Réglementation applicable aux entreprises (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises (demande de la délégation sénatoriale aux entreprises).

Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question .  - Triste record : 3 150 000 Français sont au chômage, en dépit des prémices de reprises, d'un euro faible, et d'un pétrole bon marché. C'est pourquoi le président Larcher a proposé de créer une délégation aux entreprises pour aider les PME, recenser les obstacles à l'installation et les mesures de simplification possibles. La centaine d'entrepreneurs que nous avons rencontrés nous ont alertés sur la lourdeur de la réglementation et son instabilité. « Laissez-nous travailler ! », tel est leur mot d'ordre. La gestion de la réglementation leur prend en effet entre 20 % et 30 % de leur temps...

Dans le domaine social, le code du travail français est particulièrement épais. Au-delà de 50 salariés, la complexité est telle qu'il faut parfois en embaucher un 51ème pour la gérer. En matière environnementale, fiscale, le même constat s'impose, au point que nombre d'entreprises souhaitent une généralisation du rescrit.

L'accumulation de normes coûtait en 2008 60 milliards d'euros selon la commission Attali, et freine l'activité, comme le souligne le rapport Boulard-Lambert. D'où le gel annoncé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en 2013 : à chaque norme nouvelle, une autre doit être supprimée. Comment cette circulaire est-elle appliquée et selon quelle méthodologie ? Les normes ont-elles toutes été recensées et leur charge induite évaluée ? Est-il vérifié que la charge liée à une norme nouvelle équivaut à celle liée à une norme supprimée ! L'objectif a-t-il été atteint ?

En Allemagne, un organe indépendant offre depuis 2006 une évaluation précise et transparente du coût des nouvelles normes, de même que le Regulatory Policy Committee britannique. Vous avez annoncé la mise en place d'une telle instance pour juillet, monsieur le ministre. Qu'en est-il ?

Au Royaume-Uni, on est passé de la règle « One in, one out » à « One in, two out ». En mars 2015, une loi a été adoptée qui astreint le gouvernement britannique à la simplification réglementaire.

Les normes doivent aussi être mieux évaluées en aval mais aussi en amont. Les études d'impact des projets de loi sont trop souvent lacunaires, comme l'a reconnu le Conseil d'État à propos du projet de loi Macron.

La délégation aux entreprises manque ainsi des informations nécessaires à ses missions. Comme elle a reçu celle de proposer des mesures pour favoriser l'esprit d'entreprise et simplifier les normes applicables à l'activité économique, elle a besoin de pouvoir évaluer celles que proposent les entrepreneurs. La Commission Juncker plaide aussi en ce sens. Comment le Gouvernement en prend-il sa part ?

Les chefs d'entreprises se plaignent aussi de l'état d'esprit de l'administration, qui se comporte en contrôleur plutôt que de les conseiller et de les aider à se conformer à la réglementation. « Faites-nous confiance ! », voilà ce qu'ils disent. Le Premier ministre clame dans toutes les langues qu'il aime les entreprises...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le football aussi !

Mme Élisabeth Lamure.  - Il y a une sorte de dépit amoureux chez les entrepreneurs. L'un d'eux a reçu un courrier le menaçant de poursuites pénales s'il n'appliquait pas les 35 heures... Un autre a subi un contrôle fiscal dans la foulée de sa demande de crédit impôt recherche... On est suspect aux yeux de l'administration dès lors qu'on innove. Les choses se passent différemment au Royaume Uni.

Nos concurrents, eux, ne sont pas soumis aux mêmes normes. L'Union européenne pêche sans doute par naïveté dans ses négociations, mais nous sur-transposons aussi la réglementation européenne. Une claire distinction devrait être faite entre ce qui relève de l'Europe, de l'échelon national ou local. Le paquet « Mieux légiférer » de la Commission européenne va dans ce sens.

Les entreprises sont le berceau de la croissance et de l'emploi. Il faut leur simplifier la vie, leur laisser le temps de travailler, d'innover. Faisons-leur confiance. Et faisons des normes un facteur de croissance et de compétitivité, pour que la France tienne une place solide dans l'économie mondiale. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Henri Cabanel .  - Les entreprises saluent unanimement la création d'un lien fort entre elles-mêmes et le Parlement. Cette démarche, que j'applique moi-même dans mon département, est illustré par la création de la délégation aux entreprises et ses déplacements sur le terrain.

On trouve encore des entrepreneurs heureux ! Dans la Drôme, nous avons été accueillis par une banderole : « Bienvenue aux sénateurs dans une entreprise où tout va bien ! » ; 84 % des salariés de cette entreprise, 11e au classement Great places to work, se disaient heureux au travail...

Contrairement à son prédécesseur, le Gouvernement a entendu la soif de simplification des entreprises, pris plus de 200 mesures en ce sens et créé un secrétariat d'État dédié. Je remercie le ministre pour son travail et son engagement...

M. Martial Bourquin.  - Il était temps !

M. Henri Cabanel.  - ... qui a pris le relais du combat courageux de certains parlementaires. En ce qui concerne la sur-transposition, une entreprise de charcuterie nous a parlé du bisulfite, interdit en France mais autorisé ailleurs en Europe dans des produits ensuite vendus dans notre pays... Il faudrait justifier toute sur-transposition et réexaminer les précédentes.

En matière d'apprentissage, les règles sur les escabeaux avaient été imaginées par des gens qui n'avaient sans doute jamais vu un arbre fruitier... Le Gouvernement y a mis bon ordre. De même sur les tenues individuelles de protection.

De nombreux entrepreneurs m'ont alerté sur l'interprétation litigieuse que certaines administrations font de la réglementation. Les doctrines nationales d'interprétation doivent être publiées pour chaque corps de contrôle.

J'ai connaissance d'une entreprise qui a essaimé pour ne pas dépasser le seuil des 50 salariés... Le Gouvernement vient d'annoncer la suppression des deux premiers seuils et le gel des prélèvements sociaux pendant trois ans pour le seuil des 50, afin de doper l'embauche dans les TPE et PME ; ainsi qu'une aide de 4 000 euros aux TPE embauchant un premier salarié en CDI ou en CDD de plus de douze mois.

Le Gouvernement a aussi apporté des réponses concrètes aux agriculteurs, en dématérialisant de nombreuses procédures et en privilégiant les contrôles sur pièces. Je m'interroge toutefois sur la déclaration unique de récolte.

Je salue le travail effectué par le Gouvernement. Nous, parlementaires, devons communiquer sans modération sur les nouvelles mesures et faire ultérieurement le bilan de leur application, par exemple au travers de notre délégation. J'espère que nous serons accueillis souvent par la même banderole que dans la Drôme, cela prouvera que le travail aura porté ses fruits. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Dominique Watrin - Notre débat prolonge celui relatif à la CNEN. Comme le disait alors Cécile Cukierman, malgré le flot de critiques, l'inflation normative se poursuit, par exemple avec les 300 articles du projet de loi Macron : pour faire moins de normes, faisons-en une nouvelle...

Nulle volonté perverse de la part de l'administration, mais la volonté d'édicter la norme la meilleure. Comme le notait un rapport de la commission des lois, « la situation des entreprises françaises n'est pas préoccupante du point de vue du droit applicable ». Une norme contraignante pour certains en protège d'autres à plus long terme ! La simplification n'est-elle pas le faux-nez de la dérégulation, de l'abandon du service public et du rôle l'État ? Les mutualisations, restructurations et privatisations larvées, la diminution du nombre de fonctionnaires en témoignent.

Avec la circulaire de 2013, les normes juridiques, administratives et techniques sont considérées comme des marchandises, dont on mesure le volume, le poids, la validité et pour lesquelles on fixe une date de péremption comme l'a souligné le professeur Koubi ! C'est là que nous devons être vigilants. Ce qui fait l'activité et la croissance, ce sont les carnets de commande... Ce que les Gouvernements successifs considèrent comme de la complexité, ce sont les droits sociaux, comme le droit à l'information des salariés en cas de cession ou l'action de groupe.

C'est le législateur qui définit l'intérêt général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers. L'évaluation économique systématique du droit a des limites ; c'est pourtant en ces termes que la circulaire envisage la simplification administrative. Les entreprises, les citoyens n'attendent-ils pas toujours plus de la sécurité, donc des normes ? Et l'apparition de nouveaux domaines comme la multiplication des sources externes du droit s'accompagnent naturellement de sa complexification.

L'évolution qualitative doit l'emporter sur une évolution faussement comptable. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yvon Collin .  - Le prolifération des normes est une question récurrente tant la France souffre de harcèlement textuel... Dans un rapport de 2004, l'OCDE évaluait à 11 % du PIB le coût de la paperasserie en France, ce qui place notre pays en 130e position mondiale.... Les entreprises doivent assimiler tous les ans 3 000 nouvelles informations et se soumettre régulièrement à de nombreuses formalités - car les administrations ne se communiquent pas les informations déjà transmises.

La complexité de la réglementation décourage bien des entrepreneurs. D'autant que l'utilité de la norme prescrite n'est pas toujours démontrée. On mesure la taille des cages pour palmipèdes gras, ou encore le calibre des bananes qui est déterminé « par la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d'insertion du pédoncule sur le coussinet jusqu'à l'apex »...

Je me félicite donc du « choc de simplification » amorcé par le Gouvernement. C'est vital, surtout pour les petites entités. Le Conseil de la simplification a vocation à desserrer l'étau réglementaire. Je me réjouis également des annonces récentes du Premier ministre et de certaines des dispositions de la loi Macron. Reste le stock de normes fossilisées. Où en est l'application de la circulaire du 17 juillet 2013, selon laquelle une norme doit être supprimée pour toute norme créée ? La simplification, comme l'a dit Mme Lamure, est un enjeu de compétitivité.

Il faut aussi s'attaquer à la production de la norme. Le rapport Lambert-Boulard souligne qu'à chaque problème, on a rédigé une loi nouvelle plutôt que de tenter d'améliorer les choses dans le cadre des lois existantes.

Il faut trouver le point d'équilibre entre Colbert et Tocqueville, entre une société encadrée pour mieux la protéger et une société responsabilisée pour encourager son dynamisme. Le groupe RDSE vous fait confiance, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; M. Jean-Claude Lenoir applaudit aussi)

M. Michel Canevet .  - La délégation aux entreprises, dont je salue la présidente, a rencontré de nombreux entrepreneurs ; elle a constaté combien l'accumulation des normes nuit à l'activité en bridant les énergies. Il reste beaucoup à faire pour lever les freins à l'embauche dans les PME, en s'attelant au code du travail par exemple, aux contrats, au temps partiel.

J'ai rencontré récemment des chefs d'entreprises dans le domaine des biotechnologies : ils se plaignent de devoir se soumettre à des formalités auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et de diverses commissions qui n'ont pas les moyens de répondre rapidement, et ont tendance à délocaliser leur activité.

Il faut une action volontariste, une simplification rapide et durable. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Vaspart .  - La circulaire de 2013 va dans le bon sens, mais elle n'a par nature aucune valeur normative. Depuis mon élection en 2014, je m'étonne de la complexité des projets de lois qui nous sont soumis, loi NOTRe, loi Alur... La prolifération des normes est paralysante, leur simplification urgente. La France en est-elle vraiment capable ? Les mesures annoncées cette semaine en faveur de l'embauche dans les PME sont-elles à la hauteur ? Je voudrais vous en faire crédit, monsieur le ministre et je ne doute pas de votre bonne volonté. Mais avez-vous les moyens de vos ambitions ?

Le développement des démarches en ligne simplifie la vie de l'administration plus que celle des entreprises ou des citoyens. Ce ne sont d'ailleurs que des gouttes d'eau dans un océan de complexité... Les classements internationaux ne sont pas en notre faveur : nous sommes 126e pour les droits d'enregistrement, 95e pour le paiement de l'impôt et à la 90e place pour les permis de construire... Le Royaume-Uni et l'Allemagne occupent, eux, respectivement la 8e et la 14e place mondiale en termes de simplicité administrative...

La simplification administrative ferait faire de substantielles économies. Vous parlez de 11 milliards d'ici 2017, monsieur le ministre : si c'est vrai, que n'allez-vous plus vite ?

Les dirigeants de PME passent trop de temps à des tâches administratives, au lieu de développer leurs produits. J'ai fait un rêve, que les deux chambres travaillent de conserve à la simplification, à la réécriture des textes qui bloquent le développement et la création d'entreprises. Redonnons du souffle, de l'espoir et de la confiance à nos entrepreneurs : c'est ainsi que nous renouerons avec la croissance et l'emploi. (Applaudissements au centre et à droite).

M. Jérôme Durain .  - La question de Mme Lamure est intéressante. La circulaire du 17 juillet 2013 s'apparente à l'article 40 de la Constitution. Doit-elle être appliquée strictement ? Si le Gouvernement ne semble pas faire d'études d'impact systématiques, force est de reconnaître qu'il supprime plus de charges administratives qu'il n'en crée - ce qui ne va pas sans débat chez les socialistes... Il associe chefs d'entreprises, particuliers, fonctionnaires, pour prendre les mesures les plus efficaces. Sur ses 900 propositions, 350 sont déjà appliquées, pour une économie de 3,3 milliards. « Jusqu'à aujourd'hui, aucun gouvernement n'a pris pareilles mesures », nous a dit la présidente de l'Association Femmes-chefs d'entreprise de l'Essonne. « Il y a un vrai sentiment de simplification », dit Jose Ramos, chef d'une entreprise de BTP.

Mais qui dit simplification ne dit pas destruction de notre modèle social. D'après Marc Simoncini, nos entreprises, pour être protégées, ont besoin d'un minimum de complexité avant de partir à la conquête de nouveaux marchés. Prenant prétexte de la complexité du compte pénibilité, c'est son principe même que contestait le Medef ; les récentes décisions du Gouvernement à ce sujet sont un exemple de simplification pragmatique et non idéologique, une simplification réussie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Olivier Cadic .  - Nos compatriotes d'outre-Manche, qui se désolent de la complexité administrative française, saluent en revanche le travail entrepris par le Gouvernement britannique de David Cameron, avec la règle « One in, one out » et la création de l'Office of Tax Simplification. En deux ans, 963 millions de livres de charges administratives ont été économisés. En juillet 2013 a été instituée la règle « One in, two out », une règle simple et efficace. Deux fois par an, le Gouvernement doit publier la liste des règles à venir dans les six mois suivants et celles des règles qui vont disparaître, ainsi que leur évaluation.

Au même moment, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault publiait la circulaire du 17 juillet 2013. N'est-il pas temps d'imposer la suppression de deux règles à chaque règle nouvelle ? « Nous allons légiférer mieux, donc moins », annonce Jean-Claude Juncker : voilà qui devrait nous inspirer. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Gérard Cornu .  - Je salue l'initiative de Mme Lamure. La simplification, on en parle beaucoup, mais pour quel résultat ? Ancien artisan commerçant, j'ai eu l'expérience d'une administration tatillonne, et je sais que les choses ont empiré depuis...

J'entends parler de simplification depuis que je suis parlementaire. En 2002, le secrétariat d'État à la réforme de l'État en était spécialement chargé, qui compilait dans des projets de loi d'habilitation fourre-tout les souhaits de simplification des autres ministères... Depuis, la méthode n'a pas changé. Mais peut-on se contenter de demander aux ministères quelles normes ils acceptent de voir supprimées ?

La sur-transposition des directives européennes nous pénalise. C'est le cas pour les rapports de sécurité des sites Seveso ou l'exposition des salariés à des substances dangereuses. Pourquoi sur-transposer ? Pourquoi continuer de freiner les entreprises françaises ?

Quelques modèles de complexité depuis 2012, même si droite et gauche sont coupables de la prolifération législative... La loi Alur est sur la première marche du podium, un chef-d'oeuvre de complexité mâtinée d'idéologie. La loi relative à l'économie sociale et solidaire, dont les articles 19 et 21 créaient un droit d'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, ne valait guère mieux : le décret d'application a tardé à paraître et il a fallu attendre M. Macron pour le corriger...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Il est très bien, M. Macron !

M. Gérard Cornu.  - Le projet de loi Rebsamen inquiète lui aussi les petits patrons - bien qu'il simplifie le compte pénibilité créé il y a quelques mois... Que de revirements et de pertes de temps ! L'instabilité juridique nuit à la compétitivité et dissuade les créateurs d'entreprise comme les investisseurs.

Il faut arrêter de se payer de mots, en finir avec le marketing politique. Et dire la vérité : on ne simplifie pas, au contraire. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Didier Mandelli .  - La circulaire du 17 juillet 2013 s'est substituée au moratoire de 2010, avec pour même objectif d'endiguer la complexification administrative, facteur d'inégalité qui nuit aussi à l'attractivité du territoire français comme à l'esprit d'entreprise. Pour les PME et TPE, la paperasserie est chronophage : en moyenne, elle prend à leurs dirigeants trois heures dix-huit par jour... Selon l'OCDE, cette complexité coûte 60 milliards d'euros par an et la France se situe au 130e rang mondial dans ce domaine - sur 148...

Monsieur le ministre, l'inventaire de mesures techniques et sectorielles que vous venez d'annoncer allègera-t-il le quotidien des entreprises ? Les 273 mesures prises depuis 2013 ont-elles eu un réel impact sur la croissance, l'innovation, la création d'emplois, la confiance des entreprises ? Il paraît hasardeux d'en mesurer les effets, surtout si l'on se fie au nombre de demandeurs d'emploi, critère essentiel pour nos concitoyens...

Le Gouvernement prône la simplification mais crée le compte pénibilité, qui ajoute de la complexité ! La circulaire de 2013 doit être accompagnée d'un allègement de charges des entreprises. Ce n'est qu'à cette condition qu'elles créeront de l'emploi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification .  - Le débat de cet après-midi est riche, précis, non dogmatique, et je vous en sais gré.

Nous irons plus loin, plus vite, plus fort dans les mois à venir sur la simplification de la vie de nos entreprises. Il en va de leur compétitivité, et de notre vision de l'économie, de l'équité entre les grandes, qui ont les moyens de déchiffrer, voire d'utiliser le droit à leur profit, et les petites, qui subissent de plein fouet l'accumulation des normes.

L'un de vous citait Tocqueville selon qui : « il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul ». Vous en avez apporté la preuve au cours de ce débat, même s'il convient, en l'occurrence, d'ajouter à la citation « les femmes ».

Votre débat va bien au-delà de la circulaire de 2013, puisqu'il vise tout autant le stock de normes existantes que le flux de nouvelles mesures.

Les politiques de simplification ne sont pas nouvelles : dès le 26 septembre 1953, un décret établissait la nécessité de simplifier les formalités administratives ; une commission spécifique fut créée en 1983 pour s'y atteler. Je pourrai continuer la chronologie, qui est fournie. Les effets n'ont, à l'évidence, pas été au rendez-vous. Investi par Jean-Marc Ayrault et le président de la République en 2013, j'ai commencé par faire un tour d'Europe des exemples qui ont donné plus ou moins de résultats, pour en retenir les outils dont l'efficacité est avérée.

Nous en avons retenu quelques principes d'action. D'abord, cette politique de simplification ne peut être que collaborative : l'administration ne peut se borner à faire ce qui l'arrange, elle doit partir de la complexité vécue par les entreprises, qui doivent cibler elles-mêmes les dispositifs à simplifier.

C'est la raison d'être du Conseil de la simplification, réunissant plus d'une centaine de représentants d'entreprises, en ateliers thématiques consacrés aux moments clés de la vie d'une entreprise : création, déclaration fiscale et sociale, recrutement, import, export... Les entreprises ne sont pas nécessairement représentées par les niveaux hiérarchiques les plus élevés, mais de préférence par ceux qui sont directement en butte à la complexité. S'y élaborent les mesures à prendre, pour résoudre les problèmes vécus par les entreprises, avant qu'elles soient inscrites dans des plans d'action opérationnels.

Cette procédure collaborative représente une mini-révolution. En France, culturellement, les normes sont produites par l'administration pour répondre à une orientation politique, mais on ne se soucie pas des modalités d'application, et on n'en découvre les effets pervers ou inattendus qu'au moment de les mettre en oeuvre, si on le peut... Le texte initial relatif à la pénibilité souffrait de ce défaut. Nous y avons travaillé.

Notre travail est méthodique, il consiste à anticiper l'application des textes avant de les proposer. Il est systématique et a vocation à s'inscrire dans la durée, au-delà du quinquennat. Cinquante mesures tous les six mois, cent par an, n'y suffiront pas.

Nous avons travaillé avec la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ; je suis tout à fait prêt, madame la présidente, à travailler avec votre délégation aux entreprises.

Vous m'interrogez sur le décret du 17 juillet 2013, dit « un pour un », soit « une norme supprimée, pour une norme créée ». De septembre 2013 à mai 2015, 1 100 textes réglementaires, ordonnances, décrets, arrêtés, sont entrés en application, dans le périmètre du décret du 17 juillet 2013. Ils concernent essentiellement les entreprises, secondairement les collectivités territoriales et les particuliers. Un tiers provient du ministère des finances, un tiers du ministère des affaires sociales et un tiers du ministère de l'écologie. Les gains nets sont pour les entreprises d'un peu plus d'1,5 milliard d'euros ; de près de 3 milliards d'euros au total.

Chaque ministère qui rédige un projet de décret y joint une étude d'impact en estimant le coût et les propositions de suppression de charges en contrepartie. Le Secrétariat général du Gouvernement veille à la cohérence entre ce qui est proposé et ce qui est supprimé. Les coûts sont calculés sur le fondement des charges administratives, des coûts de mise en conformité avec les normes envisagées, relatifs aux investissements nécessaires, par exemple. La méthode de calcul utilisée est éprouvée hors de nos frontières, à l'étranger par exemple.

Le dispositif fonctionne, mais est encore insuffisant. Ce n'est qu'un premier pas. Il faudrait, à mon sens, que cette règle soit étendue à toute la production normative, lois incluses. Au 1er juillet 2015, un comité d'impact entreprises sera créé, sur le modèle des organes équivalents anglais et allemand, réunissant des représentants du monde économique et des personnalités qualifiées. Il donnera un avis sur les conséquences microéconomiques, sur la vie des entreprises, d'un texte dont le Gouvernement l'aura saisi, sur le fondement des études d'impact. Ce comité n'est qu'une mission supplémentaire confiée au Conseil de la simplification : sa saisie ne sera pas obligatoire.

Trois éléments de simplification forts sont en cours de réflexion. La codification des seuils sociaux d'abord : le gel du seuil de 50 salariés pendant trois ans, avec toutes ses conséquences fiscales et sociales; la fusion à 11 salariés des seuils à 9, 10 ou 11 salariés ; la clarification globale des méthodes de calcul des seuils.

Dès janvier prochain, pour la BPI, un dispositif d'aide publique simplifiée sera mis en place pour les PME, qui sera généralisé à toutes les aides de l'État dans un second temps ; sur le modèle des marchés publics simplifiés, un numéro de Siret suffira pour en bénéficier.

Enfin, le ticket emploi service, encore peu connu et qui n'a pas été suffisamment utilisé, sera élargi aux entreprises de moins de 20 salariés. Il facilite considérablement la procédure de recrutement dans les PME : le temps nécessaire pour effectuer la déclaration passe de trois heures à cinq minutes !

Nous travaillons étroitement avec nos homologues européens sur les études d'impact européennes. La norme devra procéder davantage de la concertation avec les professionnels et moins des seuls cerveaux bruxellois.

Mme Massat, députée de l'Ariège, remettra dans les tout prochains jours son rapport de mission sur les contrôles ; les contrôles sur pièces devront être privilégiés aux contrôles sur place ; une charte nationale des contrôles sera élaborée.

Vous avez souligné l'importance du dispositif visant à éviter la surtransposition des directives, inspiré du mécanisme allemand de double corbeille. Son élargissement au droit français, que j'aurais souhaité, est hélas impossible. Il consiste en ceci : un texte transpose une directive minima, tandis qu'un second, assorti d'une étude d'impact, comporte le cas échéant, des mesures allant au-delà. Il s'agit en quelque sorte d'une double correction.

M. Cabanel souligne l'importance de l'apprentissage. Nous avons simplifié les contraintes imposées aux entreprises qui les emploient : le régime désormais applicable aux apprentis mineurs est la déclaration à l'inspection du travail et non plus l'autorisation préalable, l'inspection pouvant de toute façon diligenter les contrôles qu'elle estime utiles.

M. Watrin pose une question cruciale pour l'esprit même de la politique de simplification. Il ne faut pas la confondre avec la déréglementation ! La simplification est un combat mené au nom du droit, pour le rendre lisible et efficace, non pas contre le droit ou les droits, pour les réduire. Nous ne partageons pas le choix, politique, au demeurant concevable et respectable, de ceux qui veulent faire passer le code du travail de 3 500 pages à 50 pages !

J'attire l'attention de M. Collin sur le programme « Dites-le nous une fois », adopté en conseil des ministres récemment et qui sera mis en place le 1er janvier 2017 : il permettra aux entreprises françaises de ne fournir qu'une fois à l'administration chaque document exigé d'elles.

Monsieur Canevet, j'ai rencontré le bras droit de M. Cameron chargé de la simplification : il m'a confié qu'après dix ans de simplification, il lui restait encore cinq ans de travail... Notre travail s'inscrit résolument dans le long terme.

Monsieur Durain, nous avons déjà beaucoup simplifié le compte pénibilité. Les référentiels de branche, si les branches jouent le jeu, seront déterminants. Nous n'avons rien inventé, chacun des facteurs de pénibilité que nous avons réunis existent déjà en Europe. Restait à mettre ce droit social fondamental en application.

Monsieur Cadic, je m'en tiens pour ma part à l'étude du Wall Street Journal selon lequel nous sommes 7e mondiaux dans l'accueil des startup. Dans d'autres classements, nous sommes même 2e ! Certes, les prélèvements fiscaux sont plus lourds en France qu'au Royaume-Uni. Mais notre régime des plus-values de cession est l'un des plus attractifs d'Europe.

Monsieur Watrin, pourquoi surtransposons-nous ? Mais je vous retourne la question, c'est vous qui faites les lois ! Les parlementaires en partagent la responsabilité avec le Gouvernement.

De même, monsieur Cornu, pour l'inflation des articles du projet de loi Macron, dont le nombre a doublé à l'issue de son passage par les deux chambres du Parlement...

Monsieur Mandelli, la revue des normes résultant de surtranspositions de directives sera confiée au Conseil national de l'industrie, dans la logique collaborative que j'ai exposée.

Il nous reste un point faible : nous ne convaincrons nos partenaires que si nous nous dotons d'outils d'évaluation indépendants du Gouvernement ou des parlementaires. Nous travaillons déjà à un cahier des charges. Nous pourrons dépasser les résultats britanniques si nous y parvenons.

J'espère vous avoir convaincus de l'intérêt de cette politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE ; Mmes Colette Mélot et Élisabeth Lamure applaudissent aussi)

M. Jérôme Durain .  - Merci de nous avoir exposé votre méthode, monsieur le ministre. Vous êtes à l'écoute des chefs d'entreprises qui réclament du concret. Je ne partage pas le point de vue de M. Cadic : il faut légiférer non pas moins, pour légiférer mieux, mais plus justement. Derrière les normes, il y a des droits, du travail, de l'environnement, notamment.

Sortons d'une opposition simpliste entre administration et entreprises. Dessinons un paysage économique collaboratif où les chefs d'entreprises se tiennent aux côtés du Gouvernement. Il n'y a pas d'un côté ceux qui aiment l'administration, de l'autre ceux qui aiment les entreprises. En un mot : soyons pragmatiques.

Mme Élisabeth Lamure .  - Merci pour vos explications, monsieur le ministre. J'ai bien noté la mise en place du comité de simplification « un pour un » au 1er juillet. J'espère sincèrement que nous verrons les effets de votre politique dans nos territoires, car cela est parfois sous-estimé à Paris.

Les interprétations divergentes des normes, pour certaines Dreal par exemple, continuent de poser problème dans nos départements. L'administration est là pour faciliter la vie des administrés, non pour la compliquer.

Le rapport Lambert-Boulard insistait sur la nécessité pour chaque administration d'interpréter la norme dans un sens favorable aux entreprises, qu'elle ne doit pas freiner dans leur développement. Elle doit en effet faciliter, non empêcher. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 15.