Indépendance des rédactions

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions.

Discussion générale

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Après que le groupe UMP a rejeté une proposition de loi sur la concentration des médias, nous revenons à la charge pour défendre l'indépendance des rédactions. Cette fois, nous prenons acte du paysage, que nous contestons mais qui existe. Les entreprises de presse doivent être particulièrement encadrées par la loi pour que soit assuré le principe de liberté et de pluralisme garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme. Depuis la réforme de l'article 34, la Constitution donne au Parlement pouvoir d'agir en la matière : j'en fais un nouvel usage, avec cette proposition de loi urgente et nécessaire.

Certains groupes cumulent des activités dans la presse, dans l'audiovisuel et dans d'autres secteurs. Des raisons économiques, techniques et de rationalisation budgétaire sont évoquées ; j'ajouterai des raisons idéologiques.

Regardons l'état de la presse dans un secteur auquel nous sommes particulièrement attachés, celui de la presse quotidienne régionale, laquelle est toujours aussi lue par nos concitoyens. Le Socpresse, issu de la scission du groupe Hersant, détient, outre Le Figaro, des chaînes de télévision et de nombreux titres régionaux : Le Courrier de l'ouest, La Voix du nord, Le Maine libre, Le Dauphiné libéré, L'Est républicain...

Hachette-Filipacchi possède, outre Paris-Match, un grand nombre de titres locaux dont, par exemple, tous les quotidiens vendus en Seine-Maritime. La concentration n'est pas moindre dans le sud-ouest, ni dans l'ouest, avec le groupe Ouest-France et toutes ses propriétés. Le lecteur ne peut généralement pas savoir que son journal appartient à tel groupe

Ajoutons à cela que les groupes achètent et vendent les titres comme s'il s'agissait d'autant de marchandises usuelles.

Nous devons chercher les moyens législatifs pour contrecarrer l'uniformisation qui entoure le droit du citoyen d'être informé mais aussi de contester. Le pluralisme et la liberté ne sont pas garantis par le nombre de titres, celui-ci peut être illusoire quand la propriété des titres est concentrée en un très petit nombre de mains. Cette concentration existe malgré les barrières que le législateur lui a opposées : seuils, interdiction de posséder plus de deux types de médias, ces mesures ne suffisent plus. Bouygues possède déjà quatre chaînes gratuites et douze chaines payantes de la TNT, et le mouvement va s'amplifier.

La restructuration de France Télévisions a unifié les chaînes, leur périmètre n'est plus garanti, ni la diversité.

Le maintien de l'indépendance des rédactions est donc devenu le critère du pluralisme : c'est pourquoi je vous propose ce texte.

La concurrence obligerait à la concentration des titres au sein de grands groupes, y compris dans les médias ?

De fait, des économies d'échelle sont possibles, des avantages aussi quand la concentration ne signifie pas d'abord des plans sociaux.

Mais, la Constitution le dit, les médias ne sont pas des biens comme les autres. Ils sont au service du bien commun, de la culture : c'était vrai hier, c'est encore vrai aujourd'hui, même si le monde bouge !

La concentration peut limiter la pluralité de l'information, entraînant la lassitude du public et réduisant le débat, dès lors que les grands groupes, par économie, réduisent le nombre de journalistes. Chaque journaliste a ses centres d'intérêt, ses convictions, son talent : c'est bien pourquoi le pluralisme et la diversité passent par le nombre de journalistes. On nous objecte qu'ils sont déjà protégés, mais rien n'est fait pour les rédactions : si la seule liberté du journaliste, c'est de démissionner, on comprend qu'elle n'est pas suffisante face à la direction de son média !

Mon texte ne vise rien d'autre qu'à garantir l'indépendance des rédactions ; le consensus que j'espérais n'a pas été possible : le débat va nous dire pourquoi. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur de la commission de la culture.  - Ce débat est utile. La concentration des titres dans la presse politique régionale, l'immixtion des directions dans les rédactions, le manque de confiance de nos concitoyens dans leur presse : le sujet est de taille et, depuis la révision constitutionnelle de 2008, nous sommes parfaitement dans notre rôle en le faisant nôtre.

Nous partageons tous l'inquiétude légitime exprimée par ce texte, mais devons-nous pour autant inscrire son dispositif complexe dans notre droit ?

