propos de Jean-François Rapin au sujet de cette mission d'information, qui visait quatre objectifs principaux : établir un état des lieux des mesures, notamment douanières, prises par l'administration Trump et de leurs conséquences sur les filières européenne et française ; plus généralement, identifier les grandes tendances du commerce international et s'intéresser aux problématiques soulevées par la Chine ; s'interroger sur les réponses apportées par l'Union européenne (UE) et sur les instruments à sa disposition ; enfin, de manière plus prospective, proposer des pistes pour mieux protéger et accompagner les entreprises européennes et françaises.

Au nom de Cédric Perrin, je tiens à saluer le travail des six rapporteurs, et notamment des membres de notre commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - À mon tour de remercier les présidents Rapin et Perrin de s'être associés à cette mission d'information sur la nouvelle donne du commerce international. Je félicite et remercie les six rapporteurs pour l'important travail accompli, marqué par de nombreuses auditions, plus particulièrement les deux rapporteurs de la commission des affaires économiques, Évelyne Renaud-Garabedian, sénateur représentant les Français établis hors de France, et Yannick Jadot, sénateur de Paris.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Merci de m'avoir confié les fonctions de rapporteur dans le cadre de cette mission d'information, qui s'est révélée particulièrement enrichissante. Les auditions menées ont été de grande qualité, et au fil des échanges, notre appréciation de la question a quelque peu évolué.

Ce travail consacré à « la nouvelle donne du commerce international » a été lancé à la fin du printemps dernier, dans les semaines qui ont suivi le Liberation Day du 2 avril, au cours duquel le président américain a acté ce que le commerce international est devenu, à savoir un instrument de puissance. Donald Trump a déclenché une guerre commerciale contre le reste du monde, imposé des droits de douane sans rationalité économique, puis les a suspendus sous la pression des marchés, avant d'ouvrir des négociations rythmées par les menaces et les rapports de force.

Dès notre première réunion, une évidence est apparue : la relation avec les États-Unis serait centrale dans notre réflexion. Mais une autre réalité s'est également imposée à nous : la menace stratégique pour l'Europe et pour la France ne provient pas seulement de Washington ; elle émane aussi, et peut-être davantage, de la Chine.

Il ressort de nos auditions deux constats préoccupants : d'une part, les relations économiques internationales s'éloignent rapidement des principes que l'Europe entend défendre ; d'autre part, l'UE apparaît affaiblie, incapable de parler d'une seule voix, paralysée par des intérêts nationaux hétérogènes et peinant à influer sur le cours des choses.

Le Liberation Day n'est pas un accident ; il est un révélateur qui a mis en lumière une réalité désormais incontestable : le multilatéralisme n'est plus le cadre de référence du commerce mondial. Le commerce n'est plus un espace de coopération régulée, mais un lieu de confrontation assumée.

Ce basculement s'inscrit dans une recomposition géopolitique marquée par la rivalité sino-américaine, le retour affirmé de la souveraineté économique et la montée en puissance d'acteurs émergents.

À ces évolutions structurelles s'est ajoutée, ces dernières années, une succession de crises majeures : le covid-19 a exposé nos dépendances ; la guerre en Ukraine a révélé notre vulnérabilité énergétique et industrielle ; les tensions au Moyen-Orient ont rappelé la fragilité de nos routes commerciales.

Tout converge vers une même conclusion : le commerce mondial se fragmente, et la sécurité prime désormais sur l'efficience économique.

Face à cette réalité, les États s'adaptent : ils relocalisent, ils subventionnent, ils protègent. Les interventions publiques en faveur des industries nationales ont explosé ; le protectionnisme n'est plus un tabou, il est devenu une norme.

Dans le même temps, les échanges se réorganisent en blocs affinitaires. Le commerce est devenu politique, tandis que la politique se sert du commerce. Le groupe des Brics - le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud -, désormais élargi à de nouveaux membres, forts de près de la moitié de la population mondiale, entend désormais peser davantage dans la redéfinition de l'ordre économique international.

Nous assistons également à une véritable « arsenalisation du commerce », pour reprendre les mots de Pascal Lamy. La rivalité sino-américaine en est l'illustration la plus claire : les États-Unis bloquent, filtrent, sanctionnent ; la Chine investit, sécurise, verrouille ses chaînes de valeur et avance méthodiquement, notamment à travers les « nouvelles routes de la soie ».

La compétition pour l'accès aux ressources critiques est devenue directe. Dans ce contexte, l'institution qui régulait, arbitrait, garantissait le commerce mondial n'est plus audible. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est marginalisée, le multilatéralisme est contourné, les règles communes cèdent la place aux rapports de force.

Face à ce monde instable, l'UE hésite, agissant souvent trop peu et trop tard. Pire encore, elle n'utilise pas l'ensemble des outils dont elle dispose pour défendre une politique d'ouverture commerciale tout en se protégeant des mercantilismes agressifs, non par manque de moyens, mais par défaut de volonté politique et de consensus stratégique. C'est là le coeur du problème.

Pourtant, les atouts existent : un marché de 450 millions de consommateurs - le deuxième au monde en termes de stabilité, de taille et de niveau de consommation -, un cadre juridique puissant, une base industrielle innovante, une capacité à négocier reconnue.

L'Europe n'est pas faible par nature ; elle est faible par choix. La question n'est donc pas celle de la capacité de l'Europe à devenir une puissance commerciale. Il s'agit de savoir si elle accepte enfin d'en assumer le prix politique.

M. François Bonneau, rapporteur. - Au moment d'aborder la question des relations commerciales transatlantiques, je veux rappeler en quelques chiffres combien elles sont fondamentales tant pour l'UE que pour les États-Unis, qui représentent ensemble 43 % du PIB mondial et 30 % du commerce mondial de biens et de services.

Au cours des dix dernières années, les échanges de biens et services entre les deux zones ont doublé pour atteindre 1 700 milliards d'euros en 2024, soit 4,2 milliards d'euros échangés chaque jour.

Les États-Unis sont le premier client de l'UE : elle y expédie 21 % de ses exportations. Les États-Unis sont, pour leur part, le deuxième fournisseur de l'UE, avec 14 % de ses importations, derrière la Chine.

Contrairement à ce que soutient le président Trump, les échanges de biens et de services entre l'UE et les États-Unis sont globalement équilibrés, puisque l'excédent commercial de l'UE avec les États-Unis représentait seulement 49 milliards d'euros en 2024, soit moins de 3 % du total de leurs échanges.

S'il est vrai que, dans le commerce des biens, l'UE réalise un excédent commercial de 198 milliards d'euros avec les États-Unis, ces derniers dégagent pour leur part un net excédent de 148 milliards d'euros en matière de services, grâce notamment aux droits de propriété intellectuelle de leurs nombreuses filiales en Europe ou à l'activité des grandes entreprises de la tech américaine.

Même si le protectionnisme monte aux États-Unis depuis une quinzaine d'années, en particulier lors de la première administration Trump, à la fin de l'année 2024, les deux tiers des exportations de l'UE vers les États-Unis étaient exemptés de droits de douane, et la moyenne pondérée des échanges était taxée à seulement 1 %, témoignant de la libéralisation très avancée du commerce entre les deux zones.

Comme vous le savez, les négociations menées entre l'administration Trump et la Commission européenne ont abouti à la signature de l'accord de Turnberry le 27 juillet 2025. L'ensemble des économistes et des experts que nous avons entendus en conviennent : cet accord est fondamentalement déséquilibré et asymétrique au profit des États-Unis et au détriment de l'UE.

Pour obtenir cet accord, négocié pendant plusieurs mois avec la partie américaine, la Commission européenne a accepté de supprimer les droits de douane sur tous les produits industriels américains. Elle s'est également engagée à élargir l'accès au marché européen, via des baisses de taux de droits de douane ou des hausses de quotas d'importation pour certaines denrées de la mer et produits agricoles américains.

En contrepartie, les États-Unis ont mis en place des droits de douane de 15 %, qui constituent à la fois un plancher et un plafond pour la plupart des exportations de l'UE.

Il s'agit donc, incontestablement, d'une défaite commerciale pour l'UE qui, dans cette négociation, ne s'est pas positionnée comme une puissance commerciale majeure, apparaissant ainsi comme un « vassal » des États-Unis.

La signature de cet accord a été vécue par nombre d'Européens comme marquant le déclassement politique du continent européen et son incapacité à peser face aux États-Unis.

Peut-être plus grave à long terme, l'accord de Turnberry a marqué l'abandon par l'UE du respect des règles de l'OMC dont elle avait jusqu'alors toujours assuré la défense.

En effet, l'une des règles de base de l'OMC est celle de la « nation la plus favorisée » (NPF) : elle signifie que, si le pays X accorde un traitement favorable au pays Y - par exemple en abaissant ses droits de douane -, le pays X devra accorder le même traitement à tous les autres membres de l'OMC.

Or, en accordant aux États-Unis l'abaissement à zéro de ses droits de douane sur les produits industriels américains qu'elle importe, sans pour autant l'étendre aux autres membres de l'OMC, l'UE a violé cette règle cardinale de la NPF.

Elle-même construite sur la règle de droit, se voulant la garante du système multilatéral construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'UE a ainsi semblé céder au primat de la force sur le droit et donner sa caution au délitement du système commercial multilatéral.

Dès lors, était-il possible d'obtenir un accord plus équilibré et de jouer l'épreuve de force avec les États-Unis, comme l'a fait la Chine ?

La première raison pour laquelle l'UE a préféré céder tient, bien sûr, à sa dépendance à la protection militaire américaine. En d'autres termes, l'accord commercial déséquilibré de Turnberry constituait, du point de vue des dirigeants européens, le prix à payer pour conserver l'engagement militaire américain en Europe.

La deuxième faiblesse majeure de l'UE tient à l'existence d'intérêts divergents entre ses États membres, avec en particulier trois États très exposés au marché américain - l'Allemagne, l'Italie et l'Irlande -, qui avaient beaucoup à perdre en cas de surenchère.

Seule la Chine a pris ce risque de la surenchère. Mais cela l'a conduite à subir des droits de douane qui ont atteint jusqu'à 145 % ! Et si elle a réussi à faire plier les États-Unis, c'est grâce à l'arme redoutable des terres rares et métaux critiques dont elle assure 60 % de l'extraction et 90 % du raffinage. L'UE ne dispose malheureusement pas d'un tel atout stratégique.

Enfin, lorsqu'on compare ce qu'a obtenu l'UE par rapport aux autres pays, elle n'apparaît pas si mal lotie, puisque l'accord conclu par les États-Unis et l'UE est plus favorable que ceux qui ont été conclus par le Japon ou la Corée du Sud.

Oui, l'accord de Turnberry est regrettable, mais compte tenu du contexte géopolitique actuel, il était sans doute difficile de faire beaucoup mieux.

L'ensemble des économistes entendus par la mission s'accordent à penser que la volatilité et l'imprévisibilité de l'administration Trump en matière de tarifs douaniers constituent une donnée structurelle, et qu'il faut par conséquent s'attendre à de nouvelles offensives. Il nous faudra tenir bon, faire de l'accord de Turnberry un cadre stable et refuser bien entendu tout chantage concernant les régulations européennes, notamment dans le domaine du numérique.

J'en viens aux conséquences de cet accord sur l'économie française.

La France a exporté 48,6 milliards d'euros de biens vers les États-Unis en 2024. Prises dans leur ensemble, ses exportations vers ce pays n'ont pour l'instant pas beaucoup souffert des droits de douane américains, même si les entreprises exportatrices considèrent l'incertitude permanente et la complexité juridique induites par les décisions de l'administration Trump comme des fléaux.

Le premier poste à l'exportation de la France vers les États-Unis, l'aéronautique et le spatial, demeure exonéré de droits de douane. Le secteur pharmaceutique bénéficie également d'exonérations, et le secteur du luxe devrait pouvoir répercuter tout ou partie des droits de douane sur ses clients américains.

Deux secteurs, en revanche, apparaissent fortement impactés et devront faire l'objet d'une attention particulière dans les mois à venir.

Les États-Unis représentent près du quart des exportations françaises de vins et spiritueux. Or, globalement stables au premier semestre 2025, les exportations de boissons ont fortement chuté à partir de juillet - diminution de 30 % en juillet, de 47 % en août et de 40 % en septembre. La moitié de cette baisse est due au cognac, suivi par les vins et le champagne. Obtenir une exemption pour les vins et spiritueux - la filière viticole française subissant par ailleurs une crise profonde - doit donc constituer une priorité que la France doit continuer à porter auprès de la Commission européenne, dans le cadre des négociations commerciales prévues par l'accord de Turnberry.

L'autre secteur mis en péril est celui de la métallurgie, qui connaît de profondes difficultés, dues en particulier à la faiblesse de la demande et aux surcapacités chinoises. Pour ce secteur, la mise en place sur les exportations européennes d'acier et d'aluminium vers les États-Unis de droits de douane à hauteur de 50 % a constitué une nouvelle très défavorable : les ventes d'acier français aux États-Unis ont chuté de plus d'un quart au cours des derniers mois.

Obtenir des quotas exonérés de taxe aux États-Unis dans le cadre des négociations prévues par l'accord de Turnberry constitue donc une nécessité pour ce secteur, en parallèle des mesures prévues pour le préserver de la concurrence chinoise.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - En quelques décennies, la Chine est passée d'une économie émergente à un acteur majeur de l'économie mondiale, son PIB par tête ayant été multiplié par plus de neuf en vingt-cinq ans. Son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 a constitué un tournant décisif et la Chine est devenue le premier exportateur mondial, avec plus de 15 % des exportations mondiales en 2023, et un excédent commercial qui devrait dépasser 1 000 milliards de dollars en 2025.

Cette croissance s'est appuyée sur un niveau d'investissement exceptionnel, représentant près de 41 % du PIB entre 2001 et 2021, ainsi que sur une politique industrielle volontariste. Le programme Made in China 2025, lancé en 2015, a permis de développer les capacités nationales dans dix secteurs stratégiques à forte valeur ajoutée, grâce à des subventions directes, une utilisation extensive des marchés publics, un soutien massif à la recherche et développement (R&D) et des politiques de transfert de technologies étrangères. Cette stratégie a transformé le modèle chinois, passant d'une compétitivité centrée sur les coûts à une montée en gamme technologique.

Depuis 2023, le concept des « nouvelles forces productives de qualité », forgé par le président Xi Jinping, a élargi les ambitions chinoises aux technologies de rupture - intelligence artificielle, semi-conducteurs, biotechnologies, spatial -, la Chine réussissant à passer d'une logique de rattrapage économique à une logique de leadership technologique de plus en plus assumée.

En conséquence, la relation entre l'Union européenne et la Chine s'est inversée dans de nombreux secteurs : ce sont désormais les entreprises européennes qui dépendent des biens stratégiques chinois et de l'accès à l'innovation chinoise, alors que la Chine a réduit ses dépendances vis-à-vis de l'Europe et des États-Unis.

Forte de sa domination technologique, la Chine s'appuie sur un modèle économique profondément déséquilibré qui favorise son mercantilisme. En effet, les autorités chinoises poursuivent une stratégie de croissance fondée sur l'offre, tandis que la consommation y reste structurellement faible, provoquant l'émergence de surcapacités industrielles.

Ces excédents sont réorientés vers les marchés étrangers à des prix très compétitifs, ce qui exerce une pression déflationniste mondiale et fragilise sévèrement les producteurs européens.

