Débat sur la politique d'aménagement du territoire

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique d'aménagement du territoire, à la demande du groupe UDI-UC.

M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC .  - Dix-huit mois après la création du ministère de l'égalité des territoires, le temps est venu de dresser le bilan de la politique d'aménagement du territoire, chère au coeur du Sénat et de notre groupe.

Je crois pouvoir le faire avec objectivité. Sous le gouvernement Fillon, je critiquais l'absence d'une telle politique, déplorant qu'il n'y ait pas de pilote dans l'avion ; je souhaitais que le remplacement du terme d'aménagement des territoires par celui d'égalité des territoires ne soit pas seulement sémantique. Malheureusement, malgré tous les efforts que déploiera mon collègue Camani pour défendre votre bilan -et il aura besoin de beaucoup de militantisme et d'une bonne dose de mauvaise foi-, aucun progrès n'a été accompli, que ce soit pour la téléphonie mobile ou le très haut débit. Nos concitoyens entendent vanter sur les ondes la « 4 G » alors qu'ils ne sont même pas couverts pour le mobile.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Très bien 

M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC.  - Les socialistes ont montré toute leur duplicité : une fois passés dans la majorité, ils refusent, à l'Assemblée nationale, la proposition de loi que j'ai déposée avec Philippe Leroy sur l'aménagement numérique du territoire, que le Sénat avait adoptée en février 2013 ; Mme Touraine, dont on connaît l'arrogance dans notre hémicycle, ne propose que des mesurettes au lieu du « bouclier rural » que voulait autrefois Jean-Marc Ayrault. La réforme des rythmes scolaires et le matraquage fiscal pèsent davantage sur les territoires ruraux, où le malaise règne. Ceux-ci se sentent oubliés. Certes, vous promettez un commissariat général à l'égalité des territoires. Ce ne sera rien de plus que la Datar. Il ne sert à rien de changer des noms, de créer des organismes, de commander des rapports si ce n'est pour ne jamais agir.

Pas plus tard que la semaine dernière, le Conseil économique, social et environnemental demandait une loi cadre pour sanctuariser la politique d'aménagement du territoire. Pourquoi cet échec ? La raison en est simple : cette politique n'est pas votre priorité, ses crédits ont diminué de 14 % en autorisations d'engagement et de 12 % en crédits de paiement, quand la réduction était en moyenne de 1,7% pour les dépenses de l'État.

Il faudrait que le ministère de l'aménagement du territoire, qui mène une action de moyen et de long terme, soit déchargé d'autres missions d'urgence : vous êtes davantage la ministre du logement.

Arrêtez de commander des rapports et d'installer des comités Théodule pour créer un ministère du territoire ayant une véritable transversalité...

M. Aymeri de Montesquiou.  - Très bien !

M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC.  - ...pour mener une politique efficace comme on le fait pour la parité.

Ensuite, l'État doit se concentrer sur ses missions régaliennes, plutôt que de se disperser dans la sphère économique, et sur le déploiement des réseaux. Pour la couverture numérique, le choix des opérateurs privés est antinomique avec l'égalité des territoires puisque le déploiement est fonction de la rentabilité du territoire et de la richesse des collectivités territoriales.

La généralisation de l'expérimentation « Plus de services publics » à l'horizon 2017 lancée sous le précédent quinquennat, comme les 17 000 points Poste inscrits par elle dans la loi postale, est le seul service que l'État entend aujourd'hui développer.

L'État employeur doit également délocaliser ses services. Voyez l'exemple réussi de l'École nationale de l'administration pénitentiaire installée à Agen depuis septembre 1994. Cet apport de 6 000 étudiants par an a dynamisé l'économie locale. C'est plus efficace que de savoir si la France ou telle de ses régions sera « hyperpolisée » ou « dépolisée »...

Quels critères président aux arbitrages ? Sur le numérique, on n'écoute que les opérateurs ; sur la santé, que l'intérêt des médecins ; sur les infrastructures, que la rentabilité ; sur l'emploi, que le matraquage fiscal ; quant aux rythmes scolaires, je ne comprends pas quels sont les critères !

En cette période de recettes rares, l'État doit rendre la dépense plus efficace en évitant de la disperser, par exemple entre des maisons de santé sans être sûr que des médecins viendront.

Enfin, sur la méthode, l'État doit apprendre à travailler avec les élus, non contre eux. Comment accepter que des permis pour l'éolien soient délivrés contre la volonté de ceux qui ont la responsabilité du territoire ?