Je ne le crois pas car il ne tient pas compte de la diversité des entreprises de presse et il risque d'accentuer la défiance. Je vous proposerai plutôt une approche concertée, en vue de l'élaboration d'une nouvelle charte.

La convention collective nationale consacre la liberté d'opinion des journalistes, précisant que l'expression de cette opinion ne doit pas porter préjudice à l'entreprise de presse. Des sociétés de rédaction existent, comme à Libération, au Monde ou à Télérama. Des dispositifs de médiation se généralisent. Surtout, les journalistes peuvent toujours faire jouer la clause de conscience ou celle de cession. Or, ce texte imposerait un mécanisme contraignant, inadapté aux petites équipes rédactionnelles, sans même avoir été concerté. En cherchant à renforcer les pouvoirs de la rédaction, on nie totalement l'autonomie de la direction dans la gestion de l'entreprise. Pourtant, la direction continuerait d'être seule responsable pénalement d'un contenu qu'elle ne maîtriserait plus.

Ce texte, enfin, pourrait limiter l'exercice de la clause de conscience individuelle, car un journaliste s'opposera plus difficilement à une équipe de rédaction qui accepterait le projet de la direction. Quant aux dispositions prévues pour la transparence financière, elles vont moins loin que le droit en vigueur.

La commission de la culture vous propose donc de rejeter ce texte : les objectifs en sont louables, pas le dispositif. Je vous proposerai une alternative ; inclure dans les contrats d'aide signés par l'État et les entreprises de presse des éléments de déontologie pour garantir les droits des rédactions. La mission que vous avez confiée à M. Roch-Olivier Maistre devrait nous éclairer pour renforcer la contractualisation.

Je propose aussi que l'Autorité de concurrence rende publiques les conséquences de toute fusion sur le pluralisme. Nous serons, monsieur le ministre, vigilants sur ce compromis raisonnable et responsable. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - Cette proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale le 23 novembre dernier, m'est l'occasion de rappeler mon attachement au pluralisme de la presse mais aussi mon opposition à l'idée de rendre obligatoire la constitution de sociétés de rédaction. La création des sociétés de rédaction est souvent liée à la volonté des journalistes de se protéger en cas de reprise. Leur rôle a changé : elles sont devenues des lieux de dialogue. Le droit positif est neutre par rapport à elles ; il ne leur donne aucun caractère obligatoire, sans empêcher leur création ni leur diversité. Leur régime, c'est la liberté.

Les sociétés de rédaction des années 1950 voulaient acquérir des parts, pour peser dans les choix : celle du Monde a possédé jusqu'à 40 % du capital en 1968. Elle n'est plus majoritaire mais s'est organisée avec les autres actionnaires historiques pour élargir son capital et elle conserve la faculté de s'opposer à la nomination d'un directeur. Le Parisien est un autre exemple : les journalistes ont rédigé une charte, base de discussion avec le repreneur, pour garantir notamment les emplois dans la rédaction.

Il n'y a donc pas de modèle unique, ni sur la forme, ni sur le fond. Nous devons veiller à préserver la spécificité de chaque média : la diversité, c'est leur force. Les mécanismes internes ont été longuement mûris, ils correspondent à des équilibres fragiles et toujours particuliers. Les journalistes financiers, par exemple, ont leur propre charte, qui garantit leur indépendance.

A l'étranger, on a retenu des formules souples. Le droit actuel préserve l'indépendance du journaliste, qui ne dépend pas seulement de sa direction mais aussi de sa conscience.

Un journaliste peut faire jouer sa clause de conscience, en cas de « changement notable » dans son journal.

En 1996, le Conseil d'État a interprété cette notion lato sensu et le journaliste est toujours indemnisé pour son départ.

Cette proposition de loi, en fait, affaiblit la protection du journaliste puisqu'il aurait participé à l'élaboration collective de la ligne éditoriale. Le modèle unique restreindrait l'indépendance des journalistes, il déposséderait chaque média de son ADN spécifique, de son territoire, du lien unique avec son lectorat ; dans le jargon journalistique, on appelle cela le « contrat de lecture » ; ce rapport intime et permanent entre le journaliste et son public est au coeur de la créativité des médias.