Face à cette concurrence déloyale, un nombre croissant d'États renforcent leurs instruments de défense commerciale. Si elle ne fait rien, l'Union européenne pourrait devenir le marché de report des exportations chinoises. À moins qu'elle ne le soit déjà devenue...

Pour l'Europe et la France, l'enjeu n'est plus seulement commercial, mais stratégique : préserver des capacités industrielles essentielles, garantir la souveraineté économique et adapter les outils de régulation.

Or, force est de constater qu'au cours des dernières années, l'Union européenne s'est trouvée trop souvent dans une posture réactive, cherchant à corriger ses vulnérabilités après-coup plutôt qu'à anticiper les évolutions stratégiques. L'épisode du photovoltaïque en est l'illustration la plus emblématique : malgré l'avance technologique initiale de ses industriels, l'Union a laissé la Chine s'imposer grâce à des subventions massives, jusqu'à provoquer l'effondrement de la filière européenne ; l'industrie solaire européenne ne produit plus qu'une fraction infime des panneaux installés sur son territoire, tandis que 98 % des importations européennes de panneaux solaires proviennent de Chine, plaçant l'Europe dans une situation de très forte dépendance.

Ce constat a influencé l'approche européenne face à la montée en puissance des véhicules électriques chinois. L'UE a cette fois adopté des droits antisubventions significatifs, allant de 17 % à 35 %, ce qui a temporairement soutenu la production européenne et freiné les importations de près de 20 %. Toutefois, ces mesures demeurent limitées : leur niveau reste inférieur aux droits de 100 % appliqués par les États-Unis, leur champ d'application est restreint et les constructeurs chinois s'y adaptent rapidement.

Pour l'acier, l'Union a enfin présenté en octobre une mesure de protection pérenne, visant à réduire fortement les volumes importés sans droits de douane et à renforcer la traçabilité pour contrer les contournements.

Enfin, la réponse européenne au déferlement de petits colis issus du commerce en ligne chinois souffre également de lenteurs et de fragmentation. Alors que certains États membres adoptent leurs propres taxes, l'Union peine à réformer son cadre douanier à un rythme compatible avec l'essor du e-commerce. Tandis que les États-Unis ont supprimé du jour au lendemain leur régime de minimis, qui exonérait de droits de douane les petits colis, la Commission n'envisage une telle évolution qu'à l'horizon mi-2026. Le manque de moyens de contrôle et la faiblesse des sanctions limitent encore l'efficacité des règles existantes.

Pour préserver sa souveraineté économique et anticiper les stratégies industrielles de puissances comme la Chine, l'Union doit passer d'une logique de réaction tardive à une stratégie proactive.

M. Didier Marie, rapporteur. - Entre la tenaille protectionniste américaine et l'impérialisme économique chinois, si nous voulons rester maîtres de notre destin économique, un sursaut européen et français est indispensable.

Car les recompositions en cours des échanges ne sont pas synonymes de « démondialisation ». En effet, contrairement aux années 1930, la montée des barrières commerciales à laquelle nous assistons ne conduit pas à un recul brutal des échanges.

L'« hypermondialisation » des années 1990 et 2000 a laissé place à une mondialisation plus lente, mais toujours dynamique, davantage tirée par les services et les économies émergentes. Ainsi, en 2025, le commerce mondial a progressé de plus de 500 milliards de dollars et devrait dépasser son niveau record de 2024. L'OMC prévoit encore une croissance, modeste mais réelle, en 2026. La mondialisation ne recule donc pas, elle change de forme. Les échanges se régionalisent, les blocs se structurent et les considérations politiques et géopolitiques deviennent déterminantes.

Fondée sur l'idée classique issue de Montesquieu que le commerce international est facteur de paix entre les nations, faisant de l'ouverture au monde l'une de ses valeurs cardinales, l'Union européenne doit continuer à promouvoir un libre échange régulé.

Dans la phase actuelle de la mondialisation, caractérisée par le retour des logiques de puissance et l'instabilité des alliances, la diversification des partenariats commerciaux apparaît comme une exigence stratégique, afin de moins dépendre d'États-Unis en plein repli protectionniste et d'une Chine avec laquelle le rapport de force va nécessairement se durcir compte tenu de son refus d'amender sa politique mercantiliste toujours plus agressive.

La question n'est pas de savoir si nous devons commercer, mais avec quels partenaires et selon quelles règles. Les États-Unis, qui ne représentent plus que 13 % du commerce mondial, peuvent bien se barricader s'ils le souhaitent ; le reste du monde, qui réalise 87 % de ce commerce mondial, veut toujours échanger ! L'Union européenne doit donc aller chercher ailleurs les relais de croissance et de sécurité économiques dont elle a besoin avec ceux qui veulent commercer avec elle et selon ses règles.

Cette diversification est d'autant plus nécessaire que l'Europe dépend massivement de l'extérieur pour ses matières premières, ses composants technologiques et ses équipements énergétiques.

C'est tout le sens des négociations en cours de l'UE avec l'Inde, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, l'Australie ou encore les Émirats arabes unis. Ces accords permettront d'approfondir nos relations avec ces partenaires en pleine émergence ou déjà parmi les plus développés, dans une zone Asie-Pacifique de plus en plus centrale.

L'Europe ne doit cependant pas tourner le dos à son voisinage naturel.

L'Afrique concentre une part décisive des ressources stratégiques dont dépendra la transition mondiale : plus de la moitié du cobalt et du manganèse, une grande part du cuivre, du lithium ou des terres rares. Or ces importantes richesses, de même que les perspectives offertes par le continent, dont la population devrait être la plus importante à l'horizon 2050, ne sont pas sans susciter les convoitises de nos compétiteurs, en premier lieu des deux superpuissances que sont la Chine et les États-Unis.

Dans ce contexte de compétition accrue, l'Union européenne, et en son sein la France, dispose toutefois d'atouts importants dans son partenariat avec l'Afrique. Elle demeure le principal partenaire commercial du continent et occupe la première place parmi les investisseurs étrangers. Alors que la France et l'Union européenne mobilisent des ressources importantes à travers l'aide publique au développement, malheureusement en diminution dans le PLF 2026, et la stratégie européenne Global Gateway, il est essentiel de mieux articuler ces efforts avec le commerce extérieur. À défaut d'une présence économique durable, le marché africain pourrait être perdu au profit d'autres acteurs. Plus largement, un véritable partenariat stratégique doit être construit avec l'Afrique. Longtemps abordé par la France principalement sous l'angle de l'influence politique et institutionnelle, le continent est désormais un espace de forte concurrence internationale, structuré par des offres économiques intégrées et des partenariats de long terme.

L'Europe doit également renforcer ses relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes. Toutefois, cette diversification ne doit pas conduire l'Union européenne à sacrifier ses exigences. L'exemple de l'accord avec le Mercosur que nous venons d'évoquer en séance en est l'illustration la plus frappante. Cet accord, négocié selon des logiques d'un autre temps, ne répond plus aux impératifs actuels, qu'il s'agisse du développement durable ou encore de l'autosuffisance en matière alimentaire. Il expose nos agriculteurs à une concurrence déloyale en l'absence de clauses miroirs imposant aux exportateurs de satisfaire nos normes de production sanitaires et environnementales.

Il reste insuffisant, voire lacunaire sur la protection de l'environnement et sur les engagements climatiques. Il comporte en outre un mécanisme de « rééquilibrage » qui pourrait fragiliser notre capacité à adopter de nouvelles protections environnementales. Cet accord doit donc servir de contre-exemple. L'ouverture ne peut se faire au prix de l'affaiblissement de notre modèle, ni de nos valeurs ou de nos normes.

C'est pourquoi l'Union doit, plus que jamais, assumer son rôle de puissance normative. Sa force réside dans la taille de son marché et la stabilité de ses règles. Pour préserver et projeter ce modèle, nous devons généraliser les mesures miroir dans nos réglementations et dans nos accords commerciaux, afin que les produits importés respectent les mêmes exigences que ceux fabriqués en Europe.

Nous demandons également une meilleure association des parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Si l'on cherchait une illustration de l'impuissance actuelle de l'Union européenne à défendre ses intérêts stratégiques, le débat sur le Mercosur en fournirait une démonstration assez claire. La voix de la France comme celle des institutions européennes apparaît aujourd'hui trop molle, trop ambiguë au regard des enjeux que nous avons à défendre.

Un second exemple est celui de l'accord de Turnberry, conclu par la présidente von der Leyen avec le président Trump dans son golf privé. Par l'image qu'il a donnée, cet épisode a été ressenti comme humiliant pour l'Union européenne. À ce moment-là, l'Europe semblait incapable de savoir sur quel pied danser dans ce rapport de force. Les experts que nous avons auditionnés divergent d'ailleurs encore sur cet accord : s'agissait-il d'un bon compromis ou d'un mauvais arrangement ? A-t-il permis d'éviter une escalade ?

Quoi qu'il en soit, nous ne sommes toujours pas prêts face à un monde devenu beaucoup plus instable. Nous ne savons pas comment l'Union européenne réagirait à une attaque sur ses normes, en particulier dans le domaine du numérique ou des services financiers. Nous peinons à identifier les mécanismes de défense collective qu'elle pourrait réellement mobiliser.

Historiquement, la politique commerciale européenne s'est construite sur la libéralisation des échanges et les accords de libre-échange. Ce n'est pas tant l'Europe qui a changé de doctrine que le monde autour d'elle. La pandémie de covid et la guerre en Ukraine ont montré l'urgence de réduire nos dépendances externes. Cela suppose de sécuriser nos approvisionnements stratégiques, de renforcer le contrôle des investissements étrangers afin d'éviter la captation des technologies européennes et d'instaurer des mécanismes de préférence européenne. Sur ce point, l'évolution de la position française est notable.

Dans les faits, la Chine conserve une position dominante sur de nombreuses matières premières critiques. L'Union européenne demeure très exposée, tant sur l'approvisionnement que sur la volatilité des prix et la vulnérabilité géopolitique. Certes, une stratégie européenne a été lancée en 2023, complétée en décembre 2025 par RESourceEU, avec l'objectif de réduire les dépendances et de créer un centre européen des matières premières critiques chargé de coordonner les efforts. Mais, parallèlement, le contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques - défense, énergie, transports - reste très hétérogène dans son application.

La force de la construction européenne, c'est le consentement à la norme que nous construisons collectivement, mais cette construction est souvent trop lente dans un monde devenu plus agressif. Nous le constatons avec les investissements chinois et les stratégies de « de-risking » plus ou moins assumées selon les États membres. Une proposition législative sur le filtrage des investissements étrangers a été adoptée par le Conseil et le Parlement européens et devrait entrer en vigueur au premier semestre 2026.

Cela implique aussi d'adopter un changement profond de logique, en assumant ce qu'a été la stratégie chinoise pendant des décennies : si vous voulez exporter vers le marché européen, il faudra installer des usines sur notre territoire, et cette production sur notre territoire impliquera un partage de technologies. C'est quand même un renversement du monde auquel nous ne nous attendions pas aussi rapidement.

De nombreux acteurs auditionnés soutiennent l'idée d'un véritable Buy European Act, instaurant une préférence géographique dans les marchés publics, qui représentent 14 à 15 % du PIB européen. C'est un levier considérable, qui ne nous coûterait pas forcément beaucoup d'argent. Il faut également introduire des critères explicites de contenu européen pour sécuriser nos débouchés et relocaliser certaines chaînes de valeur : médicaments, terres rares, capacités de transformation, composants électroniques, batteries, solaire ou numérique. La dépendance ne porte pas seulement sur l'extraction des ressources, mais aussi sur leur transformation. La Chine n'a pas forcément tous les minerais stratégiques, mais elle se dote des moyens de les transformer, ce qui crée une nouvelle forme de dépendance, qui n'est pas inéluctable.

Nos travaux soulignent enfin la nécessité de mobiliser plus efficacement les instruments de défense commerciale face au protectionnisme et au mercantilisme agressif des États-Unis et de la Chine. L'Union européenne dispose aujourd'hui d'outils plus nombreux - anti-dumping, anti-subventions, mesures de sauvegarde -, mais leur mise en oeuvre demeure lente. À la différence des États-Unis, qui frappent vite et fort, nos procédures prennent du temps. De plus, l'Union applique le principe du « droit moindre », frappant toujours en deçà du dumping que nous avons évalué. Il y a donc là un véritable sujet de réactivité dans un monde devenu très et rapidement agressif.

Cette lenteur est particulièrement visible dans le cas de Shein. Malgré les pressions, notamment françaises, l'Union peine à réagir. Les sanctions, lorsqu'elles interviennent, sont tardives et peu dissuasives, comme la récente amende de 40 millions d'euros. Nous ne protégeons pas suffisamment le secteur du commerce. Nous l'avons vu également sur l'acier, l'automobile ou, désormais, la chimie. Nous réagissons souvent trop tard et trop faiblement.

Le récent règlement sur les subventions étrangères et l'instrument relatif aux marchés publics internationaux nous permettent d'agir un peu plus fortement, mais les moyens humains manquent, tant au niveau des administrations nationales - douanes, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) - qu'à la direction générale du commerce et de la sécurité économique (DG Trade) à Bruxelles.

Enfin, un constat majeur ressort de l'ensemble des auditions : l'Union européenne souffre toujours de l'absence d'une véritable politique industrielle commune. Comme l'ont montré les rapports Draghi et Letta, nous nous sommes construits sur le marché et les consommateurs, rarement sur les producteurs, à l'exception de l'agriculture. Or c'est une aberration. Alors que tout le monde reconnaît les besoins d'investissements, de recherche et de protection, nous peinons à faire émerger des champions européens faute d'une politique industrielle commune. Des exemples existent, comme la vallée de la batterie électrique dans le nord de la France, mais ces dynamiques restent trop lentes.

M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Exporter est vital pour l'économie française comme pour l'économie européenne, les perspectives de croissance de nos marchés domestiques étant plus faibles que celles d'autres régions du monde.

La France peut s'appuyer sur des secteurs d'excellence historiques - aéronautique, matériels de transport, vins et spiritueux, pharmacie, chimie, luxe -, mais elle doit néanmoins continuer à se diversifier en poursuivant ses efforts de réindustrialisation et en favorisant une montée en gamme de ses produits par une politique vigoureuse d'innovation.

Alors qu'un timide mouvement de réindustrialisation semblait s'être amorcé ces dernières années, cette dynamique s'est enrayée en 2024, et l'année 2025 marque un retour du phénomène de désindustrialisation. Aujourd'hui, notre industrie ne représente plus que 11 % de notre PIB. Au-delà de la difficulté conjoncturelle posée par l'instabilité politique depuis la mi-2024, notre réindustrialisation passe donc par la consolidation des points forts traditionnels de notre pays, dont certains sont apparus plus fragiles ces dernières années, notamment en matière de qualité des infrastructures et de coût de l'énergie. Des efforts sont également à faire pour simplifier la vie des entreprises et réaliser des investissements soutenus dans la formation initiale et continue des salariés.

S'agissant de l'accompagnement de nos entreprises à l'export, ces dernières années ont vu la structuration de la Team France Export, qui regroupe Business France, Bpifrance, les services économiques des ambassades, les chambres de commerce franco-étrangères et, plus largement, tout l'écosystème des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), de l'Agence française de développement (AFD), des conseillers des Français de l'étranger et de la French Tech.

