Parcours professionnels dans la fonction publique (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.

Discussion générale

M. Hugues Portelli, rapporteur pour le sénat de la commission mixte paritaire.  - Ce texte a été examiné par le Sénat le 3 avril 2008...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - En urgence ! (Rires)

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - ...et il avait disparu dans les tiroirs de l'Assemblée nationale, d'où le Gouvernement vient de le ressortir et de l'agrémenter de quelques amendements que, du fait de la procédure d'urgence, le Sénat n'a connus à aucun stade ni dans aucune de ses instances. Heureusement, nous avons voté l'été dernier une réforme constitutionnelle en vertu de laquelle tout texte doit être examiné par la deuxième assemblée dans les six mois qui suivent son examen par la première.

La commission mixte paritaire s'est réunie il y a quelques jours pour examiner le texte adopté par l'Assemblée nationale. Je ne puis donc que vous dire les modifications qui ont été apportées. Elles concernent la commission de déontologie et sa saisine obligatoire pour les collaborateurs du Président de la République, les membres d'un cabinet ministériel et les collaborateurs de cabinet des autorités territoriales ; l'avis de compatibilité rendu par ordonnance du président de la commission de déontologie ; l'élargissement aux corps de catégorie A et B de la fonction publique d'État et de la fonction publique hospitalière de la possibilité d'accéder par concours et promotion interne aux grades supérieurs ; l'augmentation de un à deux ans de la durée pendant laquelle le fonctionnaire qui crée ou reprend une entreprise peut cumuler son activité privée avec son emploi public.

Il faut citer aussi la possibilité pour les agents occupant un emploi représentant moins de 70 %, et non plus seulement 50 %, de la durée légale du travail d'exercer une activité privée lucrative ; la généralisation de l'entretien professionnel en lieu et place de la notation ; la création de statuts d'emplois dans la fonction publique territoriale pour permettre la prise en compte des situations comportant des responsabilités d'encadrement ou de conduite de projets ; la monétisation des comptes épargne-temps dans la fonction publique territoriale ; la possibilité donnée aux employeurs territoriaux de recourir à l'ensemble des organismes de protection sociale complémentaire labellisés. D'autres points peuvent être mentionnés, comme le report à 2013 du reclassement des fonctionnaires de La Poste ou l'habilitation donnée au Gouvernement de modifier par ordonnance le code de justice administrative.

L'Assemblée nationale, en séance, a supprimé la saisine automatique de la commission de déontologie pour les collaborateurs de cabinet des autorités territoriales et l'a remplacée par son information automatique ; sur amendement du Gouvernement, elle a permis dans des cas précis des dérogations au statut général ; et précisé que le recrutement des agents territoriaux en CDI vaut entrée dans le service. S'ajoutent à cela des dispositions diverses relatives par exemple au Palais de la Découverte...

M. Jacques Mahéas.  - Une véritable auberge espagnole !

M. Jacky Le Menn.  - La voiture-balai !

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - ...aux fonctions de soutien du ministère de la défense ou encore au maintien des auxiliaires de vie scolaire dans le cadre d'un partenariat avec les associations agréées. L'Assemblée nationale a repoussé la disposition prévoyant un classement à la sortie des écoles de fonctionnaires.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Nous ne l'avons pas acceptée non plus.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Toutes ces dispositions ont été validées en CMP, à l'exception de celle autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans le domaine de la justice administrative.

Ce texte, qui fait suite à la loi Jacob de 2007, organise une meilleure communication entre les trois fonctions publiques, tout en fixant des règles plus sévères pour les mutations et la collaboration des fonctionnaires avec le secteur privé. Il clarifie aussi le fonctionnement de la commission de déontologie. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jacques Mahéas.  - Quel enthousiasme !

M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.  - Il est vrai que la situation est inédite : ce texte, sur lequel l'urgence avait été déclarée, examiné ici voilà plus d'un an, n'a été débattu à l'Assemblée nationale que longtemps après. Tout cela en effet n'est pas parfait. Pendant cette période cependant le texte a mûri ; et les amendements adoptés à l'Assemblée nationale l'ont été pour l'essentiel à l'initiative des députés et non du Gouvernement...

