Réforme de l'asile (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l'asile.

Discussion générale

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Comment ne pas songer, en cet instant, au drame qui se joue en Méditerranée ? Plus de 1 700 hommes, femmes et enfants y ont déjà perdu la vie en 2015, victimes de trafiquants qui n'hésitent pas, après les avoir rançonnés, à les envoyer à la mort sur des embarcations de fortune.

Le Conseil européen a décidé de tripler les moyens de Frontex, de renforcer la coopération avec les pays d'origine et de transit et la lutte contre les passeurs.

La France, conformément à sa vocation, a été aux avant-postes et ses recommandations devraient inspirer en grande partie l'agenda de la Commission européenne, dans l'objectif de protéger ceux qui ont besoin de protection et d'éloigner les autres, dans le respect de la dignité et des droits des personnes. Le projet de loi anticipe l'initiative européenne.

Nous avons collectivement un devoir de vérité et d'action, pour faire taire les fantasmes qui nourrissent les extrémismes. La hausse brutale des flux migratoires en Méditerranée résulte du chaos libyen. La Libye ne contrôle plus ses frontières, ce dont profitent les marchands de rêves que sont les passeurs.

Contrairement à une illusion entretenue par les médias, la France est loin d'être le pays le plus concerné par les flux de migrants en provenance de Méditerranée, ou par la demande d'asile. C'est même le seul pays européen où les demandes d'asile ont baissé en 2014 -de 2,34 % ; en 2015, les chiffres sont stables. La France est ainsi un pays de transit plus qu'un pays d'installation. N'exploitons pas, de grâce, les drames en Méditerranée pour faire peur aux Français.

Si les migrants qui traversent la Méditerranée ne relèvent pas tous de l'asile, c'est le cas des Syriens, des Érythréens... D'où l'exigence d'une procédure d'asile efficace, rationnelle, rapide et conforme aux meilleurs standards européens.

Or l'exercice du droit d'asile est fragilisé en France : nous sommes proches de l'embolie. C'est pour moi une fierté particulière que de présenter, dans un contexte difficile, un texte qui répond aux urgences du moment et a été adopté par une large majorité à l'Assemblée nationale.

L'histoire du droit d'asile et celle de la République sont intimement liées. C'est pourquoi nous présentons un texte de rassemblement, fruit d'une mobilisation de longue haleine.

En juillet 2013, mon prédécesseur, M. Valls, avait organisé une concertation avec tous les acteurs concernés ; Mme Létard et M. Touraine ont coordonné ces travaux et je les remercie d'avoir permis un débat débarrassé des postures partisanes. Je salue aussi vos rapporteurs au fond et pour avis, MM. Buffet et Karoutchi, ainsi que MM. Sueur et Leconte qui se sont beaucoup mobilisés.

Le diagnostic a été fait et refait, il est partagé ; et le relevé d'observations de la Cour des comptes a confirmé les dysfonctionnements que parlementaires et associations dénoncent depuis longtemps. Alors que la demande a presque doublé entre 2007 et 2012, rien n'a été fait pour y faire face. Depuis, la tendance s'est paradoxalement inversée. Selon l'Ofpra, 64 536 demandes ont été enregistrées l'an dernier ; les délais de traitement des demandes atteignent deux ans, le coût budgétaire n'est plus maîtrisé, les hébergements sont saturés, les droits minimum ne sont plus assurés. Deux tiers des demandeurs sont concentrés dans deux régions.

Le projet de loi vise à réduire drastiquement les délais d'examen des demandes, de deux ans -contre un an en moyenne en Europe- à neuf mois au maximum. Des procédures trop longues nuisent aux demandeurs, nourrissent les filières d'immigration irrégulière et font obstacle à l'éloignement des déboutés. À chaque étape les délais sont excessifs. Il est inacceptable de laisser si longtemps dans l'incertitude ceux qui font confiance à la France. Déjà, 55 nouveaux ETP ont été affectés à l'Ofpra, où la procédure sera ramenée à trois mois en 2016. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) devra traiter les demandes en procédure normale en moins de cinq mois ; en procédure accélérée, le juge unique statuera en cinq semaines. Les délais d'enregistrement en préfecture, beaucoup trop longs, devront être ramenés à trois jours, grâce à la création d'un guichet unique. Il faut aussi savoir traiter rapidement les demandes manifestement fondées ou, au contraire, celles qui ne reposent sur aucun motif sérieux.

Le projet de loi épuise les moyens pour réduire les délais. L'Ofpra décidera du placement en procédure accélérée, le demandeur ayant les mêmes droits qu'en procédure normale.

Deuxième axe du texte : l'accueil des demandeurs. Le système actuel est inégalitaire. Certains sont hébergés en centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), dont chacun salue la qualité. Mais les deux tiers sont accueillis dans des structures d'hébergement d'urgence, voire livrés à eux-mêmes. En deux ans, nous avons déjà créé 4 000 places en Cada, nous en ouvrirons 5 000 autres d'ici l'an prochain, soit grâce à des créations de places nettes, soit en transformant des places d'hébergement d'urgence.

L'allocation temporaire d'attente et celle de subsistance seront fondues en une allocation unique qui tiendra compte de la situation familiale.

Les régions parisienne et lyonnaise concernent la moitié des demandes. Des difficultés existent aussi en Alsace, en Bretagne, en Lorraine. C'est la République qui accueille, non tel ou tel territoire. D'où l'orientation directive des demandeurs que nous mettons en place : s'ils refusent de se rendre dans la région qui leur aura été assignée, ils ne bénéficieront pas de l'accueil dans un Cada ni des allocations.

Troisième point : le renforcement des droits des demandeurs qui pourront se faire accompagner du conseil de leur choix à l'Ofpra et percevoir l'aide juridictionnelle devant la CNDA. Les demandeurs d'asile en situation de vulnérabilité -mineurs ou femmes victimes des pires atrocités- pourront bénéficier d'un examen et d'une prise en charge adaptés.

