Insectes pollinisateurs

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution relative à la préservation des insectes pollinisateurs.

M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution .  - Je n'aime pas les discours. Je prononcerai donc un manifeste pour le respect de la vie. Il s'adresse à vous mais aussi au monde agricole, à l'ensemble des citoyennes et citoyens, cette foule sentimentale. Il s'adresse à nos jeunes, qui ont soif d'idéal dans ce monde qui tangue, et aux générations futures.

Pas facile de défendre un texte qui dérange. Je le ferai avec toute la force de mes convictions. Ce texte est pourtant tout simple, très soft : « le Sénat invite le Gouvernement à agir auprès de l'Union européenne sur l'ensemble des pesticides néonicotinoïdes tant que les risques graves sur la santé humaine, animale et l'environnement ne seront pas écartés ».

Ce n'est pas une injonction, juste une invitation avec en toile de fond le principe de responsabilité. Nous demandons au Gouvernement de répercuter nos préoccupations. C'est une résolution, pas une révolution ! (On apprécie sur les bancs écologistes) Même s'il s'agit de « la nécessaire métamorphose sociétale » chère à Edgard Morin, une incitation à l'indignation prônée par Stéphane Hessel.

M. François Bonhomme.  - Quelle référence !

M. Joël Labbé, rapporteur.  - Aline Archimbaud s'attachera plus sur les sujets de santé. (Marque de soutien sur les bancs écologistes)

L'agriculture doit faire sa transition en réintégrant les principes de l'agronomie -ce que vous appelez l'agro-écologie, terme antinomique avec l'utilisation des néonicotinoïdes.

Je vais vous parler du spirituel -je suis un sénateur inhabituel, improbable, parfois imprévisible, vous le savez- et je vais vous dire comment je vois, je vis, j'espère la politique, dont je considère qu'elle doit rimer avec éthique. Les insecticides néonicotoïdes sont d'abominables criminels.

Après trente-sept ans d'une très heureuse et riche vie d'élu local, j'ai pris le risque d'être candidat aux élections sénatoriales de 2011. Élu surprise, inattendu, je siège ici depuis trois ans comme sénateur du Morbihan, écologiste -nul n'est parfait ! (On s'amuse à droite) J'ai participé à la mission commune d'information sur les pesticides. En sept mois de travail, nous avons pu faire le tour de la question. Rapportée par Mme Bonnefoy, présidée par Mme Primas, cette mission mériterait une suite. J'ai été choqué, touché, d'entendre des spécialistes comme le professeur Sultan, pédiatre endocrinologue, sur la puberté précoce, le professeur Besson, sur les malformations génitales des nouveau-nés masculins, le professeur Webbé, sur les cancers de la vessie.

Ma proposition de loi visant à interdire l'utilisation des pesticides dans les jardins publics n'était qu'une étape. Plutôt que d'inscrire mon nom sur une loi, je préfère organiser un colloque annuel sur le sujet au Sénat. L'usage des néonicotinoïdes a un impact avéré sur les colonies d'abeilles. Face à cette menace, il convient de planifier leur disparition au niveau mondial -dit Dave Goulson, expert de l'université du Sussex.

C'est à la suite de ce colloque que j'ai déposé cette proposition de loi, le 19 juin, conjointement avec le député Germinal Peiro qui a déposé un texte rigoureusement identique à l'Assemblée nationale.

Une gigantesque méta-étude a révélé un effondrement massif des populations des espèces d'insectes, bien au-delà des seuls pollinisateurs, en Europe de l'ouest, puis à l'est et au sud, à partir du début des années 1990, en raison de l'usage systématique des néonicotinoïdes qui touchent aussi l'avifaune et la microfaune du sol, à commencer par les vers de terre, vos camarades, monsieur le ministre...

Ils sont en première ligne les victimes de cet empoisonnement généralisé. Or 3 tonnes de vers de terre à l'hectare remuent 280 tonnes de terre rendant inutile le labourage. Mes camarades, moi je dis : mes potes, monsieur le ministre, je fais tout pour qu'ils ne soient pas empoisonnés.

La taupe, monsieur le ministre, joue elle aussi un rôle essentiel, elle se nourrit à 80 % de vers de terre... Tout cela donne le vertige. La vie du sol est en danger. A l'échelle mondiale, les sols perdent leur fertilité. La qualité de l'eau, de l'air va mal. Et celle du sol aussi ! Il va falloir faire quelque chose et vite, de manière globale. Quelqu'un a dit : « La vie fait le sol et le sol fait la vie ». Il faut que cesse le massacre !

La fixation du carbone dans les sols exige que ceux-ci soient maintenus vivants ; il faut arrêter de les empoisonner.

J'accuse ! Dans l'eau, plusieurs espèces d'invertébrés aquatiques sont également touchées. A quoi bon commander d'autres études, monsieur le ministre ? Pour attendre encore ?

« L'environnement, les petites fleurs, les abeilles, c'est bien joli » : c'est le discours classique de la profession, de son grand ministre incontesté, le ministre de l'agriculture bis, disent certains, et ça ne me plairait pas, monsieur le ministre, le discours des firmes regroupées dans l'Union des industries de la protection des plantes, pour quelle protection ?

La valeur économique de la pollinisation a été estimée à 153 milliards par an, celle de la vie des sols agricoles est inestimable.

Monsieur le ministre, l'an dernier, je vous avais proposé de faire réaliser une étude chiffrée, concrète, mesurant les coûts des externalités de l'agriculture productiviste et des bénéfices de l'agriculture alternative, biologique en particulier, dont on parle beaucoup trop peu...

M. Jean-Vincent Placé.  - Absolument !

M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi.  - Monsieur le ministre, nous y sommes ! Il faut permettre la transition tant attendue.

Le premier plan éco-phyto est une catastrophe, un acte manqué. Il y a des espoirs pour le second plan. Donnons un signal aujourd'hui !

Je vous invite à lire M. André Pochon, un paysan, un vrai, qui se demande comment il se fait que l'agriculture moderne a oublié les règles de bases de l'agronomie, tourné le dos à une agriculture durable qui préserve l'avenir sans sacrifier le présent ?

Il est tard, mais pas trop tard. En 2025, il sera trop tard !

J'en viens au spirituel... À la fin du siècle dernier, on citait encore André Malraux qui disait : « Le XXIe siècle sera spirituel ou il ne sera pas... » Ce siècle est déjà là et le spirituel tarde à venir, que l'on soit croyant, athée ou agnostique.

Je citerai enfin Hubert Reeves « L'homme est l'espèce la plus insensée, il vénère un dieu invisible et massacre la nature visible, sans se douter que cette nature visible est ce dieu invisible ».

Mme la présidente.  - Concluez.

M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution.  - Je ne peux conclure sans parler politique ! (Exclamations narquoises sur certains bancs à droite) Ricanez si vous voulez, je continue.

On ne peut réussir la transition énergétique, écologique sans réussir la transition politique. Je sais que je vous dérange en demandant un scrutin public.

M. François Bonhomme.  - Non !

M. Joël Labbé, auteur de la proposition de résolution.  - Je veux que chacun se prononce en conscience. Ma conscience me pousse à parler de plus en plus fort. Je souhaite au moins, Monsieur le ministre, un avis de sagesse, ici, au Sénat, l'assemblée des sages. (Marques d'agacement sur certains bancs à droite)

Il y a des symboles. La cravate, qui est obligatoire ici, en est un.

M. Henri de Raincourt.  - Heureusement !

M. Joël Labbé.  - J'ai fait l'effort de la porter en arrivant au Sénat mais comme je ne me reconnais pas dans l'esprit qui y règne...

Mme la présidente.  - Votre temps de parole sera imputé sur celui de votre groupe.

M. Joël Labbé.  - ... je vais la retirer ! (L'orateur enlève sa cravate et descend de la tribune sous les applaudissements des sénateurs écologistes)

M. Bruno Sido.  - La cravate  est obligatoire ! Rappel au Règlement !

M. Gérard Miquel .  - La question de l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement est majeure. Le groupe socialiste y est particulièrement sensible. C'est à la demande de notre groupe, sur le rapport de Nicole Bonnefoy, qu'une mission commune d'information a été créée ici sur l'impact des pesticides.

De nombreuses avancées ont été portées par les sénateurs socialistes dans le cadre de la loi d'orientation agricole.

Cette proposition de résolution aborde le problème particulier des néonicotinoïdes, très utilisés en agriculture. Les apiculteurs y voient un danger majeur pour les abeilles, dont les populations chutent dramatiquement et le taux de mortalité augmente considérablement, de 5 % en 1995 à 40 % aujourd'hui. La production de miel est passée de 35 000 tonnes l'an dans les années 90 à 10 000 tonnes en 2014.

Selon la proposition de résolution, le Gouvernement doit intervenir fortement auprès de l'Union européenne.

Nous sommes tous conscients de la situation dramatique des apiculteurs, qui participent à la préservation de la biodiversité. Pour autant, il ne faut pas imputer aux seuls néonicotinoïdes la mortalité des insectes pollinisateurs, dont toutes les études scientifiques montrent qu'elle a des causes multiples.

C'est pourquoi le groupe socialiste ne pourra voter cette proposition de résolution en l'état. Nous sommes d'accord pour réduire l'impact des pesticides, mais en usant de patience et de conviction

M. Ronan Dantec.  - Pendant ce temps, la situation s'aggrave...

M. Gérard Miquel.  - La France est active depuis plusieurs années sur la scène européenne et je salue l'action du ministre de l'agriculture en la matière. Les États membres ne peuvent interdire une classe entière de produits mais la France a interdit des produits déterminés. En mai 2013, la réglementation européenne a restreint l'utilisation des néonicotinoïdes avec le soutien actif de la France, mesure entrée en vigueur le 1er décembre 2013.

Une réévaluation du risque pour les abeilles devra intervenir rapidement au niveau européen et je félicite M. le ministre pour son engagement à cet égard. Les autorités françaises participent activement à tous les travaux européens sur les pesticides. Le dialogue est parfois difficile sur ce sujet, aussi faut-il éviter les signaux radicaux qui peuvent indisposer nos partenaires européens. En outre, comme l'a indiqué le président de la République, il faut cesser de sur-transposer les directives européennes.

Le plan de développement durable de l'agriculture lancé en 2013 vise en particulier à développer la recherche dans le secteur apicole.

La loi d'orientation agricole a accompli des avancées significatives pour encadrer l'usage des pesticides et mettre en oeuvre une agriculture plus durable. Les ministres de l'agriculture, de l'environnement et de la santé pourront interdire l'usage de certains produits et appliquer les politiques publiques définies dans le cadre du plan éco-phyto.

Cette loi consacre le projet agro-écologique, cher à M. le ministre de l'agriculture, dont la définition est désormais inscrite dans le code rural. La création du groupement d'intérêt écologique et environnemental va incarner ce projet.

Le groupe socialiste a demandé à l'Anses un rapport annuel au Parlement faisant le point des effets sur la santé des produits phytosanitaires après leur mise sur le marché.

Notre groupe a porté des mesures de protection à proximité d'établissements recevant des publics sensibles -hôpitaux, maisons de retraite... Il ne soutiendra pas, dans sa grande majorité, cette proposition de résolution.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Gérard Miquel.  - Des avancées significatives ont déjà été obtenues dans le cadre de la loi d'orientation agricole et Joël Labbé peut en témoigner. Et M. Le Foll agit fortement au niveau européen.

Le groupe socialiste déposera prochainement une proposition de résolution pour expliciter son positionnement.

Victor Hugo, à propos du manteau de Napoléon III parsemé d'abeilles, disait « Abeilles, piquez, piquez-le, toutes en même temps ! » (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Aline Archimbaud .  - Notre collègue, Joël Labbé, s'est forgé une expertise sur les questions apicoles...

M. Bruno Sido.  - Voire...

Mme Aline Archimbaud.  - Son combat contre les pesticides et pour protéger les pollinisateurs est connu. Nous savons les risques graves des néonicotinoïdes pour la santé humaine, avérés et reconnus par l'Agence européenne de sécurité des aliments, qui a mis en évidence les risques pour les neurones et la mémoire, pour le développement du cerveau, établis par des études scientifiques incontestables. L'agence américaine a inscrit un néonicotinoïde sur la liste des cancérigènes probables.

Le Parlement néerlandais a, quant à lui, invité son Gouvernement à adopter un moratoire sur tous ces produits, jusqu'à ce qu'il soit démontré qu'ils n'entraînent pas de risques pour la santé humaine et celle des abeilles. L'association génération culture a montré que les fruits et légumes contenaient fréquemment des résidus de pesticides : au total, 45 % des courgettes, par exemple. Nous devons appliquer le principe de précaution. Ne remettons pas à plus tard des mesures effectives ! Évitons de commettre à nouveau des erreurs qui nous ont coûté si cher dans le passé.

Cependant lisez la proposition de résolution : il ne s'agit que d'alerter, de demander au gouvernement français qu'il fasse en sorte que l'Europe agisse enfin en la matière.

Pendant des décennies, la réglementation des pesticides a été fondée sur des études financées par la seule industrie, les travaux des scientifiques indépendants et des lanceurs d'alerte n'étant pas pris en compte. Alors que 1 500 médecins de métropole et des Antilles ont lancé une alerte sur les pesticides -les agriculteurs, leurs enfants, les riverains des champs concernés étant les premiers menacés par l'usage de ces produits-, le Sénat doit jouer son rôle d'avant-garde éclairée. Il prouverait ainsi son utilité et sa responsabilité. Nous ne pouvons pas faire moins que voter cette proposition de résolution. Nous ne pouvons continuer à cautionner cette opposition fallacieuse entre santé et emploi, sauf à nourrir la défiance des citoyens envers les politiques et à favoriser les extrémismes. Nous comptons sur un engagement pour l'intérêt général et nous espérons, monsieur le ministre, que vous vous appuierez sur cette initiative parlementaire. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Évelyne Didier .  - Je remercie Joël Labbé pour avoir proposé cette proposition de résolution commune à laquelle nous nous sommes volontiers associés.

M. Bruno Sido.  - Allons bon !

Mme Évelyne Didier.  - Il ne vous est pas proposé de faire la révolution : lisez les considérants ! Nous voulons oeuvrer ensemble, après avoir, comme d'autres, alerté sur l'impact des pesticides sur les pollinisateurs. Le Gaucho, le Régent et le Cruiser ont été interdits parce qu'ils étaient dangereux. J'appartiens au comité des élus pour le soutien aux abeilles et aux apiculteurs. Les abeilles constituent un maillon clé de l'équilibre des écosystèmes. L'abeille mellifère est le seul insecte dont l'homme consomme la production. La valeur économique de la pollinisation se chiffre à plus de 150 milliards d'euros par an.

La disparition des abeilles n'a pas qu'une cause mais il faut agir tout de suite sur les pesticides ! Cette résolution est d'autant plus importante que le Parlement européen a commandé un texte, certes non contraignant, sur l'interdiction souhaitable de certains -hélas pas tous- néonicotinoïdes au nom du principe de précaution. Cette initiative a été contestée devant la Cour de justice par deux fabricants, en dépit des avertissements de l'autorité européenne de sécurité des aliments sur les risques qu'ils font courir à la santé humaine.

L'exposé des motifs de cette proposition est complet et éloquent. Je vous invite à la voter. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Gilbert Barbier .  - Comment ne pas évoquer le rapport de la mission commune d'information présidée par Sophie Primas et dont Nicole Bonnefoy a rédigé le rapport ? Je rappelle aussi mon rapport sur les perturbateurs endocriniens. Il est des substances non seulement toxiques en elles-mêmes mais dont les effets sont synergiques.

Je reconnais que les procédures européennes d'évaluation des risques avancent bien lentement. Certaines études ont démontré que l'usage des néonicotinoïdes présente un risque pour les abeilles. D'où l'interdiction de la mise sur le marché de certaines semences traitées par ces produits et les restrictions sur leur usage, pour 75 cultures différentes.

L'autorisation de mise sur le marché de ces produits reste de la compétence des États. Le Gaucho a été interdit en France dès 1999, le Régent en 2004, puis le Cruiser. D'autres pays sont loin d'interdire ces produits.

La proposition de résolution invite le Gouvernement à agir au plan européen en application du principe de précaution, qui ne cesse d'être invoqué.

L'interdiction totale d'une catégorie d'insecticides ne serait pas sans conséquences économiques. La mise en oeuvre du principe de précaution reste subordonnée à l'existence d'un dommage irréversible, qui impose que les autorités procèdent à des évaluations permettant de prendre des mesures proportionnées aux risques. Or une interdiction générale serait disproportionnée, alors que les résultats de certaines études sont controversés car elles ont été réalisées dans des conditions différentes de celles qui prévalent sur le terrain.

Monsieur le ministre, vous annoncez un plan éco-phyto II. Vous nous en direz sans doute davantage...

En attendant le résultat de l'étude lancée par l'Europe, la fixation de maxima d'exposition devrait être privilégiée par rapport à une interdiction totale, prônée par cette proposition de résolution que les membres du RDSE ne soutiendront pas, même s'ils en comprennent les motifs. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Henri Tandonnet .  - Il faut faire le distinguo entre une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires et un usage qui met en danger l'environnement, ainsi que l'a montré la mission commune d'information du Sénat présidée par Sophie Primas. Nous partageons les inquiétudes des auteurs de la proposition de résolution mais leur démarche est précipitée.

Les insectes pollinisateurs sont des référents de la biodiversité. L'agriculture représente une activité significative : 800 000 ruches sont réparties en France métropolitaines dans 12 000 exploitations, produisant 14 000 tonnes de miel, alors que notre pays est fortement déficitaire.

Le premier constat de la mission commune d'information a consisté à reconnaître la sous-évaluation des dangers des pesticides pour la santé animale et humaine.

Le plan éco-phyto a restreint l'usage des produits. Dans le Lot-et-Garonne, les utilisateurs de semences ont conclu des conventions avec les apiculteurs.

Cette proposition de résolution propose une interdiction générale. Avant d'en arriver là, une évaluation complète de l'impact des néonicotinoïdes sur la santé animale et humaine doit être menée.

Les agriculteurs pâtissent déjà des nombreuses contraintes, ne les enserrons pas dans de nouvelles normes, à l'heure des changements climatiques. Laissons le temps aux laboratoires pour élaborer de nouvelles solutions. Il faut aussi renforcer les moyens de l'Anses pour lui permettre de réduire les délais d'examen des projets d'autorisations de mises sur le marché.

Cette proposition de résolution est prématurée. Ne pourrait-elle être incluse dans le projet de loi sur la biodiversité, donc le parcours législatif s'est arrêté à l'Assemblée nationale ?

À titre personnel, je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

Mme Sophie Primas .  - De nombreuses études établissent un lien entre la mortalité des abeilles et les néonicotinoïdes. Certaines sont contestées, aussi les législateurs que nous sommes doivent se fonder uniquement sur les travaux des Agences, lesquels ont conduit à l'interdiction européenne de trois produits. Faut-il aller plus loin ?

La mortalité des abeilles est due à des causes plurifactorielles, dont les virus, bactéries, prédateurs, le frelon asiatique qui décime des milliers de ruches. Il est bien difficile de déterminer scientifiquement la prédominance d'un facteur sur les autres. Je salue les travaux de l'Anses à ce sujet.

Je souhaite que l'on attende les résultats d'une étude d'un groupe d'experts de l'Anses, au deuxième semestre 2015, qui doit aboutir à des recommandations de l'Anses : attendons quelques mois car la science, rien que la science, doit inspirer notre action.

Plutôt qu'une démarche unilatérale, il faut associer davantage les agriculteurs et les industriels, pour améliorer l'acceptabilité d'une telle mesure. Les substances néonicotinoïdes ont un intérêt économique indéniable pour le secteur et ont fait la preuve de leur efficacité contre les ravageurs. Prenons garde à ce que l'interdiction des néonicotinoïdes ne débouche pas sur l'usage massif, et nocif, d'insecticides foliaires par pulvérisation.

Mon abstention est donc un signal à l'égard des industriels pour inviter à renforcer la recherche sur les produits de substitution. (M. Stéphane Le Foll, ministre, approuve) Un signal politique aussi pour que toutes les parties -agriculteurs, industriels, associations- soient réunies pour trouver des solutions acceptées, efficaces et pérennes. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. René-Paul Savary .  - Je ne suis pas sûr, monsieur Labbé, que vos arguments soient convaincants... Il faut se garder des positions partisanes comme des erreurs... C'est justement parce qu'il n'avait aucune preuve scientifique que le Parlement néerlandais a pris la décision que vous savez. Vous ne proposez aucune solution alternative. Ne tombons pas dans le piège de l'écologie des interdits, dans le panneau de la décroissance. Il faut tenir compte de la réalité. L'économie des semences pèse plusieurs milliards, contribue à notre balance commerciale.

Je veux être avant tout positif. Il nous faut entrer dans l'agriculture du XXIe siècle, moderne, fondée sur une innovation encadrée et non pas repliée sur le principe de précaution. Oui, il faut rationaliser le travail des agences ; c'est en cours. Oui, il faut travailler sur la toxico-pharmacovigilance, que les mêmes personnes assument ensuite les autorisations de mise sur le marché.

Misons sur la recherche : lorsque la science aura trouvé des produits de substitution, nous pourrons prendre une mesure d'interdiction. Misons aussi sur l'innovation des pratiques culturales, comme nous le faisons dans la Marne à la ferme 112, un projet agro-environnemental intéressant.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Je vais bientôt m'y rendre.

M. René-Paul Savary.  - Nous devons aussi nous intéresser à une complémentarité intelligente des agroressources. Comme le dit Nicolas Bouzou, on entend l'arbre tomber mais pas la forêt pousser. Je voterai contre la proposition de résolution. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Gremillet .  - La proposition de résolution de M. Labbé ne me dérange pas. Je souhaite simplement que l'on réfléchisse aux vraies questions. L'agriculture est confrontée à des défis qui compliquent son activité : nourrir la population avec des productions de qualité tout en respectant l'environnement.

L'interdiction proposée par M. Labbé n'est fondée sur aucune étude scientifique. Les néonicotinoïdes présentent des avantages certains. Ils ont une valeur préventive -30 % des surfaces de céréales d'hiver, 30 % des productions de colza sont protégés. Avant, il fallait traiter toutes les surfaces ; aujourd'hui, on enrobe la graine. On est passé de 600 grammes à l'hectare à 60. L'impact sur l'environnement a été réduit tout en garantissant la qualité alimentaire des productions.

La proposition de résolution n'est pas fondée, nous n'avons aujourd'hui aucun travail scientifique qui nous permette de décider. Ne handicapons pas notre agriculture par un vote qui va à l'encontre des décisions de la Commission européenne -elle a provisoirement suspendu trois molécules seulement.

La proposition de résolution se fonde en outre sur des erreurs manifestes. Le Parlement néerlandais a rejeté l'interdiction faute d'éléments scientifiques. Plusieurs rapports, notamment celui de l'AFSA, montrent que la mortalité des abeilles a des causes multiples. Le taux de mortalité des colonies était de 37 %, il est tombé à 9 % l'an dernier. Si le poids économique des pesticides reste considérable, leur usage décroît -moins 260 millions d'euros dans l'arboriculture.

En ces matières, mieux vaut avoir des certitudes. Avec le label éco-phyto, avec l'agro-écologie, nous pouvons aller plus loin. Le paysan des Vosges que je suis sait que les surfaces de terres labourées ont diminué de 60 % en un siècle ; la rotation des cultures est essentielle pour la sécurité sanitaire et la réduction de l'usage des pesticides. Le plan protéines va aussi dans le bons sens. (M. Stéphane Le Foll, ministre, s'en félicite)

Je ne voterai pas cette proposition de résolution. J'en appelle au principe de précaution à l'égard de notre agriculture : pas de moratoire mais un travail approfondi de recherche sur l'impact des néonicotinoïdes sur l'environnement au sens large. Il nous faut inventer l'agriculture de demain. La majorité du groupe UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Gilbert Barbier applaudit aussi)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Chacun sait que certains pesticides ont des effets nocifs sur les pollinisateurs et sur la santé humaine. M. Labbé, dans un discours enflammé, a invité le Gouvernement à agir au niveau européen en faveur d'une interdiction des néonicotinoïdes. M. Savary l'a rappelé, les arguments scientifiques sont contradictoires...

Le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi pour des questions de méthode. Les causes de la mortalité des abeilles, qui augmente, sont multifactorielles ; les pesticides en font partie. Dès mon arrivée, j'ai interdit une molécule néonicotinoïde -pour l'enrobage du colza. À l'initiative du Gouvernement, l'usage de trois molécules a été encadré en Europe ; les périodes d'utilisation ont été restreintes. Nos décisions ont eu un prolongement à l'échelle européenne.

La proposition de résolution va plus loin. Le Gouvernement n'est pas favorable à une interdiction qui reviendrait à reconnaître un lien de causalité direct entre l'usage des néonicotinoïdes et la mortalité des abeilles. Les scientifiques le disent, les causes sont diverses. Le plan Abeilles pour une apiculture durable, de 40 millions sur trois ans, permettra de structurer la filière.

Le ministère de l'agriculture a été alerté d'une mortalité hivernale anormale dans les Pyrénées orientales et en Ariège ; deux études ont été lancées. Rien n'a été trouvé démontrant le rôle des néonicotinoïdes -il ne s'agit pas d'une terre de grande culture céréalière- pas plus que celui des vermifuges utilisés dans l'élevage.

Si nous voulons parvenir à faire valoir nos vues au niveau européen, il faut des bases solides. La France est déjà engagée sur le sujet des perturbateurs endocriniens et des substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Ce texte nous mettrait en position de faiblesse.

Les Pays-Bas ont voulu interdire les néonicotinoïdes et ont fait marche arrière. Le deuxième plan éco-phyto est lancé. On a beaucoup parlé de l'échec du premier, mais il aura quand même permis d'éliminer 80 % des substances cancérigènes et mutagènes et montré qu'il était possible de diminuer la consommation de produits phytosanitaires. Ce sont des acquis.

Pour avancer, il faut des produits ou des solutions alternatives. Si l'on interdit les néonicotinoïdes sans alternative crédible, on reviendra aux organochlorés, aux organophosphorés, qui sont pire encore...

Dans la loi d'avenir, nous mettons en oeuvre l'expérimentation des certificats d'économie de produits phytosanitaires. N'en déplaise à certains, j'irai jusqu'au bout car il faut responsabiliser les acteurs. C'est affaire de modèle agronomique. Chacun doit être associé, dans une démarche globale, transversale.

Ce texte a le mérite de provoquer le débat. Aucun orateur, d'ailleurs, n'a cédé à la caricature. Notre volonté est de parvenir non seulement à légiférer en France mais à faire prévaloir notre vue en Europe. La France doit être leader en ce domaine, ce qui suppose qu'elle soit crédible.

Je ne suis pas hostile à l'idée qui anime cette proposition de résolution mais il faut du temps pour aboutir à une agriculture compétitive et en même temps durable. C'est parce que les agriculteurs sont des citoyens responsables que nous pourrons faire le pari de la réussite collective. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs à droite)

présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

À la demande du groupe écologiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°92 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l'adoption 64
Contre 248

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance, suspendue à 17 h 5, reprend à 17 h 10.