Ce texte important et concret donne enfin à la fonction publique des règles de gestion modernisée. J'en remercie tous ceux qui ont participé aux débats dans les deux chambres, au premier rang desquels les présidents et rapporteurs des commissions des lois. Pour les fonctionnaires eux-mêmes comme pour nos concitoyens qui attendent un service public de qualité, il fallait améliorer la gestion des ressources humaines, aller vers des carrières plus attractives et plus diversifiées, permettre aux agents de découvrir de nouveaux métiers et de nouvelles régions. Les idées doivent circuler, mais aussi les hommes et les femmes qui les servent, les compétences aussi : ce sont les conditions d'un État moderne et dynamique et d'une fonction publique heureuse et fière de faire son travail. Le chemin à parcourir est encore long. Le nombre de fonctionnaires qui servent en dehors de leur corps d'appartenance n'est aujourd'hui que de 5 %, ce qui n'est pas assez. Comment s'étonner que la mobilité soit une préoccupation centrale des fonctionnaires ?

Ce projet de loi est le fruit d'une intense concertation. Certains y ont vu une dérive vers les règles du privé et une remise en cause déguisée du statut de la fonction publique. A ceux-là, je réponds que je suis favorable au statut, mais pas au statu quo ... (M. Jacques Mahéas : « Comme nous ! ») Les conclusions de la CMP répondent parfaitement aux objectifs initiaux du Gouvernement, valables dans les trois fonctions publiques : lever les obstacles juridiques à la mobilité des fonctionnaires ; créer les conditions de la modernisation, de la continuité et de l'adaptabilité du service ; enfin mettre en oeuvre des outils de gestion des ressources humaines modernes afin de faciliter les parcours de carrière et valoriser le mérite.

Tout au long du processus législatif, Gouvernement et Parlement auront été pragmatiques, attentifs aux besoins des administrations, des citoyens et des fonctionnaires. Ne nous y trompons pas, ce texte est un des premiers sur le sujet qui soit aussi important, aussi précis, aussi peu idéologique. Je me réjouis que nous ayons ensemble pu le faire aboutir. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Éliane Assassi.  - Nous achevons au coeur de l'été l'examen d'un texte qui est à nos yeux un cheval de Troie destiné à démanteler le statut de la fonction publique. Son objectif n'est pas de favoriser la mobilité des fonctionnaires mais de faciliter la révision générale des politiques publiques et de mettre en oeuvre le dogme du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Petit à petit, la conception de l'intérêt général qui fonde le service public cède du terrain à une conception managériale de la fonction publique et du service public. Depuis la loi Galland de 1987, qui a d'ailleurs créé les premiers freins à la mobilité des fonctionnaires, les atteintes au statut de la fonction publique se sont multipliées. Dans son rapport de 2003, le Conseil d'État envisageait de faire du contrat une source autonome du droit de la fonction publique ; la loi du 26 juillet 2005 y a introduit le contrat à durée indéterminé ; celle du 2 février 2007 a rapproché encore la situation des agents publics de celle des salariés du privé.

Forts du rapport Silicani d'avril 2008, le Gouvernement et sa majorité ont jeté, en moins d'un an, les bases de la fonction publique de métiers, véritable remise en cause de la fonction publique d'emplois, avec le projet de suppression du classement de sortie de l'ENA -une prime au népotisme !-, le recrutement de directeurs d'hôpitaux issus du privé dans la loi Hôpital et la proposition de loi, déposée par 87 députés de la majorité, visant à généraliser le contrat dans la fonction publique territoriale. Que 5,2 millions de fonctionnaires échappent à la logique de marché n'est plus supportable pour la majorité. Pourtant, dans la crise que nous traversons, le service public a largement démontré son rôle d'amortisseur social ; amortisseur parce qu'il préserve les emplois et le pouvoir d'achat des fonctionnaires (M. Eric Woerth, ministre, s'étonne) et constitue un facteur de solidarité, grâce à notre système de protection sociale et de répartition des retraites. Malgré l'échec des dogmes libéraux, le Président de la République continue d'appliquer une logique d'entreprise à la fonction publique. (Marques de désintérêt au banc de la commission et du Gouvernement) A preuve, ce texte. Son rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Bénisti, n'a d'ailleurs pas hésité à répondre à M. Dolez que cette réforme avait pour but de mettre en oeuvre la révision générale des politiques publiques.

