Bioéthique (Suite)

Discussion des articles (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.

Articles additionnels après l'article 5

M. le président.  - Amendement n°88 rectifié, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 1232-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne a fait connaître, de son vivant, son souhait quant au prélèvement, soit en mentionnant expressément son accord ou son refus sur un registre national automatisé. Il peut à tout moment revenir sur sa décision. » ;

2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Si la personne décédée a demandé de son vivant son inscription sur le registre national des donneurs d'organes, aucun proche ne peut s'opposer au prélèvement. »

M. Guy Fischer.  - Les dons d'organes sont régis par trois grands principes : gratuité, anonymat, consentement. Sur une personne décédée, ce consentement est présumé. Mais l'hypothèse est théorique : elle ne vaut pas si le défunt a fait connaître son refus et qu'un proche en témoigne.

Le cadre législatif de 1976 n'est plus adapté à l'évolution des greffes. Un nouvel outil juridique est aujourd'hui nécessaire pour réduire la pénurie de dons : un registre positif. (M. Jean-Pierre Sueur approuve) Notre proposition qui est portée par les associations reconnaît le principe d'autonomie de la personne. Par respect pour le geste altruiste de ceux qui veulent être donneurs, la loi doit garantir qu'il sera respecté.

Soit la personne aura fait connaître sa volonté, qui s'imposera aux équipes, soit elle ne l'a pas fait et le droit actuel doit s'appliquer, en conservant intact le principe de présomption.

M. le président.  - Amendement n°156 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall.

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article L. 1232-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le consentement de la personne à un tel prélèvement peut être inscrit, de son vivant, sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment. » ;

2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :

« Le médecin doit prendre connaissance et faire application de la volonté du défunt. À défaut d'inscription sur l'un ou l'autre des registres prévus au présent article, le médecin doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition ou le consentement au don d'organes éventuellement exprimé de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés. »

II. - Au 2° de l'article L. 1232-6 du code de la santé publique, les mots : « du registre national automatisé prévu au troisième alinéa » sont remplacés par les mots : « des registres nationaux automatisés prévus au deuxième et troisième alinéas ».

Mme Françoise Laborde.  - Notre amendement va dans le même sens. La loi veut que toute personne n'ayant pas exprimé son opposition, soit présumée consentante, mais les médecins doivent consulter la famille, les proches, qui refusent dans 30 % des cas. Les médecins ne sauraient aller contre un tel refus, si bien que la pénurie menace et que les trafics se développent via Internet. D'où notre proposition, qui s'inspire de ce qui prévaut en Grande-Bretagne, afin que soit respectée la décision du défunt.

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa de l'article L. 1232-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le consentement explicite de la personne à un tel prélèvement peut être enregistré, de son vivant, sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment » ;

2° Au 2° de l'article L. 1232-6, les mots : « du registre national automatisé prévu au troisième alinéa » sont remplacés par les mots : « des registres nationaux automatisés prévus aux deuxième et troisième alinéas ».

M. Jean-Pierre Sueur.  - Notre amendement va dans le même sens. En matière de don post mortem, le consentement de la personne est présumé. La loi de 1994 a instauré un registre des refus. Il est donc incompréhensible que n'existe pas, pour les citoyens, qui veulent répondre positivement à l'appel des médecins, un tel registre, positif. N'oublions pas que 800 à 850 malades en attente d'une greffe sont morts faute d'un greffon disponible, selon l'Agence de biomédecine. Un tel registre positif permettrait à ceux qui le veulent de sauver un frère ou une soeur en humanité. En 2010, j'ai déposé avec nombre de mes collègues, une proposition de loi en ce sens. On m'a répondu que la loi de bioéthique y pourvoirait. Même réponse à mon amendement à la loi de simplification du droit. Nous y sommes. Le Sénat s'honorerait en créant aujourd'hui ce registre.

M. le président.  - Amendement n°89 rectifié, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l'article L. 1232-1 du code de la santé publique, les mots : « des proches » sont remplacés par les mots : « des parents du donneurs si celui-ci est mineur ou de la personne de confiance au sens de l'article  L. 1111-6 ».

Mme Marie-Agnès Labarre.  - La rédaction actuelle de l'article L. 1232-1 du code de la santé publique a pour effet de réduire considérablement la disposition mentionnée à l'alinéa précédent, qui prévoit que le don est présumé.

La référence à la notion de « proche » reste bien floue. Recueillir la volonté « éventuellement » exprimée laisse en outre trop de latitude à ces proches, qui peuvent décider en fonction de leurs convictions religieuses ou philosophiques.

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Mme Prada Bordenave, directrice de l'Agence de biomédecine, nous a rappelé que la France, avec 24 donneurs pour un million, n'est devancée que par l'Espagne et le Portugal qui en ont 30, mais qui rémunèrent les dons. Un plan ambitieux, visant les 25 donneurs, nous a permis d'atteindre de bons résultats. Un nouveau plan est à l'étude. Le Royaume-Uni, qui a créé un registre positif, a de moins bons résultats que nous et l'OMS préconise le système français. En outre l'ABM et les équipes de greffe ne sont pas favorables à ces amendements.

