Débat préalable au Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013.

Orateurs inscrits

M. Thierry Repentin, ministre chargé des affaires européennes .  - Le prochain Conseil européen se tiendra les 24 et 25 octobre 2013 à Bruxelles. Il portera sur la stratégie numérique européenne et l'approfondissement de l'Union économique et monétaire - avec la mise en place d'indicateurs sociaux, à laquelle la France accorde une grande importance. La France et l'Italie ont aussi demandé l'inscription à l'ordre du jour d'un débat sur les conséquences qu'il convient de tirer du drame de Lampedusa.

Le plus dur de la crise semble derrière nous. Nous entrons dans une phase de consolidation. Le numérique s'inscrit dans notre ambition pour l'Europe et notre stratégie en faveur de la croissance et de l'emploi.

Le FMI vient de revoir ses prévisions pour 2013 et 2014, pour la France comme pour l'Europe, à la hausse. C'est la preuve que la réorientation de la construction européenne, que le soutien à la croissance par l'investissement plutôt que par une austérité sans fin ont été de bons choix. Nous devons décliner ces politiques dans chaque secteur. L'économie numérique ne dépend pas que de la demande, mais aussi de l'offre. C'est un quart de la croissance et de la création d'emplois en France. Le Conseil européen doit souligner l'urgence d'une stratégie globale européenne, fondée sur une politique industrielle à l'échelle de l'Union, sur des règles du jeu équitables entre les acteurs, sur la valorisation et la création de contenus, sur la promotion d'un environnement de confiance pour les entreprises comme pour les citoyens, qui garantira la protection des données personnelles. Tel est le sens de la contribution que la France a transmise à Bruxelles.

S'agissant de l'Union économique et monétaire, il est pertinent que d'autres critères que les seuls indicateurs financiers entrent dans la liste de ceux qui guident nos choix politiques. Grâce à la contribution franco-allemande de juin dernier, la lutte contre le chômage des jeunes est devenue une priorité européenne. Nous avons obtenu la mise en place d'un fonds de 6 milliards d'euros en faveur de l'emploi des jeunes pour 2014-2020, ainsi que l'élargissement d'Erasmus aux apprentis et aux jeunes en alternance.

Le 12 novembre se tiendra à Paris une réunion des chefs d'État et de gouvernement sur l'emploi des jeunes. La Commission a pris une initiative heureuse, qui nous donne une base de travail solide, avec un tableau de bord social construit sur cinq indicateurs - taux de chômage, éducation, formation, revenu disponible des ménages, taux des personnes à risque de pauvreté dans la population active -, première étape décisive vers une Europe plus proche de la réalité vécue par les citoyens européens. C'est un bon début, avant que d'autres indicateurs, démographiques ou de santé, soient ajoutés à cette liste, selon le modèle gradualiste de la construction européenne.

La tragédie de Lampedusa a marqué les esprits. Elle touche aux valeurs fondamentales de la construction de l'Europe.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances.  - C'est vrai.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - C'est pourquoi le président de la République a voulu inscrire ce thème à l'ordre du jour du Conseil européen. La prévention, la solidarité, la protection - surveillance au plus près des côtes des pays de départ ou lutte contre les passeurs - doivent présider à la politique européenne en la matière, car chaque État membre ne peut affronter seul ce problème.

Les trois thèmes qui seront abordés lors du Conseil sont décisifs pour bâtir l'Europe des solidarités, celle que j'ai en tête à chaque fois que je représente la France sur la scène européenne. (Applaudissements à gauche)

M. André Gattolin .  - Ce Conseil européen sera le septième depuis un an, alors que les textes n'en prévoient que deux par trimestre ; c'est dire l'importance de cette instance dans la définition des politiques européennes. Ce rythme est désormais entré dans les moeurs. La crise le justifie, ainsi que les difficultés qui ont émaillé la construction du prochain cadre pluriannuel. Mais on aurait tort de se satisfaire d'un tel mode de fonctionnement. Le Conseil, constitué par les chefs d'État et de gouvernement, est précédé de longs travaux préparatoires, tant les échanges y sont peu spontanés. On a du mal à voir en quoi les décisions prises dans un tel cadre seraient plus efficaces que celles prises par d'autres institutions, d'autant que le Conseil n'est responsable de rien devant personne. Et je ne dis rien de la prudence, voire de la paralysie qui saisit certains avant ou après des échéances électorales...