Ce lien intime est au coeur même du succès du média, et c'est lui que ce texte compromet. Il conduit en effet à une impasse éthique et professionnelle : vous confisqueriez le dialogue permanent entre un média et son public et vous affaibliriez une presse d'opinion fondée sur la fidélité de son public.

Il conduit aussi à une impasse économique et juridique avec la confiscation de la responsabilité de l'éditeur : l'équipe rédactionnelle prendrait un poids démesuré sur la vie de l'entreprise. La loi de 1881 prévoit une responsabilité en cascade : d'abord le directeur, puis le rédacteur, enfin l'imprimeur. Il n'appartient pas au législateur d'imposer au directeur de publication l'obligation de partager la définition de la ligne éditoriale alors qu'il supportera seul les risques encourus.

Enfin, la loi a prévu en France des mécanismes à même de garantir le pluralisme de la presse. Ainsi, l'Autorité de la concurrence assure déjà le respect du pluralisme, en s'appuyant notamment sur la loi de 1986 sur l'audiovisuel. Je suis donc défavorable à ce texte.

En clôturant des états généraux de la presse en janvier 2009, le président de la République a proposé de renforcer la transparence des entreprises de presse : le Gouvernement y est donc favorable, c'est même l'un des objets de la proposition de loi Warsmann en cours de discussion. Nous ne pouvons adopter des dispositions comparables dans deux textes examinés parallèlement. C'est le seul motif de mon opposition au volet transparence de cette proposition de loi.

Votre texte irait contre ses objectifs : la liberté de la presse ne doit pas être corsetée, le dialogue singulier du titre et de son lectorat doit être respecté.

Voilà comment nous concevons l'éthique de la responsabilité, au sens de Max Weber. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Les sénateurs centristes sont très attachés au rôle du Parlement envers la presse. Cette proposition de loi est fondée sur un tableau bien caricatural de la presse ! Tout en réalisant une tâche ô combien précieuse d'information du citoyen, la presse n'en est pas moins une entreprise, soumise à la concurrence. Je ne trouve pas choquant qu'un grand groupe détienne plusieurs titres, en particulier régionaux, où les équipements gagnent à être mutualisés. Le rachat de titres par le Crédit mutuel n'a pas entraîné leur uniformisation et la diversité s'est accrue avec internet.

Le nom des propriétaires est obligatoirement mentionné : c'est la loi. La liberté des journalistes est respectée. La loi est certes peu bavarde sur les rédactions. Mais un journaliste connaît, avant d'y entrer, la ligne éditoriale d'une rédaction.

Je ne crois pas que l'indépendance des rédactions soit aussi menacée qu'on veut nous faire croire. Je ne crois d'ailleurs pas plus que les solutions proposées soient adéquates et applicables.

D'abord parce que vous proposez un droit de veto qui risque de décourager les investisseurs.

Ensuite parce que vous faites reculer l'indépendance des journalistes : l'institution d'une société de rédaction réduira la distance entre le journaliste et le manager, alors que cette distance permet justement de faire jouer la clause de conscience... c'est là une erreur grossière !

Enfin, vous mélangez le social et le déontologique en donnant à la société de rédacteurs des prérogatives de représentants du personnel.

Bref, cette proposition de loi est idéaliste et caricaturale sur le fonds, et inadaptée sur la forme. Vous pourriez veiller au respect de la déontologie par certains journalistes qui confondent scoop et information avant de chercher à phagocyter les relations au sein des entreprises de presse.

Le groupe centriste votera contre cette proposition. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Marie-Christine Blandin.  - Nous avons la chance aujourd'hui de pouvoir débattre d'un texte sur l'indépendance des médias, alors que se joue au sein d'un état membre de l'Union européenne une tout autre partition : commission de contrôle des médias, perquisition... L'Union européenne voit se préparer des dispositions étranges. Heureusement, la France n'est pas la Hongrie et des textes fondateurs y protègent sa presse. La proposition de loi de notre collègue David Assouline fait partie de ces textes nourris de l'observation de situations nouvelles ; ce sont des garde-fous, gages de plus d'indépendance et d'éthique dans un milieu colonisé par les grands groupes.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin.  - Les rachats de titres régionaux se multiplient : seize quotidiens, trente hebdomadaires, six mensuels sont tombés dans l'escarcelle du groupe Rossel.