Nonobstant vos déclarations, ce texte a été rejeté par toutes les organisations syndicales lors de la réunion du Conseil supérieur de la fonction publique d'État du 18 mars 2008 et du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale du 26 mars 2008 qui le qualifient de « boîte à outils de la RGPP ».

M. Eric Woerth, ministre.  - C'est plutôt aimable ! (Sourires)

Mme Éliane Assassi.  - Cinq articles sont en cause. L'article 6, parce qu'il autorise l'agent à conserver son plafond indemnitaire le plus favorable entre son employeur d'origine et son employeur d'accueil en cas de restructuration, constitue un pas vers l'individualisation des rémunérations.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Rien à voir ! C'est une mesure de protection des agents !

Mme Éliane Assassi.  - Ah ! Monsieur le président, j'ai réussi à attirer votre attention !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Je vous écoute depuis le début !

Mme Éliane Assassi.  - L'article 7, au prétexte de la réorientation professionnelle des agents, constitue un véritable plan social dans la fonction publique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Vous déformez tout !

Mme Éliane Assassi.  - Cela vous déplaît, mais c'est un fait !

En effet, un agent pourra être licencié de fait puisque placé en disponibilité d'office...

M. Eric Woerth, ministre.  - Il l'aura vraiment cherché !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais seulement s'il refuse successivement trois offres d'emploi public auparavant !

Mme Éliane Assassi.  - J'y venais...

En dépit des garanties, au demeurant fort maigres, apportées par les députés -une offre ferme tenant compte du lieu de résidence-, l'outil est idéal pour supprimer des postes et cohérent avec le projet de fonction publique de métiers.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - La fonction publique des métiers, c'est bien ! C'est moderne !

Mme Éliane Assassi.  - Avec des cadres statutaires extrêmement larges, l'administration pourra imposer des emplois sans rapport avec les qualifications. C'est la fin des garanties statutaires...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Non !

Mme Éliane Assassi.  - ...garanties indispensables pour garantir la neutralité et l'indépendance des fonctionnaires.

L'article 8 autorise le cumul d'emplois à temps non complet entre les trois fonctions publiques. Le caractère expérimental et l'accord de l'agent ne sauraient constituer des garanties. L'expérimental est souvent pérennisé, nous le savons bien au Sénat. Quant à l'accord de l'agent, il est difficile de refuser une situation qui, pour précaire soit-elle, permet d'améliorer la rémunération. (M. André Trillard s'impatiente) Mieux aurait valu résorber la précarité par l'affectation sur des emplois à temps complet. De plus, il remet en cause l'obligation faite à l'administration d'affecter un agent reçu à un concours sur un emploi à temps complet correspondant à son grade. La rupture est donc profonde avec la conception d'une fonction publique de carrière. L'article 9, dans la même logique, étend le recours à des agents contractuels, ce qui contrevient au principe de la permanence de l'emploi, fondamental pour assurer la continuité du service public. Enfin, je dénonce l'article 10, qui a cristallisé les oppositions, puisqu'il autorise l'emploi d'intérimaires.

M. Eric Woerth, ministre.  - Et alors ? C'est très bien !

Mme Éliane Assassi.  - Que l'hôpital y ait déjà recours ne nous convainc pas. Cette disposition facilitera, à terme, les suppressions de postes. M. Portelli avait, d'ailleurs, proposé la suppression de cette disposition, considérant qu'il est « discutable de confier aux salariés de travail temporaire qui, par nature, assurent des missions assez fugaces chez des employeurs successifs de toutes natures, des fonctions de puissance publique » avant de conclure « le sens du service public s'acquiert par une longue pratique et par l'application d'un statut spécifique ». Nous regrettons, comme nous l'avions dit en première lecture, qu'il soit revenu sur cette décision au détriment de la qualité du service public.