Si 12 292 entreprises ont ainsi été accompagnées par la Team France Export en 2024, nous nous préoccupons toutefois de l'impact réel de ces accompagnements, puisque nous ne disposons d'aucune mesure à ce sujet. Nous ne savons pas combien de projets d'entreprises se sont concrétisés.

La France compte aujourd'hui 136 000 entreprises exportatrices qui ont généré 645 milliards d'euros d'exportation en 2024, là où l'Allemagne en compte 300 000 pour 1 548 milliards d'euros, et l'Italie 180 000 pour plus de 674 millions d'euros. Nous avons donc un handicap culturel vis-à-vis de l'exportation, mais il apparaît surtout que nous sommes incapables de développer efficacement le volume de nos exportations. Si l'action de Bpifrance à l'international nous paraît adaptée dans sa nature, son module « export » est manifestement sous-dimensionné par rapport à l'enjeu du soutien des ETI et PME françaises. Cette activité gagnerait à devenir un outil intégré de prospection, de conquête de marché et de financement. Aujourd'hui, Business France s'occupe de la prospection et Bpifrance du financement, ce qui représente deux guichets. Ce n'est pas une situation idéale ; il faudrait davantage rapprocher ces deux entités. Nous constatons par ailleurs la persistance d'une tendance à l'éparpillement et à la redondance des offres de services et des dispositifs d'accompagnement.

Beaucoup reste à faire pour maximiser le potentiel français à l'exportation et parvenir au même résultat que l'Allemagne ou l'Italie. Il est donc urgent de simplifier nos outils, casser les silos et intégrer certaines fonctions de la Team France Export pour bâtir une chaîne complète et cohérente, de la détection à l'accompagnement financier, laquelle serait basée sur un modèle d'affaires export pérenne et pilotée par la mesure des résultats concrets pour les entreprises.

Autre impératif retenu de nos auditions : utiliser une seule et même marque, la marque « France », pour promouvoir les savoir-faire français. Lorsque vous êtes dans un salon international, vous voyez la Savoie, la Normandie, telle ou telle région, mais on ne parle pas de la  marque  «  »France. Nous perdons donc en impact. En s'inspirant de l'exemple italien, il est important d'inciter les entreprises françaises à « chasser en meute », de sorte qu'elles s'entraident et s'associent. Il faudrait que l'implantation d'une entreprise issue d'un bassin de production français puisse bénéficier aux autres entreprises de ce même bassin, ce dont nous sommes très loin.

Toujours dans une logique de casser les silos, il conviendrait de lier la politique de soutien à l'internationalisation des entreprises et l'aide publique au développement. Sans dénaturer cette dernière, elle doit constituer un levier structurant pour notre commerce extérieur, notamment en orientant les missions du groupe AFD. Aujourd'hui, l'AFD finance des opérations avec des investisseurs chinois, ce qui doit cesser. Au-delà des instruments industriels et financiers classiques, la capacité de la France à renforcer sa présence repose sur des leviers immatériels insuffisamment mobilisés, dans le domaine desquels nous avons pourtant une véritable supériorité.

La langue, la culture, les réseaux éducatifs, universitaires et la francophonie facilitent l'accès au marché, en particulier en Afrique. Ils structurent des relations économiques de long terme et favorisent des partenariats fondés sur la coproduction, la coformation et l'investissement durable. La francophonie n'est pas qu'un héritage culturel ; c'est un avantage économique sous-utilisé. Son articulation plus systématique avec notre diplomatie économique renforcerait la capacité de nos entreprises à s'insérer durablement dans les chaînes de valeur internationales, en particulier dans l'espace francophone et les régions en forte croissance. Enfin, nos exportateurs gagneraient à s'appuyer davantage sur les entreprises françaises à l'étranger, dont il faudrait rapidement établir un recensement rigoureux, centralisé et opérationnel, comme le prévoyait la proposition de loi d'Évelyne Renaud-Garabedian, adoptée par le Sénat le 30 mai 2023. Ces entreprises françaises à l'étranger (EFE) seraient entre 150 000 et 300 000. Vous voyez combien la fourchette est précise...

Mes chers collègues, la France ne gagnera pas la bataille du commerce international en cherchant à imiter les modèles chinois ou américains. Elle y parviendra en assumant pleinement sa vision, ses singularités, en mobilisant ses propres forces économiques, industrielles et d'influence de manière cohérente et déterminée au service d'une stratégie nationale et européenne. C'est à cette condition qu'elle pourra redevenir un acteur qui compte. Le commerce international a changé de nature ; à nous de changer de méthode.

M. Franck Montaugé. - Merci aux rapporteurs pour ce travail. Je m'étonne que l'OMC n'ait pas été évoquée : faut-il désormais considérer qu'elle n'a plus aucune influence sur les questions relatives aux relations commerciales internationales ? Que peuvent en attendre la France et l'Union européenne ?

Le passage du multilatéralisme à un système favorisant de plus en plus le bilatéralisme se réplique en matière de relations commerciales, ce qui ne me semble pas aller dans l'intérêt des États membres, d'où la nécessité de redonner à l'Union européenne le rôle et l'efficacité qu'elle doit jouer dans ce domaine.

Par ailleurs, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a édicté un Codex Alimentarius rassemblant une série de règles et de normes en matière de production alimentaire : que peut faire l'Union européenne sur ce type de sujets ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - L'OMC est totalement marginalisée et il ne faut donc pas en attendre grand-chose.

M. Franck Montaugé. - C'est très grave !

M. Didier Marie, rapporteur. - Tout en ayant travaillé ensemble, nous pouvons avoir quelques divergences d'appréciation, notamment à ce sujet. Certes, l'OMC fonctionne mal, mais il est exagéré de dire qu'elle ne fonctionne plus. Ce dysfonctionnement est lié au fait que les États-Unis ont décidé - bien avant la réélection de Donald Trump - de bloquer la nomination des juges au sein de l'organe d'appel de l'organe de règlement des différends (ORD), tandis que la Chine a adhéré à l'OMC - grâce à notre bonne volonté - sans en respecter les règles, puisqu'elle a continué à subventionner massivement son industrie, soit par l'intermédiaire des marchés publics, soit par le biais des entreprises d'État.

Cependant, de nombreux États, dont les Brics, souhaitent le maintien du multilatéralisme et de règles communes au commerce international, ce qui permet à l'OMC de fonctionner cahin-caha et d'obtenir des résultats : je pense notamment à l'accord, certes modeste, portant sur les subventions à la pêche et la pêche illicite. Il faudrait donc réformer l'OMC, mais la tâche restera malaisée tant que les États-Unis bloqueront la machine et s'en désintéresseront.

En résumé, faut-il une OMC à laquelle ne participent pas les deux superpuissances ou faut-il envisager - comme Mme von der Leyen l'a évoqué sans donner suite - un nouvel organisme international associant tous les pays désireux de maintenir des règles et le multilatéralisme ?

M. Yannick Jadot, rapporteur. - L'OMC tirait sa force de sa capacité à produire du « droit dur », ce qui est très rare au niveau multilatéral. Nous sommes effectivement pris en étau entre la Chine, qui a construit son hégémonie grâce à l'OMC et à un mercantilisme souvent destructeur pour une partie de nos économies, situation que n'avons pas su anticiper, et des États-Unis qui se sont dissociés de cette organisation depuis longtemps : si Donald Trump prend en permanence des mesures totalement incompatibles avec ses règles, le mouvement avait commencé avant lui.

Dans ce contexte, l'Union européenne est-elle capable de construire des coalitions qui se donnent pour ambition l'élaboration de règles communes et la mise en place d'une forme d'État de droit international ? Le mécanisme de règlement des différends illustre l'idée d'un espace commun permettant de résoudre les litiges.

S'y ajoute la question des valeurs : selon moi, l'avenir de l'Union européenne passe par le fait de considérer que le multilatéralisme des valeurs peut se conjuguer - soit au travers de ses propres règles, soit au travers de règles adoptées par une coalition - à une forme d'unilatéralisme.

Je suis en revanche plus sceptique s'agissant du Codex Alimentarius, car il s'est souvent révélé assez perméable à des intérêts économiques extrêmement puissants, et notamment à la vision américaine du principe de précaution.

M. Franck Montaugé. - Le concept reste intéressant.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Nous avons en tout cas bien plus et bien mieux à faire avec les pays du Sud. Notre pays s'interroge sur sa relation avec l'Afrique - qu'il convient de reconstruire - et devrait prendre la tête de l'Union européenne afin de bâtir de nouveaux partenariats permettant d'être moins vulnérables face à la Chine.

M. Daniel Salmon. - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour ce travail qui montre bien comment l'Europe a vécu pendant des décennies avec l'idée de la mondialisation libérale heureuse, qui était censée nous apporter une croissance perpétuelle. Nous en avons certes recueilli les bénéfices pendant une période, mais la situation est désormais plus difficile.

Certaines des préconisations du rapport me semblent être des voeux pieux : il en va ainsi de la mention d'une « égalité des conditions de production », alors que la compétition mondiale est justement basée sur les écarts de coûts du travail et de l'énergie, ainsi que sur la valeur accordée à la pollution de l'environnement.

De la même manière, la recommandation nº 2 consiste à élargir au maximum la liste des exemptions négociées avec les États-Unis, mais ne soyons pas naïfs : nous devrons faire des concessions en contrepartie des avancées que nous pourrons obtenir pour tel ou tel secteur.

Nous nous sommes également placés dans une situation de dépendance trop forte à l'égard de quelques marchés sur des filières telles que le cognac, 80 % de la production étant destinés aux États-Unis et à la Chine : il faudrait donc diversifier nos exportations.

Comme la commission d'enquête consacrée à la commande publique l'a montré, il nous faut protéger notre marché et nos données, car nous sommes aussi, en matière numérique, dépendants des Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam).

J'en termine avec le voyage organisé par la commission des affaires économiques au Maroc, qui nous a montré l'intérêt de nouer des partenariats et rappelé que nous avons des liens privilégiés avec l'Afrique, en particulier avec l'Afrique du Nord. Il y a là des chantiers à poursuivre, en évitant des stop and go qui déstabilisent tant nos entreprises que nos relations avec ces pays.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous avons créé des dépendances volontaires, peut-être par facilité, en pensant que le monde ne changerait pas. Vieillissante, l'Europe n'a pas été capable de prendre en compte des mouvements et des changements radicaux, avec les conséquences que nous subissons aujourd'hui.

Au sein même de l'Union européenne, de nombreux acteurs continuent à défendre leurs intérêts nationaux avant toute chose et n'acceptent de négocier qu'à la condition de ne pas être trop affectés. Nous avons besoin d'être proactifs et, si la liste de recommandations peut paraître molle, c'est parce qu'elle correspond à la réalité de ce qu'est l'Union européenne aujourd'hui, qui ressemble à un moteur diesel peinant à accélérer pour suivre les mutations du monde. De ce fait, nous ne réagissons que tardivement, et uniquement lorsque nous y sommes contraints.

Néanmoins, nous représentons encore un modèle pour beaucoup de pays du monde et notre capacité à nous doter de normes devrait - notamment vis-à-vis des Brics - être une force. À ce titre, le détricotage actuel des normes européennes, en particulier en matière environnementale, m'interpelle, car ces dernières devaient jouer un rôle d'entraînement : les affadir nous fait perdre en crédibilité aux yeux des Brics comme du continent africain.

Par ailleurs, le développement de partenariats est bien évidemment souhaitable. Le Maroc a, à une époque, décidé de s'ouvrir vers l'Afrique subsaharienne, mais nous n'avons malheureusement pas su saisir cette opportunité pour nous rapprocher de la Mauritanie, par exemple.

M. François Bonneau, rapporteur. - Le cognac est l'un des produits les plus touchés par la guerre commerciale en cours. Il me semble inexact de dire que les exportations se sont focalisées sur deux pays : par le passé, le cognac s'exportait très bien au Japon, et il faut davantage raisonner en termes de cycles. Dans le cycle actuel, le problème est que les deux principaux marchés sont affectés en même temps, et il faut donc tâcher de se repositionner ailleurs.

M. Didier Marie, rapporteur. - L'accord de Turnberry a été non pas conclu, mais imposé par les États-Unis avec un chantage à l'aide militaire à l'Ukraine. Cela étant, la possibilité de poursuivre les négociations sur un certain nombre de sujets reste ouverte, d'où notre recommandation qui vise à ce que l'Union européenne se saisisse de toutes les opportunités. De plus, le chantage à l'aide militaire varie fortement, d'où la nécessité pour la Commission européenne de ne pas rester focalisée sur cet aspect, d'autant que des mesures telles que la taxe plancher de 15 % ont déjà été mises en place. Un certain nombre de secteurs sont exonérés, tandis que d'autres sont surtaxés, mais il reste des marges de négociation : à la Commission de les trouver, et aux acteurs économiques concernés de l'inciter à le faire.

M. Olivier Rietmann. - Ce travail commun nous permet de dresser le constat d'une guerre économique opposant trois blocs : l'Asie - Chine en tête -, les États-Unis et, au milieu, l'Europe. Toute guerre présente des aspects offensifs et défensifs et, si vous avez longuement analysé le second aspect au travers de mesures de protection, le premier a été nettement moins développé, même s'il a été évoqué par Jean-Luc Ruelle.

Selon moi, la meilleure protection que nous pouvons apporter à nos entreprises, qu'elles soient françaises ou européennes, consiste à leur redonner de la compétitivité. Cet enjeu est peut-être délicat à aborder dans le cadre d'un travail transpartisan, mais nous devons être réalistes et ne pas nous contenter de mesures défensives, car nous avons besoin de conquérir des marchés.

Le différentiel entre les capacités d'exportation de l'Allemagne, de l'Italie et de la France me semble directement corrélé avec le faible nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans notre pays : nous ne comptons que 7 000 ETI, alors qu'elles sont au nombre de 11 000 en Italie et de 18 000 en Allemagne. Nous aurions donc pu aller beaucoup plus loin sur les mesures permettant d'accélérer la transformation des PME en ETI et d'accroître la capacité d'export desdites ETI.

Alors que les défaillances d'entreprises ont atteint un niveau record l'an passé - record que nous allons encore malheureusement battre -, les ETI sont de plus en plus concernées par le phénomène, ce qui constitue une nouveauté très inquiétante. Ce réseau d'ETI appuie en effet notre commerce extérieur et notre balance commerciale se dégrade, car nos entreprises ne sont pas suffisamment lestes et compétitives.

M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Nous avons évoqué les zones de confort dans lesquelles nous sommes restés et dont nous devons désormais en sortir en misant sur l'innovation, quitte à aller la chercher ailleurs. Il s'agit d'un enjeu de politique industrielle nationale, celle-ci devant être articulée avec l'échelon européen. Nous manquons cependant de visibilité, car l'ensemble des chocs liés aux réajustements des flux commerciaux ne se sont pas encore produits à ce niveau, alors qu'une concurrence accrue sur certaines branches pourrait en résulter. Or les responsables - notamment politiques et administratifs - se refusent à affronter cette réalité, ce qui est fort regrettable.

