Formations supplétives des forces armées (Procédure accélérée - Deuxième lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux formations supplétives des forces armées.

M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.  - Vous voudrez bien excuser MM. Longuet et Laffineur, que je supplée et qui regrettent de ne pouvoir être là ce soir.

Ce texte vise à sanctionner pénalement les insultes aux membres des formations supplétives. Les propos d'un homme politique à l'encontre des harkis, en 2006, les traitant de « sous-hommes », nous avaient tous choqués. Il est apparu à cette occasion que les membres des forces supplétives n'étaient pas assez protégés et c'est l'honneur du Parlement de combler cette lacune. La loi Mekachera de 2005 constituait un premier pas pour les harkis -elle était parfaitement conforme à la Constitution, mais souffrait de n'être assortie d'aucune sanction pénale. La proposition de loi initiale visait à y remédier, mais il fallait aussi protéger l'ensemble des supplétifs, et non seulement les harkis : un amendement de M. Couderc y pourvoit. On ne pouvait oublier les supplétifs ayant servi sur notre territoire, par exemple dans les groupes de mobilisation ou à l'extérieur, les Moïs d'Indochine par exemple.

Ce texte aligne la protection juridique de tous ceux qui sont engagés comme supplétifs dans nos armées sur celle des militaires proprement dits. Faire de ces dispositions une loi autonome contribue à l'hommage que notre Nation doit aux supplétifs. Le président de la République a déjà eu à coeur de développer les prestations servies aux supplétifs et à leurs familles, afin d'améliorer leur quotidien. Ce texte leur rend leur dignité. Cette initiative nous honore. Notre devoir est de protéger ces hommes et ces femmes qui portent encore les blessures d'un passé douloureux. J'espère une approbation conforme, afin qu'aucune injure ne puisse venir entacher notre mémoire collective. (Applaudissements à droite ; Mlle Sophie Joissains, rapporteure, applaudit)

Mlle Sophie Joissains, rapporteure de la commission des lois.  - Ce texte dont l'excellente initiative revient à notre collègue Couderc, vise à remédier à une insuffisance de notre législation : la loi de 2005 n'est assortie d'aucune sanction pénale, ce qui a pu autoriser des propos inadmissibles.

La proposition de loi complétait initialement la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Mais le dispositif proposé appelait deux réserves. Le secrétaire d'État l'avait alors rappelé : on ne pouvait se contenter de protéger les seuls harkis. Et les supplétifs devaient être protégés non en raison de leur origine ou de leur religion, mais en raison de leur action au service de la France. Tous ceux qui ont servi comme supplétifs bénéficieront ainsi de la même protection que les militaires et résistants. Les associations défendant les intérêts moraux des supplétifs se voient reconnaître le droit de se porter partie civile. Enfin, ce n'est plus la seule loi de 2005 qui est visée : tous les supplétifs sont désormais concernés.

Il est vrai que voir disparaître de la loi le terme spécifique de harkis a pu susciter certaines craintes. Je voudrais ici les apaiser.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Très bien !

Mlle Sophie Joissains, rapporteure.  - Il ne s'agit de rien d'autre que de considérer les harkis comme membres des formations supplétives, protégées par la loi, même si les « autres formations supplétives », désormais, ne sont pas oubliées.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Absolument.

Mlle Sophie Joissains, rapporteure.  - Reste, vous le savez monsieur le ministre, un point à éclaircir.

M. Patrick Ollier, ministre.  - Il le sera.

Mlle Sophie Joissains, rapporteure.  - Ce texte vise à protéger non seulement les harkis, mais aussi leurs ayants droit, leurs enfants souvent nés dans les camps : ils ont bien mérité de la Nation.

M. Robert Tropeano.  - Bientôt nous célébrerons le cinquantenaire de la fin de la guerre d'Algérie : le 19 mars, nous aurons l'occasion de dire notre reconnaissance à tous les combattants et civils disparus, à tous les survivants, Français rapatriés, appelés du contingent, harkis passés d'une rive à l'autre de la Méditerranée dans des conditions tragiques.