Ces concentrations laissent libres le journaliste d'exercer sa clause de conscience, nous dit le rapporteur... Fort bien, mais en termes crus, c'est « Si cela ne te plaît pas, tu prends tes affaires et tu t'en vas ! », comme à l'usine au XIXe siècle.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin.  - La concentration nie la sociologie du lectorat, sans que les journalistes aient leur mot à dire. A notre article 2, qui propose une inscription dans l'ours du nom des actionnaires détenant plus de 10 % du capital, le rapporteur objecte que cette disposition serait inscrite dans le texte de simplification du droit : nous préférons tenir que courir, car la simplification du droit est en navette et l'Assemblée gomme fréquemment les acquis du Sénat ! Nous avons plus confiance dans la déontologie des journalistes que dans les actionnaires et ceux qui les servent et confondent souvent information et intérêts de leurs annonceurs.

Les journalistes se félicitent de l'intervention du Parlement mais s'inquiètent des conditions prévues de la protection des sources. Le législateur doit garantir la liberté : un article sur les frais bancaires sera-t-il accepté par un banquier propriétaire ? Un article sur les OGM quand le propriétaire est Bolloré ? Un peu d'audace : confiez un peu de pouvoir aux rédacteurs ! Le feriez-vous pour la charcuterie ? Non, mais nous ne parlons pas de saucisson ; nous parlons de culture et d'information, nous parlons du miroir de la démocratie !

Monsieur le ministre, vous dites que seul le patron de presse peut décider de la ligne éditoriale, puisqu'il est responsable devant la loi. Vous aviez raison quand c'était Sartre ; mais aujourd'hui, c'est Rothschild ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Cette proposition de loi est intéressante. Elle se propose de renforcer l'indépendance des rédactions au vu de la concentration avérée dans les médias, qui fait le jeu de la pensée unique. Pour lutter contre la concentration, cependant, mieux vaudrait changer les règles la concernant. Et ce texte me choque en imposant la création de sociétés de rédaction, véritables corps intermédiaires. Le mieux est l'ennemi du bien.

C'est le cas ce matin, et nous le faisons au nom de valeurs que j'approuve. Mais deux conceptions de la démocratie s'opposent : certains pensent qu'on peut la corseter, la verrouiller ; d'autres, dont je suis, la voient comme une fleur fragile qu'il faut entretenir par le dialogue. C'est pourquoi le RDSE, à la quasi-unanimité, ne soutiendra pas ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Ivan Renar.  - Internet apporte des bouleversements aussi profonds que l'invention de l'imprimerie, qui suscitent des difficultés économiques, lesquelles se traduisent par d'inacceptables pressions sur les journalistes. Reporters sans frontières a rétrogradé la France au 44e rang pour la liberté d'informer, c'est indigne du pays de la Déclaration des droits de l'homme. Dans le même temps, la concentration des médias ne fait que se renforcer tandis qu'émergent des monopoles extravagants comme celui de Google, pilleur de contenus. Wikileaks a révélé que l'ambassade des États-Unis jugeait la concentration des médias pire en France qu'en Amérique...

Comment s'étonner que progresse la défiance des citoyens ? Il faut légiférer pour promouvoir une parole crédible et fiable. Le risque est grand que le journaliste soit transformé en un inoffensif passeur de micro. Il faut redire la noblesse du métier de journaliste et le danger qu'il y a parfois à l'exercer.

Une entreprise de presse n'est pas une entreprise comme une autre. La crise, l'érosion du lectorat ont conduit plusieurs titres à faire appel à des capitaux extérieurs pour se renflouer ; raison de plus pour protéger l'indépendance des journalistes, équilibrer les rapports de ceux-ci avec les actionnaires. Le soutien de l'État devrait rester ciblé vers les titres les moins concentrés, qui sont les plus précieux pour la diversité des opinions. De même que j'apprécie le statut actuel de l'AFP, j'insiste pour que l'on retrouve l'inspiration visionnaire du CNR. Dans le Nord, nous avions cinq quotidiens, nous n'en avons plus que deux ; le pluralisme y est en danger.