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Premièrement, la difficulté de la thématique traitée dans le rapport est qu'elle peut amener à aborder tous les sujets : il s'agissait pour nous de déterminer si l'Union européenne et la France disposent des outils appropriés pour faire face aux évolutions des stratégies économiques, commerciales et industrielles des États-Unis et de la Chine, et non pas de développer une réflexion sur la compétitivité française dans le monde d'aujourd'hui et de demain.

Deuxièmement, nous avons évoqué une série d'aspects, dont le fait que les barrières non tarifaires sont considérables au sein du marché unique : contrairement à ce que l'on peut imaginer, ce dernier n'est pas un marché de libre circulation des marchandises et des services.

Troisièmement, nous mentionnons le fait qu'il n'existe pas de politique industrielle européenne alors que les circonstances devraient nous amener à accélérer sur ce point. À une époque, l'Allemagne a été le poids lourd de l'industrie européenne, bénéficiant à la fois d'un gaz russe bon marché et de débouchés chinois pour son industrie automobile ; désormais, nos voisins sont plus affectés que nous par les droits de douane américains, ce qui les conduit à vouloir écouler leurs véhicules au Brésil. Ces changements devraient permettre d'ouvrir une discussion sur la politique industrielle avec eux, ce sujet restant un peu tabou.

J'ajoute que les modèles de capitalisme italien et allemand sont basés sur une implication bien plus forte des régions - y compris dans le capital d'un certain nombre d'entreprises -, ce qui génère des stratégies d'investissements bien différentes de celles du capitalisme français, davantage centralisé et articulé autour de grands groupes très liés à l'État et de nombreux sous-traitants, avec un nombre effectivement plus réduit d'ETI autonomes.

Au niveau européen, le fait que le rapport Draghi ne soit utilisé par la Commission européenne que pour caler des meubles est affligeant. Les discussions autour du budget européen tendent davantage vers une flexibilisation des aides d'État et une renationalisation des aides, ce qui est catastrophique si nous entendons constituer des poids lourds industriels européens dans des secteurs stratégiques.

La mise en place d'un budget européen dédié à la politique industrielle devrait être portée par la France avec bien plus d'ambition : à nous de balayer devant notre porte, car notre impuissance au sein de l'Union européenne représente un problème majeur.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - La commission des affaires européennes a entendu la semaine dernière le président de l'Autorité de la concurrence, Benoît Coeuré, selon qui une bonne articulation entre compétitivité, concurrence, marché intérieur et développement industriel était nécessaire. Il a cité le cas des entreprises chinoises, qui sont soumises à une rude concurrence domestique avant de se positionner à l'international, ce qui leur permet ensuite de gagner des parts de marché plus aisément.

L'un de nos rapports de contrôle se penchera sur les modalités concrètes d'application des rapports Draghi et Letta.. En tout état de cause, il convient de relever de front les défis de la politique commerciale, de la politique industrielle, de la compétitivité et de la concurrence, qui ne sont pas des gros mots.

Mme Martine Berthet. - Merci à tous les rapporteurs pour ces propositions visant à nous sortir de ce mauvais pas qui nous voit coincés entre les surproductions chinoises et les taxes douanières américaines. L'Union européenne doit unir ses forces afin de résister, en s'appuyant sur un marché qui reste important.

Les trois premières recommandations valent-elles pour la France ou pour l'Union européenne ? Il me semblerait plus pertinent de viser la seconde pour réussir à peser sur les États-Unis.

Ensuite, les recommandations nos 4 à 8 incluent-elles une vigilance particulière lorsque des entreprises françaises sont rachetées par des acteurs étrangers ? Je pense au cas récent de DS Smith Packaging Savoie, cartonnerie rachetée par des Américains et qui risque de fermer : même si l'État et les élus cherchent des repreneurs, le groupe concerné ne semble pas souhaiter une poursuite de l'activité. Comment pouvons-nous avoir cette vigilance sur ce type de rachats et de fermetures sèches ?

M. Yannick Jadot, rapporteur. - Le mécanisme d'alerte et de coopération sur le filtrage des investissements étrangers a fait l'objet de discussions très difficiles au niveau de l'Union européenne. En effet, compte tenu de la faiblesse du budget européen, certains États membres s'y opposent, car ils ont besoin d'investissements étrangers, y compris chinois.

Nous serons plus convaincants sur notre capacité à protéger un certain nombre de secteurs et d'usines stratégiques si l'Union européenne accorde les ressources nécessaires au développement de projets européens. Le système actuel ne fonctionne pas ; or, qui ne voit pas le risque que représente la présence chinoise dans une partie des infrastructures stratégiques européennes, qu'elles soient portuaires ou énergétiques ?

De la même façon, le rapport Draghi ne nous dédouane pas des efforts à fournir en matière de recherche et d'innovation, la France n'y consacrant que 2,18 points de PIB, tandis que l'Allemagne y consacre 3,0 points et que l'Espagne est passée devant nous dans le domaine des tests cliniques. S'y ajoute désormais un déficit commercial agroalimentaire, et je ne pense pas que le débat se résume à la compétitivité : une forme d'apathie s'est installée et nous a desservis. Il faut désormais y remédier et rattraper notre retard dans le domaine de la recherche et de l'innovation, sauf à accroître nos retards structurels.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La France recule sur l'ensemble des positions d'excellence qu'elle occupait précédemment, qu'il s'agisse d'industrie, d'agriculture, d'innovation ou de savoir-faire, tandis que le reste du monde avance.

Nous devons muscler les capacités d'exportations de nos entreprises en mobilisant le vivier des Français vivant à l'étranger, car ces entreprises peuvent avoir des problèmes liés à la langue et sont moins mobiles que les entreprises d'autres pays : l'Italie fait ainsi preuve de dynamisme en se vendant en tant que pays, tandis que nous ne défendons guère la marque  « France ».

Cette faiblesse à l'exportation est selon moi notre principale faiblesse. La France n'est plus une « grande dame », car nous avons - j'insiste - énormément reculé.

Enfin, il faut aider nos grandes entreprises en ne dénigrant pas systématiquement les personnes qui les dirigent : nous sommes par exemple leaders dans le luxe et il faut défendre notre position.

M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Je profite de la présence des commissaires des affaires européennes pour évoquer les modes de fonctionnement et de prise de décision au niveau de l'Union : ces derniers ont été de véritables problèmes en termes d'opportunités perdues et de décalages dans la prise de décision. Il faudrait donc se pencher sur les manières d'améliorer ce fonctionnement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je rappelle qu'il n'est pas question d'une discussion entre la France et l'Union européenne, mais de discussions à vingt-sept États membres qui ralentissent énormément les processus. Nous sommes par exemple incapables d'évaluer précisément le nombre de pays qui soutiennent la position de la France dans le dossier du Mercosur à ce moment précis, car les choses se décideront à la dernière minute.

M. Didier Marie, rapporteur. - Une partie des deux rapports remis par Mario Draghi et Enrico Letta n'a pas été évoquée dans le débat public : il s'agit de celle qui a trait à la nécessité d'une plus grande intégration européenne, en mettant en place un marché des capitaux et en mobilisant l'épargne européenne.

La comparaison des entreprises américaines et des entreprises françaises laisse apparaître un fort écart en termes d'investissements : en France, sur 840 milliards d'euros d'épargne, 250 milliards d'euros sont investis aux États-Unis chaque année. Nous disposons donc des moyens de relancer la machine économique, dès lors qu'il existe une volonté politique pour le faire. Si la prise de décision à vingt-sept est effectivement complexe, c'est bien à l'échelon européen que les choses se jouent, notre marché de 450 millions de consommateurs nous mettant en position de concurrencer les États-Unis et d'autres pays.

M. Yves Bleunven. - Au-delà de notre manque d'expertise en matière d'export, quand nous interrogerons-nous sur les poids que nous avons mis aux pieds de nos entreprises tout en leur demandant de courir le 100 mètres ? La France est devenue une véritable usine à gaz en termes de production et nous serions sans aucun doute des champions si nous exportions nos normes ! Regardons objectivement les contraintes qui pèsent sur nos sociétés et interrogeons-nous sur les causes de la perte d'une série de marchés.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Si nous disposons en effet de tous les outils pour réussir, un changement de culture est nécessaire. À la différence de l'Allemagne, où un grand groupe se positionne à l'étranger en associant l'ensemble de ses fournisseurs et de ses ETI et PME, nous avons toujours favorisé les grands groupes et nos ETI et PME n'ont pas été aussi exposées, ce qui fait qu'elles ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour réaliser des études de marché à l'international, alors qu'il est difficile de partir seul à l'aventure.

Du temps est requis pour accomplir ce changement, et je tiens à ajouter que nous réussissons dans d'autres domaines.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je remercie vivement nos six rapporteurs.

Les recommandations sont adoptées.

La commission des affaires économiques, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des affaires européennes adoptent, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 18 h 55.

Mercredi 17 décembre 2025

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Retour d'expérience sur l'exercice Vulcain 2025 - Présentation par les colonels de l'armée de Terre Philippe Le Duc et Emmanuel Cole

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui les colonels de l'armée de Terre Philippe Le Duc et Emmanuel Cole pour nous faire part du retour d'expérience sur l'exercice Vulcain 2025. Messieurs les colonels, je vous propose de nous présenter l'exercice, de nous en expliquer les tenants et les aboutissants et ses apports, notamment pour la réserve, puisqu'il s'agit d'un exercice qui la concerne évidemment beaucoup.

Colonel Philippe Le Duc - Je suis le colonel Philippe Le Duc, chef d'état-major de la 4ème brigade d'aérocombat depuis juillet dernier. J'avais préalablement commandé le 35ème régiment d'infanterie à Belfort, ce qui représente une grosse bascule de spécialité.

Vous allez forcément me poser la question : pourquoi un fantassin à la tête d'une brigade d'aérocombat ? Je ne suis pas le spécialiste de l'aérocombat de l'état-major que je commande pourtant, mais je suis par contre spécialiste du combat interarmes. L'objectif d'avoir un fantassin, ou plus généralement quelqu'un d'une arme de mêlée, comme chef d'état-major de cette brigade, est d'être capable de combiner les actions terrestres avec les actions dans la troisième dimension conduites par les aéronefs.

Pour brosser très rapidement le portrait de l'objet particulier qu'est l'état-major de la 4ème brigade d'aérocombat - la 4ème BAC -, c'est à la fois une brigade très particulière et une brigade interarmes classique. C'est une brigade très particulière parce qu'elle est unique. Elle regroupe les trois cinquièmes des hélicoptères de combat de l'armée de terre, les deux autres cinquièmes étant, très schématiquement, répartis entre, d'une part, ceux des forces spéciales et, d'autre part, ceux des écoles de formation, qui créent un écosystème complet dans lequel la 4ème brigade d'aérocombat engendre la capacité d'action dans la profondeur, notamment au profit de la force opérationnelle terrestre.

Concrètement, c'est une toute petite brigade. Pour avoir fait un point récemment, nous sommes 2 990 personnels d'active, c'est-à-dire moins de la moitié d'une brigade interarmes classique, comme la 2éme ou la 7ème brigade blindée par exemple, qui comptent entre 6 000 et 7 000 personnels. Nous sommes donc vraiment sur une toute petite population. En termes de réservistes, puisque c'est le sujet qui va nous occuper, nous comptons 900 personnels à l'heure actuelle, avec une cible aux alentours de 1 500. On voit donc que le poids de la réserve va être assez rapidement considérable.

Cette brigade est particulière aussi par sa géographie, car son état-major est situé à Clermont-Ferrand - on peut difficilement faire plus au centre de la France. En revanche, elle est très étalée sur le territoire, puisque deux régiments d'hélicoptères de combat sont dans le Nord-Est : l'un est à côté de Verdun, le 3ème régiment d'hélicoptères de combat, et le second à Phalsbourg, en Moselle.

Un autre pôle est situé plus au sud-ouest, le 5ème régiment d'hélicoptères de combat à Pau, ainsi qu'une unité plus méconnue, le 9ème régiment de soutien du matériel à Montauban, spécialisé dans le soutien des hélicoptères. C'est l'autre régiment de Montauban, le 17ème régiment du génie parachutiste qui est le plus connu. Pour entrer plus précisément dans le détail, cet état-major de la 4ème brigade est composé de plusieurs éléments qui créent un système cohérent de commandement. Il y a, bien évidemment, l'état-major lui-même, qui génère un poste de commandement de brigade qui va d'ailleurs être engagé sur l'exercice ORION l'année prochaine, au cours duquel il sera certifié pour être apte à s'engager en haute intensité. Cet état-major est complété dans ses capacités par une compagnie de commandement et de transmissions, c'est-à-dire une compagnie qui fournit tout l'appui logistique, l'appui à la maintenance et l'appui en termes de liaisons de transmission qui permettent à cet état-major de commander ses différents pions tactiques sur le terrain. Il bénéficie également de deux autres compléments, ce qui nous amène au sujet qui nous intéresse aujourd'hui : ce que l'on appelle des états-majors tactiques de réserve. Ce sont des états-majors tactiques complémentaires du poste de commandement de la brigade, destinés à commander des formations que nous appelons des groupements tactiques - autrefois, on aurait appelé cela un régiment. Ces groupements tactiques, comme cela a été mis en oeuvre sur l'exercice Vulcain, sont de deux types, qui correspondent aux deux types d'état-major qui leur sont rattachés. D'une part, un état-major tactique de réserve 41, celui commandé par le colonel Emmanuel Cole ici présent, est un état-major, j'allais dire, classique, destiné à être engagé sur le territoire national à la tête d'un groupement tactique qui s'engage en défense opérationnelle du territoire - c'est ce qui a été simulé lors de l'exercice. D'autre part, un autre état-major tactique 42 spécifique à l'aérocombat. En effet, il est quasi exclusivement composé d'anciens personnels de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre (ALAT) à la retraite, mais réservistes. C'est en fait le complément naturel de l'état-major d'active ; c'est lui qui complète nos effectifs lors de nos exercices, qui monte nos exercices, et ainsi de suite. Ce système de commandement de la brigade est donc directement impliqué dans cette montée en puissance des réserves, comme le sont la totalité des brigades de l'armée de terre. Ces réservistes y sont répartis à différents niveaux. Ce sont, pour commencer, des compléments individuels.

Ces compléments individuels sont des réservistes, en général spécialistes dans un domaine, formés en tant qu'officiers d'état-major, qui complètent les postes de commandement de nos régiments ou de l'état-major de la brigade. L'état-major de la 4èmeBAC possède donc un certain nombre de compléments individuels. Ils sont ensuite affectés dans des unités de réserve de deux types, très présentes dans la brigade dont je suis le chef d'état-major. Il y a, d'une part, des unités de réserve que je qualifierais de classiques, destinées à un engagement sur des missions communes sur le territoire national. Ce sont généralement ces unités qui sont assez régulièrement engagées sur la mission Sentinelle - pour vous donner un exemple concret - et qui ont été très fortement mobilisées lors de la sécurisation des Jeux olympiques de 2024. D'autre part, il y a ce qui est en cours de développement : les unités spécialisées de réserve. En l'occurrence, à la 4ème brigade d'aérocombat, nous les dénommons des escadrilles d'aide au déploiement. Il s'agit de réservistes spécialisés dans une tâche directement liée à la mission principale d'engagement en aérocombat de la brigade. Concrètement, ces unités sont constituées de réservistes au même titre que n'importe quelle autre unité, mais elles fournissent des éléments de protection à tous les postes de commandement déployés sur le terrain ainsi qu'au plot logistique. Sans entrer dans les détails, le déploiement d'une force d'aérocombat est un objectif à haute valeur ajoutée pour un adversaire et est donc très étalée sur le terrain. Il peut notamment être amené à déployer des points-relais en arrière des lignes ennemies pour, par exemple, effectuer du recomplètement en carburant ou en munitions afin d'aller frapper beaucoup plus dans la profondeur. Évidemment, on ne déploie pas ce genre de plots sans une protection, et les escadrilles d'aide au déploiement sont là pour fournir cette protection à ces différents éléments. Ce sont donc ces unités, ces escadrilles d'aide au déploiement, qui ont été regroupées sous le commandement de l'état-major tactique de réserve 41, commandé par le colonel Cole, dans le cadre de l'exercice Vulcain.

