Débat préalable au Conseil européen des 15 et 16 octobre 2015

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 octobre 2015.

Orateurs inscrits

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Je suis très heureux de participer à ce débat ; je veux vous remercier, monsieur le Président, ainsi que la Conférence des présidents, de l'avoir organisé à une heure propice à un débat approfondi.

La crise des réfugiés et la situation en Syrie seront les principaux points à l'ordre du jour du Conseil européen de jeudi.

Selon Frontex, 710 000 personnes sont entrées dans l'Union européenne au cours des neuf premiers mois de 2015, contre 282 000 l'an passé. En Allemagne, on parle d'un million de migrants et réfugiés cette année. Ces femmes et ces hommes, pour qui l'Europe est une terre de sécurité et d'espoir, tombent souvent entre les mains de passeurs criminels. Plus de 3 000 migrants sont morts en Méditerranée. Jamais le phénomène migratoire n'a connu une telle ampleur. C'est la solidarité européenne qui est ainsi remise en cause.

Un mécanisme de répartition a été mis en place, ainsi que des centres d'accueil et d'enregistrement. Le contrôle des frontières a été renforcé au moyen de l'action Sofia, soutenue par les Nations Unies. Celle-ci permet d'arraisonner les navires. Des accords de coopération et de réadmission ont enfin été conclus.

Le Conseil européen devra s'assurer de la mise en oeuvre de ces dispositifs. L'effectivité du système d'asile dépend de l'effectivité des contrôles aux frontières de l'Union européenne, de la solidarité entre États membres, de la responsabilité de chacun pour ce qui lui incombe et du traitement des causes de la crise avec les pays d'origine. C'est la position constante, défendue par la France depuis le début de la crise.

Des moyens budgétaires ont été dégagés sur le budget de cette année, et le seront en 2016, pour un total de 1,7 milliard d'euros ; ils abonderont le fonds asile migration, le budget de Frontex, le Trust Fund et l'aide aux pays tiers.

L'Union européenne renforce son action avec les pays d'accueil des réfugiés. Un plan spécifique avec la Turquie, discuté avec le président Erdogan lors de son passage en Europe et portant à la fois sur l'assistance aux réfugiés en Turquie et la lutte contre les trafics et l'immigration clandestine au départ de ce pays, est en cours de mise en oeuvre. Ces négociations sont difficiles.

Avec les pays des Balkans, il s'agit maintenant de mettre en oeuvre les décisions prises le 8 octobre, lors de la conférence de Luxembourg, concernant l'assistance humanitaire et la lutte contre les filières criminelles.

Le Conseil européen préparera en outre le Conseil de la Valette, qui portera sur l'aide apportée aux États africains en matière économique et de réadmission.

Il examinera les pistes d'amélioration du système intégré de contrôle aux frontières. L'adaptation du mandat de Frontex et la création d'un corps de garde-côtes européen seront discutées. Les opérations maritimes comme Poséidon et Triton allaient déjà dans cette direction.

Troisième axe : améliorer l'efficacité des politiques de retour. Il nous faut, parallèlement à l'ouverture rapide de hot spots et aux relocalisations, mettre en oeuvre effectivement la directive ; créer, au sein de Frontex, une équipe dédiée pour soutenir les États membres ; élargir le mandat de Frontex pour lui donner la possibilité d'organiser des opérations de retour de sa propre initiative ; promouvoir auprès des pays tiers des laissez-passer consulaires européens.

Deuxième sujet à l'ordre du jour du Conseil européen : la situation en Syrie. Le Conseil des affaires étrangères auquel j'ai participé hier a repris les trois grandes priorités défendues par la France : la lutte contre le terrorisme d'abord. La France a pris ses responsabilités en groupant les centres d'entraînement de Daech ; toute la communauté interventionniste doit à présent être mobilisée. (M. François Marc approuve) Ensuite l'élaboration d'une transition politique. Tous les acteurs - Russie, États-Unis, Union européenne, Turquie, Arabie Saoudite, Iran - doivent s'engager dans cette voie. Nous devons rassembler les membres de l'opposition modérée qui rejettent le terrorisme ainsi que les éléments du régime qui ne sont pas impliqués dans des crimes de guerre, pour que cette transition puisse se mettre en place. Celle-ci ne pourra se faire avec Bachar Al-Assad, responsable de près de 250 000 morts. Le Conseil européen se prononcera sur l'attitude de la Russie : ses opérations militaires doivent cesser de viser les éléments modérés de l'opposition au régime.

La situation en Libye devra être abordée, afin que ce pays recouvre sa souveraineté.

Enfin, le Conseil entendra une communication au sujet du referendum britannique sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union, et des demandes formulées par ce pays.

S'il fallait un mot pour définir le Conseil européen à venir, je dirais : gravité. Il sera aussi empreint de responsabilité, face à la situation très grave de la crise migratoire et de la guerre syrienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Michel Billout .  - Le précédent débat préalable au Conseil européen s'est tenu en juin. Nous y abordions déjà la situation des migrants. Elle n'a cessé de s'aggraver.

Les migrants sont plus de 710 000 depuis le début de l'année : c'est inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La France accueillera 30 000 réfugiés sur deux ans, dont 24 000 demandeurs d'asile. À titre de comparaison, nous avions accueilli 650 000 réfugiés espagnols après la guerre civile.

L'Union européenne est le premier donateur pour faire face à la crise migratoire. Elle ambitionne de mettre en place un système solide, bâti sur une agence Frontex rénovée et un corps de garde-côtes. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser ce que la commission envisage en matière de réinstallation ? Les règlements de Dublin devraient être révisés en mars 2016 ; dans quel sens ?

Désormais, il y a les bons migrants et les mauvais : les premiers fuient la guerre, les autres la misère... Cette distinction est inacceptable, comme l'est la création de ces hot-spots chargés de l'enregistrement et de la relocalisation des migrants. Quid, dans ce système, des Soudanais déboutés du droit d'asile ? Nous connaissions les risques de tels hots spots, cristallisés dans la jungle de Calais.

Je ne méconnais pas les efforts du Gouvernement pour régler la situation, mais Londres, qui n'aborde la question que sous l'angle de la sécurité de sa frontière a déplacé celle-ci sur notre sol. La situation des migrants est particulièrement délicate au Royaume-Uni : 43 % des Britanniques interrogés veulent quitter l'Union européenne, 40 % veulent y rester ; 17 % sont indécis. Le Premier ministre Cameron n'exclut pas une sortie s'il n'obtient pas ce qu'il veut.

L'afflux de réfugiés ravive les tensions entre partisans et adversaires de l'austérité. La Commission européenne semble disposée à accorder une marge budgétaire supplémentaire aux États qui font face à la crise. Trouvera-t-on une majorité pour défendre cette position ?

Quelle est la position du Gouvernement sur la proposition allemande de création d'une taxe sur le carburant et la TVA, dont le produit serait affecté à l'aide aux migrants ?

M. Jean-Yves Leconte .  - La réversibilité de la construction européenne est apparue plus clairement que jamais en 2015, à la faveur de la crise grecque et de celle des migrants.

Ceux qui fuient les guerres du Proche-Orient ne vont pas vers l'Arabie saoudite ou la Russie mais vers l'Europe. Cette attractivité devrait être une force pour le continent. Le phénomène s'accentue, mais il n'a rien à voir avec l'ampleur qu'il a au Liban ou en Jordanie.

Nous devons respecter le droit individuel à la protection. Le système de Dublin ne fonctionne pas ; la surveillance des frontières extérieures doit-elle être une compétence européenne ? Discutons-en.

Hot spots, aide au Haut comité aux réfugiés (HCR), renforcement de Frontex... Tout cela va dans le bon sens. Mais il faudra renforcer notre système d'asile : liste de pays sûrs, droit au travail ; convergence des pratiques européennes.

Il faudra aussi renforcer Schengen, non les frontières elles-mêmes. Nous avons vu, dans les Balkans, que cela ne sert à rien. Cela passera par un système PNR efficace.

Sachons répondre à l'angoisse des pays voisins de la Syrie ; seule la France a une politique de visas cohérente. Les transferts sont un moyen puissant d'aide au départ : les flux sont d'ailleurs deux fois plus importants que ceux de l'APD !

Il faudra donner une perspective à l'Europe, en prévenant les déstabilisations dans les Balkans, mais aussi au Moyen-Orient.

Un mot sur le voisinage de l'Union européenne. Nous n'avons pas fini de payer le prix de la fermeture, par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, de la porte européenne au nez de la Turquie.

Le choix grec du 20 septembre est un bon signal, mais il faudra aller plus loin. Une monnaie commune impose une politique commune, soumise à un contrôle démocratique, notamment au niveau de la zone euro.

M. le président.  - Concluez.

M. Jean-Yves Leconte.  - Répondre par plus d'Europe, c'est faire des Européens des citoyens du monde et non des sujets du marché mondial. C'est le sens du projet défendu par le président de la République et la chancelière allemande devant le Parlement européen. Nous nous reconnaissons dans cette démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit aussi)

M. André Gattolin .  - L'Europe fait face à une crise migratoire sans précédent. Or les dirigeants européens la gèrent nationalement, en ordre dispersé. Les flux iront sans doute croissants ; la solution ne réside certainement pas dans l'érection de murs séparant le bon du mauvais côté, la paix de la guerre, comme l'a fait la Hongrie. Les murs accentuent les tensions, sans offrir de solution. Ce ne sont que des pis-aller, résultant le plus souvent d'un constat d'échec.

Distinguons les migrations économiques des demandes d'asile. Les migrants veulent s'intégrer à moyen et long terme tandis que les demandeurs d'asile font le choix douloureux de quitter leur pays par défaut. L'exil ne ressort jamais d'une décision heureuse. Selon un récent sondage réalisé en Allemagne sur 900 réfugiés, seuls 13 % sont venus pour des raisons économiques : les autres ont fui un risque pour leur vie.

Les flux de migrants résultent d'abord des terrifiantes conditions d'accueil dans les pays limitrophes de la Syrie. Nous devrions aider ces pays, car les migrants n'ambitionnent pas de s'éloigner le plus possible de chez eux.

Nous devrions lutter frontalement contre les réseaux de passeurs, structurés en toute impunité en véritable mafia. Le criminologue italien Andrea di Nicola, évalue, avec prudence, ce trafic en Méditerranée à 700 millions de dollars de chiffre d'affaires, réinvestis dans d'autres activités criminelles. Que fait l'Union européenne pour les combattre ?

Cette crise entraîne des besoins importants de financement. Des discussions informelles auraient eu lieu entre Berlin et Bruxelles en marge de l'assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale qui s'est tenue à Lima pour augmenter les ressources propres de l'Union européenne, au moyen d'un impôt européen, qui prendrait la forme d'une surtaxe sur les carburants ou sur la TVA. Monsieur le Ministre, quelle est la position de la France à ce sujet ?

La crise actuelle n'offre qu'un avant-goût de celles qu'occasionnera bientôt l'afflux des déplacés climatiques et environnementaux. Cela m'amène à mon second point : la COP 21, grande absente de ce Conseil européen. François Hollande profitera, je l'espère, de la Conférence Arctic Circle à Reykjavík pour sensibiliser les acteurs présents sur les enjeux environnementaux.

L'Union européenne insiste trop sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au détriment de l'augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. L'ancien commissaire à la concurrence Joaquín Almunia estimait que la part de 14 % suffit amplement. L'objectif est pourtant de 27 % ! Pourquoi ne pas s'y tenir ? J'y insiste car bien des signes indiquent que l'actuelle commission s'intéresse beaucoup moins à la question que la précédente. Restons vigilants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. David Rachline .  - La crise migratoire a pris des proportions dramatiques, et vous refusez de voir que les peuples veulent de l'enracinement. Par votre incapacité à apporter la paix dans les pays en crise ou plutôt par votre capacité à y apporter la guerre, tout en ouvrant les portes de notre territoire, vous créez des déracinés.

Or nous sommes dans l'incapacité économique et morale d'accueillir ces centaines de milliers de malheureux. Avec 3,5 millions de chômeurs, une dette abyssale de 2 000 milliards d'euros, nous ne pouvons leur offrir une activité. Pas plus de les intégrer, si l'on refuse de leur proposer une identité à laquelle ils puissent se référer.

L'Union européenne, incapable d'arrêter les terroristes, les a même armés, directement ou indirectement. Avec les Américains, elle accable la Russie, seule pourtant à défendre la sécurité de l'Europe.

En matière économique, que proposent les technocrates de Bruxelles ? Un système d'autorités pour la compétitivité de la zone euro, un comité budgétaire européen, un Trésor européen, qui réduiraient encore notre souveraineté. Toutes ces propositions visent à favoriser la surveillance des politiques économiques nationales, de façon à les uniformiser.

Nous refusons de nous soumettre et réaffirmons que la France doit disposer, comme toutes les autres grandes puissances, de sa monnaie, de sa banque centrale, de ses frontières, de sa souveraineté budgétaire, bancaire et législative.

L'Europe a totalement échoué, aussi défendons-nous le retour à la monnaie nationale - et à la souveraineté budgétaire.

Comme le Gouvernement Cameron, nous soumettrions le maintien de la France dans l'Union européenne à referendum si Marine Le Pen était élue présidente de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Les Français se sont exprimés clairement, à 55 % contre la Constitution européenne. Mais vous vous moquez du peuple : preuve en est la signature du traité de Lisbonne. Vous n'avez qu'une peur, qu'il s'exprime à nouveau, après la gifle que représenta pour l'establishment l'élection de 24 députés français du Front national au Parlement européen en mai 2014...

M. François Marc.  - Qu'ont-ils fait depuis ?

Mme Patricia Schillinger.  - Pas grand-chose !

M. David Rachline.  - Au Parlement européen, justement, François Hollande a cru bon de railler le souverainisme, en prétendant l'opposer à la souveraineté. Or le souverainisme exige la souveraineté. Que décidons-nous encore ? Pas plus notre budget que les flux migratoires. La souveraineté s'attache à la nation. Sans elle, pas de cadre protecteur, ni de prospérité.

M. François Marc.  - Et que faites-vous du peuple ?

M. Jean-Claude Requier .  - Au plus fort des crises européennes, la solidarité se fait jour : voyez les Grecs. L'arrivée massive de migrants ces derniers mois ne doit pas masquer un mouvement de fond depuis quinze ans, avec 16 millions d'Européens de plus du fait du solde migratoire.

L'Europe, malgré ses difficultés économiques, reste source d'espoir pour tous ceux qui ne trouvent chez eux que désolation et misère. Elle doit élaborer pour les réfugiés une politique d'intégration. La chancelière Merkel et le président Hollande n'ont pas dit autre chose mercredi dernier devant le Parlement européen.

Face à la crise, les règles de Dublin sont obsolètes. Mais l'Europe a du mal à s'accorder sur de nouvelles règles. Il aura fallu une image choc, celle d'un enfant mort sur le rivage pour observer une réaction plus humaine.

Le mécanisme de répartition des réfugiés est la moins mauvaise solution. Encore faut-il renforcer le contrôle des frontières pour ne pas créer un appel d'air. Nous attendons aussi des éclaircissements sur les 780 millions d'euros dédiés à la relocalisation.

On évoque aujourd'hui diverses pistes pour approfondir l'Union économique et monétaire. Je regrette néanmoins que le rapport du président du Conseil européen n'évoque pas l'idée qu'il se fait de l'Europe de demain : une union de transferts, que M. Macron appelle de ses voeux, ou une union maestrichtienne, focalisée sur la rigueur budgétaire !

Il a fallu attendre un scandale pour avancer sur les rescrits fiscaux...

En 1946 à Zurich, Winston Churchill parlait de la « tragédie de l'Europe ». Aujourd'hui, après la tragédie grecque évitée, c'est à un drame shakespearien, au risque de Brexit que nous sommes confrontés : ou comment faire subir à d'autres des calculs de politique intérieure...

On ne peut que souhaiter que nos dirigeants s'accordent sur l'essentiel, rappelant aux eurosceptiques que la compétition, aujourd'hui, se joue au niveau planétaire (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et socialiste et républicain)

Mme Fabienne Keller .  - Les Européens veulent-ils poursuivre leur union et comment ? Telle est au fond la question que posent les trois grands sujets que sont la crise migratoire, l'Union économique et monétaire ainsi que l'hypothèse du Grexit.

Face à la crise migratoire, la France doit respecter ses engagements humanitaires, tout en étant ferme face à l'immigration irrégulière.

La crise financière de 2008 puis celle des dettes souveraines ont cruellement révélé les défauts de la monnaie unique. La convergence budgétaire, sociale et économique nécessaire a déjà trop tardé. Des avancées décisives ont eu lieu depuis, à commencer par la mise en place du mécanisme européen de stabilité (MES) et de l'union bancaire. Mais il faut aller plus loin, alors même que la défiance s'accroît, dans le cadre des traités existants.

La création à court terme de nouvelles institutions de gouvernance ou de nouveaux transferts financiers permanents entre États membres ne serait pas comprise ni acceptée par nos concitoyens.

À l'instar des propositions faites sur la mutualisation des dettes souveraines, celles-ci ne peuvent de plus être envisagées que comme l'éventuel couronnement d'un processus abouti de convergence économique, mais en aucun cas comme le préalable à l'évolution de la zone euro.

La France, qui décroche du wagon de tête européen, doit mener enfin les réformes indispensables. À l'échelle européenne, il faut renforcer la coordination budgétaire et économique : ce dernier aspect doit être pleinement intégré au semestre européen. Quant à la coordination fiscale; même si cette matière touche à la souveraineté, les nouvelles règles sur les rescrits fiscaux doivent être l'occasion d'avancer.

Point n'est besoin de créer une nouvelle institution : le Parlement européen existe, et des réunions interparlementaires ont déjà lieu !

J'en viens au referendum britannique. Le Review of compétences est un document remarquable, transpartisan. Les Britanniques ont toujours eu une approche pragmatique et d'abord économique de la construction européenne.

Ne voyons pas dans le referendum un signe de rupture. La Grande-Bretagne a besoin de l'Europe et l'Europe a besoin de la Grande-Bretagne. Les négociations doivent avoir lieu, non pour bouleverser les traités mais pour apporter des réponses claires au questionnement britannique. e

L'Union européenne contribue-t-elle à améliorer la vie des Européens ? Agit-elle là où elle est la plus efficace ? Élabore-t-elle des législations suffisamment simples ? Respecte-t-elle les espaces démocratiques nationaux ? Quel statut pour les pays qui ne souhaitent pas adhérer à la monnaie unique ? Sans renoncer à nos principes, par exemple la libre circulation, acceptons un débat concret avec les Britanniques et dessinons ainsi pour tous les Européens de nouvelles perspectives (Applaudissements à droite et au centre)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Je me concentrerai sur le referendum britannique. Promesse de campagne des conservateurs, il pourrait avoir lieu dès juin 2016.

Quelles sont les demandes britanniques ? Une plus grande intégration du marché unique, une conclusion des négociations commerciales avec les États-Unis, une meilleure prise en compte du poids politique du Royaume-Uni dans l'Union...

J'observe au passage qu'en 2020 la France et l'Italie seront les deux seuls États membres à ne bénéficier d'aucun rabais. Le président de la Commission européenne a créé une task force au sein du secrétariat général du Conseil, dirigée par un Britannique, pour préparer ces négociations. Qu'en est-il de la France, Monsieur le Ministre ? Sa position officielle consiste-t-elle, comme l'a déclaré le président de la République en répondant à Nigel Farage au Parlement européen, à dire que ceux qui ne veulent pas participer à l'intégralité du projet politique européen doivent quitter l'Union ? Le Royaume-Uni ne peut vouloir le beurre, l'argent du beurre et la sourire de la crémière...

Union européenne à géométrie variable ? Pourquoi pas, les opt out existent déjà, pour le Royaume-Uni et le Danemark, mais ce serait ouvrir la porte aux revendications d'autres États membres. À moyen terme, la méthode des cercles d'intégration est la plus efficace et la plus raisonnable. C'est la direction poursuivie par le rapport dit des cinq présidents de juin dernier.

En revanche, il est inadmissible que le Royaume-Uni puisse s'opposer aux décisions prises dans des domaines où il ne participe pas aux politiques communes (Applaudissements au centre et à droite ainsi que sur les bancs du RDSE et des commissions)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient d'annuler l'accord Safe Harbor, conclu en 2000 entre l'Union européenne et les États-Unis, réduit à néant par le Patriot Act puisque les entreprises américaines doivent transmettre massivement à leur administration les données personnelles sur les citoyens américains comme européens dont elles disposent. La Commission européenne a failli en ne dénonçant pas cet accord, alors même que le Sénat, avec d'autres institutions, avait lancé l'alerte, en votant deux résolutions européennes.

La Commission devra obtenir des autorités américaines de réelles garanties de protection des données personnelles, et des possibilités de recours pour les citoyens européens. Les pouvoirs des autorités nationales de contrôle doivent être renforcés.

La Commission européenne a consacré une modeste communication aux enjeux numériques. Ils ébranlent pourtant nos modèles économiques traditionnels et questionnent notre souveraineté.

Chaque jour un peu plus, l'Europe apparaît comme une colonie américaine du numérique. Il faut réagir. Quelle est notre stratégie pour une Europe du numérique, monsieur le ministre ? Nous ne voulons pas d'un accord boiteux, dans le cadre du traité du libre-échange. (Applaudissements depuis les bancs du groupe socialiste et républicain jusqu'aux bancs du groupe Les Républicains)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - L'Europe, qui voit les crises se succéder, paraît plus fragile que jamais, et le Royaume-Uni se prépare à en sortir... De cette nouvelle crise ressortira soit une Europe resserrée, soit une Europe plus divisée.

Aujourd'hui se pose la question de l'impact financier de la prise en charge des réfugiés. La Commission européenne s'est dite prête à examiner la requête formulée par l'Italie et l'Autriche d'une plus grande souplesse dans l'application des règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance. Quelle est la position de la France ?

L'heure est aussi à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, à la suite du rapport des cinq présidents. Ceux-ci recommandent la création d'un comité budgétaire consultatif. Quels en devraient être la composition et le rôle, selon le Gouvernement ?

Il est aussi question de renforcer les pouvoirs du Parlement européen et des Parlements nationaux. Envisagez-vous la création d'un Parlement de la zone euro ? Quelle forme prendrait le ministère des finances de la zone euro que représenterait le Trésor de la zone euro ? À quoi le mécanisme pour la stabilisation budgétaire de la zone euro ressemblerait-il ?

Le Gouvernement britannique veut négocier son maintien dans l'Union européenne contre des concessions. Quelles sont nos lignes rouges, monsieur le ministre ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Les flux migratoires ont pris une ampleur inégalée depuis quelques décennies.

Nos sociétés sont de moins en moins en mesure d'intégrer cet afflux de migrants économiques, climatiques et des réfugiés fuyant la guerre et les persécutions.

Notre cohésion sociale et nationale est mise à l'épreuve. Le consensus exprimé par la commission Marceau Long en 1988 vaut encore : il ne faut pas entretenir la tension entre les Français, ni confondre immigrants réguliers et irréguliers, immigrants économiques et réfugiés.

C'est en amont qu'il faut d'abord agir, pour prévenir les conflits et les risques environnementaux. La France doit être plus audacieuse face au chaos mondial, à la Syrie et à Daech.

L'Europe ne s'est pas non plus dotée des moyens nécessaires, alors que plus de 500 000 migrants et réfugiés ont franchi ses frontières depuis le début de l'année. L'impunité des passeurs est un défi à nos valeurs humanistes. Moins de 40 % des décisions d'éloignement sont appliqués et les tensions s'exacerbent, au moment même où notre tradition d'asile doit être réactivée.

Ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire doivent être reconduits, sans que leurs droits soient méconnus : tel est le sens du vote émis cet après-midi par le Sénat sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration.

Le mécanisme de répartition des réfugiés récemment adopté comporte encore trop de zones d'ombre. Pourquoi accueillir en France des gens qui souhaitent s'installer ailleurs en Europe ? Nous devons accueillir ceux qui, relevant du droit d'asile, choisissent spontanément de venir chez nous. Sur ce point, la commission des lois et son rapporteur François-Noël Buffet seront très vigilants.

Les contrôles nécessaires doivent être mis en oeuvre pour éviter que des migrants économiques, voire des terroristes, n'entrent sur notre territoire.

La répartition des réfugiés sur le territoire national ne saurait non plus se faire au petit bonheur la chance.

Il est plus que temps que l'Europe prenne conscience du drame qui se joue à ses portes, et révise les règles de Schengen, pour une politique migratoire efficace, soucieuse de la stabilité des pays d'origine, comme de la cohésion et du dynamisme de nos propres sociétés. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Le prochain Conseil européen se tiendra dans un contexte difficile : crise migratoire, montée de l'euroscepticisme... La crise migratoire a été un choc ; l'Europe doit accueillir les persécutés mais aussi veiller au contrôle effectif de ses frontières. Le groupe de travail animé par M. Reichardt au sein de notre commission rendra bientôt ses conclusions sur ces questions.

La route des Balkans est désormais la voie d'accès privilégiée vers l'Allemagne ou la Suède, que la plupart des migrants veulent rejoindre. La Hongrie aussi est très exposée - elle a accueilli, de mémoire, 15 % des migrants au premier trimestre. Elle est au deuxième rang des pays d'accueil après l'Allemagne. Notre commission des affaires européennes entendra avec intérêt son ambassadeur la semaine prochaine.

L'effort consenti par la France est significatif, puisqu'elle prendra en charge près de 20 % des réfugiés - on sera sans doute au-delà des 30 000 personnes annoncées sur deux ans. Le mécanisme de répartition est une manifestation élémentaire de solidarité, mais les réfugiés resteront-ils durablement dans les pays où l'on ne veut pas d'eux ? Un système de relocalisation est-il souhaitable dans un espace de libre circulation ?

Nous demandons depuis longtemps la création d'un corps de garde-frontières européens et de hot spots, le renforcement de Frontex et d'Europol. Il faut relever notre aide aux programmes humanitaires des Nations Unies, et soutenir financièrement les réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban.

Le Conseil européen doit aussi dresser un bilan du rapport des cinq présidents sur l'avenir de l'Union économique et monétaire. Le besoin de convergence est plus que jamais prégnant. Il est temps de passer aux actes. L'harmonisation fiscale et sociale est une exigence. L'Union doit aussi se rendre plus efficace face aux chocs, tout approfondissement devant aller de pair avec une légitimité démocratique renforcée, ce qui suppose un contrôle parlementaire qui associe les parlements nationaux.

Si nous souhaitons que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne, celle-ci ne doit pas transiger sur ses principes. Abordons cette discussion dans un esprit ouvert, mais vigilant. (Applaudissements au centre et à droite)

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Merci aux orateurs de leurs interventions. Je confirme à M. Billout que la France soutient la création des garde-frontières européens, idée reprise par le président Juncker.

Le système de relocalisation des réfugiés est déjà une exception aux règles de Dublin, qui imposent cependant la responsabilité de chaque État membre pour la surveillance de ses frontières et la discrimination entre réfugiés et autres migrants. Certes, il n'y a pas de bons et de mauvais migrants, mais les règles diffèrent : l'asile est une protection individuelle accordée à des personnes fuyant la guerre et les persécutions qui découle de la convention de Genève. Si nous ne faisons pas cette différence, le refus de l'asile finira par l'emporter.

La réponse à la crise suppose aussi d'aider les pays d'origine et de transit, ainsi que les pays voisins de la Syrie, pour que les réfugiés puissent y rester. La dégradation des conditions de vie dans les camps gérés par le HCR et même le manque de nourriture ont jeté des dizaines de milliers de personnes sur les routes de l'exode.

On ne répond pas à une telle crise en créant un impôt. Les sommes nécessaires doivent être prélevées sur les budgets européens et nationaux.

La liste des pays d'origine sûre doit être la même pour tous les pays européens, c'est vrai, monsieur Leconte. Des laissez-passer européens seraient également utiles, pour ne pas jeter les réfugiés dans les bras des passeurs. Et d'autres pays, comme les États-Unis, doivent prendre leur part de l'effort.

Offrir une réponse coordonnée est difficile, cela est vrai, monsieur Gattolin, parce que les États membres ne sont pas dans la même situation géographique - certains comme l'Italie, la Grèce ou les pays des Balkans sont plus exposés - et parce que les migrants veulent, pour beaucoup, aller prioritairement en Allemagne, en Suède et en Grande-Bretagne. C'est pourquoi nous avons dû insister sur la part que chaque État membre devrait prendre dans cette crise.

La COP 21 ne sera pas absente du Conseil. L'Union européenne a été exemplaire et a adopté des objectifs ambitieux. Les enjeux sont financiers et diplomatiques, la démocratie européenne doit agir pour convaincre la quarantaine de pays qui ne l'ont pas encore fait de transmettre leur contribution. Les moyens supplémentaires donnés au HCR, au programme alimentaire national mondial sont au rendez-vous : l'Union européenne a débloqué 200 millions en 2015 et débloquera 300 millions en 2016 ; des efforts équivalents seront demandés aux États membres.

M. Rachline, tout en prétendant défendre la nation, a accusé la France d'être à l'origine de la guerre en Syrie, ce que personne d'autre ne fait sur la planète, loué les mérites du régime d'Assad et les bombardements russes sur l'opposition modérée. Je lui laisse, mais il est absent, la responsabilité de propos incohérents, inconséquents et irresponsables.

M. Requier a insisté sur la solidarité. Le président Hollande a évoqué mercredi dernier à Strasbourg, devant le Parlement européen, la nécessité de convergences qui ne soient pas seulement budgétaires ou fiscales - la presse n'a donné qu'un compte rendu partiel de son intervention. Oui, l'Union économique et monétaire souffre d'un défaut de conception. Des progrès ont été réalisés depuis 2009, encore en 2013 et en 2014. Je souhaite, comme Mme Keller, aller plus loin. La France ne « décroche » pas...

Mme Fabienne Keller.  - C'est la réalité...

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - ...elle se redresse : le déficit public était de 5,1 % en 2011, il sera inférieur à 3 % en 2017. De même la croissance était nulle avant 2012, elle sera de 1 % en 2015 et de 1,5 % en 2016. (On le réfute à droite) Nous voulons un approfondissement de l'UEM parce que la zone euro doit être une zone de croissance, d'innovation, d'investissement. Il faut des outils nouveaux de coordination des politiques économiques, de même qu'un contrôle parlementaire, l'objectif étant de parvenir à un parlement de la zone euro.

Notre position sur les Britanniques est qu'ils doivent demeurer dans l'Union, c'est leur intérêt et celui de l'Europe. On peut se préparer aux négociations, mais encore faut-il savoir sur quels sujets elles vont porter ; les demandes n'ont pas encore été officiellement formulées. Je vous confirme que le président Hollande s'exprime au nom de la France quand il répond à un député européen eurosceptique et lui rappelle que dans l'Union les droits emportent des devoirs. M. Cameron veut rester dans l'Union, les sujets évoqués sont le fonctionnement de celle-ci, la lutte contre les abus sociaux. Il ne saurait y avoir de remise en cause des principes fondamentaux tels que la liberté de circulation ou des politiques communes. Nous entendons en tout cas travailler à traité constant, l'Union doit se concentrer sur l'essentiel - la crise migratoire, le développement économique et l'emploi - et non sur des questions inconstitutionnelles éloignées des préoccupations quotidiennes des Européens. Nous incitons nos amis Britanniques à être pragmatiques - c'est une de leurs qualités.

L'Europe ne se désintéresse pas du numérique, madame Morin-Desailly. La Commission européenne a rendu une communication trop centrée sur les consommateurs et l'accès au marché ; nous défendrons d'autres enjeux : la régulation des plateformes, les droits d'auteur, l'émergence de champions européens. Monsieur de Montgolfier, nous examinerons en détail le projet de comité budgétaire consultatif. La France soutient les demandes de l'Autriche et de l'Italie d'assouplir les règles budgétaires face à la crise migratoire, exceptionnelle, sans désarticuler les pouvoirs de la commission européenne. Il faudra peut-être créer des structures spécifiques en son sein.

Nous défendrons la voie vers un Parlement de la zone euro, dont les parlements nationaux ne peuvent pas être écartés puisqu'ils sont les représentants de la souveraineté budgétaire. Oui, il faut une forme de Trésor européen, des capacités budgétaires et d'investissement. Avec quelles ressources ? C'est l'objet des discussions, on peut penser par exemple à une part de la TTF. On peut aussi s'inspirer du mécanisme de stabilité européen, dont l'effet de levier est très puissant, mais qui est aujourd'hui un instrument défensif. Mes lignes rouges, ce sont les valeurs de l'Europe.

M. Bas a raison, la voie est étroite. Respect du droit d'asile, lutte contre les passeurs, solidarité, contrôle des frontières. C'est en traitant tous les aspects de la crise migratoire que nous pourrons la résoudre.

Les États membres n'ont pas la même culture de l'asile. Mais chacun doit assumer sa part. Les pays de première arrivée ont refusé d'enregistrer les réfugiés par peur que la répartition ne se fasse pas. Chacun doit s'engager, c'est la condition de la réussite du contrôle aux frontières et des hot spots. Nous soutenons la création de gardes-frontières.

La Turquie, qui a accueilli deux millions de réfugiés syriens, doit être soutenue pour combattre les passeurs. Le plan d'action qui sera mis en place sera décisif pour juguler les flux et protéger les réfugiés.

Merci pour ce débat de qualité et de vos propos équilibrés. La crise migratoire appelle de la ténacité et, face aux populismes qui empoisonnent les débats dans de nombreux pays, de la raison et de la pédagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Débat interactif et spontané

M. André Reichardt .  - On parle depuis des mois des hot spots et du corps de gardes-frontières européens. Actuellement, cinq à six mille migrants arrivent chaque jour en Europe par la Grèce sans être, semble-t-il, contrôlés. À quand une concrétisation de ces projets ?

Les frappes russes visent l'opposition modérée que la France soutient, en Syrie, bien davantage que Daech. Si cela continue, sur quelles forces allons-nous nous appuyer ? La France compte-t-elle promouvoir une plus large coordination internationale des actions contre Daech ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes .  - Le Conseil des ministres de l'intérieur a déjà pris la décision de créer des hot spots ; elle sera confirmée par le Conseil européen. Ils sont d'ores et déjà en train d'être mis en place en Grèce et en Italie par la Commission européenne, Frontex et le Bureau européen compétent en matière d'asile. La difficulté est l'urgence : il faudra plus de centres, en Sicile, à Lampedusa, dans plusieurs îles grecques, sans doute dans le Péloponnèse. Dans ces centres, on relèvera les empreintes digitales et on fera un premier traitement des demandes d'asile. Les déboutés seront reconduits dans leur pays d'origine dans le cadre des accords de réadmission.

M. Richard Yung .  - Les demandes britanniques sont entourées d'un certain flou. Le Premier ministre Cameron souhaiterait cependant ne pas être lié par une Union toujours plus étroite - comprendre : le Traité de Lisbonne - par la monnaie unique - il y en a d'autres -, par le versement de prestations sociales - ce qui serait contraire à la liberté de circulation des travailleurs - et, enfin, obtenir un droit de veto pour les parlements nationaux. Cette liste est-elle complète ? Entendez-vous y donner suite ?

Faut-il considérer que la Grande-Bretagne est déjà aux trois quarts hors de l'Union européenne ou tout faire pour la maintenir dans l'Union ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - A ce stade, et peut-être pour des raisons de politique intérieure, David Cameron n'a pas formulé de demandes officielles.

Pour notre part, nous l'encourageons à ne pas présenter de propositions incompatibles avec les traités. Concentrons-nous sur l'essentiel : la croissance, l'emploi, le numérique et la crise migratoire.

M. Philippe Bonnecarrère .  - La France, avec 3 500 hommes engagés dans l'opération Barkhane, est présente dans la bande sub-sahélienne pour lutter contre le terrorisme ; elle y contrôle aussi les trafics d'armes et de drogue qui partent de Libye. Cette force n'a pas de mandat pour contrôler l'immigration et nos soldats voient passer des pick-ups de migrants sans pouvoir intervenir... Un élargissement du mandat de nos forces est-il envisageable ?

Les modalités de l'aide européenne au développement interpelle ; un milliard est prévu mais quid des appels d'offres ? Il n'y a toujours pas de routes asphaltées entre Bamako et Kidal ou entre N'Djamena et le Tibesti... Cette zone sub-sahélienne revêt un intérêt stratégique majeur pour la France. Ne faut-il pas nommer un ambassadeur de zone pour assurer la cohérence de notre politique étrangère ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Ne confondons pas les actions militaires comme l'opération Barkhane, et les actions de souveraineté comme le contrôle des frontières. Nous formons de nombreux policiers et militaires de ces pays dans le cadre d'accords bilatéraux. Un des principaux pays de transit africain est le Niger, de nombreuses routes de migration passant par Agadès. Nous avons demandé à l'Union européenne d'y créer un centre pour examiner les demandes d'asile.

M. Michel Billout .  - Le président turc a refusé le résultat des dernières législatives qui ont vu l'élection de 80 députés du HDP et convoqué de nouvelles élections. La campagne se déroule dans un climat d'extrême violence. Le Gouvernement s'en prend aux Kurdes qui combattent Daech mais aussi aux progressistes, aux journalistes, aux avocats, aux enfants même.

Nous avons déploré, le week-end dernier, l'attentat le plus meurtrier de la Turquie moderne. C'est le résultat d'un climat de violence organisée. En quelques mois le pays est revenu plusieurs années en arrière. L'Union européenne doit agir pour que cessent les atteintes aux droits de l'homme et s'assurer de la tenue d'élections respectueuses de la démocratie.

La France a des relations fortes avec la Turquie. Le Gouvernement entend-il agir pour que le processus de paix reprenne, seule solution politique viable ?

M. Simon Sutour.  - Très bonne question !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - J'exprime d'abord la solidarité du Gouvernement aux victimes du terrible attentat de samedi. La Turquie est un acteur très important de la région. Les élections législatives doivent s'y dérouler dans des conditions apaisées et démocratiques.

Nous avons élaboré un plan d'action pour l'aider à surmonter la crise migratoire, à accueillir les réfugiés - dont certains ne sont pas dans des camps. Nous le pousserons à reprendre les négociations avec les Kurdes.

Mme Patricia Schillinger .  - Le rapport dit des cinq présidents évoque peu l'Europe sociale. La crédibilité de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire repose pourtant sur le développement de son pilier social. Son objectif doit être de faire converger vers le haut les droits sociaux et de lutter contre le dumping. Le discours du président Juncker sur l'état de l'Union européenne et le congrès de la Confédération européenne des syndicats ont tracé la voie à suivre. L'année prochaine doit être l'occasion de progresser sur le socle commun des droits sociaux, le principe « à travail égal, salaire égal », le renforcement du CDI comme contrat de droit commun et le rôle des syndicats dans la gouvernance des entreprises.

L'Union européenne, nous en sommes convaincus, doit s'investir pour remédier aux effets sociaux de la crise, tracer les perspectives d'une protection durable des droits. Comment la France va-t-elle s'engager dans ce processus ? Quelles mesures concrètes pourront être mises en place rapidement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Pour l'heure, l'Union économique et monétaire a beaucoup fonctionné sur la coordination budgétaire et financière. Nous pensons, nous, qu'il faut aller vers plus de convergence économique, fiscale et sociale : salaire minimum, portabilité des droits, dialogue entre partenaires sociaux - délaissé depuis Delors. Nous avons soutenu les paquets fiscaux proposés en mars et juin 2015 et défendions une approche ambitieuse en matière fiscale - assiette commune de l'impôt sur les sociétés, directive TTF, renforcement des échanges entre les administrations fiscales, promotion de la transparence, lutte contre l'optimisation fiscale agressive. Nous le faisons aussi au sein de l'OCDE.

M. Pascal Allizard .  - Des drames humains se multiplient en Méditerranée. Nos armées sont à l'oeuvre : un de nos patrouilleurs a sauvé près de 500 personnes le mois dernier. Quelle est exactement la contribution de la France à l'opération Sofia ? Était-il judicieux que Bruxelles donne publiquement la date de l'intervention des marines européennes ?

Les migrants sont sous la domination des passeurs en mer mais aussi à terre. La Méditerranée n'est plus la seule voie d'entrée en Europe. Et la situation est tendue sur le sol français ; à Calais, la Paf et la justice manquent de moyens.

Sans un renforcement de la coopération au travers d'Europol et d'Eurojust, nous ne réussirons pas notre combat contre les réseaux de passeurs.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - L'opération Sofia détient un mandat de l'ONU pour intervenir en haute mer ; la France y contribue avec un navire, un avion, un personnel d'expertise et un vice-amiral au centre de commandement de Rome. Nous travaillons à New York pour obtenir l'autorisation pour elle, avec l'accord des autorités de Libye, d'entrer dans les eaux territoriales de ce pays. Quoi qu'il en soit, cette opération marque un grand progrès ; c'est une étape vers de futurs garde-côtes européens.

M. Simon Sutour .  - Depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux ont vu leur droit de regard renforcé. Le Sénat fait vivre chaque jour ces nouvelles possibilités. Mais les crises successives récentes ont montré que les parlements nationaux devaient être mieux associés encore à la politique européenne. Le président Juncker l'a reconnu dans son discours sur l'état de l'Union.

Il faut faire plus si nous voulons que les citoyens adhèrent à l'Union européenne : plus de contrôle démocratique aux niveaux national et européen et un parlement de la zone euro. Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Effectivement, le président de la République défend l'idée d'un parlement de la zone euro. Pour ma part, je suis convaincu de sa nécessité depuis longtemps. D'abord parce que l'existence de l'euro a un impact sur les budgets que les parlements nationaux votent. Ensuite, parce que des mesures comme le plan d'aide à la Grèce doivent recevoir l'aval des parlements nationaux. Cela renforcera la dynamique d'appropriation de l'Europe.

Mme Pascale Gruny .  - La crise migratoire fait vaciller l'Europe de Schengen. Certains États membres ont même érigé des clôtures, telle la Hongrie. Le principe de Schengen est la levée des frontières intérieures parce qu'il y a un contrôle aux frontières extérieures.

Le président de la commission européenne a annoncé la création de hot spots en Italie et en Grèce. Pourront-ils absorber l'afflux des 5 000 à 6 000 migrants quotidiens ?

Quelle part prendra la France dans le renforcement de Frontex et des autres agences européennes ? L'Europe doit rester fidèle à sa tradition humanitaire, et assurer la protection internationale de ceux qui en font la demande, mais elle ne peut pas accueillir tout le monde. Comment sont examinées les demandes d'asile ? Comment seront raccompagnés les déboutés ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Les demandes d'asile seront examinées par les agents de Frontex, des membres du Bureau européen de l'asile -  installé à Malte  - ainsi que par les experts techniques dépêchés par les États membres et les autorités nationales elles-mêmes. Les centres hot spots devront être nombreux pour traiter les demandes.

Ce n'est pourtant qu'une des réponses à la crise migratoire avec le plan d'action négociée, avec la Turquie, la lutte contre les passeurs et l'aide aux pays d'accueil des réfugiés.

Mme Christine Prunaud .  - On assiste à l'escalade de la violence entre Israël et la Palestine. Le 30 septembre, le drapeau palestinien a été élevé pour la première fois, devant l'ONU ; reste à respecter les droits de l'homme et les conventions internationales, sans laisser un chèque en blanc à M. Netanyahou. Qu'attend l'Union européenne pour dénoncer l'accord d'association avec Israël ? En 2014, l'Assemblée nationale et le Sénat ont demandé la reconnaissance de l'État palestinien. Quand cessera-t-on de transiger ? La Palestine doit être placée sous protection internationale.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Depuis des mois, Laurent Fabius alerte sur la situation explosive en Israël et en Palestine. Le Gouvernement condamne toutes les violences, de part et d'autre, l'assassinat de civils israéliens comme la violation des droits des Palestiniens. Nous continuons de croire en la solution de deux États et d'y travailler. Fin septembre, le quartet s'est réuni en formation élargie avec les pays arabes ; 3 000 actions prioritaires sont conduites sur place et nous maintenons notre soutien collectif à la réconciliation en Palestine.

M. Jean Bizet .  - Merci au ministre de sa disponibilité.

Les flux migratoires risquent de durer très longtemps, cinq ou sept ans peut-être, si j'en crois les déclarations du directeur exécutif de Frontex et du chef de la mission sur les migrations internationales. L'Europe a, pour reprendre l'expression d'Hubert Haenel, l'ancien président de notre commission, « des racines judéo-chrétiennes » et elle pourrait s'en trouver transformée. Il faut anticiper. Les moyens financiers devront être à la hauteur. Je suis relativement sceptique sur la politique de retour, même si elle est nécessaire.

L'Union européenne et la France souhaitent bien sûr le maintien du Royaume-Uni en son sein : c'est son intérêt et le nôtre. M. Cameron, je veux le croire, poursuit l'objectif d'améliorer la gouvernance de l'Union européenne d'une manière générale et non pour l'intérêt de son seul pays.

Réformer l'Union économique et monétaire est une urgence, car les distorsions de concurrence actuelles menacent la stabilité et la cohésion de l'union. Nous en débattons depuis trop longtemps : il est temps de passer aux actes. Je suis inquiet que l'Allemagne ne partage pas ce sentiment d'urgence.

Merci encore pour ce dialogue, monsieur le ministre.

La séance est suspendue à 20 h 45.

La séance reprend à 22 h 15.