Quant à l'Europe, obnubilée par le marché, elle ne défend pas l'information libre et non faussée... Quand un pays de l'Union adopte une loi liberticide, son dirigeant peut dire qu'il ne l'amendera que si les autres pays en font autant... L'Europe doit être exemplaire car le recul de la liberté et du pluralisme fait le lit de l'extrémisme.

La défense de la liberté d'expression et du pluralisme est un combat qui ne saurait s'interrompre. L'essentiel des pratiques d'information se fera demain sur internet, qui ne doit pas être bâillonné.

Cette proposition de loi va dans le bon sens et nous la voterons.

Mme Catherine Dumas.  - M. Assouline veut protéger les journalistes et s'émeut d'une concentration croissante de la presse qui menacerait l'indépendance de celle-ci et la démocratie. C'est agiter des épouvantails : notre pays a une législation déjà très protectrice.

Fondée sur ce diagnostic erroné, la proposition de loi crée des structures propres à rendre ingouvernables les entreprises de presse, sans garantir en rien l'indépendance des rédactions. Le directeur de rédaction serait seul responsable pénalement d'un contenu sur lequel il n'aurait aucun pouvoir. Les investisseurs vont fuir ! Et je ne parle pas de la contradiction entre le dispositif proposé et la clause de conscience.

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Parlez de ce que vous connaissez ! Ce n'est pas de jambon qu'il est question.

Mme Catherine Dumas.  - Les dispositions actuelles suffisent : les négociations au cas par cas fonctionnent bien. Cette proposition de loi aurait des effets pervers en imposant un modèle unique à tous les médias.

L'obligation de transparence ? L'article 5 de la loi de 1986 impose déjà une information, suffisante, du lecteur en la matière. En 2005, la commission Lancelot n'a pas jugé la concentration actuelle excessive ; certains groupes se détachent, c'est vrai, mais le phénomène est mondial. Les médias doivent être pensés en termes d'entreprises, avec une logique de concentration, de taille critique, de concurrence.

Cher David Assouline, comportez-vous en sénateur responsable, pas en militant ! L'UMP votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements à droite)

M. René Vestri.  - L'existence même d'une telle proposition de loi montre à quel point les relations entre le politique et les médias, entre les citoyens et les journalistes sont dégradées. Nombre de pratiques professionnelles ne passent plus. On évoque toujours, à ce propos, la presse d'information générale, plus rarement les médias spécialisés ; pensons cependant à une revue comme Prescrire qui a alerté l'opinion sur les dangers de certains médicaments.

Les Italiens connaissent une concentration pire encore que la nôtre : un magnat des médias est même devenu président du Conseil... et l'est toujours.

Pouvons-nous traiter ce problème ? Oui, la Constitution nous en donne la possibilité. Ce qui a été présenté comme une avancée est en fait révélateur d'un malaise : un média digne de ce nom ne devrait pas avoir besoin de recourir à un médiateur. Mais on peut parfois comprendre la méfiance des citoyens... Tel élu écologiste vantait hier le nucléaire lorsqu'il était journaliste en faisant des « ménages »...

La proposition de loi ne me paraît cependant pas la bonne réponse. On vise les entreprises à conseil de surveillance, mais quid des petites structures ? Et le métier n'est pas le même à la télévision, dans un journal ou dans une agence de presse.

Il n'y a pas que la question du propriétaire ; plus subtile est la pression que peuvent exercer les annonceurs. L'arrivée de nouveaux concepts comme les journaux gratuits a encore accru la dépendance à la publicité. Pourquoi ne pas obliger les entreprises de presse à publier une fois par an la liste de ses principaux annonceurs ? A la télévision, ce n'est guère mieux entre la pression de la publicité et celle des pouvoirs publics... Dans ma région, le groupe monopolistique de presse avait un objectif de croissance à deux chiffres ; aujourd'hui, il doit solliciter l'argent de l'État. On devrait réfléchir aux transformations que peut apporter à la profession l'arrivée de médias nouveaux, comme sur internet où certains blogs sont plus lus que bien des articles. Réfléchir aussi au pantouflage des journalistes : combien de fois en voit-on devenir conseillers en communication de sociétés sur lesquelles ils écrivaient peu auparavant ! Il faut avant tout s'attaquer au modèle économique. La charte éthique devrait s'appliquer tout autant aux annonceurs qu'aux investisseurs.