Cet exercice, ce qui nous amène directement à l'objet de mon propos, avait plusieurs objectifs pour nous. Créer un bataillon de réserves de brigade est l'objectif qui a été assigné à la totalité des brigades de l'armée de terre, ce qui inclut la 4ème BAC. Je vous ai évoqué cette petite difficulté particulière qui est liée à notre géographie : l'état-major tactique qui doit les commander est également situé à Clermont-Ferrand, mais ses escadrilles sont logiquement subordonnées à nos différents régiments. Il était donc nécessaire de créer un exercice qui permette d'entraîner non seulement nos capitaines, commandants de compagnie, mais également les sections qui les composent, et d'entraîner l'état-major tactique 41 à s'engager en tant que poste de commandement de groupement tactique de niveau régimentaire. Comme je vous l'ai expliqué, le volume de la brigade étant assez restreint, il s'est agi spontanément d'une ouverture vers les autres brigades, d'une offre d'opportunités d'entraînement qui a été ouverte à une quinzaine de formations extérieures à la brigade pour acquérir, de manière tout à fait intéressée de notre part, mais en même temps gratuite en termes d'entraînement, un volume de force suffisant pour que nous puissions entrainer efficacement le poste de commandement qui s'est déployé sur cet exercice, afin de ne pas commander seulement une ou deux compagnies, ce qui n'est ni réaliste, ni intéressant. C'est cette genèse qui a amené la structuration de l'exercice Vulcain 25, qui, comme son nom l'indique très clairement, est un exercice destiné à forger la capacité opérationnelle, non seulement des unités de réserve, mais également du poste de commandement qui est rattaché directement à l'état-major de la brigade.

Voilà pour ce tour d'horizon et ce préambule qui me paraissait nécessaire pour que vous compreniez dans quel cadre a agi le colonel Cole avec son état-major, quels sont les grands objectifs poursuivis et quel est le cadre général. Il s'agit vraiment d'une cohérence avec l'action d'ensemble de l'armée de terre puisque, en même temps qu'avait lieu l'exercice Vulcain 25 pendant les congés de la Toussaint, quatre autres brigades de l'armée de terre ont réalisé également des exercices sur le même principe, pas aussi volumineux, car elles n'avaient pas cette nécessité, comme nous, d'agréger des unités venant d'ailleurs. La 27ème brigade d'infanterie de montagne a réalisé un exercice GYPAETE dans la vallée de l'Ubaye, la 9ème Brigade d'infanterie de Marine (BIMA) a réalisé un exercice en Normandie. Il y a eu toute une cohérence d'ensemble d'exercices de ces futurs bataillons de réserve-brigade qui se sont déroulés sur cette période favorable qu'est la période de la Toussaint. Pour conclure cette introduction, je cède maintenant la parole au colonel Cole, qui va entrer plus en détail dans le montage et la conduite de cet exercice.

Colonel Emmanuel Cole. - Je suis réserviste, référent patrimonial à la Banque Postale. Je commande depuis 2023 l'état-major tactique de réserve de la 4ème brigade d'aérocombat de Clermont-Ferrand, qui a donc conduit l'exercice militaire à partir du 15 octobre 2025. Celui-ci s'est déroulé en terrain libre dans la région de Brioude, en Haute-Loire - département 43 -, du 25 au 31 octobre 2025. C'est en cette qualité que je m'exprime devant vous aujourd'hui.

Mes propos se déclineront en trois parties : premièrement, l'origine de l'exercice ; deuxièmement, une rapide présentation et, enfin, une analyse placée plus spécialement sous les angles opérationnels et du rayonnement pour l'armée.

Premièrement, l'origine de l'exercice. Convaincu que la réserve est un élément important pour la pleine réalisation des missions des armées, dans le cadre de la défense du pays et dans un contexte sécuritaire et climatologique incertain, il était évident que les effectifs des réserves, leur emploi et leurs capacités opérationnelles devaient être renforcés. Cette réserve est indispensable dans le cadre du lien armée-nation, au sein des armées et en particulier dans l'armée de terre. Face à ce constat, nous étions persuadés qu'il manquait un exercice d'envergure qui permettrait à l'armée de terre de pouvoir s'entraîner sur notre territoire avec ses militaires d'active et de réserve, dans le cadre de la défense opérationnelle du territoire et face à un ennemi identifié et infiltré.

Porté par la 4ème brigade d'aérocombat et son état-major tactique de réserve, l'exercice a été mené une première fois dans l'Allier en 2023, avec déjà environ 300 réservistes. Fort de ce véritable engouement de la part de tous les acteurs, il a été décidé de le reconduire en 2025. L'exercice Vulcain est construit sur un cycle de deux ans : la première année aboutit à un entraînement technique en salle du centre opérationnel de l'état-major de réserve et la deuxième année à sa conduite sur le terrain avec les unités. Ainsi est né l'exercice Vulcain.

Deuxième point : la présentation de l'exercice. Le choix du lieu n'est pas anodin. L'exercice s'est tenu dans ce que l'on appelle un désert militaire, en terrain libre, au milieu de la population. C'est un terrain de moyenne montagne qui couvre 114 communes du quart nord-ouest de la Haute-Loire. Il est parfaitement adapté aux combats motorisés pour des missions de contrôle de zone, et ce en coordination avec les forces de sécurité intérieure, les forces de sécurité civile et les représentants de l'État. Le thème tactique, quant à lui, s'est articulé autour d'actions de déstabilisation en zone rurale conduites par des éléments de forces spéciales engagés sur le territoire national par une puissance étrangère hostile, dans un environnement climatique très dégradé : inondations, tempêtes. À la menace climatique s'ajoute donc la menace sécuritaire, ce qui nécessite, pour y remédier, le recours aux forces armées. Les moyens ont été conséquents. Près de 900 hommes ont participé à Vulcain 2025, 80 % de réservistes, et 20 % d'actifs, répartis en six unités de combat terrestre, le tout formant un groupement tactique commandé par l'état-major de réserve, engagé face à une force adverse de niveau compagnie. Cette ressource humaine provenait de dix-neuf formations de l'armée de terre appartenant en majorité au commandement de la force et des opérations terrestres, ce qui démontre la portée nationale de cet entraînement. Je citerai en particulier le 92ème régiment d'infanterie de Clermont-Ferrand et le 28ème régiment de transmissions d'Issoire, ce qui confère une dimension territoriale plus locale. Pour compléter le dispositif, il y avait 140 véhicules, des drones, des hélicoptères et des moyens de franchissement du génie. L'animation a été bâtie sur le principe de vignettes à la difficulté progressive. Ainsi, trente-six séquences ont été conduites, permettant de couvrir l'ensemble du spectre d'événements pouvant être rencontrés sur le territoire national et de faire ainsi travailler toutes les unités sur le terrain ainsi que l'état-major. Le scénario et l'animation ont été conduits avec souplesse en fonction des objectifs qui avaient été donnés et du niveau des résultats opérationnels à atteindre. Renforcé de moyens spécifiques non détenus par la réserve, le centre opérationnel de l'état-major a pu et su mettre en oeuvre des savoir-faire très spécifiques, favorisant ainsi l'hybridation active-réserve. Je cite les moyens héliportés, les drones en particulier, avec l'engagement aéroporté des éléments de sa compagnie en réserve d'intervention.

Je vais maintenant aborder ce retour d'expérience sous deux angles : le premier, militaire et tactique ; le deuxième, celui de la communication et du rayonnement. La conduite de l'exercice Vulcain 2025 a permis de conforter un certain nombre d'aspects sur le plan de la préparation et de la capacité.

D'abord, la nécessité d'une hybridation réserve-active poussée. À tous les niveaux, au sein même des unités de réservistes, afin de pouvoir compléter tous les formats, de renforcer rapidement leur niveau de compétence et de favoriser ainsi la cohésion des deux catégories, l'optimisation de leur emploi permet à l'armée de terre de remplir son contrat opérationnel. Dans le cas de la défense opérationnelle du territoire (DOT), l'état-major tactique de réserve s'est entraîné sur le terrain au déploiement d'un centre opérationnel et à la conduite d'une manoeuvre sur le territoire national, en coopération étroite avec la délégation militaire départementale 43 de la Haute-Loire, l'état-major de zone de défense sud-est de Lyon, la préfecture, le service départemental d'incendie et de secours, ainsi que les forces de sécurité intérieure, tout en commandant réellement des troupes sur le terrain. Engagé dans un groupement tactique interarmes, il a ainsi travaillé avec l'ensemble des acteurs ministériels et interministériels au sein de l'Organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD), dans un contexte sécuritaire et climatique dégradé et exigeant. D'autre part, les procédures opérationnelles, dans un contexte juridique conforme aux règles d'emploi en vigueur sur la DOT, ont été mises en oeuvre en coordination avec les forces de sécurité intérieure et les forces de sécurité civile. Ces unités de réserve engagées ont pu mettre en application leur savoir-faire durant l'exercice de missions de combat terrestre. L'entraînement, qui a été très intensif, l'endurcissement et la rusticité des militaires de réserve au combat ont montré leur capacité de résilience et d'endurance pour intervenir efficacement sur le territoire national lors d'engagements opérationnels et renforcer ainsi les unités d'active. L'exercice Vulcain 2025 a montré une réelle crédibilité sur ce que peut faire la réserve aujourd'hui, complètement intégrée à l'active, au contact de la population et aux côtés des autres ministères. Les missions de défense et de sécurisation du territoire qui peuvent lui être confiées sont parfaitement adaptées aux connaissances, aux savoir-faire et aux expériences qu'elle possède. En synthèse, sur cette partie, l'exercice Vulcain a montré que cette réserve d'emploi est formée, en complément de ses missions Sentinelle, et doit poursuivre sa montée en compétence vers des missions désormais clairement centrées sur la défense opérationnelle du territoire. La plus-value de l'exercice est bien de s'entraîner en dehors des camps militaires et de pouvoir bénéficier d'une structure d'accueil en milieu civil.

Une salle polyvalente, une salle des fêtes, avec l'appui des maires et des municipalités, est tout à fait concevable dans le cadre d'emplois de crise pour assurer la sécurité intérieure et civile en France. Les états-majors tactiques de réserve se doivent d'être les unités motrices, initiatrices et coordinatrices de ces entraînements. Leur vocation en tant que bataillon de marche est de conduire ces missions sur le territoire national. Cela donne du sens à toutes les formations individuelles et collectives dispensées aux réservistes dans les régiments tout au long de l'année. D'autre part, la conduite d'un exercice d'une telle ampleur doit être un véritable vecteur de notoriété et de rayonnement pour l'armée de terre et la réserve en particulier. Ainsi, il a contribué à donner du sens à l'engagement d'un citoyen dans la réserve opérationnelle, en lui donnant le sentiment d'être utile à la défense de notre pays et de nos concitoyens ; à créer une émulation pour fidéliser et recruter de jeunes réservistes ; à renforcer aussi le lien armée-nation en étant présent dans les territoires ruraux et pas seulement en ville. Issus de la société civile, les réservistes sont bien le trait d'union entre les armées et ceux qu'elles protègent, contribuant ainsi à la cohésion nationale. Enfin, il a permis de donner de la crédibilité et de la visibilité à l'emploi des militaires pour la défense de la nation aux côtés des autres ministères. Pour cela, pilotées par la direction de l'exercice et la cellule communication de la 4ème brigade aérocombat, des visites, des interviews, des reportages de la presse militaire et civile ont été réalisés pendant l'exercice et ont permis de mettre en valeur la réserve. Les médias locaux, régionaux, nationaux et les réseaux sociaux traditionnels ont ainsi été sollicités. Au-delà, et afin de renforcer encore plus cette communication, nous avons souhaité impliquer totalement la population, les médias, les acteurs du monde politique, économique et institutionnel dans l'exercice. À cet effet, il y a eu deux séquences de présentations dynamiques successives, complètement ouvertes : l'une de combat urbain à Connangles, près du site connu de La Chaise-Dieu, et l'autre de franchissement sur le cours de l'Allier. Une séquence « rayonnement », destinée au monde de l'entreprise, a aussi été jouée. En tant que réserviste, cette vignette a été très importante. Pourquoi ? Elle a consisté en un « vis ma vie » d'une quinzaine de chefs d'entreprise, de chambres de commerce et d'industrie du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire, du MEDEF, accompagnés de représentants de la Garde nationale, de l'état-major de la zone de défense sud-est, ainsi que de la délégation militaire de la Haute-Loire. Ils ont été en immersion dans l'unité de la force en charge de surveiller et de protéger un site industriel Seveso. Accompagnés du directeur du site, ils ont pu assister en direct à la maîtrise d'une menace de drone par l'unité, en coordination avec les mesures défensives de l'usine. Étaient aussi présents les médias et le directeur de l'usine Hexadrone de Monistrol-sur-Loire, qui fournit et fabrique aujourd'hui 80 % des drones de l'armée de terre. Cette séquence d'immersion a offert aux dirigeants d'entreprise une opportunité unique de comprendre les capacités opérationnelles de la force constituée de réservistes professionnels. À l'issue, deux entreprises ont même signé une convention avec la Garde nationale. Au-delà de cette action, et pour aller plus loin, il est certain que les chambres de commerce et d'industrie ont un rôle prépondérant à jouer pour compléter et soutenir la politique de défense de notre pays dans les années futures. Je cite quelques exemples : accompagner l'industrie de défense, encourager les entreprises à intégrer des réservistes parmi leurs salariés, sensibiliser le monde économique aux enjeux de sécurité et de défense, renforcer la diffusion de la culture cyber et de la prévention contre l'espionnage industriel, soutenir la dynamique économique de la défense, créer un sentiment de fierté, de confiance et de reconnaissance auprès des salariés engagés dans ces actions. Je tiens à votre disposition, Monsieur le Président, toutes les conclusions et les espoirs portés par le président Claude Barbin de la chambre de commerce et d'industrie du Puy-de-Dôme à l'issue de l'exercice Vulcain 2025, qui pourraient être portés nationalement. Le dernier jour de Vulcain a été consacré à une journée « VIP » pour valoriser l'exercice. Ce fut une réussite totale. Elle a consisté en une présentation d'une séquence de combat dynamique en coordination avec les forces de sécurité intérieure et civile, en présence des médias, des autorités civiles et militaires, suivie d'une cérémonie de fin d'exercice devant plus de 3 000 personnes et, enfin, d'une exposition de matériel militaire. En tout, ce sont plus de 13 000 personnes qui sont venues à la rencontre de nos militaires ce jour-là. Toutes ces actions de communication et de rayonnement ont montré la véritable symbiose qui existe entre la Nation, son armée et ses réservistes.

