Débat préalable au Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre 2014.

Orateurs inscrits

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes .  - Je remercie le Sénat d'organiser ce débat. Le Conseil des 18 et 19 décembre sera le premier en présence des présidents Juncker et Tusk. Son ordre du jour portera sur la relance de l'économie européenne et des investissements, avec le nouveau cadre pour les investissements en Europe, proposé par la Commission européenne. La France en avait fait une priorité et un impératif. Ce plan devra être rapidement adopté.

Le premier volet consiste à créer un nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques. Ce Fonds comprendrait une garantie de 16 milliards du budget de l'Union européenne, à quoi s'ajouteraient 5 milliards apportés par la Banque européenne d'investissement (BEI). Il devrait avoir un effet multiplicateur de 1 à 15 et attirer des co-financements. Ce sont donc 315 milliards d'investissements supplémentaires qui sont attendus pour les trois prochaines années.

Le défi est de casser le cercle vicieux du manque de confiance et du sous-investissement qui contribue à la stagnation de l'économie. Le Fonds interviendra dans le domaine des infrastructures mais aussi de la recherche et de l'éducation ; bref, tous les sujets d'avenir.

Les projets sont sélectionnés par une task force en fonction de leur valeur ajoutée européenne, de leur viabilité et leur valeur économiques avérées, de leur possibilité de débuter au plus tard dans les trois prochaines années.

Il s'agit de rendre l'Europe plus attractive pour les investissements, créer une union des marchés de capitaux, surtout à destination des PME. La Commission présentera une liste de priorités. Le Conseil européen se fixera deux clauses de revoyure, sur le marché de l'énergie en mars 2015 et sur le numérique en juin 2015.

Le Fonds devra pouvoir intervenir en prêts mais aussi en capital. La stagnation actuelle met en danger la croissance à long terme de l'Union européenne.

Les techniques de financement innovantes, à l'instar de project bonds, ont fait leurs preuves. Le dispositif doit être opérationnel au plus vite, en 2015. La Commission présentera une proposition législative début janvier 2015 ; le Conseil et le Parlement européen devront travailler vite pour une mise en oeuvre dès le deuxième semestre 2015. Dans la situation de crise actuelle, marquée par une croissance nulle, un investissement inférieur de 15 % à ce qu'il était en 2007 et des taux de chômage élevés, il y a urgence.

La BEI démarrera en outre le financement d'un certain nombre de projets sur ces fonds actuels.

Ce calendrier ambitieux est assorti d'une feuille de route précise. Ces propositions devront être complétées, amplifiées -nous l'avons redit lors du Conseil franco-allemand de la semaine dernière. La lutte contre l'optimisation fiscale, la taxe sur les transactions financières, le renforcement de la zone euro sont des priorités majeures sur lesquelles il faudra avancer rapidement.

Ce plan peut être renforcé. M. Juncker a évoqué devant le Parlement européen les contributions additionnelles des États membres, qui pourraient entraîner une flexibilité du pacte de stabilité. La BEI aussi sera sollicitée.

Les chefs d'État et de gouvernement échangeront aussi sur l'Ukraine. Depuis la réunion organisée à Ouistreham par le président Hollande, la France poursuit inlassablement le même objectif : la paix et la recherche d'une solution politique. Le bilan s'alourdit : plus de 1 000 tués depuis septembre, malgré le cessez-le-feu. L'exaspération de la population ukrainienne, les sanctions envers la Russie pèsent sur la situation.

Nous devons intensifier nos efforts, tant auprès des Russes que des Ukrainiens, pour qu'ils reviennent aux accords de Minsk, qui donnent une feuille de route pour retourner vers une situation de paix. Le président de la République a pris l'initiative, la semaine dernière, de rencontrer le président Poutine pour plaider pour une désescalade et une relance du processus politique. Les résultats sont là : le président Porochenko a annoncé que les tirs avaient cessé dans le Donbass. Les accords de Minsk doivent servir de feuille de route. Il n'y a pas, pour nous, d'autre objectif que de préserver la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine démocratique. Il en va de la stabilité du continent, de la paix, de nos relations avec nos voisins.

Voilà quel sera le programme du Conseil des 18 et 19 décembre, à l'aube d'une année 2015 qui doit être utile, celle de la croissance, de l'emploi et de la relance du projet européen. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. André Gattolin .  - C'est donc à un nouveau plan de relance, préparé par la Commission, que le Conseil consacrera ses travaux. De fait, le niveau de l'investissement en Europe est préoccupant : il a décru de 15 % depuis 2007. La compétitivité de l'Union européenne en est fortement affaiblie. Il y a urgence à agir. Hélas, nous ne sommes pas persuadés que les mesures proposées soient aussi solides et pertinentes qu'elles devraient l'être. Le montant de 315 milliards ne représente en réalité que 2 % du PIB européen. En 2009, les États-Unis avaient opté pour un plan de relance de 650 milliards d'euros.

Le plan repose en outre sur un montage financier discutable : un fonds de 16 milliards, auquel s'ajoutent 5 milliards de la BEI, soit 21 milliards d'argent public -qu'on espère, par un double effet de levier, transformer en 300 milliards... Ce chiffre de 300 milliards a été annoncé, puis on a tenté de le justifier par une maquette de financements élaborés dans la précipitation. Nous ne sommes pas aussi optimistes sur l'effet multiplicateur de ce fonds, censé soutenir des investissements de long terme et des services publics qui, précisément, n'intéressent guère les investisseurs privés.

On nous avait déjà promis le même type de plan en 1992, sous Delors, puis avec le plan Chirac, en 2006 ; sans parler du plan de relance de 2012, dont on peut questionner l'efficacité. Le risque est qu'il se réduise à un effet d'aubaine pour le privé. La BEI n'intervient que très peu dans l'agriculture, la défense ou l'éducation. Ces domaines seront-ils exclus du plan Juncker ? Le parcours de ses financements est peu clair : ces fonds peuvent transiter par des banques commerciales... Une étude exhaustive des pratiques serait bienvenue pour remédier à d'éventuels abus. Il faut mieux cibler les politiques, mieux utiliser l'argent public.

L'Union européenne s'est construite dans la gestion de crises successives ; elle peine à mettre en place des synergies pour agir collectivement et de manière cohérente. La politique de la concurrence prend trop souvent le pas sur la politique industrielle ; l'harmonisation fiscale piétine. Les négociations sont à la fois trop et pas assez exclusives les unes des autres : le traité de libre-échange avec le Canada sera-t-il ratifié par le seul Parlement européen ou par les 28 parlements nationaux ?

Réorganisons, clarifions, revivifions les institutions européennes pour remettre l'Union européenne sur une trajectoire positive et porteuse d'avenir ! (Applaudissements à gauche)

M. Michel Billout .  - Le chômage ne cesse d'augmenter, la population européenne s'est paupérisée, l'investissement stagne. Même l'Allemagne souffre : avec la politique d'austérité d'Angela Merkel, 20 % de la population sont sous le seuil de pauvreté et des infrastructures fondamentales souffrent d'obsolescence. Les leçons de la chancelière sont particulièrement mal venues...

L'investissement dans la zone euro est de 15 % inférieur à ce qu'il était en 2007. Cette chute est double de celles que subissent les États-Unis et le Japon. L'investissement ne représente plus que 19 % du PIB, contre 25 % aux États-Unis. Pour investir au même rythme que les États-Unis, l'Europe devrait y consacrer 500 milliards d'euros de plus.

Le plan Juncker, censé enrayer la spirale déflationniste, ne mobilise toutefois que très peu de fonds publics : 21 milliards. Les projets sélectionnés risquent de l'être sur les critères de rentabilité de court et de moyen terme. Le plan repose sur une logique de marché pour mettre en concurrence les États et les projets. Ceux-ci seront sélectionnés par des experts, non par les commissaires. Enfin, le plan reste axé sur les réformes structurelles libérales, avec pour but de créer un bon environnement pour les affaires. La règlementation des tarifs de l'électricité, par exemple, est dans la ligne de mire du président Juncker. Si cela marche, les profits tomberont dans les bonnes poches ; sinon, l'argent public viendra suppléer...

Pour nous, l'investissement doit servir à relancer la commande publique, renforcer les compétences professionnelles et l'insertion dans l'emploi, soutenir le pouvoir d'achat, créer de la croissance et cibler les réseaux porteurs d'un aménagement du territoire finement maillé. Cela suppose une réorientation des politiques nationales. Nous ne pensons pas, nous, que l'investissement et donc la dette soient une trahison des générations futures ; au contraire, c'est préparer leur avenir.

Faisons supporter par les banques les dommages causés par la crise financière. Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, prévu dans les traités commerciaux, avec le Canada et les États-Unis, limite la souveraineté des États. C'est inacceptable. C'est pourquoi nous nous félicitons de l'adoption de notre proposition de résolution, à l'unanimité, par la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Claude Requier .  - Le 15 juillet dernier, le président Juncker à peine nommé annonçait un paquet sur la croissance, l'investissement et l'emploi. On ne peut que partager ce choix, le président François Hollande avait lui-même proposé, dès juin, une feuille de route pour réorienter l'Union européenne vers la croissance et l'emploi. En effet, loin de l'embellie espérée, la reprise a été décevante, le climat restant tendu avec la crise ukrainienne. Le chômage reste très élevé, autour de 10 %. Le risque de déflation est un vrai sujet d'inquiétude ; l'action de la Banque centrale européenne (BCE) sur les taux directeurs l'a contenu jusqu'à présent mais sans faire redémarrer l'économie.

Il faut donc des ambitions fortes pour la zone euro, d'autant que les États-Unis ont renoué avec la croissance. Il n'y a donc pas de fatalité. C'est une question de volonté politique. L'annonce du plan Juncker va dans le bon sens, bien que la prudence incite à se méfier des effets d'annonce.

Certes, concilier les souhaits des uns et des autres n'est pas aisé dans une Europe à 28. Les négociations sur le budget européen ont été compliquées : le projet de budget, arrêté à 145 milliards par le Conseil, a été revu par le Parlement européen, ce qui aboutit à faire des coupes sur la rubrique compétitivité... Quel paradoxe !

On peut donc légitimement s'inquiéter sur le grand plan d'investissements, qui suscite bien des critiques. La Commission européenne table sur un effet de levier de 1 à 15. Le secteur privé sera-t-il au rendez-vous ?

Injecter 21 milliards d'euros, c'est 0,5 % du PIB de la zone euro seulement. L'Union européenne devrait rechercher la solidarité plutôt que la concurrence. Un exemple, les abattoirs allemands, où les salariés sont payés 5 euros de l'heure. C'est une concurrence déloyale ! Heureusement, l'Allemagne annonce un Smic. Et que dire de l'optimisation fiscale, illustrée par le scandale Lux Leaks ? J'appelle de mes voeux une véritable harmonisation fiscale et une coordination économique, au service d'un véritable fédéralisme européen.

Autre sujet au menu du Conseil : Ebola. Le virus a fait plus de 5 000 victimes et des milliers de personnes sont encore contaminées chaque semaine. La France a annoncé une aide de 100 millions : pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ? La mutualisation et la coordination des moyens est la meilleure façon de lutter contre ce fléau.

Faut-il qu'on vous respecte, monsieur le ministre, et qu'on aime l'Europe pour rater le match de football et être dans l'hémicycle ce soir ! (Sourires et applaudissements à gauche)

M. David Rachline .  - Quel acharnement à ne pas remettre en cause un modèle européen rejeté par les peuples -souvenez-vous du non au référendum sur le traité de Lisbonne en 2005. La politique de l'Union européenne, c'est celle de l'autruche. M. Juncker, ancien dirigeant d'un paradis fiscal, manie les milliards mais les européistes ont perdu la confiance des peuples, et des investisseurs. Ce plan à 300 milliards n'est d'ailleurs même pas financé : on en a à peine 21. Le coefficient multiplicateur de 15 est très présomptueux, disent les spécialistes. Il n'y aura pas d'effet sans plans nationaux. Il ne représente que 3 milliards par pays et par an...

Bref, on est quasiment sûr que sa portée sera nulle. La très forte hétérogénéité des pays de l'Union européenne est un frein à la confiance. En outre, ces 16 milliards viennent en partie de réaffectations, preuve que le budget de l'Union européenne n'était pas si bien conçu.

Comment mener une politique économique sans leviers monétaire, commercial, budgétaire ? La France doit retrouver au plus vite sa souveraineté.

Sur la crise ukrainienne, nous sommes en profond désaccord. En poussant l'Ukraine à s'inféoder aux États-Unis, l'Europe s'éloigne de la Russie, qui se tourne vers la Chine. L'épisode des Mistral est édifiant.

Je remercie la commission des affaires européennes d'avoir organisé ce débat. Il permet de donner la parole à ces millions de Français qui, aux élections européennes, ont fait du Front national le premier parti de France !

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Je rends hommage à Jacques Barrot ; ce grand Européen savait à quel point le sort de la France est indissociable de celui du continent, monsieur Rachline. Sa disparition est une grande perte pour notre famille démocrate, chrétienne, celle de Jean Monnet, Alcide De Gasperi, Konrad Adenauer, celle des pères fondateurs de l'Europe.

M. Simon Sutour.  - Avec d'autres !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Certes. La crise change de visage tous les ans. L'avenir économique de la zone euro est assombri par le spectre de la déflation ; nous devons y apporter une réponse concrète. Attention à ce que le plan Juncker ne se limite pas à une opération de saupoudrage. Matteo Renzi dit que la politique budgétaire et financière de l'Union doit avoir « un nom et un prénom » : Stabilité et Croissance.

L'Union européenne a un potentiel sous-exploité pour réaliser des investissements que les États ne peuvent mener seuls. Ne passons pas à côté de l'essentiel : il s'agit bien de financer des projets structurants pour l'avenir.

Il faut éviter le saupoudrage. Le Gouvernement a envoyé à la Commission une liste de 32 projets nécessitant 48 milliards d'euros. Un doute me hante : ne passons-nous pas à côté de l'essentiel ? Le plan Juncker doit être stratégique, pas géométrique : il ne s'agit pas de reverser une quote-part au prorata de la richesse relative des États mais de financer des projets structurants pour l'avenir.

Le Gouvernement mentionne le projet de gazoduc Val de Saône, la liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle Express ou la prolongation de la ligne E du RER vers la Défense. On parle aussi de 15 milliards d'euros pour les usines pilotes de nouvelle génération. Ces propositions sont intéressantes, mais qu'en est-il du programme de rénovation urbaine ? Ce n'est pas à l'Europe de le faire mais à l'État ? Idem pour la rénovation thermique des logements ou les prêts aux PME qui investissent dans le capital technologique.

Peut-être devrions-nous nous concentrer sur les sujets qui dépassent le cadre national : la transition énergétique, l'énergie, le numérique, l'espace. Depuis le Moyen Âge, l'Europe a toujours été structurée du nord au sud ; elle manque de grandes lignes de communication est-ouest. Le Lyon-Turin est l'exemple même du projet structurant pour l'avenir et vecteur de croissance pour demain. Je m'inquiète donc de l'opposition des eurodéputées écologistes Karima Delli et Michèle Rivasi.

L'objectif de 315 milliards est spectaculaire, peut-être trop optimiste. Nous ne pouvons prendre le risque de l'échec. Dans cinq ans, il sera trop tard. L'Europe est fragile, elle n'a pas d'énergie. Que pèse-t-elle face à la Chine, première puissance économique mondiale, dont la marine est en Méditerranée, qui a essayé d'acheter l'Islande ?

Réfléchissons à nos relations avec la Russie. Nicolas Sarkozy ne disait pas autre chose dans son discours de Saint-Pétersbourg, quand il proposait un ensemble économique Union européenne-Russie. C'est une piste à creuser. J'ai participé à la délégation parlementaire qui s'est rendue au Kazakhstan avec le président de la République, puis en Russie, et s'inquiète des conséquences des sanctions. C'est pourquoi je me réjouis de la récente initiative du président Hollande : intelligemment préparée, elle peut aider le président russe à sortir de l'isolement dans lequel il s?est enfermé.

Nous ne pouvons faire l'Europe si nous ne regardons pas en dehors de nos frontières. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et écologistes)

Mme Fabienne Keller .  - Au prochain Conseil européen, les États membres examineront le plan Juncker pour la croissance et l'investissement. La situation de l'investissement est en effet préoccupante : il a diminué de 15 % depuis 2007. L'économie française est encalminée. Sa croissance structurellement faible est liée à de faibles niveaux d'investissements et à des déficits élevés. Notre économie n'est soutenue que par la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro : les politiques menées depuis 2012 se sont révélées inefficaces.

M. Simon Sutour.  - C'est nuancé !

Mme Fabienne Keller.  - Il n'y pas de croissance avec des déficits et une dette élevée. Notre pays est d'ailleurs en procédure pour déficit excessif.

M. Simon Sutour.  - Qui l'a creusé ?

Mme Fabienne Keller.  - L'investissement n'est qu'un pilier de la stratégie européenne, avec des finances publiques responsables. Il était impensable d'accroître l'endettement des États. Le déterminant fondamental de l'investissement, c'est la confiance.

Le plan Juncker constituera un appel d'air utile pour nos entreprises, mais n'est qu'une solution de transition. Si notre groupe ne rejette pas cette initiative, c'est bien parce qu'elle déçoit la gauche, parce qu'elle est raisonnable.

Il ne fait que mobiliser un financement existant, et rassurer les marchés. La sélection des projets par un comité d'experts est une bonne chose, pour sortir d'une logique de subventions nationales.

La recherche d'un effet de levier est nécessaire. Mais un multiplicateur de 15 ? C'est impressionnant ! On risque une déconvenue, après des effets d'aubaine. Le calcul de rentabilité est toujours délicat, et faussé en ce moment par la faiblesse historique des taux d'intérêt.

Privilégions la culture, les transports, le capital humain -via Erasmus, Leonardo, les programmes de recherche, malheureusement de plus en plus rabotés.

Comment le plan Juncker s'articulera-t-il avec les investissements d'avenir ? Évitons les mécanismes de substitution.

Comment la France soutiendra-t-elle les projets nationaux ? Quel sera le rôle de la Caisse des dépôts ? Quid du contrôle parlementaire ? Jusqu'où mener une politique monétaire expansionniste ? À quand une harmonisation fiscale, un small business act, des outils de gouvernance européens ?

Nous ne disons pas non au plan Juncker ; mais une politique d'investissement saine doit être claire et porteuse d'avenir pour tous les pays européens. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Didier Marie .  - Le Conseil européen de décembre doit prendre des décisions essentielles pour l'Europe : après l'union bancaire l'an passé, la relance de l'économie est en jeu. L'investissement ralentit considérablement, ce qui nous fait perdre 0,5 point de croissance annuelle. Les États-Unis ont, eux, retrouvé leur niveau d'investissements d'avant-crise. Perte de compétitivité, chômage des jeunes : ni Rosetta ni Ariane 6 ne doivent occulter la réalité.

L'Union européenne bénéficie pourtant d'un alignement des astres remarquable : l'euro baisse par rapport au dollar, le prix du baril de pétrole baisse, les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi faibles ce qui nous permet d'emprunter à bas coût. La liquidité est forte mais va dans les bas de laines plutôt que vers l'investissement, du fait d'une forte aversion au risque, résultat d'une grave crise de croissance. Le moment est venu d'agir.

Comment ne pas voir dans l'annonce du plan Juncker l'impulsion de François Hollande qui a su, depuis 2012, créer les conditions de ce virage économique historique, grâce à la crédibilité retrouvée de la parole de la France ? Nous tournons enfin le dos au tout-austérité.

La BEI devient l'outil nécessaire au retour de la croissance. Les priorités -numérique, transports, emploi des jeunes- sont à saluer, comme la création de comités d'experts et l'exclusion de ces dépenses du champ des déficits nationaux.

Il reste des sujets d'inquiétudes. L'Union européenne doit apporter 60 à 80 milliards d'argent frais, nous en sommes loin. La Pologne, les libéraux du Parlement européen plaident pour 700 milliards ; les socialistes pour 800 milliards. La task force a dénombré plus de 2 000 projets réclamant 1 200 milliards d'investissements... Et les collectivités territoriales ne sont pas encore associées...

Le fonds européen d'investissement stratégique ne sera finalement doté que de 16 milliards du budget européen, auxquels il faut ajouter les 5 milliards de la BEI. Cette dernière pourrait assouplir ses conditions de financement, prendre plus de risques et engager davantage de fonds propres. Quid de la mise à disposition des disponibilités du MES, même si l'Allemagne s'y refuse pour l'instant ?

L'annonce d'un coefficient multiplicateur de 15 est-elle bien réaliste ? On espère des fonds privés pour financer les projets de recherche fondamentale ou dans le secteur des transports ; or, il s'agit d'investissements de long terme... Le mécanisme ne doit pas s'enliser comme s'est un peu enlisée la garantie jeunesse... En résumé : pas de recyclage de financements existants, davantage d'argent public et des projets à effet immédiat. La France a déposé une trentaine de projets, pour 40 milliards d'euros, qui peuvent démarrer rapidement. Il faut aussi conforter cette stratégie par des ressources propres. La création d'un livret d'épargne européen, la lutte contre l'évasion fiscale, la taxation des grands groupes du numérique sont d'autres pistes à explorer.

Des mesures récentes ont permis de réorienter l'Europe. Nous avons besoin à présent d'un budget offensif de soutien de la croissance et de l'investissement. A défaut, nous courons le risque du populisme et de la désintégration. Nous soutenons le plan Juncker mais souhaitons que la France soutienne d'autres pas sur le chemin de la restauration de l'idéal européen. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances .  - La Commission européenne présentera bientôt son exercice annuel de croissance qui marque le début du semestre européen. La France présentera, elle, son programme de stabilité et son programme national de réformes.

Le plan Juncker est important mais ne nous dispensera pas d'adopter une politique économique européenne adaptée aux circonstances. La consolidation budgétaire ne doit pas se faire au détriment de la croissance économique.

La Commission appelle à une politique budgétaire responsable : c'est à quoi s'attache le France avec la baisse de la fiscalité des ménages, le CICE et le pacte de responsabilité. Le rythme de baisse des déficits ne doit pas compromettre la reprise. Les choix de notre pays jouent le jeu européen sans casser l'investissement. La Commission a d'ailleurs invité l'Allemagne à investir davantage.

Le plan Juncker mobilisera 310 milliards sur la période 2015-2017. Son montage s'apparente à un jeu de poupées gigognes : en réalité, il est doté de 21 milliards d'euros. L'effet de levier attendu serait donc de 1 à 15. Dans quelle mesure ce dispositif incitera-t-il à plus d'investissements que ceux déjà prévus par les acteurs privés ?

Le projet de réforme bancaire de l'ancienne Commission n'a pas les mêmes contours que la législation française. Je souhaite que la commission des finances étudie les conséquences de la réforme que nous avons votée en 2013. Monsieur le ministre, avez-vous des informations sur l'inscription de ce texte à l'agenda ? Dans quelles dispositions le Gouvernement aborde-t-il tous ces sujets ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes .  - Je vous prie d'excuser excuser l'absence de M. Bizet, retenu par des obligations impératives.

Le Conseil européen des 18 et 19 décembre débattra de nouvelles mesures pour la croissance, l'emploi et la compétitivité en Europe, discutera du plan Juncker et se prononcera à la suite de la présentation de l'exercice annuel de croissance.

La nouvelle Commission a identifié trois piliers pour la politique économique et sociale de l'Union : un coup de fouet à l'investissement ; un nouvel effort dans les réformes structurelles ; la poursuite de l'assainissement budgétaire.

Nous avons des règles librement négociées, il faut les respecter et mettre en oeuvre les réformes structurelles nécessaires. Sept pays dont la France présentent un risque de non-conformité au pacte de stabilité et de croissance. L'effort requis est de 0,8 point de PIB -nous en sommes encore loin. En outre, les hypothèses macro-économiques que la France a retenues ont été jugées trop optimistes par la Commission.

L'Europe doit retrouver le chemin de la compétitivité. L'effort doit porter en priorité sur les PME, là se trouvent les gisements d'innovation et d'emplois. L'effort en recherche et développement est encore insuffisant et loin des objectifs de la stratégie 2020 -l'objectif des 3 % de PIB n'est pas atteint.

Le chômage demeure à des niveaux élevés, surtout celui des jeunes. La Commission européenne préconise des actions ciblées ; 6,4 milliards ont été alloués à la garantie pour la jeunesse, mais les délais sont trop longs.

La mise en place d'un marché unique du numérique et d'une Union de l'énergie doivent être des priorités -des coopérations entre la France et l'Allemagne doivent être recherchées. Il est également capital d'achever l'union bancaire.

Le plan Juncker peut donner l'impulsion dont l'Europe a besoin. Mais des questions demeurent. Il faut clarifier l'engagement de la BEI, la part de financement public et de financement privé, la contribution exacte du cadre financier pluriannuel, les critères fixés par la task force. Les fonds structurels, très attendus dans les territoires, ne doivent pas être détournés de leur finalité. Les projets devront avoir une véritable dimension européenne, être immédiatement mobilisables et préparer effectivement l'avenir. Le Sénat y sera particulièrement attentif. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Merci à tous pour vos interventions.

Il faut d'abord faire le constat de la situation économique. Dans la zone euro, la croissance est de 0,2 % au troisième trimestre 2014, contre 1 % aux États-Unis. L'inflation est à un niveau exceptionnellement bas, 0,3 % en novembre, voire négative comme en Espagne et en Grèce.

La production industrielle a baissé de 15 % par rapport à 2008 -voire de 30 % en Espagne et en Italie, où l'on est loin d'avoir rattrapé les niveaux d'avant-crise. Le taux de chômage atteint 11,6 %... Cette situation est générale, madame Keller. La France a fait un peu mieux, 0,3 % de croissance quand l'Allemagne ne faisait que 0,1 %... Nos choix de politique économique ne sont donc pas en cause.

Il faut à présent articuler nos politiques économiques, monétaires, d'investissement et de réformes à l'échelle européenne pour retrouver la croissance et surtout ne pas dégrader notre croissance potentielle. L'économie repart hors zone euro, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, dans certains pays émergents. La dynamique viendra du soutien aux investissements publics et privés.

Nous avons également besoin d'une politique monétaire dynamique et de soutien à l'investissement ainsi que de réformes structurelles. L'Allemagne a mené les siennes il y a dix ans et elle en tire aujourd'hui les bénéfices, même si sa croissance est moindre. En France, ces réformes n'ont pas été menées ; celles que nous avons lancées commencent à produire leurs effets.

M. Simon Sutour.  - Très juste !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Au-delà des efforts nationaux, une politique européenne de soutien aux investissements est nécessaire, notamment dans les grands domaines d'avenir, le numérique, l'énergie, la transition énergétique, les grands réseaux. Dans ces secteurs, monsieur Rachline, nos pays ne peuvent agir efficacement seuls. Le plan Juncker marque la volonté de répondre à 28 à ce défi. Le président de la Commission l'a dit ce matin, il y a largement de quoi investir 1 000 milliards d'euros... Mais constatant que la somme disponible n'est pas de cet ordre, il a plaidé pour une utilisation intelligente des ressources Je me vois défendre M. Juncker face à Mme Keller : c'est le charme de ces débats... La priorité n'est plus l'austérité mais le soutien à l'investissement.

La Commission européenne a rendu un rapport sur les politiques budgétaires nationales. Elle a constaté que sept États dépasseront les 3 %, dont la France, l'Autriche ou l'Italie ; mais aussi les conséquences de la stagnation économique et de la faible inflation...

Il fallait continuer à réduire les déficits et l'endettement qui, je le rappelle, ne datent pas de cette année ni de la précédente... Le déficit était de 5,3 % en 2011, il sera de 4,1 % en 2015. Nous veillons à ce que la réduction ne soit pas trop brutale de sorte que la croissance ne soit pas cassée. La Commission européenne s'est donné le temps de disposer de tous les chiffres et de reporter à mars prochain ses recommandations.

Monsieur Gattolin, la BEI commence à prendre des risques dans de nouveaux domaines, comme l'éducation. J'irai demain signer une convention de prêt de la BEI pour la rénovation thermique des lycées de Bourgogne et Franche-Comté, pour 100 millions d'euros. La BEI participe également, avec la Caisse des dépôts et consignations, au financement du plan Campus. Elle doit aussi et surtout aider les PME. Le futur fonds d'investissement sera doté d'une capacité de prêt plus importante ; les projets sélectionnés le seront sur la base de leur rentabilité mais, s'agissant de recherche et d'innovation, ils présenteront une part de risque ; la garantie publique sera là pour rassurer les acteurs privés.

D'aucuns s'inquiètent du niveau de l'effet de levier. En 2012, les 60 milliards de prêts de la BEI avaient conduit à des opérations de financement pour 180 milliards d'euros. C'est ce plan-là qui a servi de base au plan Juncker.

Nous voulons aussi avancer dans d'autres domaines : la TTF, l'harmonisation fiscale, la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Nous avons fait des propositions sur la territorialité de la première et son champ, pour couvrir d'abord les actions et les produits dérivés les plus spéculatifs, comme les CDS. Nous devrions tenir le calendrier et signer un accord début 2015, pour une entrée en vigueur début 2016.

Monsieur Requier, un accord est intervenu sur le budget rectificatif pour 2014 : 3,6 milliards résorberont les engagements passés. Pour 2015, 144,8 milliards en autorisations d'engagement et 140,0 milliards en crédits de paiement sont budgétés. La recherche comme les grands projets d'infrastructure, tels le canal Seine-Nord ou le Lyon-Turin, seront financés ; l'Union européenne contribuera à 40 % aux travaux de la ligne Lyon-Turin.

Les décisions prises relatives à Ebola sont en cours de mise en oeuvre. La France a engagé 110 millions d'euros sur 2014-2015 pour la création de centres en Guinée forestière et à Conakry, destinés à soigner les malades mais aussi les soignants ; 61 millions supplémentaires seront apportés par l'Union européenne.

Mme la présidente André m'interroge sur la réforme bancaire et les intentions de la Commission. La France a voté la séparation des activités : nous voyons dans notre législation un bon équilibre, dont la Commission doit tenir compte. Les Britanniques ont fait un autre choix. Nos banques universelles, parmi les plus grandes en Europe, ont passé avec succès les stress tests européens. Le plus important est en place : MRU, FRU. Je ne vois pas qu'une directive amène la France à reconsidérer sa législation.

Le Parlement européen votera sur une proposition législative pour autoriser l'utilisation d'une partie du budget européen comme garantie du fonds européen d'investissement stratégique. Nous rendrons compte à la représentation nationale de chacune des étapes de mise en place de celui-ci. Nous y voyons une base de départ. Nous espérons, comme nombre d'entre vous, aller plus loin.

L'année 2015 marquera un tournant : celui des investissements et de la croissance dont l'Europe a maintenant besoin. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Débat interactif et spontané

M. Bernard Fournier .  - Le débat de ce soir est consacré aux 300 milliards d'investissements prévus pour les deux années à venir. La même énergie devrait être déployée sur le dossier syrien et irakien. L'Union européenne a-t-elle une stratégie commune ? Une politique coordonnée ?

La France intervient depuis quatre mois pour stopper l'avancée de Daech, dont la barbarie est sans limite. L'Union ne peut rester inactive. Elle doit avoir une politique à long terme si elle ne veut pas que les mêmes causes produisent ailleurs les mêmes effets. A ses portes, la Turquie gère un flot ininterrompu de réfugiés ; des combats sanglants se déroulent à sa frontière, notamment à Kobané, devenue symbole de la résistance. Derrière le conflit en cours se pose la question d'un territoire kurde de part et d'autre de la frontière...

Le processus de paix engagé par le président Erdogan en 2009 est au point mort et la Turquie refuse d'accueillir sur son sol des réfugiés kurdes de Syrie. Cette question est-elle anticipée par l'Union européenne ? La reconstruction politique de la zone est cruciale pour la paix européenne et mondiale.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La France a été parmi les premiers pays à réagir pour stopper l'offensive de Daech, qui menaçait Bagdad. Ce groupe, qui sème la terreur en s'en prenant aux Yézidis, aux chrétiens d'Orient, aux chiites, n'est pas un État ni fondé à se réclamer de l'islam. Nous avons contribué à la constitution d'une coalition internationale, qui comprend aussi des pays arabes ; on sait que l'Iran désormais intervient aussi. Nous soutenons en Syrie une solution politique et non le Gouvernement, qui est responsable de la guerre civile, du massacre de 200 000 Syriens et de l'exode de millions réfugiés.

Nous soutenons la démarche du représentant des Nations-Unies. L'urgence était de défendre Kobané ; elle est maintenant de protéger Alep.

La lutte contre le terrorisme est un autre enjeu du conflit. De nombreux jeunes sont attirés par la propagande de Daech et se sont associés à ses activités criminelles. Leur retour en France et en Europe n'est pas exempt de menaces. Nous avons fait évoluer notre législation et faisons de la coopération européenne une priorité. Nous luttons contre la propagande sur internet ; la France a pris l'initiative de réunir les ministres de l'intérieur de l'Union européenne. Laurent Fabius a aussi fait de la lutte contre le terrorisme une priorité.

M. Jean-Yves Leconte .  - Je veux saluer le geste du président de la République, premier chef de l'État d'un pays de l'Otan à se rendre en Russie dans le contexte de la crise ukrainienne. Il est indispensable de trouver ensemble une solution, car on ne peut se résoudre à une escalade qui menace notre économie et la paix. Le non-respect des accords de Minsk par les séparatistes, qui ont en outre organisé des élections pirates avec le soutien de la Russie, a balayé le plan de paix. Il faut donc retrouver les voies du dialogue. Il n'est pas acceptable qu'un peuple se voit contester sa souveraineté par un de ses voisins. Sortons l'après-Yalta de nos esprits !

Comment redonner confiance au continent ? Où en est-on du projet de drone franco-allemand pour surveiller la frontière entre l'Ukraine et la Russie ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - L'initiative du président de la République est intervenue à un moment décisif ; il faut qu'elle marque un tournant. C'est le message que le président de la République a exprimé au président Poutine. M. Pozzo di Borgo, qui était du voyage au Kazakhstan, a souligné que cette rencontre avait été préparée et faisait suite aux rencontres de Brisbane et de Normandie. Nous avons toujours voulu maintenir le fil du dialogue. Il n'y a pas d'autre issue à cette crise que celle du dialogue et du respect des accords de Minsk. Ils fixent une feuille de route : un cessez-le-feu surveillé par l'OSCE, la démilitarisation des zones frontalières, le retrait des armes lourdes, la libération des prisonniers, une discussion sur le statut des régions de l'est de l'Ukraine, le rétablissement de relations politiques et économiques normales, pacifiées entre la Russie et l'Ukraine.

C'est l'objectif que poursuivent le président de la République et notre diplomatie. La Russie ne doit pas être un adversaire. Après la violation du droit international, des sanctions ont été décidées ; mais elles ne sont pas une fin en soi ; l'objectif est bien le dialogue et la recherche d'une solution politique. Nous le faisons avec nos partenaires dans le format Weimar et à 28. Le président de la République a été en contact avec Mme Merkel et M. Juncker autour de sa rencontre avec M. Poutine ; ce sera un point très important de la réunion du Conseil du 18 décembre. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Sur les 315 milliards d'euros annoncés, le commissaire chargé du numérique Oettinger annonce que 10 milliards seront consacrés aux réseaux haut débit. Espérons que l'Union européenne parviendra enfin à se doter des infrastructures nécessaires à son avenir. Mais il faut aussi revoir la régulation, permettre aux entreprises européennes de lutter à armes égales contre les géants américains -c'était l'un des points saillants de mon rapport de 2013 et de notre mission commune d'information sur la gouvernance de l'internet. Face à l'abus de position dominante de Google sur la recherche en ligne, la résolution du Parlement européen propose des pistes intéressantes.

Le Gouvernement plaidera-t-il dans le même sens à Bruxelles ? Comment soutenir une politique industrielle et de recherche plus ambitieuse dans le domaine du numérique, par exemple autour d'un projet franco-allemand d'importance ? (Applaudissements au centre)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Le numérique est au coeur du plan Juncker. Dix des trente-et-un projets transmis à titre indicatif par la France à la task force concernent l'économie numérique. L'Europe n'est pas qu'un espace de consommation du numérique ; elle doit veiller aussi à la régulation du secteur, à la fiscalité -en taxant les entreprises sur le lieu de réalisation des bénéfices, suivre la réforme de l'Icann. Vos travaux sont une aide précieuse.

M. Philippe Mouiller .  - Le plan Juncker suscite beaucoup d'espoirs. J'espère que ce ne sera pas de faux espoirs...

La représentation nationale doit être informée dans le détail des projets présentés par le Gouvernement à la task force. S'agit-il des grands projets d'infrastructure retenu dans le programme pluriannuel 2014-2020 ? Le plan Juncker ne doit pas servir à recycler les projets d'États impécunieux mais à créer de vraies dynamiques avec les partenaires privés.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La liste des projets transmis par la France est indicative. Nous nous réservons la possibilité d'en transmettre d'autres. Il s'agit de projets qui ne bénéficient pas déjà d'aides européennes, que nous pensons utiles, qui ont une valeur ajoutée européenne. Le processus d'identification des projets est en cours. Nous en rendrons compte devant le Parlement car nous aurons besoin de son appui pour plaider leur cause auprès de la Commission. Transition énergétique, numérique, innovation, formation et éducation, capital humain : cela devrait faire consensus.

M. Simon Sutour .  - La présidence italienne qui s'achève a été efficace. La Lettonie va prendre sa suite au 1er janvier. Sa priorité sera le partenariat oriental -comme lors de la présidence lithuanienne, sans grand succès... La Grèce comme l'Italie ont eu une approche équilibrée de la politique de voisinage, alors que le budget de celle-ci est consacré pour les deux tiers à la politique euro-méditérannéenne et pour un tiers au partenariat oriental. La France rappellera-t-elle à la Lettonie qu'elle va présider l'ensemble de l'Union européenne et que la politique euro-méditerranéenne doit rester une priorité ? (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit ainsi que M. Jean-Yves Leconte et Mme Catherine Morin-Desailly)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Nous discutons avec les Lettons de leurs priorités pour ce semestre. C'est une bonne chose qu'un nouvel entrant assure la présidence de l'Union. On comprend que la Lettonie attache beaucoup d'importance à la politique de voisinage -un sommet se tiendra sur le partenariat oriental en mai prochain ; mais cette politique ne doit pas être confondue avec la politique d'élargissement. N'entretenons pas l'ambiguïté avec la perspective d'adhésion. Parmi les pays concernés par la politique de voisinage, le partage des fonds est en effet de deux tiers pour le voisinage sud et un tiers pour les voisins orientaux. Il doit être maintenu. Voyez la situation de la Tunisie, qui vient de réussir sa transition démocratique. Nous ne relâchons pas cette priorité.

M. Michel Billout .  - À la tête du Luxembourg, M. Juncker s'est affranchi pendant des années de la règle commune, faisant de son pays l'un des hauts lieux de l'évasion fiscale. Lux Leaks II implique 35 grandes entreprises, de Disney à Telecom Italia en passant par Bombardier ou Skype, auxquelles des rulings ont été accordés entre 2003 et 2011. Selon la presse, ces accords de rescrit fiscal ont été mis au point par les quatre grands cabinets internationaux de conseil. Le Gouvernement français demandera-t-il des comptes au Luxembourg ? Quelles actions compte-t-il mener pour combattre l'évasion fiscale au sein même de l'Union européenne ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Le président Juncker s'est engagé clairement pour la lutte contre l'optimisation fiscale. Le système du rescrit fiscal, pratiqué notamment par le Luxembourg, n'est pas acceptable. Que des grandes entreprises s'exonèrent ainsi de l'impôt n'est pas tolérable : c'est une concurrence déloyale, la source de délocalisation d'activités et un manque à gagner pour les finances publiques des autres pays de l'Union européenne. Chacun doit payer sa part de l'impôt. Ce système doit être combattu, c'est vital pour l'économie européenne. Ces mécanismes doivent être transparents, encadrés.

L'échange automatique d'informations devient la règle, avec comme objectif de mettre en place, dans notre intérêt commun, un serpent fiscal européen, avec un plancher et un plafond. Dans un marché unique, avec une liberté de circulation des capitaux, on ne peut avoir une fiscalité à ce point discordante. Dans le programme Juncker doivent figurer des objectifs de lutte contre tous les mécanismes d'évasion et de fraude fiscales.

M. Pascal Allizard .  - Je reviens sur l'Ukraine. Les élections législatives se sont plutôt bien déroulées, selon les observateurs internationaux, mais le processus politique est figé. La situation économique se dégrade, les affrontements armés dans l'est n'ont jamais cessé malgré la trêve signée en septembre ; celle qui vient d'être conclue tiendra-t-elle ? Les sanctions internationales sont-elles adaptées ?

Elles font peu pour infléchir la position russe. La Russie perdrait pourtant 32 milliards par an. Faut-il s'en féliciter ? Le président Poutine en tire une légitimité renforcée...

En définitive, la Russie noue des partenariats avec la Turquie et l'Asie, et le sentiment anti-européen se renforce. Pourtant, l'Ukraine et la Russie sont intimement liées. Ne pouvons-nous offrir à l'Ukraine autre chose qu'un choix cornélien entre la Russie et l'Union européenne ? La crise ukrainienne pourrait contaminer la Moldavie... Les initiatives de la France sont-elles suffisantes et suffisamment ciblées pour parer à de nouvelles crises ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Les sanctions ont un impact sur la Russie mais ne sont pas une fin en soi. L'économie russe est aussi touchée par la baisse des prix du pétrole... L'Allemagne, principal partenaire économique de la Russie en Europe, en subit le contrecoup. Il y a eu violation du droit international, escalade de la situation militaire, armement de séparatistes -tout cela ne mène qu'à un désastre pour les populations de l'est de l'Ukraine et de la Crimée. La solution, c'est le cessez-le-feu, le dialogue, la modernisation démocratique de l'Ukraine. L'Union européenne est solidaire de l'Ukraine à qui elle vient d'accorder encore 500 millions d'euros. Cette aide est conditionnée à des réformes, en matière de lutte contre la corruption, de constitution d'un État de droit, d'assainissement économique. L'Ukraine a fait le choix de la démocratie. Elle doit retrouver des relations pacifiées avec la Russie. La géographie ne changera pas. L'Ukraine a deux voisins ; il n'y a pas à la mettre devant un choix cornélien entre l'Union européenne et la Russie mais à l'aider à vivre en paix entre les deux.

La question est aussi celle des relations entre l'Union européenne et l'Union eurasiatique. La question est ouverte et ne doit pas être posée en termes antagoniques. Plutôt que de chercher la confrontation, construisons un avenir de peuples partenaires. Faisons tout pour éviter que ne tombe un nouveau rideau de fer sur l'Europe !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Très bien !

M. le président.  - Je remercie le ministre pour la précision de ses réponses.

Prochaine séance demain, jeudi 11 décembre 2014, à 9 heures.

La séance est levée à 23 h 35.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques