Négociations climatiques internationales (Débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'état des négociations internationales climatiques et les conclusions de la conférence de Durban.

Mme Laurence Rossignol, présidente du groupe de travail « Négociations internationales - Climat et environnement ».  - Merci à notre président Jean-Pierre Bel d'avoir pris l'initiative de ce débat et à M. Raoul d'avoir créé ce groupe de travail au sein de la commission de l'économie et du développement durable. Merci aussi à vous, madame la ministre, de nous avoir donné le plaisir de vous accompagner à Durban.

En cette période de crise profonde, il est devenu difficile de parler du climat. Il est symptomatique qu'un sommet sur l'euro ait eu lieu en même temps que la conférence de Durban et qu'aucun chef d'État européen n'ait cru bon de faire le voyage d'Afrique du sud. L'heure est à la frilosité... Pourtant, il est temps de passer d'une logique fondée sur la contrainte à une logique d'opportunité en inventant un nouveau modèle de développement.

Quelles leçons tirer de la conférence de Durban ? Les opinions divergent. Cette conférence est arrivée à un moment particulier, durant la crise et après l'échec de Copenhague. Beaucoup de points n'ont pas été résolus et on a bien failli ne pas trouver de consensus. Rien ne sera fait avant 2020 alors que les émissions de CO2 n'ont jamais été aussi importantes. Le scénario adopté à Durban risque de se traduire par une hausse de quatre degrés des températures d'ici à la fin du siècle. Or le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime qu'au-delà de trois degrés, certaines activités humaines seraient gravement menacées.

Ni les États-Unis, ni le Canada, ni la Chine, ni le Japon n'ont pris d'engagements. Or l'Union européenne ne représente que 11 % des émissions.

La question du financement des fonds destinés aux pays émergents n'est pas réglée. Comment gérer ces fonds sans fonds ? Le produit de la taxe sur les transactions financières pourrait l'abonder ?

Ces écueils étaient prévisibles mais Durban a enregistré quelques succès. L'Union européenne a réussi à se faire entendre et à rallier divers États, dont la Chine qui a pris conscience de l'urgence d'agir. La machine tourne donc toujours, mais pas assez vite. Ne versons pas dans le scepticisme -même si le président de la République a reçu le soutien d'un des plus fameux climato-sceptiques de la France- ni dans ce pessimisme qui, comme dit Goethe, « condamne à être spectateurs ».

Le succès et la solidité des négociations internationales dépendent des parlements nationaux. C'est à nous d'être cette courroie de transmission. Nous avons en l'affaire une responsabilité particulière : les collectivités territoriales sont en pointe des expériences les plus avancées dans ce domaine ; elles étaient d'ailleurs bien représentées à Durban. Elles n'ont pas attendu pour mettre en place divers plans locaux. Les sénateurs ont donc un rôle important à jouer. C'est à ce prix que nous ne resterons pas spectateurs face au dérèglement climatique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologiques)

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail « Négociations internationales  - Climat et environnement ».  - A Durban, les grands émetteurs de CO2 ne se sont pas ralliés à la position des scientifiques. C'est dommage car les retards s'accumulent. Pourtant, personne ne pouvait s'attendre à des résultats majeurs. Il ne sert à rien de le regretter. Nous n'avons pas de plan B : la négociation multilatérale est la seule voie possible. Nous devons maintenant respecter le calendrier fixé à Durban afin d'associer tous les pays émetteurs de CO2.

Les lignes ont toutefois bougé. L'Union européenne a retrouvé une position de leadership. Cette fois-ci, elle a montré les dents et cette attitude a payé : elle a rallié près des trois cinquièmes des participants alors qu'à Copenhague, les pays du sud avaient fait bloc autour de la Chine. A Durban, celle-ci a hésité et a finalement dit oui pour ne pas se couper de ses amis du sud et pour éviter un changement climatique auquel elle se sait fort exposée. Elle doit agir et elle s'est donc ralliée aux demandes européennes. Les États-Unis sont hélas toujours les États-Unis et le Canada a annoncé qu'il dénoncerait le protocole de Kyoto. Comment réussir les nouvelles négociations ?

La clé est de lier les différentes régulations. Il faut un nouveau partage entre les pays développés et non développés et mettre fin à la spéculation et à la compétition effrénées. Le sommet Rio + 20 de juin peut être l'occasion d'engager cette démarche.