En conclusion, l'exercice Vulcain 2025, placé sous la direction de l'état-major tactique de réserve, de la 4ème brigade d'aérocombat, a été le premier entraînement militaire d'envergure de la réserve opérationnelle sur le territoire national. Conçu comme un exercice en terrain libre, Vulcain 25 a mobilisé près de 800 réservistes de toutes armes dans un scénario réaliste mêlant menaces ennemies et conditions climatiques fortement dégradées. Il a été remarquable par l'ampleur inédite des moyens engagés.

En s'inscrivant pleinement dans la logique de préparation à la défense opérationnelle du territoire (DOT), cet exercice illustre l'importance croissante des forces de réserve dans les dispositifs de sécurité nationaux. Il permet également de renforcer les liens entre l'armée et les forces de sécurité intérieure, dans une dynamique interarmées et interministérielle pour faire face aux crises de demain.

Forts de leur engagement, de leur expérience et de leur capacité à s'adapter à des situations variées, les réservistes doivent jouer un rôle essentiel au sein de la sécurité nationale. Cette force, bien ancrée dans nos territoires urbains et ruraux, participe pleinement à la défense de nos familles, de nos terres, de nos entreprises et de notre pays.

Par son ampleur, son réalisme et ses objectifs ambitieux, Vulcain 25 a représenté un rendez-vous majeur qui contribuera à la montée en puissance de la réserve en France pour les années à venir.

Colonel Philippe Le Duc. - Quelle leçon en retient le chef d'état-major que je suis, qui est en quelque sorte le sélectionneur - si je prends cette métaphore un peu footballistique - au service de mon général, chargé de concevoir l'ensemble de l'entraînement non seulement des unités de réserve, mais bien évidemment d'active, et surtout de le mettre en symbiose ? Quelles leçons ont été transmises, à travers le compte rendu de fin d'exercice, à l'ensemble de la force opérationnelle terrestre ?

Tout d'abord, et ce n'est pas une surprise, l'efficacité de ce que l'on appelle aujourd'hui l'hybridation, mais qui en fait relève d'un concept beaucoup plus ancien que l'on nomme l'amalgame, pratiqué dans les armées depuis des temps immémoriaux et en particulier dans l'armée française, qui a fait toute la preuve de son efficacité en 1792 : le mélange des « bleus » et des « blancs », avec le succès opérationnel qu'on lui connaîtra dans la défense du territoire. Plus récemment, plus proche de nous, l'amalgame au sein de la première armée française entre les forces de la Résistance, les forces de l'armée d'Afrique et les forces issues des Forces françaises libres qui, mélangées par compétences, par expériences, par âge, ont permis au général de Lattre de Tassigny de créer un outil de combat remarquable qui permettra à la France d'être présente à la signature à Berlin le 9 mai 1945. C'est cet outil remarquablement efficace.

On voit ici que cette hybridation, cet amalgame moderne, prend plusieurs formes. Tout d'abord, un amalgame de statuts entre personnel d'active et personnel de réserve. L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés quand on doit faire monter en gamme des capacités est celui d'arriver à transmettre par capillarité ces savoir-faire, ces expériences. Nos militaires d'active sont bien formés, ils ont acquis de l'expérience. L'objectif, en insérant du personnel d'active au sein des unités de réserve, comme cela a été fait ici sur cet exercice, notamment au sein de l'EMTR 41, a été d'abord de renforcer des capacités qui n'existent pas nécessairement dans la réserve. Il s'agit là de capacités spécifiques, bien évidemment. L'officier chargé de concevoir la sécurité aérienne, la manoeuvre aérienne qui était liée à cet exercice, est un personnel d'active issu de l'état-major d'active de la brigade. L'objectif a également été de renforcer, c'est-à-dire d'insérer du personnel expérimenté dans le domaine du renseignement, dans le domaine de la logistique pour qu'à travers cet exercice les bonnes pratiques et l'expérience se transmettent directement.

Ces états-majors, étant suffisamment montés en puissance et ayant gagné en expérience, auront de moins en moins besoin de cette insertion de personnel d'active. Il en va de même pour la capacité opérationnelle. Dans plusieurs unités, des renforts de personnel d'active ont été intégrés sur certaines capacités. Ainsi, les unités élémentaires étaient majoritairement constituées de réservistes, mais sur certaines capacités - qui peuvent parfois concerner des aspects tout à fait basiques, comme des conducteurs de véhicules ou certains éléments plus spécifiques de transmission -, des personnels d'active ont été insérés pour venir immédiatement valoriser et donner rapidement une valeur opérationnelle à une unité qui maîtrise ses procédures de convois conventionnels, mais qui, agissant dans un contexte particulier, va monter en gamme très vite. Cette hybridation représente donc véritablement l'avenir. La réserve de l'armée de terre, en particulier, est une réserve intégrée. Cela signifie que si nous engageons nos réservistes en opération, ils seront forcément renforcés par certaines capacités. Ce jeu est aussi à somme positive car, dans l'autre sens, la totalité des unités de l'armée de terre engage régulièrement des réservistes en complément des effectifs d'active. C'est notamment tout le sens de ces unités spécialisées de réserve qui sont développées. Le deuxième point intéressant est cette massification de l'entraînement. L'exercice Vulcain, comme le colonel Cole vous l'a présenté, était le premier de cette ampleur conduit avec des réservistes et a permis d'entraîner la totalité des six compagnies qui étaient regroupées. Provenant de dix-neuf corps, elles ont pu atteindre un standard opérationnel cohérent avec l'engagement sur le territoire national en défense opérationnelle du territoire. Troisième point, je souhaite aborder quelques aspects intéressants, notamment en termes de manques. Nous nous sommes rendu compte que nos états-majors tactiques de réserve n'ont évidemment pas leur soutien dédié. Ils ne disposent pas des éléments que je présentais tout à l'heure à propos de la 4ème compagnie de commandement et de transmission, à savoir un soutien en matière de transmission, de logistique et de maintenance. Sur cet exercice, la 4ème BAC a donc engagé ces éléments d'active en appui de l'état-major. Cela nous a permis de constater que, jusqu'à présent, nous développions au sein de cette compagnie de commandement et de transmission une section de réserve, comme dans n'importe quelle autre unité. À l'issue de cet exercice, nous avons décidé de réarticuler cette organisation : au lieu d'avoir une section supplémentaire, pour ainsi dire, lambda, nous allons la réorienter.

Nous avons décidé d'éclater cette section en fonction des différentes compétences que compte cette compagnie pour avoir un groupe spécifique de protection du poste de commandement (PC), de transmission, de logistique et de maintenance, de manière à pouvoir constituer assez rapidement un train de combat - puisque telle est sa dénomination -, c'est-à-dire un soutien dédié à ce PC, armé par du personnel d'active, intégré en temps normal à cette compagnie et qui, en cas de déploiement de cet état-major tactique en opération sur le territoire national, bénéficierait immédiatement de ces compétences. Il s'agit là d'un retour d'expérience extrêmement positif. D'autres aspects ont émergé, notamment la nécessité de renforcer certains points. Nous nous sommes rendu compte de certaines limites dans l'expérience de nos réservistes. L'état-major tactique devant être déployé en fin d'année 2026 dans la zone nord pour prendre part à la mission Sentinelle, nous avons décidé de porter un effort sur certaines formations qui ont pu s'avérer incomplètes. D'autre part, nous avons décidé d'un effort d'immersion, soit dans des états-majors d'active déployés sur le territoire national pour le personnel de réserve de cet état-major, soit dans les états-majors de zones de défense qui ont leur propre PC permanent, afin de leur faire gagner en expérience sur les échanges avec les forces de sécurité intérieure et de protection civile. Enfin, un retour d'expérience sur le dimensionnement de ces bataillons de réserve de brigade : nous nous sommes rendu compte qu'il existait un seuil critique, qui se situe aux alentours de 500 à 600 personnels militaires (PAX), et une nécessité, là aussi, de bien dimensionner les éléments d'active qui sont insérés pour agir dans le cadre de ces missions de défense opérationnelle du territoire. L'enseignement qui émerge du retour d'expérience Vulcain est qu'un bataillon de réserve de brigade engagé en DOT doit se situer entre 500 et 600 PAX, postes de commandement et soutien compris, regroupés en quatre à cinq unités élémentaires et, idéalement, inclure une unité d'active en tant que pion réservé capable d'interagir rapidement avec les différents éléments stationnés. Nous retrouvons bien cette symbiose, cet équilibre que l'exercice a permis de faire émerger. Un autre aspect a émergé, et cela a été souligné : nous nous sommes rendu compte que l'exercice est malgré tout un peu court en termes d'aguerrissement. L'exercice en lui-même a duré une petite semaine : cinq jours de jeu, puis des séquences de démonstration au profit des populations, tout le volet rayonnement qui s'est achevé avec le VIP Day qui vous a été présenté par le colonel Cole. Il nous est apparu qu'une semaine complète de déploiement de nos réservistes sur un mode un peu plus rustique serait utile. Ce que j'entends par « rustique », c'est notamment le point clé de dormir sur le terrain, ce qui, sur le territoire de la Haute-Loire au mois d'octobre, peut s'avérer assez rude. C'est l'objectif de l'opération et un aspect sur lequel nous allons travailler. En prenant une fois de plus de la perspective, et en tant qu'ancien chef de corps, ce ne fut pas une surprise : les exercices en terrain libre ont démontré toute leur pertinence vis-à-vis des relations avec la population. J'avais lu, il y a fort longtemps, un magazine de défense de la fin des années 1970, qui confirme ce point. Comme vous le savez, à cette époque, les armées et l'armée de terre traversaient une crise de perception vis-à-vis de la population, qui était liée notamment au format du service national. Il avait alors été décidé de remédier à ce problème en montrant les soldats à la population, en faisant un effort sur les exercices en terrain libre pour que nos citoyens voient leurs soldats, voient comment ils s'entraînent, comment ils s'équipent, et qu'ils comprennent qu'ils ne sont pas des gens parfaits, mais des gens sérieux et motivés. À chaque fois que j'ai eu l'occasion, durant ma carrière - et cela s'est encore vérifié avec l'exercice Vulcain -, de montrer nos jeunes soldats qui viennent de partout, nos cadres, leur savoir-faire, on voit tout de suite qu'il y a une adhésion sincère de la population. Je vous cite cet exemple parce qu'il m'a toujours frappé et rassuré dans cette sinistrose que traversent parfois nos concitoyens. J'ai participé à un exercice en terrain libre quand j'étais chef des opérations au 92ème régiment d'infanterie à Clermont-Ferrand ; en l'occurrence, nous étions déployés à la frontière du Nord et de l'Aisne. À ma grande surprise, à 17 heures, le poste de commandement était installé en marge d'une localité, et nous avons vu arriver les pères et les mères de famille qui ramenaient leurs enfants de l'école et qui sont venus faire un crochet pour leur montrer les militaires. C'est vraiment ce sentiment d'une adhésion viscérale de la population et d'un intérêt très basique et très sain pour ce que font nos militaires. Je peux vous assurer que n'importe quel militaire qui est confronté à cela est extrêmement touché.

Elle est également confortée dans sa fidélité au pays, à ses valeurs et à sa population, car c'est véritablement là que nous touchons du doigt le lien armée-nation. Ce portage de Vulcain est venu - et nous l'avons vu - susciter des foules, car ce sont réellement des foules qui ont participé à ces différentes séquences. Cela représente de nombreuses contraintes, puisqu'il faut bien préparer les choses et échanger énormément avec les élus locaux, mais cela apporte beaucoup. C'est tout le portage qui se développe, notamment celui des zones de manoeuvres permanentes qui sont développées dans un certain nombre de départements. Ici, nous évoquions cette zone dans le département de la Haute-Loire. Dans mon commandement précédent, j'ai contribué au développement d'une zone similaire dans le département de la Nièvre pour réaliser des exercices de terrain avec mon régiment de Belfort. Enfin, dernier point de mise en perspective, fort de ce développement rapide de nos capacités de réserve, la brigade a reçu pour mission, comme je vous l'ai expliqué dans mon préambule, de générer assez rapidement un bataillon de réserve de brigade à partir d'un de ses états-majors de réserve et de ses différentes compagnies. Très clairement, notre objectif - et c'est un sujet sur lequel nous travaillons - est également de développer des bataillons de réserve zonaux. À l'heure actuelle, il en existe déjà un, le 24ème régiment d'infanterie, qui est stationné à Versailles et placé sous les ordres du gouverneur militaire de Paris. Comme les différentes régions, nous, à Clermont-Ferrand, dépendons de la zone de Lyon. L'état-major tactique 41 va être proposé par la brigade pour servir de noyau à la constitution d'une deuxième unité de réserve, cette fois-ci zonale, qui aurait vocation à regrouper un certain nombre d'unités présentes dans l'ancienne région Auvergne, que constituent les unités citées tout à l'heure du 92ème régiment d'infanterie, du 28ème régiment de transmissions d'Issoire, de la 13ème base de soutien du matériel qui est également à Clermont-Ferrand, et d'autres unités qui peuvent être plus proches du sillon rhodanien pour développer cette capacité à se déployer rapidement dans ce secteur. Voilà les perspectives que nous a ouvertes cet exercice, qui nous a confirmé la pertinence de cette organisation. Ceci conclut mon intervention commune avec le colonel Cole. Nous nous tenons bien évidemment à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez avoir sur les différents éléments que nous avons pu vous présenter.

M. Cédric Perrin, président. - Merci, messieurs les colonels, pour cette présentation. Un certain nombre de questions me sont venues à l'esprit en vous écoutant, et j'aimerais vous en poser deux.

La première, qui est très simple, est la suivante : comment installe-t-on des points de ravitaillement derrière les lignes ennemies, compte tenu du bruit que peuvent générer les hélicoptères et autres appareils ? Je souhaiterais avoir quelques détails sur ce point.

Colonel Philippe Le Duc - Je ne souhaitais pas utiliser ce terme, mais il s'agit de ce que l'on appelle un FARP, c'est-à-dire un Forward Arming and Refueling Point, un point avancé de ravitaillement en carburant et en munitions dans la profondeur du dispositif.

Paradoxalement, l'on peut constater, par exemple lors de rotations dans de grands centres d'entraînement, que la guerre est extrêmement bruyante. En réalité, une pollution sonore joue en faveur des hélicoptères de combat : on va profiter de l'ensemble des mouvements qui peuvent se produire. On entendra que des hélicoptères circulent, au même titre que l'on entend dans un paysage des blindés chenillés se déplacer, mais il est assez difficile de les identifier précisément, de savoir exactement où ils sont, d'autant que ces hélicoptères, en vol tactique, évoluent vraiment très bas.

Avant de prendre le poste que j'ai occupé, j'ai bénéficié d'une petite immersion au 1er régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg. De temps à autre, on est en vol tactique extrêmement bas.

