Propriété littéraire et artistique (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Discussion générale

Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Nous voici réunis pour examiner les conclusions de la CMP sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Ce texte, examiné en première lecture en décembre dernier par notre assemblée, transpose trois directives. La première, datée du 27 septembre 2011, tire les conséquences de l'allongement de la durée de vie des artistes en portant de cinquante à soixante-dix ans la protection des droits voisins des interprètes et producteurs de musique.

La deuxième, datée du 25 octobre 2012, instaure un régime spécifique de protection des oeuvres orphelines. La dernière, datée du 15 mai 2014, est relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et précise la définition de trésor national. Il y avait urgence : le délai de la transposition de la première directive s'éteignait le 1er novembre 2013 ; celui de la deuxième, le 29 octobre 2014. D'où la procédure accélérée.

Après une lecture dans chaque chambre restaient en discussion les seuls articles 2 et 4.

À l'article 2, sur les droits voisins, le Sénat avait supprimé une mention non conforme à la directive, qui incluait les recettes issues de la location des oeuvres dans l'assiette de la rémunération annuelle supplémentaire des artistes interprètes. Il avait également ouvert, pour les sociétés de perception et de répartition des droits agissant pour le compte des artistes, le droit de demander au producteur l'état des recettes provenant de l'exploitation des phonogrammes. L'Assemblée nationale a approuvé sans réserve cette modification.

En première lecture, l'Assemblée nationale a modifié la rédaction de l'article 4 en limitant à cinq ans la durée pendant laquelle les organes exploitant les oeuvres orphelines peuvent répercuter leurs frais de numérisation sur les utilisateurs. Le Sénat avait supprimé cette disposition ambiguë, introduisant une rigidité supplémentaire et entraînant un surcoût pour les utilisateurs : nous avons défendu un délai plus long. Après un débat franc et constructif, la CMP est parvenue à un compromis sur le délai de sept ans.

Les débats autour de ce texte démontrent l'utilité du bicamérisme ; le projet de loi donne désormais satisfaction à tous les artistes. En nous conformant au droit de l'Union européenne, nous pouvons nous réjouir d'y trouver un écho de la conception française de l'encadrement de la culture pour sa protection. En première lecture, nous avions regretté d'avoir à transposer dans l'urgence, avec effet rétroactif. Ne nous remettons pas dans cette situation alors que la Commission, de façon hasardeuse, veut réviser la directive sur le droit d'auteur, jugée contraire à la circulation des oeuvres. Nous devrons faire preuve d'une extrême vigilance, comme nous l'avons fait dans le cadre du traité de libre-échange nord-atlantique pour faire prévaloir la diversité culturelle. Face aux nouveaux défis, il conviendrait que le Sénat soit associé en amont : vous pouvez compter sur sa détermination !

Je souhaite l'adoption conforme des conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP, Mme Catherine Morin-Desailly applaudit aussi)

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication .  - Je salue le travail accompli par les deux commissions de la culture du Parlement. Malgré la procédure accélérée, vous avez su préciser le texte et l'enrichir tout en restant fidèles à l'esprit des directives. Un travail consensuel, donc, qui est désormais derrière nous puisque les deux seuls points en discussion portaient sur les articles 2 et 4. Comme l'avait souhaité le Gouvernement, l'article 2 a été adopté dans la rédaction du Sénat, les deux chambres sont parvenues à un compromis sur l'article 4 en portant à sept ans le délai pendant lequel les organismes peuvent percevoir des recettes découlant de la numérisation et de la mise à disposition au public des oeuvres.

Après l'adoption de la proposition de loi sur la modernisation de la presse, le Sénat démontre qu'il est au rendez-vous de la culture. J'appelle à mon tour de mes voeux l'adoption conforme de ces conclusions. (Applaudissements)

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12, de notre Règlement, le Sénat, examinant les conclusions de la CMP après l'Assemblée nationale, se prononcera par un seul vote.

Mme Claudine Lepage .  - La CMP a retenu la version du Sénat pour l'article 2. À l'article 4, qui reprend l'article L. 135-2, elle est parvenue à un équilibre.

Les droits patrimoniaux des artistes-interprètes, parents pauvres des droits d'auteur et droits voisins, seront mieux protégés. C'est une bonne chose : ce sont eux, les moins bien rémunérés, qui font connaître une oeuvre. Que leurs droits voisins soient étendus pour tenir compte de l'allongement de leur durée de vie est bienvenu.

Quant aux oeuvres orphelines, définies dans la loi du 1er mars 2012 à l'initiative des sénateurs socialistes, un regret : en droit français, les photographies et images fixes qui portent pourtant souvent la mention « droits réservés » ne seront pas concernées.

Un mot de la dernière directive sur les trésors nationaux : seules sont concernées les oeuvres acquises illicitement. Les collections de peinture et de sculpture intégrées aux collections royales dans le passé ne sont donc pas visées non plus que les oeuvres rapportées pendant les campagnes napoléoniennes de pays qui n'étaient pas des États membres de l'Union européenne.

Le groupe socialiste apportera son soutien à l'adoption de ce projet de loi qui résout des cas particuliers et garantit mieux les droits des artistes. (Applaudissements)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Écologistes, nous sommes attachés à la fluidité, à la démocratisation de l'accès à la culture et à la création.

Il est juste que les artistes-interprètes, trop souvent oubliés, soient mieux protégés. En revanche, il est moins sympathique d'allonger la protection des droits d'oeuvres d'artistes disparus. Comme l'a dit Mme Bouchoux, c'est vingt ans de pris sur le domaine public pour assurer une rente aux producteurs.

La numérisation des oeuvres orphelines ouvrira largement l'accès à la culture, elle a un coût. Que les organismes s'attelant à cette tâche puissent répercuter les frais sur les utilisateurs est donc normal. La CMP l'a reconnu en adoptant un compromis sur la durée de sept ans. Enfin la directive sur les trésors nationaux devrait en garantir la restitution et en prévenir le trafic.

Les écologistes voteront ce texte, qui traduit l'émergence d'une politique culturelle en Europe, en appelant de leurs voeux une grande loi sur la création culturelle et le patrimoine, donnant lieu à un débat aussi serein que celui-ci. (Applaudissements)

M. Jean-Claude Requier .  - Le patrimoine européen est un élément structurant de notre construction politique et sociale. Toute perte de mémoire est une perte pour l'humanité: ainsi le pillage de la bibliothèque de Mossoul par l'État islamique et l'autodafé qui a suivi.

Grâce à la première directive que transpose ce texte, les artistes-interprètes seront mieux rémunérés. Il est toutefois dommage que les petits producteurs ne soient pas concernés. La deuxième directive relative aux oeuvres orphelines concilie protection des auteurs, fondement de notre droit et droit à l'information. Elle s'inscrit dans le cadre du lancement de la bibliothèque numérique européenne. La procédure dérogatoire est encadrée : elle est limitée aux utilisations non lucratives. La durée de sept ans procède d'un compromis avec l'Assemblée nationale. Elle amortit le coût de la numérisation et de la mise à disposition et limite l'exploitation commerciale des oeuvres orphelines.

La protection de la culture, c'est aussi celle de nos trésors nationaux. En 2006, la sortie de notre territoire du tableau de Poussin, La fuite en Égypte, avait ému. Grâce à ce texte, nous serons mieux armés ; le délai de demande de restitution d'une oeuvre passe de deux à six mois et celui encadrant l'action en restitution de un à trois ans. Le groupe RDSE votera ce texte.

M. Claude Kern .  - La particulière technicité de ce texte ne doit pas en masquer les enjeux : la protection de la culture. Aussi le groupe UDI-UCI le votera-t-il. La transposition de directives au droit français, qui doit être fidèle et précise, intervient dans le cadre d'une procédure accélérée justifiée par les délais d'extinction des directives du 27 septembre 2011 et du 25 octobre 2012, respectivement les 1er novembre 2013 et 29 octobre dernier. Nous regrettons ce retard, source d'insécurité juridique.

Nous nous réjouissons des résultats de la CMP, tant sur l'article 2 que sur l'article 4, obtenus grâce au travail de notre rapporteure et de notre présidente.

Les droits voisins des artistes-interprètes seront mieux reconnus, la numérisation et la mise à disposition des oeuvres orphelines seront facilitées.

Après l'examen du projet de loi au Parlement, les dispositions sur la restitution des trésors nationaux sont plus lisibles, plus intelligibles et la terminologie plus adaptée à notre droit.

Le groupe UDI-UC ne voit pas de raisons de rejeter ce texte mais continue de regretter le retard pris dans la transposition des directives européennes. (Applaudissements)

Mme Vivette Lopez .  - Encore une procédure accélérée, après celle portant sur la proposition de loi relative au secteur de la presse pour adapter le statut de l'AFP au droit communautaire ! Cette négligence, (on se récrie sur les bancs socialistes) qui peut faire croire qu'on fait peu de cas des attentes des artistes-interprètes, a des conséquences juridiques, avec des effets rétroactifs.

Cela étant, grâce au travail de notre rapporteure, le texte apporte plus de protection aux artistes-interprètes et, dans le cadre de la stratégie numérique européenne, encadre l'exploitation des oeuvres orphelines. La CMP, comme c'est souvent le cas, a trouvé un bon compromis sur l'article 4. Enfin, concernant la directive sur la restitution des trésors nationaux, la version de l'Assemblée nationale a pu être adoptée sans modification.

Le groupe UMP votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Intervention sur l'ensemble

M. Patrick Abate .  - Ce texte présente plusieurs mérites : des artistes-interprètes mieux reconnus, une numérisation des oeuvres orphelines facilitée et des trésors nationaux mieux protégés. Pour être honnête, la procédure accélérée n'a pas posé de difficultés. Le groupe CRC votera ce texte tout en attendant la grande loi sur la création artistique et le patrimoine que le Gouvernement a annoncée... et reportée.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.