Ce texte instaure une mobilité contrainte, contraire à l'esprit du statut de la fonction publique. Si la fonction publique doit évoluer, ce n'est certainement pas dans ce sens. Nous aurions aimé débattre de la promotion de l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs, de la résorption de la précarité ou encore de l'instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social. Hélas, en fait de proposition, la vôtre est de démanteler le statut de la fonction publique en généralisant le contrat, qui entraînera le développement du favoritisme, de l'arbitraire, des pressions politiques et économiques et de la corruption dont la France a su se protéger jusque-là. Cette atteinte au statut des fonctionnaires va à l'encontre de l'intérêt de nos concitoyens. Nous voterons contre ce projet et soutiendrons toutes les initiatives pour empêcher son application ! (Applaudissements à gauche)

M. Eric Woerth, ministre.  - Donc, madame Assassi, vous êtes contre ? (Sourires)

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

M. François Fortassin.  - Notre fonction publique a deux caractéristiques principales : la qualité...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Et la quantité !

M. François Fortassin.  - ...et le fait d'être peu atteinte par la corruption. Pourquoi ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - La vertu des fonctionnaires !

M. François Fortassin.  - La vertu, je m'en méfie ; être honnête, c'est déjà bien !

Pourquoi, donc ? D'abord, le recrutement par concours...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Oui !

M. François Fortassin.  - ...qui assure la plus grande égalité possible. Ensuite, le statut assure les déroulements de carrière et forme un état d'esprit du service public. De fait, le service public est un état d'esprit bien plus qu'un problème financier.

Que le Gouvernement veuille introduire de la flexibilité est compréhensible. Mais encore aurait-il fallu qu'il donne ses motivations réelles... Affirmer, d'un côté, que les fonctionnaires coûtent cher et, de l'autre, qu'ils sont mal payés est contradictoire.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Un dialogue de sourds...

M. François Fortassin.  - S'il s'agit d'assouplir le recrutement, permettez-moi d'être dubitatif car vous ouvrez la porte à de nombreuses dérives. Le recrutement ne se fondera plus sur la compétence...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Certaines collectivités territoriales sont déjà expertes en la matière !

M. François Fortassin.  - ...et certains candidats considéreront qu'il est plus important avoir des relations que de passer un concours. Monsieur le ministre, pourriez-vous dissiper ma perplexité en me donnant l'assurance...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - On aimerait que certaines collectivités territoriales, elles aussi, nous donnent des assurances !

M. François Fortassin.  - ...que cette réforme conservera à la fonction publique avec force ses caractéristiques ?

Comment se fait-il que la France s'enorgueillit d'avoir une fonction publique de qualité alors que des pays comparables ne peuvent le faire ?

Compte tenu des incertitudes qui demeurent, je resterai assez évasif, même si je reconnais que la commission a amélioré le texte.

M. Jacques Mahéas.  - On avait annoncé cette séance comme consacrée aux « navettes diverses », sans autre précision. C'était à l'image d'un texte qui, malgré l'urgence déclarée, est resté sur le bureau de l'Assemblée nationale pendant quatorze mois, après son vote au Sénat le 29 avril 2008. Il ne comprenait alors que dix-huit articles, deux de plus que le projet initial.

La discussion à l'Assemblée nationale l'a alourdi de 27 articles supplémentaires sur lesquels le Sénat n'aura eu aucun débat. Il s'agit désormais d'un projet de loi portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Lors de son intervention, notre rapporteur s'est trouvé dans l'obligation de faire oeuvre pédagogique pour nous expliquer, sans enthousiasme, quelques articles nouveaux. Durant la discussion générale, il n'y a eu aucun orateur UMP ou Nouveau centre.

Est-ce la marque du respect que le Gouvernement porte au travail des sénateurs ? Après la suppression de la publicité à la télévision publique ou la réduction de la TVA dans la restauration avant même le vote de la loi les autorisant, est-ce ainsi que vous concevez la revalorisation du Parlement ? Nous subissons là des conditions d'examen inacceptables ! La procédure accélérée ne doit pas permettre, après lecture dans une première assemblée, l'ajout de nombreuses dispositions dont la seconde assemblée ne pourra débattre ni en commission ni en séance avant la CMP. C'est une remise en cause du bicamérisme et un détournement de la procédure accélérée. La commission mixte paritaire ne saurait se transformer en séance de rattrapage, alors qu'elle est une instance de compromis entre les deux assemblées.

Cette manière de faire est d'autant plus choquante que les quatorze mois d'attente dans les tiroirs de l'Assemblée nationale montrent la grande relativité que vous conférez au mot urgence. Autrement dit, le Parlement avait largement le temps de procéder à deux lectures attentives. Il en va tout de même de la bonne rédaction de la loi et de l'intérêt général, d'autant que nous parlons de fonction publique !