Il y a donc à la fois ces vols bas et cette combinaison avec le bruit ambiant qui va permettre de déployer - il s'agit souvent d'un déploiement temporaire - un hélicoptère de transport. Celui-ci va se mettre en place quelques minutes en amont et déployer une capacité de station-service volante. Des hélicoptères que l'on souhaite pouvoir engager beaucoup plus profondément dans le dispositif adverse viendront compléter leur plein ou se recompléter. Lorsque l'on utilise le terme de munitions, il ne s'agit pas uniquement de cela ; il peut aussi s'agir de leurres, tout simplement, parce que la traversée de la ligne de front peut être extrêmement consommatrice. On va donc leur assurer la capacité de toujours pouvoir déclencher leurs leurres dans la profondeur du dispositif adverse. Ils se posent, on les ravitaille, on les recomplète, et dès que c'est fait, ce FARP redécolle et soit retourne directement dans les lignes amies, soit va se positionner sur un autre point pour être capable de ravitailler sur l'itinéraire retour de cette infiltration.

M. Cédric Perrin, président. - Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé d'état-major tactique de réserve, par opposition à l'état-major tactique opérationnel. Cela veut donc dire que, le cas échéant, s'il y avait une défaillance de l'état-major tactique opérationnel, un relais pourrait être pris par l'état-major tactique de réserve.

Ma question concerne le matériel, puisque nous savons bien qu'en matière capacitaire, nous sommes tout de même un peu justes. De quels moyens l'état-major tactique de réserve dispose-t-il aujourd'hui s'il devait être amené à remplacer ou à suppléer, à un moment donné, les opérationnels ?

Colonel Philippe Le Duc. - Ma réponse comportera deux parties.

La première est une réponse immédiate qui présente deux aspects concomitants. Pour l'exercice Vulcain, à la fois par simplicité et par souci de formation, nous avons volontairement engagé les équipements spécifiquement dédiés au poste de commandement de la 4ème brigade d'aérocombat. C'était à la fois plus simple, parce que ce sont nos équipements et nos personnels qui les mettent en oeuvre, mais c'était aussi destiné à assurer la formation de nos réservistes sur ces équipements en situation.

La deuxième partie de ma réponse est qu'un état-major tactique de réserve déployé en mission de défense opérationnelle du territoire n'a évidemment pas les mêmes enjeux en matière de plan d'équipement. L'objectif n'est pas de l'équiper en véhicules blindés de commandement. Il a vocation à se déployer le plus souvent possible sur des infrastructures préexistantes. Il peut y avoir éventuellement ce que l'on appelle l'hybridation des réseaux, qui est mise en oeuvre de manière quotidienne, par exemple en Ukraine : plus on avance, plus les armées ont tendance à utiliser, dès qu'elles le peuvent, les capacités de transmission civiles, en se noyant dans la masse des transmissions téléphoniques ou radio classiques. Nous allons donc utiliser ces capacités avec un matériel informatique assez classique, qui est un matériel de temps de paix presque conventionnel. Ensuite, nous grefferons uniquement les moyens spécifiques qui seront nécessaires en fonction du profil de la mission.

Si je reprends l'exercice Vulcain, nous avons bien évidemment dû compléter avec certains équipements spécifiques, car il y avait un engagement d'hélicoptères de combat et il était donc nécessaire d'avoir les liaisons adaptées. Cet état-major aurait très bien pu fonctionner avec des postes informatiques quasi classiques et simplement un doublon radio de postes de gamme précédente pour commander les éléments stationnés.

Il est important de voir également que, de toute façon, nous devons aussi rester en liaison avec les forces de sécurité intérieure. Paradoxalement, cela simplifie un peu le problème, car nous n'avons pas nécessairement besoin de communications de dernier cri, hautement sécurisées, telles que nous pourrions les engager en opération sur un engagement de haute intensité. En effet, il faut que nous restions compatibles dans nos échanges, car nous serons systématiquement en lien - je songe aux forces de sécurité intérieure, mais aussi, en cas de catastrophes naturelles, aux forces de sécurité civile - avec lesquelles il est essentiel que nous puissions échanger. Paradoxalement, cela nous facilite l'immersion et l'armement de ces équipements.

M. Cédric Perrin, président. - Merci beaucoup pour cette réponse. Je n'ai pas pu être à Brioude le 30 octobre, mais nous avions un éminent représentant présent sur place, puisqu'il n'était pas très loin. Je laisse donc la parole à Olivier Cigolotti.

M. Olivier Cigolotti. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir permis au colonel Le Duc et au colonel Cole de présenter ce matin le RETEX de cette opération Vulcain devant notre commission, non pas parce que cet exercice s'est déroulé en Haute-Loire - même si j'y suis particulièrement sensible -, mais parce que cet exercice est un exercice d'ampleur, alors que l'on parle de lien armée-nation, de service militaire volontaire et de réserve.

Vous l'avez compris, il s'agit d'un exercice qui a rassemblé plus de 1 000 hommes et femmes, 150 véhicules et 3 hélicoptères sur une durée peut-être pas suffisamment longue, mon colonel, mais de six jours tout de même, qui a permis de roder un certain nombre de dispositifs. J'ai eu la chance, à l'invitation du colonel Cole, de participer sur une demi-journée à la présentation de cet exercice et je peux témoigner à la fois de l'implication des personnels de l'état-major dans la préparation et dans le déroulement de cette opération. Je remercie notamment le colonel Cole de son implication avec des chefs d'entreprise, avec des personnels très engagés dans la vie civile, particulièrement dans leur rôle de réservistes et d'officiers réservistes.

J'ai aussi pu constater l'implication des personnels sur le terrain, des jeunes réservistes, dans un contexte rustique - non pas parce que c'est la Haute-Loire, mais comme l'a parfaitement décrit le colonel Cole - par rapport à cette rusticité de l'hébergement et de l'action au quotidien. Il me semble que cela est plutôt rassurant lorsque l'on parle de réserve aux côtés, bien sûr, de nos militaires d'active. C'était ma première observation.

J'aurais une question. J'aimerais que vous puissiez nous dire quelques mots des autorisations administratives que vous avez sollicitées. Vous l'avez compris, il s'agit de deux ans de préparation pour un exercice effectivement de courte durée. En matière d'autorisation administrative, il y a sans doute des choses à revoir et peut-être à concevoir différemment, car vous vous êtes heurté à quelques difficultés, parfois avec des structures particulièrement sensibles.

Colonel Philippe Le Duc. - Effectivement, deux ans de préparation pour un réserviste, c'est énorme. Nous manoeuvrons toutefois sur le territoire national : ils ne sont pas en guerre et nous avons donc besoin de tout le monde, notamment des autorités administratives, pour obtenir les autorisations nécessaires. J'ai pris mon bâton de pèlerin : une fois la zone déterminée, je suis allé voir les 114 maires des communes concernées et je n'ai pas essuyé un seul refus. Il a fallu que je présente l'exercice, ses tenants et ses aboutissants, ses raisons. Ne connaissant pas ce que sont nos territoires nationaux, il a fallu un peu les éduquer, leur expliquer, ce qui m'a pris beaucoup de temps.

Techniquement, je peux vous citer un exemple. Nous avons réalisé un franchissement du cours d'eau de l'Allier, à côté de Brioude, avec les moyens du 6ème régiment du génie d'Angers. Cela a été un peu plus compliqué, puisqu'il a fallu obtenir des autorisations spécifiques de la DDT, de la préfecture, etc. Nous sommes dans un milieu naturel très sensible, avec des espèces d'oiseaux, de poissons... Cela a donc été une vraie bataille, mais le résultat est là : nous avons pu effectivement réaliser cette séquence de franchissement.

Il a fallu aussi obtenir les autorisations du département pour la manoeuvre sur les routes en termes de sécurité. Quand on ouvre des séquences à la population, c'est compliqué. Nous, militaires, ne le faisons pas souvent, puisque cela nécessite une organisation particulière. Du public est venu : pour le franchissement, plus de 2 000 personnes se sont déplacées ; pour le combat à Connangles, à côté de La Chaise-Dieu, nous avons limité la jauge à 800 personnes. En termes de sécurité, il faut s'assurer que tous les acteurs soient au courant, que l'on puisse mettre en oeuvre tous les moyens de sécurité. Cela a été le maître mot de mon exercice : la sécurité - sécurité des militaires, d'active et de réserve, de la population et de tous les gens qui venaient nous voir.

Effectivement, c'est une vraie bataille de monter des exercices de cette ampleur sur le territoire national. Quand tout le monde joue le jeu et que toutes les autorités sont d'accord, le résultat est là.

M. Jean-Luc Ruelle. - Je vous remercie pour ces présentations sur des sujets extrêmement intéressants. La réserve opérationnelle est un premier pas vers la population. C'est très bien ; vous avez évoqué l'amalgame, ce qui me paraît très important.

Ce qui m'interroge, ce sont les problématiques de renseignement et de fiabilité. Ne pourrait-on pas craindre qu'au travers de la réserve opérationnelle, des éléments éventuellement indésirables puissent s'infiltrer ? C'est mon premier point. Comment gère-t-on cet aspect ?

Mon deuxième point concerne la mobilisation de la population. Comme nous le disions, la réserve opérationnelle est un pas vers la nation, ce qui est vraiment très bien. Toutefois, si nous étions dans un conflit comme celui que l'on observe en Ukraine, la population devrait être aussi sensibilisée, mobilisée d'une certaine manière. Que peut-on faire ou que fait-on déjà, notamment en matière de soutien et de renseignement ? En effet, la population est là, elle ne bouge pas, quelle que soit la situation, et c'est là où peuvent se trouver des informations. Comment peut-on les gérer ? Cela est-il organisé ?

Enfin, un dernier point : vous avez évoqué des contrats avec des entreprises. De quoi parle-t-on ?

Colonel Philippe Le Duc - Pour répondre à votre premier point, il n'y a pas de différence, en tout cas du point de vue des vérifications, entre le recrutement d'un réserviste et celui d'un personnel d'active. Systématiquement, ils sont passés au crible de ce que l'on appelle un certificat élémentaire, c'est-à-dire qu'une étude est conduite par le personnel de la DRSD. En fonction de signaux faibles, une enquête plus approfondie peut être menée, mais chacun est de toute façon vérifié. Pour les personnes qui peuvent venir de communautés ou de zones plus sensibles, nous menons une enquête un peu plus fouillée qui débouche sur une autorisation d'engagement ou non.

Cette vérification se poursuit pendant toute la carrière. Bien qu'étant colonel et avec vingt-cinq ans de service, quand je suis passé de mon poste de chef de corps d'un régiment à celui de chef d'état-major, j'ai fait l'objet d'une nouvelle vérification, alors même que l'armée me connaît depuis vingt-cinq ans. Pourquoi cette vérification est-elle conduite dans la durée ? Parce qu'au fur et à mesure, nos militaires du rang, notamment, peuvent monter en compétences. Je prendrai un exemple extrêmement simple, celui de nos opérateurs radio qui, de simples soldats, peuvent devenir opérateurs radio du chef de section, puis du commandant d'unité, et ont donc accès non seulement à nos matériels, mais aussi à un certain nombre d'informations lorsque nous sommes engagés en opération. Ces personnels font donc l'objet d'habilitations régulières ; il arrive qu'elles nous soient refusées et, dans ce cas, nous réorientons le personnel. Comme vous l'avez justement souligné, il s'agit d'un point clé, car nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir des éléments moins fiables parmi nous.

Pour répondre à votre deuxième question, sur ses deux aspects, cette sensibilisation se fait au fil de l'eau dans la totalité des activités que peuvent conduire les armées dans le parcours citoyen, mais bien avant qu'il ne commence, dès la journée défense et citoyenneté. Ainsi, à travers les classes de défense, la totalité des formations - y compris mon état-major, qui est une formation particulière - ont déjà passé ou sont en cours de signature de partenariats avec des classes de défense. Actuellement, par exemple, l'état-major de la 4ème BAC est en train de signer un partenariat avec une classe de défense orientée vers l'aéronautique dans l'agglomération de Clermont-Ferrand, où se trouve, comme vous le savez peut-être, un élément civilo-militaire.

L'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) est chargé de la maintenance aéronautique, plutôt orientée vers l'armée de l'air. Il y a donc un vivier qui est présent et, sur cette concomitance, nous passons des partenariats. Ce sont aussi tous les formats d'accueil de stagiaires, bien évidemment, les journées défense et citoyenneté (JDC), puis toutes les interactions qui sont en train de se multiplier et dont le service national universel est un peu le couronnement, mais qui viennent compléter des dispositifs. En 2024, j'avais accueilli une expérimentation avec les volontaires de découverte de l'armée de terre au 35ème régiment d'infanterie, des personnes qui ont pris un engagement de quatre mois. Nous les avons formées et entraînées pendant deux mois. Elles ont défilé avec moi au 14 juillet. Ensuite, elles ont été engagées pendant deux mois sur la sécurisation. Il y a tout ce panel et, bien évidemment, toutes ces actions de rayonnement ou de communication qui ont lieu en parallèle de toutes les commémorations et de nos exercices. J'évoquais des cas d'exercice en terrain libre : systématiquement, nous en profitons pour informer sur les questions de défense, pour sensibiliser les maires des communes traversées, éventuellement les enseignants, et ainsi de suite. Il ne s'agit pas nécessairement, en tout cas pas prioritairement, d'un but de recrutement, mais simplement de sensibiliser nos concitoyens aux enjeux de défense et au sens profond de notre présence. En fait, il s'agit de répondre à la question : je commande un régiment d'infanterie mécanisé, donc j'ai de gros engins de 30 tonnes, que venons-nous faire dans les rues de votre petit village perdu au fond de la Nièvre ? Je ne suis pas là juste pour abîmer les trottoirs - je le dis sur le ton de la plaisanterie -, mais je suis là pour m'entraîner, et il faut que les gens comprennent le sens profond de notre engagement. Sur le deuxième aspect de votre question, l'armée de terre ne conduit pas de manoeuvre de renseignement sur le territoire national. En revanche, c'est la mission, notamment dans les territoires ruraux, de la gendarmerie, qui est le primo-intervenant de la défense opérationnelle du territoire. Nous n'intervenons qu'en complément de son action en cas d'adversaire durci, en cas de situation un peu complexe ou tout simplement si la gendarmerie a besoin d'un volume qu'elle pourrait avoir des difficultés à engager sur ce type de scénario. Nous ne conduisons pas de manoeuvre de renseignement ; c'est déjà le cadre de l'engagement de la mission Sentinelle. Nous sommes informés des éléments nécessaires à l'exécution de notre mission par le biais des forces de sécurité intérieure. Ce sont typiquement des échanges d'informations qui ont lieu dans le cadre des déploiements de l'opération Sentinelle, par exemple en Île-de-France. Le capteur n'empêche pas de faire du renseignement ; il s'agit davantage d'information de terrain. Autrement dit, lorsque vous vous déployez, chaque patrouille Sentinelle observe des éléments. Derrière la notion de renseignement, il y a aussi des aspects très simples. En Île-de-France, la question de la mobilité pour une force est essentielle. Identifier quel axe majeur est actuellement en travaux ou combien de temps il faut désormais pour aller d'un point A à un point B en Île-de-France constitue un point clé de la crédibilité de notre force. Il y a aussi tout ce volet, presque, d'acculturation de la force à son milieu d'engagement. Cela relève du volet qui est directement conduit, mais qui n'est pas du renseignement stricto sensu. J'espère avoir répondu à votre question. Je laisse mon collègue répondre au dernier point.

Colonel Emmanuel Cole - Monsieur le sénateur, votre question sur la garde nationale touche au domaine du recrutement et de la fidélisation des réservistes.

