Débat sur l'avancée des négociations du traité transatlantique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « l'avancée des négociations du traité transatlantique (TTIP) suite au 9e cycle de négociations du 20 au 24 avril et en vue du 10e cycle du 13 au 17 juillet ».

M. Jean Bizet, au nom du groupe Les Républicains .  - Le débat sur le TTIP tombe à point nommé : deux ans après l'ouverture des négociations, et à moins de deux ans de la fin de l'administration Obama, nous sommes au milieu du chemin. Cet accord est majeur pour les deux zones économiques les plus puissantes du monde ; l'Europe et les États-Unis représentent, en effet, 50 % des échanges et 30 % du PIB mondiaux.

Cet accord se veut ambitieux. Accès au marché, convergence réglementaire et nouvelles règles commerciales en sont les trois piliers. Après neuf cycles de négociations, toutefois, les choses ont peu avancé.

J'insisterai sur les enjeux économiques, de société, démocratiques. Sur le plan économique, il va de soi que la baisse des tarifs douaniers, ainsi que la réduction de l'ensemble des barrières, réglementaires et bureaucratiques, aidera nos PME à exporter outre-Atlantique. Il en va de même du rapprochement des normes. L'accès aux marchés publics fédéraux, comme à ceux des États fédérés, est un objectif important : 30 % seulement de ceux lancés aux États-Unis sont ouverts à nos entreprises - 80 % dans l'autre sens...

Les opportunités économiques sont grandes, donc, pourvu que les États-Unis lèvent leurs obstacles tarifaires et non tarifaires, là où l'Europe a baissé ses propres défenses il y a bien longtemps.

La conclusion de l'accord entraînerait une croissance du PIB, selon les estimations, qui sont controversées, de 0,5 % à 1 % par an supplémentaire. D'autres accords, et l'exemple récent de celui conclu avec la Corée du Sud, montrent encore que l'Europe bénéficierait d'une telle ouverture aux échanges, bilatérale et équilibrée. Nul ne s'est jamais développé hors de la mondialisation.

J'en viens à l'enjeu de société. Comme le dit Pascal Lamy, ces traités ne sont plus, comme autrefois, des traités de protection. Les barrières non tarifaires - non administratives - représentent 15 % de la valeur des échanges. Derrière la notion de convergence réglementaire toutefois, il y a nos préférences collectives, en matière de préservation de nos services publics, de normes de fabrication des médicaments, de contenu de notre alimentation, de choix environnementaux ou sociaux. À mon sens, ces craintes diffuses ne sont guère fondées, mais elles affectent le regard porté par nos citoyens sur le TTIP, d'où l?intérêt de notre débat.

Quant au développement durable et aux normes sociales, les États-Unis n'ont justement pas ratifié six conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), parmi les plus importantes au regard des droits sociaux ; c'est un mauvais signal donné au monde et en tout cas à l'Europe...

Autre exemple, les indications géographiques (AOP, IGP, etc.), sont des marqueurs de rareté, importants pour la France, mais pas seulement puisque l'Espagne et l'Italie ont adopté de telles normes protectrices de leur identité... et même la Chine s'y intéresse. Les États-Unis y opposent leur système de marque commerciale : modèle anglo-saxon versus modèle latin.

Le 21 mai dernier, un accord est intervenu à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève, qui modifie l'arrangement de Lisbonne et légitime désormais les indications géographiques au même titre que les appellations d'origine. Les vives réticences exprimées par les États-Unis nous rendent pessimistes sur l'évolution des négociations sur ce point, même si l'exercice est distinct de celui du TTIP.

L'Union européenne propose en outre la création d'un organe de coopération réglementaire dont les modalités d'intervention et d'articulation avec les institutions existantes restent à préciser.

L'enjeu démocratique, enfin. Nous revenons de loin. La transparence a indéniablement progressé depuis la publication du mandat de négociation. Il faut saluer les efforts de la Commission et de la commissaire en charge du commerce Mme Malmström à cet égard. Reste que nous pouvons être encore mieux informés. Il faut saluer aussi l'effort du Gouvernement, du ministère des affaires étrangères en particulier, pour tenir les parlementaires au courant de l'avancée des négociations.

Le mécanisme de règlement des différends (ISDS) reste un point d'achoppement. Il autoriserait une multinationale à intenter un procès à l'État devant un tribunal arbitral spécial pour obtenir un dédommagement à cause de politiques publiques protégeant la santé ou l'environnement. Le soi-disant dommage subi par un tel groupe mobiliserait d'importantes ressources publiques. On serait préoccupé à moins.

Le mécanisme d'appel, le choix des arbitres, l'exclusivité laissée aux juridictions nationales dans l'interprétation des stipulations du traité sont autant de points restant à clarifier...

Mme la Présidente. - Veuillez conclure.

M. Jean Bizet.  - De nombreux autres sujets pourraient être abordés, comme l'énergie, en particulier le GPL. Je m'arrête là pour l'instant. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs RDSE)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Je félicite M. Bizet de son initiative. Distinguons les fantasmes, rumeurs, des inquiétudes légitimes de certains secteurs comme celui de l'élevage, ou relatives à certains mécanismes. Démystifions le débat.

Il s'agit, dans un monde dominé par le multilatéralisme, de négociations bilatérales. Les discussions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui compte 161 États membres, aboutissent de plus en plus rarement à des accords... Nos partenaires américains ont donc pris l'initiative, en 2008-2010, soit au plus fort de la crise, de se rapprocher de leurs partenaires privilégiés. Ce faisant, ils prenaient acte des risques inhérents au basculement du centre de gravité de l'économie mondiale vers l'Asie-Pacifique. Gageons qu'ils ne seraient pas fâchés d'un rééquilibrage vers l'Atlantique.

Nos boîtes électroniques regorgent à présent de courriers d'alerte et de mises en garde, souvent sur le même modèle. Gardons la tête froide. Le choix fait a été de nous placer sur le terrain de l'efficacité, de la réduction des coûts administratifs inutiles, des contrôles bureaucratiques redondants. Le secteur du médicament est exemplaire à cet égard.

Le commerce international n'est pas un jeu à somme nulle. Les économistes s'y intéressent depuis longtemps. David Ricardo, il y a deux siècles, a montré que la production totale augmente par le fait du commerce. Adam Smith, lui, a montré que l'on pouvait être un brillant parlementaire et un brillant économiste...

Le traité nous donnera-t-il les points de croissance qui nous manquent ?

Il diminuera assurément les coûts, au bénéfice du pouvoir d'achat des ménages... (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Raoul .  - Je suis heureux que nous débattions du TTIP aujourd'hui, avant le 10e cycle des négociations du 13 au 17 juillet prochains.

Malgré les propositions concrètes faites par l'Union européenne aux États-Unis, alors que l'administration américaine est occupée à obtenir la loi dite TPA (Fast Track) et à conclure le partenariat transpacifique, les négociations patinent et les incertitudes sont grandes sur l'accord final. Il y a là un avantage : celui de pouvoir encore faire avancer le débat - dont je me félicite - sur la transparence qui doit être accrue.

Le contrôle parlementaire fonctionne. Voici deux ans que le « comité stratégique » a été créé ; ce débat est d'ailleurs le troisième sur ce sujet au Sénat. Des groupes de travail ont été mis en place. La définition des règles de transparence et d'information des parlementaires a progressé, mais il reste des marges d'amélioration, puisque le texte lui-même reste inaccessible.

L'ISDS - le règlement des différends entre investisseurs et États - est au coeur de ce débat. Ce mécanisme d'arbitrage n'est pas acceptable en l'état puisqu'il place entreprises et États sur le même plan, demeure opaque, ferait primer les sentences arbitrales sur le droit national et européen, et aurait un coût inacceptable pour les contribuables.