La commission est donc défavorable à l'amendement n°88 rectifié. On ne peut exiger l'inscription préalable sur un registre positif. Même si la disposition ne fait que compléter la loi sans s'y substituer, elle risque de nuire à la bonne application de celle-ci. Même avis sur l'amendement n°156 rectifié ainsi que sur l'amendement nos15 ; avis également défavorable à l'amendement n° 89 rectifié, qui limite la demande de consentement de la famille aux seuls cas de dons prélevés sur des mineurs.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé.  - Le Gouvernement est défavorable à ces quatre amendements. La création d'un registre positif n'est pas souhaitable. Des exemples voisins montrent qu'avec un tel registre, les prélèvements sont moindres. En outre, les enquêtes font apparaître que 97 % des personnes respecteraient la position du défunt s'ils la connaissaient.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - On risque de revenir sur le consentement présumé. Nous suivrons la commission. Notre groupe unanime refuse aussi de remplacer le mot « proches » par le mot « parents » des donneurs. N'oublions pas qu'il est bien des personnes qui n'ont pas de parents directs.

M. Jean Louis Masson.  - Je serai prudent. La logique du consentement présumé doit se concilier avec le respect de la volonté : clarifier les choses ajoutant au registre des refus un élément positif y contribuerait. Ce qui compte avant tout, c'est de respecter le souhait de la personne concernée.

Vous aurez compris que je suis en revanche contre l'amendement n°89 rectifié, qui mène à une logique totalitaire, qui veut consulter le moins de gens possible.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je suis consterné par les déclarations du rapporteur et de la ministre. Je ne retrouve pas, monsieur Milon, l'esprit de novation dont vous avez su faire preuve. Nous ne proposons pas d'instituer une déclaration obligatoire mais une faculté : votre argument tombe.

Aujourd'hui, si le défunt ne s'est jamais exprimé auprès de ses proches, ceux-ci sont confrontés à une décision difficile, alors même que le processus de deuil n'est pas amorcé et que le temps presse. L'angoisse ainsi suscitée provoque des refus non réfléchis, dont il arrive que la famille en ait le regret par la suite.

J'ai été étonné, madame Hermange, de vous entendre dire que votre groupe unanime était contre la simple possibilité offerte à quelqu'un de déclarer par avance son voeu de donner un organe. L'Agence de la biomédecine, je le rappelle, nous informe que 800 à 850 personnes sont mortes faute de greffon. Quand on tient comme vous, et comme nous, à la vie, comment s'opposer à une telle mesure ?

M. Guy Fischer.  - Soyons clairs : il ne s'agit pas de remettre en cause le consentement présumé, que nous respectons profondément. La possibilité de déclarer sa volonté sur un registre ne remet nullement en cause ce principe. On sait que l'on meurt le plus souvent à l'hôpital public. Or, en matière de prélèvement d'organes, le temps compte plus que tout. Et le médecin doit aujourd'hui s'expliquer avec la famille dans un couloir, entre deux portes ! Notre proposition permettra de mieux traiter les familles et de gagner du temps. La nuit à l'hôpital, qui a subi tant de coupes de crédits et manque de personnel, les choses sont plus difficiles encore.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Je soutiens l'amendement n°15, qui ne se substitue pas à l'existant, mais constitue une sorte d'appel au libre arbitre, afin d'engager chacun à réfléchir à sa mort. L'amendement mettra fin aux courses poursuites que connaissent les médecins et provoquera en chacun une prise de conscience salutaire.

Mme Isabelle Debré.  - Le groupe UMP est absolument favorable au don d'organes. S'il s'oppose à ces amendements, c'est pour ne pas alourdir la procédure. Il est vrai, cependant, que l'accueil des familles dans les hôpitaux pose problème : on y manque cruellement d'espaces d'accueil pour parler dans le calme et la dignité avec les familles. La question que Marie-Thérèse Hermange avait soulevée par un amendement semble d'ordre réglementaire : nous vous demandons, madame la ministre, d'y travailler.

M. Jacky Le Menn.  - Nous sommes tous favorables au don d'organes. Pourquoi refuser ces amendements qui proposent un outil complémentaire ? Ceux qui s'engageront sur cette question témoigneront d'une attitude citoyenne et militante, dont leurs enfants, leur famille, aujourd'hui souvent plongés dans la détresse face à la décision à prendre, pourront être fiers. Je comprends mal ces atermoiements.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Je m'étonne de l'opposition qui s'est manifestée. Je n'accepterais pas, personnellement, que les membres de ma famille puissent douter de ma volonté. Il y a peu, le don d'organes était érigé en grande cause nationale : l'amendement va dans ce sens. Il serait mieux encore de tirer profit de l'existence de la Carte vitale, pour y inscrire la volonté de ceux qui désirent la manifester.

