Débat préalable au Conseil européen (Suite)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Si l'Europe n'est plus un champ de bataille permanent, les enjeux stratégiques n'ont pas disparu. La politique de sécurité et de défense commune reste trop symbolique, malgré l'article 24 du traité sur l'Union européenne selon lequel les États membres s'engagent à définir une politique de sécurité et de défense commune pouvant conduire à une défense commune.

Rien n'a été fait depuis la directive relative au marché de la défense, transposée en 2011. L'Europe reste un nain, en matière de défense, dans un monde de géants. Ce Conseil européen est une occasion. C'est à la France, première puissance militaire avec le Royaume-Uni, de porter cette ambition. L'Europe a été absente en Libye, au Mali ; elle l'est aussi en Centrafrique. Le Royaume-Uni et la France ne peuvent pourtant supporter à eux seuls les efforts.

Voilà cinq ans qu'aucun Conseil européen n'a été consacré à la défense. Pourquoi ne pas créer un semestre européen ad hoc afin de réfléchir au financement mutualisé des Opex, qui bénéficient à tous ? Pourquoi ne pas soumettre les dépenses de défense à un traitement budgétaire spécifique et les soustraire des dépenses prises en compte dans le calcul du déficit maastrichtien ?

M. Le Drian, en commission, a exprimé ses inquiétudes sur l'avenir de certains projets d'armement. Aucun des trois avions européens n'a de successeur potentiel. À quand un Livre blanc de la défense européenne en procédant par cercles concentriques ?

Prenons tous conscience de l'importance de ce sujet. Votre responsabilité est grande, monsieur le ministre : bon courage. J'ai confiance en votre implication. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Billout .  - Le Conseil européen à venir abordera des points essentiels : Union économique et monétaire et politique de sécurité et de défense commune. Serons-nous, cette fois-ci, moins déçus par les décisions prises ? Dans le domaine de la défense, les crises récentes ont démontré à nouveau l'isolement français.

Alors que l'Europe consacre 175 milliards à la défense et qu'1,5 million de ses ressortissants sont sous les drapeaux, les projets de coopération sont en baisse depuis dix ans. Nous avons accumulé du retard en matière de drones et de géolocalisation, notamment par rapport aux Américains, puisque nous sommes dépendants de leur système GPS. EADS s'apprête à supprimer 6 000 emplois. Une plus grande coopération permettrait de réduire les coûts, de mettre au point des systèmes adaptés à nos besoins, comme les missiles antiradar -dont la production a été interrompue en 1994- ou encore de mutualiser la formation.

Au-delà, il faut redonner un souffle au projet européen. Les citoyens attendent surtout une relance de la croissance et de l'emploi. Nous regrettons que le Conseil européen n'ait pas prévu d'aborder ces questions. Mettre au point des indicateurs sociaux ne suffit pas : il faudrait définir des seuils au-delà desquels l'Union doit intervenir. L'Europe demeure muette, incapable de faire revenir la confiance. Face à la montée de l'extrême droite, il faut relancer le projet européen en posant les bases d'une croissance durable.

Prenez la taxe sur les transactions financières, toujours en cours d'élaboration : c'est une course de lenteur. Où en est-on, monsieur le ministre ? Le groupe GUE, au Parlement européen, a demandé un plan de relance quinquennal pour les pays qui en ont besoin et qu'1 % du budget européen soit utilisé pour le développement durable.

Nous nous réjouissons du sort du texte défendu par M. Bocquet sur les travailleurs détachés. Mais les chaînes de sous-traitance demeurent très longues et les secteurs hors BTP exclus du champ d'application des nouvelles règles. La France doit poursuivre ses efforts dans ce domaine.

La situation en Ukraine montre que certains peuples croient encore en l'Europe. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France dans le processus de rapprochement avec ce pays ? De même, nous devons encourager l'adhésion future de la Serbie, avec qui nos liens historiques sont importants.