La proposition alternative avancée par la France présente toutes les garanties de sérieux, qui fait primer le caractère équitable et transparent de la procédure. Malgré l'instauration d'un mécanisme d'appel et la réaffirmation du droit absolu des États à légiférer et réglementer, nous restons hostiles quoi qu'il en soit aux dispositifs d'arbitrage privé.

Le président du Parlement européen a récemment été contraint de repousser le vote sur la résolution sur le TTIP pour les mêmes raisons.

M. Jean Bizet.  - Exact !

M. Daniel Raoul.  - Nous privilégions la création d'une Cour européenne indépendante - ou d'une Cour internationale, semblable à celle qu'a mise en place l'OMC, afin que les protagonistes européens et américains soient traités également.

La convergence réglementaire stagne, malgré le cycle de négociations qui lui a été consacré. D'abord en raison de la différence de culture réglementaire entre l'Europe et les États-Unis. Ensuite, parce que les États-Unis ne discutent que de leurs règles fédérales, quand la plupart sont édictées par les États fédérés.

Le bras de fer entre l'Europe et les États-Unis sur l'accord sur le commerce des services (TiSA) ne facilite pas la tâche. L'accord pour un partenariat transpacifique, en revanche, qui pourrait être conclu après l'adoption de la loi Fast Track, espérons-le cet été, pourrait faire bouger les lignes.

Le champ de coopération et la portée de l'organe réglementaire permanent qui serait créé suscitent également de nombreuses interrogations. Quels seraient les secteurs concernés par cet organe in fine ? Le droit des États à légiférer serait-il protégé ? Quid des enjeux sociaux et environnementaux ? Il est urgent de border l'action de cet organe.

L'ouverture des marchés publics américains dans le génie civil, les transports, l'énergie, devrait être une priorité, de même que la protection de notre agriculture.

Le chemin est encore long ; je souhaite que ce partenariat aboutisse. (Applaudissements sur la plupart des bancs, des bancs socialistes à la droite)

M. Bruno Sido.  - Bravo !

M. André Gattolin .  - Ce débat tombe vraiment à point nommé. Le moment est crucial : le neuvième round des négociations a été marqué, fin avril, par un coup d'arrêt, témoignant des doutes profonds de l'Union européenne sur l'agenda et les ambitions du traité. Revenons aux enjeux fondamentaux.

Pourquoi ce traité, d'abord ? La réponse autorisée est simple, mais guère convaincante : l'abaissement des barrières douanières pour un gain, très hypothétique à mon sens, de 0,5 % de PIB... à l'horizon 2027 ! Ce qui est peu !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Ce ne serait déjà pas mal !

M. André Gattolin.  - Ceux qui avancent ce chiffre y croient-ils eux-mêmes ? On peut faire autrement !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Comment ? Avec la décroissance ?

M. André Gattolin.  - La réalité, c'est la nécessité d'un rééquilibrage de l'économie mondiale face à la Chine. Mais le libre-échange profite toujours au plus fort (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve). Le président Xi Jinping n'a pas caché, lors de sa tournée européenne l'an dernier, sa volonté de conclure un traité de libre-échange avec l'Union européenne.

Il sera difficile de refuser une telle requête de la première puissance économique mondiale... Les États-Unis devaient donc prendre les devants, pour éviter que la Chine devienne le seul arbitre du commerce international. L'enjeu est donc géopolitique plus qu'économique. D'où le passage en force de la Commission européenne, l'absence de transparence et les difficultés qui minent le projet.

Si le mandat de négociation et certaines prises de positions de l'Union ont été rendus publics, aujourd'hui, seuls 13 députés européens, soumis au secret, ont obtenu un accès complet aux textes conjoints consolidés qui formeront l'accord final du TTIP.

Au nom de son « Agenda pour la transparence », notre secrétaire d'État au commerce international, Matthias Fekl, avait pourtant fait de ce point une de ses priorités, avec à la clef des propositions concrètes.

Disposons-nous, madame la ministre, d'une réponse de la Commission à ces propositions ?

Nous nous trouvons dans une situation absurde, où les acteurs industriels et économiques participent en permanence à la négociation du traité, quand les acteurs politiques des 28 États membres en sont largement tenus à l'écart. Ainsi, par le mandat accordé à la Commission européenne, nous avons réussi le tour de force de privatiser un débat public au nom d'une nouvelle forme de raison d'État. Cela a permis à la DG chargée du commerce d'imposer sa lecture ultralibérale du contenu du traité, au mépris de toute souveraineté démocratique européenne.

Les propositions de M. Fekl relatives à une norme au mécanisme de règlement des différends entre entreprises et États ont-elles été suivies, madame la ministre ?

Heureusement, la société civile se mobilise, comme le Parlement européen ; les parlements nationaux, eux, ne manqueront pas de s'exprimer quand ils seront enfin consultés.

M. Jean-Claude Lenoir.  - C'est un traité !

M. André Gattolin.  - La Commission européenne procède à un coup de force. Nous, parlementaires, européens et nationaux, devons nous faire entendre. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur quelques bancs socialistes)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Très bien !

M. Éric Bocquet .  - Saluons l'initiative des collègues à l'origine de ce débat. Voilà des mois que des associations, des ONG, aux côtés de quelques parlementaires, se mobilisent pour faire connaître les enjeux de ce traité, négocié dans une opacité qui nous dépossède de notre rôle.

Les négociateurs invoquent, pour justifier ce mystère, le caractère stratégique et sensible de leurs discussions, Washington refusant catégoriquement de rendre publiques ses positions.

Tout juste a-t-il été concédé, dans la dernière période, le droit aux membres du Parlement européen, d'avoir accès aux documents relatifs aux négociations dans des reading rooms, sans qu'il leur soit permis d'en obtenir copie, ni même de prendre des notes !

Nous avons eu, il y a peu, un débat sur le déficit démocratique de l'Union européenne : en voilà un bel exemple !

Le traité touche tous les pans de notre économie. Il n'est pas possible d'en évoquer ici tous les aspects, mais indispensable de dire un mot du fameux ISDS. La Commission européenne avait consulté 150 000 citoyens européens : 97 % s'y opposaient ! Les conflits dont il s'agit sont réels : la compagnie qui gère l'eau de Tallin a obtenu réparation de l'Estonie pour n'avoir pu augmenter ses tarifs ; un géant néerlandais des assurances a saisi 30 millions d'euros d'actifs slovaques au Luxembourg pour n'avoir pas pu augmenter ses dividendes en Slovaquie, tel autre groupe énergétique suédois implanté à Hambourg s'insurge de ne pas pouvoir rejeter ses déchets polluants dans l'Elbe... C'est décidément un monde où les bénéfices des multinationales prévalent sur l'intérêt général et le service public !

M. Fekl a fait des propositions concrètes qu'il a adressées aux parlementaires : création d'un mécanisme d'appel, rééquilibrage des droits au profit des États, création d'une commission internationale ad hoc. Le consensus n'est pas encore en vue...

La procédure de liste négative rend possible la privatisation de tous les services sauf ceux explicitement exclus. C'est exactement l'inverse de l'approche européenne classique, qui doit préciser les services ouverts à la concurrence et uniquement ceux-là. Nous défendons le principe d'une liste positive.

La décision de M. Schulz, président du Parlement européen, de reporter sine die le vote sur la résolution du Parlement européen sur le TTIP, illustre les interrogations qui demeurent.

Dès juillet 1962, John Kennedy envisageait une vaste alliance économique entre l'Europe et les États-Unis, en déclarant : « cela ne pourra se faire en quelques années... ».

Transparence, démocratie, intérêt général : voilà ce qui doit nous guider.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

(Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes, ainsi que sur plusieurs bancs socialistes et du centre)

M. Yvon Collin .  - Ce sujet est d'une brûlante actualité et ce débat fait suite à celui organisé en janvier dernier. Nous regrettons néanmoins de n'être pas plus associés à l'évolution des négociations.

Les neuf cycles de négociations n'ont pas été très transparents, cela a été souligné. Or ce sont de domaines cruciaux pour l'avenir de nos économies qu'il s'agit.

Nous saluons la proposition française de créer une commission de règlement des différends spécifique. Le sujet retient l'attention de la société civile depuis deux ans. Évitons les dérives observées en Australie ou aux États-Unis, protégeons nos normes sanitaires et nos politiques publiques.

Les garanties avancées par la Commission européenne suffiront-elles ? Quid des aides d'État ? Quid de la PAC ?

Les propositions de M. Fekl sont constructives, mais encore faudrait-il que nous ayons des alliés...

Les négociations sont un enjeu majeur pour la France et l'Europe. J'y vois aussi l'occasion de promouvoir dans le monde nos standards de qualité. Nous y serons très attentifs. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. David Rachline .  - « Le Pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas / Que par son compagnon il fut mis en éclats, / Sans qu'il eût lieu de se plaindre. / Ne nous associons qu'avecque nos égaux. / Ou bien il nous faudra craindre / Le destin d'un de ces Pots. »

Le TTIP nous rappelle la fameuse fable de Jean de La Fontaine, mais dans cette fable, le pot de fer ne voulait aucun mal au pot de terre ; ce n'est, à l'évidence, pas le cas des États-Unis à l'égard de l'Europe !

Ce projet de traité illustre tout ce que les Français rejettent dans la construction européenne, qui gomme les identités nationales et réduit l'Europe à une zone économique dans une mondialisation uniforme. Ce traité assurera la domination des Américains sur la France et l'Europe, de leurs entreprises sur les nôtres, de leurs juridictions arbitrales sur nos tribunaux - « spéciale dédicace », comme disent les jeunes, à M. Tapie et à Mme Lagarde !

Si un État modifie ultérieurement ses normes sociales, techniques, environnementales, sanitaires, alimentaires, il pourra être attaqué devant une juridiction privée. En matière de commerce, c'est toujours la loi du plus fort qui l'emporte. Notre agriculture, notre santé, notre culture seront soumises à un commerce déloyal, car les États-Unis n'accepteront jamais d'abaisser leurs protections pour nos beaux yeux. Ce texte ne créera ni croissance, ni emplois.

Nous défendons un autre modèle économique, une autre idée que celle de Don Salluste, selon qui les pauvres sont faits pour être très pauvres, les riches très riches.

Le silence des syndicats est éloquent sur ce point, sans doute préfèrent-ils se liguer contre le Front national... (Protestations à gauche)

Il est vrai qu'ils ne pèsent désormais guère plus que vous, les communistes, qui n'obtenez que 2 % aux élections ! (Même mouvement)

Un référendum serait opportun ; mais sans doute avez-vous peur que le peuple français vous fasse la même réponse qu'il y a dix ans ; pour ma part, je m'en féliciterais.

M. Claude Kern .  - Le 9e cycle des négociations sur le TTIP s'est achevé fin avril. La constitution du plus grand espace économique mondial avance. Les sénateurs UDI-UC soutiennent cette construction. Dans un monde polarisé où de nouvelles puissances émergent, ce traité est nécessaire. Des difficultés apparaissent. Les négociations révèlent des crispations et des blocages, illustrés par le report du vote au Parlement européen.

Ces blocages sont d'abord dus à l'opacité qui entoure les négociations. Dommage que nous n'ayons pu, madame la ministre, nous revoir tous les trimestres pour faire le point. Pourtant le traité devra être ratifié par les États.

Ensuite, la procédure d'arbitrage privé remet en cause la souveraineté des États. Si à l'origine l'ambition de cet outil était de protéger les investisseurs dans les pays où l'État de droit est défaillant, cet outil de protection juridique a été transformé en une puissante arme pour infléchir les législations nationales, dans le sens des intérêts des investisseurs bien sûr. On l'a vu avec l'industrie du tabac en Australie et l'industrie nucléaire en Allemagne. Les États se trouvent à la merci des multinationales, c'est inacceptable. Pourtant la Commission européenne refuse le débat. On pourrait comme l'Australie refuser un tel mécanisme, ou moderniser la procédure. Pourquoi ne pas s'inspirer du mécanisme de règlement des différends de l'OMC ?

En outre, le traité souffre d'un manque de réciprocité. Les États-Unis achètent de préférence des produits américains avec le Buy American Act. L'excès de normes nuit aux échanges. Espérons que la réunion des régulateurs américains et européens y réfléchiront.

Si le groupe UDI-UC soutient le principe d'un traité, il émet les réserves les plus vives sur ses modalités. (Applaudissements au centre ainsi que sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Paul Emorine - Toute négociation commerciale s'accompagne de risques. Si certaines filières pourraient bénéficier du traité de libre-échange avec les États-Unis, d'autres seront beaucoup plus vulnérables, à commencer par notre filière bovine déjà fragilisée.

Après l'accord de 2012 entre l'Europe, les États-Unis et le Canada qui a autorisé l'importation en Europe de 50 000 tonnes de boeuf nord-américain sans hormones, celui qui a été conclu avec le Canada a ouvert la voie à l'importation de 65 000 tonnes supplémentaires. Les États-Unis voudront sans doute en faire une base de négociation : en proportion de leurs capacités exportatrices, cela pourrait représenter 250 000 à 300 000 tonnes de viande américaine supplémentaire.

Or, s'il n'est pas question de transiger sur le boeuf aux hormones ou le poulet chloré, le différentiel de compétitivité n'en demeure pas moins entre les deux continents. Des milliers, voire des dizaines de milliers de bêtes sont élevées outre-Atlantique dans des parcs d'engraissement où elles sont nourries au soja et au maïs OGM, et bourrées de médicaments et d'hormones de croissance. Les normes européennes en matière d'environnement, de bien-être animal ou de traçabilité n'y ont pas cours.

La superficie agricole américaine est de 372 millions d'hectares, contre 140 millions dans l'Union européenne et 28 millions en France, dont 40 % en herbe. Nous ne pouvons rivaliser. Le principe de réciprocité devra s'appliquer et les producteurs américains désireux d'exporter devront appliquer les mêmes normes que nous. Mais sans doute est-ce illusoire...

La filière bovine doit être inscrite sur la liste des productions sauvegardées.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Jean-Paul Emorine.  - Il y va de la survie de cette filière, qui génère des centaines de milliers d'emplois dans les espaces ruraux et contribue à leur survie. Ne la sacrifions pas au nom de prétendus intérêts économiques. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Didier Marie .  - Je salue l'effort de communication de la France, tant la négociation sur le TTIP reste opaque. Il est à regretter que les Américains gardent le secret sur leurs positions.

Si cet accord était adopté, il contribuerait à la croissance en Europe. Toutefois on a l'impression que les États-Unis privilégient la conclusion d'un accord avec l'Asie.

Je partage les craintes de M. Raoul sur le mécanisme d'arbitrage. Il s'agit là d'un point dur.

Les services publics, exclus de la directive Service, ne doivent pas être remis en cause. Voilà une ligne rouge. De même, il faut rétablir l'équilibre pour l'accès aux marchés publics : les marchés publics américains restent protégés.

Autre inquiétude, la reconnaissance des appellations d'origine : les vins et fromages représentent un chiffre d'affaires en France de 2 milliards d'euros. Or ces appellations ne sont pas reconnues aux États-Unis, où des producteurs produisent même une autre forme de champagne. Là encore, nous n'accepterons pas un nivellement par le bas. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bruno Sido .  - Le traité vise à harmoniser les normes mais cette ambition soulèvera des problèmes. Je regrette l'opacité sur les négociations. Quels sont les points de blocages ? Quelles sont les avancées sur la protection des données personnelles numériques et de l'environnement ?

Il est essentiel que les États-Unis respectent notre législation sur les données numériques. Le 28 mai 2015, le Parlement européen a voté une résolution pour exclure de cet accord les données à caractère personnel et n'autoriser la communication de ces données à d'autres pays que si leur législation est aussi protectrice.

Autre thème, l'énergie. Les prix de gros de l'énergie reste en Europe 30 % supérieurs à ceux des États-Unis, et 50 % pour le gaz. Il faut lever les restrictions aux importations sur les carburants pour baisser les prix. Il faut aussi instaurer une clause de sauvegarde pour protéger, à titre temporaire, les secteurs à forte consommation d'énergie, comme les industries chimiques et sidérurgiques.

La concurrence doit être « dure et parfaite », comme disaient les économistes classiques - autrement dit, loyale. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique .  - Les négociations sur le TTIP ont commencé il y a deux ans. Chacun a constaté combien le débat s'est développé de proche en proche jusqu'à devenir un enjeu majeur pour la société civile elle-même. À Bruxelles, le débat est vif.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il n'y en a pas !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Le vote du Parlement européen a été reporté ce matin. Aucun document n'est accessible sur l'état des négociations...

M. Bruno Sido.  - En effet !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Or le flou entretient la suspicion. Les négociations se poursuivent ; aucun chapitre ne sera clos avant que tous ne le soient. La France veille à ce que ses demandes, qui figurent dans le mandat de négociation, soient respectées faute de quoi les discussions s'arrêtent. Nous avons à distinguer l'acceptable de ce qui ne l'est pas. Il n'y a pas d'accord secret en tout cas. Est-ce à dire que la transparence serait satisfaisante ? Non ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

MM. Bruno Sido et Yvon Collin.  - Très bien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Des progrès peuvent néanmoins être observés et la commissaire Cecilia Malmström semble sincèrement engagée en faveur de la transparence.

M. Daniel Raoul.  - Enfin !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Peut mieux faire !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Le mandat de négociation a été rendu public en octobre, conformément à la demande insistante de la France. Les parlementaires européens ont eu accès aux documents de travail. Il faut aller plus loin pour avoir accès aux négociations secteur par secteur.

Monsieur Gattolin, nous refusons un accès dans les seules ambassades américaines et réclamons un accès depuis les administrations, ce que les États-Unis pour l'instant refusent.

M. Fekl a élargi à la société civile - ONG, organisations professionnelles, syndicats - la composition du comité stratégique qui se réunit régulièrement. Il lui a été adjoint des comités thématiques. Nous souhaitons comme le président de la République l'a rappelé que ce partenariat euro-américain soit un succès. La transparence y contribuera.

Certains craignent que la machine américaine ne nous écrase. Nous n'avons pas à nous excuser, nous sommes la première puissance économique. Notre objectif est clair : la création d'emplois...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Balivernes !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - L'Europe n'a pas à rougir de ses valeurs, de ses industries. Nous avons tracé des lignes rouges : la défense des préférences collectives - comme la législation européenne sur les OGM ou l'interdiction des poulets chlorés - ; la protection de certains secteurs, comme l'audiovisuel, ou les données personnelles. En outre, les services publics ont été exclus.

M. Martial Bourquin.  - Très bien.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - La France est vigilante. La concordance réglementaire suscite aussi des inquiétudes. Nous n'accepterons pas un nivellement par le bas. Cet accord ne doit pas se faire à n'importe quel prix. Les États doivent conserver leur capacité à légiférer. Par exemple, le TTIP prévoit une diversification des modes d'approvisionnement énergétique, mais cela ne signifie pas que les partenaires puissent se prononcer sur leurs modes de production respectifs.

Convergence ne signifie pas nivellement par le bas. Simplement, il faut supprimer les redondances des contrôles, les obstacles réglementaires.

Le numérique fait partie des négociations. Le décalage est patent entre la rapidité du développement du commerce numérique et la lenteur de l'adaptation du droit international en la matière : ni traité commercial ni lex mercatoria en la matière, ni définition d'un bien commun de l'internet. Les règles dans ce domaine datent de 1994 !

Nous devons renforcer notre législation européenne parallèlement. Il est en tout cas hors de question que les données personnelles soient incluses. Mais nous devons aussi défendre des positions offensives. Notre continent ne doit pas être un simple consommateur de numérique, il doit affirmer ses intérêts.

Défendons aussi nos intérêts dans le domaine des marchés publics : actuellement les marchés européens sont ouverts à 95 %, quand les marchés américains ne le sont qu'à 47 %. Nous ne pourrons nous contenter que l'État fédéral américain nous ouvre ses marchés si les États fédérés maintenaient leurs barrières.

Oui, monsieur Bizet, nous tenons à protéger aussi nos indications géographiques et appellations protégées. Les consommateurs souhaitent d'ailleurs être informés de l'origine des produits.

La France a obtenu un succès avec la révision de l'arrangement de Lisbonne qui étend la reconnaissance des appellations aux Vingt-huit. La France est attentive à la négociation sur les quotas alimentaires. Actuellement, le marché est très fragmenté. Monsieur Emorine, l'accord avec le Canada sur la viande bovine ne saurait servir de précédent pour le TTIP, même s'il ne concerne pas la viande aux hormones.

Pour l'instant, les États-Unis ont une position fermée sur les appellations alors même que celles-ci sont compatibles avec les marques. Aucune avancée américaine n'a été enregistrée non plus sur les marchés publics. Les discussions n'avancent pas davantage sur la convergence réglementaire en matière sanitaire et phytosanitaire. La création d'un conseil réglementaire est en discussion, mais nous refusons un organe super étatique. Il ne doit être que consultatif. Les Américains doivent reconnaître les droits des entreprises européennes.

La TTA qui clarifie le mandat du président Obama a été approuvée par le Sénat américain et doit encore être adoptée par la chambre des Représentants.

Dans tous les cas, nous voulons un accord réciproque, sans précipitation. La protection des investissements ne sera abordée qu'en septembre. Le mécanisme d'arbitrage suscite bien des inquiétudes, comme l'illustre le report du vote du Parlement européen. On constate une érosion lente du droit des États au profit des investisseurs... La France ne cesse de le réaffirmer. Ne mettons pas à mal davantage la capacité à légiférer des États. M. Fekl a adressé à la Commission européenne des pistes d'amélioration avec un dispositif d'appel et un encadrement du choix des arbitres, la réaffirmation du droit des États à légiférer. Avec l'Allemagne, nous bâtissons une coalition.

Un changement législatif ne doit pas être prétexte à une attaque par une entreprise sur le fondement des attentes légitimes des investisseurs ou de l'expropriation indirecte. Les États doivent pouvoir légiférer au nom de l'intérêt général. Ils doivent pouvoir restructurer leurs dettes le cas échéant dans des conditions encadrées.

Nous proposons une commission internationale dont le recrutement empêcherait tout conflit d'intérêt. Elle serait permanente et formerait l'ossature d'un nouveau système juridique international. La France en cela est fidèle à sa position historique. Pour mieux défendre nos valeurs, nous avons besoin de votre soutien. (Applaudissements)

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 25.

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu du Premier ministre le rapport relatif aux formations biqualifiantes dans les établissements d'enseignement agricole -Le cas des métiers du sport et de l'animation - États des lieux et conditions de développement-.

Acte est donné du dépôt de ce rapport qui a été transmis à la commission de la culture, ainsi qu'à la commission des affaires économiques.