Propriété littéraire et artistique (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Discussion générale

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication .  - Ce projet de loi transpose trois directives techniques du 27 septembre 2011, du 25 octobre 2012 et du 15 mai 2014. Le Gouvernement a opté pour un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne pour que l'adoption de ces textes complexes soit la plus rapide possible. À défaut de quoi, au regard du retard de transposition des deux premières directives, la France s'expose à des sanctions pécuniaires. Il y va de la crédibilité de la France en matière de droit culturel et de droit d'auteur.

La durée des droits voisins est harmonisée depuis la directive du 29 octobre 1993. Celle du 27 septembre 2011, que transpose le projet de loi, étend de cinquante à soixante-dix ans la protection des droits voisins dans le secteur de la musique. Les artistes et interprètes qui ont commencé leur carrière très jeunes se retrouvent en effet privés de rémunération sur les enregistrements des années 50-60. Grâce à cette extension, ils seront couverts pour toute la durée de leur vie.

Les producteurs de phonogrammes bénéficieront de ressources pour financer les nouveaux talents et s'adapter à la diffusion dématérialisée des oeuvres. Les producteurs auront obligation d'exploiter les phonogrammes sur la durée supplémentaire, sous peine de perdre leurs droits ; les musiciens de studio, qui sont rémunérés sur une base forfaitaire, bénéficieront d'un droit à paiement annuel financé par les producteurs -les petits labels indépendants en sont exempts ; enfin, nous faisons en sorte que l'augmentation de la durée des droits voisins bénéficie réellement aux artistes, même quand le contrat prévoit une rémunération proportionnelle.

La directive du 25 octobre 2012 porte sur l'exploitation des oeuvres orphelines. Des projets de numérisation à grande échelle visent en effet à mettre en ligne, gratuitement, des pans entiers de notre patrimoine. La directive sécurise les autorisations d'exploitation. Le projet de loi précise le champ des organismes concernés, bibliothèques, musées publics, archives, organismes d'intérêt public, établissements d'enseignement. Ils devront procéder à des recherches diligentes et sérieuses pour établir l'absence de titulaire des droits pour pouvoir déclarer les oeuvres orphelines. Le projet de loi garantit les droits moraux des auteurs et dans quelles conditions le titulaire de droits peut se manifester pour faire cesser l'exploitation et obtenir compensation du préjudice subi.

La directive du 15 mai 2014 porte sur la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un état membre. Il s'agit de lutter contre le trafic des biens culturels, qui se développe. Il fallait réviser le droit en vigueur pour mieux garantir la restitution des trésors nationaux. Le projet de loi allonge le délai, de deux à six mois, pour établir la nature du bien et procéder à la restitution -de un à trois ans.

C'est l'occasion d'insérer dans le code du patrimoine une définition plus précise de la notion de trésor national, pour viser désormais aussi les biens relevant du domaine public et les archives publiques. La charge de la preuve est transférée au possesseur de l'objet en cause. Les critères définissant les diligences requises pour la recherche sont harmonisés.

Je salue le travail de votre rapporteure, Mme Mélot, qui a introduit trois modifications. Pour les deux premières, à l'article 2, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. En revanche, je souhaite que l'article 4 soit réexaminé : votre commission a souhaité revenir sur la durée de cinq ans, votée à l'Assemblée nationale, pour que l'organisme exploitant une oeuvre orpheline puisse répercuter les coûts engendrés par la numérisation. Je ne doute pas que les deux chambres trouveront un terrain d'entente. (Applaudissements)

Mme Colette Mélot, rapporteure de la commission de la culture .  - L'Union européenne témoigne, au travers de ces dispositions, de son intérêt pour la culture, qui doit être encadrée pour être davantage protégée dans la mondialisation. Ces mesures rejoignent la politique française en la matière. Je déplore le retard pris dans la transposition de ces textes qui nous contraint à imposer la rétroactivité de certaines mesures. Notre commission a travaillé avec exigence, malgré un calendrier très serré. Elle a mené de nombreuses auditions et adopté trois amendements.

Le titre Ier transpose la directive du 27 septembre 2011 qui porte de cinquante à soixante-dix ans la protection de certains droits voisins, pour tirer les conséquences de l'allongement de la vie des artistes, qui se retrouvent parfois en situation précaire. Deux séries de mesures d'accompagnement sont prévues pour s'assurer que les artistes-interprètes bénéficient effectivement de cet allongement. Nos deux amendements visent à mieux prendre en compte le texte de la directive et à mieux garantir le versement effectif de cette rémunération. Notre rédaction sur ce dernier point est claire : la demande d'information ne s'applique qu'à l'artiste dont la société de perception et la répartition des droits (SPRD) doit percevoir la rémunération. Le décret précisant les conditions d'agrément des SPRD devra répondre aux préoccupations de Mme Lopez et de M. Kern. Le régime d'exemption des petits producteurs est bienvenu.

L'article 7 pose la question de la rétroactivité, dû au retard pris dans la transposition... Elle est inévitable si l'on veut éviter de devoir payer de lourdes pénalités.

Le titre II transpose la directive du 25 octobre 2012 relative à l'utilisation des oeuvres orphelines -c'est-à-dire divulguées et protégées par des droits d'auteur ou voisins dont il est impossible d'identifier ou de de retrouver les titulaires. La directive autorise leur numérisation et leur mise à disposition du public, dans un but non lucratif, par les organismes dont l'objectif est d'intérêt.

La directive encadre strictement le champ d'application, énumérant limitativement les organismes concernés. Afin d'éviter le classement abusif d'une oeuvre protégée comme oeuvre orpheline, la directive impose des recherches « diligentes, avérées et sérieuses ». Elle prévoit également une compensation pour le cas où l'oeuvre cesserait d'être orpheline.

Le Gouvernement a choisi de faire coexister ce régime avec celui de la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.

Les lourdes contraintes entraînées par le régime européen pourraient le rendre inopérant. Notre commission est donc revenue sur la durée maximale de cinq ans, votée par l'Assemblée nationale, pour que l'organisme exploitant puisse répercuter les coûts de la numérisation. Je regrette aussi que les photographies et images fixes ne soient pas concernées, alors qu'elles constituent une grande partie des oeuvres orphelines.

Le titre III transpose la directive du 15 mai 2014, qui vise à lutter contre le trafic illicite de biens culturels au regard de la faible efficacité du texte précédent, qui date de 1993.

L'article 6 propose une définition claire des trésors nationaux, dont le champ est étendu. Le renversement de la charge de la preuve -le code civil présumant la bonne foi du possesseur d'un bien- est bien encadré : critères communs, limitation aux cas des restitutions d'État à État. Les représentants du marché de l'art ne l'ont pas remise en cause.

La commission de la culture s'est efforcée d'éviter que la France ne soit sanctionnée. Ces mesures sont complexes, il faut les rendre utiles. Je déplore toutefois le faible degré d'information sur l'impact réel du texte. Impossible de savoir combien d'ayants-droit seront concernés...

Je vous propose néanmoins d'adopter ce texte tel que modifié par la commission. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Corinne Bouchoux .  - Derrière ce texte très technique, nous saluons la volonté de consolider l'accès à la culture. Nous le voterons malgré quelques réserves.

Je déplore notamment le manque de précision sur le nombre de personnes ou d'oeuvres orphelines concernées, tout comme le retard pris dans la transposition qui nous conduit à légiférer dans la précipitation.

Même s'il faut préserver les revenus des artistes, les écologistes s'étonnent tout de même que l'on rallonge ce qui s'apparente à une rente... Un peu à contrecourant de la tendance actuelle à la libre circulation et à la diffusion des oeuvres.

La troisième directive porte sur la restitution entre États membres des trésors nationaux ayant quitté illicitement le territoire de l'un d'eux après 1993. La date n'a pas été choisie au hasard... Le groupe de travail sur les oeuvres spoliées pendant la deuxième guerre mondiale, qui vient de rendre son rapport, a souligné que les documents préparatoires de la mission Mattéoli n'avaient pas été versés aux Archives nationales. Cette mission ayant été financée sur les deniers publics, il faudrait y remédier. Où en est d'ailleurs le décret statutaire de la commission d'indemnisation des victimes de la spoliation ?

Le rapport Attard, à l'Assemblée nationale, a pointé le caractère perfectible de la gestion de certaines collections des musées et appelé à une politique de recherche systématique de la provenance des oeuvres depuis 1933, tout en développant le côté mémoriel. La mise en réseau des archives des musées serait bienvenue dès lors qu'il y a renversement de la charge de la preuve.

Enfin, la déréglementation du métier de guide-conférencier est regrettable. Bercy est à la manoeuvre. Nous ne ferions pas de même pour les dentistes, ce serait criminel ! Alors pourquoi le faire pour la culture ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - La procédure accélérée vise à éviter une sanction de la France, en retard sur les transpositions de directives. Elle est préjudiciable à l'exercice de la démocratie. À quand la grande loi sur la culture et le patrimoine, si souvent annoncée ? Ces transpositions auraient pu y trouver leur place. La culture n'est pas un supplément d'âme mais un grand bouillonnement qui mérite une grande loi. Les intermittents doivent être défendus face aux attaques du Medef. Et les restrictions budgétaires vont priver les citoyens de lieux essentiels où se construisent les consciences.

Le projet de loi ne pose pas de problème majeur : il va dans le sens d'une plus grande protection des artistes-interprètes, dont les droits sont menacés par les nouveaux usages numériques et le téléchargement illégal, encadre la numérisation des oeuvres orphelines et renforce la lutte contre le trafic des biens culturels. La définition des trésors nationaux est précisée, ce qui faisait défaut.

L'allongement des délais prévus est bienvenu. Le renversement de la charge de la preuve est en rupture avec le droit interne -cela risque de créer une insécurité juridique... Nous voterons néanmoins ce texte, en continuant d'alerter sur les conséquences éventuelles de cette disposition. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Kern .  - La directive du 27 septembre 2011 aurait dû être déjà transposée au 1er novembre 2013. Le retard pris nous place dans une situation critique : la France s'expose à une amende de plusieurs millions d'euros.

La France doit se saisir de cette problématique ; il y va de la crédibilité de sa parole, sans parler de l'état de ses finances publiques...

L'extension de la protection des droits de cinquante à soixante-dix ans vise à s'adapter à l'allongement de la durée de la vie des artistes-interprètes. Les SPRD pourront demander au producteur un état des recettes. Il ne faudra pas pour autant qu'elles auditent à leur guise toutes les informations de vente, en violation de la règle de confidentialité... Pouvez-vous nous apporter des précisions, madame la ministre ?

La deuxième directive, sur la numérisation des oeuvres orphelines, aurait dû être transposée depuis plus d'un mois... Sur le fond, le groupe UDI-UC y est favorable, tout comme à la suppression de la limite des cinq ans.

S'agissant de la troisième directive, nous saluons tout particulièrement l'actualisation de la terminologie.

Le groupe UDI-UC votera ce projet de loi, tout en regrettant les conditions d'examen qui interdisent un bon travail parlementaire. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Claudine Lepage .  - Ces trois directives n'ont comme caractéristique commune que de relever de votre compétence, madame la ministre. Elles ont pour objectif d'améliorer des situations particulières, de reconnaître des droits supplémentaires ou de lutter contre l'importation illicite de trésors nationaux.

La première directive concerne les droits voisins. Les artistes-interprètes sont les parents pauvres du droit de propriété intellectuelle. Je me réjouis de l'alignement de la durée de protection sur celle des auteurs. Les artistes-interprètes jouent un rôle primordial dans le succès d'un auteur. L'allongement de l'espérance de vie entraîne en outre une extinction des droits à un moment où ils n'ont souvent plus de revenus professionnels, ce qui peut plonger certains dans le dénuement.

L'extension de la durée de protection fournira aux producteurs de phonogrammes des recettes leur permettant de s'adapter aux mutations du marché et de faire émerger de nouveaux talents. L'Europe est encore loin des États-Unis, où la durée de protection des droits des producteurs est de quatre-vingt-quinze ans...

La deuxième directive porte sur la numérisation des oeuvres orphelines, sujet qui tient à coeur aux sénateurs socialistes. C'est à leur initiative que cette notion a reçu une définition dans le code de la propriété intellectuelle. La loi du 1er mars 2012 prévoit ainsi qu'une oeuvre est orpheline quand le titulaire des droits ne peut être identifié ni retrouvé malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. Je regrette toutefois que les oeuvres photographiques et les images fixes soient exclues du champ de la directive.

L'exception bibliothèque, instaurée par un amendement socialiste à la loi du 1er mars 2012, est reprise dans le projet de loi. Elle est élargie aux musées, services d'archives et établissements d'enseignement. Nous nous en réjouissons.

Quant à la troisième directive, elle résoudra un contentieux entre États membres sur des oeuvres entrées dans leurs collections de manière douteuse. Il nous est arrivé de rendre à des pays étrangers des biens normalement inaliénables car appartenant à des collections publiques : restes de la Vénus hottentote, en 2002, têtes maories en 2009... La présente directive visait en particulier les marbres du Parthénon, emportés par Lord Elgin et exposés depuis au British Museum.

Notons que les oeuvres originaires d'États non-membres de l'Union européenne ne sont pas concernées -c'est le cas de celles rapportées par Napoléon de ses campagnes. Les peintures et sculptures entrées légalement dans les collections royales de l'Ancien régime ne sont évidemment pas concernées. Le mercato avant l'heure des artistes, dès la Renaissance, a rendu nos écoles artistiques perméables qui se sont mutuellement enrichies. Nous ne devrons évidemment pas rendre les oeuvres du Vinci ou du Primatice que nous possédons.

Le groupe socialiste apporte son entier soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Vivette Lopez .  - Ce texte nous rassemble, au-delà des clivages, pour protéger nos artistes et nos trésors nationaux. La France, souvent motrice en Europe dans le domaine culturel, a trop tardé à transposer ces directives.

Mme Corinne Bouchoux.  - Ce n'était pas mieux avant !

Mme Vivette Lopez.  - Nous sommes même sous la menace d'une procédure d'infraction et de pénalités financières.

Dans ces conditions, les parlementaires ont été bousculés. En outre, le projet de loi entraîne une rétroactivité en matière civile. Enfin, ce retard est peu respectueux des auteurs.

La durée de protection des droits des artistes-interprètes n'était plus adaptée : s'ils ont commencé à exercer à 20 ans, ils ne sont protégés que jusqu'à 70 ans. L'espérance de vie a pourtant progressé... Je me réjouis donc que la durée de protection soit portée de cinquante à soixante-dix ans et que cette protection soit étendue aux producteurs de phonogrammes. Nous manquons, cependant, d'une étude d'impact sur les marges des producteurs, qui pourraient être menacées. Avez-vous des précisions, madame la ministre ?

Les oeuvres orphelines, quant à elles, vont trouver une famille d'adoption grâce à la directive de 2012, dont la transposition s'articule avec la récente loi sur les livres indisponibles. Savons-nous combien d'oeuvres seront concernées ?

Enfin, la troisième directive facilite la restitution de trésors nationaux acquis illégalement afin de mieux lutter contre leur trafic. La protection du patrimoine des États membres de l'Union est renforcée.

La qualité du travail de Mme Mélot a permis de dresser un état des lieux détaillé et d'améliorer ce texte, que nous voterons. (Applaudissements au banc des commissions)

Mme Fleur Pellerin, ministre .  - Merci à tous pour ces échanges constructifs. Je voudrais répondre à quelques questions précises.

Monsieur Kern, les sociétés de perception et répartition des droits d'auteur n'ont accès qu'aux informations relatives aux phonogrammes encore exploités, cinquante ans après l'enregistrement. Il n'y a donc pas lieu de craindre un manquement à la confidentialité. Cette possibilité est bien encadrée ; un dispositif plus complet serait générateur de complexité.

Quant aux guides-conférenciers, je suis consciente des inquiétudes soulevées par la loi de simplification, et je m'assurerai que cette simplification ne soit pas synonyme de libéralisation excessive. Un niveau de certification élevé sera requis et le champ de compétences défini, afin que cette profession ne subisse pas de déqualification.

Nous connaissons trop mal le domaine des oeuvres orphelines. Il est, par définition, très difficile d'en évaluer le nombre. La British Library estime qu'elles constituent 20 % environ de ses collections. J'essaierai de vous apporter des informations plus précises mais ce sera très difficile puisque, par définition, nous ne connaissons pas les ayants-droit.

Le travail interministériel est en cours sur le projet de loi relatif à la création, à l'architecture et au patrimoine, qui viendra en discussion au premier semestre 2015. Je souhaite une loi ramassée, ciblée et vraiment normative. Protection des créateurs, disponibilité des oeuvres, développement de l'architecture, protection de notre patrimoine : tels sont les principes qui nous guident. Le projet de loi exprimera la reconnaissance de la Nation aux créateurs et, entre autres choses, l'accès des personnes handicapées aux oeuvres littéraires. J'y suis très attachée.

Je vous souhaite de bonnes fêtes, et un repos mérité. (Applaudissements)

Les articles premier à 8 sont successivement adoptés.

Le projet de loi est adopté.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - À l'unanimité, c'est rare !