Pour conclure, il y a beaucoup à faire. Manque surtout une vraie volonté politique telle que celle qui animait Georges Pompidou, le créateur de la Datar il y a cinquante ans, alors Premier ministre, qui déclarait à l'Assemblée nationale : « Le but de l'action publique est de remédier à cette inégalité et de tendre vers l'équilibre (...) Nous devons nous pénétrer de l'idée que, de notre action, nous ne devons tirer d'autre satisfaction que celle d'avoir contribué à préparer une France plus harmonieuse ». Que son exemple nous inspire ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Alain Bertrand .  - Je ne partage pas, loin de là, tous les propos de M. Maurey, en particulier sur la réforme des rythmes scolaires. Les ruralités sont différentes, la mienne n'est pas celle de M. Maurey. On ne connaît pas la ruralité à Paris.

M. Hervé Maurey.  - C'est ce que j'ai dit !

M. Alain Bertrand.  - Il faut distinguer l'hyper-ruralité de la ruralité, car on n'a pas les moyens d'agir sur 80 % du territoire. Effectivement, quand on parle de la « 4 G » ou de la « 5 G » à Paris, nous, on craint de ne plus avoir le téléphone fixe, faute d'entretien des lignes et des poteaux qui gisent à terre : je parle bien du fixe, même pas du mobile. Nous en sommes là ! Notre projet de ligne TGV Paris-Clermont-Ferrand n'est plus retenu alors qu'elle traverse des départements ruraux. Résultat, on met dix-huit heures aller-retour de Mende à Paris et neuf heures pour Montpellier. Quand les ressources sont maigres, il ne faut pas tout concentrer sur les métropoles régionales ; il faut déconcentrer vers les départements qui n'ont pas d'agglomérations. Il faut définir de nouvelles stratégies, revoir les zonages, attirer des entreprises.

L'égalité, c'est la solidarité dans la République ; elle coule de source. Je vous fais confiance, madame la ministre, pour entendre les petits maires ruraux et pour présenter une loi de programmation bien élaborée et bien pensée qui tiendra compte de l'hyper-ruralité, comme le font les Canadiens. (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Peut-on encore parler de ruralité à l'heure de la mondialisation ? Peut-on encore appliquer des politiques colbertistes ou napoléoniennes, des plans quinquennaux, agir comme le baron Haussmann ou le préfet Delouvrier ? Évidemment, non. J'en veux pour preuve la création du commissariat général à l'égalité des territoires. Grand sujet qui ne passionne guère à voir l'affluence dans l'hémicycle.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Les meilleurs sont là !

Mme Hélène Lipietz.  - Sans infrastructures, il est impossible d'attirer des investissements sur un territoire. Après les lignes à grande vitesse et les autoroutes, revenons aux dessertes de proximité, à un réseau ferroviaire en étoile et au ferroutage car un camion sur un train vaut toujours mieux que sur une route. Cela suppose, pour retrouver des marges de manoeuvre, de mettre en oeuvre ce qui sera la pollutaxe, après la crise de l'écotaxe, en raisonnant à l'échelle européenne : la Bretagne la rejette mais l'Alsace, envahie par les camions, la réclame.

Autre défi, le numérique, autre enjeu de déplacement, mais virtuel. Le Gouvernement s'est fixé un objectif très ambitieux : dix ans pour un maillage du territoire. Comment penser la mobilité ? Les jeunes ne travaillent plus où ils ont étudié, les seniors ne prennent plus leur retraite là où ils ont travaillé... Est-ce à nous, politiques, de penser l'aménagement du territoire ou faut-il faire confiance à l'intelligence des territoires ? Voilà l'enjeu de ce débat.

Mme Hélène Masson-Maret .  - L'aménagement du territoire est un dossier sensible : les investissements y sont peu valorisants pour les gouvernements qui n'en récoltent pas les fruits. C'est pourtant le rôle de l'État que de définir les grands axes de l'aménagement du territoire. Alors que vos prédécesseurs ont fait les pôles de compétitivité, le Grand Paris, la couverture numérique, les lignes grande vitesses, il faut prendre conscience de l'écart entre des centres et des territoires que vous avez qualifiés de meurtris. Hélas, vous ne proposez rien de plus ambitieux.

Une seule innovation en 2014, le développement solidaire des territoires. Un voeu pieu ! Il n'est pas financé, de même que le reste de votre budget.