Je forme le voeu que l'année 2014 soit une année solidaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

M. Dominique Bailly .  - J'ai présenté cet après-midi un rapport et une proposition de résolution européenne sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, qui ont été adoptés en commission. Mais j'observe que la volonté politique de certains États membres fléchit. Cela ne doit pas encourager l'immobilisme. Malgré le sommet de septembre 2012, aucun accord politique global n'a encore été conclu. Les conclusions du Conseil européen à venir seront de précieuses indications sur la volonté de chacun.

La France défend la dimension sociale de l'Union économique et monétaire, ainsi que l'idée d'un budget spécifique de la zone euro. Saluons la forte implication du président de la République. Il est indispensable d'instituer une capacité budgétaire propre, soumise à un contrôle parlementaire. Une assurance chômage européenne serait une initiative heureuse.

Cette capacité budgétaire faciliterait l'aide aux États membres en cas de choc asymétrique et fonctionnerait comme un mécanisme de soutien aux réformes structurelles et aux investissements, dans une logique intégrative et de solidarité. Elle pourrait être alimentée par une mutualisation de l'impôt sur les sociétés. L'établissement d'un calendrier de mise en oeuvre serait un signe positif pour les citoyens et les marchés.

Un tel mécanisme implique un contrôle parlementaire spécifique, au moyen de débats fréquents et de réunions de la conférence interparlementaire.

L'exercice demeure délicat, comme en témoignent les tensions entre le Parlement européen et les parlements nationaux à l'occasion de la première conférence interparlementaire de Vilnius. Monsieur le ministre, comment voyez-vous les choses ?

Les États membres doivent ensuite veiller au respect de leurs compétences, du principe de subsidiarité. Laissons-leur le temps de s'approprier les procédures pour se prémunir contre la tentation de la Commission de s'immiscer dans la réalisation des réformes dont ils doivent rester libres de définir les modalités qu'ils jugent opportunes.

Pour regagner en légitimité, la construction européenne doit intégrer un volet social plus ambitieux, apte à compenser les conséquences négatives de la politique monétaire et à répondre au plus près aux difficultés que rencontrent les citoyens...

M. Roland Courteau.  - Très Bien !

M. Dominique Bailly.  - Les politiques sociales et de l'emploi devraient être coordonnées dans le cadre du semestre européen et obéir à des objectifs prédéterminés. La dimension sociale doit apparaître dans la gouvernance européenne : dans la réunion au sein de l'Eurogroupe des ministres compétents, dans l'importance accrue donnée aux discussions avec les partenaires sociaux européens, dans la définition d'indicateurs sociaux, pour lesquels les propositions de la commission marquent un premier pas. Enfin, une assurance chômage européenne aurait une fonction de stabilisation économique et montrerait aux citoyens européens tout l'intérêt d'une zone économique commune. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - L'ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 décembre sera particulièrement lourd. Il était donc indispensable que ce débat ait lieu.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Bonne initiative !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Au-delà des sujets examinés par le Conseil, la partie interactive permettra d'aborder tous les points d'actualité. J'ai toujours combattu la relégation du débat au « petit hémicycle ». Il faut préserver cet acquis, qui fait l'objet d'un accord unanime de la commission des affaires européennes.

Depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux sont des acteurs de la construction européenne ; ils ne peuvent s'y dérober. Aux termes des traités, ils contribuent au bon fonctionnement de l'Union européenne, servant de relais entre les citoyens et les institutions européennes. Je suis persuadé que leur rôle sera reconnu à sa juste valeur.

À l'issue du Conseil Ecofin du 6 décembre dernier, les grandes lignes d'un accord d'approfondissement de l'Union économique et monétaire ont été adoptées. Je salue l'implication de la France sur ce chantier. Une plus grande intégration européenne est toujours possible.

Le Conseil européen évoquera la possibilité d'accorder le statut de pays candidat à l'Albanie et le cas de la Serbie, déjà candidate. Ce dernier pays a fait de gros efforts dans la normalisation de ses relations avec le Kosovo. Reste à favoriser le développement et la pacification de la région. Les négociations doivent servir à établir la confiance et à placer la Serbie en situation d'adhérer. L'Albanie n'en est pas là. Mais il serait opportun de lui adresser un signal positif en lui accordant le statut de pays candidat, comme le préconise la Commission européenne. « Les peuples n'ont pas besoin de certitude, mais d'espoir », écrivait justement Karl Popper. L'espoir d'adhérer, un jour, à l'Union européenne, qui stabilise les Balkans, ne doit pas demeurer vain.

Autres sujet brûlant : l'échec du sommet de Vilnius sur le partenariat oriental. Ces dernières années, les pays du partenariat oriental se sont rapprochés de l'Europe. Mais cette dernière n'a pas su entretenir, en parallèle, de bonnes relations avec la Russie, qui n'a pas manqué de d'exercer une pression inacceptable sur ses voisins.

Il n'est pas souhaitable que les pays du partenariat oriental soient sommés de choisir, comme certains enfants du divorce, alors que ni la Russie ni l'Union européenne ne peuvent répondre seules à leurs difficultés et à leurs aspirations.

Face à la situation en Ukraine, qui suscite de grandes inquiétudes, les objectifs de la politique de voisinage à l'est doivent être maintenus. Nous devons simultanément améliorer nos relations avec la Russie. « L'union douanière eurasiatique » proposée par la Russie ne doit pas être brandie comme un épouvantail. Elle n'est pas nécessairement une menace. Elle pourrait déboucher sur un accord commercial global à l'échelle du continent.

Il n'y a pas de fatalité à ce que l'Union européenne et la Russie se trouvent en situation de concurrence, voire d'adversité, alors que la réalité est celle d'une interdépendance et d'un avenir commun.

Je vous engage donc à tirer collectivement les leçons du rendez-vous manqué de Vilnius.

M. Thierry Repentin, ministre délégué .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Jean-Yves Le Drian, pourtant auditionné ce matin par votre commission des affaires étrangères et de la défense, et dont vous connaissez l'engagement, mais qui part tôt demain au Tchad.

La France consacre deux points de PIB à la défense. Les dépenses militaires d'investissement font marcher l'économie ; nous plaidons pour qu'il en soit tenu compte dans le calcul du déficit. Nous soutenons aussi l'idée de leur appliquer un taux réduit de TVA.

La politique européenne de sécurité et de défense est une politique relativement jeune mais dont les résultats ne sont pas nuls : 27 opérations sur trois continents, excusez du peu ! Il n'en faut pas moins renforcer nos capacités militaires, y compris en matière aérienne et de drones.

Les conclusions du Conseil Affaires étrangères et défense des 18 et 19 novembre derniers ont identifié des axes d'action sur les trois volets du mandat de décembre 2012. Le Conseil européen à venir est le premier moment clé de la nouvelle période qui s'ouvre. Un rendez-vous spécifiquement consacré à la politique de sécurité et de défense devra être fixé fin 2014-début 2015, sous présidence italienne, dont il constituera, m'a-t-on assuré à Rome, une priorité.

Les contractions budgétaires doivent encourager les Européens à mutualiser leurs capacités militaires. La France a joué un rôle moteur dans le partage des avions ravitailleurs. Une flotte internationale de six à huit appareils sera bientôt opérationnelle.

Depuis 2010, l'Union européenne a lancé des missions militaires en Somalie, au Mali, au Niger. Une mission de formation des forces centrafricaines est envisagée.

Le silence de l'Europe sur l'intervention en République centrafricaine est critiqué par certains. Notez qu'une intervention immédiate était indispensable et que les unités opérationnelles européennes ne peuvent pas encore être mobilisées. L'Union européenne a néanmoins accru les fonds à destination de la République centrafricaine.

Soyons clairs : la défense européenne n'existe pas encore en tant que telle. Les Opex nationales ne peuvent être financées par l'Union européenne. En revanche, celle-ci peut intervenir en matière de formation et aussi d'équipements. Le Conseil Affaires étrangères et défense des 18 et 19 novembre a donné en ce sens mandat à la Haute représentante d'élaborer un mécanisme de financement de l'Union.