Enfin, la loi permettra à tous les demandeurs d'asile, que la procédure soit normale ou accélérée, de bénéficier d'un droit au maintien sur le territoire pendant l'examen de leur demande

Nous veillerons à apporter des solutions concrètes aux difficultés de l'outre-mer, je pense en particulier à Mayotte et à la Guyane.

Le Gouvernement n'a pas attendu le rapport de la Cour des comptes pour se pencher sur la question des déboutés. Je veux être clair : un débouté du droit d'asile, sauf s'il bénéficie du droit au séjour à un autre titre, est un immigré en situation irrégulière et doit donc quitter le territoire. La lutte contre l'immigration irrégulière est une priorité de ce gouvernement. Faut-il des chiffres significatifs d'une autre politique ? Naguère, Bulgares et Roumains étaient en réalité comptabilisés fictivement, ils partaient avant Noël après avoir perçu l'aide au retour puis revenaient en janvier, quittaient la France avant Pâques et la retrouvaient après. Nous avons confié le soin de rassembler les chiffres à un organe statistique indépendant. Les retours contraints, qui s'étaient effondrés entre 2007 et 2011, sont depuis repartis à la hausse. Le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts, pas moins de quatre circulaires depuis 2013, l'aide au retour a été retravaillé. La République, ce sont des règles qui doivent être respectées. En 2013, le nombre de retours contraints a augmenté de 13 %, de 25 % en 2014. Avec 15 161 éloignements, la France a connu les chiffres le plus élevés depuis 2007. Chacun doit faire preuve d'humilité...

Nous avons aussi démantelé l'an dernier 226 filières d'immigration clandestine, record historique. La détermination ne s'accompagne pas nécessairement de discours visant à instrumentaliser ces questions...

Il n'y a pas de raison juridique de créer des dispositifs d'éloignement spécifiques aux déboutés du droit d'asile. Aucun gouvernement ne l'a jamais fait. Les réformes concernant l'ensemble de l'immigration irrégulière trouvent leur place au sein du projet de loi sur le séjour des étrangers, qui sera examiné en juillet à l'Assemblée nationale et au plus tard en octobre au Sénat. Les deux textes s'inscrivent dans une parfaite continuité.

C'est une approche globale que le Gouvernement propose au Sénat, pour une politique d'immigration apaisée renforçant la lutte contre l'immigration irrégulière. Le Gouvernement est dans l'action, pas dans le commentaire. Il est à l'écoute de vos préoccupations, avec le souci du respect des règles européennes et constitutionnelles et de l'efficacité. Ainsi, interdire à un débouté du droit d'asile de demander ensuite un titre de séjour au titre d'une autre procédure, comme le propose votre commission des lois, se heurte à nos principes constitutionnels, comme aux normes européennes. Pourquoi s'engager dans une telle impasse juridique ? Pourquoi choisir l'inconstitutionnalité ou l'inconventionnalité ?

Il y a urgence à réformer nos procédures d'asile. Ce projet de loi est l'un des quatre piliers de notre politique à l'égard des étrangers en France. Personne, en 2003, ne s'était ému qu'immigration et asile fussent abordés dans des projets de loi distincts.

Je n'ignore pas les contingences politiques, les positionnements et les tactiques. Mais je forme le voeu que nous fassions honneur à la République comme à la longue tradition du débat approfondi qui caractérise votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois .  - Si tous les textes sont importants, celui-ci l'est particulièrement car il touche aux personnes. Nous sommes confrontés à une triste actualité. Des passeurs agitent le mirage d'un Eldorado européen et empochent des sommes importantes au détriment de ceux qu'ils prétendent aider.

L'asile et l'immigration sont deux sujets distincts. Le droit d'asile découle de la Convention de Genève de 1951 : la France se doit d'accueillir et de protéger ceux qui sont menacés dans leur pays. Mais la procédure d'asile a été dévoyée.

Une autre majorité que la vôtre, monsieur le ministre, a heureusement sanctuarisé les moyens de l'Ofpra et créé la CNDA. Mais l'architecture doit évoluer. Un demandeur doit attendre en moyenne entre 17 et 24 mois. Le nombre des demandes augmente régulièrement. On en a compté 61 488 en 2012, 66 251 en 2013, 64 811 en 2014 ; 10 000 demandes ont été acceptés en 2012, 11 428 en 2013, 14 512 en 2014. Bref, nous produisons chaque année environ 40 000 déboutés. Les filières utilisent la procédure d'asile, qui est longue, comme si c'était une procédure d'immigration. On rejoint ici la question de l'immigration clandestine car les 40 000 déboutés se perdent dans la nature.

Le projet de loi transpose les directives « Qualification » -que nous aurions dû transposer en 2013-, « Accueil » et « Procédures ». Une procédure de clôture des dossiers par l'Ofpra est créée ainsi qu'une procédure accélérée qui remplace la procédure prioritaire pour les demandes qui ont le moins de chances d'aboutir. La CNDA devra se prononcer en cinq mois et pourra statuer en juge unique, ce qui suscite beaucoup de critiques mais est pertinent, les droits des demandeurs étant respectés, et il sera toujours possible de revenir à une procédure collégiale. Enfin, le texte transpose la directive « Dublin 3 » qui a pour objet d'identifier au plus vite le pays d'origine.

Les Cada sont surchargés, hébergeant à la fois des demandeurs d'asile et des déboutés. Le schéma directif de l'asile est également bienvenu, vu la concentration des demandes dans certaines régions.

Sur la procédure, le texte va donc plutôt dans le bon sens. Il s'agit de réduire les délais à neuf mois -plus on ira vite, moins il sera possible de dévoyer la procédure.

La Cour des comptes prépare un rapport sur l'asile. Nous n'avons pas pu entendre le premier président ni le président de la quatrième chambre mais nous aimerions savoir si les chiffres cités dans le relevé d'observations sont fondés : un coût de 2 milliards par an et des déboutés qui ne sont que 1 % à être reconduits.

La commission a souhaité qu'une décision définitive de l'Ofpra ou de la CNDA vaille aussi obligation de quitter le territoire national, sachant que des voies de recours existent.

Nous avons considéré qu'un débouté de l'asile ne saurait s'orienter ensuite vers une autre procédure de demande d'autorisation au séjour, sauf circonstances particulières. Regardons la réalité en face, on sait bien que certains essaient de tenir en multipliant les procédures...

Enfin, le rapport Létard-Touraine préconisait de créer des centres d'accompagnement pour les déboutés afin de faciliter le retour dans leur pays ; nous y avons fait droit. Le débouté n'aura plus non plus un droit inconditionnel à être hébergé.

Nous avons recherché un équilibre. Il faut envoyer un message clair, faute de quoi nous tuerons la procédure d'asile, qui est l'honneur de notre pays. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - M. Buffet a dit l'essentiel. J'ai perçu chez vous de l'agacement, monsieur le ministre... Pourtant, nous n'avons pas travaillé dans un esprit partisan ou sectaire. Je vous considère comme un grand républicain et, sur le droit d'asile, nous pourrions rechercher l'unité.

J'étais très critique à l'égard du gouvernement de 2011. Le droit d'asile fait l'honneur de ce pays : nous avons reçu des persécutés venus d'Amérique latine, d'URSS, du Cambodge... Ce droit d'asile-là, nous y tenons. Mais depuis quelques années, en raison de crises internationales, de la grande pauvreté en Afrique, nous sommes passés d'environ 30 000 à environ 60 000 demandes par an. Ce ne sont pas tous des persécutés ! Des réseaux poussent des gens à venir en France, en utilisant une procédure qui présente quelques garanties...

Aujourd'hui, le système européen explose ! L'Allemagne a accueilli 130 000 demandeurs en 2014, elle en attend 400 000 en 2015 ! Elle doit réquisitionner casernes et écoles !

Réduire les délais, créer des postes, tout cela va dans le bon sens. Mais 25 % de postes supplémentaires à l'Ofpra, face à une augmentation de 100 % des demandes, c'est une course sans fin... L'urgence n'est pas due au fait que le Gouvernement n'aurait pas conscience de la situation mais au fait que face à l'explosion des demandes, notre système atteint ses limites, en France comme en Europe. On renforce Frontex et Triton, soit. Mais le cadre a été défini il y a dix ans, il faut l'adapter. Face au mur, l'Europe envisage d'instaurer des quotas. Est-ce cela, une politique d'immigration ? Je connais votre volonté d'avancer mais certains de nos partenaires européens sont réticents. A force, les pays d'accueil sont mis dans des situations intenables.

J'estimais naguère le coût direct du droit d'asile à 600 millions. La Cour des comptes évoque 2 milliards, sans doute avec les effets induits. Comme la procédure du droit d'asile est détournée, son coût augmente sans cesse. Il y a toujours le même nombre de demandes acceptées mais celui des demandeurs explose. Voyez l'hébergement. Vous avez porté le nombre de places en Cada de 20 000 à 24 000 mais elles sont pleines, les centres provisoires d'hébergement (CPH) sont pleins, les hôtels de Paris et de la proche couronne sont pleins...

Il est à présent question de quotas européens. Cela signifie-t-il que nous devrons accueillir dix à quinze mille demandeurs de plus ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je ne l'ai jamais dit !

M. Roger Karoutchi, rapporteur pour avis.  - Avec quels moyens ? Vous réduisez les délais mais avec les possibilités de recours, les changements seront limités. D'ailleurs, l'Ofpra et la CNDA n'auront peut-être pas les moyens de tenir ces délais, et il n'y a pas de sanctions s'ils ne sont pas tenus.

Dans les Cada et les centres d'hébergement d'urgence, on ne parvient pas à faire partir les déboutés et on ne peut pas intégrer les nouveaux arrivants...

L'élément financier n'est qu'un facteur. Le sentiment prévaut d'une certaine impuissance... On donne beaucoup d'argent à l'Ofpra, à la CNDA, aux Cada. Mais en même temps, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) se retrouve dans une situation très difficile. On lui a transféré la charge de l'allocation mais il y aurait 20 % d'indus et 60 millions d'euros à régulariser... Tout cela est au total très difficile à maîtriser et la situation dans nos villes n'est plus gérable.

Une chose me frappe depuis que je m'intéresse à ce dossier : la faiblesse des moyens alloués à l'accompagnement de ceux qui obtiennent le statut de réfugiés. Les 15 000 bénéficiaires du droit d'asile deviendront des citoyens français. Il faut les former, les aider. Voilà des années que je réclame le renforcement des moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), mais on me les refuse toujours...

Monsieur le ministre, vous êtes confronté à une explosion des demandes. Je vous sais parfait républicain et je conviens que la chose est difficile à gérer. Obtenez que l'Europe ait une véritable politique de l'immigration et de l'asile ! Les gens sont excédés, ils ont le sentiment que l'on ne maîtrise rien. Rassurez-les. Tous les républicains seront à vos côtés !

La séance est suspendue à 20 heures.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 45.

M. Pierre-Yves Collombat .  - L'essentiel ayant été dit, je m'en tiendrai à quelques points, à commencer par le fait que le droit d'asile, créé par la première République française, est une marque de fabrique qui engage la France. Cependant, ce droit constitutionnel est menacé de deux manières : l'explosion du nombre de bénéficiaires potentiel qui en change la nature, l'allongement des délais qui menace l'efficacité de la procédure et occasionne d'inutiles souffrances.

L'article 120 de la Constitution de l'an I dispose que « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur pays pour la cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans. » Je ne m'attarderai pas sur ces tyrans déchus. (Sourires) Quant aux autres, il est de plus en plus difficile de distinguer entre les martyrs de la liberté et les victimes de l'incurie ou de la corruption de leur gouvernement -quand des peuples entiers ne sont pas transformés en armes de guerre, comme en Libye. Ils sont légion à réclamer la qualité de réfugiés, exploités par des réseaux sans scrupule. Quelque 72 % des demandes sont rejetées chaque année, cela nous coûte en moyens financiers et humains. Le budget est passé de 340 millions à 650 millions en quelques années. Réduire de six mois les délais occasionnerait bien des économies. Coût humain, aussi, car en s'installant en France avec sa famille, le demandeur y crée des liens.

Ce texte laisse de côté le plus difficile, la reconduite à la frontière des déboutés du droit d'asile. La commission des lois a fait des propositions qui ont leur logique mais ne sont pas forcément conformes aux conventions internationales. Comment renvoyer en enfer celui qui veut s'en sortir mais n'en a pas le droit ? Que dire des injonctions contradictoires de l'ordre médiatique reprochant d'un même mouvement aux gouvernements leur passivité devant l'immigration illégale et leur insensibilité aux drames humains qu'engendre la lutte contre elle ?

Le groupe RDSE ne votera pas contre ce projet de loi. Il verra en fonction des amendements qui auront été adoptés s'il va jusqu'à un vote positif. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Stéphane Ravier .  - Je n'irai pas par quatre chemins : ce texte néfaste renforcera l'appel d'air à l'immigration en donnant encore plus aux demandeurs d'asile. Après le rapport de la Cour des comptes qui dénonce l'embolie, la majorité sénatoriale ne nous propose que du théâtre : le pic de demandes, 66 000 cas, a été atteint en 2013, après un doublement sous Nicolas Sarkozy.

Ce projet de loi transpose des directives que les eurodéputés de l'UMP ont votées à Strasbourg.

L'asile coûte 2 milliards d'euros par an, sans compter les coûts indirects, liés aux dépenses de sécurités publiques ou privées. On parle beaucoup de République et de républicains. Plaisanterie : afflux massif d'immigrants. Ironie du sort : nous n'avons plus les moyens d'accueillir ceux qui méritent l'asile. (Consternation)

Un romancier visionnaire a le mot pour parler de ses hommes et femmes qui déferlent sur nos plages : le camp des saints.

Pendant ce temps, nous assistons au génocide des chrétiens d'Orient. Nous ne voterons pas ce texte qui achèvera de transformer notre pays en passoire.

M. Alain Néri.  - Oh là là !

Mme Éliane Assassi.  - Eh ben voilà...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Oui, tout est dans la modération.

Mme Valérie Létard .  - Notre droit d'asile, issu de la convention de Genève, souffre d'embolie. Il en est dévoyé. Depuis notre rapport rédigé avec Jean-Louis Touraine et remis au Premier ministre en novembre 2013, nous attendions un débat au Parlement. C'est chose faite. La réponse doit être européenne, face à l'afflux de migrants économiques. L'Afrique compte un milliard d'habitants ; 180 millions de personnes y ont accès à l'énergie mais 700 millions de portables permettent de savoir ce qui se passe ailleurs. Comment penser que ce qui se passe en Afrique n'est pas notre problème ?

Le plan européen en dix points, adopté le 20 avril dernier, ne suffira pas. La demande d'asile ne cesse de croître, elle se concentre sur l'Allemagne, la Suède, l'Italie et la France.

Asile et immigration ne se confondent pas, nous en sommes tous d'accord. Il n'empêche que nous devons passer à une immigration choisie, à l'image de celle que pratique le Canada, si nous voulons éloigner nos concitoyens du vote extrême. Une voie est à trouver entre l'angélisme de la bonne conscience et le simplisme du « tous dehors ».

Ce texte, en transposant les directives « Procédures », « Accueil » et « Qualification » constitue une avancée. D'abord, la réduction des délais d'examen des demandes d'asile pour accélérer l'accueil de ceux qui ont un besoin urgent d'une protection mais aussi afin que la longueur de la procédure ne soit pas utilisée comme un moyen de s'installer et pour décourager les filières mafieuses. Le texte améliore également les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, il renforce la place de l'Ofpra et celle de l'OFII dans le dispositif. Après son passage à l'Assemblée nationale, il suit globalement les prescriptions que nous faisions dans notre rapport de juin 2013. Si 28 % de 68 211 demandeurs d'asile se sont vu opposer un refus, cela signifie que 72 % avait déposé des demandes infondées. Ceux-là ne doivent plus être hébergés dans les Cada. Pour eux, il faut des centres dédiés. C'est pourquoi je me réjouis que la commission des lois, à mon initiative, ait accepté leur création en introduisant un article 14 bis.

La publication dans Le Figaro d'extraits d'un rapport de la Cour des comptes a brouillé le débat. Pourtant, les chiffres avancés étaient connus.

Point important, la décision finale de la CNDA ou de l'Ofpra ne doit pas valoir obligation de quitter le territoire français, cela introduirait de la confusion avec une mesure de police administrative.

La territorialisation de l'Ofpra est une nécessité. Hélas, notre amendement n°43 rectifié bis a été frappé par l'article 40. La commission des finances aurait dû y regarder à deux fois : les aller-retour des demandeurs coûtent cher.

Je souhaite, comme d'autres, une meilleure prise en charge des bénéficiaires du droit d'asile.

Pour finir, une citation de Jean d'Ormesson : « Les Français s'interrogent sans cesse : qu'est-ce qu'être français ? C'est qu'il y a au coeur de la France quelque chose qui la dépasse. (...) Plus qu'aucune autre nation, la France est hantée par une aspiration à l'universel. Malraux assurait que la France n'était jamais autant la France que lorsqu'elle s'adressait aux autres nations. » Et de conclure, « Français, encore un effort pour être un peu plus français et faire de notre pays un modèle d'humanité et de diversité ! » (Applaudissements au centre et au banc des commissions)

M. Jean-Yves Leconte .  - Le droit d'asile repose sur deux bases : la Constitution de l'an I et la convention de Genève de 1951. Je suis fier de discuter de ce texte qui donne à la France les moyens de répondre au défi tragique en Méditerranée. Certains voudraient boucler le système. On voit à quoi cela mène : les vrais demandeurs vont vers d'autres pays, nous recevons des demandes infondées.

Mme Esther Benbassa.  - C'est juste.

M. Jean-Yves Leconte.  - Ne donnons pas dans le discours sur l'appel d'air : renforcer notre attractivité est une bonne chose. C'est affirmer notre vitalité et l'universalité de nos valeurs. La demande a doublé en Allemagne, elle stagne chez nous. D'où l'impératif de réduire les délais à l'entrée et à la sortie, c'est-à-dire le traitement des demandes, que la réponse soit positive ou négative.

Oui, la meilleure façon de régler la question des déboutés du droit d'asile est de délivrer une réponse rapide.

Ces deux dernières années, nous avons augmenté les effectifs de l'Ofpra. C'est une bonne chose, allons plus loin. Depuis deux ans, nous sommes passés d'une proportion de 10 % d'accords Ofpra et 15 % d'accords CNDA à la proportion inverse, ce qui signifie que 5 % des demandeurs supplémentaires obtiennent la protection de l'Ofpra. Preuve que renforcer les garanties devant l'Office accélère le traitement de la demande dans son ensemble, sans oublier que l'explosion de la demande et la situation particulière des outre-mer commandent un renforcement des moyens de notre système. On le voit bien en Allemagne. Autre défi, l'accélération des dépôts de demande en préfecture.

Ce texte, qui transpose des directives européennes, assurera la position de la France au sein de l'Union. Est-il logique que les Irakiens, les Syriens, les Libyens doivent risquer leur vie pour avoir notre protection ? La charge doit être répartie en Europe, cela nous honorerait.

Le groupe socialiste félicite le rapporteur de son travail, même si nous refusons son point de vue sur l'obligation de quitter le territoire français -un point dur de principe- et déplorons qu'il ait cherché, sans aller jusqu'au bout, à suivre le modèle allemand, qui diffère trop du nôtre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Esther Benbassa .  - Quelle déception ! Les sénateurs écologistes attendaient ce texte que la commission n'a pas pu examiner sereinement et qui, pour des raisons plus politiciennes que juridiques, sera examiné en séance par petits bouts, alors qu'il aurait dû être l'expression privilégiée de l'humanisme démocratique.

Face à une actualité dramatique, qui peut encore parler froidement de chiffres ou de contrôle des flux migratoires ? Qui peut refuser son empathie à ces femmes et hommes qui risquent leur vie en fuyant la guerre, la terreur, les catastrophes climatiques ? Qui sait ici la douleur de quitter sa famille, ses amis, les couleurs et les odeurs de la terre où l'on est né ? Personne n'émigre de gaieté de coeur. Les réfugiés font honneur au courage humain. Avant de légiférer, il faut reconnaître cette détresse. Un législateur sans coeur est un arbre desséché (On apprécie diversement sur les bancs des commissions)

Rappelons les principes. Le droit d'asile résulte de la convention de Genève de 1951 mais il est aussi, pour nous, une exigence nationale, inscrite dans le Préambule de 1946 comme à l'article 53-1 de la Constitution de 1958. Pour le Conseil constitutionnel, c'est un droit fondamental, à valeur constitutionnelle, qui ne saurait être soumis aux aléas des joutes politiques.

Contrairement à ce que l'on entend, la procédure d'asile n'est pas la principale source d'immigration clandestine en France.

M. Stéphane Ravier.  - Si !

Mme Éliane Assassi.  - Qu'en savez-vous, monsieur Ravier ?

Mme Esther Benbassa.  - Le 20 novembre 2014, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) déclarait à raison que le droit d'asile ne peut être affaires de chiffres.

À propos de chiffres, la France ne peut plus s'enorgueillir d'être une terre d'asile. En 2014, sur les 22 800 Syriens qui ont placé une demande en Europe, 2 084 l'ont fait en France. Nous sommes loin d'accueillir toute la misère du monde.

Mme Éliane Assassi.  - C'est vrai.

Mme Esther Benbassa.  - Nous nous réjouissions des garanties supplémentaires apportées à l'Assemblée nationale. Hélas, si la version du Sénat était adoptée, le texte se transformerait en un bouclier sanitaire. Le groupe écologiste n'est pas là pour faire le jeu de l'UMP et du FN auxquels la question de l'immigration tient lieu d'unique programme. Il n'apportera sa voix qu'à un texte humaniste et protecteur. (Applaudissements sur les bancs de la commission)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Nous aussi !

Mme Éliane Assassi .  - Ce texte s'inscrit dans une actualité dramatique et malheureusement répétitive : les naufrages de vieillards, de femmes, d'enfants et d'hommes. Ces êtres ont plusieurs visages : Soudanais persécutés par Boko Haram, yézidis et chrétiens qui fuient Daech, Rohingyas chassés de Birmanie, Bangladais réfugiés climatiques.

Je rends hommage aux spécialistes de l'Ofpra : l'humain d'abord, avant les chiffres de la Cour des comptes.

Notre système n'est pas à l'agonie. Les réfugiés syriens sont d'abord accueillis par les pays limitrophes. L'ONU évalue à 32 000 par jour le nombre de ceux qui sont contraints à l'exil ; la France traite 60 000 demandes par an tandis que plus de 80 % de ces réfugiés sont accueillis dans des pays en développement. Ceux qui parviennent à franchir la forteresse Europe vont d'abord vers la Suède ou Malte avant la France.

Ce texte accélère le traitement des demandes et autorise la présence d'un tiers. Nous saluons les avancées, vous entendez, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Oui et ce satisfecit est une chose rare qui fait plaisir.

Mme Éliane Assassi.  - Vous ne nous écoutez pas parce que vous considérez les communistes comme des adversaires politiques. (M. le ministre fait un signe de dénégation)

Nous proposerons une transposition plus extensive de la directive « Asile », un renforcement des droits du tiers, avocat ou membre d'une association assistant le demandeur. En revanche, le rôle consolidé de l'OFII ne dénote-t-il pas une tendance à gérer l'asile comme une filière bis d'immigration ? Idem pour la procédure accélérée devant la CNDA, que d'institutions floues...

M. Alain Néri.  - Proposez des amendements de précisions !

Mme Éliane Assassi.  - Je ne vous ai pas attendu ! Des instructions floues que la droite sénatoriale exploite pour durcir le texte. On confond demandeur d'asile et immigré, voire demandeur d'asile et fraudeur. Confer l'article 14 bis sur les déboutés du droit d'asile.

M. Alain Néri.  - Des amendements !

Mme Éliane Assassi.  - Avez-vous déjà vu les communistes ne pas proposer d'amendements ? (Sourires)

M. Michel Savin .  - Face à l'afflux des demandes, la réponse ne peut qu'être européenne. Quand 80 % des déboutés de l'asile déposent une demande à un autre titre et engorgent les centres d'accueil, cela dévoie notre droit d'asile, ancré dans notre tradition républicaine.

Manuel Valls, dans son discours du 15 janvier 2013, annonçait sa réforme ; en juin 2013, il se voyait remettre un rapport établissant un diagnostic sévère : notre système est à bout de souffle. Le nombre de demandes a doublé en cinq ans. Le taux important de refus ne décourage pas les demandeurs. Beaucoup d'entre eux visent en réalité l'immigration économique, incités par des passeurs qui exploitent la misère humaine.

Il faut adresser un message clair, et d'abord raccourcir les délais. L'augmentation des effectifs de l'Ofpra, sans procédures allégées, ne suffira pas. De façon incompréhensible, les députés de votre majorité, monsieur le ministre, ont renforcé les droits des demandeurs et restreint le champ de la procédure accélérée... Si nous ne jugeons pas plus vite les demandes, nous ne pourrons accueillir ceux qui fuient des situations dramatiques en Syrie ! Le bon sens commande d'adopter sur ce point le texte de la commission des lois.

Autre point : l'éloignement des déboutés. Le système actuel crée des « ni-ni », ni expulsables ni régularisables. Or, le projet de loi ne s'intéresse guère à ce sujet. Il est maladroit d'ignorer la question de l'immigration irrégulière, mieux eût valu un texte commun. Lorsqu'un demandeur réside en France depuis plus d'un an, éventuellement avec sa famille, c'est évidemment très délicat ; mais la directive de 2008, dans son article 6, nous impose de le reconduire à la frontière.

Nous ne pouvons plus accepter le détournement des fonds de la procédure de l'asile aux dépens des bénéficiaires. Ceux qui obtiennent l'asile sont à peine mieux lotis que les déboutés. Le coût de la politique d'asile serait considérablement réduit si l'on était plus ferme à l'égard des déboutés. Certains, sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français, continuent de percevoir des allocations ! Faute de moyens, les forces de l'ordre ne sont pas en mesure de rechercher les déboutés.

Quant aux conditions d'hébergement, le président socialiste de l'agglomération grenobloise pointait une précarité qui se diffuse aux zones environnantes. L'État manque à ses obligations. Quel aveu, quel naufrage ! Les organismes doivent pouvoir mettre hors des lieux les personnes qui n'ont plus de raison d'y être. Un meilleur partenariat entre départements serait utile.

Rien n'est possible sans une politique européenne volontariste. Il y a urgence, alors que les drames se succèdent en Méditerranée ! Militariser celle-ci ne suffira pas. Le mandat de la force Triton, limité à cinquante kilomètres au-delà des côtes, ne réduira pas non plus le nombre de naufrages. Il est indispensable de remettre à plat les politiques bilatérales de coopération, dont les résultats laissent à désirer.

C'est la seule voie pour régulariser les flux. C'est notre devoir et notre honneur que de faire tout notre possible pour répondre à ceux qui sont en quête d'une vie meilleure et plus humaine. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit) De l'éternel dilemme entre l'affirmation de nos principes sur la scène internationale et le triste constat de notre faible capacité à les mettre en oeuvre : sommes-nous condamnés à choisir entre humanisme et réalisme ? Sortons de cette alternative en nous donnant les moyens de la responsabilité, plutôt que de nous enfoncer dans la passivité et l'assistanat qui nourrissent la xénophobie.

Raccourcir le délai d'examen des demandes d'asile est évidemment indispensable, sur les plans humain et économique. Je salue donc la décision de la commission des lois d'inscrire dans la loi les délais d'examen par l'Ofpra. Il y faudra des moyens, faute de quoi ce ne sera qu'une planification à la soviétique.

Veillons aussi à ce qu'un examen trop rapide par l'Ofpra ne favorise les recours. L'approche individuelle et humaine exige un traitement attentif de chaque dossier, surtout quand il s'agit de mineurs ou de femmes victimes d'abus.

Trois quarts des 60 000 demandes sont aujourd'hui rejetés. Cette charge réduit notre capacité à accueillir les véritables réfugiés. Réduire les délais ne réduira pas le nombre de demandes, il faut trouver d'autres solutions.

Plutôt que de compter les cadavres et de lancer de coûteuses opérations de sauvetage, pourquoi ne pas développer l'examen des demandes dans le pays d'origine ? On l'expérimente dans certains de nos consulats au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak notamment, mais pour quelques centaines de personnes seulement. Les demandeurs ainsi n'auraient pas à subir des années de précarité et à s'exposer à un nouveau déracinement en cas de rejet. Cela mettrait également fin à la polémique récurrente sur la liste des pays sûrs.

Le coût supplémentaire pour les consulats serait largement compensé -d'autant que cette solution n'aurait de sens que si l'on créait de véritables guichets de l'asile européens.

La directive de 2001, qui instaurait une protection temporaire d'un an renouvelable des réfugiés politiques demeure peu appliquée, faute de volonté politique... Résultat, seules l'Allemagne et la Suède accueillent massivement les réfugiés syriens. La France s'honorerait à oeuvrer en faveur d'une réelle application de cette directive.

Un accord vient d'être trouvé sur la protection consulaire, la même philosophie doit prévaloir sur l'asile. L'autorisation de la vidéoconférence pour les entretiens de l'Ofpra est prometteuse.

J'en viens à une question qui me tient à coeur, injustement laissée de côté. Bien que le droit au travail des demandeurs d'asile soit reconnu internationalement, la France reste frileuse. Les règles sont strictes, les cotisations exigées de l'employeur élevées. La directive « Accueil » de 2013 n'est qu'un faible progrès, qui ramènera le délai de douze à neuf mois. Or ce délai est bien plus court dans de nombreux pays européens : trois mois en Allemagne et en Suède, six mois en Belgique.

Surtout, en Suède comme aux États-Unis, les demandeurs d'asile peuvent travailler dès le dépôt de leur demande, retrouver l'estime de soi et vivre dans la dignité, en faisant vivre leur famille. Le droit au travail est un droit fondamental. N'exposons pas les demandeurs à des conditions indignes de travail irrégulier, voire à la traite !

Après un avis de la CNCDH de 2007 demandant l'accès au travail pour les demandeurs d'asile, un rapport récent du Conseil de l'Europe souligne que cela bénéficiait tant au pays d'accueil qu'au pays de retour éventuel. J'ai proposé en ce sens un amendement d'appel et un autre de repli.

J'ai bien conscience que prôner l'ouverture du marché du travail aux demandeurs est politiquement incorrect en ces temps de chômage mais le débat mérite d'avoir lieu. Plutôt que d'encourager l'assistanat, favorisons l'intégration.

De naufrage en naufrage, l'Europe forteresse a fait la preuve de son échec...

Mme la présidente.  - Concluez.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Si les demandeurs d'asile ont risqué leur vie pour nous rejoindre, ce n'est pas pour vivre à nos crochets. La politique d'asile et d'immigration ne peut être découplée de notre diplomatie et de notre politique de coopération. C'est une réponse européenne globale qu'il nous faut.

Mme la présidente.  - Il nous faudra apprendre la concision avec l'entrée en vigueur de la réforme de notre Règlement.

Mme Catherine Tasca .  - C'est l'honneur de notre gouvernement d'avoir remis l'ouvrage sur le métier. Notre système d'asile n'a pas été réformé depuis 2003, il est urgent d'agir, en distinguant clairement asile et immigration.

Impossible de nier l'inefficacité de nos procédures : le délai de réponse avoisine vingt-quatre mois, ce qui a un coût élevé. Le manque de places en Cada conduit au placement en hébergement d'urgence. Cela favorise le dévoiement de la procédure -et les discours politiciens selon lesquels la France accueillerait toute la misère du monde !

Les chiffres le démentent : le nombre de demandes en Europe atteint désormais 626 000, seulement 65 000 sont déposés en France.

Les événements tragiques de ces dernières semaines ont montré la nécessité d'harmoniser législation et pratiques nationales.

Ce projet de loi courageux traite d'abord de l'accueil des demandeurs d'asile. L'enregistrement des demandes se fera désormais en trois jours. Un système d'hébergement directif conduira le demandeur à un Cada -son acceptation conditionnera le versement des allocations.

Vient ensuite l'examen des demandes. La nouvelle procédure accélérée concernera les dossiers les plus faciles. En contrepartie, le demandeur pourra systématiquement se faire accompagner d'un conseiller.

Au-delà de neuf mois, le demandeur aura le droit de travailler : une incitation à tenir les délais.

La gestion dynamique de Pascal Brice, avec la création de 55 postes à l'Ofpra, ont déjà produit des résultats visibles : pour la première fois, le nombre de demandes en attente et les délais ont diminué. Je salue le travail des officiers de protection que Mme Garriaud-Maylam réclame tant. Veillons à leur statut et à leur formation. Renforçons également les moyens de la CNDA et de l'OFII.

Les changements incessants de l'ordre du jour ont empêché nos compatriotes ultramarins d'assister à nos débats. M. Thani Mohamed Soilihi voulait souligner la situation désastreuse à Mayotte. Saluons le travail de l'association « Solidarité Mayotte », qui a ouvert une quinzaine de places en hébergement d'urgence, l'État étant défaillant. Pour autant, peut-il s'en remettre à une association pour se substituer à lui ? Les demandeurs, contrairement à la métropole, ne disposent d'aucun revenu : ni allocation temporaire d'attente ni allocation mensuelle de subsistance.

Monsieur le ministre, lors de visites, vous avez remarqué les conditions de vie indignes au CRA de Mayotte. La pression migratoire est telle que les Mahorais sont réticents à l'égard de l'asile. La réduction des délais lèvera cette prévention.

Enfin, confondre rejet d'une demande d'asile et obligation de quitter le territoire français, comme notre commission des lois l'a fait, revient à confondre asile et immigration. Ne tombons pas dans cet amalgame.

Mme Éliane Assassi.  - Très bien !

Mme Catherine Tasca.  - Le groupe socialiste votera ce texte progressiste. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

Mme Gisèle Jourda .  - Enfin, le projet de loi précise les conditions dans lesquelles l'asile peut ou non être conféré, avec rigueur, humanisme et transparence. Ne confondons pas ce sujet avec celui de l'immigration.

Je me concentrerai sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile. Le texte prévoit un schéma national pour une orientation directive des demandeurs d'asile aux fins d'une répartition plus équilibrée sur le territoire. Le dispositif est simple : une fois la demande enregistrée, le demandeur sera orienté vers un centre d'accueil. La situation des personnes handicapées sera prise en compte.

Dans l'Aude, dans les Cada de Carcassonne et Lagrasse, le délai d'examen des demandes atteint trois à cinq ans. Quelles souffrances en résultent pour les demandeurs, quelles difficultés pour les services ! Sur ce sujet, le texte est bien pensé, conforme à l'idée d'une France juste et humaine. Je le voterai avec coeur et conviction : son esprit est celui du pays des Lumières. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et RDSE)

M. Bernard Cazeneuve, ministre .  - Merci à tous les orateurs d'avoir éclairé l'assemblée.

La France n'est pas confrontée à un flux immaîtrisé de demandes d'asile depuis quelques années : au contraire, le nombre des demandes a baissé en 2014, il est stable en 2015. Je ne peux exclure cependant que le délitement de l'État en Libye, la traite d'êtres humains qui s'y développe -au profit d'organisations terroristes parfois- ne confrontent l'ensemble de l'Union européenne à une situation extraordinairement difficile.

De même, dans la bande sahélo-saharienne, les États sont confrontés aux agissements de groupes terroristes et criminels, et nous renforçons notre coopération pour une meilleure maîtrise des frontières. C'est le sens des déplacements que j'effectue au Niger et au Cameroun.

Rien, dans l'histoire de l'humanité, n'a empêché les persécutés de prendre le chemin de l'exode. Quand on sait les exactions dont sont capables certaines régions ou certains groupes terroristes, en Syrie, en Irak, en Érythrée, en Libye, on doit s'attendre à ce que leurs victimes fuient -à commencer par les minorités chrétiennes. Nous demandons à la communauté internationale de faire en sorte qu'elles n'aient pas à partir ! (M. Michel Savin approuve)

Certains font de l'Europe la cause de tous les maux. Personne ne l'a tenté ici, à l'exception d'un seul orateur.

L'Europe a-t-elle un rôle particulier à jouer face à un drame, et la France a-t-elle une stratégie ? Oui. Des passeurs mettent des migrants de plus en plus vulnérables sur des embarcations de plus en plus frêles, après avoir prélevé sur eux ce qu'il faut appeler un impôt vers la mort... L'Italie a lancé l'opération Mare nostrum, il faut l'en remercier. Hélas, il peut arriver qu'avec les meilleures intentions humanitaires, l'on soit confronté à des problèmes humanitaires plus grands encore.

Par cette opération, il y eut plus de sauvetages, mais aussi, hélas, plus de morts car les cyniques passeurs en ont tiré parti. C'est pourquoi nous tenons à ce que l'opération Frontex soit aussi destinée à combattre les acteurs du crime. En France, nous obtenons de bons résultats dans la lutte contre les filières d'immigration irrégulière. J'en ai fait une priorité.

Enfin, il faut distinguer entre asile et immigration dans le pays d'origine. Si l'on y réussit, il y aura moins de morts en mer, et nous nous conformerons aux principes humanistes des Pères fondateurs de l'Europe.

Un dernier point, la politique des quotas en Europe. Je ne la soutiens pas, je le dit clairement. Mais ce matin, j'ai dit clairement que le nombre de demandeurs d'asile par un État membre devait être apprécié au regard des efforts qu'il avait accomplis ces dernières années. Ce point est déterminant pour la soutenabilité de la politique de l'asile, d'une politique de l'asile européenne.

La réduction des délais sera-t-elle efficace ? Elle le sera à condition que nous tenions l'objectif de reconduite à la frontière dans des conditions dignes et humaines. (Mmes Joëlle Garriaud-Maylam et Catherine Troendlé et M. Michel Savin approuvent) Peut-être les propos que je vais prononcer susciteront-ils des divergences, je veux pourtant l'affirmer sans ambages : par attachement à l'asile, je veux la reconduite des déboutés à la frontière dans les meilleurs conditions. (On approuve sur les bancs UMP) Cela implique un continuum dans l'humanité de la procédure. Un débouté du droit d'asile est un immigrant en situation irrégulière, il doit être traité comme tel et aussi bien que tel. Je me réjouis de la position du groupe UMP, nous pouvons atteindre un compromis républicain, sinon sur des points qui me semble inconstitutionnels.

À Mme Assassi et M. Leconte, la création de la procédure accélérée ne correspond pas à une volonté d'accorder moins l'asile, de renouer avec la politique du chiffre. Si nous voulons réduire le délai de traitement des dossiers, c'est dans l'intérêt des demandeurs eux-mêmes. Plus l'on attend, plus le déracinement progresse et plus le retour est difficile. J'y ai insisté, la procédure accélérée a pour contrepartie le renforcement du contradictoire dans la procédure. Si l'on s'efforce d'aller dans ce sens avec sincérité républicaine, il n'y a point d'arrière-pensée perverse.

À Mme Garriaud-Maylam qui a plaidé pour l'accès à l'emploi des demandeurs d'asile par refus de l'assistanat, j'ai accepté des amendements à l'Assemblée nationale. Faut-il aller au-delà ? Je ne suis pas certain que cela facilite l'intégration et cela pourrait renforcer l'appel d'air. Le débat est lancé.

La mobilisation forte des administrations, en lien avec les associations, est un impératif pour humaniser les procédures, que l'on parle des réfugiés ou des déboutés.

Un mot n'a pas été prononcé dans ces débats : celui de Calais. Je suis en lien avec la sénatrice, maire de Calais, Natacha Bouchart ; j'ai tenu à me rendre sur place, et à y revenir régulièrement toutes les six semaines environ : 2 000 migrants y vivent dans des conditions qui ne sont pas dignes, beaucoup relèvent de l'asile en France, venus d'Érythrée, d'Irak... Une mission sur l'humanisation des conditions d'accueil dans cette ville, dont les conclusions seront connues fin mai, a été confiée à Jérôme Vignon et Jean Aribaud.

J'ai voulu un centre d'accueil de jour, qui a bénéficié de financements de l'État et de l'Union européenne. Nous le devons aux migrants. Plutôt que de les laisser aux mains des passeurs qui leur font miroiter l'Eldorado britannique, j'ai dit, et je l'assume, à ceux qui relèvent de l'asile en France qu'ils devaient déposer une demande en France ; les autres devront être reconduits, pas d'ambiguïté. C'était la seule réponse morale et juridique à donner. J'aurais pu survoler la jungle de Calais en hélicoptère, la faire évacuer par les forces de l'ordre et publier des communiqués. J'ai procédé autrement, conformément à mes convictions et à mon devoir. J'y travaille avec la municipalité, qui n'est pas de ma sensibilité politique, je rends des comptes régulièrement aux associations et aux habitants ; et des commentateurs prompts à s'épancher sur Twitter de me traiter d'irresponsable !

Je forme le voeu que notre débat aille au fond des amendements pour un texte plus conforme au droit et à la Constitution. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Nous entamerons l'examen des amendements lundi prochain.

Prochaine séance aujourd'hui, mardi 12 mai 2015, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit cinq.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques