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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Engagement de procédure accélérée

Dépôt d'un rapport

Débat sur l'avenir de l'industrie

M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC

M. Gérard Le Cam

Mme Aline Archimbaud

M. Jacques Mézard

Avis sur une nomination

Débat sur l'avenir de l'industrie (Suite)

M. Alain Chatillon

M. Yannick Vaugrenard

M. Gérard Longuet

M. Jean-Jacques Mirassou

M. Jean-Claude Carle

Mme Delphine Bataille

M. Alain Fouché

M. Michel Teston

M. Jean-Pierre Vial

M. Martial Bourquin

M. Aymeri de Montesquiou

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

Hommage à un soldat tombé au Mali

Débat sur la situation à Mayotte

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois

M. Félix Desplan, rapporteur de la commission des lois

M. Jean-Marie Bockel

M. Yvon Collin

Mme Esther Benbassa

Mme Éliane Assassi

M. Abdourahamane Soilihi

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Serge Larcher

M. Michel Vergoz

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer




SÉANCE

du mercredi 20 février 2013

63e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, Mme Odette Herviaux.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Engagement de procédure accélérée

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France, déposé ce jour sur le bureau du Sénat.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le suivi de l'objectif de baisse d'un tiers de la pauvreté en cinq ans, établi en application de l'article L. 115-4-1 du code de l'action sociale et des familles.

Ce rapport a été transmis à la commission des affaires sociales et est disponible au bureau de la distribution.

Débat sur l'avenir de l'industrie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe.

M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC .  - Ce débat tombe à point, non pas à cause de la polémique soulevée ce matin par un palmipède informé mais parce que l'actualité est pleine de la souffrance des salariés et des patrons de PME, de l'inquiétude des partenaires sociaux et de tous nos concitoyens. Beaucoup a été dit mais pas tout. Nous devons renouveler notre approche, en sortant des faux débats.

Le constat est partagé. François Bayrou en avait beaucoup parlé lors de la campagne présidentielle. Ce sujet mérite le consensus, ce qui n'exclut pas le débat.

Un grand quotidien économique titrait, il y a peu, « La grande panne de l'industrie française ». En 2012, 266 sites industriels ont fermé, soit 42 % de plus qu'en 2011. La situation s'aggrave.

De nombreux rapports comme celui de la mission d'information du Sénat décrivent depuis quelques années la désindustrialisation qui frappe notre pays. Certains font mieux que la France, l'Allemagne et la Suède par exemple. Le déclin n'est pas une fatalité.

Dans les années 70, la désindustrialisation a commencé et s'est ensuite accélérée. L'industrie, qui comptait plus de 5 millions de salariés dans les années 80, n'en a plus que 3 millions. Le déficit commercial est abyssal, à 70 milliards d'euros, alors que notre balance commerciale était excédentaire il y a quelques années.

Le rapport Gallois a marqué un tournant salutaire dans la politique industrielle du Gouvernement. La perte de compétitivité de notre économie explique les déficits subis par notre pays. Il y a urgence à réagir mais il faudra du temps, de la cohérence et de la persévérance.

La France possède pourtant de grands groupes leaders mondiaux, des champions nationaux qui engrangent des bénéfices dans l'aéronautique, le luxe, le nucléaire, la pharmacie, l'agroalimentaire. Quatre de nos groupes sont parmi les vingt-cinq premiers au monde.

Il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation, c'est évident, et nous partageons votre volontarisme, monsieur le ministre. Mais le verbe est moins productif que l'action.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.  - Nous allons en discuter.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Il ne faut pas stigmatiser les patrons : nous avons besoin d'un climat de confiance qu'il convient de rétablir. Les produits français sont souvent de moyenne gamme, ce qui les livre à une double concurrence, celle des produits moins chers et celle des produits de plus haute gamme. Cela fait qu'avec des coûts de production proches des nôtres, l'Allemagne est le deuxième exportateur mondial, derrière la Chine et devant les États-Unis.

Louis Gallois l'a dit : un effort de productivité est nécessaire, il faut augmenter les investissements et créer un environnement favorable pour susciter la confiance. L'État a un rôle de stratège à jouer. Or comment demander aux entreprises d'innover quand les charges augmentent ? Louis Gallois avait souhaité un « choc de compétitivité, et donc de confiance ». Le Gouvernement n'a pas voulu alléger les charges de 30 milliards, préférant créer le CICE. Je crains qu'il n'y ait ni choc, ni confiance. Le Gouvernement a éludé le problème posé par les coûts de production dans notre pays.

En matière d'investissements industriels, vous ne partez pas de rien, monsieur le ministre. Des initiatives avaient été prises. Votre politique ne peut donc que s'inspirer de celle de vos prédécesseurs. Les outils sont en place mais les décisions actuelles vont-elles dans le bon sens ? Les 35 milliards des investissements d'avenir sont aujourd'hui épuisés. Qu'allez-vous faire pour assurer les investissements de long terme ?

L'aéronautique va très bien mais n'en faisons pas l'automobile de demain. Le soutien à la recherche et développement est essentiel. La recherche financée par l'entreprise est faible, il faut impérativement préserver le crédit impôt recherche pour anticiper les ruptures technologiques.

Les pays émergents pourront bientôt développer des gammes complètes. La Chine pourrait être le troisième constructeur aéronautique mondial en 2020.

Gardons-nous de l'idéologie anti-grandes entreprises. S'il faut aider les PME, les ruptures technologiques restent le fait des grands groupes. Or les normes entravent souvent la recherche. Les pouvoirs publics doivent développer une fiscalité favorable à l'entreprise. Vous avez annoncé un nouveau mode de financement des entreprises avec la Banque publique d'investissement. Celle-ci poursuivra-t-elle les actions déjà engagées ? Fera-t-elle mieux et plus qu'Oseo ?

Nous manquons d'entreprises de taille intermédiaire : la France en compte deux fois moins que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Nous ne parvenons pas à faire grandir nos PME, parfois à cause de la fiscalité ou d'effets de seuil.

Encourageons la coopération entre les grandes entreprises et les sous-traitants. Dans l'aéronautique, l'ensemble des professionnels de la filière sont regroupés au sein d'un même organisme. Inspirons-nous de cet exemple.

J'en viens à quelques points de désaccord : un marché du travail souvent rigide et un dialogue social trop inégal. Le système de formation des salariés n'est pas adapté. Favorisons le dialogue social pour que les entreprises puissent s'adapter à ce monde qui change, pour éviter les licenciements secs. Certains exemples montrent que cela est possible : à Sevelnord, les salariés ont conclu un accord de compétitivité grâce auquel le site et les emplois ont été sauvegardés dans la perspective de produire un nouveau véhicule.

L'absence de dialogue conduit à des fermetures de sites. Notre culture, notre législation, nos pratiques font une caricature, un contre-exemple du dialogue social. La transparence est inexistante, d'où des chutes brutales. Dans un monde qui évolue si vite, pouvons-nous camper sur nos positions ? Nous parlerons bientôt de l'accord sur la sécurisation des parcours professionnels.

Ne polémiquons pas sur PSA, mais il y avait mieux à faire que de laisser croire aux salariés que le plan de fermeture serait revu. Vous avez fait de PSA un repoussoir. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - N'exagérons pas !

M. Vincent Capo-Canellas.  - Il fallait s'occuper des salariés. Leur reconversion se prête mal à la politique de l'urgence. Les solutions demanderont du temps pour entrer en oeuvre. A PSA, la situation se dégrade, se tend. Les salariés connaissent de vraies difficultés mais l'entreprise traverse une passe dangereuse.

Des solutions existent, nous sommes prêts à en discuter. (M. le ministre s'exclame ; applaudissements sur les bancs UDI-UC et à droite)

M. Gérard Le Cam .  - Depuis de nombreuses années, nous sommes au chevet de l'industrie. L'année 2012 a enregistré 42 % de fermetures d'usines de plus qu'en 2011 ; plus de 100 000 emplois industriels ont été détruits depuis une décennie. Les difficultés de PSA, de Renault, d'Alcatel ne sont que la partie visible de l'iceberg.

Dès 1984, la finance a pris le pas sur l'économie réelle. Les gouvernements successifs ont donné aux multinationales les moyens d'organiser leur propre non-rentabilité. Celles-ci pratiquent l'optimisation fiscale et sociale de façon de plus en plus agressive, via les prix de transferts auxquels les différentes entités d'un groupe se vendent et s'achètent produits et prestations de services afin de localiser les profits là où l'imposition des bénéfices est la plus faible. Un Français produit 75 000 euros de richesses, contre 63 000 pour un Allemand et 65 000 en moyenne dans la zone euro. Un Irlandais est censé créer 89 000 euros, une fiction qui résulte des manipulations des multinationales pour transférer en Irlande les bénéfices réalisés ailleurs en Europe.

La finance influence la géographie des activités de production, les bourses dominent l'économie. Les cycles de développement durent des dizaines d'années alors que les investisseurs veulent des résultats rapides.

Carlos Ghosn propose de différer à fin 2016 le paiement de 30 % de la part variable de sa rémunération de l'an passé, rémunération de 3 millions d'euros. Dans le même temps, il explique que le salariés de Sandouville devront accepter en échange des baisses de salaires, un allongement du temps de travail et une plus grande mobilité. On aimerait croire à une blague.

Le patron de Goodyear explique que les salaires des ouvriers en France sont trop élevés, que ceux-ci ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, qu'ils ne travaillent que trois heures.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il est gonflé ! (Sourires)

M. Jacky Le Menn.  - Comme un pneu.

M. Gérard Le Cam.  - Devant de tels propos, l'indignation cède à la colère. (M. le ministre approuve)

Selon le Bureau des statistiques du travail américain, une heure de travail dans le secteur manufacturier coûte 40,6 dollars en moyenne en France, contre 40,4 dans la zone euro et 43,8 en Allemagne. Et le coût du travail français a nettement moins augmenté qu'ailleurs : dans la zone euro, seule l'Autriche fait pire. Autant dire que le problème numéro un de notre industrie tient au coût du capital, pas à celui du travail. En 2010, PSA a engrangé 1,1 milliard de bénéfices, et encore 600 millions en 2011 ; l'an dernier, il a distribué 275 millions de dividendes.

La place de l'industrie dans notre économie est encore importante, mais la situation empire, même dans l'industrie agroalimentaire, l'actualité le montre bien.

Nous avons déposé une proposition de loi pour mettre fin à la financiarisation de l'économie et interdire les licenciements boursiers. Les salariés n'auraient plus été des spectateurs passifs, les circuits courts auraient été encouragés. Elle a été repoussée à six voix près... La BPI ne semble pas en mesure de répondre aux besoins de liquidité des industries. Il faut aller plus loin. Nos propositions s'inscrivent dans une dynamique d'ensemble. Les textes sont sur la table, reste à les voter. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Aline Archimbaud .  - Pas un jour sans que l'actualité nous rappelle la crise du secteur industriel. Votre tâche est immense, monsieur le ministre. Pour notre groupe, il faut amorcer la transition écologique, sans oublier que, derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui subissent la situation actuelle.

Des solutions industrielles nouvelles sont à trouver, avec tous les acteurs concernés, à commencer par les syndicats. La filière de déconstruction des automobiles pourrait créer des emplois. Pourquoi ne pas y réfléchir ? Garantissons les revenus et les salaires des employés, sans licenciement. Si la crise n'a pas été anticipée par les entrepreneurs, ce n'est pas aux salariés d'en faire les frais.