Un mot sur les drones. Notre objectif est de développer un drone de surveillance d'ici 2020-2025. Mandat en a été donné à l'Agence de défense européenne. Un drone tactique sera ensuite à l'étude.

L'idée d'un Livre blanc européen a été émise dans le Livre blanc national. L'exercice pourrait être lancé en 2015. Il faudra éviter les discussions trop abstraites et s'attacher au caractère opérationnel de la politique de défense commune.

M. Gattolin a évoqué le cas portugais. Un nouveau budget d'austérité a été adopté au Portugal pour 2014, date à laquelle le pays entend revenir sur le marché des dettes souveraines. Mais attendons l'issue des discussions avec la troïka. La directrice générale du FMI vient d'estimer que la consolidation budgétaire avait été trop rapide et trop forte dans le pays.

M. Bizet a reconnu que la Commission européenne avait salué notre budget et encouragé nos efforts de réforme. Olli Rehn, dont on connaît les affinités politiques, a jugé ce budget responsable et fondé sur des hypothèses plausibles. Quant aux prévisions pour 2015, je vous rassure : il n'y aura pas de dérapage. Nos divergences avec la Commission s'expliquent aisément : Bruxelles calcule les déficits à politique inchangée. Notre déficit sera inférieur à 3 % en 2015.

L'augmentation de 3 milliards d'euros du capital de la BEI est inédite. La France disposera ainsi de 7 milliards d'euros, contre 4 milliards auparavant. Nous avons déjà signé pour 5,7 milliards de prêts ; 1,5 milliard d'euros sera mis à disposition des hôpitaux dans le cadre du programme « Hôpital d'avenir ». Je signerai bientôt un engagement semblable pour financer les universités -qui n'étaient, pas plus que les hôpitaux, éligibles aux fonds de la BEI avant que nous n'en fassions modifier les statuts.

La taxe sur les transactions financières (TTF) verra le jour : l'engagement pris par le président de la République sera tenu. L'avis consultatif rendu par le service juridique du Conseil européen ne portait que sur la territorialité de la taxe. Nous avançons main dans la main avec l'Allemagne sur ce dossier : notez que l'accord CDU-SPD maintient cette question sur la table.

J'en viens à la dimension sociale et à la mise en place d'un tableau de bord sur les indicateurs sociaux, dans le cadre de l'Union économique et monétaire, acte fondateur qui est à mettre au crédit de la France. Cinq indicateurs ont été proposés : ils devraient être validés lors du Conseil européen de décembre et rien n'empêche d'en proposer d'autres. Les ministres du travail ou des affaires sociales pourraient ainsi participer aux conseils Ecofin.

La création d'une capacité budgétaire européenne ne sera pas facile. Cela fait néanmoins partie des pistes défendues par le tandem Hollande-Merkel. L'idée d'une présidence à temps plein de la zone euro a été évoquée. Le président Martin Schulz a commandé un rapport sur sa faisabilité.

L'intégration des questions sociales au semestre européen est également une demande du président Van Rompuy.

Dans le domaine bancaire, nous allons assister, les 19 et 20 décembre, à une petite révolution. La supervision unique des banques des vingt-huit États membres minimisera les risques de défaillance. Le mécanisme sera opérationnel dans moins d'un an. Un accord vient en outre d'être trouvé sur un mécanisme de résolution unique, deuxième pilier de l'Union bancaire, pour la zone euro et les États membres volontaires. Des tests de résistance seront conduits sur tous les établissements bancaires en 2014.

Enfin, l'accord récent envisage l'harmonisation des règles relatives à la rémunération des dépôts.

J'en viens aux accords d'association. Il est regrettable que l'Ukraine l'ait refusé. De nombreux manifestants demandent désormais le rapprochement avec l'Union européenne. Notre offre demeure sur la table. Mais l'Ukraine n'est pas à acheter, pas plus que l'Europe n'est à vendre : à nous de réamorcer notre dialogue sur de nouvelles bases. De nouvelles mesures russes de rétorsion ne sont pas à exclure. L'Union européenne et la France ont fait appel à la non-violence et à la reprise du dialogue à Kiev. Le leader de l'opposition, M. Vitali Klitschko, doit être respecté.

Le président de la République a rencontré les représentants de tous les pays des Balkans. L'octroi du statut de candidat à l'Albanie dépendra des réformes internes : lutte contre la corruption, réforme de l'administration publique.

Nous avons encouragé le dialogue entre la Serbie et le Kosovo. Face à ces avancées, la France a soutenu l'ouverture d'un dialogue entre l'Union européenne et la Serbie. La stabilisation de la région est cruciale et notre responsabilité est grande. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

Débat interactif et spontané

M. Jacques Gautier .  - L'Europe de la défense tourne au ralenti. Notre rapport au titre provocateur, Pour en finir avec l'Europe de la défense, préconisait une alliance entre les pays qui le veulent et qui le peuvent. En avez-vous tenu compte, monsieur le ministre ?

Au Mali comme en République centrafricaine, la France est bien seule à payer le prix de la sueur et du sang. À quand des avancées concrètes ? Qu'avez-vous fait de ma proposition de créer un Eurogroupe de défense ? À quoi servent les groupements tactiques ? Qui mettra à notre disposition le matériel qui nous fait défaut ? Comment notre engagement humain et financier sera-t-il compensé ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Le président malien, hier à Strasbourg, a rendu hommage au rôle moteur de la France et témoigné que l'Union européenne avait répondu à ses demandes.

La politique de sécurité et de défense commune est encore jeune. Nous voulons des avancées concrètes en matière de capacités et pour être ensemble sur des théâtres d'opérations comme les Balkans, quand la Kfor se retirera. J'espère que vous pourrez dire dans un an : que de chemin parcouru ! (M. Robert del Picchia applaudit)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Le scandale Prism est dans toutes les mémoires. La mainmise des États-Unis sur les données européennes n'est qu'une demi-surprise, puisqu'elle est organisée par la loi.

Quelle est votre position sur la protection des données personnelles et la sécurité informatique, monsieur le ministre ? Où en est la préparation du règlement européen sur ces questions ? Le scandale Prism n'a, hélas, provoqué aucun sursaut. (M. André Gattolin applaudit)

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - La question est stratégique. Les récentes révélations ont montré l'importance de renforcer les règles. La protection des données a été à l'ordre du jour du dernier Conseil des 24 et 25 octobre à la demande de la France. Il a été décidé que le règlement relatif à la protection des données personnelles serait adopté au plus tard début 2015. Toute personne résidant dans l'Union européenne devra bénéficier des protections offertes par le droit européen et les entreprises devront voir leurs formalités assouplies. Les responsables de traitement devront se voir appliquer la législation européenne.

La politique de sécurité et de défense commune est aussi le moyen de renforcer la protection des données. Le système de géo-positionnement Galileo est entièrement maîtrisé par les Européens, alors que le GPS est aux mains des militaires américains. Les 38 satellites de Galileo seront opérationnels dans deux ans. C'est une question de souveraineté.

M. Jean-Yves Leconte .  - Des millions d'Ukrainiens manifestent, dans tous les pays, contre le rejet abrupt par le gouvernement du pays de l'accord d'association avec l'Union européenne. Cela fait du bien à ceux qui doutent du projet européen. Soulignons cependant que certaines conditions n'étaient pas remplies, comme le sort réservé à Mme Timochenko, ou en matière institutionnelle.

Le président Ianoukovitch fait monter les enchères entre l'Union européenne et la Russie. C'est déplorable. Garantissons aux Ukrainiens l'État de droit auquel ils aspirent.