Il faudrait aussi imposer aux organes de presse condamnés pour diffamation la publication de l'intégralité du jugement -cela inciterait les journalistes à davantage de prudence. On sait aussi qu'en cas de non-lieu, les personnalités en vue ne font plus recette...

Contrairement à ce que vous pourriez imaginer, je ne soutiendrai pas la proposition de loi.

M. Claude Bérit-Débat.  - Cette proposition de loi traite une situation que nous ne pouvons pas ignorer. Le rapporteur a reconnu la pertinence des questions que nous posions et évoqué quelques pistes ; le ministre a, lui, jugé notre proposition de loi superfétatoire car largement satisfaite par les textes en vigueur ; certains collègues de la majorité, avec des propos parfois excessifs à notre endroit, ont estimé la situation satisfaisante. Ces variations montrent la réalité du problème, dont l'importance est majeure pour tous.

Ceux qui refusent la discussion, parce qu'ils font mine de croire que tout va bien, seraient bien inspirés d'ouvrir les yeux sur la réalité. Avec internet, la presse quotidienne régionale a vu ses recettes s'effondrer. La constitution des oligopoles a une logique économique propre mais la première conséquence en est l'uniformisation du contenu de l'information. Certes, notre presse n'est pas muselée. Mais la situation est loin d'être idyllique.

La mutation économique et technique provoque une évolution de la profession de journaliste. Fleur fragile, la démocratie ? Nous voulons la protéger en lui offrant un tuteur. Le journaliste a une clause de conscience, certes, mais il réfléchira à deux fois avant de la faire valoir. Avec la presse à bas coût, les risques de destruction de valeur et d'emplois ne sont pas négligeables. Nous ne parlons pas ici de vendre des saucisses...

C'est dans ce contexte que la proposition de loi prend tout son sens, qui consacre un indispensable principe de transparence ; les Français doivent savoir quelle information leur est donnée, comment et par qui. Cette information sur l'information est une première étape. La seconde est de donner aux journalistes les moyens de faire valoir leurs droits, dans le respect de leur déontologie.

Ce texte donne l'occasion d'avancer sur un terrain dont nous avons à peu près tous la même vision. S'il n'est pas adopté, il aura au moins incité le rapporteur à faire des propositions concrètes qui constituent une avancée notable. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions de cet article s'appliquent dans le strict respect du principe d'indépendance des journalistes et de leur droit à opposer la clause de conscience. »

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Oui, madame Dumas, je suis un sénateur et un militant -de gauche. Idéaliste, soit, mais aussi pragmatique. Si nous pouvons débattre aujourd'hui en nous appuyant sur la Constitution, c'est grâce à un amendement du groupe socialiste que j'ai défendu ! Le rapporteur admet que la concentration dans la presse quotidienne régionale est un vrai problème : qui propose des solutions, sinon ces idéalistes que sont les socialistes ? S'il y avait un vrai débat, un compromis pourrait être élaboré qui satisfît chacun ; au moins nos discussions en séance auront-elles permis au rapporteur de faire des propositions, ce qu'il n'avait pas fait en commission.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur.  - Nous aussi avons des idéaux et souhaitons le débat. C'est pourquoi nous contestons votre article premier qui interdirait tout débat entre la direction et la rédaction. (Applaudissements à droite) Oui, la concentration fait problème ; non, la solution que vous proposez ne règle pas les choses. En outre, elle est contradictoire avec la clause de conscience et elle peut susciter des conflits entre l'équipe rédactionnelle et les syndicats.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement, qui ne rend pas l'article plus acceptable.

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Vous avez remarqué vous-même que la concentration fragilisait des rédactions, quand elle ne les dissout pas. Il y a vingt cinq ans, la presse quotidienne régionale était dans une autre situation et le lecteur pouvait choisir son journal local ; aujourd'hui, de nombreux titres sont toujours là mais ils ont le même patron et la même ligne éditoriale.