Il faut penser la reconversion des secteurs qui déclinent, réduire la production des voitures, des avions, accroître les services partagés, favoriser les énergies renouvelables. Des centaines de milliers d'emplois pourraient être ainsi créés.

Pourquoi ne pas commencer dès maintenant, comme le souhaitait le président de la République en ce qui concerne la transition énergétique ? A Saint-Nazaire, vous avez dit, monsieur le ministre, que cette transition était un point de passage obligé.

M. Arnaud Montebourg, ministre.  - Bien sûr !

Mme Aline Archimbaud.  - J'espère qu'à Aulnay-sous-Bois, une dynamique va se mettre en place. Nous avons parfois l'impression de ne pas être pris au sérieux alors qu'il est impératif d'engager dès aujourd'hui la transition industrielle. Nous préconisons la mise en place d'un fonds national de reconversion pour l'accompagner car il faut une stratégie nationale d'investissements publics. Le séminaire gouvernemental d'aujourd'hui devrait tracer des perspectives fortes en ce domaine. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Mézard .  - La question est lancinante ; M. le ministre connaît le dossier par coeur. L'industrie est au coeur de nos préoccupations depuis longtemps. Que de rapports, que de propositions de loi ! Or l'échec est patent, il est collectif, les responsabilités partagées par les syndicats, le patronat, les pouvoirs publics. Quelle que soit la sensibilité que nous avons sur ces dossiers, nous savons qu'il faut agir. La réindustrialisation permettrait le retour de la croissance et de l'emploi. Plutôt que réindustrisalisation, il faudrait d'ailleurs parler de nouvelle industrialisation. Il n'y a pas que la transition énergétique : idéologie et entreprise ne font jamais bon ménage.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'est vrai !

M. Jacques Mézard.  - Entre les 23 mesures annoncées par la précédente majorité et le pacte de compétitivité, la situation n'a guère évolué. Le rapport de M. Gallois...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bon rapport !

M. Jacques Mézard.  - ...a démontré que l'industrie régresse depuis dix ans et que le mouvement s'accélère. On peut se demander si les Français aiment l'entreprise, s'ils ne confondent pas finances et entreprises, malgré les réformes engagées depuis quelques années, comme la réforme de la taxe professionnelle, qui n'a pas été le remède miracle.

M. Gérard Longuet.  - Elle a allégé les charges des entreprises !

M. Jacques Mézard.  - Mais les économies n'ont pas toutes été consacrées à l'investissement. Les chiffres sont éloquents, la France se situe bien en dessus de la moyenne de l'Union européenne. L'industrie est indispensable à une bonne santé de l'économie, à commencer par les exportations. Voyez la situation catastrophique de notre balance commerciale.

Le CICE pourra répondre, partiellement, à la problématique. Avec la crise, les entreprises ont réduit leurs marges pour préserver leur compétitivité mais cela s'est fait au détriment des investissements. Le coût du travail n'est pas le seul facteur de perte de compétitivité.

Dans l'industrie allemande, la modération salariale n'explique pas tout. Le positionnement de gamme explique en revanche beaucoup. Nous disposons de grandes entreprises mondiales, notamment dans l'industrie aéronautique, mais nous avons très peu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. La formation technique est trop souvent dévalorisée. Les pays émergents, eux, ont compris l'importance du capital humain : voyez les efforts de la Chine en la matière.

Enfin, c'est à l'échelle européenne qu'il faut agir, en instaurant une véritable réciprocité. Développez la recherche et développement, faites confiance à l'intelligence de notre pays, stoppez l'exportation des cerveaux pour accroître celle des produits ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Louis Carrère.  - Les cerveaux sont tous au Sénat ! (Sourires)

Avis sur une nomination

M. le président.  - Conformément aux articles 13 et 56 de la Constitution ainsi qu'à la loi du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission des lois, lors de sa réunion du mercredi 20 février 2013, a émis un vote favorable, par 17 voix pour et 6 voix contre, sur le projet de nomination de Mme Nicole Maestracci, aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel en remplacement de M. Pierre Steinmetz.

Elle a également émis un vote favorable, par 13 voix pour et 11 voix contre, sur le projet de nomination de Mme Nicole Belloubet, aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel en remplacement de Mme Jacqueline de Guillenschmidt.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'était serré !

Débat sur l'avenir de l'industrie (Suite)

M. le président.  - Nous poursuivons le débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe.

M. Alain Chatillon .  - La part de l'industrie était de 22 % dans notre économie en 1989. Elle est aujourd'hui de 16 %. L'hémorragie des emplois s'accentue dans ce secteur. Nous connaissons les causes de notre mal mais les remèdes proposés par le Gouvernement n'y répondent pas. Le coût du travail est plus élevé en France qu'en Allemagne, et cela tient aux charges ; c'est pourquoi nous avions proposé la TVA sociale, qui aurait frappé aussi les importations.

Le CICE ne bénéficiera que très peu aux PME qui, pour la plupart, ne paient pas d'impôt. Je crains que le choc de confiance n'ait pas lieu, d'autant que le CICE ne bénéficiera aux entreprises qu'à l'année n + 1. Globalement, les PME pourraient développer l'emploi. Il faut les y aider. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait avec le crédit impôt recherche et les pôles de compétitivité.

Nos exportations diminuent depuis des années, contrairement à l'Allemagne. La montée en qualité des produits français est indispensable. L'Europe est une zone de prédilection pour les exportations françaises.

La fiscalité doit être plus incitative, il faut mieux répondre aux crédits export. Que fait donc la Coface ? Elle finance trop peu l'agroalimentaire, par exemple à destination de l'Espagne.

M. Ladislas Poniatowski.  - C'est bien vrai !

M. Alain Chatillon.  - Le made in France doit retrouver ses parts de marché. La France a perdu sa première place mondiale dans l'agroalimentaire. C'est pourtant le premier employeur industriel, avec 415 000 salariés et 14 % des exportations françaises. Le salon international de l'alimentation (SIA) doit apporter sa contribution aux entreprises françaises dans les pays émergents plutôt que de financer la concurrence en France ! (Applaudissements à droite)

Pour exporter, il faut un dollar plus élevé.

La formation professionnelle est une condition sine qua non de la compétitivité des entreprises, tout comme la flexibilité. Les PME conservent leurs emplois -favorisons donc l'alternance, quand on sait que 70 % des jeunes restent dans l'entreprise où ils se sont formés. C'est une bien meilleure piste que les emplois d'avenir sans avenir !

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Alain Chatillon.  - Dans le BTP, la TVA a doublé en deux ans : c'est 40 000 emplois qui vont disparaître. Le problème de Dexia n'a pas été résolu.

La BPI ? Il faudrait déjà savoir qui va faire quoi...

Nous avons des décisions importantes à prendre, l'entreprise et les salariés les attendent ! (Applaudissements à droite)

M. Yannick Vaugrenard .  - L'industrie européenne, c'est un potentiel de savoir-faire, 35 millions de salariés, 1 600 milliards d'euros de valeur ajoutée par an. Mais la crise a frappé : pertes d'emplois, stagnation de l'innovation, déficits commerciaux. La France a subi de plein fouet ce recul. Mais le Gouvernement a pris la dimension du problème et adopté un arsenal de mesures d'urgence et de plus long terme en direction des PME et PMI. La France compte 2,5 millions de PME, soit 97 % des entreprises qui emploient plus de 7 millions de salariés.

La BPI a été créée pour les aider : un fonds spécifique garantit les crédits accordés par les banques privées, à un niveau décentralisé. Le fonctionnement du marché de l'assurance crédit doit être amélioré pour protéger contre les aléas de la situation économique. Je me félicite de la consultation des acteurs annoncée par le Gouvernement et par vous, monsieur le ministre.

Les obligations légales qui pèsent sur nos entreprises découlent de la politique européenne de la concurrence, l'une des plus exigeantes au monde. Le succès du géant chinois est écrasant, grâce aux aides d'État dont bénéficient les entreprises de ce pays, qui représente 21,7 % de la production manufacturière mondiale, devant les USA et l'Union européenne. Les aides constituent une concurrence déloyale. Il faut exiger des membres de l'OMC le respect des normes de l'OIT afin de contrecarrer le dumping social.

L'Europe n'est pas sans réagir, en voulant porter la part de l'industrie dans le PIB à 20 % d'ici 2020. Le programme Galileo est un formidable exemple de recherche ; il assurera à l'Europe l'autonomie qui lui manque en matière de navigation par satellite -marché évalué à 200 milliards d'euros. C'est l'exemple type de ce qu'il faut faire.

Tous les espoirs sont permis, à certaines conditions : une vraie volonté politique avec détermination à mettre la finance au service de l'économie, un soutien aux PME, une vigilance sur le respect des droits sociaux et pas seulement de la « concurrence libre et non faussée »...

Je sais que vous partagez ces objectifs, monsieur le ministre. C'est pourquoi nous vous soutenons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Gérard Longuet .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Faute de temps, je serai schématique, en espérant ne pas être trop simpliste. Je veux attirer votre attention sur l'intensité capitalistique croissante de notre industrie. Le diagnostic est connu. Le recul de l'industrie française s'observe en termes de part de marchés mondiaux par rapport aussi à d'autres pays de la zone euros -preuve que l'euro n'est pas la cause du problème !

Sur une longue période, la productivité globale des facteurs de production a changé. Les marges des entreprises sont trop faibles : 10 % de moins que la moyenne européenne, 28 % contre 38 %. Moins de marges, c'est moins d'investissement. Notre recherche et développement, en pourcentage de marge, est aussi importante qu'en Allemagne. Mais comme nous avons moins de marge...

L'intensité capitalistique nécessaire pour créer de la richesse ou un emploi s'accroît. La lecture marxiste classique y voit la faillite du système capitalistique à cause du rendement décroissant du capital tandis que les libéraux estiment que l'intensité capitalistique plus forte en France s'explique par une législation plus rigide et par une absence de flexibilité dans l'utilisation de l'outil de travail.

Il faut équilibrer nos atouts. Nous n'avons pas l'atout du coût salarial, très bien : jouons sur la valeur ajoutée, en investissant dans la formation et dans l'outil de travail, sans interdire aux entreprises de réaliser des marges. Il n'y aura pas d'industrie sans capitaux, pas de réussite sans profits ! (Applaudissements à droite)

M. Alain Chatillon.  - Excellent !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Analyse brillante et pertinente !

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Je me concentrerai sur l'industrie pharmaceutique. Sanofi-Aventis, quatrième laboratoire mondial avec un chiffre d'affaires de 40 milliards et des bénéfices de 5 à 9 milliards par an, est en tête du CAC 40 avec Total. On y annonce une réorganisation pour 2015, avec pour objectif de muscler la recherche. Les salariés, pourtant, en feront les frais, avec une suppression annoncée de 1 000 postes et de plusieurs sites -à Toulouse et à Montpellier notamment. Les employés de ces deux sites se mobilisent et avancent des arguments forts : la masse des dividendes servie aux actionnaires à doublé en dix ans. Or ce qui va aux actionnaires ne va pas dans la recherche : c'est la financiarisation de l'activité. De plus en plus de molécules tombent dans le domaine public ; si l'on ne prend pas de l'avance, si l'on n'innove pas, le laboratoire se retrouvera dans une situation difficile.