Un fonds vert doit être créé, doté de 100 milliards ; à Durban, on s'est laborieusement mis d'accord sur sa gouvernance. L'Union européenne doit l'abonder pour restaurer la confiance.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail « Négociations internationales  - Climat et environnement ».  - La taxe sur les transactions financières pourrait financer ce fonds. Débarrassée des lobbyistes de la City, l'Union européenne pourra peut-être avancer.

Les filières des énergies renouvelables se mettent en place et la sortie du nucléaire de divers pays va les doper. Rio abordera la question de l'économie verte. Les collectivités locales, les villes et les régions font entendre leur voix dans ces négociations. Nous devons donc les accompagner.

Je remercie la France qui reconnaît l'importance des collectivités locales dans ces actions. Les recettes doivent être affectées prioritairement aux collectivités qui auront les moyens de faciliter les négociations en apportant la preuve que l'action est payante. Des engagements précis devront être pris d'ici 2015. Toute tonne de CO2 évitée est bonne à prendre. Un accord mondial reste possible. Nombre d'obstacles sont encore devant nous mais nous pouvons encore atteindre le taux d'émission fixé à Kyoto. Nous devons nous y engager. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologiques)

M. Jean-Claude Lenoir, membre du groupe de travail « Négociations internationales  - Climat et environnement ».  - Juste avant Durban, on disait qu'il fallait sauver Kyoto : l'accord de 1997 est un moment fondateur de l'écologie mondiale car y fut institué un mécanisme contraignant et instauré une sorte de solidarité entre les nations. C'était l'amorce d'un gouvernement écologique mondial. Ce protocole a été le point de départ d'une prise de conscience des États, mais aussi des collectivités locales et des citoyens. Les États-Unis sont pour beaucoup, tant dans la signature que dans l'échec du protocole. Leur accord a entraîné divers États mais le fait que le Congrès ait refusé de l'entériner a pesé sur la suite. Quoi qu'il en soit, de grandes espérances étaient nées.

Copenhague est synonyme d'échec : elle n'a pas réussi à conforter Kyoto. Les États-Unis attendaient que la Chine avance, et réciproquement. Une idée a néanmoins émergé : la lutte contre le réchauffement devrait être liée à l'éradication de l'extrême pauvreté. Cancun a marqué la volonté de prolonger le consensus. Durban, maintenant. Merci, madame la ministre, de nous avoir conviés à cette conférence. Nous avons vu comment les choses s'y sont passées.

Trois défis majeurs devaient être relevés. Il faut que tous les pays s'engagent ; ce n'est pas le cas. Il fallait prolonger Kyoto à Durban et un échec n'était pas exclu. La presse était pessimiste. Or les États se sont engagés à ce qu'il y ait un accord en 2015 et qu'il soit mis en oeuvre en 2020. Les signataires avaient le choix entre trois solutions, c'est la plus contraignante qui a été retenue, ce qui est une bonne chose.

A-t-on remis le débat à plus tard ? Je ne le crois pas. Le processus continue. L'Union européenne a joué un rôle majeur et j'en ai été fier. Mme la ministre a prononcé un discours très remarqué. Les collectivités locales jouent un rôle important. Il est apparu aussi que les grands ensembles se disloquaient. La Chine s'est rapprochée, les pays d'Afrique et les pays submersibles aussi, le fonds vert a été créé.

Pessimisme ? Je conclurai avec un grand philosophe, né comme moi à Mortagne-au-Perche : Alain écrivait que « le pessimisme est d'humeur, l'optimisme de volonté. » (Applaudissements à droite)

Mme Évelyne Didier, membre du groupe de travail « Négociations internationales - Climat et environnement ».  - Les négociations climatiques provoquent des débats sur la réalité de l'impact de l'homme sur le climat. Le citoyen du monde a du mal à s'y retrouver. Il est difficile de comprendre ce qui se passe lors de ces grandes négociations : les initiés sous le regard des lobbies y élaborent des textes consensuels parce que non contraignants. Continue-t-on ainsi pour que rien ne bouge ?

Le processus est sauvé, les négociations ne sont pas rompues. En jouant les prolongations, Durban a abouti à l'établissement d'une feuille de route. Un fonds vert sera créé si l'on arrive à le financer. Kyoto a donc trouvé son prolongement. Les syndicats et les ONG ont rédigé ensemble une déclaration selon laquelle les questions environnementales sont étroitement liées aux questions sociales. (Marques d'approbation à gauche) Rien que pour cela, nous devons continuer.