Lors du dernier remaniement ministériel, le secrétariat d'État à la fonction publique est passé par profits et pertes, même si des rumeurs promettent son rétablissement lors d'un ultime mini-remaniement la semaine prochaine. Il s'agit sans doute d'un acte manqué digne de la révision générale des politiques publiques qui vous tient lieu de feuille de route. D'ailleurs, vous voulez supprimer 34 000 postes de fonctionnaires en 2010, sans aucun débat préalable sur les missions des services publics ou sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.

Ce projet de loi participe du même esprit : c'est un nouvel avatar pour déstructurer la fonction publique, enfoncer un coin dans son statut et précariser l'emploi public en banalisant le recrutement par contrat comme, naguère, ce fut le cas avec l'instauration des contrats à durée indéterminée de droit public. (M. Jacky Le Menn le confirme) Ici, au prétexte de mobilité, certains articles montrent que l'objectif poursuivi est la réduction du nombre de fonctionnaires, la réorientation professionnelle, qui pourra déboucher sur un licenciement de fait, le cumul d'emplois à temps non complet, l'élargissement du recours à des contractuels et à l'intérim. M. le ministre et sa majorité affirment que c'est faire insulte aux intérimaires de contester cette dernière mesure. Non ! N'oublions pas qu'ils n'ont pas les mêmes droits et obligations que les fonctionnaires, comme l'indépendance ou le secret professionnel.

C'est aussi se moquer des fonctionnaires que de nier la spécificité de leur engagement. La flexibilité pour les uns ne doit pas entraîner la précarité et la régression sociale pour les autres. Comme pour le travail le dimanche, je défends un certain modèle de société. J'avais d'ailleurs cru entendre le Président de la République faire l'apologie de ce modèle social français lors du Congrès du 22 juin. Mais les actes ne coïncident pas toujours avec les mots...

Pour revenir à ce texte, les articles additionnels introduits à l'Assemblée nationale se sont avérés non seulement nombreux, mais parfois retors. L'un d'eux prévoyait de réformer la justice administrative par ordonnance ! Comment oser dessaisir le Parlement d'une telle réforme ? Pourquoi régler par ordonnance pour les juridictions administratives ce qui a été voté par le Parlement pour les juridictions financières ?

Fort heureusement, la commission mixte paritaire a eu la sagesse de rejeter cet article. En revanche, elle a validé trois articles. Je mentionnais tout à l'heure mes doutes sur la revalorisation du Parlement. Comment ne pas voir dans cette revalorisation une coquille vide quand trois articles importants arrivent en séance sur amendement gouvernemental ? Vous l'aviez oublié, monsieur le ministre !

M. Eric Woerth, ministre.  - Non !

M. Jacques Mahéas.  - La commission, qui élabore le texte discuté en séance, n'en a donc pas eu connaissance. Or, le premier de ces articles prévoit le transfert des personnels du Palais de la Découverte : ces derniers se sont mobilisés contre ce qu'ils considèrent comme une mort annoncée de cette institution majeure de la culture scientifique et technique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ils se sont certes mobilisés, mais il ne s'agit pas d'une institution majeure !

M. Jacques Mahéas.  - Pour eux, si !

Le deuxième article prévoit la réorganisation des fonctions de soutien du ministère de la défense, avec la mise à disposition de fonctionnaires et de militaires auprès d'entreprises de droit privé, ce qui aurait dû être discuté lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire la semaine passée. L'avis de M. Dassault aurait retenu toute notre attention...

Le troisième article prévoit que les auxiliaires de vie scolaire individuels pourront être réembauchés par les associations représentatives des professionnels ou des familles, avec remboursement partiel par l'État, faute de crédits suffisants au ministère de l'éducation nationale, d'où des transferts de charges aux collectivités locales. Ces personnels méritent mieux que ce bricolage ! L'importance de leurs tâches impose un statut, une véritable formation et une rémunération décente.

A l'Assemblée et au Sénat, vous avez répété, monsieur le ministre, que vous étiez partisan du statut, et non du statu quo. Comme vous, nous sommes évidemment favorables à la mobilité, mais pas n'importe comment. C'est pourquoi nous pourrions être d'accord avec vous si modernisation ne rimait pas avec déstructuration, si vous cessiez de subordonner votre politique à une approche comptable et idéologique...