Aujourd'hui, en France, les réservistes sont encore issus, pour certains, de l'ancienne formule du service national - plus beaucoup, malheureusement. Sinon, ils proviennent des rangs des anciens militaires d'active et, de plus en plus, il s'agit de réservistes dits ab initio, c'est-à-dire venant directement du milieu civil. Ces réservistes sont étudiants pour la plupart. Il y a aussi quelques retraités, mais il faut également que nous développions le vivier des salariés. Nous touchons donc là au monde de l'entreprise.

Je ne vous cache pas que, dans la loi de programmation militaire, nous allons augmenter le recrutement des réservistes avec des formats bien identifiés et des objectifs à atteindre. Aujourd'hui, dans une entreprise, des conventions sont signées entre le ministère de la défense et les entreprises. Ces conventions, signées par ce que l'on appelle la garde nationale, permettent d'abord - comme leur nom l'indique, il s'agit d'une convention entre deux parties, le ministère de la défense et l'entreprise - aux réservistes salariés de pouvoir se libérer sur leur temps de travail un certain nombre de jours, sachant que la loi fixe ce nombre à dix jours aujourd'hui. En général, ces conventions prévoient entre vingt et vingt-cinq jours. Pour un fonctionnaire, le cadre est un peu plus élargi, puisque nous sommes sur trente jours d'autorisation spéciale d'absence. Au-delà, il s'agit d'un détachement.

Ces conventions sont donc importantes pour moi et pour la réserve. Aujourd'hui, environ 1 200 ou 1 300 conventions ont été signées, mais elles ne vivent pas assez. Elles existent, mais il est compliqué aujourd'hui en France, dans le monde de l'entreprise, avec toutes les difficultés économiques que connaissent les entreprises, de libérer les salariés. Il faut donc que ces conventions vivent, que nous nous les réappropriions ; tel était l'objet de mes propos.

Les chambres de commerce et d'industrie, avec leurs relations, peuvent nous aider, justement, à atteindre encore plus réellement le monde de l'entreprise, avec la garde nationale et ses conventions.

Mme Vivette Lopez. - Merci, monsieur le président.

Messieurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour toutes les informations que vous venez de nous donner et de vous dire également toute l'estime que nous vous portons pour les actions que vous menez en faveur de notre sécurité et pour défendre la France. Pour tout cela, je tiens à vous adresser un immense merci.

Concernant la composition de la réserve, qui comprend des militaires mais également des civils, et les tranches d'âge, il y a donc des retraités mais aussi des jeunes, puisque vous avez parlé d'étudiants. Je poserai donc une question complémentaire : je suis sénatrice du Gard et j'aimerais savoir si vous menez des actions avec nos militaires de ce département, et, si tel est le cas, quelles sont-elles.

Colonel Philippe Le Duc - Nous n'avons pas conduit d'action récemment avec les unités qui sont stationnées, notamment le 2ème régiment étranger d'infanterie de Nîmes, mais il y a aussi le 4ème régiment du matériel. En revanche - ce n'est pas le Gard, mais l'Aveyron, qui n'est pas très loin -, une unité de la 13ème demi-brigade de Légion étrangère était intégrée. C'était la FORAD, la force adverse, qui fournissait l'ennemi, pour simplifier.

C'est un aspect que nous n'avons pas évoqué. L'engagement de cette force adverse dans l'armée de terre est toujours construit pour entraîner ; nous ne sommes donc pas du tout dans une notion de plastron. Je ne sais pas si ce terme vous est familier, mais un plastron, comme son nom l'indique, reprend les entraînements des chevaliers face à une sorte d'ancêtre de l'automate. On est donc sur quelque chose de passif. Les plastrons servent à entraîner sur les savoir-faire de base. Là, nous sommes sur ce que l'on appelle des exercices à double action, c'est-à-dire que les amis - les bleus - et les ennemis - les rouges - interagissent comme dans la réalité, ce qui est beaucoup plus réaliste. C'est notamment ce que nous faisons dans un certain nombre de centres d'entraînement où il peut y avoir une force adverse professionnelle.

Cette mission était donc engagée par une unité qui provenait de la 13ème DBLE, mais elle aurait très bien pu provenir d'ailleurs. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, puisque nous avions besoin de regrouper une masse d'unités pour être capables d'entraîner correctement notre état-major de réserve, nous avons ouvert l'exercice à toutes les unités. Nous avons eu des participants qui venaient de partout : des gens du 1er régiment d'infanterie en Moselle, de la 13ème demi-brigade de Légion étrangère, nous avons évoqué le 6ème régiment de génie d'Angers, des gens qui venaient des écoles de Saint-Maixent, plus les unités de la 4ème BAC que j'ai déjà citées, soit un panel extrêmement large. Il me semble donc que c'est surtout une question de synchronisation des emplois du temps entre les différents éléments. Les brigades, bien évidemment, s'appuient les unes sur les autres, notamment par le biais des forces d'astreinte.

Mme Évelyne Perrot. - J'avoue que votre intervention m'a rappelé des souvenirs, car je prêtais régulièrement la salle des fêtes de mon village lors des manoeuvres dans mon département.

Je souhaiterais savoir, messieurs, si, lors de cette grande opération, vous étiez en lien avec les services de santé de Haute-Loire. Avez-vous monté un hôpital de campagne ? J'imagine que, dans un cas réel, il y a des blessés, des personnes à sauver, voire des civils. Avez-vous des réservistes santé ?

Colonel Philippe Le Duc - Merci de cette question. Oui, évidemment, dans les armées, nous avons un service de santé tout à fait opérationnel, qui est composé aussi de beaucoup de réservistes : médecins, infirmiers, etc. C'est un aspect que j'ai voulu mettre en scène dans l'exercice Vulcain 2025. Effectivement, la chaîne de santé a été mise en oeuvre à double titre. D'abord, nous l'avons déployée avec des éléments du huitième corps médical de Lyon et l'antenne de Clermont-Ferrand, qui est venue avec un médecin d'active et des infirmiers réservistes, dans le but, premièrement, d'assurer la sécurité réelle en cas d'accident ou d'incident, mais aussi de profiter de l'exercice pour s'entraîner.

En effet, en cas de conflit ou d'intervention, il peut y avoir des morts et des blessés parmi nos militaires. Il est donc important de s'y préparer. Nous avons également simulé cette situation avec le service départemental d'incendie et de secours, le SDIS 43, en prévoyant l'appel au 15 s'il y avait eu un événement réel. Nous avons réellement mis en oeuvre, lors des séquences d'animation, de combats, etc., la prise en charge de blessés. Nous avons simulé ce genre d'incidents et nous avons testé et mis en oeuvre l'ensemble de ce dispositif pour qu'il soit cohérent entre le volet civil et le volet militaire.

Colonel Emmanuel Cole. - En complément, à titre d'éclairage, les réservistes jouent bien évidemment un rôle clé dans le service de santé, et ce, dans une logique identique à celle que j'évoquais tout à l'heure. En effet, les réservistes nous permettent souvent de bénéficier de compétences qui peuvent être rares dans les centres médicaux des armées déployés auprès des différentes unités. Bien souvent, les spécialistes - je songe notamment aux dentistes - sont en fait des réservistes. Toutes ces spécialités, indispensables aux vérifications régulières d'aptitude de nos militaires, sont la plupart du temps assurées par des réservistes qui ne se contentent pas d'exercer en temps de paix au quartier, mais nous suivent régulièrement en opération.

D'après mon expérience, les réservistes du service de santé des armées ont un poids et un rôle beaucoup plus essentiels et développés depuis bien plus longtemps que celui que nous sommes en train de développer à nouveau pour nos propres réserves dans l'armée de terre. En raison d'aspects connus, comme les tensions sur les viviers - qui sont d'ailleurs partagées avec le monde civil -, mais aussi du temps extrêmement important nécessaire pour former ce type de personnel, il est parfois beaucoup plus intéressant de bénéficier de l'appui de réservistes. Vous le savez, nos personnels du service de santé effectuent également des périodes dans les hôpitaux civils pour entretenir leur savoir-faire, si je puis me permettre cette parabole avec l'entraînement. Il y a donc vraiment ce rôle essentiel.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Merci pour cette présentation. Vous avez évoqué la nécessité d'impliquer très en amont l'ensemble des élus du territoire.

Je souhaitais savoir, de manière très pratique, comment s'est déroulée cette formation auprès des 114 maires. Y a-t-il eu néanmoins parfois quelques réticences ou quelques interrogations ? Peut-on également imaginer qu'ils puissent être, sur de telles opérations, impliqués dans l'exercice ?

Colonel Philippe Le Duc - Je vais prendre le début de la réponse pour poser un cadre général, puis je laisserai le colonel Cole compléter pour son cas particulier sur l'exercice Vulcain.

Il y a vraiment un échelon clé dans toute la conception de ces exercices, mais aussi, de manière générale, dans toutes ces interactions : ce sont les délégations militaires départementales. Elles sont véritablement nos ambassadeurs, avec un rôle encore plus essentiel dans les départements qui sont des « déserts militaires », parce qu'elles en sont la seule présence. Ce sont elles qui remplissent ce rôle, j'allais dire, un peu d'apôtre, prêchant dans des zones où peu de forces sont présentes, voire pas du tout.

J'avoue que j'ai approfondi le sujet lorsque j'ai dû faire mon retour d'expérience. Je me suis demandé depuis quand la Haute-Loire était un désert militaire. En fait, j'ai dû chercher un certain temps sur internet avant de découvrir que le régiment avait été dissous dans les années 1960, au sortir de la guerre d'Algérie. Nous sommes donc vraiment dans un désert militaire ancien, et la délégation militaire départementale y a un rôle clé pour entretenir cette connaissance et faciliter l'action des forces armées.

Je reprends mon exemple de tout à l'heure. J'ai bénéficié de l'appui de la délégation militaire départementale de la Nièvre pour faire avancer le dossier - à la fois auprès des élus locaux mais aussi de la préfecture - de création de cette zone de manoeuvre permanente. C'est une zone dans laquelle on peut organiser... On parlait tout à l'heure du délai de deux ans nécessaire à l'état-major pour construire son exercice. On peut arriver en quelques mois à conduire un exercice si l'on bénéficie de cette zone, parce que le processus est accéléré et les demandes administratives sont quelque peu simplifiées. Il y a en effet une sorte d'accord de principe, une charte de bienveillance, dirons-nous, qui permet d'accélérer ces points.

Le maillon clé est donc véritablement cette délégation militaire.

Colonel Emmanuel Cole. - Effectivement, le contact avec les élus des territoires dans lesquels nous organisons notre manoeuvre est fondamental, de même que le contact et l'explication avec les 114 maires du département de la Haute-Loire. Il faut savoir qu'en Haute-Loire, le dernier exercice de ce type a eu lieu il y a environ cinquante ans. Il y a donc un réel engouement, une volonté de voir des militaires, et en particulier des réservistes, venir s'entraîner sur leur territoire.

Je me suis basé sur les connaissances et les liens que la délégation militaire départementale de Haute-Loire entretient avec tous les maires. Il faut savoir que dans chaque commune, il y a un correspondant défense ; je me suis donc également appuyé sur les maires. Dans les petites communes, c'est souvent le maire qui est le correspondant défense. Il a donc été beaucoup plus facile d'avoir l'interlocuteur adéquat pour expliquer cette manoeuvre et cet exercice Vulcain 2021.

Colonel Philippe Le Duc - J'ajoute un dernier éclairage qui me paraît important. Il y a aussi le personnel militaire d'active comme de réserve, qui constitue des contacts de terrain. Le colonel Cole est modeste, mais il est originaire de ce secteur ; évidemment, s'appuyer sur cette connaissance locale, sur ces contacts, est essentiel pour bien expliquer ce qui sera fait, bien cadrer l'action des militaires et parfois s'adapter à des contingences locales liées à l'agriculture, à la saison ou à des problématiques de protection de l'environnement.

Je reprends mon exemple de cet exercice dans le Morvan. J'étais en lycée militaire à Autun ; c'est ainsi que j'ai découvert ce terrain de jeu formidable qu'est le Morvan. Les militaires ont apprécié cette région, bien que n'en étant absolument pas originaires. Je suis propriétaire dans ce secteur et j'ai utilisé mes connaissances. Je faisais des reconnaissances de terrain avec mes enfants pour concevoir les exercices. Grâce aux enfants, on établit un lien, et les élus locaux sont extrêmement sensibles au fait que l'on connaisse le terrain. Quand bien même vous n'êtes pas natif, vous connaissez le terrain, vous en avez une connaissance intime, vous avez des souvenirs. Cela constitue une véritable richesse de notre personnel.

En complément des correspondants défense, des délégués militaires départementaux et des unités éventuellement présentes en permanence, les armées s'appuient aussi sur cette véritable richesse pour créer du lien avec nos élus, expliquer ce que nous faisons et bien cadrer notre action lors de ces exercices.

M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie, messieurs les colonels, pour ce retour d'expérience de Vulcain. J'ai souvenir d'auditions que nous avions menées ici avec le général Bosser, alors chef d'état-major de l'armée de terre, au cours desquelles nous parlions du développement des réserves dans les zones rurales. L'objectif était de pallier l'absence de connaissance du terrain par des militaires d'active qui, compte tenu de la RGPP, quittaient les territoires en raison de la fermeture de régiments, et donc d'obtenir un maillage plus important. Je sais que le général Bosser, à l'époque, avait déjà eu cette idée de développer la réserve pour pouvoir disposer de personnes qui connaissent le terrain et qui, le moment venu, le cas échéant, auraient pu ou pourraient être des relais importants sur le terrain.

Merci de nous avoir éclairés sur cet exercice Vulcain 2025 qui, évidemment, s'inscrit dans le plan Action Réserve 2020-2030. Nous portons ici une attention particulière au renforcement de la réserve, et notamment de la réserve opérationnelle. C'est un sujet majeur dans la LPM 2023, avec un objectif de 80 000 réservistes pour 2030. Nous voyons aujourd'hui qu'avec le service militaire volontaire, les objectifs de recrutement sont nombreux. La fidélisation est un enjeu, mais lorsqu'on ne peut pas fidéliser dans l'opérationnel, peut-être peut-on essayer de garder les femmes et les hommes de nos armées dans la réserve.

Vous êtes ici dans la Chambre des territoires, la ruralité nous parle donc, et nous sommes évidemment tous issus de territoires plus ou moins militaires. Pour certains, il est étonnant de voir qu'en Haute-Loire, il n'y avait pas eu d'exercice militaire depuis cinquante ans. C'est important. Je remercie Olivier Cigolotti d'avoir eu la bonne idée de vous inviter à vous exprimer devant la commission, car il est vrai que nous avons toujours les chefs militaires qui viennent nous expliquer comment fonctionnent les budgets et quels sont les besoins capacitaires. Il est bon, de temps en temps, d'avoir des personnes plus opérationnelles qui ont eu ces expériences que vous venez de vivre et qui viennent en rendre compte.

Projet de loi n°160 (2025-2026) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Communauté des Caraïbes relatif à l'adhésion au protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté des Caraïbes du 14 janvier 1985 - Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Hélène Conway-Mouret rapporteure sur le projet de loi n°160 (2025-2026) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Communauté des Caraïbes relatif à l'adhésion au protocole sur les privilèges et immunités de la Communauté des Caraïbes du 14 janvier 1985.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan sur la réadmission des personnes - Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Valérie Boyer rapporteure sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan sur la réadmission des personnes.

La réunion est close à 11 h