Fallait-il crier victoire ? L'optimisme gouvernemental m'a paru bien excessif. Les signataires de Kyoto ne sont responsables que de 15 % des émissions. Le diagnostic doit être partagé par tous. Or les négociations sont compliquées par l'absence de données régionales fiables. Les dernières concernant la Chine datent de 1994.

Certaines émissions pourraient être contestées. Les émissions dans les produits importées doivent-elles être comptabilisées dans les pays exportateurs ou importateurs ? On peut considérer qu'elles font économiser des émissions à ceux-ci.

J'en viens aux stratégies. L'Union européenne soutient la mise en oeuvre de Kyoto mais d'autres pays, comme les États-Unis, le Canada, le Brésil, s'y refusent. Ces pays, pourtant, se mobilisent, quoique d'une autre façon. En 2006, on espérait un accord sur une stratégie de long terme. Désormais, les stratégies viennent plutôt d'en bas : chaque pays fait comme il peut, comme il veut.

La crise climatique rejoint la crise économique et sociale que nous traversons ; elle peut être à l'origine de guerres. Il ne faut plus de négociations climatiques hors sol. La France doit faire des propositions et ne pas négliger les effets d'entraînement sur l'activité économique.

Parions sur l'implication des citoyens. Qui savait, il y a dix ans, que des îles disparaitraient, que des espèces animales remonteraient vers le nord ? Nul n'en parlait. La conscience climatique est désormais une réalité. Nous devons construire un monde plus juste, dégagé des logiques financières, un monde où l'action des hommes se fera pour l'Homme, dans le respect de son environnement. (Applaudissements à gauche et sur les bancs écologistes)

M. Marcel Deneux, membre du groupe de travail « Négociations internationales - Climat et environnement ».  - Le changement climatique est un véritable défi. Il entraîne de très nombreuses répercussions et influence notre vie quotidienne. Depuis Kyoto, la modification du climat s'accélère, plus encore que prévu.

Durban visait à gérer l'après Kyoto qui s'achève fin 2012. Il a fallu attendre le dernier jour pour arracher un accord : 195 pays se sont ralliés à la feuille de route de l'Union européenne. Rendons hommage aux diplomates européens, à l'ambassadeur français, à Mme la ministre. L'issue n'est pourtant pas enthousiasmante. Le protocole est prolongé jusqu'en 2017. En 2015, de nouvelles dispositions devront être définies, mises en place à partir de 2020. Maigre résultat. Le réchauffement d'ici la fin du siècle pourrait s'élever à cinq degrés.

Le fonds vert, créé à Durban, n'est pas financé et n'est encore qu'une coquille vide. Nos efforts pour diminuer nos émissions sont ambitieux mais ils ne pourront que limiter le réchauffement, qui reste inéluctable.

L'Union européenne a mis en place une politique énergétique tournée vers les énergies renouvelables. Pourtant, l'Europe à elle seule ne changera rien. Elle fait cavalier seul alors qu'elle n'est responsable que de 11 % des émissions. Elle doit jouer l'exemplarité.

S'agit-il de caprices de riches ? Certes pas. Il est temps de mettre en place une gouvernance mondiale où l'on pourrait parler de tous les problèmes. Le changement climatique concerne tous les pays. Lutter contre les gaz à effet de serre ne doit pas être considéré comme une cause perdue mais comme un levier pour la croissance économique mondiale. De grands chantiers sont en cours, tant dans l'éolien que dans les transports. Les grands groupes auraient intérêt à participer à cette évolution.

Les négociations internationales doivent se préoccuper des réfugiés climatiques, qui pourraient être 850 millions. Un grand nombre de villes de la Polynésie française risquent d'être submergées à cause de la montée des eaux. Nous devons aussi définir des outils pour réparer les dommages causés aux populations touchées par les phénomènes climatiques extrêmes.

La France et l'Union européenne doivent adopter une nouvelle approche sur le climat car, crise économique ou pas, le réchauffement climatique ne s'arrête pas. Arrêtons de vivre à crédit, sur le plan financier comme sur le plan de l'environnement ! Nos petits-enfants chanteront alors nos louanges. (Applaudissements à droite)

M. Raymond Vall, membre du groupe de travail « Négociations internationales  - Climat et environnement ».  - Le protocole de Kyoto était historique : en 1997, les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique et le rôle de l'activité humaine ne faisaient plus de doute. Mais il arrête de produire ses effets en 2012...