Or Sanofi externalise de plus en plus sa recherche vers les laboratoires publics ou les start-up.

Il veut mettre l'accent sur les vaccins, les médicaments sans ordonnance, la santé animale, voire les alicaments, par le biais d'un rapprochement avec Coca-Cola. Les salariés s'en inquiètent : on va les extraire de leur corps de métier, qui est d'inventer des médicaments pour soigner les gens !

Quelles sont vos intentions sur ce sujet, monsieur le ministre ? Je sais que vous partagez ces inquiétudes, vous qui suivez ce dossier depuis huit mois.

Par le biais des AMM, les laboratoires voient leurs produits remboursés par la sécurité sociale ; ils bénéficient du CIR et des efforts consentis par les collectivités locales. Les pouvoirs publics ont un droit, et même un devoir, d'ingérence dans ce dossier !

La colère monte sur le site de Toulouse, face à la partie de poker menteur que joue la direction. Nous attendons les conclusions du chargé de mission que vous avez nommé pour envisager un traitement. Le groupe socialiste du Sénat a également demandé la nomination d'un médiateur pour rapprocher les points de vue car cela fait huit mois que le dialogue social est au point mort. Il s'agit d'un problème industriel, mais aussi d'un problème de santé publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Claude Carle .  - Le leurre d'une transition vers une économie de services a vécu, l'importance d'un tissu industriel fort est reconnue. La France n'est plus dans le peloton de tête, faute d'avoir su anticiper l'évolution d'un capitalisme de production vers un capitalisme de spéculation. Il est urgent de déplacer le curseur de la fiscalité au profit du secteur productif. Deuxième raison, la France n'aime pas l'entreprise et l'entrepreneur. S'il réussit, il est l'objet de suspicion et de contrôles. Notre système éducatif privilégie les cols blancs, réservant l'apprentissage aux jeunes en situation d'échec. Résultat, le taux de chômage des jeunes est de 20 % en France, contre 7 % en Allemagne.

Troisième raison : trop peu de recherche et développement, trop peu de PME, qui n'ont pas les moyens nécessaires en matière de recherche et développement et peinent à trouver des repreneurs. Ces derniers, souvent étrangers, se comportent plus en financiers qu'en chef d'entreprises. Nous manquons d'ETI, facteur d'innovation. La France ne dépose que 304 brevets pour un million d'habitants, contre 579 en Allemagne.

Quatrième raison : un coût du travail trop élevé. Les charges sociales représentent 15,3 milliards d'euros, les PME françaises partent avec un handicap de 14 % par rapport à leurs concurrentes allemandes.

Nous avons pourtant des atouts, à commencer par notre compétitivité et notre productivité. Nous devrons redonner aux Français l'esprit d'entreprise, adapter notre système éducatif aux besoins de l'industrie, baisser les charges, modifier notre tissu industriel  Cela suppose une politique industrielle agressive et efficace, qui devra être soutenue par l'Europe. N'oublions pas que celle-ci s'est construite sur la Ceca ! Que l'Europe de la contrainte, de la concurrence intérieure cède la place à celle de la croissance, des grands projets communs, de la confiance et acquière enfin une dimension politique ! (Applaudissements à droite)

Mme Delphine Bataille .  - La filière automobile est stratégique pour la France : 10 % des emplois, 20 % de la valeur ajoutée. Elle joue un rôle essentiel dans la région Nord-Pas-de-Calais, où elle est le premier employeur et le premier investisseur local. C'est dire si le Nord est impacté par les difficultés que rencontre cette filière. L'année 2012 a été cruelle, mais la situation n'est pas nouvelle : le marché européen a baissé de 21 % en cinq ans, nous sommes au plus bas depuis 1990. La situation reste toutefois contrastée. Le marché européen est devenu un marché de remplacement.

Si la France reste le deuxième producteur automobile en Europe, elle est passée du quatrième au huitième rang mondial.

Les constructeurs français subissent de plein fouet la crise : Renault comme PSA sont surtout positionnés sur le milieu de gamme, où la demande s'effondre. Ils ont préféré préserver leurs marges plutôt que de s'adapter, et ont ainsi perdu des parts de marché et affaibli leurs équipementiers...

Un dialogue social renforcé permettrait une vraie gestion prévisionnelle des emplois.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Delphine Bataille.  - L'Union européenne doit se doter d'une stratégie de soutien à sa production industrielle et revoir son cadre réglementaire.

Les constructeurs doivent définir leur stratégie, en tenant compte aussi des facteurs hors coûts. La refondation de la filière passe par un meilleur partenariat avec les sous-traitants et par la transition vers les véhicules décarbonnés. Pour cela, il faut un État stratège. Le plan de soutien à la filière automobile lancé par le Gouvernement a été suivi par le plan Car 2020 de la Commission européenne. Il s'agit de restaurer la compétitivité d'une filière qui conserve de nombreux atouts, en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Fouché .  - Je veux évoquer l'industrie de la céramique et de la porcelaine : ce sont 7 000 emplois, dont 2 000 pour la porcelaine, sans parler des emplois induits. Or cette industrie est fragilisée. Ce fleuron de notre culture industrielle est frappé par la concurrence asiatique. La filière est menacée par le dumping de la Chine. Les produits chinois n'ont cessé de prendre des parts de marché en Europe : en France de 20 à 67 % !

L'Union européenne a mis en place une politique de protection, pour six mois seulement. Le groupe leader, Deshoulières-Apilco, présent dans mon département, n'en a pas moins perdu la moitié de ses effectifs. Il doit être soutenu par Oseo, même s'il a reçu des capitaux étrangers : pour ce groupe à l'origine du label « origine France garantie », il est invraisemblable de le lui refuser.

Une mesure provisoire ne suffira pas à résoudre les difficultés de la filière porcelainière : il faut des mesures d'accompagnement. Que compte faire le Gouvernement? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Teston .  - Renault a cédé les parts qu'il détenait dans Volvo AB, avec pour objectif d'investir dans les sites français. Mais Volvo AB contrôle à 100 % Renault Trucks, qui emploie 10 000 salariés en France et fait travailler beaucoup de sous-traitants. Volvo AB décidera désormais seul de l'avenir de Renault Trucks. Or le secteur de poids lourds est en pleine crise -plus encore que l'automobile.

Volvo AB s'est restructurée non par marques mais par zones géographiques ; plus de 4 000 salariés de Renault Trucks sont au chômage partiel depuis janvier 2013. Volvo AB a-t-il donné des garanties sur le maintien des sites de Renault Trucks en France ?

Également présent en France, Iveco, qui fabrique tous ses moteurs à Bourbon-Lancy, et Scania. Qu'envisagez-vous, monsieur le ministre, pour soutenir la filière poids lourds ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 25.

M. Jean-Pierre Vial .  - Je me concentrerai sur le secteur de l'énergie, évoqué par le rapport Gallois. Que dire de la décision de la CRE d'autoriser deux centrales de biomasse dans la région du grand sud-est ? On risque de déstabiliser les entreprises de traitement des déchets et de détruire des centaines d'emplois...

La filière électro-intensive doit être défendue : ce sont des dizaines de millions d'emplois qui sont en jeu. La France, qui disposait avec le nucléaire d'une énergie à bas coût, est concurrencée par des pays comme les États-Unis, qui disposent du gaz de schiste, mais aussi par l'Allemagne, où l'énergie est plus chère. Le gouvernement allemand pratique la compensation financière pour les entreprises électro-intensives. L'effacement se voit consacrer un budget de 350 millions, qualifié de subvention à l'industrie. Les besoins de l'industrie en énergie à prix compétitif sont-ils en contradiction avec le développement des énergies renouvelables ? A l'évidence, non.

La transition énergétique doit être régulée et équilibrée, elle ouvre la voie à un nouveau modèle économique qui ne sera pas le modèle allemand mais qui peut inspirer un modèle européen.

En 2012, pour la première fois, la France, qui était exportatrice d'électricité en Allemagne, est devenue importatrice. Le marché de charbon et de l'acier est à l'origine de l'Union européenne ; celle-ci s'est par la suite bien peu préoccupée de son industrie. Ne croyez-vous pas que la transition énergétique soit l'occasion de créer une Europe de l'énergie ? (Applaudissements à droite et sur les bancs UDI)

M. Martial Bourquin .  - La désindustrialisation est malheureusement une réalité, avec des dégâts économiques et sociaux impressionnants. On ne peut rien imaginer de pire que la perspective d'une société de travailleurs sans travail, disait Hannah Arendt. Essayons donc de comprendre et d'agir, retrouvons une culture commune pour faire de l'industrie une véritable cause nationale.

La France ne sera pas une grande nation sans un socle industriel puissant : la stratégie doit être globale, volontariste et en même temps de filière ; sans cela, il n'y aura pas de réindustrialisation. Au sein du Conseil national de l'industrie, les partenaires sociaux ont reconnu le volontarisme du Gouvernement et le vôtre, monsieur le ministre.

La stratégie de filière est avant tout une stratégie de coopération. Les grandes entreprises et les PME doivent travailler ensemble au sein d'un écosystème productif qui mêle recherche et développement, dialogue et coopération.

Nous avons besoin d'une montée en gamme, d'innovation dans l'ensemble de l'industrie, et pas seulement dans l'automobile ; le CIR doit également bénéficier aux PME. Un moteur écologique de 2 litres doit être rapidement mis au point pour assurer l'avenir de notre industrie automobile.

Nous avons également besoin d'une politique industrielle européenne, dont la concurrence ne soit pas l'alpha et l'oméga. La question de la réciprocité est primordiale. Les États-Unis ont préservé leur filière photovoltaïque en bloquant en 48 heures l'entrée des panneaux solaires chinois. A quand la même politique en Europe ?

M. Arnaud Montebourg, ministre.  - C'est notre demande !

M. Martial Bourquin.  - Il n'y aura pas d'avenir industriel sans politique de croissance, sans une politique des énergies renouvelables ou de nouvelles technologies... L'industrie d'hier est morte, construisons celle de demain.

Enfin, les délais de paiement sont beaucoup trop longs et pénalisent les PME -à hauteur de 11 milliards d'euros, autant de cash qui ne va pas à l'investissement et à l'innovation. Une mission gouvernementale m'a été confiée pour réfléchir à une meilleure régulation.

Industrie, investissement et innovation sont les trois mots clé. J'y ajoute la formation. Ayons-les en tête, soyons volontaristes et il y aura un avenir pour notre industrie. Nous y croyons, votre ministère aussi ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Aymeri de Montesquiou .  - Jamais un pays n'aura mené une politique à ce point contraire à ses intérêts ; cette formule provocatrice de l'économiste Christian Saint-Étienne nous appelle à réagir et à repenser notre modèle économique et social. Une fiscalité punitive, un marché du travail sclérosé y sont pour beaucoup. Le rapport Gallois est la base d'un futur rebond ; mettez-le en oeuvre ! La Cour des comptes est notre conscience budgétaire ; écoutez-la !