Le dispositif que nous proposons est certes insuffisant ; il a eu cependant la vertu d'inciter le rapporteur à faire une proposition qu'il n'avait pas évoquée en commission. Nous créons un droit collectif, qui n'est pas un corset. La possibilité de veto n'est pas une mise sous tutelle du directeur de publication ; elle évite des conflits et ouvre la clause de conscience. Vous inversez les choses : il y a actuellement, d'un côté, une toute puissance et, de l'autre côté, le seul droit de partir. Pour aller où, quand tous les journaux ont le même patron ? Nous donnons au journaliste la possibilité de faire valoir positivement ses droits.

M. Plancade nous parle de deux conceptions de la démocratie : il y aurait ceux qui veulent libérer par la négociation et ceux qui veulent corseter. Mais pourquoi fait-on des lois sur les relations dans les entreprises ? Pourquoi y a-t-il un code du travail ?

Mme Catherine Dumas.  - Je ne nie pas que la presse française coure un danger ; je dis que votre proposition de loi va l'asphyxier.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté.

Article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 5 de la loi n°86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est ainsi rédigé :

« Dans toute publication de presse, les informations suivantes sont portées, dans chaque numéro, à la connaissance des lecteurs :

« 1° Si l'entreprise éditrice n'est pas dotée de la personnalité morale, les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire ;

« 2° Si l'entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme juridique ainsi que le nom de son représentant légal et des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de son capital ;

« 3° Le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction.

« Ces informations sont également accessibles sur la page d'accueil de tout service de presse en ligne. »

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - On me dit que cette disposition figure dans le texte de simplification du droit, mais celui-ci est encore en navette.

J'espère que notre prochain débat sur le sujet sera à l'initiative de l'UMP et donnera l'occasion d'avancer vraiment. Vous êtes dans la contradiction puisque vous reconnaissez qu'il y a danger tout en jugeant que la législation actuelle suffit !

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur.  - Cette disposition figure déjà dans le projet de loi de simplification du droit. L'amendement est inutile.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Le Gouvernement est défavorable.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Remplacer les mots :

dont bénéficie

par les mots :

ou l'application de la peine prévue au premier alinéa de l'article 78 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication pour

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Je tiens compte d'une remarque judicieuse faite par le rapporteur en commission : il faut que ce qui s'applique à la presse écrite s'applique aussi aux entreprises audiovisuelles.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur.  - Au lieu de résoudre le problème, cet amendement complique les choses : défavorable.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Nous convenons que le Parlement doit s'occuper des problèmes de nos compatriotes, de l'économique, du social. Mais sur la question de la démocratie, de la liberté d'expression, notre devoir est encore plus grand : nous honorons alors pleinement notre démocratie.

La question des médias est devenue plus fondamentale que jamais. Nous avons dû réguler la télévision, internet nous oblige à légiférer encore. Et chaque fois, nous devons veiller à ce que le citoyen ait toujours une information non biaisée -nous devons nous préoccuper de ceux qui la produisent. Je n'invente rien sur les difficultés de la presse quotidienne régionale, dont le lectorat est bien plus important que celui des grands titres nationaux.

Nous essayons de rechercher des solutions, en faisant entendre la voix collective des journalistes. Ce débat reviendra devant tous les Français. Je souhaite qu'au-delà de nos clivages, nous puissions poursuivre l'oeuvre législative accomplie par le passé -qui avait dû affronter les mêmes arguments qu'aujourd'hui.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Vos leçons sont insupportables. Je fais confiance aux états généraux de la presse, où je représentais notre commission. Cessez cette constante suspicion et considérez davantage la réalité des entreprises de presse au lieu de proposer des mesures démagogiques : vous n'avez pas le monopole de la réflexion sur l'indépendance de la presse ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. David Assouline, auteur de la proposition de loi.  - Prouvez-le !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous nous préoccupons tous de la liberté de la presse : je le constate depuis deux ans que je suis à la commission de la culture. La loi est nécessaire à la protection mais la démocratie, c'est le mouvement, preuve qu'il ne faut pas la corseter, surtout quand le monde change si vite ! Votre texte serait dissuasif : comment faire accepter à un investisseur qu'il n'aurait pas droit à la parole ?

Mme Marie-Christine Blandin.  - Vous préférez la souplesse en raison du contexte économique ? Mais la férocité économique peut nous entraîner loin dans le dumping social !

L'article 4 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 13 heures 15.

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

La séance reprend à 15 heures 20.