Après Durban, seuls quelques pays -Union européenne, Australie, Nouvelle-Zélande- se sont fixés de nouveaux objectifs. Japon et Russie ont annoncé leur sortie, tandis que les États-Unis ont confirmé leur opposition à un document contraignant. Le Canada, qui avait signé Kyoto, s'en est même retiré.

Tous les pays cependant, et pour la première fois, se sont engagés à signer en 2015 un accord qui entrera en vigueur en 2020. Même la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, a pris conscience de ses responsabilités et entraîné dans son sillage l'Inde, le Brésil et l'Afrique du sud, et jusqu'aux États-Unis. Reste que d'ici 2020, huit années sont sacrifiées...

Promesse en l'air ? Peut-être mais, dans le monde diplomatique, il est important de tenir ses promesses. Les États-Unis se sont seulement engagés à revenir à leur niveau d'émissions de 1990. La Chine, elle, a promis une baisse de 42 % de son intensité carbone ; comme le Brésil, elle compte surtout sur les énergies renouvelables mais sa production globale risque de doubler d'ici là...

L'Europe, d'ici 2020, doit tenir ses propres engagements et faciliter le déploiement d'énergies vertes partout dans le monde. Cette aide est indispensable dans les pays en développement.

Est-il encore possible de limiter le réchauffement à deux degrés ? Certains scientifiques disent que non ; dès lors, les conséquences risquent d'être catastrophiques. Selon les experts, le pic des émissions n'aura pas lieu avant 2035 : le réchauffement pourrait alors atteindre 3,5 degrés.

Pour limiter les émissions, il faut changer de modèle économique, éviter les gaspillages, adopter un mode de vie plus sobre -mais pas moins heureux. Gandhi disait que la terre disposait d'assez de ressources pour satisfaire les besoins de chacun mais pas l'avidité de tous. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - On entretient l'esprit de résignation et l'illusion en parlant de succès à propos de la conférence de Durban. Un petit pas, dit-on : poursuivons dans la même direction et tout ira bien. A Copenhague déjà, on se refusait à parler d'échec, et le président de la République se réjouissait que tous les pays aient pris conscience de l'ampleur du problème du réchauffement climatique. Mais il devient impossible de limiter celui-ci à deux degrés.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Pas à cause de l'Europe !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - A Copenhague aussi, on promettait de l'argent pour les pays pauvres, 100 milliards de dollars à l'horizon 2020, et l'on annonçait une réflexion sur des modes de financement alternatifs... Rien n'a été fait. Faute d'agence internationale de l'environnement, le président de la République annonçait une agence européenne. Elle n'a pas vu le jour.

A Durban, on n'a fait que répéter ces promesses. Il n?y a pas eu de recul, diront les plus optimistes... Mais s'agissant de la gouvernance, certains pays ne veulent pas d'un accord juridique contraignant ; il y a un document « liant » mais sans sanction à la clé : c'est un recul par rapport à Kyoto.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Dommage que vous n'ayez pas été à Durban : vous ne tiendriez pas ce discours !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je suis de près les négociations depuis 1984... Encore une fois, on s'est engagé à conclure plus tard... Nous ne disposons d'aucun élément permettant de dire qu?il y aura, en 2015, un accord fixant des objectifs pour 2050...

Le protocole de Kyoto serait prolongé ? Vaste foutaise ! Ni la Russie, ni le Japon, ni les États-Unis ne l'appliqueront ; l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont même obtenu une modification du mode de calcul de leurs émissions.

Le fonds vert reste toujours aussi virtuel. Or rien ne sera possible sans l'accord des pays pauvres. 100 milliards d'euros, c'est 7 % du budget mondial de l'armement, 20 % du budget de la publicité... Qu'on ne vienne pas dire qu'on ne sait pas où trouver de l'argent !

L'Union européenne a été exemplaire. Mais on a mis en place un système économique fondé sur la concurrence entre les peuples et on voudrait aujourd'hui les faire coopérer ? Les pays émergents n'entendent pas accepter des contraintes. L'Union européenne doit d'abord rallier les pays les plus pauvres. Elle doit aussi se montrer chez elle à l'avant-garde : il lui faut une politique industrielle encourageant les économies d'énergie. Vu le prix du pétrole, on devine le potentiel de croissance qui en résulterait ! Les puissances publiques doivent aussi investir pour accompagner les mutations indispensables.