M. Eric Woerth, ministre.  - Comptable oui, idéologique, non !

M. Jacques Mahéas.  - Pourquoi considérer que la fonction publique est une charge et une variable d'ajustement, et non une chance, un levier de croissance et un investissement ?

Aucune de ces conditions n'étant réunie, le groupe socialiste votera contre ce texte qui, au-delà des malencontreuses conditions de son examen, poursuit, à travers l'objectif louable de la mobilité, la déstabilisation de la fonction publique et le désengagement de l'État au détriment des collectivités territoriales. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Nous avons voté ce texte il y a tellement longtemps que l'on en oublie l'architecture. Si le Sénat a été favorable à ce texte, c'est parce qu'il avait fait l'expérience préalable de la modernisation de la fonction publique territoriale qui avait été voulue par tout le monde, notamment par les grandes associations d'élus. Nous avions voté ce texte, monsieur Mahéas.

M. Jacques Mahéas.  - Certes !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Alors qu'aujourd'hui le Gouvernement nous propose de faire de même pour la fonction publique d'État, l'opposition nous dit qu'elle n'en veut pas. Quel paradoxe ! Il faut pouvoir remplacer un agent public peu qualifié en congé maternité par un contractuel ou par un intérimaire. Le texte ne dit pas autre chose ! Il ne faut donc pas prétendre que l'on détruit le statut de la fonction publique.

Mais il est aussi indispensable de diminuer le nombre de corps pour accroître la mobilité : au cours d'une carrière, il faut qu'un fonctionnaire puisse s'intégrer dans diverses administrations. C'est aussi vrai pour les militaires.

M. Jacques Mahéas.  - Mais pas dans des entreprises privées, quand même !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - L'Assemblée nationale a procédé à quelques ajouts qui ne bouleversent pas l'équilibre du texte. Bien sûr, nous n'aimons pas vraiment les lectures uniques.

M. Jacques Mahéas.  - C'est une litote !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Ce texte devrait permettre à la fonction publique de se moderniser mais aussi la rendre beaucoup plus attractive auprès des jeunes. C'est pourquoi nous vous invitons à voter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement. Le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Le vote sur les articles premier à 30 est réservé.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Ancien fonctionnaire, je m'étonne qu'un texte qui organise le décloisonnement et la mobilité entre les trois fonctions publiques suscite une telle hostilité !

M. Jacques Mahéas.  - Ce n'est pas ça ! Vous ne l'avez pas lu ! (Mme Éliane Assassi renchérit).

M. Jean-Pierre Fourcade.  - L'UMP partage la volonté du Gouvernement de faire sortir nos fonctions publiques de leur carcan. Les mesures en faveur de la mobilité, la réduction du nombre de corps ne sont ni un cheval de Troie, ni une brèche dans le statut mais la condition de la modernisation et du rajeunissement de la fonction publique. Les agents publics ne subiront plus passivement leur carrière.

Je rends hommage au ministre, et à André Santini. Nous partageons votre souhait d'une gestion des ressources humaines qui mette l'accent sur les personnes et non sur les statuts. Je salue également l'ardeur de notre rapporteur, M. Portelli. Je regrette toutefois que le Gouvernement ait recouru, une fois de plus, à la procédure accélérée : les lois marquantes sont celles qui ont fait l'objet de longs échanges. Le groupe UMP adoptera néanmoins ce texte sans réticences car il marque un réel progrès. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Mahéas.  - Un exemple : le Gouvernement vient d'indiquer qu'il n'organiserait pas pour l'instant de concours de recrutement de gardiens de la paix. Va-t-on recourir à des intérimaires ou à des contractuels ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais non ! Les écoles sont pleines !

M. Jacques Mahéas.  - Mieux vaudrait organiser un concours. La réalité, c'est que la situation économique et budgétaire du pays conduit le Gouvernement à supprimer des emplois de fonctionnaires. Appelons un chat un chat : ce texte vous servira à réduire le nombre de titulaires et à augmenter les contractuels et les intérimaires ! Encore une fois, nous ne le voterons pas.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.