Comment l'Union européenne peut-elle encourager le dialogue et, in fine, faire gagner la démocratie ? (M. André Gattolin applaudit)

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Sans apporter des garanties, nous pouvons agir. À Kiev, j'ai vu des jeunes de toutes conditions, de tous âges, qui refusaient la décision du Gouvernement de tourner le dos à l'Europe. L'Union européenne était prête à apporter quelques centaines de millions d'euros mais exigeait des contreparties : liberté de la presse, réforme du mode de scrutin, fin de la justice sélective symbolisée par le cas de Mme Timochenko. Le gouvernement ukrainien, subissant sans doute les pressions russes, a décliné notre proposition. Nous avons dit que la porte restait ouverte, à condition que les réformes demandées soient accomplies. Une mission de médiation a été confiée à Mme Ashton, à laquelle participe la vice-secrétaire d'État américaine. Nous veillerons à ce que la force ne soit pas employée contre les manifestants.

Mme Annie David .  - Je suis satisfaite du premier pas obtenu sur les travailleurs détachés, tout en étant frustrée que l'on ait entériné la directive alors que nous exigions que la responsabilité solidaire s'applique à tous les secteurs et à l'ensemble de la chaîne de sous-traitants. Nous demandions aussi une limitation à trois échelons de la chaîne de sous-traitance, qui peut en comporter douze.

Une liste d'informations « pourra » être demandée aux entreprises. C'est bien peu contraignant. Est-ce la liste « ouverte » ou la liste « fermée » ?

Plutôt qu'une proposition de loi du groupe socialiste, j'aurais préféré un projet de loi pour transposer cette directive car l'article 40 nous empêchera de prévoir des moyens supplémentaires pour les Urssaf, la police et l'inspection du travail.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Nous revenons de loin. Beaucoup pariaient sur notre échec. Rien n'aurait alors changé, au moins pendant un an.

S'agissant de l'article 9, c'est bien une liste ouverte d'informations qui est prévue. Elle sera précisée par la loi française et les documents devront être écrits en français.

L'article 12 responsabilise les donneurs d'ordre, obligatoirement et sans seuil dans le BTP, facultativement ailleurs. C'est une belle avancée. Il y a dix-huit mois, certains pays ne nous auraient pas rejoints. C'est significatif : certains prennent conscience de la résonnance de ce dossier dans l'opinion et ne veulent pas donner de grain à moudre aux eurosceptiques. Je salue le choix de la Pologne, qui a privilégié l'intérêt européen.

M. André Gattolin .  - L'Europe manque d'une vision industrielle. Bruxelles considère les crédits d'impôt comme une concurrence déloyale. Or je n'ai rien vu dans le sujet de l'accord entre l'Union européenne et le Canada qui applique des crédits d'impôt de 50 % ! De même, le prétendu « miracle » américain des relocalisations s'explique simplement par des crédits d'impôt... qui peuvent atteindre 100 %, loin du crédo anglo-saxon asséné par certains secteurs la Commission, que les pays anglo-saxons se gardent d'ailleurs bien d'appliquer.

À force de dogmatisme libéral, la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne pénalise nos industries d'excellence, comme les jeux vidéo. L'OMC, moribonde malgré l'accord récent (M. Jean Bizet le conteste), ne partage pas les réticences de Bruxelles.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - L'accord Union européenne-Canada est bien avancé mais non encore adopté. Le Parlement français sera bien sûr appelé à ratifier les accords avec le Canada et les États-Unis. Si un seul État membre ne les ratifie pas, ils ne seront pas appliqués.

Un travail préalable énorme reste devant nous avant de conclure l'accord avec les États-Unis.

Le marché unique est au coeur de l'Europe. Nous ne saurions donc, entre nous, fausser la concurrence. Cela dit, les crédits d'impôt ne posent pas problème s'ils ne sont pas anti-concurrentiels : ce n'est notamment pas le cas du CIR. CIR et CICE répondent aux besoins de dynamisation des entreprises. La Commission européenne n'y est pas défavorable par principe.

M. Robert del Picchia .  - En ce qui concerne l'Europe de la défense, finissons-en avec les déclarations non suivies d'effet. La France plaidera-t-elle pour une simple mutualisation ou pour une coopération renforcée ? Quel sera l'impact du report de charges de 3,5 milliards d'euros sur nos capacités industrielles et de mutualisation d'équipements ?

Nous investissons moins que l'Allemagne dans les dépenses militaires : 31,4 milliards contre 31,7 milliards. Il faudrait déjà que cet écart ne s'accroisse pas, quand on annonce, comme l'a fait le ministre de la défense, que notre armée serait la première d'Europe en 2019.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Je n'entrerai pas dans les détails budgétaires sur lesquelles M. Cazeneuve est plus compétent que moi.

Un mandat très clair a été donné aux institutions européennes pour faire progresser la politique de sécurité et de défense commune. Ce sera un processus à moyen, sinon long terme. Nous aurons un rendez-vous décisif fin 2014. Il faudra définir la base technologique de la défense européenne.

Au-delà même des impératifs de défense, 400 000 emplois sont en jeu. Cela n'a pas échappé à mes collègues européens. Certains, d'ailleurs, qui n'avaient d'yeux que pour l'Otan, se rapprochent d'une dynamique européenne. Je pense en particulier à la Pologne, qui pourrait prendre bientôt des décisions très importantes par leur impact sur l'Europe de la défense. Je ne peux vous en dire plus pour le moment.

M. Robert del Picchia.  - Puissiez-vous être entendu !

M. Yannick Botrel .  - Nous avons souvent été alertés par les industriels sur les dangers de la directive sur les travailleurs détachés. Il aura fallu la détermination de la France, soutenue par l'Allemagne et la Pologne, pour arracher un accord. C'est un grand progrès pour les travailleurs détachés et pour les entreprises françaises.

Les règles applicables au BTP, qui concentre certes 90 % des fraudes, devraient être étendues à l'agroalimentaire et aux transports. Est-ce envisageable ? Quand l'accord sera-t-il transposé ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Libre circulation, oui ; exploitation des travailleurs, non : voilà le principe qui a guidé la position de la France. J'ai rencontré le président de la Fédération française du bâtiment ; il partageait nos positions, y compris sur la nécessaire responsabilisation des entreprises du secteur.

La Fédération française du bâtiment a même mené une campagne de communication sur ces questions.

Dans les jours qui viennent, des discussions s'ouvriront entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen pour rédiger un texte. Cela doit être fait avant mai. Peut-être pourra-t-on arracher encore quelques concessions mais le mieux est souvent l'ennemi du bien.

La lutte contre les distorsions de concurrence passe aussi par un salaire minimal. Là aussi, pas à pas, on y arrive.

M. Jean Bizet .  - Je pensais vous interroger sur l'union bancaire, essentielle à la stabilité monétaire et économique. En revanche, vous n'avez pas répondu à mes inquiétudes sur la dérive budgétaire attendue en 2015. Je souhaite que vous ayez raison et vous donne rendez-vous en 2015.

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Je comprends qu'il s'agit d'une conclusion plutôt que d'une interpellation. Il dépendra aussi du Parlement qu'il n'y ait pas de dérapage budgétaire dans les lois de finances pour 2014 et 2015... Ces dernières années, la crédibilité de la France s'est émoussée et les responsabilités sont pour le moins partagées... (Sourires)

M. Michel Billout .  - EADS, malgré un chiffre d'affaires de 56 milliards d'euros et un résultat net d'un milliard d'euros, a annoncé la suppression de 5 800 emplois. L'État français, qui détient 12 % de son capital, a les moyens d'agir pour orienter les choix stratégiques du groupe. Que fera le Gouvernement ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - M. Montebourg et le Premier ministre lui-même se sont saisis de ce dossier. Tout sera fait par l'État pour qu'il n'y ait pas de suppressions d'emplois. Pour soutenir la recherche et l'innovation, nous plaidons pour une TVA à taux réduit sur les produits de l'industrie de défense, je l'ai dit. Et nous ne sommes pas défavorables à la soustraction des investissements de défense du solde maastrichtien.