La lutte contre le réchauffement est enfin impossible sans juste échange. J'appelle l'Union européenne à adresser un mémorandum à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour que soient définies des normes sociales et environnementales minimales. Il faut aussi relocaliser des activités. Notre modèle économique est à bout de course : la crise écologique n'est pas séparable de la crise économique et sociale ! (Applaudissements à gauche)

Mme Mireille Schurch.  - Après l'échec de Copenhague et de Cancun, l'égoïsme des États a encore prévalu à Durban. Le climato-scepticisme s'étend. En France, la crise économique a paralysé l'application du Grenelle de l'environnement, contrairement aux engagements du président de la République qui disait, en 2008, que la crise financière ne faisait que renforcer la nécessité d'une révolution environnementale...

On s'oriente dangereusement vers un mécanisme non contraignant de réduction des émissions épargnant la responsabilité des grandes puissances. Le marché produit ses ravages : des activités polluantes continuent d'être délocalisées vers les pays du sud, les mécanismes d'attribution des permis d'émission restent opaques. On ne lutte plus contre le réchauffement climatique, on s'y adapte...

La politique de l'Union européenne est contradictoire avec les engagements du paquet « Énergie-climat » de 2008 : elle importe des agro-carburants qui contribuent à la déforestation dans les pays du sud ; on fait la promotion des gaz de schiste ; on privatise les entreprises publiques qui pourraient être les leviers de la transition énergétique. L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire nuit au développement du transport non routier. Avec la RGPP et en l'absence de volontarisme budgétaire, l'État se prive, ainsi que les collectivités, des moyens d'accélérer la rénovation des logements sociaux.

Des engagements juridiques contraignants sont indispensables. La crise climatique fait écho à la crise financière et aux limites du système capitaliste ; ces crises ne sont pas dissociables parce qu'y est en jeu la place de l'humain dans la société. Les hommes et les femmes ne peuvent être considérés comme de simples consommateurs. Il faut prêter attention au long terme. L'environnement invite à une réflexion morale, et non seulement technique. Préserver la planète passe par la lutte contre le dumping social et environnemental.

Le débat doit être porté sur la place publique et ne pas être enfermé dans un cercle d'experts ! L'heure n'est plus à l'écologie spectacle ni à l'écologie business mais à l'écologie raison. (Applaudissements à gauche et sur les bancs écologistes)

M. Raymond Vall.  - Un rapport de l'Observatoire du réchauffement climatique montre l'ampleur du problème. Ainsi, le déficit en eau pourrait atteindre 2 milliards de mètres cubes par an, ce qui bouleversera nombre de secteurs. Le réchauffement climatique n'est pas une question secondaire. La logique du marché, la recherche exclusive du profit produisent pollutions, inégalités, misère, exclusion. Le libéralisme débridé conduit à l'épuisement des ressources naturelles. Pour faire du profit, il faut créer des besoins nouveaux : d'où l'invention du marketing. La crise économique actuelle en est la conséquence.

La population de la planète ne cesse d'augmenter, alors même que les ressources sont finies. Un scientifique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) a calculé que toute l'énergie solaire ne suffirait pas pour satisfaire une croissance continue des dépenses énergétiques...

Un autre modèle économique s'impose. Il faut définir un mode de vie plus sobre, qui ne sera pas moins heureux, et un partage plus équitable des richesses. Cela n'exclut pas le réalisme : il faudra prévoir temporairement un mix énergétique. L'engagement des élus et des collectivités sera indispensable pour relever ce défi : la sauvegarde de l'humanité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - La feuille de route établie à Durban est bien une continuation du protocole de Kyoto. La forme juridique importe peu dans un premier temps : elle s'imposera le moment venu.

Le réchauffement climatique est patent, et plus seulement aux pôles : les tempêtes réitérées, la chaleur et la sécheresse records constatées en 2011 en sont autant d'indices. Le monde est engagé sur la voie d'un réchauffement supérieur à trois degrés en 2035 ; tous les efforts doivent être faits pour le limiter à deux.