Nos grands groupes sont des vitrines mais ne créent plus d'emplois ; les PME industrielles, elles, en créent. L'investissement est obéré par la complexité administrative et une fiscalité décourageante. Donnons envie à nos étudiants, à nos cadres, aux investisseurs de rester ou de venir en France. En contraignant les moteurs de notre économie à l'exil par la fiscalité et une ambiance hostile, vous rejetez toute une fraction de la population qui fait la prospérité de notre pays. (Exclamations sur les bancs socialistes)

L'absence de dialogue est un problème majeur dans un marché du travail englué dans des procédures administratives kafkaïennes, vicié par une lutte des classes d'un autre âge. Le rapport de forces est-il le seul moyen de négociation ? Provoquez le dialogue entre les entreprises et l'État, entre les entreprises entre elles, entre syndicats et patronat, favorisez le dialogue au sein de l'entreprise. Il faut que tous en aient conscience : un entrepreneur prend des risques, engage ses biens, fragilise sa vie personnelle ; son salaire ne spolie pas ses salariés ! Son intérêt est d'avoir de bons collaborateurs, il doit être équitable, les rémunérer correctement et les responsabiliser grâce à l'intéressement. Si la nouvelle taxation de l'intéressement est contreproductive, le projet de participation des salariés au conseil d'administration est une très bonne initiative.

L'impôt doit être incitatif et juste, ce qui n'est pas contradictoire. Votre fiscalité tue l'envie, or l'envie est un moteur essentiel ; je suis certain que vous en êtes convaincu, monsieur le ministre. Observez le comportement des diplômés des grandes écoles, qui sont nos futurs cadres : combien se destinent à une carrière à l'étranger, sachant qu'ils ne reviendront pas ?

Le CIR est l'exemple même d'une fiscalité incitative. Les plus petites entreprises doivent y avoir accès. Le CICE est incompréhensible, donc très difficilement applicable, alors que la TVA sociale était simple, facile à mettre en oeuvre et permettait de rééquilibrer les échanges.

Simplifiez le droit du travail, libérez les énergies au lieu de les sanctionner par ces Himalaya que sont le code du travail et le code général des impôts. Les entreprises disparaissent parce qu'elles sont dépassées. Les Scandinaves l'ont compris ; sommes-nous capables de l'admettre en France ? Cessons l'acharnement thérapeutique sur les secteurs moribonds. L'industrie a besoin de chercheurs, de cadres, d'entrepreneurs : la formation est essentielle ; il est urgent de créer des passerelles entre les écoles et l'université.

Nous devons parier sur les filières d'avenir et d'excellence, les bio et nanotechnologies, l'agroalimentaire ; le luxe, la mode, le tourisme restent des atouts, ne les gâchons pas par une administration étouffante et une fiscalité stérilisante. Les marges des entreprises françaises sont déjà inférieures de dix points à la moyenne européenne...

Nous manquons de PME et d'ETI. La coopération entre elles et les grands groupes est le chaînon manquant de notre économie. Souhaitons que le pacte PME y remédie afin de dynamiser les relations entre les grands groupes et leurs sous-traitants, ce que savent si bien faire les Allemands.

Une harmonisation fiscale européenne est enfin vitale ! 60 % de notre commerce extérieur se fait en direction de l'Union européenne. Allez-vous relancer le small business act européen ? Oui, la réciprocité est indispensable. Certains grands projets ne peuvent être portés que par l'Union européenne. Pour exister, l'Europe doit jouer un rôle géopolitique.

La gauche ne voulait pas désespérer Billancourt ; il ne faut pas qu'elle désespère ceux qui aiment la France et veulent y réussir ! (Applaudissements sur les bancs UDI et à droite)

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif .  - Merci pour ce débat sur le sens de notre politique industrielle. Il est fondamental de s'intéresser à la production. Dans toutes les allégories sous l'Ancien Régime était célébrée la capacité à créer la richesse. Pendant de longues années, une certaine classe dirigeante a théorisé sur la fin des usines en France, comme si l'industrie était une forme de luxe. Mais un pays qui ne produit plus est dans la main de ceux qui produisent ! Si la France ne produit plus, elle s'affaiblit et elle ne peut plus financer son modèle social, ses services publics, ses dépenses militaires, son rayonnement culturel...

Notre désindustrialisation est statistiquement visible, politiquement sensible, socialement douloureuse ; en dix ans, 750 000 emplois industriels ont été détruits, tous sont frappés, de l'ingénieur à l'ouvrier. Après une tempête, lorsque les arbres sont tombés, il faut du temps et beaucoup d'efforts pour les faire repousser. Même chose pour l'industrie : nous vivons une tempête, nous la subissons, à nous de la surmonter. Vous avez fait un diagnostic partagé et beaucoup de propositions partageables. Plutôt que de nous affronter, conjuguons nos efforts. Mon ministère a pris le taureau par les cornes.

Qu'avons-nous fait dans la tempête ? Nous avons fait face. On a raillé mon ministère, brancardier, pompier de service... Mais il n'y a pas de sot métier... Nous avons organisé la riposte avec le Ciri, avec des missions Ciri dans toutes les régions. Il n'y a pas une entreprise, pas un emploi qui ne nous intéresse. Je veux rendre hommage à mon équipe ministérielle, à tous ceux qui travaillent auprès de nous. Il n'y a pas de fatalité ; ne rien faire, c'était accepter par avance la défaite. Nous avons d'abord travaillé à maintenir l'outil industriel -une stratégie à l'allemande. Non, une industrie en difficulté n'est pas condamnée ; ça, c'est la doctrine libérale. Doit-on abattre sans sommation un malade qui se présente à l'hôpital pour permettre aux vivants de continuer à prospérer ? Cette vision malthusienne est absurde, nous en faisons la démonstration tous les jours. Nous avons 1 900 entreprises en difficulté. Parfois, nous arrivons à sauver 100 % des emplois et l'outil industriel ; parfois il faut accepter des sacrifices, que ce soient les actionnaires, les dirigeants, les salariés. Je pense à l'entreprise JM à Strasbourg, tous les emplois sauvés ; aussi à TRW, dans la vallée de la Moselle, 83 emplois sauvés sur 313 mais l'outil préservé... Avec Michel Sapin, nous cherchons toutes les solutions possibles, nous luttons contre la préférence française pour le licenciement.

Nous devons aussi bâtir, reconstruire. Vous avez évoqué divers instruments. Oui, la politique des filières doit être poursuivie. Nous avons engagé le travail de solidarité de filière, les grandes entreprises travaillent avec les petites, les laboratoires privés avec leurs homologues publics, les collectivités locales mettent la main à la pâte. Les médiateurs interviennent lorsque les relations sont difficiles. Et puis il y a la BPI pour financer cette solidarité ; les fonds filières se multiplient.

L'État joue son rôle de leader technologique. Le nucléaire embauchera 110 000 personnes d'ici 2020, l'aéronautique a créé 13 000 emplois l'année dernière. J'ai demandé à la filière automobile où elle en était sur le moteur 2 litres et le moteur zéro émission.

Les grands programmes de développement industriel seront systématisés. Ainsi en est-il pour la filière ferroviaire. En contrepartie de la commande publique, 4 à 5 milliards sur le quinquennat, nous avons fixé à la filière l'objectif d'un TGV du futur pour 2018, qui consomme moins et qui emporte 300 passagers de plus par rame.

Mme Archimbaud a évoqué la transition écologique. Le sujet est important ; selon Nicolas Hulot, il faut choisir entre des différents impossibles. Nous travaillons avec les différents acteurs sur des orientations stratégiques partagées, le photovoltaïque, l'éolien, le stockage de l'énergie...

Beaucoup de remarques se sont concentrées sur les outils. Que faire du grand emprunt ? J'ai évoqué le travail sur les filières, un grand programme de renouveau industriel sera prêt en juillet. 28 milliards ont été engagés au titre des investissements d'avenir, il en reste un peu ; le Premier ministre a arbitré pour un redéploiement vers l'industrie et l'innovation. Le CIR, mesure d'unité nationale, a été inventé par M. Jean-Pierre Chevènement, amplifié par M. Sarkozy et sanctuarisé par François Hollande. (Exclamations à droite)

Le CICE sera un outil à l'usage des partenaires sociaux dans les entreprises, un outil de dialogue social. Les accords du 11 janvier montrent comment ils peuvent s'en emparer pour sauver des emplois. Les salariés font des efforts, les employeurs et les actionnaires aussi, l'équilibre des concessions est un progrès. La préservation de l'emploi est une priorité.

20 milliards sont sur la table au titre du CICE ; c'est un effort historique, toute la nation doit se mobiliser. Le Premier ministre a arbitré en faveur de la stabilité fiscale dans cinq domaines : c'est la première fois qu'un gouvernement s'engage ainsi sur cinq ans.

Je rappelle au passage que nous ne sommes au pouvoir que depuis huit mois : M. de Montesquiou attaque non la gauche mais la France quand il s'en prend à l'administration. (Exclamation à droite) La bureaucratie inutile ne date pas d'hier. Des gouvernements qu'il soutenait ont été au pouvoir pendant dix ans et n'ont rien fait ! (Exclamations à droite) J'ai ainsi découvert dans mon ministère une commission de la paperasse qui n'a rien fait non plus !

Nous allons nous attaquer aux normes. (Exclamations à droite) Le Conseil national de l'industrie est un outil pour rassembler l'ensemble des forces de production. Il s'exprimera sur l'euro trop fort, il mènera le débat avec le Parlement sur les questions industrielles. Nous avons là un mini parlement de l'industrie.

Vous avez été nombreux à évoquer la politique européenne. Les États qui ont résisté dans la crise sont ceux qui ont été les plus unis. C'est pourquoi mon travail consiste à rassembler les Français autour du made in France, qui progresse dans les têtes : 77 % des Français sont prêts à payer plus cher un produit fabriqué en France. Quant aux producteurs, certains refont leurs calculs... Les salaires comme le prix de l'énergie sont en train de monter dans les pays émergents, les coûts de la logistique augmentent. Smoby, Atoll, Rossignol relocalisent, beaucoup d'autres y songent.

Cet engouement est un phénomène de société, nous devons prendre appui sur lui. La mobilisation passe par le financement de l'innovation, par l'hommage que la société peut accorder à ceux qui prennent des risques, par l'attention portée au design, par le mentorat, par une politique à destination des PME. Tout cela ne peut se faire sans données macro-économiques plus favorables ni réorientation de la politique européenne.

La bataille a commencé dès juin pour cette réorientation vers la croissance. Pour ce qui me concerne, le travail a commencé il y a plusieurs mois. La réciprocité est indispensable : nous devons pouvoir nous prémunir contre l'arme monétaire et le dumping social ou environnemental. Nous avons créé Reach, les normes CO2, mais il faut mettre à parité les règles du jeu mondial. L'arbitrage n'est pas entre la France et l'Allemagne mais entre l'Europe et le reste du monde. Il faut imposer la taxe carbone aux frontières, je l'ai dit à Bruxelles, pour que la compétition soit équilibrée. Même chose sur le plan social. Nous devons nous défendre. Les polémiques ne manquent pas avec la Commission, mais elle a déjà pris des mesures contre les importations de porcelaine chinoise, évoquées par le sénateur de la Vienne. Même chose pour les aciers spéciaux ou le photovoltaïque. L'Union européenne commence à se réveiller. Est-ce suffisant ? Certes non ! Les règles du jeu mondial doivent encore évoluer.