La mission politique des territoires accuse, avec 280 millions d'euros de crédits, une deuxième baisse dans le budget pour 2014. Plus de la moitié de la baisse de 30 millions pèse sur l'action n°2, qui doit financer l'accès aux services et aux soins en zone rurale. À l'évidence, la continuité de la politique d'aménagement du territoire est en cause.

Les dépenses de fonctionnement augmentent -avec le passage de 10,3 millions à 10,4 millions, qui résulte de la création du commissariat général- au détriment des dépenses d'intervention qui baissent de 335,7 millions d'euros d'autorisations d'engagement à 219,6 millions d'euros.

Nous avons besoin de grands projets. Dans mon département des Alpes-Maritimes, le Gouvernement a bloqué la construction de la LVG Paris-Nice. Est-il contre le progrès économique, social, environnemental qu'elle implique ?

M. Jean-Claude Lenoir.  - Les exemples, hélas, ne manquent pas !

Mme Hélène Masson-Maret.  - Bien sûr, il faut développer les transports périurbains mais nous avons besoin de grandes lignes structurantes financées par l'État. À cause du nouveau retard décidé dans la réalisation du projet Montpellier-Perpignan, le président socialiste du conseil général de l'Aude a déclaré refuser la visite de tout ministre. La LGV Paris-Nice est une question de souveraineté face à la Lombardie italienne et la Catalogne espagnole ; elle constitue le chaînon manquant sur l'arc méditerranéen Barcelone-Marseille-Gênes. Le groupe UMP est très inquiet : la politique d'aménagement du territoire est en danger, victime d'un mal profond et insidieux. Je peux l'illustrer par le décrochage programmé par le Gouvernement de la ruralité et des villes moyennes en raison de la fracture numérique et technologique. Nous attendons toujours une réponse du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Aymeri de Montesquiou .  - Madame la ministre, la politique d'aménagement du territoire a effectivement l'obligation de réussir. Nos 30 000 communes rurales sont l'avenir de la France ; ce n'est pas un langage convenu, faisons de la grande taille de notre territoire un atout en reliant les zones isolées aux centres par le déploiement du très haut débit.

Notre taux de pénétration de la fibre optique est de 8 % contre 17,7 % en moyenne en Europe. Le Japon et la Corée du Sud, eux, ont fait le choix d'investir massivement dans la fibre optique pour un trafic de 1 Gb. En France, les tarifs sont prohibitifs : 1 000 euros hors taxes par mois pour 10 Mo. C'est antiéconomique et inaccessible aux PME qui représentent 60 % de l'emploi en France. Le recours aux alternatives technologiques -paraboles et wifi- creuse les inégalités entre territoires et retarde l'arrivée du très haut débit. Il faut investir dans la fibre optique de façon à la fois réaliste et ambitieuse, en ayant le courage d'un suréquipement dans un premier temps.

La couverture du territoire à l'horizon 2025 coûterait 3,5 milliards ; cela implique, comme le propose M. Maurey, une mutualisation entre zones urbaines et zones rurales, une intervention de l'État pour financer les investissements dans les zones les moins rentables.

Dans le Gers, on s'agace de voir les publicités pour la 4 G quand nous n'en sommes qu'à la 2 G. Est-il normal de ne pas pouvoir joindre un médecin en urgence ? Je prends cet exemple à dessein !

L'accès au très haut débit est aussi un outil de santé publique, de gestion de la dépendance, d'organisation de la couverture médicale du milieu rural, grâce à la télésanté, au suivi des patients à distance. La fibre optique est aussi une question d'emploi. Le télétravail est en pleine croissance. Inspirons-nous des télécentres de travail intelligents des Pays-Bas. Le programme novateur de la CCI du Gers a permis d'installer huit centres qui emploient 300 personnes. Le télétravail ne concerne que 7 % de la population en France, contre 13 % en moyenne en Europe. Donnons un sens à l'égalité des territoires, qui ne doit pas être un simple slogan, donnons une réalité au désir d'entreprendre qui a déserté notre économie.

Francis Bacon disait : « Il faut reculer les bornes de l'empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles ». Le numérique sera le moteur de la nouvelle croissance. Si nous ne résolvons pas le problème de l'accès au très haut débit sur toute la France, nous ne pourrons entrer tous ensemble dans la modernité, comme j'en forme le voeu. (Applaudissements sur les bancs RDSE et à droite)

Mme Évelyne Didier .  - Régulièrement, le Sénat débat de l'aménagement du territoire. Plutôt que de débattre ainsi entre nous, sans résultat concret, nous aurions préféré examiner le projet de loi annoncé. Quand le ferons-nous, madame la ministre ? Nous aurions aimé que le texte présenté par notre groupe pour rééquilibrer la DGF au profit des petites communes soit adopté.

La France a longtemps été très centralisée. La décentralisation lancée dans les années 1980 s'est accompagnée d'une forte déconcentration. Avec l'acte III de la décentralisation, le Gouvernement rompt avec cette tradition. L'État lance des politiques sans ressources : je décide, tu paies ! La réforme des rythmes scolaires en est un bon exemple, qui crée une insatisfaction justifiée.

Comment agir pour l'égalité des territoires quand la présence humaine de l'État dans les territoires ne cesse d'être rognée ? Il se dessine la carte d'une France à deux vitesses qui porte atteinte au concept même d'aménagement du territoire. C'est un déni de démocratie. La marche forcée vers l'intercommunalité est une impasse, alors que l'État a abandonné des territoires qui ont dû s'organiser eux-mêmes.

Les élus seront responsables de tous les maux, quelle caricature ! On nourrit désillusion et colère, dans un contexte économique tendu. Donnez des moyens financiers et humains en appui aux collectivités.

Nous regrettons que la majorité n'ait pas cru bon de revenir sur la privatisation de La Poste et d'autres services publics, dont la redynamisation de nos territoires et leur nécessaire réindustrialisation ne peuvent pas se passer.

L'enjeu numérique est comparable à celui du rail hier. J'ai entendu avec plaisir Hervé Maurey fustiger l'attitude du privé, qui n'investit pas là où ce n'est pas rentable. Vous nous rejoignez, j'en suis ravie !

M. Hervé Maurey.  - Cela ne date pas d'aujourd'hui !

Mme Évelyne Didier.  - Les collectivités se voient transférer de plus en plus de charges. Le Gouvernement est lié par l'austérité imposée par Bruxelles : en signant le traité, vous lui avez donné un droit de regard sur les budgets nationaux. La Commission attend toujours plus de rigueur de l'État français.

Les politiques d'aménagement du territoire ne pourront être améliorées qu'en rompant avec le carcan de ces dogmes libéraux, qui les assimile à une politique d'assistance.

M. Pierre Camani .  - Je regrette...

M. Hervé Maurey.  - Courage !

M. Pierre Camani.  - ...le ton outrancièrement polémique de M. Maurey, que j'ai connu plus modéré.

La création d'un ministère de l'égalité des territoires traduit la volonté du Gouvernement de lutter contre la fracture territoriale qui s'est aggravée ces dernières années. Si le temps n'est plus où Jean-François Gravier dénonçait, dans Paris et le désert français, cette nuit endormie de la province qui faisait fuir tous les talents vers la ville lumière, les inégalités infrarégionales persistent et se développent.

Le Premier ministre et le président de la République ont su établir une nouvelle relation de confiance...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Et les sondages ?

M. Pierre Camani.  - ...avec les collectivités territoriales. « L'État et les collectivités locales doivent être des partenaires, des acteurs qui se complètent », a déclaré Jean-Marc Ayrault en proposant le Pacte de confiance et de solidarité ; voilà qui nous change des discours de stigmatisation des collectivités et de leurs élus...

Madame la ministre, vous avez affirmé, à Vesoul, que l'aménagement du territoire doit redevenir une priorité. La crise est violente pour tous ; les territoires y résistent plus ou moins car ils ne la subissent pas de la même manière. Les variations selon les bassins d'emploi sont très fortes. Dans le Lot-et-Garonne, les trois bassins, situés dans « la diagonale aride » identifiée par le géographe André Brunet, subissent tous une baisse. C'est dire combien je suis concerné.

Je me félicite de la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), qui atteste de la volonté d'en finir avec la dichotomie entre l'urbain et le rural. Une politique d'aménagement du territoire, c'est soutenir les territoires en difficulté et encourager dans le même temps le dynamisme des territoires les plus compétitifs.

Parmi les objectifs du CGET figure l'accessibilité des services au public. La disparition des services publics et au public en milieu rural crée un sentiment d'abandon chez les élus et les populations. Il est urgent de réagir. Pour la première fois depuis sept ans, 21 postes d'enseignants ont été créés à la rentrée 2013 dans mon département. M. Maurey n'a rien dit des créations d'emplois dans l'éducation ou les forces de sécurité, lui qui clame pourtant son objectivité...

Nous attendons avec impatience la mise en oeuvre des schémas départementaux d'accessibilité. Madame la ministre, vous envisagez des expérimentations avec des maisons de service public. Je vous présente la candidature du Lot-et-Garonne. Je suis persuadé que les départements, en partenariat avec les intercommunalités, peuvent jouer un rôle important dans le maillage des services publics et au public, comme c'est le cas dans le domaine du logement.

La nouvelle phase des contrats État-Régions pourra en porter la trace, en passant d'une logique de compétition entre les territoires à une logique d'accompagnement d'une stratégie régionale de prise en compte des territoires en déshérence. La logique libérale des appels à projets excluait les territoires les plus fragiles, en faveur desquels des mesures spécifiques doivent être envisagées, comme les pôles territoriaux de solidarité et d'aménagement introduits par le Sénat dans la loi Métropole.

Le numérique bouleverse l'économie et la société, c'est un vecteur de développement mais aussi de fracture si on en reste à la logique libérale de déploiement des réseaux. Aussi la logique du Gouvernement s'inscrit-elle dans la vision d'un État stratège (M. Hervé Maurey ironise), avec un cofinancement par les opérateurs, l'État et les collectivités territoriales. Le soutien de l'État peut atteindre 62 % dans les zones les moins denses. Un grand pas en avant a été franchi par rapport à la politique antérieure.

M. Hervé Maurey.  - On verra !

M. Pierre Camani.  - La désertification médicale précède la désertification tout court. Pour l'enrayer, Mme Touraine devra aller plus loin que le pacte « Territoire santé » annoncé, qui va dans la bonne direction, pour éviter les situations irréversibles.

Les territoires ruraux attendent davantage de considération. Ils peuvent être des espaces d'innovation si se conjuguent la volonté locale et l'intervention d'un État stratège. C'est précisément parce que « la force des choses tend à détruire l'égalité », dit Rousseau dans le Contrat social, que le législateur doit s'attacher à maintenir celle-ci. Ce sera l'objet de votre future loi, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yvon Collin .  - Dès son élection, le président de la République a rappelé la nécessité de lutter contre la fracture territoriale. Nous avons souvent légiféré en ce domaine. À l'issue de quelques décennies de politique d'aménagement du territoire, le déséquilibre entre milieu rural et urbain se poursuit-il ? J'aurais tendance à penser qu'il se réduit depuis que Jean-François Gravier dénonçait le macrocéphalisme parisien dans son fameux Paris et le désert français de 1947. Mais la ruralité couvre 70 % du territoire de l'Hexagone...

Dans le Tarn-et-Garonne, de très nombreuses communes enregistrent plus de naissances que de décès. C'est la preuve d'une certaine attractivité. Pourtant, les services publics se retirent progressivement : La Poste, la santé, la justice, la gendarmerie aussi, malgré l'apparition de nouvelles formes de délinquance. La RGPP a ses limites, certains services publics sont à l'os.

La couverture numérique n'est pas à la hauteur des besoins. Et je n'oublie pas l'emploi, qui est la première des préoccupations. On le voit avec Doux, le malaise de notre industrie touche en premier lieu les territoires ruraux. Les villes amortissent mieux la crise.

Le groupe RDSE a présenté l'an dernier une proposition de résolution sur l'égalité territoriale. M. Mézard a rappelé à cette occasion que la République doit garantir un égal accès de tous les citoyens aux services publics, au logement, à l'emploi. Cela suppose de se remobiliser pour mener une politique d'aménagement du territoire adaptée aux nouveaux enjeux de la mondialisation. Mais soyons clairs : tant qu'il n'y aura pas, madame la ministre, de véritable péréquation telle que permise par l'article 72-2 de notre Constitution, les inégalités demeureront. Seule une véritable solidarité financière est à même de rééquilibrer notre territoire et d'apaiser le sentiment d'abandon qui alimente tous les populismes. Nous attendons avec impatience la grande loi annoncée. (Mme Hélène Lipietz applaudit)

M. Jean-Claude Lenoir .  - La fracture territoriale s'est aggravée, au cours de ces dernières années, avec la crise ; comme l'État ne dispose pas des moyens nécessaires, certains territoires souffrent plus que d'autres.

Le clivage entre urbain et rural est effacé par d'autres clivages, comme l'a mis en évidence la mission présidée par Jean-Pierre Raffarin. Il y a quatre France : les territoires marchands et dynamiques, les territoires marchands en difficulté, les territoires non marchands dynamiques, dont fait partie l'ouest de la France, les territoires non marchands en difficulté, zones de montagne et éloignées en particulier.

Oserai-je le dire, je ne crois pas à l'égalité en matière d'aménagement du territoire. Nos territoires ne se ressemblent pas, chacun son identité. Je revendique le droit à la différence et à la diversité. Intervenir de la même façon partout est utopique. Je ne crois pas au mantra de l'égalité, un mot doux à prononcer car il appartient à notre devise nationale mais si difficile, au demeurant, à mettre en oeuvre. Je crois au levier de l'efficacité pour les territoires favorisés, au levier de la solidarité pour ceux qui ne le sont pas.

L'État doit assumer ses fonctions régaliennes, au premier rang desquelles celles qu'il confie à la police et à la gendarmerie, à la justice -ce n'est pas le retour d'un tribunal de grande instance à Tulle qui fera croire au changement... Il y a aussi l'école, mais les territoires ruraux ont les plus grandes difficultés à mettre en oeuvre les mesures décidées par le ministère, au premier rang desquelles la réforme des rythmes scolaires. Une parenthèse... Le Premier ministre a fustigé, vendredi dernier, les maires qui refuseraient de mettre en oeuvre cette réforme, invoquant le respect de la loi ; or ce sont le décret du 24 janvier 2013 et la circulaire prise quelques jours auparavant qui ont réorganisé les rythmes scolaires, pas la loi.

Une autre fonction importante relève de l'État, celle d'apporter aux territoires en difficulté des compensations et des moyens. La créativité quotidienne des élus et des citoyens est remarquable, encore faut-il qu'ils aient les moyens de la mettre en pratique.

Demandez aux citoyens qui s'installent dans un territoire ce qu'ils souhaitent y trouver. La question des communications, routières en particulier, est cruciale, alors que l'État a réduit son réseau national. Qu'il entretienne et modernise au moins ce qu'il lui reste... Je ne peux passer sous silence l'aménagement de la RN 12 et le goulet d'étranglement de Saint-Denis-sur-Sarthe, dans l'Orne.

Beaucoup a été dit ici sur le très haut débit, qui doit irriguer notre territoire. Il faut être beaucoup plus ambitieux que le Gouvernement. Les premiers territoires servis seront les plus riches et les mieux pourvus. Il ne faudra pas attendre dix ans pour que les autres soient dotés du très haut débit. Soyons imaginatifs, les collectivités territoriales sont désireuses d'accompagner l'État.

La culture compte aussi. Une politique culturelle ambitieuse dans un territoire est un pilier du développement économique. Le décalage d'antan entre villes et territoires plus éloignés n'est plus de mise. Le spectacle vivant a toute sa place en territoire rural, qui a connu beaucoup d'animateurs excellents.

Concernant la santé, je diverge d'Hervé Maurey. Je crois aux pôles de santé et je demande à l'État de nous aider à les construire. Dans l'Orne, des réalisations connaissent un très grand succès.

L'idée des maisons de service public, madame la ministre, est bonne, elle n'est d'ailleurs pas nouvelle... Reste à la transformer en projets. J'ai cru comprendre que vous mobiliseriez des moyens, jusqu'à 50 % des frais de fonctionnement. Les partenaires de l'État sont prêts à travailler avec lui.

Je ne crois pas à l'égalité, disais-je, mais je crois à l'équité. Soyez équitable, madame la ministre. Le monde rural a souvent besoin de moins de moyens pour réussir aussi bien, et parfois mieux, que le monde urbain. Il est question ici de qualité de vie et de ce lien social aujourd'hui si distendu. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien ! Il faut préserver la qualité de vie, la chasse aux pinsons...

Mme Delphine Bataille .  - Les espaces ruraux sont les plus touchés par la crise. Les campagnes, les petites villes paient le prix de plusieurs années de politiques publiques désastreuses. Le Nord est emblématique des difficultés qu'elles rencontrent ; si la population est jeune en zone urbaine, elle est vieillissante en milieu rural, un espace qui peu à peu se vide de sa substance.

Le Nord est marqué par l'artificialisation des terres, l'extension de l'habitat individuel, le vieillissement et la précarisation de la population, la hausse des loyers -qui deviennent inaccessibles aux familles les plus modestes-, la sur-représentation des personnes sans emploi et la sous-représentation des cadres. Dans les petits villages, les services publics ont été progressivement rayés de la carte. Les entreprises fuient à cause des infrastructures insuffisantes et mal entretenues. L'État n'a pas su, ces dernières années, relever les défis de ces territoires, entraînant défiance, voire rejet de la République. La RGPP a ravagé certains territoires dans tous les domaines, tandis que les services à la personne se sont effondrés.

L'exaspération, la colère montent, alors que la pression fiscale, fruit de décisions prises en 2011, augmente en frappant les classes moyennes, qui accusent à tort le gouvernement actuel. Nos concitoyens ruraux attendent plus de considération, plus d'égalité, plus de solidarité.

Le président de la République a souhaité, dès son arrivée, repenser l'aménagement du territoire. La responsabilité de votre ministère sur l'ensemble des territoires urbains et ruraux est une novation, à rebours de la concurrence des territoires auparavant encouragée. Je salue votre volonté de donner à chaque territoire les moyens de développer son potentiel, dans un contexte où la crise et l'endettement réduisent les marges de manoeuvre.

La population que je côtoie quotidiennement souffre et s'impatiente. L'accès aux services publics est vital pour les habitants des zones rurales ; face aux carences de l'offre de soin, l'état sanitaire de nos populations se dégrade. Nous attendons beaucoup du pacte « Territoire santé ». Des besoins croissants d'hébergement et de prise en charge des personnes âgées demeurent à satisfaire.

On n'a pas assez dit que le Gouvernement a donné la priorité à l'éducation...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Delphine Bataille.  - ...après une longue période de déclin, qui aurait pu atteindre la République dans ses fondements. La rentrée 2013 s'est bien passée, nous n'avons pas vécu dans l'angoisse des fermetures de classe.

Le numérique est l'un des tout premiers chantiers du président de la République, qui a défini des objectifs de couverture du territoire d'ici 2022. Où en est-on, madame la ministre ? Les opérateurs restent bien timides sur certaines parties du territoire...

Le développement des infrastructures de transports terrestres ne doit pas être oublié. Le discours des élus urbains ne s'applique pas aux zones rurales, mal desservies, dont les habitants ont besoin d'un véhicule pour se déplacer.

M. Roland Courteau.  - Absolument !

Mme Delphine Bataille.  - Il faut désenclaver ces espaces en modernisant les routes et avant tout les liaisons ferroviaires, dont l'état se dégrade.

Pour finir, je veux vous faire part des inquiétudes des habitants du Cambrésis. La fermeture de la base aérienne 103, décidée par le précédent gouvernement, a déséquilibré tout un territoire...

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas fini !

Mme Delphine Bataille.  - ...1 500 emplois ont été perdus. L'incertitude demeure sur le devenir du terrain de 350 hectares. Le préfet a annoncé la création imminente d'un syndicat mixte qui facilitera l'échange avec des porteurs de projets qui n'ont aujourd'hui pas d'interlocuteurs.

Autre point, le projet de canal Seine-Nord-Europe, qui fédère les élus de toutes tendances. Son coût a été sous-estimé par le gouvernement précédent. Le ministère des transports a signé un accord prévoyant un financement européen pouvant atteindre 40 %. Les quatre départements concernés sont prêts à apporter 500 millions d'euros, qui s'ajouteraient aux 500 millions des régions. On ne comprend pas, dans ces conditions, pourquoi ce projet mobilisateur, porteur d'avenir pour les régions du nord et de la Wallonie, ne se concrétise pas.

Nos territoires disposent d'atouts de nature à leur permettre de relever les défis. Le nord connaît de belles réussites, d'Amazon dans le Douaisis au terminal méthanier de Dunkerque. Les populations demandent plus de solidarité nationale, donc plus d'État. Un État fort doit compléter les efforts des collectivités décentralisées, pour démentir le sentiment croissant d'abandon. Son accompagnement est plus que jamais nécessaire pour donner un second souffle à nos territoire et de l'espoir à leurs habitants. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement - J'ai été très attentive à vos interventions sur ce dossier essentiel, comme à chaque fois que je viens au Sénat. Monsieur Maurey, la politique d'aménagement du territoire est de très long terme, c'est l'évidence. Mais 2013 aura été une année charnière. Dire que le Gouvernement n'a rien fait sur la santé, le très haut débit, les infrastructures ou les rythmes scolaires est caricatural. (M. Jean-Louis Carrère approuve) Je vous ai personnellement adressé cinq lettres de réponse et j'ai répondu sept fois à vos questions écrites. Les choix du Gouvernement ne vous conviennent peut-être pas, mais nous avons agi.

Le Snit a peut-être contenté beaucoup de monde mais il n'était pas financé. Nous avons fait le choix important et naturel, après le rapport Buron, de privilégier la desserte ferroviaire secondaire dans les territoires les plus fragiles.

M. Jean-Louis Carrère.  - À la charge des régions...

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Quant au commissariat général à l'égalité des territoires, il fallait que l'État se réapproprie la politique d'aménagement du territoire -il n'y avait, ces dernières années, plus de pilote dans l'avion, vous l'avez dit-...

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Et M. Guigou ?

Mme Cécile Duflot, ministre.  - ...en tenant compte des trente ans de décentralisation et en assurant son rôle de solidarité et de stratège. L'attention aux territoires les plus meurtris, que j'ai revendiquée en prenant mes fonctions, se justifie pleinement.

Monsieur Bertrand, l'égalité n'est pas l'uniformité. Les territoires ruraux et hyper-ruraux n'ont pas pour vocation de se transformer en espaces récréatifs à côté des métropoles. Nous devons travailler à l'échelle infrarégionale pour combattre des inégalités qui mettent en péril le pacte républicain.

N'opposons pas les services publics et les services au public : nos concitoyens ont besoin de culture mais aussi d'essence à la pompe autant que de sécurité. Nous pouvons inventer d'autres services publics que le maintien de l'existant. M. Maurey veut un ministère de plein exercice et transversal là où mes prédécesseurs n'avaient aucun pouvoir. J'ai, moi, réuni les opérateurs au ministère de l'égalité des territoires pour les faire travailler de conserve. Les maisons de service public, alimentées à part égale par les collectivités territoriales et le fonds national d'aménagement du territoire, constituent une réponse de proximité pérenne pour un accès à un niveau de service de bonne qualité. J'insiste sur la nécessité de la présence humaine, qui est le garant d'une forme de bien-être collectif ; un rapport du Cese le soulignait il y a deux ans.

Concernant le très haut débit et la fibre optique, le plan du Gouvernement en trois tiers ne délaisse pas les zones sensibles. Il ne s'agit pas seulement de fibrer, il est indispensable de penser les usages en amont.

Madame Masson-Maret, je crains que vous vous soyez trompée en évoquant mon budget. Le budget de fonctionnement sera réduit, en 2014, de 16,27 millions à 15,75 millions ; la création du CGET permettra d'associer territoires ruraux et urbains. Pour moi, la question de l'accès aux services publics se pose en termes politiquement identiques quels que soient les territoires : tous les citoyens ont droit aux mêmes services, avec des réponses adaptées.

Madame Didier, j'espère vous avoir convaincue sur les services publics : pour faire un tour de France, je crois que l'on ne peut pas s'en tenir aux seuls services publics ; il faut envisager l'ensemble de la palette pour développer nos territoires.

Monsieur de Montesquiou, le Gouvernement, qui a mis l'accent sur les territoires les plus enclavés, s'engage pour le très haut débit afin que la couverture numérique du territoire soit complète dans dix ans. Toutes les solutions techniques seront mises en oeuvre.

Monsieur Camani, je vous remercie d'avoir évoqué la relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales, qui représente effectivement un changement de paradigme. Nous voulons un véritable partenariat, dans lequel chacun assume ses responsabilités. Si l'État a les siennes, nous devons réfléchir à d'autres formes de solidarité entre les territoires, par exemple en matière d'ingénierie. Les centres-bourg ? Il est vrai que certains sont nécrosés, fragilisés. Leur revitalisation est complexe, il faut souvent repenser le bâti. Mais je ne veux pas anticiper sur la déclaration que fera le Premier ministre au Congrès des maires de France demain...

Monsieur Collin, le dialogue avec la gendarmerie importe, y compris pour les opérateurs. (M. Jean-Louis Carrère s'exclame) Les gendarmes connaissent un problème spécifique de logement...

M. Yvon Collin.  - Pas seulement les gendarmes...

Mme Cécile Duflot, ministre.  - ...auquel nous nous attelons.

Monsieur Lenoir, la devise républicaine ne reprend pas le mot d'équité, ce n'est pas un hasard. L'égalité, qui n'est pas l'uniformité, est un idéal qui fonde le pacte républicain.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'est une demande de justice.

Mme Cécile Duflot, ministre.  - C'est dans une relation réinventée avec l'État, qui en est le garant, que les collectivités territoriales serviront cette noble cause. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

M. Jean-Louis Carrère.  - Comme la qualité de vie... En attendant, je retiens mes applaudissements.