En tant qu'observatrice, j'ai pu mesurer à Durban la difficulté de faire s'accorder 195 pays... La France et l'Union européenne ne voulaient pas d'une suite au protocole de Kyoto sans accord impliquant tous les pays. Après douze jours de négociations, tous les pays se sont engagés à signer avant 2015 un accord global qui prendrait effet en 2020.

Le fonds vert sera alimenté à partir de 2013. Les pays industrialisés ont promis d'y verser chaque année 100 milliards de dollars. Des travaux préparatoires doivent permettre de faire entrer l'agriculture, qui est à l'origine de 15 % des émissions, dans le périmètre de l'accord.

Sous l'impulsion du président de la République, la France s'est placée dans le trio de tête européen par ses actions en faveur du développement durable. Je salue l'implication personnelle et la fermeté exemplaire de Mme la ministre à Durban.

Cette conférence marque une étape décisive puisque même les grands pays émetteurs et les États-Unis ont pris des engagements ; et tous se sont accordés pour dire que la lutte contre le réchauffement doit relever du droit international et non de la bonne volonté de chacun. Un petit pas, lorsqu'il implique tous les pays du monde, est une grande avancée. (Applaudissements à droite)

Mme Corinne Bouchoux.  - Il ne faut pas voir un échec dans l'issue de la conférence de Durban. La prise de conscience de la Chine est à elle seule une bonne nouvelle. Les pays émergents, tout en insistant sur notre dette climatique à leur égard, ont promis d'agir avec notre soutien.

Mais en France, le Grenelle n'est qu'imparfaitement appliqué, et le fonds français destiné à financer le fonds vert reste dans les limbes. Pour sortir de l'impasse, il faut en finir avec le nucléaire, investir dans l'efficacité énergétique, se fixer l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables en 2050, adopter une fiscalité écologique et encourager l'agriculture biologique. Comme disait Gandhi, « Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde ! ».

M. Maurice Vincent.  - Sur le bilan, on peut avoir une lecture positive ou négative. Quoi qu'il en soit, le temps presse, et une décennie risque d'être gaspillée. Le Giec tire régulièrement la sonnette d'alarme. Les États-Unis restent hostiles à un nouveau traité contraignant. Seule l'Union européenne est vraiment active, mais nous connaissons tous ses faiblesses institutionnelles. La situation demeure donc très inquiétante.

Les collectivités locales sont très actives. Ainsi, M. Robertson, maire de Vancouver, a annoncé qu'il continuerait à appliquer le protocole de Kyoto malgré le choix de son pays de s'en retirer ; de nombreux maires américains font de même en dépit de la position de leur pays. Je pense aussi à l'appel lancé en février 2009 par des centaines de maires représentant 131 millions d'habitants, ou l'engagement de 51 grandes villes pour la création d'un registre carbone. Il faut soutenir l'action des collectivités des pays en développement. L'enjeu est à la fois symbolique, politique et financier.

En France, beaucoup de collectivités cherchent à atténuer le réchauffement et à s'adapter à ses effets par leur politique en matière de logement ou de transport. Il faut limiter l'étalement urbain, grâce aux Scot. Nantes se dote d'une forêt urbaine et d'une ceinture verte ; à Saint-Étienne, nous menons aussi des actions pour lutter contre le réchauffement climatique.

Ces efforts doivent se poursuivre, mais cela ne suffira pas : il faudra que l'Union européenne fasse preuve de volonté et que nous sachions définir un nouveau modèle de développement. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - L'issue de la conférence de Durban est à la hauteur des espoirs : tous les pays se sont engagés à conclure un accord avant 2015 ; ils ont reconnu l'insuffisance des mesures actuelles et entériné la création d'un fonds vert d'ici 2020. Je rends hommage à Mme la ministre.

Grâce au nucléaire, la France est bien engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique ; elle émet six tonnes de CO2 par habitant, contre neuf au Royaume-Uni, dix en Allemagne et dix-neuf aux États-Unis.

Comme dit Yann Arthus-Bertrand, chacun est responsable de la planète et doit la protéger à son échelle. Les conséquences du réchauffement sont dramatiques, notamment pour l'agriculture.

Plusieurs défis doivent être relevés. Il faut redéfinir la gouvernance mondiale en impliquant tous les acteurs concernés, et pas seulement les États ; il importe aussi que l'accord à venir soit contraignant. J'ai été choqué par le retrait du Canada. Les pays les plus développés doivent assumer leurs responsabilités.

Quels seront les objectifs du Gouvernement lors de la prochaine conférence ? Penser globalement, agir localement, telle doit être notre devise. (Applaudissements à droite)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.  - Je vous remercie pour ce débat, notamment Mme Des Esgaulx, M. Lenoir et Mme Rossignol qui m'ont accompagnée à Durban. Je veux associer à cet hommage Ronan Dantec, sans oublier Serge Pelletier, ambassadeur pour le climat, votre ancien collègue.

Il y a deux façons d'apprécier les résultats de la conférence de Durban. Il s'agit d'un grand succès... mais il reste beaucoup à faire et peu de temps pour agir.

Les objectifs étaient ambitieux : établir une feuille de route et un calendrier précis pour de nouveaux engagements contraignants. Il fallait que tous les pays s'engagent à réduire leurs émissions, y compris les pays émergents, derrière lesquels les USA s'abritaient.

Cette feuille de route devrait prendre le relai à partir de 2013 pour éviter tout vide juridique. Nous voulions aussi encourager les pays à renforcer les objectifs dans les années précédant l'entrée en vigueur d'un tel accord.

Enfin, nous voulions créer un fonds vert pour le climat, pour accompagner les pays émergents. Nous avons atteint ces cinq objectifs.

La plate-forme de Durban est une feuille de route qui s'applique à toutes les parties. Cela faisait dix ans que nous voulions que les pays émergents nous rejoignent afin que les États-Unis arrêtent de se tenir à l'écart. L'accord signé reconnaît l'écart entre l'engagement actuel et l'objectif global de limitation à deux degrés de réchauffement. Cette conférence lance une série de travaux et ce processus devrait être appuyé par le prochain rapport du Giec.

La conférence a décidé une deuxième période d'engagement du processus de Kyoto, Kyoto +. Les conditions de mise en oeuvre ne sont hélas pas nombreuses. Nous devons définir les objectifs précis de réduction, la durée de l'engagement, la façon de gérer les permis d'émission. Ce point est particulièrement délicat : la Pologne dispose d'excédents de quotas qu'elle souhaite conserver.

La conférence a décidé de créer un fonds vert en faveur des pays en développement : 100 milliards par an sont prévus à partir de 2020. Il a été fait référence à cette occasion aux avancées obtenues au G20 en matière de financement. Des travaux vont être lancés sur le lien entre climat et agriculture, grâce à la facilitation de notre pays.

Je me félicite que nombres d'États d'Afrique et d'Amérique latine, le groupe des pays les moins avancés et l'Alliance des États insulaires se soient joints à l'Union européenne pour approuver cette feuille de route. De grands pays émergents nous ont rejoints.

Je regrette néanmoins que nous n'ayons pu aller plus loin. La période de transition entre aujourd'hui et l'accord global ne doit pas se traduire pas un relâchement des efforts. On ne peut attendre 2020 pour combler ce retard.

Je déplore que le Canada se soit retiré dès le lendemain de Durban : c'était une forme de provocation, ce pays voulant échapper aux conséquences de son non-respect de ses obligations dans le cadre du premier engagement. Chaque État est responsable de ses actes devant les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Tous doivent s'engager de façon constructive d'ici 2015. Nous ferons des propositions à nos partenaires de l'Union européenne pour dessiner le contour du futur accord et pour donner plus d'ambition à la communauté internationale. Notre objectif pour Doha sera la capitalisation du fonds vert.

Cette conférence a montré la limite de cette négociation. Il faut lui donner un nouveau souffle. Ce n'est qu'ensemble que nous stabiliserons la hausse des températures. La coopération internationale doit reposer sur d'autres bases que la simple croissance économique.

La conférence de Rio va se tenir en juin. Nous devons mieux associer les acteurs non étatiques pour préparer les mutations qu'ils devront effectuer. Avec M. Juppé, nous organiserons, le 31 janvier, une réunion avec tous les acteurs : entreprises, syndicats, associations, ONG, collectivités pour réformer la gouvernance globale. Durban marque une réelle avancée. Les grandes économies émergentes s'engagent derrière nous. Je souhaite que le fonds vert soit alimenté par la taxe sur les transactions financières.

Le chemin qui reste à parcourir est important : Durban ne suffira pas à limiter le réchauffement de deux degrés mais il nous rapproche de nos objectifs. (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 16 h 45.

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La séance reprend à 17 heures.