La France et l'Allemagne veulent un assouplissement des règles tatillonnes sur les aides d'État. Aujourd'hui, les pays émergents investissent des milliards dans les nouvelles technologies, mais les Européens s'interdisent tout investissement étatique. A nous de nous défendre, de favoriser la recherche, l'innovation. Le commissaire européen s'est fixé pour objectif que l'industrie représente 20 % du PIB européen d'ici 2020 ; l'ambition est considérable et suppose que les politiques de l'Union européenne soient révisées à cette aune, politique de la concurrence, politique commerciale au premier chef.

Nous avons besoin de votre soutien, dans cette période de transition d'une ère à une autre. Jules Ferry disait à Vierzon, en 1883, dans un lycée d'enseignement professionnel : « Sur le champ de bataille industriel, les nations peuvent tomber et périr. On peut être surpris par excès de confiance ou adoration de soi-même, on peut perdre en peu de temps une supériorité jusqu'alors incontestée. C'est à ce grand danger que doit parer notre enseignement professionnel. Relever l'atelier, c'est relever la patrie ! ». Tel est l'esprit dans lequel travaille le Gouvernement. La France a besoin de toutes les énergies, à vous de les lui donner. (Applaudissements à gauche)

présidence de M. Jean-Pierre Bel

Hommage à un soldat tombé au Mali

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent) Nous avons appris la mort au combat, hier matin, dans le nord du Mali, du sergent-chef Harold Vormezeele, du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi. Au nom du Sénat tout entier, je salue son courage et son engagement aux côtés des forces africaines dans le combat pour la souveraineté du Mali. Je m'associe à la douleur de sa famille et à celle de ses proches. Je vous demande d'observer une minute de silence à la mémoire de ce soldat. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence)

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer.  - Le Gouvernement s'associe à l'hommage qui vient d'être rendu à ce légionnaire. Il avait 33 ans, était père de famille. Nous compatissons à la peine de sa famille. Un hommage solennel lui sera rendu lundi par le ministre de la défense aux Invalides.

Débat sur la situation à Mayotte

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation à Mayotte.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Nous sommes réunis à la demande de la commission des lois pour parler de Mayotte, à la suite de la mission que nous avons menée sur place avec MM. Cointat et Desplan.

Nous savons, monsieur le ministre, que vous êtes attentifs à la situation de ce 101e département français, cher à notre coeur et que nous avons accueilli parce que les habitants de Mayotte l'ont souhaité.

Mayotte est un département à part entière. Des dispositions qui existent partout ailleurs doivent pouvoir s'y appliquer. Le conseil général de Mayotte est pratiquement le seul à avoir aussi peu de dépenses sociales, alors qu'à l'évidence, beaucoup est à faire. M. Mohamed Soilihi, qui a fondé une association en faveur des jeunes, le dira mieux que moi.

La scolarité à Mayotte doit être la même qu'ailleurs. Les enfants y sont scolarisés par moitié le matin et par moitié l'après-midi par manque de locaux. Les instances judiciaires de Mayotte dépendent de celles de la Réunion, ce qui ne manque pas de créer des problèmes aux magistrats, aux personnels de la justice et aux justiciables. Nous savons qu'il existe 3 000 mineurs isolés, privés de repères et de soutien. Oui, beaucoup est à faire.

Une question est primordiale : l'immigration. Nous sommes allés sur place, nous avons reçu M. Christnacht et étudié son rapport. Nous ne pouvons accepter que la situation actuelle perdure, elle est insupportable pour les jeunes en cause mais aussi pour les Mahorais. Tout le monde connaît la situation : il y a 90 000 étrangers en situation souvent irrégulière à Mayotte. Chaque année, il y a 25 000 reconduits à la frontière. Beaucoup de personnes qui habitent aux Comores veulent venir à Mayotte. De petits bateaux surchargés, dirigés souvent par des mineurs, partent des Comores et arrivent tant bien que mal à Mayotte. La douane et la police essaient d'endiguer le phénomène, les naufrages sont nombreux.

Plus de mille morts en vingt ans, sans doute davantage...

Ces personnes ne sont pas toutes interceptées ; celles qui le sont se retrouvent dans un centre de rétention qui compte deux pièces : l'une pour les femmes et les enfants, l'autre pour les hommes. Au milieu, le personnel du centre de rétention. Jean-Marie Delarue, Dominique Baudis ont évoqué ce problème et le centre de rétention fera l'objet de travaux. C'est positif, comme la rénovation de la prison.

Ensuite, les personnes interceptées sont reconduites à la frontière : 25 000 retours par an. Puis elles tentent à nouveau de rentrer à Mayotte. Cela coûte entre 50 et 70 millions d'euros par an à la France. Nous proposons, par humanité, d'utiliser autrement ces crédits. Nous plaidons pour une coopération avec les Comores. C'est difficile quand les Comores refusent de reconnaître Mayotte comme un département français. Mais l'Histoire montre que de tels désaccords peuvent être surmontés. Nous préconisons une coopération policière et douanière avec les Comores pour lutter contre les passeurs, pour limiter le nombre de morts. Investissons cet argent pour le développement de Mayotte et des Comores, pour les hôpitaux et les écoles. Il y a mieux à faire que de dépenser en vain cet argent.

Il faut revoir le visa Balladur : rien ne sert d'avoir un aussi beau papier quand il n'empêche en rien l'immigration clandestine. Agissons ensemble pour le développement de Mayotte. (Applaudissements)

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois .  - L'île Hippocampe se dresse avec fierté dans les eaux bleues de son lagon et porte les couleurs de la France. Mayotte n'a pas été conquise, elle a choisi la France pour la protéger contre les exactions de ses voisins. Le 13 juin 1843, le commandant Passot, premier gouverneur de Mayotte, déclarait, lors de sa prise de fonction : « Louis-Philippe 1er, roi des Français, a bien voulu accepter l'offre que vous lui avez faite de la cession en toute propriété de la souveraineté de l'île Mayotte et son représentant à Bourbon m'a envoyé vers vous pour vous commander et vous protéger contre vos ennemis ». C'est ainsi que Mayotte devint française une cinquantaine d'années avant le reste de l'archipel des Comores. Lorsque celles-ci passèrent sous pavillon français, le territoire ainsi formé prit le nom de « Mayotte et dépendances ».

Depuis deux siècles, les relations entre Mayotte et les autres îles de l'archipel des Comores sont difficiles, voire conflictuelles. C'est « Je t'aime, moi non plus ». Si le niveau de vie à Mayotte est dix fois inférieur à celui de la métropole, il est dix fois supérieur à celui des Comores. Elle a, dans l'archipel, des relents d'Eldorado. En dépit de ses difficultés économiques, sociales et financières, ses infrastructures ne peuvent pas faire face à un tel afflux d'immigrés.

Les Mahorais ont dû accepter beaucoup de changements pour devenir un département français : adopter un état civil, renoncer à la justice musulmane, établir un cadastre, etc.

Le niveau d'immigration clandestine a dépassé le seuil d'alerte. Les jeunes en déshérence sont des bombes à retardement s'ils ne sont pas pris en charge. Les enfants sont si nombreux qu'il faut une école du matin et une école du soir. C'est la « chaise chaude » au sens où l'on parlait de « lit chaud » au XIXe siècle.

Rien n'a empêché l'invasion de Mayotte par ses voisins. On peut se fermer les yeux et conserver sa bonne conscience, ou les ouvrir pour agir. Le visa Balladur était une belle chose mais il n'empêche en rien l'immigration clandestine. Rien de solide ne peut se faire sans une coopération active avec les Comores. Il faut rétablir la confiance pour parvenir à un accord gagnant-gagnant. La France doit avoir un geste fort et habile pour que les Comoriens ne perdent pas la face.

Le rapport du Sénat propose des pistes. Mayotte ne prendra son essor que dans un archipel apaisé. Alors, l'Hippocampe s'élèvera au-dessus du lagon, deviendra Pégase et sera, comme lui, en mesure de vaincre les chimères ! (Applaudissements)

M. Félix Desplan, rapporteur de la commission des lois .  - La jeunesse de Mayotte est un défi mais aussi un espoir : plus d'un habitant sur deux y a moins de 20 ans. Une femme a, en moyenne, cinq enfants. J'y ajoute une forte présence clandestine de mineurs étrangers. Les besoins de scolarisation et de formation sont donc considérables. Il faut ouvrir une classe par semaine, accueillir les élèves par rotation. Les livres, les cahiers, les enseignants manquent. Les Mahorais sont, pour la plupart, non francophones. Les enfants étrangers, qui représentent 70 % du public scolaire, ont un niveau très faible, une hygiène déplorable et beaucoup sont sévèrement dénutris. Les enseignants sont presque tous métropolitains, avec une rotation très rapide. Le tissu économique fait obstacle au développement des CAP : les stages ne se trouvent qu'en métropole. Les bacheliers peinent à continuer leurs études hors du territoire.

Des progrès ont été réalisés : l'ensemble d'une classe d'âge est scolarisée en premier degré, de plus en plus d'enfants ont accès au second degré. La formation jusqu'à bac + 2 est assurée, de nombreux emplois d'avenir professeurs ont été accordés. Le statut de volontaire des armées offre aussi une possibilité de nouveau départ dans la vie : 400 jeunes seront concernés en 2013. Mais ce sont 4500 jeunes qui arrivent sur le marché de l'emploi chaque année et leur employabilité reste problématique, ils quittent souvent rapidement l'entreprise.

La création de 600 classes supplémentaires ne pourra se faire sans aide de l'État. De nouvelles classes ont-elles été ouvertes ? Les aides pourront-elles être prolongées au delà de 2013 ? Seul le quart de la dotation aurait été utilisé.

Ne faudrait-il pas que notre système éducatif s'adapte aux particularités mahoraises ? Instaurer des cours de soutien en français et en mathématiques, développer des internats, créer des classes de transition entre le secondaire et le supérieur, former les enseignants du primaire. La langue et la culture françaises sont bien éloignées du quotidien des Mahorais ; or elles sont indispensables pour étudier.

L'immigration clandestine déstructure et fragilise l'île. Les familles comoriennes veulent faire accéder leurs enfants aux soins et à l'éducation mais il n'existe pas, à Mayotte, de foyer de l'enfance : ces jeunes sont livrés à eux-mêmes, mendient, volent, souvent en bande organisée. On en revient toujours à une question de moyens...

Au 1er juin 2014, Mayotte entrera dans la fiscalité de droit commun. Quelles recettes fiscales pour le département, dont le cadastre n'est pas encore établi ? Les collectivités ne pourront assumer toutes leurs charges. Les dépenses sociales ne représentent que 3 % du budget du conseil général, contre 40 à 70 % en métropole. D'où nos propositions en matière de fiscalité de droit commun, avec une dotation spécifique. Où en est la préparation de ce basculement fiscal ? Les attentes des Mahorais sont fortes : ils ont placé leurs espoirs de vie meilleure dans la départementalisation. L'État doit être à leur côté. (Applaudissements)

M. Jean-Marie Bockel .  - Entre Mayotte et la métropole, c'est une histoire d'amour. Sans l'aide de la France, Mayotte ressemblerait aujourd'hui aux Comores. Le processus de départementalisation doit être poursuivi. Malgré cette marche en avant, la situation de l'île reste préoccupante.

Mayotte a connu des évolutions profondes : statut civil, droit commun, nouvelle organisation judiciaire sont autant de révolutions qu'il a fallu mener. La vie chère, dans une économie principalement agricole, demeure un problème. La tension sociale, alimentée par l'essor démographique spectaculaire, s'accompagne d'un fort taux de chômage. Le RSA est difficilement finançable, l'immigration clandestine explose. La situation tragique des enfants isolés a été évoquée.

Mayotte doit devenir une région ultrapériphérique de l'Union européenne pour accéder aux aides européennes, notamment au fonds européen d'aides structurelles : ce statut doit être effectif dès 2014. Il faudra y veiller, dans un contexte budgétaire tendu.

Les monopoles de fait font augmenter les prix ; il faut lutter contre la vie chère.

Le tribunal de première instance de Mayotte, créé en 2011, oeuvre à l'homogénéisation du droit. Il faut former les officiers d'état civil, les surveillants pénitentiaires. La disparition de la justice traditionnelle doit être saluée.

Le développement des échanges et la coopération avec les Comores sont indispensables, mais c'est une tâche de longue haleine. Comment s'atteler aux problèmes de court terme ? La solution ne peut être de se priver de tout moyen d'action : le dispositif de rétention et de reconduite à la frontière conserve un effet dissuasif qu'il ne faut pas perdre.

Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que les Mahorais bénéficient de l'ensemble des droits garantis par la Constitution. Cela suppose un effort d'accompagnement car l'outre-mer demeure un atout pour la France. (Applaudissements)

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

M. Yvon Collin .  - En 1976, nos compatriotes mahorais réaffirmaient à 98 % leur attachement à la France : leur slogan était « rester français pour être libres ». Pourtant, trente-cinq ans plus tard, ces difficultés structurelles n'ont pas été réglées. La société mahoraise est confrontée à des défis majeurs, à commencer par une pression démographique qui nourrit les tensions sociales.

L'idée d'accoucher sur le sol français, l'emploi et l'éducation motivent l'immigration. Mayotte est le premier département français en termes de reconduite à la frontière. Les conditions de rétention sont indignes, la surpopulation y est chronique.

Face à cette situation dramatique, plusieurs solutions sont avancées. Nous y souscrivons, en souhaitant le maintien d'un système de visa même si le visa Balladur est dépassé. Il faudra une volonté politique sans faille face à la pression migratoire. Comment absorder une augmentation de la population d'un tiers en cinq ans ? Les pouvoirs publics peinent à répondre aux exigences de scolarisation... Le taux de natalité se stabilise, autour de cinq à six enfants par femme. L'ordonnance du 3 juin 2010 consacre la primauté du droit commun français.

La départementalisation de Mayotte ouvrira-t-elle une nouvelle page dans le développement de l'île ? Espérons-le, mais les changements de statut outre-mer n'ont jamais été la panacée. Le statut n'est qu'une boîte à outils, à utiliser avec audace et rigueur. A l'État de favoriser le développement endogène. Or la croissance du PIB s'explique par le poids des administrations publiques... La consommation est le premier moteur de l'économie.

La hausse de la précarité est inacceptable ; la transition d'une économie agricole vers une économie de services laisse trop de monde sur le carreau. Il faudra toute la solidarité nationale pour aider Mayotte à relever ses défis et progresser vers une société meilleure. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - À 8 000 kilomètres d'ici, coincé entre l'Afrique et Madagascar, se trouve un petit morceau de France, l'un des plus grands défis de notre République. Le 29 mars 2009, les Mahorais se sont prononcés à 95,2 % pour la départementalisation, qui devait sortir Mayotte du régime d'exception et la faire entrer dans le droit commun. Le chemin de l'égalité avec la métropole est encore bien long et les Mahorais invoquent avec raison l'article premier de la Constitution.

Nos collègues Sueur, Cointat et Desplan se sont rendus à Mayotte, constatant l'urgence à agir. Je m'attacherai à la question de l'immigration et du respect des droits et de la dignité des personnes immigrées. En effet, c'est un régime d'exception qui est en vigueur à Mayotte : celui de l'ordonnance du 26 avril 2000. Les étrangers sont éloignés dans des délais très courts, sans possibilité de recours suspensif. Un cas similaire en Guyane a conduit la Cour européenne des droits de l'homme à condamner la France.

Les centres de rétention administrative ne sauraient accueillir tous les étrangers en situation irrégulière sans une telle procédure dérogatoire, diront certains. L'enfermement est-il la solution ? Je ne le crois pas. Mme Taubira affirme que l'outre-mer ne saurait faire l'objet de dérogations restrictives de liberté. Au contraire, c'est une politique de coopération accrue avec les Comores qui soulagera la pression migratoire. Des accords bilatéraux sont indispensables entre nos deux pays dans le domaine de l'immigration.

Mayotte est une bombe à retardement sanitaire, dit Médecin du monde : 7 % de malnutrition infantile ! Il n'est plus possible de fermer les yeux sur cette situation. Lutter contre la vie chère, augmenter le RSA mahorais, construire 600 classes supplémentaires, apporter des garanties au droit d'asile, renforcer la sécurité publique : autant de défis à relever, de mesures à prendre.

« Sommes-nous des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? » demandait Aimée Césaire. Les Mahorais, enfants mal-aimés de la Nation, pourraient se poser la même question. Il n'est plus temps d'attendre. (Applaudissements)

Mme Éliane Assassi .  - Notre séance fait suite au rapport d'information de la commission des lois, qui émet plusieurs propositions méritant un débat plus approfondi. Le référendum de 2009 avait fait l'objet de commentaires mitigés ; mon groupe avait émis un avis défavorable à l'époque en raison du mépris affiché envers les Comores. Nos mises en garde d'hier ont hélas été vérifiées. Avec la départementalisation, on a fait espérer aux Mahorais une amélioration rapide de leurs conditions de vie ; ces espoirs ont été déçus et Mayotte a connu, en septembre et octobre 2011, 45 jours de manifestations violentes contre la vie chère. La départementalisation s'est en effet faite au rabais, avec des prestations sociales très inférieures à ce qu'elles sont en métropole. Même si le RSA mahorais a été revalorisé de 55 % en 2013, il n'est que de 181,22 euros pour une personne seule. Mayotte serait déstabilisée si on lui appliquait un RSA à 100 %, entend-on...

Les autres outre-mer concentrent l'essentiel des subventions, ce qui renforce un sentiment de discrimination. La départementalisation a consacré le morcellement de l'archipel des Comores alors que ce sont les mêmes familles qui peuplent les quatre îles. Chaque année, des milliers de Comoriens tentent de rejoindre Mayotte, au péril de leur vie, dans les kwassa-kwassa. Les informations funèbres se succèdent... Le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies a chiffré à 109 en un mois le nombre de victimes de naufrages...

Ces naufrages rappellent les risques encourus par des personnes désespérées. En 2012, 1 200 demandes d'asile ont été déposées, dont 90 % originaires des Comores.

M. Sueur a raison de dire que nous devons avoir le courage de coopérer avec les Comores, notamment pour les aider à se doter de maternités.

Dans l'immédiat, améliorons les conditions de rétention pour mettre un terme aux conditions actuelles, qui sont indignes.

Il ne peut y avoir de dérogation à l'État de droit sous couvert d'adaptation à la situation locale : mettez fin aux situations d'exception à Mayotte, monsieur le ministre. (Applaudissements à gauche)

M. Abdourahamane Soilihi .  - La nouvelle législature s'est ouverte sur une session extraordinaire avec le projet de loi sur la vie chère outre-mer, qualifié par le ministre de boîte à outils. Pourtant, Mayotte souffre toujours de la vie chère. Le combat doit donc se poursuivre.

La loi créant les contrats d'avenir a été adoptée récemment, ainsi que la loi créant les contrats de génération, pas encore promulguée. Comment seront-elles appliquées à Mayotte ? Les emplois d'avenir orientent les jeunes vers les administrations, mais la situation financière de celles-ci est fragile.

J'approuve les propositions de M. Sueur, qui insistent sur un programme de formation pour les élus et les fonctionnaires pour faire face aux grands bouleversements institutionnels.

Les collectivités restent mal dotées et mal accompagnées administrativement. A l'heure où la crise fait rage, ce département doit poursuivre sa modernisation institutionnelle. Le calendrier de la départementalisation a été approuvé par la population et par ses élus. Cette départementalisation est voulue et porte les valeurs de la République. Mais pour que cela devienne une réalité, il faut écrire une nouvelle page de l'histoire de l'île.

Les jeunes devront être des porteurs de projets de développement pour les trente ans à venir; des partenaires sérieux avec les pays riverains par une coopération décentralisée, dans un système gagnant-gagnant pour affronter la mondialisation. La départementalisation reste à construire pour qu'elle assure une vie meilleure à tous et l'égalité des chances.

Le président de la commission des lois avait dit, en juillet 2012, que la départementalisation se réalisait dans des conditions difficiles. La solidarité nationale est plus que jamais nécessaire. C'est avec la jeunesse que doit se construire la nouvelle société mahoraise. Il manque des classes , des écoles sont délabrées. C'est la mission régalienne de l'État, il doit agir en urgence ; un peuple qui ne se soucie pas de sa jeunesse est un peuple qui se suicide. Avec 510 habitants au kilomètre carré, Mayotte est le département le plus dense après l'Ile-de-France.

La loi du 7 décembre 2010 prévoit l'entrée en vigueur d'un nouveau régime fiscal afin de gagner la bataille économique du nouveau département. En l'absence de visibilité sur la mise en oeuvre des mesures, je ne crois pas que la fiscalité locale sera effective en 2014.

Les fonds européens doivent parvenir jusqu'à Mayotte : il faut assurer la formation de tous ceux qui auront à les gérer.

Lors de votre audition, en juin dernier, monsieur le ministre, vous avez détaillé le programme d'action de votre ministère. Vous voulez associer les élus à la politique de votre ministère et vous avez annoncé que des référents outre-mer seraient affectés dans chaque ministère. C'est bien mais le jeune département est à la marge de ces mesures. On demande à Mayotte d'exercer ses compétences sans accompagnement. L'acte III de la décentralisation devra tenir compte de cette situation. Pensons à de nouvelles méthodes de travail.

J'en viens à la lutte contre l'immigration clandestine : le combat est engagé mais il est loin d'être gagné. Que de morts inutiles dans ce bras de mer ! Un dialogue sérieux doit être engagé entre la France et les Comores. Je forme le voeu d'un partenariat sérieux et d'une coopération avec les voisins de Mayotte pour faire face à la mondialisation.

Le logement augmente moins vite que la population à Mayotte, a constaté l'Insee. Il n'y a pas de politique claire en la matière. Je revendique que le droit commun s'applique à Mayotte. (Applaudissements à droite et sur le banc de la commission)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Dès le lendemain de mon élection, j'ai adressé à Jean-Pierre Bel un courrier pour qu'une délégation du Sénat puisse se rendre à Mayotte. L'île était alors en proie à un mouvement de grève sans précédent. A la demande de son président, la commission des lois a décidé l'envoi d'une mission qui a rendu un rapport de grande qualité.

Depuis quelques mois, le regard sur Mayotte change, ce débat en témoigne.

Je remercie M. Sueur et tous les orateurs et je salue mon groupe pour sa solidarité : il n'a pas laissé entre mes seules mains la patate chaude de Mayotte.

Après les rapports, le temps de l'action est venu. A Mayotte, tous les secteurs sont prioritaires, tant la situation est inextricable.

Mayotte est un tout jeune département. Son accession à ce statut n'a pas été accompagnée de moyens suffisants. Beaucoup reste à faire pour que ce statut ne se résume pas à une coquille vide. Une fiscalité propre en janvier 2014 ? Le cadastre devra être fiable ; or le chantier est loin d'être bouclé. La fiscalité locale est souhaitable mais le revenu moyen à Mayotte est inférieur à 1 000 euros par mois...

Onze communes sur dix-sept sont sous la tutelle de la chambre régionale des comptes. Une compensation budgétaire sera nécessaire : de quel montant ?

Pour la mise en place de la fiscalité, ne pourrait-on prévoir des dispositions spécifiques, comme cela avait été fait pour l'état civil en insistant sur l'information du public?

Mme Lebranchu précisera les modalités de la fiscalité propre, j'espère, lors de sa venue à Mayotte.

L'immigration clandestine massive est un fléau à Mayotte. Cette pression migratoire insensée affecte toute la société mahoraise ; les reconduites coûtent 50 à 70 millions. Les immigrés comorais tentent sans cesse leur chance, au péril de leur vie. Sept femmes sur dix qui accouchent à Mayotte sont étrangères ; beaucoup choisissent d'abandonner leurs enfants, croyant leur offrir une vie meilleure, alors qu'ils les condamnent à une vie d'errance, de délinquance et de prostitution. Il nous revient d'accueillir ces enfants alors que nous n'en avons pas les moyens. L'éducation nationale ne peut plus suivre : 73 % des jeunes connaissent de grandes difficultés pour la lecture et l'écriture.

Le défenseur des droits a demandé un rapport sur les mineurs isolés, qui devrait être rendu public début mars. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ?

Le secteur de la santé est également affecté par cette pression migratoire : avec 8 000 accouchements par an, dont 70 % de femmes en situation irrégulière, la maternité de Mamoudzou est la première de France. Cette charge sanitaire est bien lourde. Malgré le dévouement des personnels médicaux, la population souffre de cette situation qui nourrit le ressentiment envers les étrangers. Des mères de familles, excédées, sont ainsi allées retirer des enfants étrangers des écoles.

Ce problème doit être réglé dans sa globalité, condition indispensable à un réel développement.

Le conseiller d'État Christnacht a formulé des propositions pour régler le problème de l'immigration, qui vont dans le bon sens, dont la coopération avec l'Union des Comores. Mais il ne peut être question de revenir sur le choix des Mahorais, qui se sont exprimés massivement à trois reprises. Un échéancier a-t-il été arrêté pour la mise en oeuvre de ses propositions ?

Autre problème : le logement. Selon l'Insee, le nombre de logements augmente moins vite que la population. Le taux retenu pour l'aide au logement social est trop bas. Ce tableau sombre n'empêche pas d'espérer un avenir lumineux. Le lagon de Mayotte est l'un des plus beaux du monde. Pourtant, le tourisme demeure modeste, les hôtels manquent, le prix du billet d'avion est dissuasif. L'État devrait favoriser ce secteur. Il conviendrait aussi de sensibiliser les jeunes à la préservation de cet environnement fragile. Les énergies renouvelables sont peu coûteuses. Le photovoltaïque pourrait être utilement développé, l'aquaculture en est à ses débuts ; elle doit être développée.

Certes, il faudrait des investissements importants, mais ils sont indispensables pour engager le processus de rattrapage. Le Gouvernement agit pour donner aux Mahorais tous leurs droits. Des mesures prises en concertation pour répondre aux défis seront plus efficaces. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Serge Larcher .  - Un mot pour me réjouir de ce débat et remercier nos trois rapporteurs.

Le rapport de la commission des lois est précieux pour mesurer le chemin parcouru et évaluer les défis à relever.

Les Mahorais ont montré une belle constance pour demeurer français, depuis 1976 jusqu'à 2011, avec la départementalisation.

Le processus de départementalisation a duré une dizaine d'années. Il a fallu modifier le droit de la famille, l'état civil, le rôle des cadis pour absorber le choix du passage d'une économie traditionnelle à une économie moderne, consumériste.

Mayotte est confrontée aux réalités de la vie chère et des mouvements sociaux. Le déferlement de violence qui s'est produit en 2011 était inédit. Avec la départementalisation, les Mahorais croyaient obtenir immédiatement l'égalité sociale. Il n'en fut rien, d'où une déception certaine.

En 1986, le projet de loi de programmation pour le développement des DOM prévoyait, en son article premier, que « l'effort de la Nation en faveur des DOM tend à la réalisation, en cinq ans, de la parité globale avec la métropole ». Aimé Césaire disait alors : « Il y a des mots qui ne supportent pas une quelconque épithète, comme le mot égalité : l'égalité est ou n'est pas ». Je vous renvoie au compte rendu publié ce jour du colloque organisé par notre Délégation : Le retard sur l'hexagone est de douze ans pour la Martinique et la Guadeloupe, dix-sept à vingt ans pour la Guyane, quarante ans pour Mayotte !

Il faut faire face au défi démographique. Le retard du système éducatif est patent, les classes manquent, les écoles existantes sont souvent dans un triste état.

Le passage à une société moderne ne doit pas se faire au détriment de la tradition, de l'identité mahoraise. Autre défi à relever : l'immigration.

M. le président.  - Il faut conclure !

M. Serge Larcher.  - Les tensions avec les Comores connaissent un certain regain. Comme l'a dit M. Mohamed Soilihi, lors d'une question d'actualité, la France doit être au rendez-vous de l'espoir qu'elle a fait naître à Mayotte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Vergoz .  - Mayotte est un nouveau département confronté à de lourds défis, selon le titre du rapport de la commission.

L'attractivité de Mayotte, bien réelle, va se renforcer avec l'accession au statut de département et de région ultrapériphérique. Je me sens doublement concerné par la question de Mayotte : à trois heures de vol de La Réunion, partageant un même océan, nous sommes liés par une communauté de destin. Nos problématiques se recoupent et se tiennent.

Il y a une communauté mahoraise à La Réunion et Mayotte accueille de plus de plus de Réunionnais qui s'y installent. Nous devons donc travailler ensemble.

Je me félicite que Mayotte ait voulu s'intégrer à la France. La départementalisation est un fait mais elle reste à réaliser au quotidien ; c'est une longue marche que La Réunion a entamée en 1946.

Il faut prioriser les priorités. Parmi tous les défis qui se posent, l'immigration massive illégale est la première urgence à régler car elle retentit sur tout le reste. Elle risque de balayer toutes les avancées attendues. Aucune institution locale ne peut y faire face seule. La responsabilité nationale doit jouer. Les mesures prises jusqu'à présent se sont révélées inefficaces, même si Mayotte représente 50 % des reconduites à la frontière... Que dire des tragédies en mer ? Il est à craindre que nous ne devenions des spectateurs passifs devant ces catastrophes à répétition.

Une autre politique migratoire est nécessaire. C'est un enjeu pour Mayotte, pour La Réunion, mais aussi pour l'hexagone, dont on sait l'opinion sensible à la question de l'immigration. Cette politique doit être traitée avec la représentation nationale mahoraise.

Refusons l'hypocrisie avant que les incompréhensions ne prospèrent. Une autre politique de l'immigration est nécessaire, mais elle ne peut se mettre en place si la France n'instaure pas un dialogue respectueux avec l'Union des Comores. La France consacre 20 millions d'euros à la coopération avec ce pays, contre 50 à 70 millions pour les reconduites à la frontière... Les autorités comoraises ont refusé le retour sur leur sol, en février/mars 2011 de 10 000 personnes arrêtées à Mayotte, qu'il a fallu relâcher.

La Commission de l'océan indien (COI) doit jouer un rôle primordial dans le co-développement. Cette COI est un outil précieux, mais pas assez utilisé.

En février 2011, un fonctionnaire de l'État, vice-recteur, déclarait que le rythme de constructions scolaires ne pourrait jamais suivre celui des utérus des mahoraises. Il récidivait en mai en disant que les jeunes mahorais avaient un problème d'accent qu'il leur fallait gommer pour espérer trouver un emploi. Il a fallu attendre août 2012 pour que ce fonctionnaire soit muté. Le Gouvernement facilitera la tâche de Mayotte en nommant des fonctionnaires exemplaires, respectueux des outre-mer, à défaut de les aimer ! Je sais qu'ils sont nombreux, il suffit de bien les choisir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer .  - Le Gouvernement est heureux de l'intérêt que porte la Haute Assemblée à Mayotte, après la mission sénatoriale conduite par MM. Sueur, Cointat et Desplan. Vos préoccupations rejoignent celles du Gouvernement et du président de la République à l'égard de ce 101e département français. Le chef de l'État s'est rendu à deux reprises à Mayotte. Il connait la situation de l'île, où il s'est rendu deux fois avant son élection, il a pris des engagements fermes pendant la campagne, qui constituent la feuille de route du Gouvernement. Moi-même, je me suis rendu deux fois à Mayotte et j'y ai fait mon premier déplacement officiel. Je connais les élus mahorais, leurs attentes et celles des forces vives de l'île. La départementalisation doit être atteignable à un horizon relativement proche pour ne pas susciter frustrations ni déceptions.

Vous avez rappelé les réalités en matière scolaire et migratoire. La République doit entendre cette exigence d'égalité, au regard de la révolution culturelle que les Mahorais ont accompli avec la départementalisation.

Il faut poursuivre ce processus tout en apportant des réponses urgentes et concrètes à la situation des territoires. Ce n'est pas prôner des solutions dilatoires que de dire qu'il ne faut pas bousculer les équilibres fondamentaux de la société mahoraise. La tâche est ardue, d'autant que les collectivités locales connaissent, malgré leurs efforts, des difficultés financières considérables.

Le Gouvernement a choisi de relever courageusement ce défi car la République est une promesse qui engage tous ceux qui croient à ses valeurs.

L'effort budgétaire pour Mayotte est important : la loi de finances initiale pour 2013 consacre 738 millions d'euros, en hausse de 23 millions sur 2012. Ce n'est pas rien. Mayotte accèdera au statut de région ultrapériphérique le 1er janvier 2014, ce qui la rendra éligible aux fonds structurels en matière de coopération transfrontalière -15 millions sur la période 2014-2020. La « rupéisation » a été prise en compte dans les nouvelles perspectives financières de l'Union ; en fonction du rythme de consommation des enveloppes, l'aide pourra être réévaluée.

Le Smic a été augmenté à deux reprises, en juillet 2012 puis au 1er janvier 2013 : il est désormais de 1 073 euros net par mois, contre 1 120 dans l'hexagone. Le rattrapage se poursuit. L'allocation de rentrée scolaire a été revalorisée à la rentrée 2012, avec un objectif de parité complète en 2015. La prestation spécifique de restauration scolaire a été alignée sur le montant unitaire en vigueur dans les DOM. Le RSA, mis en oeuvre au 1er janvier 2012, représentait 25 % du RSA national, soit 119 euros. Le précédent gouvernement avait prévu l'alignement sur vingt cinq ans ; nous le ferons sur la durée de la législature. Il sera revalorisé à 50 % du niveau national fin 2013, a annoncé le Premier ministre. Le RSA mahorais est aujourd'hui de 181,22 euros par mois.

Nous poursuivons l'adaptation des lois et règlements pour appliquer partout le droit commun. Pêle-mêle, je citerai la lutte contre la vie chère ou les allocations logement. La loi de régulation économique outre-mer s'applique à Mayotte. Le bouclier qualité-prix a institué une négociation annuelle sur le prix global d'un panier de produits de grande consommation. La négociation est en cours. Une liste de 65 produits a été établie qui devrait s'appliquer aux commerces de plus de 120 mètres carrés, soit 31 établissements. La deuxième phase de la négociation a commencé le 15 février ; le prix global de la liste sera bientôt déterminé. Un effort de modération d'au moins 10 % est attendu. L'arrêté préfectoral qui le consacrera entrera en vigueur le 1er mars. Dès 2012, nous avons obtenu une baisse substantielle du prix de la bouteille de gaz qui est passé de 35 à 27 euros, preuve du volontarisme du Gouvernement.

Bien sûr, il reste beaucoup à faire. La maîtrise des flux migratoires est un problème majeur pour le développement économique comme pour la préservation de l'ordre public et de la cohésion sociale. Les chiffres sont connus : 40 % de la population résidant légalement à Mayotte est étrangère, dont des Comoriens installés depuis plusieurs générations ; 50 000 à 60 000 personnes y sont en situation irrégulière ; près de 22 000 reconduites à la frontière en 2012 contre une moyenne de 16 000 par an dans les années 2006 à 2008. L'État consacre à la maîtrise des flux migratoires des moyens importants : quatre radars fixes, deux vedettes de la gendarmerie nationale, une de la gendarmerie maritime, un navire de la marine nationale, un des douanes, une embarcation de la PAF, un hélicoptère de la gendarmerie nationale, un GIR chargé de lutter contre les filières d'immigration clandestines.

Malgré des améliorations, les conditions de rétention restent difficiles. Le centre de rétention administrative a été refiguré depuis votre visite, des travaux complémentaires sont prévus d'ici fin 2013 -espace pour les familles, cour de promenade, sanitaires autonomes dans chaque pièce de vie.

Le Gouvernement a relancé la construction d'un nouveau centre de rétention : les travaux commenceront dans quelques semaines. C'est un investissement de 25 millions d'euros pour l'État.

Le rapport Christnacht fait des propositions sur le sujet de l'immigration clandestine qui rejoignent celles de la mission sénatoriale. Le Gouvernement est mobilisé pour traiter la question avec fermeté mais aussi humanité.

Les relations avec les Comores s'améliorent. Le dialogue est renoué, le groupe de travail à haut niveau a été réactivé ; une séance de négociation est prévue mi-mars. Le président de l'Union des Comores effectuera une visite d'État en mai, j'espère qu'un texte commun pourra être élaboré d'ici là pour une coopération plus active. Je crois beaucoup au dialogue avec les Comores pour trouver des solutions durables ; le co-développement ne doit plus être un simple mot mais se traduire concrètement, il n'y aura pas, sinon, de progrès dans la lutte contre l'immigration clandestine. La question n'est pas tranchée mais je suis personnellement favorable au redéploiement de certains des moyens consacrés aux reconduites à la frontière vers la coopération avec les Comores. Le co-développement est indispensable, sur tous les plans : policier, judiciaire, sanitaire, économique.

Le rapport du Sénat est très pertinent et le Gouvernement s'en inspire : merci aux co-rapporteurs. Oui, cher président Sueur, il faut prendre en charge la jeunesse. Le Gouvernement a conscience de l'urgence d'une politique ferme et équilibrée en matière d'immigration mais on ne pourra avancer sans les Comores. Le ministère des affaires étrangères y travaille.

Monsieur Cointat, la solidarité s'exprime pleinement à Mayotte mais il reste beaucoup à faire. L'immigration clandestine est un frein au développement. Le débat sur le visa Balladur a été vif. Il faut maintenir un visa, en en assouplissant les conditions de délivrance tout en restant rigoureux en termes de conditions de ressources ou de titres de long séjour.

Je partage le constat sévère dressé par M. Desplan : il nous oblige tous. Les constructions scolaires ont bénéficié de dotations exceptionnelles d'investissement mais le rythme des ouvertures est encore insuffisant pour mettre fin à la rotation des classes. Une mission d'inspection évaluera sur place les besoins et fera des propositions : nous réévaluerons les dotations budgétaires après ce diagnostic. Le vice-rectorat vise à porter le taux de scolarisation des enfants de 3 ans de 67% à 95 % dès 2015. Dès la rentrée 2014, l'accueil des enfants de 2 ans sera rendu possible.

J'attends le rapport sur la situation des mineurs isolés ; je suis déterminé à prendre les décisions appropriées pour leur protection effective. Face au déficit, à l'inertie, peut-être faut-il plus généralement que l'État s'implique davantage dans l'aide sociale à l'enfance. Cela aurait un coût ; j'attends le rapport avant de me prononcer plus avant. La question n'est pas tranchée.

La transition fiscale a commencé. Le cadastre est en cours d'établissement : 40 000 des 60 000 parcelles sont enregistrées. Les recettes des communes augmenteront, celles du conseil général baisseront, il faudra les compenser. Avec la fiscalité de droit commun, les collectivités pourront mieux assumer leurs compétences. Si les Mahorais sont exonérés ou non-assujettis, l'État compensera. La date du 1er janvier 2014 sera respectée. J'ai demandé au nouveau préfet de Mayotte de créer un comité local de préparation à la transition fiscale associant les élus et les services de l'État. Installé en janvier, il se réunit tous les mois.

M. le ministre Bockel a très bien analysé les enjeux de la société mahoraise. Oui, il s'agit d'un réel défi pour la République. L'alignement sur le droit commun est en cours : c'est un travail de titan. Les obstacles sont nombreux, le Gouvernement ne les sous-évalue pas. Oui, Mayotte deviendra une région ultrapériphérique au 1er janvier 2014 ; les fonds européens seront un levier du développement. Sur la vie chère, les négociations sont en cours et j'espère une baisse d'au moins 10 % des prix des produits de grande consommation.

La maîtrise des flux migratoires préoccupe chacun d'entre nous. Le dispositif est perfectible, je suis à l'écoute de toutes les propositions. C'est vrai, monsieur Collin, l'attractivité de Mayotte est une réalité : c'est tout l'enjeu de la politique de coopération -en quelque sorte rendre Anjouan plus attractif... Nous sommes déterminés à mettre en oeuvre une politique à la hauteur des enjeux. Mayotte est un département jeune, laissons-lui le temps de s'aligner sur le droit commun ; mais elle n'attendra pas 65 ans pour l'égalité sociale...

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Ce n'était pas les mêmes enjeux à l'époque !

M. Victorin Lurel, ministre.  - Madame Benbassa, j'ai bien entendu votre appel au respect de la dignité humaine. Nous n'ignorons pas la décision de la Cour européenne des droits de l'homme : les textes devront être révisés ; une des voies -le rapport Christnacht en propose une autre- est d'appliquer le code d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte, nous y réfléchissons. Le Gouvernement s'efforce d'améliorer les conditions sanitaires face à la pression démographique. Les recours contre les décisions d'éloignement ne sont pas suspensifs du fait du caractère massif des flux migratoires ; c'est aussi le cas en Guyane, à la Guadeloupe et à la Martinique. La Cour européenne des droits de l'homme ne dit pas que le recours doit être systématiquement suspensif mais que si un référé-liberté a été déposé, l'étranger ne doit pas être éloigné avant que le juge ait statué.

Madame Assassi, je ne crois pas que le visa Balladur soit à l'origine des tragédies maritimes au large de Mayotte. Je comprends la détresse des Comoriens, mais il appartient au Gouvernement d'assurer l'équilibre social et économique du territoire. La coopération est une voie à laquelle je suis très favorable. Il n'est pas établi que le nourrisson décédé en août 2012 soit mort dans l'enceinte du centre de rétention administrative ; une enquête judiciaire est en cours.

Monsieur Soihili, il n'est pas question de dévier du cap fixé. Le Gouvernement a démontré sa mobilisation pour ce territoire. La solidarité nationale joue et continuera de jouer. Les écoles du premier degré relèvent de la compétence du syndicat intercommunal, l'État souhaite qu'il fonctionne mieux. Le calendrier de la transition fiscale est fixé, la méthode aussi. Oui, il faut davantage former les agents publics : ce travail est en cours. Nous travaillons avec le conseil général, qui connaît des difficultés, pour définir une trajectoire de redressement. Les portes de mon ministère vous restent ouvertes. Sur l'immigration, sur l'octroi de mer, sur la vie chère, nous travaillons avec les élus. Des référents outre-mer ont été nommés dans tous les ministères.

Monsieur Mohamed Soilihi, les aspirations des Mahorais à de meilleures conditions de vie sont légitimes ; le Gouvernement partage l'objectif de convergence. L'accélération est toutefois porteuse de risques pour les équilibres d'un territoire fragile : ne brusquons pas les choses. Ce travail difficile requiert l'implication de tous, à commencer par les collectivités territoriales. Je m'emploie à un dialogue constructif avec elles.

La transition fiscale donnera plus d'autonomie aux collectivités ; elle leur permettra de prendre en charge leurs nouvelles compétences. Pour le conseil général, le principe de compensation intégrale prévaudra, avec 2012 comme année de référence et une indexation dynamique.

Le Gouvernement a fixé une feuille de route à chaque ministère pour mettre en oeuvre les préconisations du rapport Christnacht. Les mineurs isolés seraient au nombre de 3 500. Je ne suis pas opposé à ce que l'État intervienne dans l'aide sociale à l'enfance, je l'ai dit, mais le conseil général doit jouer son rôle -il n'y consacre que 5 % de ses dépenses à l'heure actuelle, ce qui est trop peu.

Oui, il faut développer le tourisme et l'aquaculture. Le statut de région ultrapériphérique y aidera.

Oui, monsieur Serge Larcher, la départementalisation est un défi que nous devons collectivement relever. Prenons le temps de la réflexion, sans brûler les étapes ni ignorer la culture propre de Mayotte.

Il est urgent d'agir pour la jeunesse, de renforcer le co-développement avec les Comores. J'attends le rapport du député Letchimy sur la bonne déclinaison de l'article 349 du traité de l'Union européenne.

Monsieur Vergoz, vous avez évoqué les valeurs de la République et cité les propos inacceptables tenus par un fonctionnaire d'autorité ; le Gouvernement a pris des mesures. Je me réjouis qu'un parlementaire de La Réunion s'intéresse activement au sort de Mayotte.

Je me réjouis de l'avis unanime sur la nécessité de renforcer la coopération -ce qui n'est pas évident pour l'opinion mahoraise.

Merci à tous pour la qualité de ce débat qui fait honneur au Sénat. La République est une promesse qu'il faut tenir face à ces citoyens qui ont fait, par trois fois, le choix de la rejoindre. La feuille de route du Gouvernement, c'est le retour de l'État outre-mer et le retour des outre-mer au coeur de la République. Nous y travaillons. (Applaudissements à gauche)

Prochaine séance demain, jeudi 21 février 2013, à 10 heures.

La séance est levée à 20 h 15.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 21 février 2013

Séance publique

A 10 heures

1. Débat d'étape sur les travaux du Conseil national du débat sur la transition énergétique.

A 15 heures

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

A 16 heures 15

3. Débat sur le développement dans les relations Nord-Sud.