Questions cribles sur les services à la personne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les services à la personne, à Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.

Je profite de la présence de MM. Karoutchi et Richard, qui ont animé notre groupe de travail, pour rappeler que ces séances de questions cribles seront remplacées par des questions d'actualité, conformément aux décisions du Bureau.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Cette séance précède de quelques jours l'examen du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement. Avec Dominique Watrin, nous avons rédigé un rapport pour la commission des affaires sociales du Sénat, publié le 4 juin dernier, qui dresse un constat : le système des services à la personne est à bout de souffle, il doit être réformé d'urgence.

Je m'en tiendrai à la question financière. Nos seniors souhaitent rester le plus longtemps possible à domicile, cette aspiration est largement répandue dans toutes les classes sociales. C'est l'orientation prioritaire du texte à venir. À ce jour, il existe dans ce champ 8 500 structures et 557 000 salariés. La Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime à 300 000 le nombre d'emplois à créer dans ce secteur d'ici 2020.

Or l'aide de l'État a diminué de 50 %, lors de la création de l'APA, à 28 % en 2014 tandis que les finances départementales sont exsangues. Il faut réformer l'APA, fixer un tarif national de référence et augmenter les fonds d'intervention. Que prévoit le gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie .  - La réforme de l'APA à domicile est l'axe central du texte que vous examinerez la semaine prochaine et qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016. C'est une réforme de justice sociale qui attaque les inégalités à la racine et consent des moyens supplémentaires pour une meilleure couverture des besoins et une baisse significative du reste à charge. Les personnes en Gir 1 et 2 qui ont atteint le plafond auront droit à une heure APA quotidienne supplémentaire, celles affectées de façon moindre, une heure de plus par semaine. Des droits nouveaux sont accordés aux aidants.

Une somme de 25 millions supplémentaires par an viendra soutenir les conditions de travail des salarié - j'ai anticipé dès 2015. L'APA à domicile sera revalorisée de 13 %, pour 450 millions. Les dépenses nouvelles seront entièrement compensées auprès des départements, de sorte que le taux de compensation repartira à la hausse.

Nous avons déterminé le volume des dépenses en fonction des recettes de la Casa. J'y reviendrai lors d'une prochaine question.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Néanmoins, un effort supplémentaire reste à faire. Il suffit d'écouter les associations et entreprises d'aide à domicile.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - L'accompagnement tout au long des âges de la vie est un enjeu majeur. Plusieurs types d'intervenants se mobilisent, en particulier les aidants familiaux, qui se dévouent sans compter, mais aussi les salariés d'associations et les prestataires de services, dont j'ai pu constater dans l'Yonne le professionnalisme.

À quelques jours de l'examen du projet de loi sur le vieillissement, j'attire votre attention sur la baisse du financement des Carsat qui conduit à des aberrations - une personne aveugle n'est pas même éligible à recevoir un dossier parce qu'elle n'a pas perdu sa mobilité... De nombreuses associations sont dans le rouge. Je ne doute pas de votre engagement personnel, mais avez-vous les moyens de votre ambition ? Le secteur répond à un besoin et n'est pas délocalisable. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Merci d'avoir salué mon engagement personnel qui est à la hauteur de celui du gouvernement. Dès ma prise de fonctions, j'ai pris la mesure des difficultés. L'excellent rapport Vanlerenberghe-Watrin est éloquent. On ne peut bâtir un secteur sur la base d'un fonds provisoire, reconduit d'année en année. Il faut structurer une offre d'accompagnement solide, innovante et viable. Je mobilise le secteur autour de la création des services polyvalents de soins et d'aide à domicile (Spasad), fusion des Sad et des Ssiad.

L'État va engager 450 millions supplémentaires, ce qui donnera une bouffée d'oxygène au secteur. J'ai obtenu un rattrapage salarial de un point au 1er juillet 2014 pour les salariés du secteur, dont les rémunérations sont gelées depuis des années. La refondation est lancée. Nous ne lâchons rien sur le soutien de l'aide à domicile qui est la condition du maintien à domicile.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Les paroles sont là. Nous verrons la semaine prochaine si les actes suivent... Notre commission des affaires sociales proposera des amendements pour réviser la fraction de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) dévolue aux départements qui financent aujourd'hui l'APA à hauteur de 70 % - gardons ce chiffre en tête.

Vous évoquez les revalorisations : encore faut-il éviter l'effet ciseaux, les décisions des Carsat entraînant une baisse du nombre d'heures effectuées tandis que les charges des associations augmentent.

Mme Françoise Laborde .  - Dans son acception la plus large, les services à la personne sont très divers. Le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement apporte des améliorations notables mais la réforme ne répond pas à la question de la soutenabilité financière pour les départements ; leurs dépenses sociales n'ont cessé d'augmenter ces dernières années.

Que pense le gouvernement de la proposition de soumettre tous les services d'aide aux personnes handicapées ou âgées en perte d'autonomie au régime de l'autorisation ?

Le 7 mars dernier, les réseaux d'aide à domicile ont demandé un nouveau fonds d'urgence pour 2015. Que leur répond le gouvernement, madame la ministre ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - La dualité de régime juridique - autorisation et agrément - est un état de fait, hérité de la loi de 2005. S'il n'existait pas, je ne crois pas que je le créerais... Nous voulons rendre le secteur plus lisible et sauvegarder l'emploi. J'ai trois préoccupations : structuration territoriale de l'offre, qualité de l'accompagnement, solvabilité de la demande.

Faut-il mettre fin à la dualité agrément-autorisation ? Il faut réfléchir à un régime unifié et promouvoir une contractualisation pluriannuelle, comme le suggèrent la Cour des comptes et le rapport sénatorial. Je souhaite un projet responsable et à long terme. La rédaction de votre commission des affaires sociales à l'article 32 soulève des problèmes en termes de rapidité et d'effets, mais nous en débattrons.

Mme Françoise Laborde.  - Merci pour votre réponse. Je souhaitais vous alerter sur le décalage entre les objectifs assignés à cette politique publique et les moyens qui lui sont affectés. Nous serons vigilants quant à la revalorisation et à l'amélioration de l'APA.

M. Jean Desessard .  - Le chèque emploi-service, remplacé par le chèque emploi-service universel (Cesu) en 2006, a fêté ses 20 ans en octobre dernier. Il a simplifié les modalités de l'emploi à domicile et fait reculer la non-déclaration. C'est un succès : 806 millions de titres émis en 2014. Il facilite la vie des 1,4 million de particuliers employeurs et de leurs salariés.

Des progrès ont été réalisés avec le partenariat entre les représentants de l'emploi à domicile et Pôle Emploi. Il reste quelques complexités néanmoins en cas de maladie : les salariés doivent demander à tous leurs employeurs de remplir un formulaire assez compliqué alors que les informations existent et sont disponibles. Madame le ministre, quelle mesure comptez-vous prendre pour y remédier ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Le dispositif du Cesu est simple pour les employeurs, saluons-le ! Il est utilisé tous les mois par plus d'un million d'employeurs et un demi-million de salariés.

Vous évoquez des démarches qui restent complexes, comme les arrêts-maladies. Ma première réponse passe par l'information au travers du portail internet net.particulier.fr. La deuxième est que la piste que vous suggérez, à condition d'une étude de faisabilité, intéressera certainement mon collègue Thierry Mandon... Nous demanderons à l'assurance maladie et à l'Urssaf de l'étudier.

M. Jean Desessard.  - Quel bonheur ! Oui le Cesu a simplifié la vie des employeurs. Simplifions-le encore en utilisant les informations disponibles plutôt que de les redemander.

M. Dominique Watrin .  - Nombreuses sont les fédérations d'aide à domicile qui dénoncent le décalage entre le prix de revient de leurs prestations et le tarif de leur rémunération. Une des principales propositions de notre rapport était la mise en place d'un tarif national de référence à la hauteur des coûts. Où en est l'étude nationale des coûts qui avait été diligentée par la direction générale de l'organisation sociale ?

Les associations d'aide à domicile subissent les contrecoups des contraintes budgétaires qui les conduisent à recentrer leurs interventions vers des personnes de plus en plus âgées. C'est un recul considérable. Quant aux salariés, ce sont à 98 % des femmes, rémunérées à 832 euros par mois en moyenne. Quels financements comptez-vous mobiliser ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - J'entends souvent parler de désengagement de l'État... La nation consacre 21 milliards chaque année à la prise en charge de la dépendance. De quoi parle-t-on au juste ? Pour traiter la question des coûts, il faut d'abord les connaître. L'évaluation par l'Igas et l'étude nationale des coûts seront disponibles la première avant l'été, la seconde avant septembre. Je vous les transmettrai ainsi qu'à M. Vanlerenberghe.

Je ne suis pas favorable à un tarif national de référence, car il serait fixé suffisamment bas pour que tous les départements puissent ajuster. Or il faut tenir compte des spécificités des services en zone rurale, notamment. Je travaille plutôt à la généralisation des CPOM. Nous en reparlerons la semaine prochaine.

M. Dominique Watrin.  - Vous ne m'avez pas répondu sur le financement. Votre projet de loi ne comporte que de timides avancées ; il ne permettra pas de répondre aux besoins, faute de financement, alors qu'une contribution de solidarité pesant sur les actionnaires et les 200 milliards d'euros qu'ils reçoivent en dividendes rapporterait tout autant que la Casa. Voilà une piste à étudier ! (« Très bien » et applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Pierre Godefroy .  - Le secteur de l'emploi à domicile représente 3,6 millions d'employeurs et 1,6 million de salariés. La masse salariale est en recul sur l'ensemble du secteur depuis 2012.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, le doublement de l'abattement forfaitaire avait été voté pour les particuliers qui emploient une personne à domicile pour des services liés à la garde d'enfants, aux personnes âgés dépendantes et aux personnes handicapées - disposition censurée par le Conseil constitutionnel pour une raison de forme. J'avais déposé un amendement portant de 75 centimes à 1,50 euro la déduction forfaitaire par heure travaillée. Le travail non déclaré, qui touche des personnes précaires, progresse, nous le savons. Sans vouloir revenir sur le dispositif d'abattement supprimé par le gouvernement précédent, je souhaite connaître les mesures que vous envisagez.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Pour mettre tout le monde à l'aise, le recul du nombre d'heures déclarées est constaté depuis 2009 ; chacun peut en prendre sa part de responsabilité. Selon la Cour des comptes, c'est l'évolution à la baisse du revenu disponible des ménages et la maturité du secteur depuis les années 2000 qui expliquent cette situation. La baisse n'est nullement corrélée à une recrudescence des pratiques illégales ou à une modification fiscale.

On assiste depuis 2002 à un mouvement de fond : le basculement de l'emploi direct vers l'emploi via des prestataires. Ce dernier occupe 41 % du marché en 2013, contre 19 % en 2002.

Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition votée en juillet 2014, qui eût été inopérante pour les plus fragiles. Nous ne souhaitons pas la reprendre. Mal ciblée, elle n'excluait pas les prestations de confort.

Sur la garde d'enfants, le gouvernement a ciblé son effort sur les enfants de six à treize ans, pour un coût de 75 millions d'euros. Voilà une nouvelle mesure de solidarité qui s'inscrit dans notre politique familiale. (Exclamations sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Ne pas tenir compte de l'impact des dispositions fiscales qui ont été modifiées serait une erreur.

Mme Catherine Procaccia.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Il faut y réfléchir. Ce n'est pas une niche fiscale mais favoriser l'emploi de personnes qui cotisent à la sécurité sociale et aux caisses de retraite. Il faudra y revenir lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements)

M. Cyril Pellevat .  - Les services d'aide à la personne sont un gisement d'emploi. Les lois Borloo ont permis de créer plus de 180 000 postes. (M. Jean-Baptiste Lemoyne approuve) Or on assiste à une baisse significative de la capacité financière des principaux contributeurs. Les trésoreries sont très tendues, de nombreuses associations ont mis la clé sous la porte. Les organismes prestataires ou mandataires demandent que le financement soit repensé et que la Casa soit rendue effective.

Le devoir de la nation, c'est de maintenir la solidarité, notamment en zones rurales, de soutenir le maintien à domicile, de garantir les financements nécessaires - le nombre de création d'emplois est estimé à 240 000 ETP dans les trois prochaines années. Quelles mesures d'urgence entend prendre le gouvernement ? (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Votre question rejoint celle de Jean-Baptiste Lemoyne. La Cnav a reconcentré ses aides sur une logique différente. Elle a augmenté ses tarifs de 3,6 %, avec un taux horaire de 20,10 euros.

Je partage votre constat. Nous cherchons des solutions d'évolution de la tarification. J'attends avec impatience le rapport de l'Igas sur les expérimentations tarifaires et j'ai lancé la rédaction du cahier des charges des Spasad.

On ne peut remettre de l'argent dans ce secteur sans faire évoluer les conditions de tarification et même sa structure.

M. Cyril Pellevat.  - Merci, mais je suis un peu déçu. Nous avons besoin de moyens pour avancer. (Quelques applaudissements)

M. le président.  - Je vous renvoie au Journal officiel qui rend compte de la séance du 10 novembre 1993, au cours de laquelle a été créé le chèque emploi-service. Une bonne idée met du temps à cheminer... Cela montre qu'on peut être à la source de progrès, y compris dans une formation comparable à la majorité sénatoriale actuelle. J'ai quelques souvenirs de l'époque...

La séance est suspendue à 15 h 40.

présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

La séance reprend à 16 heures.