La France, isolée dans sa conception des affaires européennes, celles-ci faisant pour elle partie du domaine privé de l'exécutif, est souvent en peine de conclure des alliances durables avec ses partenaires. Incapables de se consacrer à de grands projets, les chefs d'État et de gouvernement ont tendance à se rabattre sur des considérations sectorielles ou technico-administratives - ce qui est bien commode - faute de vision au long cours.

L'ordre du jour de celui de la semaine prochaine en témoigne ; ce sont des sujets importants, mais à dominante économique et technique, sur lesquels les avancées concrètes tardent à venir. L'échec des politiques migratoires et d'asile appelle des mesures fortes, alors que les réponses ne sont pas à la hauteur de la gravité du problème. Surveillance accrue ? Accords avec les pays de départ ? Lutte contre l'immigration clandestine ? Il ne faudrait pas fermer encore davantage l'Europe sans traiter les causes, d'autant que la majorité des immigrants sont originaires de Syrie. Qu'attend la France pour revenir sur sa décision de soumettre les citoyens syriens en escale dans nos aéroports à des visas aéroportuaires ? Je n'ai toujours pas de réponse à cette question que je pose depuis le mois de juin... J'en attends une aujourd'hui.

Même absence d'informations sur l'éventuelle conclusion du traité de libre-échange avec les États-Unis. N'y a-t-il vraiment rien à en dire ?

La construction européenne est le fruit d'une géniale intuition. Il a fallu que les États européens acceptent de revenir sur leur conception traditionnelle de la frontière, de s'ouvrir, de mettre en commun. Cet esprit est-il en voie de disparition ? Alors qu'elle se referme sur elle-même, l'Europe doit retrouver sa capacité à mobiliser les sociétés qui la composent. On peut craindre qu'à cette aune les Conseils européens ne soient contre-productifs... L'intergouvernemental a trouvé ses limites, il faut trouver un nouvel équilibre institutionnel d'ordre fédéral. Espérons que les prochaines élections européennes ne contrecarreront pas ce projet. (M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, applaudit)

M. Jean Bizet .  - Si sur l'économie, la croissance ou la compétitivité, ce Conseil européen n'est qu'une étape transitionnelle, l'occasion de faire un bilan, il n'en est pas moins intéressant. Il faut consolider la stabilité financière et économique de l'Union, garante de la stabilité sociale et politique.

Les divergences semblent aller croissant entre la France et l'Allemagne. La proposition de résolution déposée en mai par l'UMP à ce sujet est toujours d'actualité, alors qu'Angela Merkel, brillamment réélue, incarne plus que jamais la continuité d'une action fondée sur le désendettement et la maîtrise des dépenses publiques comme sources de compétitivité et d'emplois. Les socialistes et les Verts allemands lui ont régulièrement apporté leur soutien, alors que vous l'avez vainement contestée. Monsieur le ministre, le projet de loi de finances pour 2014 portera-t-il la marque de votre manque de détermination à cet égard ? Espérer le retour de la croissance n'a jamais fait une politique économique... De ce côté-ci du Rhin, emplois aidés, dépense publique, fiscalité alourdie, système de formation professionnelle qui se cherche depuis des années... Et de l'autre... La France ne peut pas se passer de la coopération avec l'Allemagne, pas plus que l'Europe ne peut se passer du couple franco-allemand, facteur de proposition et de dynamisme.

Jusqu'où le Gouvernement ira-t-il dans sa stratégie fiscale et de dépenses publiques ? Jusqu'où nous laissera-t-il diverger de l'Allemagne mais aussi de l'Italie et de l'Espagne, qui ont mené des politiques courageuses et douloureuses de redressement ? Choisirez-vous, encore et toujours, l'Europe des transferts et des subventions, qui n'est pas celle de la croissance ? Regagnons la confiance de l'Allemagne en menant les réformes structurelles qui feront revenir la croissance et améliorer notre compétitivité.

La réélection de la Chancelière met l'Allemagne dans une situation paradoxale : elle n'a pas intérêt à afficher toute sa puissance, au risque de crisper encore davantage ses partenaires. C'est à la France que revient l'impérieuse obligation de relancer l'Europe. Oui, à la France de commencer par assumer ses propres réformes structurelles. Le moment de saisir notre propre destin européen, c'est maintenant. Notre famille politique vous appuiera en ce sens. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes applaudit aussi)

M. Aymeri de Montesquiou .  - Après une crise très profonde, l'Europe regarde enfin vers l'avenir. L'économie numérique ouvre les portes du futur ; elle bouleverse tous les secteurs. Nous le mesurons tous, dans nos territoires, la plus petite commune pourra être reliée à tous les points du monde. Le Sénat a dressé ce constat en mars dernier, lors de l'adoption du remarquable rapport d'information de Mme Morin-Desailly sur l'Europe numérique, qui doit vous inspirer, monsieur le ministre.

L'effet à court terme sur notre économie sera ambivalent. Des activités seront détruites, des secteurs déclineront. Voyez Amazon, qui s'impose comme la première librairie du monde aux dépens des librairies traditionnelles. Bonne ou mauvaise, la théorie de Schumpeter est une réalité.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Le numérique peut et doit cependant constituer un espoir. La transition numérique doit s'appuyer sur une action européenne concertée, du raccordement des foyers à l'aménagement numérique du territoire en passant par la recherche. Je souligne les apports innovants d'Hervé Maurey et de Jean-Léonce Dupont, qui a mis en oeuvre une formule originale de financement dans le Calvados. Faisons de l'Europe un foyer mondial des technologies numériques. Aux pouvoirs publics, à l'Union européenne de mettre en place les clusters qui nous font tant défaut aujourd'hui.

L'effort en faveur du secteur marchand est indispensable. Un exemple : l'explosion des jeux en ligne ne pourra que porter tort aux buralistes, derniers remparts contre la désertification de certains territoires et l'isolement de nos concitoyens. Soutenons et formons les femmes et les hommes qui verront leurs emplois remis en cause pour leur permettre de saisir de nouvelles opportunités numériques. Ce qui implique des aménagements juridiques et institutionnels - un conseil numérique spécialisé est nécessaire.

Le numérique, c'est aussi la cyber-défense, la protection des données personnelles, la généralisation de l'action de groupe au niveau européen.

La transition numérique implique de progresser en équité, comme l'a préconisé M. Marini, dont l'initiative en faveur d'une fiscalité neutre et équitable des activités numériques doit être relayée au niveau européen, alors que l'optimisation fiscale des Gafa, les géants du numérique, freine l'essor de nouvelles industries et prive les budgets nationaux de recettes. Le Sénat ne manque pas d'idées. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, que vous les saisissiez. (Applaudissements et « Très bien ! » au centre et à droite)

M. Michel Billout .  - Si l'économie numérique, l'innovation, les services et l'Union économique et monétaire méritent toute notre attention, je me concentrerai sur la lutte contre le chômage des jeunes, déterminante pour l'avenir, priorité récente de l'Union européenne. S'agit-il d'un tournant ? Il est trop tôt pour l'affirmer. Près d'un jeune Européen sur quatre est au chômage, 42 % d'entre eux travaillent sous un contrat temporaire et 32 % sont à temps partiel. D'après le directeur du bureau français de l'OIT, la difficulté pour les jeunes est d'accéder à temps à l'entreprise après avoir acquis une qualification.

Les fonds structurels et la garantie pour la jeunesse peuvent certes avoir un certain effet. La France doit mettre en oeuvre cette garantie à titre expérimental dans dix départements ; où en est ce projet, monsieur le ministre ? Il faut aller plus loin. La Commission européenne devrait agir en faveur de cursus communs de formation en alternance et d'un statut européen de l'apprenti, comme nous l'avons préconisé.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Parfait !

M. Michel Billout.  - J'espère que le Gouvernement soutiendra cette proposition. C'est votre « carburant », monsieur le ministre...

Où en est la mise en place d'un réseau européen des services publics de l'emploi ? La BEI a décidé d'apporter son concours, avec le programme Investir dans les compétences ; nous manquons d'informations sur sa mise en oeuvre. Pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre ? Il est illusoire de penser combattre efficacement le chômage des jeunes sans le retour d'une croissance durable, sans une politique de développement industriel, de recherche et d'innovation. L'Union européenne peut jouer un rôle majeur en coordonnant les politiques de développement et en mettant l'accent sur les formations d'avenir.

Le Conseil européen va plutôt dans le sens des restrictions budgétaires. Comment les États pourront-ils agir si on les soumet sans cesse aux impératifs d'économies et de rationalisation ? La réforme des retraites offre un autre exemple d'incohérence. Le Conseil, examinant le programme présenté par la France, note que notre système sera encore déficitaire en 2018 et que de nouvelles mesures devront être prises, dont le recul de l'âge de départ ou l'allongement de la durée de cotisation. La France se montre bon élève ; mais comment faire baisser le chômage des jeunes en allongeant la durée du travail ? Il est nécessaire de changer d'approche. C'est dans cet esprit que les députés du Front de gauche ont proposé une loi cadre pour la jeunesse. Les questions du logement, des études, de l'emploi, des salaires, des précarités doivent être abordées de front.

J'espère que le Conseil européen portera ses fruits. La jeunesse est l'avenir de l'Europe ; ne la décevons pas, ne la désespérons pas ! (Applaudissements à gauche)

Mme Bariza Khiari .  - L'ordre du jour du prochain Conseil européen a été modifié à la demande du Gouvernement français à la suite du drame de Lampedusa. Il faut absolument que les chefs d'État et de gouvernement traduisent leur indignation en actes.

J'ai visité un camp de réfugiés syriens en Jordanie avec Mme la ministre Conway-Mouret - je salue le travail qu'y mène notre mission médicale. La Jordanie est un petit pays sans ressources naturelles ; il accueille des centaines de milliers de réfugiés ; le Liban en accueille 4 millions, parfois jusque sur leurs terrasses. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des réfugiés syriens sont accueillis dans les pays limitrophes ; c'est dire qu'une infime minorité choisit de tenter la traversée de la Méditerranée. Il n'y a pas, contrairement à ce qu'on entend parfois, de déferlante. La réalité de l'asile se joue hors de l'Europe. On a dénombré 1 500 morts en mer en 2011...

Tous ces chiffres disent qu'il faut renforcer nos interventions. L'Europe est-elle devenue si inhumaine qu'elle laisse sombrer ses principes moraux en Méditerranée ? L'Europe a déjà désespéré une partie de Billancourt, il ne faudrait pas qu'elle désespère ceux qui n'ont pas renoncé à son projet humaniste. Elle ne doit pas se transformer en cimetière de ses valeurs. Le drame de Lampedusa est là pour nous le rappeler : si elle continue de se dresser comme une forteresse, elle échouera, et d'abord sur le plan moral.

Le groupe socialiste avait déposé en 2011 une proposition de résolution. Monsieur le ministre, peut-on envisager un programme spécifique européen d'accueil sur la durée de réfugiés syriens via la protection temporaire, une harmonisation des procédures, la révision de Dublin II afin de ne pas laisser la Grèce, Chypre, Malte, l'Italie supporter la presque totalité des conséquences de notre inaction ?

Deuxième thème, l'industrie numérique. Vous savez, monsieur le ministre, que le Sénat attache une grande importance à la question de la fiscalité numérique. La commission de la culture se saisira en deuxième lecture de la proposition de loi visant à combattre les pratiques de dumping dans le secteur du livre. Les géants de ce secteur mènent des pratiques systématiques d'optimisation fiscale que les États membres ne doivent pas laisser prospérer. Tant qu'elles ne seront pas encadrées, il ne pourra être mis un terme aux distorsions de concurrence. Un cadre fiscal européen commun est indispensable.

Troisième thème, la dimension sociale de l'union économique et monétaire. Le document sur les indicateurs sociaux n'est pas à la hauteur des enjeux, quelle que soit l'avancée qu'il représente et que je ne conteste pas. Ne peut-on envisager un produit de bonheur brut ...

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Comme le Bhoutan...

Mme Bariza Khiari.  - Si les indicateurs économiques ont une valeur contraignante, les indicateurs sociaux ne sont qu'indicatifs... C'est peut-être un pas en avant pour M. Barroso, mais il est bien petit aux yeux de ceux qui veulent doter l'Europe d'une politique sociale plus ambitieuse. Il y a quelques mois, le Premier ministre belge évoquait la possibilité de saisir le moment politique, de la culpabilité morale de certains dirigeants face à la fraude fiscale pour avancer sur le dossier de l'harmonisation. L'occasion est venue et il ne sera pas nécessaire de jouer sur la culpabilité morale mais de se fonder sur l'esprit de responsabilité pour redonner la priorité aux valeurs capables de mobiliser autour du projet européen. L'opinion regarde l'Europe avec de plus en plus de méfiance et celle-ci ne sert plus de paratonnerre politique aux États.

Il faut redonner de l'âme à l'Europe à travers des projets fédérateurs ! (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin .  - Bien évidemment, on ne peut que souscrire aux grands axes dégagés pour ramener l'Europe sur le chemin de la croissance. Dès 2007, avec M. Bourdin, nous signalions le manque criant de coordination de nos politiques au sein de l'Union dans un rapport au titre prémonitoire : Le malaise avant la crise.

Nous payons aujourd'hui le prix de nos écarts par rapport à nos engagements de stabilité. Ceux qui ont été au pouvoir durant dix ans, au lieu de nous donner des leçons devraient reconnaître que nous sommes au pied du mur, et devons redresser nos comptes publics. L'exercice est difficile, il exige doigté et pédagogie envers les populations.

L'Europe, qui a joué son rôle de pompier, doit maintenant s'efforcer de relancer l'espérance. C'est le cap fixé par le président de la République. La gouvernance des fonds structurels est-elle vraiment adaptée à la lutte contre le chômage des jeunes ?

L'Europe, si elle est un chantier permanent, est aussi un espace de paix et de prospérité, au point que certains veulent la rejoindre au péril de leur vie. Ne laissons pas régner le discours populiste. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Très bien !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances .  - Le 2 octobre, la Commission européenne, dans une communication, proposait la mise en place d'un tableau de bord comprenant des critères sociaux. Enfin, la dimension sociale est reconnue dans la gouvernance de l'UEM. Cette démarche est tout autant légitime que nécessaire car les déséquilibres sociaux sont aussi déstabilisants que les déséquilibres économiques. J'encourage le Gouvernement à l'appuyer en incitant la Commission à se montrer moins timide. Voyez la situation en Bretagne, où je suis élu, dans l'industrie agroalimentaire, qui subit de plein fouet la concurrence des travailleurs détachés en Allemagne. Avec le salaire minimum, sur lequel François Hollande a obtenu d'Angela Merkel d'ouvrir la discussion en mai dernier, j'espère que nous mettrons fin à cette course au moins-disant social.

Ce sera le gage d'un vivre ensemble européen, je dirais même que ce salaire minimum donnera à l'Europe l'épaisseur humaine qui lui manque.

L'UEM ne fonctionnera que si l'on crée et fait fonctionner un système de résolution unique des crises bancaires. L'union bancaire doit encore surmonter des obstacles juridiques et politiques. J'y insiste : pour rétablir la confiance dans la zone euro, nous devons nous soumettre véritablement aux stress tests et en tirer toutes les conséquences.

Pour conclure, à côté de la discipline budgétaire, la solidarité est un gage de solidité de la zone euro et d'une intégration politique renforcée que j'appelle de mes voeux ! (Applaudissements à gauche)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - Quand le chômage des jeunes atteint 62 % en Grèce et 55 % en Espagne, l'Europe ne peut pas, comme le disait le précédent ministre, se transformer en une maison de correction. Elle se mobilise avec l'initiative pour l'emploi des jeunes, dans laquelle notre président de la République n'est pas pour rien. Je le souligne pour endiguer la montée du discours populiste sur l'inaction de l'Europe.

Pour autant, nous ne pouvons en rester là, même si le contexte n'est pas favorable à un nouvel élan : crise budgétaire américaine, formation du gouvernement allemand en attente ...

M. Jean Bizet.  - Ça vient !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Avançons vers l'intégration solidaire, comme l'a proposé le président de la République, bâtissons une communauté européenne de l'énergie, définissons une stratégie européenne du numérique. L'Europe ne doit pas rester une « colonie du monde numérique », selon la formule de notre collègue Morin-Dessailly.

Longtemps, l'intégration solidaire a fait du surplace. L'initiative pour l'emploi des jeunes représente certes une avancée, mais peut-on se contenter d'un plan de 6 milliards d'euros sur sept ans, alors qu'un jeune Européen sur quatre est au chômage ?

Refusons de faire de l'Europe un bouc émissaire, cette remarque vaut aussi pour le drame de Lampedusa. Rien ne nous interdit, dans les textes, de communautariser davantage notre politique migratoire.

Contrairement à ce que disent les populistes, l'Europe n'est pas le problème. Elle comporte une bonne part de la solution. Elle ressemble, disait Jacques Delors, à une bicyclette qu'il faut faire avancer pour tenir debout.

À mi-côte, c'est le moment d'appuyer plus fort, pas de mettre pied à terre ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

M. Thierry Repentin, ministre délégué .  - Monsieur Gattolin, que le Conseil européen se réunisse davantage que le prévoient les textes est plutôt une bonne nouvelle. De la même manière, que les maires se retrouvent plus souvent dans les instances communautaires, pour discuter des problèmes qui les concernent tous. J'ai cru entendre une crainte que ce Conseil soit corseté par des technocrates. Rassurez-vous, la parole y est libre. Cela est rarement su, mais seuls les chefs d'État et de gouvernement y siègent. Je ne peux y accompagner le président de la République.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Ne le dites pas !

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - C'est tant mieux car, élu au suffrage universel, c'est à lui de porter la voix de la France.

M. Gattolin, M. Collin, Mme Khiari, mais aussi M. Sutour ont évoqué l'effroyable drame de Lampedusa, ils auraient pu aussi évoquer la tragédie de Malte. Si la réponse est internationale, elle est aussi européenne. Au titre de la politique de voisinage, gardons la règle des deux tiers pour les pays voisins du sud de l'Europe et d'un tiers pour l'est de l'Europe, aidons davantage les États membres les plus exposés, et ceux de la rive sud de la Méditerranée et accordons la protection temporaire quand cela est justifié. Il faut aider au développement de la corne de l'Afrique et du sud de la Méditerranée et tout faire pour éviter les départs de migrants ? Rappelez-vous que sur la Syrie la France n'a pas été la dernière à presser pour agir. Il faut parfois prendre des décisions difficiles, qui peuvent aussi aider à sauver des vies. Du point de vue de la protection, surveillons davantage les côtes, et poursuivons ceux qui profitent des trafics.

Sur l'accord transatlantique, monsieur Gattolin, un mandat a été donné à la Commission après ce que j'appellerai une explication de gravure où la France a pris toute sa place pour exclure l'exception culturelle et l'agriculture, l'alimentaire, en refusant les OGM, les hormones de croissance, les viandes décontaminées chimiquement, ainsi que l'armement.

Une première négociation a eu lieu le 8 juillet à Washington sur la convergence réglementaire et les normes ; la deuxième, qui devait se tenir du 9 au 12 octobre, a été reportée en raison du shutdown qui oblige le président Obama à trouver un accord sur son budget. Les visas de transit aéroportuaire permettent à la France de contrôler les demandes d'asile. Souvenez-vous des menaces de Bachar el-Assad à l'encontre de la France. La France a le devoir de protéger son territoire et ses citoyens. Hasard de calendrier, le président de la République, Laurent Fabius et Manuel Valls reçoivent ce soir le président Gutteres du Haut Commissariat aux réfugiés de l'ONU pour faire avancer ce dossier.

Monsieur Bizet, il ne se passe pas une semaine sans qu'un membre du gouvernement français rencontre un homologue allemand. Ce sera mon cas demain et M. Sapin en a fait autant pas plus tard qu'hier. Je ne connais pas d'autres exemples dans le monde d'une telle coopération. C'est ainsi que nous avons dépassé nos divergences sur le salaire minimal et le travail low cost. Je vous renvoie à notre texte du 30 mai dernier, nous y parlons même d'une assiette commune de l'impôt sur les sociétés.

Quant à notre projet de budget, le commissaire Olli Rehn, qui n'est pas le plus prompt à nous adresser des éloges, a reconnu publiquement nos efforts pour redresser nos comptes publics.

M. de Montesquiou, chose rare dans cet hémicycle, a cité Schumpeter, à propos du numérique. L'innovation est aussi facteur de croissance, source d'emplois. Nous traiterons la matière de façon globale lors du prochain Conseil en insistant sur les aspects fiscaux, dont la TVA. Le modèle des grandes plates-formes ne peut plus durer ; 1 000 milliards d'euros échappent chaque année à la fiscalité européenne.

L'initiative européenne pour l'emploi des jeunes est dotée de 6 milliards d'euros. On peut considérer cela insuffisant. Néanmoins, reconnaissons que l'Europe fait preuve pour la première fois d'une telle solidarité envers les jeunes. Cette somme ne tient pas compte de l'apport des fonds structurels, ni des 2 milliards supplémentaires qui pourraient être votés en 2015. Espérons que non, et que d'ici là nous aurons réussi à faire décoller l'emploi des jeunes.

Quant à la garantie financière, elle ciblera les jeunes les moins qualifiés, les plus vulnérables, à partir du mois d'octobre dans dix départements tests, puis dans dix nouveaux départements à partir du mois de janvier, avant une généralisation du dispositif qui pourrait concerner 300 000 jeunes.

Monsieur Billout, la Commission formule des recommandations que nous prenons pour ce qu'elles sont : des avis. Elle ne se substitue en rien à la représentation nationale, ses avis nous éclaireront, au même titre que l'avis du Haut Conseil des finances publiques. À vous d'en débattre souverainement.

Madame Khiari, nous n'instituerons pas de nouvelle taxe sur le numérique en 2014. Nous devons travailler au niveau européen et international. En revanche, j'ai annoncé une réforme de la TVA ; elle devra être acquittée dans le pays où le service est rendu, et non dans le pays où l'entreprise est installée. Ainsi, Amazon ne pourra plus tirer profit de son installation au Luxembourg.

S'agissant des critères sociaux, dont nous a également entretenus le président Sutour, ils ne doivent pas être opposables ; n'en faisons pas un corset supplémentaire. Ils doivent servir à adapter les politiques à la réalité des États.

Nous proposerons de les compléter par d'autres pour avancer vers une convergence par le haut.

Les stress tests du premier semestre 2014, monsieur Marc, sont une étape importante avant que la BCE ne joue son nouveau rôle. Ils doivent donc être crédibles et la Commission européenne en tirera toutes les leçons.

Pardonnez-moi d'avoir été un peu long. C'est que se dessinent d'importantes échéances électorales en mai 2014 et si je retiens un point positif de nos débats, ce sera celui-là : personne n'a remis en question l'Europe.

Mme Bariza Khiari.  - Pas encore !

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - En démocrates que nous sommes, défendons en mai prochain nos visions différentes de l'Europe afin que le débat électoral n'oppose pas globalement partisans et adversaires de l'Europe !

La séance, suspendue à 18 h 25, reprend à 18 h 30.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Débat interactif et spontané

M. François-Noël Buffet .  - Nous avons tous été choqués par les drames de Lampedusa et de Malte. Où en est la discussion sur le programme Eurosur ? Quel rôle donner à Frontex ? Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier la position de la France sur l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué .  - Eurosur, Frontex, vous auriez pu aussi citer Seahorse, dispositif de protection des frontières et de coordination des moyens de gestion des flux migratoires. Les rives nord de la Méditerranée subissent un afflux qui nécessite des moyens accrus, ce que nous proposerons au Conseil européen, face aux réseaux criminels qui exploitent la misère humaine.

Schengen ne changera pas, face à la Roumanie et à la Bulgarie en janvier 2014. Leurs ressortissants appartiennent à l'Union européenne et, à ce titre, ils peuvent se déplacer librement pendant trois mois et s'installer dans tout pays de l'Union, même au Royaume-Uni, qui n'est pas dans Schengen. La seule différence c'est qu'on leur demande leur carte d'identité à la frontière. Une entrée dans l'espace Schengen signifiera que la Roumanie et la Bulgarie auront pour responsabilité de surveiller la frontière externe de l'Union européenne. Il semble, après le dernier conseil JAI, qu'elles ne soient pas en mesure de le faire.

M. Jean-Yves Leconte .  - La Bulgarie a plus de 20 000 réfugiés syriens sur son sol. C'est elle qui paie le plus lourd tribut de l'Union européenne à la crise syrienne. Comment l'aider ?

L'Ukraine négocie depuis 2008 un accord d'association qui présente de nombreux avantages pour stabiliser nos échanges. Des conditions ont été posées. Les Russes ont engagé une guerre commerciale contre ce pays pour tenter de le dissuader de signer, ce qui a renforcé sa détermination à le faire. Quelle est la position de la France ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Nous tenons compte de la réalité des flux migratoires par rapport à tel ou tel pays, notamment au plan budgétaire.

Sur l'accord d'association avec l'Ukraine, la France est le pays le plus exigeant. Nous demandons que des signes concrets, tangibles, opposables, soient apportés par l'Ukraine, de pratiques démocratiques. Il y a le cas emblématique de Mme Timochenko. Il faut aussi, de surcroît, que la justice ne soit plus sélective. Arrimons l'Ukraine à l'espace démocratique qu'est l'Union européenne. Nous maintiendrons la pression jusqu'au dernier moment. Il y aura un conseil des affaires étrangères le 18 novembre. Vilnius ne sera qu'un point de départ. La vigilance de l'Union européenne sera extrême.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - Les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine sont un sujet sensible. Nous y avons beaucoup travaillé avec Gérard César. Nous avons reçu le ministre des affaires étrangères de ce pays. Nous partageons votre exigence. Il est très important d'arrimer l'Ukraine à l'espace démocratique européen. Nous travaillons aussi avec Jean Bizet sur la Russie, l'Union eurasiatique.

L'Ukraine, 46 millions d'habitants, est incontestablement européenne. Signons l'accord d'association, sachant que cette signature n'est qu'un début.

M. Jean-Yves Leconte.  - Très bien !

M. Michel Billout .  - Nous avons évoqué le drame syrien. Nous partageons tous la volonté qu'une issue pacifique soit trouvée le plus rapidement possible, alors que la conférence de la paix de Genève II devrait réunir à la mi-novembre l'ensemble des parties. La diplomatie française est très active en la matière mais celle de l'Union européenne est d'une grande discrétion. Quelle est sa feuille de route ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - J'ai rarement entendu dire que la France était discrète sur le dossier syrien !

M. Michel Billout.  - Je parle de la diplomatie européenne.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Y compris de la Haute Représentante ?

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Il n'y a pas que sur le sujet syrien !

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Nous agissons afin que se retrouvent à Genève II toutes celles et ceux qui ont une légitimité à s'exprimer sur la Syrie. La Russie y sera accueillie ; recevoir ceux considérés comme les représentants légitimes du peuple syrien suscite moins d'enthousiasme de sa part comme de celle des États-Unis. On peut espérer qu'au terme de son mandat, le président syrien actuel ne soit plus dans la course ; cela faciliterait les choses. L'emploi des armes chimiques a cessé mais n'oublions pas que celui des armes conventionnelles se poursuit au quotidien et que chaque jour les victimes sont nombreuses.

M. Yvon Collin .  - L'Europe a beaucoup agi en faveur du report des règles de concurrence. Or, en matière de football, celles-ci sont battues en brèche. Certains clubs bénéficient de dispositifs fiscaux qui leur offrent la possibilité de développer des projets sans commune mesure avec d'autres. Je pense au Real Madrid, aux clubs italiens, à ces clubs anglais qui reçoivent d'on ne sait où des sommes colossales...

Ne serait-il pas temps d'y mettre un peu d'ordre, en instaurant certaines règles européennes ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - De votre part, je me serais plutôt attendu à une question sur le rugby ! Oui, le football illustre ce qu'est un marché sans règles. L'arrêt Bosman limite le nombre de joueurs étrangers qui peuvent être admis dans une équipe nationale. Je saisirai ma collègue Valérie Fourneyron, plus compétente que moi, afin qu'elle vous réponde précisément.

M. André Gattolin .  - Vous avez mis l'accent sur la stratégie numérique et les perspectives de taxation des grands groupes du numérique. Rapporteur sur l'industrie des jeux vidéo avec Bruno Retailleau, j'ai constaté les effets ravageurs de la vision ultralibérale de la Commission européenne sur les crédits d'impôt, quand le Québec et l'Ontario offrent 50 % de crédits et certains États des États-Unis 100 %. Les instances européennes demeurent très fermées. Sur le livre, la presse écrite, on nous renvoie, pour le numérique, à la directive services de 2004-2005, période antédiluvienne au regard de l'évolution technologique. Or l'avenir de la distribution des produits culturels est en jeu.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Je découvre ce problème en vous entendant. Je vous répondrai par écrit et saisirai ma collègue chargée de la culture, ainsi que Fleur Pellerin.

M. Pierre Hérisson .  - Vous m'avez déjà partiellement répondu. Notre groupe de l'UMP tenait à vous faire part de sa satisfaction pour l'inscription à l'ordre du jour du Conseil européen de la stratégie numérique, dont nous souhaitons qu'elle soit hissée au rang de politique européenne autonome. Le paquet proposé par Neelie Kroes attire toutes les critiques : il s'apparente à un écran de fumée.

Les entreprises ont besoin d'investir. L'espace européen doit concourir dans des conditions saines sur le marché mondial. Je reprends à mon compte ce qui a été dit sur la fiscalité. Oui, dans le Québec et l'Ontario, les start-up bénéficient de crédits d'impôts à durée illimitée.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Neelie Kroes n'est qu'en partie en charge de ce sujet. Ses propositions ne concernent que le paquet Télécom. Nous souhaitons une approche globale, afin qu'émergent de grands champions, à l'instar de ce que font les États-Unis. Des réponses industrielles, culturelles, fiscales s'imposent. La protection des données n'est pas non plus à négliger, face aux tentations d'utilisation mercantile. Il faut un plan stratégique d'ensemble équilibré. Ne nous arrêtons pas uniquement à la réunion des 24 et 25 octobre. Soixante-dix milliards d'euros ont été fléchés dans le cadre du programme « Horizon 2020 ». Les projets de bonds européens peuvent aussi contribuer au financement. La Haute-Savoie sera l'une des premières collectivités à être financée par la BEI pour la numérisation. Nous avons dit à Mme Kroes que nous ne la suivons pas.