En 2007, Nicolas Sarkozy avait pris l'engagement de reconnaître les responsabilités de la France à l'égard des harkis assassinés, « pour que l'oubli ne les assassine pas une nouvelle fois ». La présente proposition de loi est un premier pas : elle sanctionne les injures dont les harkis et les autres supplétifs seraient l'objet. Il était temps de réparer une injustice. La France a mal accueilli les harkis, car elle voulait surtout tourner la page. L'Hérault fut l'un des 28 départements retenus pour les loger en urgence. Ils connurent le rejet plus que l'intégration. La République a failli à son devoir de solidarité et de fraternité. La proposition de loi les préserve de l'humiliation morale et de l'opprobre. La loi de 2005 prohibait déjà les injures. La jurisprudence traditionnelle cependant n'est pas applicable car les harkis ne se définissent pas par une race ou une religion. La notion de forces supplétives « et assimilées » n'a pas été retenue, contrairement à d'autres textes ; on peut s'en étonner. Parmi les forces supplétives, les harkis sont toujours les plus visés par les injures et les insultes ; protégeons-les ! Mon groupe votera la proposition de loi qui contribuera au respect collectif de leur dignité. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Michel.  - La modification de l'intitulé de ce projet de loi montre bien les évolutions intervenues, même si l'Assemblée nationale a peu modifié la version du Sénat. Je me réjouis de la célérité avec laquelle a été examinée une proposition de loi d'origine sénatoriale : il y a une grande convergence pour rendre hommage à ce que je n'aime pas appeler la « communauté harki ». La République a failli en les abandonnant sur le sol algérien à un sort certain ou en les accueillant en France dans des camps provisoires qui ont duré. La formulation plus large retenue de forces supplétives préserve l'objectif recherché et conforte la sécurité juridique en respectant l'égalité devant la loi.

La protection qu'assure la loi de 1881 contre les insultes proférées en raison d'une orientation sexuelle, religieuse, raciale, ne s'applique pas ici. Il importait donc de légiférer et de rappeler que les harkis, comme l'ensemble des forces supplétives, constituent une composante à parte entière de l'armée régulière.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Absolument !

M. Jean-Pierre Michel.  - ...à l'image de ce qui avait été fait, en son temps, pour les membres de la Résistance en 1951.

De surcroît, toute association déclarée défendant les intérêts moraux des supplétifs pourra se porter partie civile et invoquer un préjudice direct ou indirect.

La proposition de loi demeure donc aussi protectrice qu'à l'origine. Mais pourquoi avoir abandonné la notion de « forces supplétives et assimilées » ?

Sans prétendre apporter réponse aux problèmes de leurs familles, la Nation exprime ici son respect pour ce que les harkis ont fait pour elle.

Lors du colloque prochain sur la guerre d'Algérie, nous demanderons que les harkis, en Algérie, ne subissent plus de discriminations. (Applaudissements)

Mme Isabelle Pasquet.  - Le texte de 2005 visait la seule catégorie des harkis. Le secrétaire d'État d'alors l'avait fait remarquer, soulignant le risque de voir exclues d'autres victimes parmi tous les supplétifs. Le Sénat a procédé aux modifications nécessaires.

Si nous sommes favorables à une telle protection contre les injures et les diffamations, assortie de sanctions, reste que l'engagement des harkis donne aujourd'hui encore lieu à des controverses. Comment expliquer que le terme soit devenu synonyme de traître ? Cette proposition de loi n'est donc pas, à notre sens, le meilleur moyen d'apaiser les mémoires. Pourquoi légiférer en urgence au lieu de prendre le temps de réfléchir de façon apaisée ? Mon groupe ne prendra pas part au vote, en raison des arrière-pensées de la droite sur la question.

M. Raymond Couderc.  - La Nation honore ses militaires et les résistants qui ont défendu son indépendance et sa souveraineté. Mais elle néglige les forces supplétives. Pourtant, dans tous les pays où nous avons combattu, nous avons, dans toutes les campagnes militaires depuis le xixe siècle, recruté parmi la population locale.

La loi de 2005 a marqué un progrès mais faute de mesures coercitives ne réglait pas la question.

En février 2010, à la suite du classement sans suite de diverses affaires d'injures à des harkis, j'ai déposé cette proposition de loi. La guerre d'Algérie fut une tragédie. Cinquante ans après, les plaies sont encore vives chez tous ceux qui ont quitté l'Algérie de gré ou de force : évitons de verser de l'acide sur leurs plaies.

Il fallait mieux protéger les harkis sans oublier les autres forces supplétives : en y pourvoyant, cette proposition de loi remplit son objet. Son adoption à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale me réjouit. La commission des lois du Sénat a adopté ce texte la semaine dernière à l'unanimité : les harkis le méritent bien. Merci à Mme Joissains et aux 45 collègues qui ont signé la proposition de loi. (Applaudissements)

M. Pierre Charon.  - Cette deuxième lecture illustre la richesse du dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat. J'ai approuvé ce texte en première lecture. Le travail mené par la Haute assemblée donne un fondement solide à la protection des harkis. Le rapporteur à l'Assemblée nationale a tiré les conséquences des modifications du Sénat, a respecté l'esprit de nos travaux. La protection juridique des supplétifs est alignée sur celle des militaires dans la loi de 1881. L'injure sera passible d'une amende jusqu'à 12 000 euros, la diffamation jusqu'à 45 000 euros.

C'est une reconnaissance symbolique à l'égard de ceux qui ont combattu non à côté mais au sein de notre armée.

Ils ont servi la Nation, payant de leur sang et récoltant abandon, souffrances, et parfois insultes. Intégrons leur mémoire dans celle de l'armée de la France : je voterai ce texte avec émotion. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa.  - Je ne peux que me réjouir que l'Assemblée nationale ait conservé l'esprit de notre rédaction. Petite avancée vers un traitement égalitaire de tous les combattants, militaires, résistants et supplétifs. C'est un hommage de la Nation. La version initiale visait nommément les harkis. La décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 a rendu justice à cette population, parquée dans les camps de Rivesaltes, du plateau de Lozère et d'ailleurs, tardivement pris en compte dans les pensions militaires...

L'alignement des sanctions marque un pas vers l'égalité de tous ceux qui se sont battus pour la France. Les associations pourront se porter partie civile. Ces « enfants illégitimes » de la République n'auront plus à subir l'opprobre dont ils ont souffert durant plusieurs décennies. Je me réjouis que ces dispositions fassent désormais l'objet d'un texte à part entière, et soient ainsi détachées de la honteuse loi de 2005 par le véhicule de laquelle certains tentèrent de proclamer les bienfaits de la colonisation.

Ce n'est pas, cependant, par ce type de démarche que l'État fera amende honorable : il faut plus qu'un texte d'affichage à quelques semaines de l'échéance électorale. Pas plus que ce n'est en bricolant quelques lois mémorielles que l'on réparera les torts envers tous ceux qui se sentent lésés. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, approuve) Notre groupe votera la proposition de loi à laquelle cependant il souscrit pleinement.

M. Patrick Ollier, ministre.  - Mme Joissains m'interroge sur les ayants droit. Les associations souvent présidées par les enfants des supplétifs auront accès aux tribunaux. Ceux qui, sans appartenir à aucune association, seraient insultés comme enfants de harkis pourraient poursuivre les auteurs de tels propos au titre de cette proposition de loi, comme des articles 32 et 34 de la loi de 1881.

Tous les orateurs disent l'intérêt de cette loi, à 50 ans de distance. Le retard est rattrapé. L'ensemble des supplétifs est visé ; certains harkis le regrettent, mais ici nous faisons la loi, qui ne touche pas un groupe, les harkis, mais tous les supplétifs, les Moïs, par exemple.

M. René Garrec.  - J'ai bien connu ceux de la Cochinchine.

M. Patrick Ollier, ministre.  - À tous, il faut accorder protection contre les injures. Il n'y a pas de définition officielle des harkis. Le 8 février 1956, le général Lorillot a créé des « unités supplétives », appelées alors harka, ce qui signifie groupement d'hommes sous commandement militaire. C'est la seule occurrence.

Les forces « assimilées » correspondent à une autre catégorie : ce sont des agents qui ne dépendent pas de l'autorité militaire, mais des civils, qui ne sont pas payés par le ministère de la défense. La proposition de loi vise tous les supplétifs de l'armée française.

Merci à tous pour votre accord. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

L'article unique est adopté ; la proposition de loi est ainsi définitivement adoptée.