M. Jean-Pierre Michel.  - Les débats auxquels nous avons assisté nous ont permis de constater que les associations vont toutes dans le même sens : il est difficile, pour les médecins, d'ajouter de la douleur à la douleur des familles. L'amendement éclaircit les choses.

M. René-Pierre Signé.  - Comment s'opposer à la proposition de M. Sueur ? Il est difficile, madame Debré, de prélever un organe sans solliciter l'accord de la famille. Mais mon expérience d'interne m'a fait constater que l'on recherche de préférence les organes des jeunes. Allez donc demander son consentement à une famille qui vient de perdre, souvent dans un accident, un enfant. Vous conviendrez que la chose est bien barbare !

M. Gilbert Barbier.  - Je ne voterai pas ces amendements. On peut être favorable à un don mais pas de d'importe quel organe. Donner un rein, le coeur, ce n'est pas la même chose que la face, la cornée ou les bras.

Créer un nouveau registre ne fera que compliquer les choses. Si nous sommes en retard sinon par rapport à d'autres pays, du moins par rapport aux besoins, mieux vaut travailler à mieux informer.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ce qui apparaît en filigrane derrière certaines interventions, et que je récuse totalement, c'est l'idée que le libre arbitre de l'individu n'existe pas : c'est la famille qui devrait décider ! Qu'il faille parler avec elle, personne ne le contestera ; mais il est plus facile de le faire quand la personne a indiqué par avance son consentement. Et les familles sont capables de respecter le libre arbitre de leur proche. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Milon, rapporteur.  - L'Espagne et le Portugal, qui nous devancent, rémunèrent le don : l'enterrement est payé par l'État.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le comble !

M. Alain Milon, rapporteur.  - Vingt-quatre dons chez nous contre trente : le retard n'est pas tel. En 2009, 4 664 greffes ont été réalisés, dont 235 sur donneurs vivants. Vous proposez, monsieur Sueur, une fausse bonne idée. Quid de ceux qui veulent donner et ne se sont pas inscrits ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - La volonté présumée prévaudra.

M. Alain Milon, rapporteur.  - La famille conclura de la non-inscription à la non-volonté. Mme la ministre a travaillé dans les centres de transplantation : écoutons-là.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quand quelqu'un aura déclaré sa volonté, la famille ne pourra s'y opposer !

M. Bruno Retailleau.  - Je crains que les deux régimes ne puissent, à terme, cohabiter. Le consentement positif aura vite fait de tuer la volonté présumée. La jurisprudence tranchera inévitablement. Je suivrai le rapporteur.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Il est en effet difficile de recueillir le consentement, mais créer un registre positif, on le voit chez nos voisins, a pour conséquence de diminuer le nombre de dons. Les gens n'iront pas s'inscrire.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Qu'est-ce que vous en savez ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Laissez-moi parler !

M. Jean-Pierre Michel.  - Taisez-vous ! Asseyez-vous ! Vous n'avez rien à dire.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Vous allez créer la confusion. Comment l'équipe médicale, après avoir consulté les deux registres sans y trouver le nom du défunt, pourra-t-elle se déterminer ? L'OMS considère que notre dispositif est le plus pertinent.

Nous élargissons le don d'organes entre proches : c'est cette voie qui est, pour nous, la bonne.

L'amendement n°88 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°156 rectifié.

A la demande du groupe socialiste, l'amendement n°15 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 152
Contre 184

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Marie-Agnès Labarre.  - L'amendement n°89 rectifié ne vise pas à limiter le nombre de donneurs, bien au contraire ! Le mot « proches » est trop flou ; nous en précisons la portée.

A la demande du groupe CRC-SPG, l'amendement n°89 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 324
Majorité absolue des suffrages exprimés 163
Pour l'adoption 139
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Maintenant que le vote a eu lieu, je veux vous dire que le comportement d'un des vôtres est inacceptable. (Marques d'approbation à droite) Il est indigne de déconsidérer ainsi un ministre dans l'exercice de ses fonctions.

Mme Isabelle Debré.  - Tout à fait !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Nous traitons de sujets majeurs, qui dépassent nos engagements politiques. J'attends vos excuses, monsieur Michel, aujourd'hui, demain ou plus tard. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Michel.  - Si je vous ai blessée, je m'en excuse. (Mouvements divers à droite) Mais je constate, aujourd'hui comme hier soir, que vos réponses ne sont pas à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre d'un membre du Gouvernement ; vous vous contentez la plupart du temps de vous ranger à l'avis de la commission. Je ne vous mets pas en cause personnellement mais l'ensemble du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Amendement n°16, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 114-3 du code du service national, après les mots : « son refus » sont insérés les mots : « ou son accord explicite » et les mots : « sur le registre national automatisé prévu » sont remplacés par les mots : « sur les registres automatisés nationaux prévus ».

M. Bernard Cazeau.  - Il s'agit d'un amendement de cohérence.

L'amendement n°16, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 5 bis A demeure supprimé.